Le site du Roi de Bohême
Exploration de la création
La terre, minuscule bille dans un cosmos si vaste, et pourtant si importante pour nous. Ce site vous propose des récits de voyages, des photographies, ce que j'en pense du monde d'aujourd'hui y compris mes coups de gueule, mais surtout mon périple à travers le continent nègre en 2 étapes : L'échec, puis après l'échec et le doute, la réussite à n'en plus douter !
Pourquoi ce site et pourquoi ce nom ?
Parce que voilà ce que les hommes sans Dieu vont bientôt en faire,...de la création !
Après ma virée avortée en Afrique et un triple rapatriement (moi en avion escorté par une Docteur et un infirmier), ma voiture (dans un camion) et ma caravane enchantée (dans un très grand camion) depuis les cliniques marocaines, à lire l'épopée héroïque dans la section : «Entre l'Europe et l'Afrique, comment préparer son voyage», eh bien je me suis retrouvé plus bas que tout, dans mon hôpital Suisse, d'où j'écris en ce moment.
Je voulais faire un site pour poster mes photos de voyage en Afrique avant de partir, mais je suis une bille en informatique. J'avais demandé aux biens-portants s'ils pouvaient m'aider à faire un site, mais les biens-portants ne sont en général que des consommateurs de l’internet et ne semblent pas y connaître plus que moi, et puis ils n'ont pas le temps pour ces conneries ils ont des smartphones ! Mais ici, un malade assez mal en point me dit : "Moi j'aurai pu"..., mais bon, il a un Sécuritas qui le suit à la trace, il est tout de biais, je lui dis : "Toi ?, mais t'es sûr ?", il opine du chef sans dire un mot, c'est un taiseux, alors je lui dis : «Chiche !», et je lui file mon ordinateur en lui demandant de ne pas le casser, parce que s'il est escorté partout par un Sécuritas, c'est qu'il avait déjà tout cassé à l’hôpital cantonal (matériel et humains compris), que depuis ma séparation je tourne à un peu plus de 2000 balles par mois, et que je ne vais pas avoir les moyens d'en acheter un nouveau, il me dit : "T'inquiètes"..., alors je lui donne et je ne m'inquiète pas.
Ma première hospitalisation avait commencé avec un petit délire à propos d’un certain Roi de Bohême, et j’étais le fils spirituel de ce légendaire Roi de Bohême, saint patron des voyageurs et globe-trotteurs, à la fin du 20ème siècle. A l’époque, j'avais un boulot à responsabilités, une famille à assumer, et en plus Roi de Bohême (si je lâchais l’affaire tous les voyageurs tombaient), ça commençait à faire chargé, alors j'ai vrillé.
J'ai écris par e-mail mon départ improvisé à quelques proches depuis le Maroc, et comme je suis arrivé en Afrique dans l'état que vous verrez dans la section «Présentation» ci-dessous, tout affaibli, maigre, nuits blanches après un trajet épuisant, avec 65 euros en poche et 70 francs Suisse, espérant que la carte de débit de ma banque locale (Raiffeisen) fonctionne là-bas..., ma sœur m'a répondu : "T'es vraiment le Roi de Bohême !"… Alors quand le taiseux me demande comment je veux appeler mon site, et vu que je me retrouvais dans le même hôpital où j'ai commencé ce délire, je lui ai répondu : "Le Roi de Bohême".
Voilà pour le nom, et pour le site, j'y prends goût, ceux qui aiment liront, ceux qui n'aiment pas ne liront pas, je ne l'ouvre pas aux commentaires parce que je n'aime pas les gens négatifs et il en existe beaucoup, donc un site ou je suis le Roi et tous les autres n'ont que le droit de lire et de se taire, de m'écrire par contact ou ouvrir un sujet sur le forum, ça va bien comme ça. Pas de petite cloche à actionner, ni de pouce à lever ou à baisser, on est plus dans l’Empire Romain que je sache, juste un site de l’internet et c'est tout. Je remercie ce compagnon d’infortune pour ce site, parce que s’il n’avait pas créé au moins le squelette du site et expliqué comment poster dedans, je me serai pas mal ennuyé durant cette hospitalisation.
J'aimerai aussi dire un mot à propos de ma foi qui n'est pas très académique parce que je prends la Parole de Dieu au pied de la lettre. Par exemple, quand j’entends à la messe à 17 ans Jésus dire que si on donne tout notre pognon aux pauvres, on recevra déjà le centuple sur cette terre, et on amassera un trésor au Paradis, je me dis que le rendement semble très intéressant : pour un franc investi dans les pauvres, ça nous en rapporte 100, seul Pablo Escobar a fait mieux avec son affaire : 1 dollar d’investissement lui en rapportait 200, mais il a dû prendre des risques et être malhonnête, tandis que là ça semblait casher. Donc je regarde sur mon compte, j'avais 2000 francs (4 mois de ma paye d’apprenti), je fais mon petit calcul, le rendement est garanti à 200 plaques par Dieu en Personne, alors je m'avise pour tout envoyer à Mère Teresa qui s'occupe des pauvres, parce qu'Il avait dit qu'il fallait TOUT donner.
Mon père s'en est inquiété et m'a envoyé discuter avec le curé qui m'a dit que je comprenais tout de travers, mais même si j’ai une tare psychique, je ne suis pas idiot ni attardé ! Donc le centuple de 2000 déjà sur cette terre c’était clair, le trésor au Paradis c’était flou on verra ça plus tard, le plan était on ne peut plus simple, c'était les curés qui ne savaient pas lire et qui à mon avis sur-interprétaient avec des calculs en centuple de grâces (genre de truc que tu pourras jamais vérifier) et de je ne sais pas quoi. Donc finalement, même si le curé me prend pour un hérétique, j’investis tous mes œufs dans le même panier, et à 25 ans j'ai touché les 200'000 pile, ce qui m'a permis d'acquérir une maison pour ma famille. Voilà, je ne tergiverse pas de midi à quatorze heure quand c’est assez clair, pas besoin d’un théologien pour comprendre ce qui est accessible même aux plus demeurés, pour peu qu’ils sachent faire un calcul simple. Pareil pour trouver ma femme, j’avais fait un deal avec Dieu, et je pense que c’est pour ça que même une avocate qui semble compétente n’arrive pas à séparer ce qu’Il a uni. Moi aussi je ne comprenais pas ce qui clochait dans cette affaire, mais après 10 mois, j’ai compris, mais ça ne vous regarde pas .
Présentation et coups de gueules
BOUH !

Qui suis-je ?
David Pierre, fils de Dieu, d'André, petit-fils de Jules, rejeton de Joseph Vuignier, aîné de 5 frères et sœur, et papa de 4 enfants de sang et d'un burundais de cœur, marié depuis 1994 à une femme (oui, aujourd'hui il faut préciser). Je suis un voyageur au long court. Humanitaire et globe-trotteur sac à dos en Asie et Amérique du sud dans ma jeunesse, puis voyageur touristique durant ma vie de famille, et bohémien maintenant que je suis d'âge mûr, je tire mon habitation enchantée derrière moi, et elle me suis où bon me semble sur la surface de la terre, et même des mers depuis l'invention des Ferry et des cargos container...
Création, créations et créatures...
Cette page est en cours de construction
Dans cette page, je vais présenter quelques pays en photo principalement, et encore..., vu mon déménagement, la plupart de mes photos sont restées sur l'ordinateur de la maison, mais j'ai pu récupérer certains dossiers d'un disque dur externe qui traînait et que j'ai mis dans ma valise.
Il y aura un peu de mélange entre création de Dieu, qui en général est plus brute que les créations des hommes, par exemple si Dieu veut placer une pyramide en quelque part il va faire comme ça :
...tandis que si les humains veulent placer une pyramide, ils vont fignoler, ce sera plus académique, plus droit, mieux crépi, mais à tous les coups plus petit, comme en Égypte où au Mexique. Il y aura donc des pays beaucoup plus «création», mais d’autres, comme l’Italie, où l’homme a tant fignolé que ça vaut la peine de voir ce qu’il a été capable de faire, donc plutôt créations des hommes que création Divine
On va commencer par : «J’ai découvert le paradis terrestre, il s’appelle Ceylan» Marco Polo
Sri Lanka :
Dellawa beach
Caoutchouc
Thé dans une machine à sécher de l'époque de Sir Tomas Lipthon
Cocaine :
Pierres précieuses
Voilà pourquoi je n'ai pas de smartphone, je n'ai que deux mains !
Pour voir des baleines c'est pareil qu'en Tanzanie pour voir les lions, un bâteau ou une jeep en voit une/un, il téléphone à tous les autres et on se retrouve à 12 bâteau autour d'une baleine ou 12 jeep autour du lion :
Donc on s'est rabattu sur plus petit
... ou plus gros
Récolte de venin...
MangrovePlage moins peuplée que la Côte d'Azur
Emirats Arabes Unis Dubail
...escale, vue sur la Burj Khalifa tower, 828 mètres de haut, 7 degrés d'écart de température entre le rez de chaussée et le haut... (nous on grimpe sur les montagnes si on a trop chaud en plaine)
Suisse
Italie
Hongrie
Autriche
Slovaquie
France
Maldives
Quels véhicules pour faire le tour de l'Afrique ?
Véhicule tracteur
Audi Q5, modèle 2017 essence, car le diesel gèle à - 19 C° (ma première intention était le Cap Nord via la Russie et retour par Copenhague parce que je pensais que l'Afrique c'était impossible, trop dangereux, mais mon fiston Fabrice m'a répondu que j'avais plein de chances de survivre) et de ma couleur préférée : Bleue. Le moteur est un 4 cylindres qui propose 252 chevaux sous le capot,... quand je pense que le Fils de l'Homme n'avait même pas une mûle lorsqu'Il pérégrinait en Palestine, je m'en estime très satisfait. Par contre, lorsque j'ai demandé au concessionnaire Audi si elle allait arriver à tirer ma caravane de 1,8 tonnes à 2000 mètres d'altitude sur les hauts plateaux du Kenya et de l’Éthiopie, il m'a répondu : "Pourquoi vous n'avez pas acheté une Toyota ?" Je lui ai demandé s'il n'avait pas confiance à la marque qu'il représentait, mais c'était pour une histoire de disponibilité de pièces de rechange, sinon oui oui, l'Audi tire tout ce que je veux à l'altitude que je veux, ...on verra bien si elle grimpe le Kilimandjaro ! Eh puis si j'ai toujours eu de belles voitures, ce n'est pas pour me présenter aux africains comme un pouilleux non plus !
Le programme entre le 1er janvier 2024 (date de la séparation à laquelle j'ai laissé l'usufruit de ma maison à ma femme) et le 29 juin (jour de mes 52 ans) : Attendre pour voir si quelqu'un avait encore besoin de moi en Suisse, mais visiblement ce n'est pas le cas, à part l'argent plus personne n'a besoin de rien, ils ont le smartphone et les commodités. Donc le 29 juin je m'en suis allé réaliser mon rêve de gosse : Visiter l'Afrique ! Peut-être que je pourrais être d'une quelconque utilité aux africains, on verra bien.
Habitation tractée
Le véhicule tracteur tracte mon habitation qui se présente sous les apparence d'une caravane Tabbert Rossini 490 TD Finest Edition, et qui sera décorée comme un sapin de Noël à mesure de l'avancement du projet, pour me faire plaisir, pour attirer la sympathie des indigènes, et pour laisser un chouette souvenir à ceux qui auront la chance de la visiter. Elle dispose de toutes les commodités : WC avec douche, climatisation, chauffage par le sol, chauffage à gaz par ventilation aussi, et même chauffage par la clim de toit si ça me chante, + une cuisinière que j'ai condamné pour préférer de la décoration, ainsi qu'un salon modulable en grand lit pour 2 de mes enfants s'ils voulaient faire une balade avec moi (ce qui n'a pas été le cas), ... quand je pense que le Fils de l'Homme n'avait même pas une pierre où reposer sa tête, je m'estime très très satisfait !
Mon fiston burundais Fabrice a estimé mes chances de revenir avec tout mon équipement à 60%, et mes chances de rentrer tout de même vivant mais à poil à 80%, donc beaucoup plus de chances de rentrer vivant que mort... ça m'va !
S'il y a 100 avions sur le tarmac et qu'on vous informe que l'un des 100 se crashera, tandis que les 99 autres vous emmeneront dans une destination de rêve, vous montez dans l'un des 100 ou pas ?
- Non ? - Eh bien dans ce cas, c'est que vous êtes quelqu'un de négatif, parce que les 99 autres avions apporteront des souvenirs inoubliables à tous ceux qui auront embarqué. Alors je suis positif, je vois que le verre est plus qu'à moitié plein, et comme je marche à la droite de l’Éternel mon Berger, je sais que RIEN ne peut m'arriver !
Mes actualités






Ce que mes compagnons d'infortune m'ont fait découvrir en hôpital
J'ai découvert que je pouvais ne vivre qu'avec ceci pour seul bagage :
Depuis que je suis parti de ma caravane il y a un mois en ne prenant que le strict nécéssaire, (non visibles les habits que j'ai sur moi + un ou deux de rechange que je lave dans le lavabo), tout mon matériel tient sur une table de 80cm de côté, je pensais que ça faisait un peu chiche, mais je m'aperçois que si j'arrête de fumer, on peut réduire la surface utile à une bande de 50 cm sur 80. J'ai découvert ici l'interface de l'internet en faisant ce site, mon compagnon d'infortune ayant arrêté après avoir fait le squelette du site, parce que son frère bien portant lui a dit qu'il ne fallait pas le faire gratuitement, alors depuis l'ossature, j'ai un peu compris la combine et me suis débrouillé pour tout, textes, photos, arrière plan... J'ai aussi re-découvert la musique par le bluethoot, ça calme les humeurs et ça faisait si longtemps que je n'écoutais plus de musique. J'ai redécouvert des commodités dont on a plus l'habitude en caravane, comme le bain, parce que ce n'est pas avec ma réserve de 45 litres que je dois remplir à l'arrosoir et boiller de 5 litres qu'on peut prendre le bain. Des petits bonheurs simples que les gens vivant en habitation ne conscientisent plus, alors je sais que j'apprécie tout plus que les autres. Sans cette hospitalisation, ce site n'existerait pas, et si le frangin du créateur de l'ossature du site avait téléphoné plus tôt, non plus. Si j'avais fait vendu et fait payer les photos qui sont sur ce site, je n'aurais pas non plus pu les utiliser sans demander d'autorisation..., ahhh, vive les fous qui ne calculent pas !
Le dispensable :
- Déodorant et brosse à cheveux - Disque dur externe - La souris - Les cigares + étuit à cigares et coupe cigare si je n'ai pas le choix que d'arrêter...
L'indispensable :
- Brosse à dent (dentifice offert par l'hôpital)
- L'ordinateur avec lequel je fais ce site depuis 15 jours
- La plume du Cardinal Scipione Borghèse et du vrai papier + encre pour écrire
- La clef pour transférer les photos de mon appareil à l'ordinateur
- L'appareil photo que vous ne voyez pas parce que je fais la photo avec...
- La Parole de Dieu
- Un briquet et du gaz de recharge
- Mon porte-monnaie (le passeport est à l'accueil)
- Le casque Bluethoot qu'un jeune m'a revendu 9 francs...
- Une tondeuse à barbe et cheveux
- Un étuit à lunette fait par des religieuses Bielo-russe, histoire de soutenir un peu l'effort de guerre..., et mes lunettes.
- Un téléphone portatif parce que les fixes se font de plus en plus rares
- Ma bonne Fortune, le dollar tête d'Indien !
Chronique d'écriture 1 : La sexualité selon David Pierre... (4 pages word)
Enfant, j’avais une vision très prude de la sexualité. A neuf - dix ans, je trouvais dégueulasse ceux qui s’embrassaient. Je regardais et me disais : «Oui d’accord elle est jolie, mais ils se touchent avec la langue, c’est quand même de la crache...». A 11 ans, mes parents m'annoncent que maman attend un sixième, ça m'a énervé parce qu'en tant qu'aîné, j'avais beaucoup de responsabilités (+ l'école et la vigne), quand ils m'ont annoncé ça, j'étais furax et leur ai demandé s'ils ne pouvaient pas se retenir un peu, bordel ! Papa a passé une mauvaise nuit et le lendemain il avait trouvé la solution pour faire passer la pilule : "Dis-donc, si tu deviens la parrain du petit, tu voudrais ?" Là ça allait, parce que j'étais déjà mit sur un piedestal par mon père comme Primo Genito, aîné, exemple etc., alors si en plus je devenais parrain ça allait, je serai indiscutablement The King ! Papa s'est occupé pour obtenir une dispense, histoire que je devienne parrain avant ma confirmation et c'était réglé.
Mais je n'avais aucune idée de comment on faisait des bébés, je pensais que ça passait par la crache quand les grands étaient à poil au lit...
Alors papa m'a montré un film en cassette vidéo sur "le miracle de la vie", je n'étais pas plus avancé pour savoir comment on faisait les bébés, mais pour le miracle de la vie tu parles ! Le miracle de la vie commence plutôt par la course de la mort, c'était clair sur la vidéo ! Je me suis bien mis dans l’ambiance, mais c'était un truc de dingue. La voix expliquait qu'il y avait des millions de ces petits têtards dans les starting block pour la course, mais la combine, c’est qu’un seul d'entre eux survivra ! Non non, pas les Hunger Games, genre de film bon enfant où ils mettent 24 participants sous un dôme pour la télé-réalité et ils doivent s'entre-tuer jusqu'à ce qu'il n'en reste qu'un seul, ça c’est light. Non, ici il s’agit d’un enjeu exceptionnel, il y a des millions de participants, et il n'y a pas de deuxième place sur le podium ! Radical.
Un sacré délire ! Alors au début ils sont expulsés à fond la caisse, ils passent par des tubes, ça a l’air un peu comme un toboggan d’aquapark, tu es dans le tube, tu ne sais pas où tu vas mais tu y vas ! Et vite ! A la fin, tu arrives en milieu hostile, du côté de la femme... Alors là commence la bataille, il y a des bains acides, moi j'en suivais un, il ne se posait pas de questions, il y allait en se donnant de la peine, mais il voit quand-même les copains à côté qui perdent la queue et qui partent en vrille, il s’en fout, il n’y tient aucun compte, lui il y croit il se bat, il fonce tout droit, s'il ne gagne pas la course, il enviera ses copains qui sont déjà morts, il n'y a qu'une seule chance de Salut. Et tout à coup il arrive en milieu totalement destroy, c'est pire que le Vietnam, il y a des glaires et tout un tas de saloperies, et là il tilte mon têtard, c’est terminé pour lui. Dommage, il donnait bonne impression, mais la course c'est la course, voyons où en est le reste du peloton, ... mais la troupe est de plus en plus sinistrée. J'ai l'impression qu'ils ne savent même plus où ils en sont, ils ont l'objectif en tête : un œuf !, mais cet œuf c'est la chasse au trésor dans un milieu où on ne mettrait même pas un esclave, et finalement, je me dis qu'ils n’en savent sûrement rien d'où ils vont, ils font comme tout le monde : ils suivent le premier en espérant qu’il ne se plante pas (sinon ils sont bons pour rebrousser chemin en milieu très hostile), et enfin, coup de bol, ils tombent sur cet œuf, immense, et à ce stade de la compétition, il y a déjà eu un sacré écrémage depuis le début de l’aventure, donc ceux qui sont arrivés jusque là ont gagné la partie, mais pas la vie. Ce sont des héros ! Mais malgré ça, eh bien on a l’impression que c’est maintenant l’œuf qui est entrain de les analyser. Imaginez l'angoisse, vous gagnez une course pareille et vous attendez de voir si l’œuf vous juge digne d’entrer. Et à la fin, l’œuf choisit celui qu'il juge le mieux parmi tous les vainqueurs, et c’est moi !
J’ai gagné une compétition invraisemblable (Hunger Games mais x des millions), et idem pour chaque personne que je rencontre. Je ne savais pas que des gens avortaient à cette époque, mais ça m'aurait horrifié, j’ai trop de respect pour le spermatozoïde qui a gagné un combat pareil. Ensuite, on voit direct que l’oeuf se segmente et que le spermatozoïde et l’oeuf se transforment en autre chose, et ensuite c’est moins intéressant. Oui, on voit l’embryon puis le fœtus se former etc, mais c’est une continuation, en réalité, on passe de la téléréalité la plus destroy à une sorte de documentaire qui montre comment grandi un humain avant la naissance, le fameux miracle de la vie…, mais avant le miracle, c’est hardcore !
Bref, papa me dit : T’as vu, tout la parcours qu’ils ont fait, c’est long comme ça (pouce-majeur écarté). Je me dis : De bleu, ils doivent être réellement tout petits parce que c’est une sacrée aventure !
Enfin quoi, imaginez des jeux olympiques avec 10 millions d’athlètes, une seule médaille toutes disciplines confondues, mais c’est une sacrée médaille, c’est la Gloire de se transformer en autre chose qu’un têtard ! Les autres participants qui ont gagnés leur discipline mais jugés moins bons par la reine n’ont même pas besoin de repartir en avion, ils sont fusillés sur place direct, ça économise sur le CO2 !
Et donc à partir de là tous les autres meurent et le gagnant-choisit se transforme en homme !, ... les têtards se transforment en grenouille mais les spermatozoïdes en homme, c'est mieux que grenouille, parce que 9 mois plus tard, des gens s'occupent de toi, ils sont gentils et attentionnés, mais pour le têtard ? Eh bien il y a de fortes chances que 9 mois plus tard, c'est une vieille bourgeoise qui s'occupe de lui manger ses cuisses de grenouilles, c'est moins bien que des parents, n'en déplaise aux antispécistes, parce qu'on a rarement vu un restaurant gastronomique servir des cuisses de Mademoiselles, non ?
Mais si à n’importe quel moment du film après fécondation, la caméra avait fait un plan extérieur sur la maman avec le médecin qui l’informe qu’elle est enceinte et qu’elle aurait dit : « Ah non, je n’en veux pas, enlevez-le moi ! »
J’aurai été scandalisé contre la bonne femme : Quoi ??? Mais elle n’a pas le droit ! Ils ont dit quoi ? Une bonne femme dispose de quoi ?, ils ont dit 300 ou 400 œuf pendant sa vie ? Nous les hommes on est plus sérieux, parce que l’homme connaît la guerre et il table sur l’effet de masse, on sait que le nombre, la masse, fera toujours la différence quelques soient les revers et les moyens techniques adverses, car à la fin, le nombre submerge et remporte la victoire.
La femme ne produit rien du tout ! C’est l’œuf initial, fécondé, qui se met à fabriquer d’autres œufs dans l’être féminin en formation, et à la naissance, elle a un capital à disposition, c’est tout, et à la fin du capital : Game Over, étiquette "plus de stock" ! Tandis que nous, on a une réelle usine d’armement, de fabrication de soldats quoi, et c’est toujours massif, on assure le coup ! Donc une femme fait ce qu’elle veut de ses 300 œufs, c’est son capital, elle peut partir à Vegas et tout dépenser d’un coup, c’est son problème, mais une fois qu’un soldat a prit la citadelle… : « non désolé ma p’tite dame, vous n’êtes plus concernée, ce n’est plus un de vos œufs, c’est déjà quelque chose d’autre, et ce n’est plus votre capital personnel car je vois que quelqu’un a investi à hauteur de 50 % du capital dans cette nouvelle créature, j’ai besoin de la signature des deux actionnaires pour l’enlever... »
Et alors quoi ? L’autre actionnaire, le gars qui a réussi son coup : Attaque difficile et compliquée mais massive et couronnée de succès, alors il va dire oui ? Est-ce que Jules César se retire lorsqu’au prix de nombreuses pertes, il gagne les Gaules ou la péninsule Ibérique ? Soyez réalistes, il ne faut pas déconner avec la guerre : on a gagné, et direct proposé un plan de sortie de crise, un plan de paix : même l’œuf a capitulé et accepte sa transformation, alors, est-ce que César déplace ses légions pour rien ? - NON !
Et en plus c’est pire que les grenouilles, parce qu’entre têtard et grenouille, ben le batracien a quand-même le temps de profiter du plein air et du marais avant de se faire bouffer les cuisses,... et on voudrait détruire le vainqueur humain avant même de lui laisser profiter un peu de la vie ? Vous êtes mal foutu ou quoi ? Si c’est le cas, alors je deviens antispéciste, je demande que le respect humain soient calqué sur les droits des têtards à avoir leurs chances !
Bon, donc les spermatozoïdes ne sont peut-être pas futés, mais ils savent exactement qu'ils ont une mission, une seule, et qu'il faut la réussir. Et les gens n'ont aucun respect ! ... Quand je vois ce que je vois, non, ce n'est pas beau à voir. C'est pour ça que je n'ai jamais utilisé de préservatif. Parce qu'avant le départ, eh bien pendant la demi-heure qui précède le top-départ, toutes les lumières sont entrain de clignoter sur le paddock, les gars commencent à se décarcasser la queue parce qu'ils savent que là c'est bon, ils partent en mission, LA seule mission de leur petite vie. Et au top, quand les feux passent au vert et que toute le monde s'élance en même temps... enfin non, ils sont si nombreux qu'il y a des départs différés sur la même course, mais à 3-4 intervalles très rapides, ils ont tous la même chance, c'est comme au 24 heures du Mans. Mais quand t'es lancé dans les toboggans, ben quoi à la fin ? Tu ne te prends pas un mur en béton, mais un mur en caoutchouc, alors oui tu ne meurs pas tout de suite c’est sympa et y’a pas de glaires, et si t'as du bol et que la capote est un peu transparente peut-être arrives-tu à voir une bribe du monde réel avant de finir à la poubelle ? Une chambre à coucher ? Chez les couples qui ont un peu plus d'imagination peut-être arriveras-tu à voir un salon ou une cuisine, et si le couple est aventureux et qu'ils font ça dans la forêt tu pourrais voir quelques sapins et la nature, mais à la fin, tu finis quand-même bouffé par un écureuil ou je ne sais pas quoi.
Donc préservatif pas cool pour eux, et pour ce qui est des pratiques sexuelles que j'ai appris longtemps à la suite du film..., je me suis quand-même dit : Les pauvres, ils peuvent bien assumer les marais acides, les glaires, les mucosités diverses et tout un tas de trucs s'il y a cet enjeu de l'oeuf, et puis s'il n'y a pas d'oeuf tant pis, ils y auront cru jusqu'au bout, mais de là à se retrouver dans la merde, ça doit puer, aucun oeuf à l'horizon, ça je suis sûr qu'ils le savent et ils sont perdus dans la pestilence sans objectif pour LA course de leur vie ?, les pauvres ! Mais bon, à l'époque je ne savais pas tout ça, je savais juste que j'étais un Warrior, j'avais gagné une course de la mort comme personne n'oserait se l'imaginer en science fiction. Et j'en suis conscient, contrairement à pas mal d'autres qui connaissent toutes les techniques d’accouplement mais qui n’ont aucun amour propre, ils ne conscientisent pas l’enjeu mortel qui se joue pendant qu’ils se font plaisir. Un peu d'amour propre que diable, on a tous été un jour l’un de ces petits athlètes !
Alors plus tard, …eh bien le sexe ça a l’air sympa, mais ça peut apporter des conséquences, c’est des gagnants qu’il faut assumer. Et ma femme a su me prendre par la main, et ça a été ma-gni-fique. J’avais idéalisé le sexe en un truc un peu mystique, presque spirituel, bien sûr que j’avais des tentations et me faisait des films, mais j’imaginais une espèce de communion en apothéose. Et ma femme l’a réalisé. Je crois que j’ai sus les 4 fois où l’un de mes spermatozoïdes a gagné. Pour l'aîné c’était une communion hors du commun, il s’est passé quelque chose de nettement mieux que d'habitude, je ne savais pas quoi, mais ça s'approchait de cet effet mystique que j'avais idéalisé, que peut-être peu de gens vivent ? J'en sais rien c’est comme un orgasme mais beaucoup mieux. Pour le second j’ai su et j’ai eu du soucis, pour la fille j’étais totalement confiant, et pour le dernier inquiet. Pourquoi j’étais inquiet ? Parce que j’ai su quand on a fait l’amour que là il s’est passé ce truc de plus, et… oui je suis un peu taré, mais je me disais : « J'ai perdu une quantité importante de soldats ce matin et je fais un gamin pendant la sieste ?! » Pour la grossesse je n’avais aucun doute, je savais qu’elle était tombée enceinte, mais il y avait moins de participants au départ que si la réserve avait été pleine. Donc j’étais inquiet, je me disais que le gagnant était peut-être moins bon que l’un que j’avais gaspillé le matin au saut du lit à cause d’un rêve ! Et quand je regarde autour de moi, il y a quand-même certains abrutis que je me demande comment ils ont fait pour gagner la course... ? Peu de participants au départ sans doute ?, bon, il y a quand-même les glaires et l'acide, faut y aller, mais s'il se retrouve seul en face de l'oeuf, et que l'oeuf n'a pas le choix... ? Eh bien je risque de me retrouver avec un costaud, assez instinctif pour gagner la course, mais pas très futé. Mais Dieu merci, mon petit dernier n’est tout de même pas trop mal foutu, mais certains, ... oui, je me demande comment ils ont fait ?
Les homosexuels, pas tous, mais certains, je ne sais pas comment ils ont fait pour gagner ? Il y a des homosexuels routiers ou dans les métiers du bâtiment, c'est des durs, mais là je parle de la petite précieuse, et je la vois d'ici au fond du toboggan : "Ho mon Dieu Roberto, mais tu as vu ce bazar, mais c'est dégueulaaaasse, ohlàlàlàlààà, moi je ne mets pas ma queue là-dedans chouchou !"
Roberto : "Écoute mon p'tit, c'est l'idée, c'est dégueu et c'est dangereux mais faut le faire, sinon on est foutu ! Ciao, moi je fonce !"
La fiotte : "Eh bien tu fais comme tu veux, moi je ne peux pas, non, ça, les glaires qui flottent là-bas en plus, non c'est trop demandé, le toboggan est sec, je retourne d'où je viens et je ne pars plus aux prochains top, je reste planqué au fond, au revoir mes mignons, bonne chance !"
Alors ???? Comment il peut gagner un truc comme ça l'efféminé ? Moi je me pose la question et je me demande si les scientifiques n’en ont pas fabriqué exprès en éprouvette durant ces 50 dernières années… (mais bon, je ne veux pas verser dans la théorie du complot).
Fin du voyage, et donc à 11 ans, si on m’avait parlé d’avortement, franchement, je n’aurai pas eu besoin de lire ni Platon ou Hippocrate (qui étaient contre avant les chrétiens donc), ni de la morale chrétienne, ni des enseignements des Docteurs de l’église sur la question. J’observe, je suis scotché, fasciné, et ensuite, la question de l’avortement devient incongrue.
Mon fils aîné m’a dit qu’il n’avait jamais entendu un argument pareil contre l’avortement : Le respect du King, du vainqueur !
Je n’aime pas les controverses sur l’avortement, je n’aime pas argumenter pour avoir raison, j’aime les choses simples et réelles. La meilleure défense de la vie que j’ai vu, c’était le discours de Mère Teresa lors de la réception du Nobel de la Paix. Elle ne cherche pas la polémique, ne cherche l’avis ni l’approbation de personne, elle vient, elle dit la vérité, et TOUT LE MONDE sait que c’est la vérité, même les défenseurs de l’avortement, des femmes pleurent dans la salle, Mère Teresa vient juste d’énoncer un truc tellement évident que personne n’a envie de se lancer dans une explication tortueuse. Quand la vérité est dite si simplement, on se tait et on attend de se relever du KO pour remettre du brouillard sur ce qui saute aux yeux de tous (désolé pour l’aparté pas théologique ni chrétien sur l’avortement, mais je trouvais que si on ne compte pour rien le spermatozoïde, Mère Teresa avait juste dit la seconde évidence, accessible à tous).
A la suite de cette lecture, une personne m'a fait remarquer qu'il n'y avait pas de guerre, mais qu'au contraire, les spermatozoïdes s'entraidaient pour faire céder le donjon, donc je rajoute cette note :
Je suis observateur et pourtant je n'avais pas noté ce phénomène d'alliance ou d'entraide entre spermatozoïdes. J'ai écris "La guerre totale", parce que je trouvais que oui, l'idée c'est une grande course, mais elle est si difficile que c'est plus un combat que juste une "course" d'athlétisme.
C’est dans ce sens-là qu’il fallait le comprendre. J’ai bien vu qu’ils ne se faisaient pas de mauvais coups, je me disais qu’ils n’étaient pas assez intelligents pour ça. Donc non, aucun doute chez moi, c’est la course, mais vous voyez, j’ai de la peine à écrire "course", je dois écrire que c’est un combat, et même le plus noble qui soit si on a la notion des nombres : On lutte contre les éléments pour faire quelque chose qui ne se produit qu’une fois sur des… milliards ? Parce que si on comptabilise le groupe qui a participé à la victoire, il y a quand-même plein de groupes qui sont perdus. Soit il n’y a pas d’œuf, soit ils finissent en colle dans un mouchoir..., voilà, typiquement, ça c'est le genre de truc qui me vient pour imager les pertes, mais quelqu'un de respectable écrirait : "Soit il n'y a pas d'oeuf, soit ils finissent ailleurs". C'est soft et gentil, mais c'est flou, tandis qu'avec l'exemple du mouchoir, eh bien le lecteur se rend compte que oui, depuis l'adolescence, il y a un paquet de compétiteurs qui ne compétitent pour rien du tout, ...enfin, restons positif et disons que ça participe à l'entrainement pour le jour J, tous les compétiteurs s'entrainent non ?, ça devrait passer comme image ?
Donc sur la production totale de ces êtres vivants, les groupes qui ont eu droit à un vainqueur sont très marginaux, mais là j’apprends qu’en plus, ils sont organisés en alliance et qu’ils poussent pour forcer l’œuf à céder ?
C’est mieux que ce que je l’imaginais, donc lorsque vous me dites, cit. : « Qui a dit que tout était mécanique et digne d'un combat de basse-cour dans la vie humaine ? »
Rien de cela chez moi, même si j’utilise une image guerrière, c’est noble, et Dieu im self APPROVED la méthode !
Mais le truc des alliances c'est encore mieux, là oui, c'est César qui emmène ses troupes en formation de combat/protection jusqu'au plus près du danger, et lorsqu'il les lâche en milieu hostile, ils savent ce qu'ils ont à faire, et oui, bien sûr que même dans le feu de l'action, il y a de l'organisation collective, et à ce stade, César a déjà évalué la victoire comme sûre.
Chronique d'écriture 2 : Voyage aux frontières de la civilisation... (10 pages word)
C’est une Chronique de carême enfin amusante, légère, puisque c’est juste un texte pour voyager un peu. Quand j’écris, les voyages sont biens, je sais taper très rapidement mais j’adapte la vitesse de frappe pour que TOUT entre dans dans une simple description. Ici par exemple, si j’écris que dans le bus, lorsque les paysans qui vivent au-delà de la civilisation arrivent dans une très grande ville marchande comme Victoria da Conquista, et qu’ils semblent rassurés parce que c’est une ville assez organisée pour disposer d’escadrons de la mort, ils savent qu’ils vont pouvoir commercer et vendre leurs produits en toute sécurité, il n’y a pas de problèmes ici ! (donc c’est étonnant, parce que plus loin, encore à des heures et des heures de bus plus à l’intérieur, il y a toujours des villes et de la civilisation, mais il y a que la police, et là c’est risqué). Voilà, c’est juste une observation d’un bus qui remonte le cours de la civilisation. J’entends des paysans discuter, avant même d’arriver en ville, lorsqu’ils la voient, ils en parlent déjà, et dans la conversation, il y a cette définition : « Escadrons de la mort », pour un européen ça sonne un peu raide, et là il semble que ça soit plutôt rassurant. C’est juste une chronique pour donner le ton et voir si vous aimez, avec un point de vue original, mais réel, et si je fais une digression irréelle : je le mentionne et rétabli la réalité, mais j’aurai réussi à vous faire croire un instant à quelque chose que non, là il ne faut pas déconner ! Et vous y aurez cru juste un moment (c’est pas croyable), ça semble si logique, et en réalité non, c’est pas barbare à ce point quand-même, alors je rétabli ;-) ...si je ne rétabli pas, c’est soit des faits, soit le fruit de l’observation ou de recherches plus tardives. J’ai bien fait de poster cette chronique plus rébarbative sur l’argent, car là on va aller très loin, et on va voir comment ceux qui en ont le préservent, mais c’est plus amusant qu’une chronique sur l’argent.
Alors pour commencer, je vais écrire cette parenthèse brésilienne comme je l’entends, pas chronologiquement, mais comme ça vient, là pour commencer, mon petit voyage Salvador de Bahia-Riacho Fundo, je vais parler de choses que je n’ai connues que des mois après mon premier voyage, comme le bonhomme à Itapoã, ou le Bâlois emprisonné à Brumado que j’ai connu 10 mois après mon arrivée. Je vais écrire la situation générale comme ça me vient.
Pour mettre une chose au clair tout de suite, qui n’est pas spécifique au Brésil mais à toute l’Amérique du sud : Ils ont des cultures mais pas de culture, tout au plus du folklore, voire des petits dieux accessoires (football).
Donc avec le mot « civilisation », je ne parle pas de grandes œuvres d’art ou de philharmoniques réputés, je parle de progrès sociétaux et technique (avoir un hôpital, des magasins, une police, des routes ou des écoles), bref, de choses comme ça. Et le Brésil est si grand que ni la civilisation, ni le folklore (école ou cours de samba, et même carnaval p.ex.), ni même les dieux du foot n’atteignent certaines frontières qui n’existent pas sur la carte mais qui sont visibles à l’œil, c’est la nature qui leur a fixé les limites.
Du coup j’arrive à Salvador de Bahia le 9 septembre 92, c’est une ville sur deux niveaux, la ville haute plus ancienne, et la ville basse plus business, ça reste quand-même relativement crade, et entre les deux il y a un funiculaire ou un immense ascenseur de 150 mètres de haut. Rien à dire sur la ville, ça a été construit de toutes pièces depuis les portugais. Il y a des consulats, des hôpitaux, des banques, donc c’est civilisé, même si dangereux. Si vous zonez dans la ville haute, il y a clairement des quartiers où il ne faut pas aller si on a l’air de touristes, mais de toutes façons ça ne donne pas envie d’aller, c’est vieux, détruit, ça pue la pisse et si on prend une ruelle où il traîne des seringues par terre avec des types louches qui vous regardent, c’est que vous vous être gourés de ruelle, faut pas continuer... Donc il n’y a rien de particulier à visiter, des building, des vieux quartiers qui datent d’églises portugaises où il pousse de l’herbe dessus tellement c’est vieux et humide. Mais contrairement à Rio, Salvador a une chouette plage à l’écart, c’est Itapoa. A Rio, Copacabana est une plage de ville pour prendre la photo avec la ville et le pain de sucre en arrière plan, superbe panorama mais peu propice à la baignade (à cause des vagues et des courants), tandis qu’a Salvador, c’est un chouette endroit à l’écart. En fait, si vous avez réussi votre vie à Salvador mais que vous voulez sortir de cet enfer pour vivre au paradis tout en continuant votre business en ville, eh bien c’est simple, vous achètez une maison à Itapoã : 12-13km du centre, cocotiers, plage nickelle, océan à température et pas dangereux, bref, vous finissez chacune de vos journées les doigts de pieds en éventail sous une paillote en sirotant une caïpirinha en bord de mer avec une vue époustouflante sur la ville dans le lointain, très impressionnant certains soirs car ciel rougeâtre avec une découpe de la ville au premier plan. Mais ça, tous les touristes peuvent le vivre le soir après une visite de Salvador, il y a même un bus qui va à Itapoã, c’est un chouette endroit, très sécure.
J’ai personnellement eu la chance d’avoir pu vivre 3 jours à Itapoã chez le frère d’une fidèle du père Jacques. Donc le type m’a fait visiter la maison : marbre noir parterre au rez, canapés cuir blanc, très stylé, et à l’étage il a fait le contraire, marbre blanc par terre et mobilier noir. Le gars devait avoir la mi-trentaine, sûrement très intelligent puisqu’il était assez riche pour habiter à Itapoã, mais sûrement pas un mafieux si sa sœur est une fidèle du père Jacques et qu’elle m’a donné son adresse, juste un type normal qui a réussi. A l’étage, il me fait même visiter la chambre conjugale, il était très fier de sa réussite, et là, sur la table de nuit noire, il y avait un magnifique revolver, je pensais que c’était un truc décoratif, mais non non, les 6 coups engagés. Il avait planqué des pistolets dans la maison, et je lui ai demandé pourquoi un arsenal pareil ? Eh bien c’est simple, s’il y a des voleurs, il leur tire dessus. C’était pas plus compliqué que ça. J’ai poussé l’exercice pour voir jusqu’où il était sérieux, il avait un gamin et sa bicyclette traînait devant la maison, alors je lui demande si quelqu’un vient faucher la bicyclette ? Ben ça reste simple, il lui tire dessus. Je lui ai rétorqué : « Sans déconner, t’as un mur d’enceinte de deux mètres cinquante avec du verre cassé dessus, tu vois un gamin qui a réussi à sauter le mur et qui s’apprête à le grimper dans l’autre sens avec le vélo sur le dos, tu lui tires dessus ? », réponse : « ben ouais ! ». Il ne comprenait pas trop mon délire avec des hypothèses, pour lui tout était très clair : Quelqu’un viole la loi chez moi ? - Je lui tire dessus !
Mais en discutant, ça semblait assez général à tout le quartier d’Itapoã. Ceux qui ont pu payer pour s’installer là ne veulent ni de vols, ni de mauvaises statistiques de la délinquance, parce que si le quartier devient insécure, les prix de l’immobilier baisseront. Du coup pour garder un certain standing, tout le monde est armé et près à dézinguer le premier voleur venu. Parce que s’il ne le fait pas, le voyou va vraiment lui voler son vélo, et après quoi ? Il va aller porter plainte et ça va être mauvais dans les statistiques de la délinquance du quartier, et les voisins ne vont pas être contents. Pour finir, mieux vaut abattre les voleurs, ça évite qu’il fauche le vélo, et ça rentre pas dans les statistiques (légitime défense très étendue) et pas de nuisances, car il vaut mieux apprendre qu’un voleur a été abattu durant son forfait à Itapoã qu’apprendre qu’on vole des trucs à Itapoã (tout le monde préférera un voleur mort qu’un propriétaire volé). Voilà comment ils réfléchissent assez globalement en Amérique du sud, ils restent simples. Donc une fois à Salvador, pour aller chez ce curé dont j’avais l’adresse, sur le plan du Brésil, ça n’avait pas l’air d’être une grosse affaire, mais je n’avais pas compris qu’il allait m’emmener en dehors de la civilisation...
Je prend le bus, et durant 17 heures, ce bus va jusqu’aux limites, il ne peut physiquement pas aller plus loin faute de route. C’est totalement différent de l’Inde, en Inde il y a de la culture, des cultures, et de la civilisation partout, le plus gros réseau de rails du monde, des rizières jusqu’à 2000 mètres d’altitudes dans l’Himalaya, il y a tellement de monde qu’ils agressent notre espace vital (disons 30 centimètre de périmètre), là c’est totalement l’inverse, plus ton avance, plus on a l’impression qu’on va arriver au bout du monde, ça devient dépeuplé… On traverse des champs, des fermes, et tout à coup, une longue pause à Vitoria Da Conquista, la dernière grande ville du Nord-Est, 8 heures de bus à l’intérieur des terres depuis Salvador. Vitoria da Conquista c’est un demi million d’habitant, et tous les bahianais de l’intérieur connaissent, parce qu’il y a tout à Vitoria da Conquista. Si les ruraux du nord-est veulent acheter quelque chose de particulier, ils n’ont pas besoin d’aller jusqu’à Salvador, ils trouveront tout à Vitoria da Conquista. Il y a de la civilisation aussi parce qu’il y a des escadrons de la mort. Dis comme ça ça sonne un peu raide, mais lorsque les paysans parlent de ça dans le bus, ça a un côté rassurant. Parce que même si le mot fait un peu peur, je crois que c’est fait exprès. En réalité, c’est des agents de sécurité bien équipés qui font à peu près la même chose que la police, mais au service de patrons privés capables de payer des services de garde plus efficaces que la police. Ce ne sont pas des brutes sanguinaires qui sortent de la jungle pour tuer tout le monde ou des escadrons terroristes d’Escobar, ce n’est pas non plus des Sécuritas, parce qu’ils sont aussi formé à l’utilisation des armes. Aucun soucis pour se balader à Vitoria da Conquista, mais disons que si on veux voler une pomme au supermarché, mieux vaut la voler dans un supermarché qui se fie à la police pour sa sécurité. Parce que si c’est une entreprise de sécurité privée qui gère l’espace, c’est inutile de leur raconter que t’as faim, que t’as eu une enfance malheureuse ou que ta femme t’as quitté, non, là t’as plutôt intérêt à savoir courir vite en zigzag. Finalement c’est un peu le même principe qu’à Itapoã, mieux vaut faire place nette chez soi plutôt que se fier à la police.
Du coup, Vitoria da Conquista, c’est le dernier jalon de la civilisation grâce aux escadrons de la mort, une ville assez grande pour en être dotée, le terme vient sans doute de plus grand patrons qui ont de vraies escouades pour sécuriser leurs territoires. Mais plus loin que Vitoria da Conquista, s’il faut régler des problèmes, j’ai l’impression que c’est plus artisanal, les grands propriétaires pourraient régler des problèmes à l’ancienne en envoyant des types louches, beaucoup moins organisés et professionnels qu’à Victoria da Conquista. Donc plus loin, c’est vraiment assez perdu, mais on passe quand-même par Brumado après 6 heures de bus, c’est une ville aux proportions intéressantes, mais on est tout de même au-delà des supermarchés, et c’est le dernier endroit à disposer de l’irrigation par jets. Ils ont réussi à faire que l’eau du barrage plus haut alimente un dispositif d’aspersion, ce qui garanti 2 récoltes par année au lieu d’une seule plus loin, durant la saison des pluies, et encore, c’est si Dieu le veut… car certaines années il ne pleut pas assez... On a d’ailleurs vu un Suisse en prison à Brumado, un vieux Bâlois avec sa femme. Étonnant, le gars était venu là, au quasi fond du monde, et il s’était construit une prison autour de lui. Deux rangées de murailles ! Donc on arrive à l’entrée, et déjà à l’époque il y avait un petit écran et un gars nous demande qui ont est. C’était ok, on était prévu sur le programme, je suis le Suisse qui bosse chez le père Jacques avec son père et son frère, suisses aussi, recommandé par machin, prévu au programme, ils ouvrent. Il y avait un notable de Brumado qui s’était joint à nous par curiosité, mais ils ne l’ont pas laissé entrer. Bref, on rentre et on est coincé entre deux murailles, ce n’est que lorsque la porte en fer du mur extérieur se clique, que celle du mur intérieur s’ouvre. Là on est bien accueilli par le vieux bâlois, un gars sympa, il avait toute une collection de Ferrari et Lamborgini, et il s’était fait asphalter un circuit entier (un seul mur d’enceinte pour le circuit mais des miradors quand-même). Belle maison, il nous demande si on veut faire un tour de circuit sur une machine, et pendant que je me disais que j’allais défoncer le record du tour du vieux, papa lui répond que non non, sans façons, pas de circuit ni de Ferrari on bois un thé et salut ! … et tant pis. Moi je regardais les bagnoles.
En y repensant, oui, je pense que si ce type doit sortir de chez lui, il y a au moins 6 gardes qui l’entourent, et sans doute même des convois s’ils sont en véhicule, donc un type inatteignable, d’où l’intérêt du notable de la ville à vouloir visiter cette maison. Pour finir je me dis que oui, peut-être que le dernier type assez organisé dans le coin pour se payer un escadron de la mort correct, ce serait bien un type comme lui. Ça avait l’air d’être son kif, le plus loin possible, dans un endroit où il existe encore un système médical (donc civilisation quand-même), t’arrive, t’achètes le gouverneur pour être totalement tranquille, et un immense terrain qui ne vaut rien, tu te construis un circuit de course (d’ailleurs, il était nettement mieux organisé que l’état si on compare l’état de son circuit aux routes de l’état), et voilà. Bref, un Suisse allemand organisé comme un Suisse allemand quoi ! Je ne sais pas s’il a fait fortune en Suisse et qu’il a décidé que tout le monde le faisait chier pour venir fabriquer son paradis ici tout seul, ou si c’est lui qui a fait ce système d’irrigation avec le barrage et qui a créer des emplois agricoles ?, je ne pense pas, mais si c’est lui oui, sa petite milice pourrait servir d’escadron de la mort pour faire respecter ses champs, sinon c’est juste des gardes d’une piste de course, d’une maison, et de gardes personnels à l’occasion.
Bref, on quitte Brumado, et là on est déjà très loin de Salvador, il n’y a plus d’irrigation, et quand j’arrive la première fois mi-septembre, ça fait déjà 5 mois qu’il n’a plus plut, les derniers champs sous aspersion sont derrières, donc paysages arides, cactus, arbres mal en point, pierrailles, sierras avec quelques touffes éparses, et parfois ça devient plus rural, comme des oasis plus vertes de-ci de-là, là où il passe un cours d’eau. Après 2-3 heures de route, on arrive à Faramiri. Alors pour les gens chez qui j’ai été, Faramiri c’est LA grande ville, et s’il faut y aller c’est que l’affaire est grave. C’est le dernier endroit où il y a une sorte de dispensaire, et puis à Faramiri il y a un dentiste ! C’est bien d’avoir un dentiste, c’est des gens qui peuvent être utiles de temps en temps. Au niveau civilisationnel, Faramiri c’est la fin de la route goudronnée, et même si le bus peut encore avancer, c’est le le terminus réel de la police, de la justice, et des prisonniers. Le dernier poste de police avec une ou deux cellules de détention est certainement là, car plus loin il n’y a plus de policiers, et donc plus d’avocats, ni juges, ni rien de ce genre. Pour simplifier, voilà, c’est l’endroit où il y a encore un dentiste, ...pour ce qui est des centres commerciaux, ça fait longtemps qu’ils n’existent plus sur le parcours.
On passe Faramiri et là le voyage devient moins confortable à cause de la route. Mais c’est vite passé, après 2-3 heures on est déjà à Rio da Caïxa. C’est LA ville (pour les 33 communautés qui gravitent autour dans les sierras), c’est le chef lieu, il y a une église, une pharmacie, des bars, et au niveau civilisationnel, ça semble être la limite des évangélistes aussi. Ils essayent de convertir encore là mais pas plus loin, histoire de garder au moins l’électricité et l’eau courante, un minimum de commodités pour une évangélisation au top. Là je parle des évangélistes américains, parce que plus loin que ça, il n’existe plus que l’église catholique, ...enfin, il n’y a plus vraiment d’églises au sens matériel du terme, mais tout le monde est catholique et n’a entendu parler que de ce Dieu et de la macumba, c’est tout.
Mais Rio da Caixa est important, car en tant que chef-lieu, il perçoit les impôts de Brasilia et devrait théoriquement les utiliser pour la population, genre faire des routes ou des écoles, des choses simples. Bon, il ne le font pas vraiment, il me semble que le plus gros soucis du maire est de faire en sorte que la route Rio da Caixa – Nossa Senora do Ouro reste praticable par le bus. Pour le reste, l’équipe paroissiale du curé peut s’occuper un peu d’éducation et de ce genre de choses. Le curé c’est un saint homme, il est là à Rio da Caixa et il doit desservir 33 communautés de base sur un territoire grand comme la moitié du Valais. Pour aller là où il n’y a pas de routes, ou alors des routes uniquement praticables par des monstres style Nissan Patrol, il s’est mis au moto-cross. C’était culotté, car moi qui suis motard depuis 10 ans, je me dis qu’il fallait oser s’aventurer sur certaines routes, je ne le ferai pas moi-même. Bref, Rio da Caixa c’est la capitale, ils n’ont peut-être pas de dentistes, mais ils ont l’électricité, l’eau courante, et même une sorte de banque, … un guichet, … sans ordinateur, inutile de te pointer là avec des dollars, ils ne sauront même pas ce que c’est.
Donc là au niveau civilisationnel on est très reculé quand-même, la carte visa que j’avais pu utiliser n’importe où en Inde (dans n’importe quelle boutique sérieuse)…, ben non, là on est au-delà des capacité des cartes Visa, Américan Exprès et Cornercard, ...d’ailleurs, il n’y a même plus de boutiques comme en Inde, il n’y a carrément plus de boutiques du tout. Des échoppes, une place pour le marché, un saint curé, un maire corrompu, et tout va bien parce qu’il y a la place de l’église entourée de bars, et comme il y a de l’électricité, il y a de la musique, c’est sympa. Pour situer très précisément le taux de civilisation de cet endroit, c’est qu’après une mutinerie dans la prison de Sao Paolo, des centaines de prisonniers ont pris le large, tous ont été retrouvés sauf celui qui s’était réfugié chez le père Jacques, donc Rio da Caixa est au-delà des capacités d’un état à agir. Ce n’est pas aussi simple qu’au nord de l’état de Mato Grosso où tout le monde se balade avec un flingue à la ceinture, mais c’est quand-même très Far-West. Ici, le maire fait un peu office de juge de paix, il a des gens, alors il peut régler des problèmes de façon civilisée sans que les administrés n’aient besoin de se tirer dessus, disons que c’est un reliquat de l’état de droit avec une sorte de shérif tout puissant que les habitants de la région élisent tous les 4 ans, et il a peu de chance de perdre puisqu'il a la capacité d'acheter les voix que les gens sont d'accord de lui vendre...
Bon, on continue parce que les 20 kilomètres suivant Rio da Caixa, très cahoteux, vont nous mener précisément aux maximum des capacités du bus, qui va arriver là à son terminus. Là il y a une sorte de bourgade avec une place de marché locale, Nossa Senora do Ouro, c’est LA limite de la civilisation. Plus loin que ça, si vous voulez du courant électrique, il vous faudra des pilles. A NS do Ouro, on se situe aussi à la limite de l’argent fiduciaire. Dans les bars, les tenanciers peuvent avoir des listes de créances, mais si vous voulez prendre le bus jusqu’à Rio da Caixa, il vous faudra 50 centimes, et ça c’est étonnant pour des gens qui vivent quasiment sans argent. Je m’en souviens bien, car une fois j’avais dû faire le trajet à pied faute de 50 centimes. Quand les populations des sierras avoisinantes viennent au marché du vendredi à NS do Ouro, la règle reste quand-même le troc dans une grande mesure pour les petits produits, mais si vous voulez acheter une mule, faudra bien sûr sortir les cruseiros.
Moi j’habitais 12 kilomètres plus loin que là, il y avait une sorte de route pour y aller. C’était périlleux, il fallait un bon 4x4, mais en dehors de la saison des pluies, et même pendant si on acceptais de pousser quand c’était embourbé, c’était quand-même faisable. Mon bled s’appelle Riacho Fundo (rio = fleuve / riacho = rivière, et fundo, c’est au fond), mais ce n’était pas un bled, c’était plutôt des maisons de-ci de-là. L’endroit central était tout de même la maison de Zéca (le chef de la communauté), là où je logeais, car en face il y avait la maison de la fille de Zéca, et à côté, les paysans avaient construit les fondations d’une chapelle. Même pas 100 mètres plus haut, il y avait le bar de Zédchique, surnommé à l'époque Zé de la Rural. Zé c’est le diminutif de Zéca, et Zéca est le surnom de Joseph, mais comme il y a beaucoup de Joseph, donc beaucoup de Zé, lui c’est Zé de la Rural parce que c’est le seul type qui a une voiture, un gros machin tout déglingué, mais 4x4, et surnommée « La Rural » en raison de son état rustique. Zé de la Rural avait construit une sorte de petit bar avec un baby foot, mais ce n’était pas un bar ouvert comme dans une bourgade : pour l’ouvrir, il fallait aller chez Zé un peu plus loin, et si on voulait une bouteille de cachaça, il venait nous la « vendre » (pas avec de l’argent, mais le jour du marché tu te démerdes pour avoir le pognon). Il ouvrait aussi son bar si des jeunes ou des copains voulaient boire et jouer au baby foot, mais il n’avait ni électricité (donc pas de glaçons, ni musique, ni éclairage), ni eau courante. Enfin bref, il avait construit là son petit bar, et donc avec le bar + les deux maisons de Zéca et sa fille en face + la future chapelle qui allait sortir de terre, ben c’était le centre de Riacho Fundo...
Riacho Fundo c’est un grand replat entre des sierras, il y a des champs, du bétail et environ 300 âmes dispersées dans des maisons, entre les arbres et les cactus, sur le replat. Tout ça est alimenté en eau par le riacho qui prend sa source très haut dans les sierras, à la cachuèra, il faut bien trois heures de mule pour arriver à la cachuèra, mais c’est magnifique, c’est une chute d’eau depuis un rocher dans une sorte d’étang, et de l’autre côté de l’étang il y a une grotte, ou une caverne, il n’y a pas de stalactites. On peut encore grimper au-dessus du rocher, sur la cachuèra, mais c’est périlleux.
Donc le tableau civilisationnel est très réduit : vu de Riacho Fundo, il y a la Rural de Zé qui est si importante qu’elle mérite une cabane pour elle seule, et il y a des trucs plus lointain qu’on sait : Sao Paolo existe, des jeunes y ont été, c’est très très loin, Rome existe, c’est là où il y a le pape, c’est aussi lointain mais c’est Europe (un mot qu’ils savent sans pouvoir situer), donc Europe c’est pas un truc géographique, c’est plutôt le côté historique qui ressort. En effet, ils savent qu’ils viennent de là-bas et que c’est eux les kings. Quand aux noirs..., historiquement, les gens de Riacho Fundo ne connaissent pas l’esclavage, donc les noirs c’est une anomalie, c’est des gens qu’on a été chercher dans leur pays noir il y a longtemps pour travailler aux champs, mais comme c’est des fainéants, ben c’est toujours les blancs qui bossent. Les brésiliens ne peuvent pas se permettre d’être racistes, il y a beaucoup trop de mélange, mais disons que pour tout le monde, plus t’es blanc mieux c’est, il y a même des noirs qui m’ont demandé d’arbitrer pour dire lequel est le plus noir, je tranchais, et le plus clair s’en retournait fièrement : « Je t’avais dis que t’étais bien plus nègre que moi ! », enfin, ils ne sont pas racistes, mais avec une mentalité pareille, c’est pas demain qu’ils éliront Obama.
Sinon, eh bien si tu es un habitué des consultations médicales, c’est vraiment pas l’endroit où il faut aller. Parce que le type qui veut voir un médecin, c’est qu’il est riche ou à l’article de la mort (et encore, à l’article de la mort, ben en général ils attendent l’article suivant). Mais bon, si vraiment t’es un délicat, tu demandes à Zé s’il peut te prendre avec la Rural jusqu’à Rio da Caixa, c’est une sorte de pick-up, eh oui, on pourrait mettre une paillasse derrière et un malade dessus, mais ça va coûter cher. Parce que Zé n’allume jamais la Rural en dehors du vendredi et encore moins pour rien. La seule fois où j’ai vu le moteur tourner inutilement, c’était à côté du bar, Zé semblait essayer un système pour produire de l’électricité avec son moteur au lieu d’acheter un générateur. Mais d’après les jurons entendu, j’ai l’impression que son affaire n’a pas été très concluante, en tout cas, son bar n’a jamais eu d’électricité, ni de générateur… Donc Zé n’utilisait la Rural que le vendredi pour aller au marché à NS do Ouro, mais c’était chargé, du genre 2-3 personnes à l’avant avec lui, et une dizaine bien serrés sur le pont, assis sur les rambardes ou debout derrière la cabine. Ensuite les 13 participants se partageaient les frais, ce qui permettait à Zé de payer son essence et un petit surplus. Zé était un mécréant, mais il possédait un véhicule avec un moteur à explosion, alors ça faisait de lui un personnage important, et ça lui donnait du succès les jours de marché auprès des filles, … de toutes façons, sa femme restait à Riacho Fundo et il fallait bien que Zé tire profit de son prestige au moins le jour du marché. Il ne savait pas écrire, mais il savait compter, il avait tout dans la tête, alors le jour du marché, il récupérait ses mises auprès des débiteurs, et si Zé te dit que tu lui dois 2000 cruseiros, tu lui dois vraiment 2000 cruzeiros,... pas un mot de blague, si t’as oublié lui il n’a pas oublié, et il vaut mieux le croire et lui rendre.
Bref, on était parti dans l’hypothèse où un type de Riacho Fundo voudrait voir un toubib ? Ok, il n’y a pas de problème, si tu payes ce qu’il faut, Zé met en branle la Rural de nuit comme de jour, et vous partez sur le moment à Rio da Caixa (35km de pistes, c’est pas Sion-Martigny), mais bon vous payez et une fois à la ville, faut que le toubib soit inspiré, mais même s’il ne l’est pas, il sait que tu viens de loin et il va quand-même faire quelque chose. Si tu lui racontes ton problème et qu’il ne trouve pas la solution tout de suite, il ne va pas te donner un nouveau rendez-vous pour t’envoyer à Brumado faire des analyses de sang (je ne mentionne même pas Faramiri parce que je pense qu’ils sont incapables de faire des analyses sanguines), donc zou, jusqu’à Brumado, et tu demanderas au Bâlois s’il peut te payer tes analyses ?! Non, sans déconner, les rares toubibs à Rio da Caixa ne vont pas faire des choses pareilles à un paysan qui vient depuis Riacho Fundo sur le pont de la Rural de Zé. Ils doivent trouver la solution et il n’y aura pas de seconde chance, parce que t’es pas Crésus et Zé n’a pas les moyens de t’offrir des allez-retour. Le toubib le sait, il y a une pharmacie en ville et t’auras droit à des médicaments, garanti ! A ce moment, eh bien soit le médecin aura trouvé juste du premier coup et c’est bon pour toi, soit le médecin tape à côté, ce ne sera peut-être pas les bons médicaments, mais les gars qui arrivent de là-bas sont tellement hors jeu, qu’un type avec un stéthoscope autour du coup, une blouse blanche et des lunettes, très sûr de lui (c’est important), qui en plus t’écris un papier pour le pharmacien (il donne des ordres…), t’es assez impressionné pour être sûr que le gars a trouvé la solution, et un médecin, c’est quelque chose d’exceptionnel dans une vie, donc un gars tellement important que si ça se trouve, t’en as jamais vu auparavant (un peu comme le pape), on sait qu’il existe, on connaît à la rigueur l’homme qui a vu l’ours (le pape ou le médecin), t’as dû déranger Zé et sa Rural pour voir un personnage pareil, alors si ce personnage commence à tergiverser c’est pas bon, tu risques de douter de lui. Mais le médecin a suffisamment de tact pour ne pas se mettre à tergiverser devant les paysans des sierras. Il montrera une mine sûre de lui et tu seras rassuré parce que tu sait que lui il sait ce qu’il fait, il est au point sur la question, donc tu prends ce qu’il te dit de prendre, et ça va mieux ! Si ça va pas mieux ? Eh bien tu refais la route avec Zé de la Rural, et le docteur trouvera une nouvelle maladie. Non, il ne s’était pas trompé, c’est toi qui a développé un nouveau truc, et t’as bien fait de venir le voir parce qu’il va te tirer d’affaire pour de bon. Donc en fin de compte il n’y a jamais de problèmes. … …, vous m’avez cru ? Non, c’était juste une tournure de style romancée d’un médecin de Rio da Caixa, parce que je ne connais pas de médecins de là, mais quand un type vient consulter depuis Riacho Fundo, le médecin n’a qu’une seule question à se poser : « Je tente le coup, je répare / ou bien non, il est vraiment trop amoché, je l’envoie à l’hôpital de Brumado ». A ce stade, on ne parle même plus du dispensaire de Faramiri, on l’envoie direct à l’hôpital de Brumado (là où habite le bâlois). Et c’est ici que se trouve le plancher absolu d’un état : Te garantir une identité, te garantir que tu existes ! Si une région n’est plus capable de faire cela, ce n’est plus un état. Et donc tout le monde a sa carte d’identité dans une petite boite, c’est un document fédéral précieux ! Zéca m’a montré la sienne, tout le monde garde bien en sécurité sa carte d’identité, parce que ce papier t’ouvre les portes de l’hôpital de Brumado gratis. Là entre en jeu le rôle de l’état et de son filet social d’un point de vue médical, à une douzaine d’heures de route de Riacho Fundo. Et si tu n’es pas malade, cette carte d’identité te fait aussi gagner de l’argent, car dès l’âge de 60 ans, une retraite fédérale est virée on ne sait pas comment, mais chaque mois, le compte des dépôts de Rio da Caixa est crédité d’un nouveau chèque au nom de Zéca Macamba. De l’argent fédéral qui tombe du ciel, ça c’était quelque chose de révolutionnaire chez les vieux de Riacho Fundo (d’autres comptaient les années qui leur restait avant l’argent magique). Donc en fin de compte, la base absolue de l’état, ce n’est ni la sécurité, ni les écoles ou les routes, ni les stations d’épuration ou même l’électricité, non, la base absolue c’est de te donner une identité qui te donne le droit de ne pas mourir comme un chien si t’as un pépin, et de toucher une retraite fédérale quand tu auras 60 ans.
Ceci dit, dans la campagne, si on voit Zé revenir avec la Rural sans le malade, tout le monde sait que c’est grave, parce qu’on ne va pas à Brumado pour rien, mais comme infos, c’est tout ce qu’on sait, aucune nouvelles, pas de téléphone, au mieux on peut croiser quelqu’un le jour de marché qui lâche une info, mais c’est tout, on ne sait pas si et quand le malade/blessé reviendra. Toutefois, la population sait qu’il y a cette issue dans les pires des cas, mais ça reste lointain et flou, la retraite fédéral c’est plus concret.
Enfin bref, voilà l’expédition à entreprendre depuis Riacho Fundo pour voir un médecin. Le dentiste c’est plus compliqué, il n’y en a pas à Rio da Caixa, alors soit tu t’arraches les dents qui te font mal tout seul à la tenaille, soit t’es douillet et pour avoir droit à ton dentiste, faudra aller à Faramiri. Mais là, même Zé de la Rural n’y pourra rien, c’est trop loin. Pour Faramiri, le mieux c’est de couper à travers les sierras en mule, il n’y a pas de route, mais c’est beaucoup plus direct que par la route (je dis à chaque fois mules, parce que dans ces sierras, les chevaux ne tiennent pas le cou). Il faudra quand-même compter une douzaine d’heures de mule, plus les pauses, et t’auras ton dentiste qui t’arracheras sans doute aussi la dent, mais avec l’anesthésie ! C’est sans doute même plus économique d’aller chez le dentiste à Faramiri en mule que chez le docteur avec Zé, mais bon, 3 jours allez-retour pour une anesthésie, c’est vraiment que t’es douillet, que t’as de l’argent et du temps à perdre. En réalité, le système médical est nettement en-deça de que peut espérer un misérable à Calcutta, car là-bas, il y a des associations ou même le Dr Pregger qui avait une trentaine de médecins de rue gratis. Alors oui, il y avait de l’attente, mais les misérables n’avaient de toutes façons rien de mieux à faire, alors au bout de l’attente, le toubib lâchait quand-même quelques pilules, et tout ça sans rien payer. Dans ce coin de Brésil non, ils faisaient des compresses avec des plantes, ils avaient des anti-venin naturels contre les serpents, scorpion et tarentules, ils avaient des astuces pour le mal de dent, comme fumer. Si le gamin a une carie et qu’il a mal, ben tiens du « cordeaõ » et fume ! La fumée fait passer un peu le mal de dent, mais à la fin, quand la fumée ne fait plus effet et que la carie a assez progressé, le gars est en général assez motivé pour arracher la dent...
Ainsi, Riacho Fundo était au-delà de la civilisation concrète, des évangélistes, et même des évadés de prison de Sao Paolo, qui eux s’arrêtent à Rio da Caixa. Il y a encore un village plus isolé que Riacho Fundo, d’ailleurs les habitants de Riacho Fundo sont beaucoup plus effrayés par ce village que par la maladie ou la mort, parce que là on a affaire à quelque chose de sérieux. Mais pour arriver jusqu’à ce village, il faut rajouter 6 heures de mule. J’y ai été avec le père Jacques (en moto cross et moi en mule), il y a une sorte de route, pas une route pour la Rural, mais avec un excellent 4x4 sans avoir froid aux yeux, tu pourrais passer. J’étais déjà admiratif de voir Jacques attaquer des pentes pareilles en moto, parce que si la moto se retourne, elle te retombe dessus, tandis qu’un gros 4x4, même s’il tourne, t’es dedans. Moi je laissais la mule à son rythme, assurant son pas, et tout au bout, il y a le fameux village. Et attention, Zéca ne m’a pas laissé partir sans argent, car dans ce village l’argent à cours et si quelqu’un te demande de lui payer un verre, tu lui payes un verre, m’a supplié Zéca... Je ne me souviens plus du nom du village, mais c’était un vrai village, pas comme Riacho Fundo qui est plutôt un hameau dispersé, là non, c’était une bourgade, comme à Ibiajara mais sans électricité, et ils avaient même une église (plutôt une grande chapelle), et ce village est le nombril de la macumba da Bahia. Ce qui est amusant, c’est que tout ce bordel pour trouver un toubib ou un dentiste depuis Riacho Fundo, eh bien certaines personnes civilisées et éduquées faisaient la même chose mais de beaucoup plus loin pour venir dans cette bourgade perdue. Et s’ils se donnaient une peine pareille, c’est qu’ils voulaient lancer un sort qui soit efficace. Bref, donc on y va avec Jacques, mais Zéca est très soucieux (le chef de Riacho Fundo, pas Zé de la Rural), il m’explique plein de trucs abominables et m’ordonne d’être aimable avec tout le monde, parce que si à Riacho Fundo, ils peuvent déployer certaines contre-mesures (des prières spéciales contre le mauvais oeil), ils n’ont pas la puissance d’un prêtre pour faire face à certains sorciers de là-haut. Et ça, c’est une affaire autrement plus inquiétante qu’un toubib ou un dentiste, il y va du Salut de notre âme, tout simplement.
Alors on se pointe au village de macumbeiros avec Jacques. Non, Jacques avait prit de l’avance avec sa moto alors je me pointe sur ma mule. Un jeune homme m’appelle et me fait entrer dans une maison. Jacques confessais dans une chambre pendant que la femme de la maison préparait le repas. Tout va bien, on mange là le soir et Jacques continue quelques confessions... Mais ce premier soir, je n’ai pas vu de macumbeiro, en tout cas, pas les responsables des rituels. J’ai demandé à Jacques, et il semblerai que dans ce village, tout le monde soit mouillé de près ou de loin avec la macumba, même ceux qui sont avec nous dans la maison, mais ils sont mouillé par peur, pas par adhésion. Pour les grands pontes, sorciers et sorcières responsable des rituels, pères des saints, Jacques m’a tranquillisé : ils ne se déplacent pas comme ça pour voir un curé à la nuit tombée, mais « tu verras, demain matin à la messe, ils seront tous au premier rang ».
Et en effet, le lendemain, la grande chapelle est comble sauf les deux premiers rangs qui sont libres. Alors arrive une espèce de cortège, des dames avec des grands rubans sur la tête, bien mises, des types qui payaient moins de mine, mais qui connaissaient leur place à « l’église » : droit devant le curé ! C’était assez hallucinant, je me retrouvais droit devant ces gens qui font trembler tout Riacho Fundo et qui sont connus à des centaines de kilomètres à la ronde. A première vue ils m’avaient l’air plutôt sympas, ils ont donné l’impression d’être recueilli pendant la messe, parce que Jésus et Marie sont très importants dans la macumba, c’est les seuls qui peuvent parer des sorts efficacement. Et puis, ils connaissent Jésus, et même s’ils utilisent toutes les forces des ténèbres à leur disposition, ils n’ont pas envie de finir en enfer (pour eux c’est quelque chose de concret), et donc, comme Jésus a dit : « Qui mange mon corps et boit mon sang aura la Vie Éternelle», alors bien entendu, ils venaient là communier… pour ne pas perdre leur âme j’imagine ?... Mais Jacques a fait un sermon sur-mesure pour la macumba, je les regardais depuis l’abside, pas un n’a bronché, sauf peut-être quelques personnes du peuple sidérées de voir un curé parler comme ça face aux pires terreurs de la région. En fait, il s’agissait de contre-mesures, car droit en face de ces individus, Jacques était en train de montrer à tout le monde qu’il n’avait peur de personne, tout le monde voyait bien que c’était lui le Bon Pasteur, et c’était bon pour le peuple, car même s’il coopéraient sans doute avec la macumba, il voyait tout à coup un type dire : « NON », en face des puissants. C’était bel et bien ceux du peuple que Jacques cherchait à convertir, pas tellement les deux premières rangées de sorciers, alors s’il fallait un peu humilier les sorciers pour provoquer la foi des autres, pas de soucis. A cette époque, je comprenais parfaitement le brésilien, j’écoutais le sermon, je regardais les sorciers et les sorcières, pas un seul n’a bronché. Ce n’est qu’à la fin de la messe qu’est arrivée l’humiliation finale qui a provoqué un certain malaise (raclement de la gorge, grimaces un peu crispée), parce que le père Jacques prend le calice avec les hosties consacrées, et il annonce qu’il ne donnera pas la communion aux macumbeiros qui ne se sont pas confessé la veille au soir !
Là oui, j’ai quand-même vu certains s’agacer prodigieusement. C’était un peu comme si dans la classe, tous les durs à cuire sont au premier rang, et le prof les envoies tous au coin. Là au lieu du coin ils ont été quittes pour se rasseoir à leur place sans pouvoir dire un mot ni communier, et le peuple a reçu ce que le prêtre avait interdit aux chefs. La pilule n’a pas été facile à avaler, c’était vraiment une humiliation, et à la fin de la messe, ils se sont rassemblés autour de Jacques pour lui demander comment il osait refuser le Christ à des fidèles, mais il leur a répondu qu’ils n’étaient pas en état de recevoir la sainte Eucharistie, et il a fait mine d’aller discuter avec son troupeau… Là on était en dehors de l’église, il avait dépassé la mesure, et il n’était plus question de refuser le Christ ou de charité, c’était comme un cri de menace de la part d’un de ces type, du genre : « Père Jacques ! Vous savez qui on est et vous osez nous refuser la communion ? » (du style plutôt menace que : on est des pauvres types repentants et vous nous refusez le Christ), alors Jacques enfonce le clou face à tout le monde : « Oui c’est ça, continuez vos tours de magie, moi j’ai des âmes à sauver ! » Il les a planté là et on est passé à autre chose.
Ça c’est de l’évangélisation, parce que bien entendu, tout macumbeiros qu’ils soient, ils ne s’en prendront jamais physiquement à une personne consacrée, et ils sont emmerdés avec leur sorts, ils savent que contre Jacques ça ne fonctionne pas (ils le lui ont même dit parce que ce n’était pas la première fois qu’il leur faisait le coup). Un curé gentil aurait fait un sermon gentil, avec quelques admonestations sur la sexualité, et gentil, il aurait distribué la communion à tout le monde. Les sorciers auraient de toutes façons respectée une personne ointe, mais il aurait passé pour un incompétent tout juste gentil. Jacques n’a été ni agréable, ni gentil, mais il s’est fait respecter pour sa foi et son carractère (en plus du truc de la personne ointe), du coup, Jacques a maîtrisé complètement son passage dans ce village :
1) Les confessions
2) La sainte messe
3) Montrer à tout le monde que le Christ prime partout et sur tout, que dans l’église, lui-même, Jacques, se transforme en Personna Christi, et finalement en-dehors de l’église aussi. Ce qui est bien avec les macumbeiros, c’est qu’ils sont mal à l’aise parce qu’ils craignent eux-même le pouvoir sacerdotal, pas en terme de richesse ni de puissance physique (force de frappe), mais lancer un sort à un prêtre c’est dangereux et compliqué, il ne faut pas se le prendre en boomerang.
Inutile de dire que si ça avait été un évangéliste américain, ou même un dentiste, ça ne se serait pas passé comme ça. Là on a eu deux antagonistes : Le prêtre consacré qui vient foutre le bazar dans une organisation vraiment glauque qui a fait main basse sur un village tout entier depuis des lustres immémoriaux.
Ensuite on a mangé dans le village, Jacques a continué à parler avec les gens normaux (c’est son troupeau), moi j’ai eu plus de liberté à midi, et j’ai pu causer un peu avec eux. Alors même s’ils s’étaient fait un peu malmenés en public, une fois la pilule passée, ils ne pouvaient pas bouder un repas communautaire et ma foi, c’était des gars très sympas, et plus instruits que la moyenne, ils étaient intrigués que je vienne de Suisse, on a pu discuter et ils m’ont même payé des verres, des types formidables je vous dis ! Zéca s’était fait du soucis pour rien. Là-haut, ils n’avaient peut-être ni eau ni électricité, mais ils disposaient de vraies Jeep, dans le genre Wrangler Rubiccon, rien à voir avec la Rural. Et sinon, si je comprends bien, les paysans font leur travail de paysan, et les sorciers sont absolument inatteignable par quelque juridiction que ce soit. Les sorciers reçoivent des visites et de l’argent, les paysans leur vendent tout ce qu’ils veulent, et en échange s’il faut bouger (médicalement par exemple), un sorcier pourra l’emmener n’importe où avec sa Jeep, et il n’aura pas besoin de régler des comptes d’apothicaires comme avec Zé de la Rural pour y aller. De leur côté, les sorciers sont à l’abri, même s’ils doivent lancer des sorts à des puissants qui ont des escadrons de sécurité, personne ne mettra jamais le pied là-haut. Déjà que les tueurs n’aiment pas avoir affaire avec la macumba, même s’il s’agit que d’un humble père macumbeiro de banlieue, alors venir ici ? Non, ici ils étaient vraiment tranquille, c’était eux les kings, et si d’aventure un type est assez puissant pour engager des mercenaires américains (qui ne connaissent ni la macumba ni le lieu) contre eux, eh bien il va déjà falloir qu’ils y arrivent, au village…, et même en cas d’attaque, il n’y a pas d’adresses, vouloir attaquer un ou des sorciers dans ce village ça veut dire attaquer le village tout entier, et donc la population se défendra.
Bon, ben voilà à grand traits les contours de la civilisation dans la région. Pour comprendre plus avant, c’est les anecdotes qui expliqueront mieux que moi :
Moi et Jacques au bistrot, bref, on discute en français, et là on est dans un bistrot, donc un endroit où la civilisation est déjà arrivée, avec électricité et tout, on est à Rio da Caixa, et on discute en français. L’attroupement, et le rire d’un gamin : « Eh, ils parlent comme des perroquets ! » Donc on explique que non non, c’est du français, mais bien sûr, ils ne savent pas ce qu’est le français, et veulent savoir de quel coin du Brésil vient ce dialecte. Alors quand on leur explique que ce n’est pas brésilien, déjà ils ne comprennent pas bien, alors faut leur expliquer que c’est un pays en dehors du Brésil, et là c’est du genre : « Un pays en dehors du Brésil ? Mais c’est quand-même pas plus loin que Sao Paolo ? » (il y a des jeunes qui vont gagner un peu d’argent à Sao Paolo durant la saison sèche, donc ils situent, … pas sur une carte, mais comme un lieu très très très lointain), et là quand je leur apprends qu’il faut 2 heures d’avion pour aller à Sao Paolo et 12 heures pour la Suisse, ils décrochent, c’est du genre : « On aurait jamais imaginé que la terre soit si grande ». Bon, c’était avant internet, donc ils ne savaient pas tout, mais malgré toutes nos explications ils nous demandaient encore si on se comprenait entre nous quand on parlait comme ça ?
Je n’avais pas vraiment appris le portugais, et encore moins le brésilien. Il me restait quelques bases espagnoles, mais c’est tout. J’avais dû trouver quelqu’un qui parle anglais avant l’Inde pour m’apprendre un peu parce que Jacques savais que j’étais de bonne volonté, mais il avait ses catéchistes, ses communautés lointaines, tout un business à faire tourner, il n’avait pas une minute à lui. Papa voulait m’envoyer là-bas en 1991 déjà mais Jacques ne savais tout simplement pas quoi faire de moi (donc je suis parti en Inde). Mais en 1992 je vais débarquer, alors il dit à papa qu’il y a une sorte hameau dont les habitants voudraient une chapelle, ...d’ailleurs après coup je me demande si papa n’a pas financé le béton pour les fondations, parce qu’il était posé quand je suis arrivé, tout frais. Et papa donnait souvent de l’argent à Jacques, donc c’est possible qu’il ait financé les fondations. C’était même pas une dalle plate, juste les contours, 70 centimètres de large, tout le pourtour fait avec du ciment, c’est assez rare dans la région. A propos de maisons, un truc qu’ils n’arrivaient pas à comprendre dans ce coin c’est qu’en Suisse, un type puisse se marier avant d’avoir construit sa propre maison ? Mais chez eux c’est rustique, des maisons avec 0 % de ciment, ils savent travailler cette terre rouge brésilienne dure comme le ciment. Bref, Jacques demande à papa si je peux bosser réellement, je dis « ok pour la chapelle on y va », et j’ai lu et écouté du portugais dans l’avion et le bus avec mon walk-man et la méthode « Assimil ». On ne rigole pas !, du coup j’avais tout de même assimilé quelques mots importants, mais eux n’ont fait aucun effort de leur côté. Par exemple, il y a des mots clefs que j’avais enregistré, des mots utiles, comme le verbe « prendre » : Pegar, je prends = eo pega ! C’est utile le verbe prendre, on l’utilise souvent. Il m’était aussi resté le mot « agora », ça veut dire « maintenant », et je demande à Edimar d’aller me chercher un truc, il me dit : « Quando ? », ben quando ? : Agora ! Là maintenant !, tout de suite ! Il ne comprend pas..., et moi je suis sûr et certain qu’agora veux dire « maintenant », on avait le même mot en français qui voulait dire autre chose mais j’avais retenu agora, donc j’étais certain de mon affaire et je lui répète « agora », mais le type ne comprenait même pas sa propre langue… Après une douzaine de fois que je répète la formule magique dans tous les sens, il me regarde et me répond : « Ahhhhh, agoooôôÔÔooora ! ». Ben oui, j’avais appris le mot en portugais mais personne ne m’avait apprit à le chanter en brésilien, donc ils ne comprenaient pas le portugais.
...et laisse-moi prendre ci, et je vais prendre ça, … vous vous souvenez ? Prendre ! Prendre c’est pegar, alors j’ai toujours dit pegar, je voyais qu’ils comprenaient, mais il y avait toujours une sorte de flottement après que j’utilise ce mot, même vu des jeunes filles rougir ou se cacher les yeux. Je vois bien qu’il y a un truc qui cloche, mais tout le monde comprend même si tout le monde se fout de ma gueule sans que j’en sache pourquoi. Heureusement, une animatrice paroissiale et prof de géo à Rio da Caixa, donc avec un peu plus d’instruction que la moyenne (du genre qui savait qu’il existait différentes langues dans le monde) m’a dit que non non, en brésilien le terme pegar ne s’applique pas de la même manière qu’au Portugal, ici pegar ne se dit que lorsque tu veux te faire une fille (donc pegar c’est vraiment quand tu veux niquer, prendre une fille), mais jamais pour dire prendre un truc, donc en brésilien il fallait dire « tomar », … oui, ça n’a rien à voir mais après 3 semaines passé à Riacho Fundo à pegar du pain, pegar la mule ou une poule, ou ...tiens, je vais t’aider, pega ma main…, tu vois le genre, je me rends compte soudainement que j’ai passé pour un obsédé sexuel complet pendant trois semaines à Riacho Fundo. Enfin non, j’étais juste un type qui bossais bien, qui avait l’air intelligent, mais qui ne savait pas causer juste, un peu abruti quand-même. Mais bon, même si tout le monde s’est bien foutu de moi avec cette histoire, ils m’aimaient bien et c’est ça qui comptait. Parce qu’une fois que j’ai été là, on s’est vraiment motivés pour la monter, cette chapelle, et je les ai aidé aux champs aussi. Tout le monde pensait que j’avais fui quelque chose, une juridiction ou même international pour les plus érudits. Parce qu’en réalité, le père Jacques est le deuxième étranger que ces gens ont vu dans cette région. Avant Jacques, il y avait un autre prêtre français, qui a apprit le French Kiss aux paroissiennes, un très beau curé français. Quand Jacques est arrivé dans ce coin, le père est venu le chercher, mais comme il y avait l’assistante paroissiale dans le pick up, et que la congrégation religieuse de Jacques lui interdisait de s’asseoir dans la voiture à côté d’une femme, sauf si c’est sa mère ou sa sœur, il a fait tout le trajet Faramiri-Rio da Caixa sur le pont du pick up. Il est arrivé plein de poussière, mais au moins il n’avait pas eu besoin de s’asseoir à côté d’une femme. Il y a ainsi eu un changement radical entre les deux curés, mais Jacques s’est assoupli sur ces histoires pour se concentrer sur ce qui est réellement important, sauver des âmes, et le territoire était si vaste. Au niveau des curés, Zéca m’a encore parlé du précédent, avant le premier prêtre français, mais à cette époque, le curé était un sanguin et toujours armé, même sous son aube. Zéca m’a raconté qu’une fois il avait fait cessé une procession pour tirer. Donc un cow-boy curé.
Me voilà ainsi parachuté à Riacho Fundo, Zéca avait demandé à Jacques si j’étais un bandit, mais ce dernier lui avait dit que non non, juste un Suisse qui veut aider un peu à la chapelle, aucun soucis, il a été avec mon père au séminaire, son père a été son ange gardien durant ces années, et puis après il est parti, il a eu une famille, c’est un brave type, il finance la paroisse, mais il a un fils… qui veut venir construire cette chapelle… ? Non parce que personne ne vient jamais à Riacho Fundo sans une sacrée bonne raison, et moi je débarque sans parler la langue, mais en trois semaines à Riacho Fundo, j’ai vite appris parce que je n’avais tout simplement pas le choix, et je pense que j’étais au début d’une phase d’accélération très propice à l’apprentissage et l’adaptation. Zéca et Lia ont direct cru Jacques, je n’étais pas un bandit en cavale mais un type de bonne volonté aux motivations pas très nettes, ...mais de bonne volonté quand-même et de bonne famille. Zeca a souffert de ça, que les gens plus lointains de NS do Ouro parlent de moi ainsi, d’un fugitif. Parce qu’à part que je voulais tout pégar, pour le reste j’ai été nickel à Riacho Fundo, pas un faux pas, et à Riacho Fundo j’allais vite devenir une vedette.
Alors avant de devenir une vedette à Riacho Fundo j’atterris là, avec Jacques et son 4x4. On boit un café, on fume une, Zéca pose des questions, Lia est très gentille, les 3 petits sont curieux. Ensuite Lia et Vera nous servent à manger, et donc à table il y a Jacques, Zéca, Edimar (15 ans), Edison (13 ans). Lia, 65 ans et Vera (12 ans) ont servis et attendent dans la cuisine. Jacques fait un peu des manières parce qu’il veut que les femmes mangent avec nous, mais Zéca voudrait qu’il fasse la bénédiction pour pouvoir commencer à manger, et les deux jeunes attendent aussi la bénédiction. Il a fait des histoires mais là Zéca n’a pas basté, pas question que les femmes mangent avec nous à table ! Les hommes ont besoin de forces alors ils mangent, et s’il reste assez les femmes mangent à leur tour, et puis les femmes n’ont pas à écouter les conversations des hommes. Voilà un concept basique et simple, mais Jacques avait quelques problèmes d’adaptation culturelle. Bon donc on mange bien, et Jacques se barre en 4x4 (la fois suivante que j’ai entendu un moteur tourner c’était 3 semaines plus tard). Oui parce que même la Rural de Zé, on ne l’entendait pas le vendredi, il habitait plus loin que son bar et ne traversait pas le hameau.
Plongé comme ça dans l’environnent, sans vraiment parler la langue, quelques bougies allumées dans la maison, et les phares du 4x4 de Jacques qui disparaissent, les 3 jeunes qui me regardent éberlués : un chevelu avec une boucle d’oreille et un bandana qui ne sait même pas causer ? Un martien.
Non c’était génial, Zéca était super, Lia avait toujours peur que je maigrisse, elle ne voulait pas que ma mère lui fasse des reproches, on a sympathisé direct comme on a pu, c’était chouette et ils m’avaient fait une chambre. J’avais une chambre ! Edimar et Edison s’étaient serrés dans une chambre pour m’en laisser une pour moi, avec un lit ! Draps blancs ! Ils ont été très gentils. La maison de Zéca c’est une maison garanti sans aucun gramme de ciment. Ils ont eu une fille qui a eu Edimar, Edison et Vera, mais leur père est parti et le nouveau mari de leur fille est un noir qui a construit une maison en face de chez Zeca, sur le terrain de Zeca, c’est Zemoï, un brave type. Mais il ne supporte pas d’avoir les enfants de la première alliance de sa femme chez lui, alors il les a expédiés en face, chez leurs grands parents, Zéca et Lia. Lui a fait des petits noirs à la fille de Zéca et Lia, vous suivez ? Donc elle en a deux de plus, très mignonnes et toutes petites, Monica et je ne me souviens plus du nom du bébé, mais noires, ça convenait mieux à Zemoï.
Oufff, je ne sais pas si vous avez suivi, même moi j’ai parfois de la peine à resituer. Alors premier soulagement, une chambre, mais tout de même une inspection à la lampe de poche. Une maison sans un gramme de ciment ça veut dire des volets en bois taillés à la hache, pas de vitre ni de fermeture au toit (entre les murs et les tuiles), donc les bestioles circulent. Mais tout se passe bien jusqu’au lendemain matin 04h45, le coq se met à hurler droit sous ma fenêtre sans vitres. J’ouvre le volet, je le chasse et je me recouche. Au petit matin, Zéca me demande si j’ai bien dormi, je lui dit que oui à part le truc du coq, ...je ne sais pas encore parler alors je mime le cocorico, et puis on rigole et on va bosser à la chapelle. A midi on revient manger, et Zéca me fait signe d’apprécier, c’est le coq qui m’a fait chier ce matin. J’étais entrain de manger ce con de coq. Ah j’étais désolé, je me suis dis qu’avec ces histoires de réveil trop tôt, il a dû sacrifier son coq. Il voit que je suis désolé, mais il me fait comprendre qu’il s’en fiche du coq, il va en trouver un « piu coopérativo ». Donc on rigole et on bouffe le coq de bon cœur.
Bon, à postériori, je trouvais intéressant de situer un peu l’ambiance générale d’un endroit qui se situe aux confins de la civilisation. Plus loin qu’eux, c’est des indiens d’Amazonie, ils n’ont ni carte d’identité, ni retraite fédérale, ils n’existent pas !
Peut-être que j’écrirais un jour ma vie dans ce coin de Brésil, mais ici il ne s’agissait que d’une chronique pour aller le plus loin possible de la civilisation, et je pense que Riacho Fundo c’est le plus loin possible, le village des macumbeiros est plus proche de Paramirin par derrière, et ensuite, en Jeep, Brumado est très rapide par route goudronnée.
Chronique d'écriture 3 : Rendez-nous Néron ! (40 pages Word)
Rome !
Il faudra bien un jour que je dise un mot sur Rome, la ville éternelle, mais je vais le faire à ma façon, de mon point de vue, du point de vue de dieu (César), du point de vue de Dieu, et du point de vue de Satan, car à un moment, il ne va pas me falloir faire l’avocat du diable, mais entrer dans la tête de gens très… tordus.
On va commencer soft, mais pour connaître le fin mot de l’histoire, il faut aller à Albe, dans le Lathium, une vieille ville étrusque. Le roi Procas a deux fils, et à sa mort, l’héritage est partagé comme suit : L’aîné obtient le trône, et le cadet les richesses paternelles. Au début ils sont contents et puis le cadet se dit qu’il aimerait bien aussi régner, donc avec toutes ses richesses, il a de quoi détrôner et tuer l’aîné, tuer son fils (son neveu), et transformer sa nièce Rhéa Silvia en vierge vestale pour être sûr qu’aucun descendant ne sortira de son frère aîné. Et ça, si vous assimilez dès maintenant vous comprendrez mieux la suite de l’histoire, parce que les descendances de sang, à Rome, c’est très important.
Donc là le roi il a les richesses il a tout, c’est le king Amulius, son couillon de frère aîné est enterré avec son fils, et l’autre nièce prie une idole et se gouine avec d’autres vierges dans un temple, tout va bien pour lui.
Si vous teniez pour le frère aîné, vous n’aller pas aimer l’histoire qui va suivre, parce que ça va secouer à Rome, parce qu’à Rome c’est pas des grecs, les Spartiates à côté c’est des scouts.
A l’époque de ce roi Amulius (le cadet), Rome n’existe pas encore, mais par l’opération des dieux, Silvia Rhéa, la vierge vestale, donne naissance à des jumeaux, Remus et Romulus.
Alors la Silvia elle essaye bien de lui expliquer que c’est le dieu Mars qui est tombé fou amoureux d’elle, et qu’en gros, il ne s’est pas réellement inquiété de son consentement, de son sacerdoce de vierge vestale et toussa, mais le king Amulius n’en croit pas un mot, fout les bébés dans un sac et les fait jeter dans le Tibre. Ensuite il fait emmurer vivante la Silvia, histoire de voir si Mars va venir tout bazarder pour la sortir de là.
Les romains ont tendance à l’exagération, alors le mythe c’est qu’elle est sauvée par Tibérinius, le dieu du fleuve Tibre, mais en réalité il semblerait que ce soit plutôt sa cousine qui a demandé à Amulius de la démurer pour la mettre en prison, parce qu’elles étaient bonnes copines avant qu’elle ne devienne vestale, et le roi a fléchi un peu.
Mais les deux bébés dans leur sac s’en sortent miraculeusement, ou parce que le serviteur du roi chargé d’exécuter la sentence les a laissé sur les rives du fleuve en crue…, et il semblerait bien qu’au début, une louve ait eu pitié de ses deux petits, sous le mont Palatin, et les ait allaité. Le berger Faustulus, témoin de ce prodige, recueille les deux petits, et les élève avec son épouse Acca Larentia, et il raconte l’histoire de la louve à la ronde, pour se donner quelque importance ou intérêt auprès des autres bergers, et il fait bien, car sa femme va terminer divinisée par les romains.
Bon, on avance un peu, Remus et Romulus grandissent et ils sont au point. La première chose à faire, c’est de tuer leur oncle le king Amulius, et le type qui croyait faucher le trône à son frère aîné fini aux lions (non, ils n’étaient pas encore à ce point au point, mais il a dû passer un mauvais quart d’heure), et de sa descendance, on en parle plus, toujours cette histoire de sang… la lignée, la pureté, 750 ans plus tard, des types aussi puissants qu’Auguste marie ses fils en fonction du sang des bonnes femmes. Donc c’est à garder à l’esprit quand on parle de Rome.
A partir de là, ils décident de construire une ville, c’est des types ambitieux. Aujourd’hui, il y a des types qui se lèvent, et qui se disent : Je regarde une vidéo YouTube ? ou je me rendors ? … non, les vidéos Youtubes sont trop longues, je regarde un Tic-toc et je me rendors.
Non, à l’époque, on est au soir du 20 avril de l’an 753 avant J.C., Rémus et Romulus boivent un verre le soir avec leurs gardes (ah oui, ils sont équipés), et il s’agit d’établir le programme du lendemain. Le commandant de la garde propose d’aller casser la gueule à ces cons de Napolitains et de leur piquer leur ville, Pompéi.
Rémus et Romulus évaluent la possibilité de la chose, mais il y a quand-même cette montagne menaçante et ils doivent se dire que ce n’est pas une bonne idée, et quand ils ont assez bu, et que ce n’est pas vraiment l’heure d’attaquer plus loin avant d’avoir des bonnes bases, il y a Romulus qui s’exclame : Demain on fonde une nouvelle ville !
Alors voilà, c’est des types qui se lèvent le matin du 21 avril, il fait beau et le fond de l’air est doux, mais les gars ne s’inquiètent même pas de qui a fait le buzz de la nuit sur Tik-Tok, ils s’en foutent, ils doivent demander aux augures, et les romains sont très superstitieux, jusqu’à Ponce Pilate qui lançait des graines pour voir comment les poules picoraient, c’était de la réelle superstition, et les deux frères sont pareils, ils faut voir les augures…
Remus se met sur le Mont Laventin et Romulus sur le Mont Palatin. Six corbeaux se pointent et volent sur le Mont Laventin, et ensuite, douze corbeaux se pointent sur le Mont Palatin, ça veut dire que Remus a la primauté, mais Romulus a vu juste pour la ville. Il y a toute une embrouille, ça ne va pas du tout, donc Romulus trace une frontière, ça sera le mur de la ville de Rome, et interdit d’y pénétrer.
Bien sûr, l’autre con ne peut pas s’empêcher de passer la ligne pour emmerder, mais Romulus n’a pas l’intention de perdre son temps à négocier des trucs compliqués, donc il le tue et tout devient plus simple.
Parfois j’abrège un peu comme ça, je dis : il le tue et c’est réglé, mais en réalité c’est tout de même compliqué, parce que Romulus est obligé de tuer Rémus à cause de sa forfaiture. Il a franchit la ligne, et c’est réputé être une ligne infranchissable, les dieux surveillent, et puisqu’elle a été violée, c’est un présage funeste qu’elle n’est plus infranchissable. Donc pour annuler ce présage funeste, Romulus est OBLIGE de tuer le couillon qui a franchi la ligne, fusse-t-il son frère jumeau, et c’est son frère jumeau ! Et c’est encore plus compliqué que ça, parce que pendant qu’il tue ceux qui auraient osé franchir cette ligne inviolable, il doit en plus penser à l'adage Insociabile regnum (« Le pouvoir ne se partage pas »), pour marquer ainsi tout aussi symboliquement l'intransigeance sourcilleuse de Rome devant toute incursion malveillante.
Donc c’était pour la bonne cause, ouf. Mais c’était compliqué, alors ensuite, quand tellement de monde tue tellement de monde, je n’entre pas dans les détails, parce que ce soit le préfet du prétoire Macron ou Caïus qui ait tué Tibère, tout le monde s’en fout, le peuple même de Rome s’en fichait, ça faisait 15 ans qu’ils attendaient que quelqu’un le fasse enfin.
Bref : 21 avril – 753, roi de Rome => Romulus, the boss et on ne discute plus.
Rome devient la plus puissante ville du monde, mais dès sa création, Romulus s’assure d’une force militaire structurée de 3000 fantassins et 300 cavaliers, et en -753, ça suffit amplement pour garder les frontières de la ville.
La suite est assez classique, les français en ont fait un remake en 1793, ben à Rome pareil, ils tuent le dernier roi, Tarquin le Superbe, que d’aucuns ont osé appeler Tarquin le Tyrannique, mais contrairement à la France, quand on tue à Rome c’est soit pour des festivités (et là on tue juste des nuisibles, donc ça économise sur les prisons), mais si c’est des sénateurs ou des rois, en général, à Rome on assassine, quitte à revenir ensuite comme Brutus, le père de la république, se vanter partout de l’avoir assassiné, ce n’est pas grave tant que ce n’est pas fait en public, ce n’est pas tout un spectacle pour la populace comme en France, un minimum de dignité pour les aristocrates. En – 509 donc ils mettent bas les rois (ils ont tenu 250 ans, mais ça a déconné méchamment), ils font une république, avec des dictateurs momentanés, c’est assez bien organisé, il y a toute une aristocratie qui se forme, il s’agit des patriciens.
Pour être patricien il faut au moins prouver que ton ancêtre a créé la république, contre les rois, mais pour certains patriciens, les purs et durs du genre, Caton ou Scylla, ils peuvent allez jusqu’à prouver que leur ancêtre à financé un maçon pour construire une portion du mur d’enceinte et qu’ils descendent aussi de Brutus, celui qui a permis l’avènement de la république en tuant le roi (discrètement).
Voilà, et la république a subit des traumatismes, des attaques, des sacs, des incendies, elle a dû nommer des dictateurs, distinguer des militaires talentueux fussent-ils issus de la plèbe en leur accordant une portion du sénat ?
Fausse bonne idée, parce que les aristocrates qui ont fondé Rome ou la république vont vite (manière de parler, au fil des siècles disons) se retrouver avec carrément une frange de la population qui a formé une sorte de parti, les plébéiens ! … quand même un comble d’avoir deux partis dans une république. Bref, les plébéiens ont de l’appétit et des revendications à faire valoir, à tel point qu’on en est à des émeutes en ville et des manifs, et le Mélanchon de l’équipe, c’est le père de la femme de Jules César. Et Jules est quelqu’un de connu déjà à l’âge de 16 ans, même Caton qui le déteste dit de lui : «Jules est le seul ambitieux qui ne s’enivre pas dans les banquets des populares (avec le peuple), et d’optimates (aristocratie)».
A 19 ans, Jules est déjà un homme éminemment respectable. Il vient de la maison des Iulii, il l’a expliqué lors d’une éloge funèbre qui a laissé tout le monde sur le cul : Ses ancêtres ont non seulement fondé la république, mais les Iulii étaient présent dès la fondation de Rome, le berger qui a recueilli Remus et Romulus gardait les moutons des Iulli qui avaient une maison de vacances à Ostie, au bord de la mer. Ils ont aussi fait les plans du mur pour Romulus, voilà ! ...parce qu’ils étaient au point question murailles vu que les ancêtres de ceux-ci ont vécu à Troie et c’est même eux qui ont fait les plans de la muraille à l’époque de sa construction. Mais ça ne s’arrête pas là, parce que les ancêtres de ceux-ci descendent tout droit de Lule, fils d’Enée et de Créuse, donc en fin de compte, de la Déesse Vénus. Rien que ça. Il faut dire que Jules a une certaine appétence pour la grandiloquence et il ne se prend pas non plus pour la queue de la poire, et il y a de quoi !
Mais là on est dans une époque de troubles publics, et le sénat demande à Scylla de reprendre les choses en main, de redonner le pouvoir aux patriciens, et de faire des exemples chez les plébéiens pour qu’ils se calment un peu avec leurs revendications extravagantes. Il est nommé dictateur pour 6 mois et décide de faire une liste de proscription où tous les meneurs y figurent, y compris le beau-père de Jules qui finira assassiné par son serviteur avant même la sortie de la ville.
Ici, je dois faire un aparté, parce que si je parle de proscris, ou de liste de proscription, ça veut dire que les types sont morts. Vous pensez que Scylla (Macron), met le beau-père de Jules sur une liste fiché S ? Non, il fait une liste de noms, soit les types qui créer le problème dont tu luttes contre, soit des gars qui te tapent sur le système, et tu fais recopier cette liste par un scribe, et les Prétoriens la collent sur les murs de la ville. Alors là attention, si ton nom figure sur cette liste, tu sais que le type qui te tue héritera de tous tes biens, et en général, les gars qui sont sur des listes de proscription ne sont pas des SDF. Alors par exemple si Macron fait une liste de proscription avec dessus Bernard Arnault, le type le plus riche du monde. Toi tu vois ça sur internet, et Bernard Arnault il est là, devant toi, en caleçon sur une chaise longue, il attends le champagne que tu as dans un sceau en argent rempli de glaçons. Bon, t’as vu la proscription sur internet, ça vient de sortir, personne d’autre ne l’a vue encore, tu arrives pour sabrer le champagne avec un grand sabre, et si tu sabres la bouteille, eh bien tu restes serveur et ce sera le taxi qui deviendra milliardaire, mais si au lieu de sabrer la bouteille tu sabres Bernard, eh bien les 250 milliards, c’est toi qui les empoches ! Et tu t’assieds sur la chaise longue d’à côté (parce que sur celle de Bernard c’est dégueulasse avec ses bouts de cervelle qui pendouillent), et personne ne viendra t’arrêter, au contraire il y aura un serveur qui viendra sabrer le champagne pour toi.
L’attitude chrétienne à avoir si les choses se passaient ainsi de nos jours, serait de ne pas tuer.
Mais quand-même, si Bernard se fait tuer par un touriste Belge qui a vu internet et la liste à Macron et qui va tout dépenser à Las Vegas, ce serait dommage, tandis que toi, chrétiennement, tu pourrais donner la moitié aux pauvres, et même si tu es très très très chrétien, tu pourrais donner 249 milliards aux pauvres (ça veut dire que tu règle le problème de la faim dans le monde de manière définitive), et tu ne garderai qu’un seul pour toi.
Bon, tu cogites un peu parce que t’es un bon catholique, et pendant que tu cogites, le belge l’a tué et est devenu l’homme le plus riche de la terre, et c’est à lui que tu vas sabrer le champagne, et pas question de sabrer le belge, parce que lui il n’est pas sur une liste de proscription, et si tu le fais, non seulement tu ne gagneras pas un kopeck, mais tu iras en prison, donc tu lui sers son champagne et tant mieux pour toi, parce que tout le temps que tu perdais à cogiter, c’était Satan qui te cherchait une bonne raison, très charitable, pour tuer.
Si tu en tues un, tu en sauves des milliards, si c’est le belge qui le fait, il va juste racheter le Congo.
Tu ne tueras point.
Si tu cherches une clause là-dessous qui donne des dérogations, bonne chance ! Il n’y a que Satan qui les trouve pour toi.
Bon, donc maintenant que vous avez compris le principe de la liste de proscription, le beau-père de Jules y figure et se fait tuer, et Scylla demande à Jules, le plus patricien des patriciens de l’équipe, de divorcer d’avec cette bonne femme, mais Jules refuse parce qu’il aime Calpurnia (c’est un grand romantique…), non, parce qu’il n’a pas envie de se laisser dire quoi faire par quelqu’un d’autre, fusse-t-il dictateur, et en plus sûrement moins Patricien que lui.
Il ne prend pas parti pour son beau-père, mais il est culotté de refuser, parce qu’à son âge, il peut bien être issu de la cuisse de Jupiter, compte tenu des troubles qui secouent la cité, Scylla aurait pu lui en vouloir. D’ailleurs, Jules le pense car il se cache durant un temps à Rome même, mais Scylla, bon prince, lui pardonne son refus. Il faut dire que Jules a de l’ascendant, déjà c’est le 7ème du nom, son oncle du côté maternel est consul de Rome et deux de ses oncles l’ont été avant lui, et son père a été sénateur, questeur, consul aussi, bref, la totale. Donc Scylla rappelle le jeune homme à la vie diplomatique pour une mission auprès du roi de Bithynie, c’est une mission qui le poursuivra durant toute sa vie.
Après la mort de Scylla en - 78, les patriciens ont encore conservé un pouvoir éphémère par les différents consuls, notamment Pompée, Jules et Caton, même si Jules échafaudait d’autres ambitions. Cependant, pour l’heure, il était utile de former un premier triumvirat secret avec Pompée et Crassus, très patriciens, lui qui allait ensuite passer dans le camp des plébéiens, c’est impossible, mais c’est ça la magie des Césars ! (oui, parce qu’à la base, César, c’est juste un nom de famille connu à Rome, comme Fournier est connu en Valais, rien de plus, voir un prénom à la longue, puisqu’ils rajoutaient les noms de leurs ancêtres sur leur prénom, et ça formait leur nom complet)
Il faut aussi dire un mot sur la vision qu’il a eu de la «Grandeur de Rome» durant l’une de ses absences. Personne ne sait de ce que souffrait Jules, on pensait à quelque chose comme de l’épilepsie, mais il semblerait que cette théorie ne soit pas bonne non plus. La seule chose que l’on sait, c’est qu’à plusieurs reprises, Jules a été vu entrain de tomber par terre, et lors d’une de ces «crises», il a eu la vision de la «Grandeur de Rome›.
Il ne faut pas croire que Rome était juste une ville puissante avant les Césars, c’était la capitale de l’Italie, et une multitude de territoires obéissaient à Rome, ou payaient des taxes à Rome, c’est selon. Donc Rome dominait déjà totalement le monde du temps de Scylla, et Jules a eu la vision, les gens diraient : c’était un visionnaire, mais non, il a vu, et il a fait, Rome, le cœur, les provinces, les membres, les routes, les artères, le sang (l’argent, c’est égal), passant par le cœur, et le coeur donnant le sang nécessaire à chaque membre pour fonctionner au mieux, comment il fallait organiser tout ça pour que ça tienne ensemble. Parce que Rome n’était pas mondialisée, alors quand un roi faisait le con ou manquait de respect à une garnison, les sénateurs envoyaient une ou 4 légions s’il le fallait en punition, il y avait tout un tas de guerre puniques, de reconquête, et tout un tas de régions à pacifier, … tout le temps, à recommencer sans cesse, c’était quand-même un peu la pagaille !
Petite anecdote pour situer le personnage : Quand Jules était un jeune talent politique de l’aristocratie romaine, à peine la vingtaine, il se fait prendre en otage par des pirates sur la mer Egée durant 31 jours. Les pirates demandent une rançon de 20 talents d’or pour le laisser repartir. Jules rétorque qu’il en vaut au moins 50, mais que s’il les paye, il reviendra tous les tuer. Les pirates ne le prennent pas au sérieux et réclament leurs 50 talents, mais ils n’auraient pas dû, parce que l’émissaire, il est revenu avec les 50 talents d’or et reparti avec Jules, qui lui, est revenu avec 4 galères et 500 légionnaires ! Pour ce qui est des pirates, ils les a tous fait crucifier jusqu’au dernier.
Voilà qui donnera à réfléchir aux aspirants pirates. Mais ça, c’est la méthode des Césars, efficacité avant tout, mais il faut toujours un peu de panache (4 galères, 800 galériens qui galèrent, 500 légionnaires qui légionnent, ça en impose), et puis un zeste de cruauté, sinon c’est pas drôle, donc la crucifixion c’est distrayant, parce que s’il les tue direct, à la fin ça revient au même, mais crucifiés, là, vivants, pendant que tu bois l’apéro avec les centurions, eh bien tu peux bien te foutre de leur gueule avec leur 50 talents d’or, qu’ils se les bouffent maintenant ! Non, là ils ont dû se marrer les romains.
Bref, ça c’était pour l’anecdote sur la manière César, mais pour atteindre sa vision, Jules voit ce qu’il faut faire, et il le fait. Mais politiquement, c’est très compliqué, il doit gagner deux grades pour être à peu près tranquille.
Premièrement, devenir le Pontifex Maximus. Jules naît en – 100, et l’occasion se présente en -63, lorsque le Pontifex Maximus meurt. Là, Jules a deux rivaux plus expérimentés et plus aptes à la tâche que lui, mais il a un triumvirat secret qui le lie à Pompée et à Crassus, et grâce à leur soutient public, il devient Pontifex Maximus à 37 ans, jusqu’à sa mort. Ça veut dire que si un couillon de prêtre a une question tordue que l’évêque de Neptune ne sait pas répondre, il vient poser la question à Jules, et lui, il sait.
Le Pontifex Maximus décide de toutes les affaires religieuses de tout le monde, c’est LE titre qu’il faut avoir pour … y aller un bout…
… le bout suivant c’est de devenir consul de Rome, et pour devenir consul de Rome, il doit renoncer à un Triomphe qui lui est dû pour sa victoire sur des tribus Ibères. Il fallait déposer la candidature de consul pour une date donnée, il ne pouvait pas apparaître en ville avant son Triomphe, il a demandé une dérogation au sénat, Caton a fait traîner en palabres parce qu’il ne peut pas le blairer, et César renonce à son triomphe pour venir en ville postuler comme consul.
...il devient consul à 40 ans, mais ce n’est qu’une étape pour atteindre enfin son objectif final (celui qu’il désire le plus), troquer son rang de patricien pour celui de plébéien et devenir Tribun de la plèbe !
Et ça, quand on s’appelle César à Rome, c’est un peu comme si tout à coup, les Windsors essaient de faire croire aux anglais qu’ils n’ont rien à voir avec les aristos, mais qu’ils viennent de la plèbe. Eh bien les Windsors ne le peuvent pas, Jules lui, il peut, et il le fait, et tout le monde fait semblant de le croire !
Pour fêter ça, il organise des jeux pour la plèbe sur ses deniers personnels (en réalité, il emprunte), mais attention, pas des jeux olympiques comme les Grecs, des jeux romains comme à Rome, avec le panache César en prime. Selon Suétone, il fait grande impression d’emblée en alignant 320 paires de Gladiateurs…, en même temps ! Et les bons gladiateurs de ce temps valaient plus cher que les meilleurs sportifs modernes. Donc non, les jeux de fléchettes, le saut en hauteur ou en longueur, le lancer du javelot, c’est sympa, mais si le javelot se plante en quelque part d’où le sang peut gicler, c’est déjà mieux que les grecs. En tout cas, les romains aiment mieux et Jules le sait, et maintenant que c’est un plébéien qui descend de Vénus et des constructeurs de Troie ET de Rome, Pontifex Maximus, Consul, Tribun et tutti cuanti,… Jules fait couler l’argent à flot continu sur la plèbe, et le peuple l’adore déjà (il n’a pas le droit, mais il l’aura bientôt).
Les Césars sont aussi les propriétaires du mont Palatin sur le Forum romain et le sénat, c’est le mont où on ne va jamais lorsqu’on visite Rome, parce que quand on a fait le tour du Forum et des ruines antiques, on a pas envie de monter là-haut, c’est juste là-haut, mais justement, il fait chaud, on a fait 20’000 pas dans la journée et c’est là-haut. Mais de là-haut, ils ont vue sur toute la ville, sur la colline du Quirinal aussi, genre d’endroit que si on foutait le feu à la ville, on pourrai rester là tranquille sans chauffer, à jouer de la lyre. Non, à cause des fumées, il faudrait des masques à gaz, mais on pourrait quand-même jouer de la lyre, par contre pour les trompettistes ça n’irait pas.
Bref, Pompée est couvert de gloire pour toutes ses victoires en orient, et César le soutient (triumvirat secret), mais César veut dépasser Pompée, il veut devenir pro-consul des Gaules en -59, mais Caton convainc le sénat qu’il ne faut pas donner plus de pouvoir à un type pareil, et le sénat hésite, puis rejoint Caton. L’année suivante, Jules a assez bien manœuvré, et il est élu pro-consul des Gaules en – 58, a 42 ans. En Gaule, il y a de nombreuses tribus et territoires soit amis, soit clients de Rome, et il peut se promener à travers toutes les Gaules avec ses légions sans rencontrer aucune résistance, car il n’y a pas de résistance. Il y a des villes romaines en Gaules, mais c’est un peu comme des confettis de civilisation au milieu de vastes territoires peu peuplés, ou alors d’analphabètes sans papiers. Les chefs gaulois sont plutôt des chefs régionaux, et Jules sait qu’il peut compter sur leur division pour gagner, mais gagner quoi ? Il n’y a même pas de guerre à se mettre sous la dent, et il lui faut à tout prix une guerre qui lui rapporte de l’argent et de la gloire s’il veut surpasser Pompée et payer ses dettes. Parce que Jules est endetté jusqu’au cou par ses dépenses somptuaires pour le peuple, mais les gaulois finiront bien par payer la note.
Le problème de César c’est que les gaulois obéissent, mais personne ne lui ôtera de l’idée que ces barbares ne feront que semblant d’obéir tant qu’il ne les aura pas éclaté propre en ordre sur le champ de bataille, et il lui faut un prétexte, qu’il ne trouve pas, … quelle guigne !
Heureusement pour lui, les Helvètes sont mieux organisés que les gaulois, et ils pourraient représenter une réelle menace, Orgétorix était entré sur le territoire de l’actuelle hélvétie en 107 avant J.C., ils s’y sont installés en rasant et massacrant tout ce qui existait auparavant (de toutes façons, s’ils existaient, ils ne sont plus là pour la ramener, parce qu’ils ne savaient pas écrire donc aucune archive), ceci dit, Orgétorix parle tout de même de villes vers Genève et Soleure, et eux ils se sont installés partout, ils ont tout poutzé, propre en ordre, et ils y sont resté 50 ans. Alors, lorsque son successeur, Divico, le chef helvète, demande la permission à Jules de traverser les terres romaines en Gaules pacifiquement avec son peuple pour aller en Espagne, Jules réserve sa réponse jusqu’au 13 mars -58, prétextant un accord à avoir du sénat. En réalité, il construit avant le 13 mars un mur de 5 mètres de haut avec un fossé derrière, de Genève au Jura, pour empêcher les helvètes de passer, et le 13 mars, il refuse le droit de passage. Divico est un type intéressant pour Jules, parce que ce gars commande 40’000 hommes de guerre, des vrais et des durs, et ils sont organisés. Ça pourrait dégénérer et lui assurer un premier échauffement pour lui et ses légions.
Mais Divico fait contre mauvaise fortune bon cœur et tant pis, il passera par le nord et traversera le Rhin pour aller en Gironde ou en Espagne, selon la météo qu’il y aura à l’arrivée, mais pour ça, il devra traverser encore plus de territoires, et des barbares qui risquent de l’emmerder, ça aurait été plus simple si Jules avait laissé passer mais tant pis pour les barbares...
Divico et tout son peuple, 368’000 helvètes, solidement escortés et rejoints par 40’000 guerriers Gaulois pour la traversée, passent par le nord et Jules fait chier ! Il fait mine de s’en inquiéter, jusqu’au Sénat, car la ville gaulo-romaine de Toulouse n’est pas loin de la Gironde, mais le sénat lui fait remarquer que les Helvètes ont vécus pacifiquement droit à leur frontière depuis 50 ans, pourquoi il faudrait s’inquiéter des Helvètes à 200 kilomètres de Toulouse ?
Bon, Jules s’en fiche et décide d’empêcher les Helvètes de passer, et c’est la première bataille sur sol gaulois, pendant la migration. Et Jules s’en sort de justesse, car sans un obligé qui lui révéla les manœuvres Helvètes en dernière minute, les romains auraient été massacrés jusqu’au dernier. Divico commandait 80’000 hommes d’armes, 12 légions romaines, mais sur sol «romain», alors pour César, c’est soit un problème, soit une solution. Et grâce à l’info du Judas, il retourne la situation, et disons qu’il traite cette affaire de migration à la manière César : Sur les 368’000 migrants Helvètes, seul 110’000 arrivent à retourner en «Helvétie», et je pense que la «manière César» Veni Vidi Vici a suffit pour que plus aucun chef Helvète ne caresse l’espoir d’aller un jour migrer en Espagne. Ceci dit, les helvètes qui se sentaient à l’étroit en Helvétie ne l’étaient plus après avoir fait la balade.
Voilà, ça c’était la première escarmouche, et puis ensuite avec les tribus gauloises qui voulaient rester assujetties à Rome et celles qui ne voulaient pas, et celles qui se révoltaient contre l’impôt, et d’autres qui tentaient des alliances, Jules se dit qu’il n’a qu’à tous les éclater, on verra bien ce que ça donne. Vercingétorix, qui serait resté un petit potentat local sans Jules, arrive tout de même à fédérer les tribus gauloises, mais trop tardivement, et finalement, Vercingétorix est comme tous les gaulois : grosse gueule mais il n’a pas tellement pissé plus loin que Divico le Grand. Bref, Jules les a tous massacrés, les déjà soumis comme les insoumis, ses méthodes choquaient jusqu’aux sénateurs à Rome, je ne sais pas s’il faut être explicite ou si le lecteur a suffisamment d’imagination pour imaginer. Un César a un certain potentiel artistique, et si des mecs emmerdent, des gaulois rebelles, qu’ils sont vaincus et ont déposé les armes…, César sait qu’un prisonnier coûte cher et qu’un Gladiateur encore plus, alors si on peut faire combattre des types qui se la jouaient les cadors pendant la bataille en échange de la vie de leur femme, ou de leur fille, ou de leur mère, que tu vas de toutes façons violer et envoyer à Rome comme esclave, eh bien suivant la carotte que tu proposes, les types se battent réellement avec passion à mort, l’un pour sauver sa femme, l’autre sa fille, c’est divertissant après la bataille. On boit un verre avec les généraux, on se balade parmi les légionnaires, il faut se dire que ce soit avec le peuple ou avec les légionnaires, s’il y a un César dans le coup, il y a de l’ambiance. Mais on ne va pas refaire les 8 ans de campagne ici, vous comprendrez bien que j’ai schématisé, si la guerre des Gaules intéresse quelqu’un, Jules a écrit 8 bouquins sur le sujet, un par année, il n’y a pas grand-chose à dire à part :
Les Gaules ?
5 ou 6 millions de barbares déjà un peu éduqués qui font semblant d’obéir et qui se trahissent les uns les autres avant Jules.
Après Jules, Veni, Vidi, Vici, c’est :
- 3 ou 4 millions de gaulois très obéissants, qui ne rechignent plus ni à la tâche ni à payer l’impôt
- 1 million d’esclaves supplémentaire pour Rome,
- Bon, on en a perdu 1 million dans l’équation, mais c’est justement grâce à ce million disparût que les 3 ou 4 autres millions obéissent, qu’ils ne rechignent plus à la tâche et payent l’impôt (ou les dettes que Jules a laissé en partant, on s’en fout, c’est à lui).
Ceci dit, la situation politique à Rome est compliquée, pendant les 8 ans qu’il a passé en Gaules, Jules a dû faire attention de toujours avoir un consul à sa botte à Rome, on l’accuse de haute trahison et de tout ce qu’il est possible de l’accuser, mais c’est Jules qui avait montré l’exemple quand il avait à peine la trentaine, il avait accusé un ancien consul romain de haute trahison, ça ne s’était plus vu depuis le procès d’Horace, mais comme c’est Jules qui a été nommé juge du procès, il y avait un problème : c’est lui qui accuse, c’est lui qui juge, et c’est lui qui condamne, et il condamne à mort.
Bon, le type a fait appel, les sénateurs ont fait traîner cette histoire, et finalement ils ont relâché le vieux sans procès d’appel, c’était un vieux patricien que oui, il avait déconné grave, et sur le principe Jules avait raison, mais il faut parfois savoir arrondir les angles, sinon on se retrouve piégé soi-même dans les mêmes accusations pour à peu près les mêmes raisons. Donc il n’a pas que des amis à Rome, Caton pète les plombs à chaque moments parce qu’un culte de la personnalité pareil, ça ne s’était jamais vu dans la république, et l’aristocratie romaine doute ou se tait. Pompée le Grand n’est plus que l’ombre de lui-même depuis que sa femme, la fille de Jules, est morte en donnant la vie, qui est morte elle aussi. Pompée vacille, fini par lâcher Jules et rompre le triumvirat.
Jules ne peux plus compter que sur sa famille, ses amis, obligés, et quelques sénateurs plébéiens… Hum, oui, parce qu’après que Scylla ait été élu dictateur pour stopper les émeutes des plébéiens à Rome, Jules les a en quelques sorte transformés en sénateurs présentables. Pour schématiser, Scylla a tué tous les SA, et Jules a créé les SS, beaucoup mieux éduqués, par lui, Tribun de la plèbe, excusez du peu ! Il est tout de même soutenu par tout le peuple de Rome, ce qui n’est pas rien. Il sait que s’il entre à Rome sans armée il se fera tuer par la haute aristocratie, il n’a pas le choix et franchi le Rubicon avec ses légions qui sont entièrement dévouées à la reine de Bithynie (comme les légionnaires surnomment Jules). En réalité, Jules peut enculer n’importe qui, homme ou femme, ça n’a pas d’importance, mais se faire enculer, ça c’est honteux, c’est inadmissible, et les légionnaires ne croient pas un instant qu’un type comme Jules ait réellement pu se faire enculer par n’importe qui, fusse-t-il roi de Bithynie. Les romains enculent les esclaves ou les sujets, … les gaulois par exemple, mais il ne se laissent enculer par personne. L’homosexualité passive est très mal vue par les romains, mais si c’est de l’homosexualité active, il n’y a pas de problèmes. D’ailleurs, quand Néron se marie avec un type en 67, il le castre (comme ça on évite de se poser des questions à ce sujet) et il lui donne un nom de bonne femme.
Et en ce temps-là, il y avait des espèces de philosophes qui commentaient la vie publique, et l’un d’eux, genre Pline l’Ancien ou autre, a lancé la rumeur dès le retour de son voyage diplomatique en Bithynie, que si Jules est resté plus longtemps que prévu, c’est qu’en réalité il a fait la dame du roi de Bithynie. Et le voilà impossible de prouver le contraire, et jamais dans toute la vie de Jules, on a pu soupçonner une chose pareille car il n’a jamais été surpris en pareille position. Il savait que les légionnaires riaient de ça et il les a autorisé de le chambrer publiquement si ça pouvait leur faire plaisir, il savait que sa seule arme là-contre était l’auto-dérision, ça renforçait la sympathie des petits (légionnaires ou peuple), contre les grands (sénateurs ou philosophes) qui avaient lancé la rumeur. De toutes façon, la grande gueule qui n’avait pas pu se la fermer a terminé sur une liste de proscription, le problème était déjà réglé de ce côté, donc il ne restait qu’à se donner un air cool et accessible et c’était sympa pour tous.
Les types se prennent pour «les grandes gueules de RTL», mais ils oublient qu’ils ont des Césars en face et pas des Emmanuel ou des Nicolas ravis de la crèche. Cicéron soutient Jules, soutient Auguste, et direct après va faire tout un plaidoyer au sénat en faveur de la république pendant qu’Auguste se creuse les méninges pour savoir comment tout diriger en gardant un sénat qui semble servir encore à quelque chose, au moins sauver les apparences ? Eh bien non, Cicéron fait chier et termine aussi sur une liste de proscription signée César, et on n’en parle plus de RTL ! Enfin oui, on laisse le canal ouvert parce qu’il y en a toujours un qui ne peut pas s’empêcher de se la ramener, et une fois qu’il a pondu un texte de philosophe, pour être bien vu, il commence par flatter le pouvoir, et ensuite, une fois qu’il ont gagné quelques notoriétés ou lettres de noblesse, ils s’ennagaillardissent, deviennent audacieux, jusqu’à prendre la grosse tête ? Malheureusement, c’est souvent le cas avec les Césars : les commentateurs n’évaluent pas correctement la ligne rouge, et comme elle est très fluide pour la populace, ils croient qu’ils peuvent se permettre de commenter jusqu’au sénat !?
Grosses têtes, têtes coupées, Caïus Julius Augustus César Germanicus avait même inventé une machine à décollation, avec des esclaves qui pédalaient dedans, des lames comme des faux qui tournaient, et des types enterrés jusqu’au cou qui faisaient office de balles de golf. Ils voyaient arriver lentement la machine, ça devait être flippant pour eux, et si tu voulais que Caïus fasse arrêter la machine, fallait lui trouver un sacrée bonne histoire, parce que le type était espiègle, et curieux. Mais si tu criait grâce, parce que t’avais une femme, 4 enfants et 3 belles-mères à nourrir, ce genre d’histoires que tout le monde raconte, il ne faisait pas arrêter la machine pour ça. Non, il était curieux à propos de la mort, d’où la décollation, trouver un type qui soit d’accord de lui faire un clin d’œil après qu’il se soit fait couper la tête ou observer combien de temps ils ont l’air conscients sans leur corps, et des choses comme ça. Donc tout ça, il a déjà vu, la machine c’est pour le spectacle, et pour que Caïus arrête le spectacle, faut avoir une vachement bonne idée. Par exemple, quand il y a eu des problèmes de trésorerie impériale, si tu lui dis que tu as dans ta poche une carte avec une croix sur un immense trésor, … et une autre carte avec autre une croix sur une immense mine d’or inexploitée, mais t’as trouvé le filon, et une troisième carte avec une croix sur une cheminée diamantifère, ben Caïus ne va pas faire arrêter la machine même s’il te croit, parce qu’il s’en fiche du pognon, c’est un dieu. Faut inventer un truc intéressant et incongru, propre à ébranler sa propre imagination débordante, parce que le type, c’était un sacré artiste. Mais il ne faut pas lui crier qu’il y a un type en Palestine qui marche sur l’eau, sinon il va vouloir prouver qu’il peut marcher plus loin que le Palestinien, et ça va automatiquement dégénérer, parce qu’il va y arriver.
Mais on en était en -50, quand Jules a terminé de mettre au pas les gaulois, et qui rentre à Rome sous de lourdes accusations, il franchi le Rubicon (une ligne d’environ 50 kilomètres autour de Rome où les légions ne peuvent pénétrer en armes qu’en cas de Triomphe), mais il y va avec ses légions, il n’y a plus de triumvirat qui tienne, il est élu dictateur pour régler son propre problème (des légions ont franchis le Rubicon), il poursuit tout le monde, Pompée jusqu’en Égypte, bref, les vieux aristocrates républicains voient leur monde changer, et je pense que le dernier grand aristocrate Patricien a été Caton qui détestait tant Jules, mais ce dernier le pourchasse jusqu’en Tunisie, dans son fief à Utique…, pour le pardonner. Comme pour Pompée, on le poursuit armé jusqu’aux dents avec une quantité de légions, mais c’était pour le pardonner et le gars croit qu’on l’attaque ! Un comble. En réalité, Jules l’attaque quand même, mais pour lui dire qu’il veut lui pardonner. Jules veut gouverner seul, mais il ne serait pas contre un conseil de temps à autre, donc Caton ou Pompée aurait pu avoir encore une utilité. La république telle qu’elle a été connue à Rome depuis l’an – 509 s’est terminée avec Caton le 6 avril de l’an 46 avant Jésus-Christ. Peu importe que Jules ait voulu le pardonner, le pardonner de quoi ? Caton avait réussi a retarder les ambitions de Jules sur les Gaules d’une année en indiquant aux sénateurs qu’ils étaient entrain de se créer un futur tyran, ils l’avait cru en – 59, et avait retardé le pro-consulat de Jules à – 58, et ensuite les Helvètes ont servi de prétexte à sa guerre et sa gloire future.
Je pense qu’il vaut la peine de recueillir les dernières paroles de ce stoïcien incorruptible :
Caton ne voulut pas « survivre à la liberté » : il s'enferma dans son fort et s'y perça de son épée. Puis un médecin, voyant les organes intacts, commença à lui recoudre le ventre. Caton qui revenait à lui plongea ses mains sur la plaie et l'ouvrit, et mourut aussitôt. Jules qui comptait lui accorder la vie sauve, arriva trop tard et dit : « Ô Caton ! je t’envie ta mort, car tu m’as envié de te sauver la vie. »
Caton n’a rien envié du tout à mon avis, mais bon, … il se suicide sans demander la permission. Et Jules qui se met à courir pour essayer de sauver des vies ? Non mais c’est une blague ou quoi ? Non, Jules peut vouloir ce qu’il veut, la seule chose dont il a réellement besoin pour régner, c’est un Caton mort. A partir de la mort de Pompée et de celle de Caton, Jules est tout puissant, dictateur à vie, et c’est aussi plus commode de pardonner à des morts, en général, ils acceptent les excuses, sauf Caton, … et Pompée ! (ils vont revenir brièvement)
En attendant la revanche des Sith (des républicains), Jules porte la pourpre, le sceptre, et demande même au sénat le droit de porter sa couronne de lauriers partout, tout le temps, soit disant à cause de sa calvitie. Moi je pense qu’il était comme moi, coquet, il aimait les couvres chefs, et à part les casques avec des plumes rouges ou blanches à l’époque, … enfin je veux dire en Gaule ça passe, mais à Rome, le casque militaire n’est pas à la mode en dehors des Triomphes, mais une couronne de Lauriers c’est élégant, c’est vert, ça fait un peu le type qui se royaume dans sa pourpre et sa pompe, sauf que ce con de Jules n’a pas tué le fils de Pompée, et sextus Pompée va provoquer une famine dans toute l’Italie à cause de ça, mais à sa décharge, il ne pouvait pas non plus penser à tout. Bon, il n’a pas tué non plus les enfants de Caton ni ses gendres, je ne sais pas s’il a eu un moment de faiblesse ou quoi, il connaissait pourtant ces histoires de lignées dès Romulus, mais pour être honnête, je pense que Jules a eu quelques égards pour l’aristocratie, il voyait bien qu’il bouleversait leur monde, il les connaissait, il savait exactement ce qu’ils pensaient, d’où ils venaient, alors oui, il aurait pu leur pardonner, mais les carottes étaient cuites, et les carottes étaient sans doutes cuites depuis cette histoire de Pontifex Maximus. parce qu’en réalité c’est cela, le génie des Césars, c’est d’être un homme en faisant croire qu’on est un dieu, et si personne ne le croit ce n’est pas grave, mais ici tout le monde semble le croire, sauf les sénateurs qui le côtoient, c’est le seul côté qui grince encore un peu, … le cadavre républicain aura encore quelques soubresauts.
J’ai exagéré un peu au début en disant que ses ancêtres avaient dessinés les plans de la ville et étaient les propriétaires des moutons du berger, non, ce n’était pas aussi précis, mais un jeune homme qui vient proclamer urbi et orbi, lors d’une oraison funèbre (donc le genre de circonstances que même si tu veux protester tu n’oses pas trop intervenir), le gars parle de sa parente, mais en réalité, il leur raconte bel et bien que si elle descend de Venus, d’Enée, qu’ils ont demeurés à Troie, et quand ça a tourné au vinaigre là-bas et ils sont venu en Italie, et la fondation de Rome, et la république, c’est les Iulli, et si elle en est (la morte), c’est que lui en est aussi, descendant de dieu. Ensuite, on rajoute le truc du Grand Pontife à vie, et si on a assez d’imagination pour divertir le peuple, qu’on mêle politique et religion et culte de la personnalité, et qu’on donne au peuple tout ce qu’il demande et même ce qu’il n’a pas eu l’imagination de demander, eh bien les romains, ils aiment bien.
… Les romains. A l’époque de Jules, Rome c’est un million d’habitants, et l’état nourrit gratuitement 200’000 habitant, c’est le Questeur qui est responsable de tout l’approvisionnement en blé de la ville qui s’occupe de ça. Auguste nommera d’ailleurs Tibère Questeur de Rome l’année de la famine, comme ça Tibère a dû prendre sur ses deniers personnels pour nourrir chaque jour tout ce beau monde. Donc en gros, ça se passe plutôt bien pour le peuple de Rome, et bon an mal an, la routine s’installe, les jeux du dimanche deviennent tristounets, les chevaux manquent de jus, les lions ont trop mangés et se contentent de croustiller un bras ici, un pied là, tout le monde mange à sa faim d’ailleurs, et on a droit à un Triomphe de temps en temps, mais c’est la routine quand-même.
Et tout à coup arrive là un type d’à peine trente ans, il nous aligne 320 paires de Gladiateurs dans le cirque Maximus, et ça claque : «AVE CÉSAR, ceux qui vont mourir pour toi patati.», 640 gaillards, armés jusqu’aux dents, près à en découdre ! C’est quand même autre chose que ces 12 pauvres hères boiteux et qui toussent, à qui Longinus avait mis une belle armure dimanche passé et qui ont clamé piteusement : «AVE LONGINUS, ceux qui vont mourir patati et patata.» Voilà, Jules offre au peuple quelque chose qu’il ne connaissait pas, sur ses deniers personnels, sinon les types n’auraient pas dit «AVE CESAR», mais un autre nom. Les romains aimaient le spectacle, les sénateurs le savaient et l’offraient, mais avec parcimonie, modérément, comme des types qui se soucient des finances publiques, mais la fonction de l’aristocratie est justement de chercher à élever le peuple un peu au-dessus de ses pulsions primaires, et Jules offre au peuple un feu d’artifice. En réalité, un bain de sang, mais à l’époque c’était plus à la mode, on ne peut pas comprendre. Ensuite le «AVE CÉSAR, ceux qui vont mourir patati» est resté, parce que plus un Gladiateur ne voulait mourir pour quelqu’un d’autre qu’un César. Et Caton n’a jamais aligné une paire de Gladiateur, lui il était croyant en la république et à de grandes valeurs, mais le peuple ne voulait plus y croire, donc Jules leur donne ce qu’il veut. Sauf qu’à la fin le peuple veut un roi, et même plus, une idole vivante.
Avec son délire avec Cléopâtre VII qui aurait pu lui coûter cher, il a réussi à faire payer à la bonne femme, et ça c’est fortiche : les céréales du Nil pour Rome, et en fin de compte, il a fait couler à flot l’argent du monde entier sur Rome, et ça en est devenu insupportable pour tous ceux qui voulaient encore croire en la république, et ils se disaient qu’en tuant Jules, ils sauveraient la république.
Et c’est un peu avant la mort de Caton que ça devient intéressant pour l’empire. En l’an 48 avant J.C., Jules a 52 ans, c’est le king absolu, et il part faire une conquête Ibérique (il restait encore des espagnols rebelles que les Helvètes auraient pu mater 10 ans plus tôt). Donc Jules part en Espagne et veut se faire accompagner d’Octave, son neveu (le futur Auguste). Et attention, quand ton oncle s’appelle Jules César et qu’il part pour une énième Veni Vedi Vici, et que tu es son neveu, et qu’il t’invite, t’as envie de voir ça ! Il part avec une flopée de légions, et si on appelle une seule légion «légion», ce n’est déjà pas pour rien, une légion c’est 6600 hommes d’armes extrêmement organisés, capables de se déplacer n’importe où en ce temps là, population de l’empire en – 50 = 50 millions d’habitants, et 100 ans plus tard, en + 50 = 100 millions d’habitants, donc c’est très peu peuplé si on pense que l’Italie seule est plus peuplée aujourd’hui que tout l’empire d’Auguste à l’époque...
Le problème, c’est que le jeune Octave a 15 ans et qu’il est si malade que sa maman, la sœur de Jules, ne le laisse pas partir. Qu’à cela ne tienne, il se rétablit, il affrète une galère et part en Espagne voir comment Jules matte les matadors. Mais ils font naufrage contre des récifs, les galériens coulent avec la galère mais on s’en fout, Octave et ses copains arrivent à nager jusqu’à la rive, derrière les lignes espagnoles, ils arrivent à contourner l’ennemi et rejoindre le camp de Jules et là, Jules il est scié !
A partir de là, il a aimé Octave comme un fils (il traitait Brutus de «fils», mais par paternalisme).
Bon, sur le plan personnel, Jules s’est marié par amour à Calpurnia à l’âge de 16 ans, et ensuite c’était de la politique, et pour ce qui était du sexe, d’aucuns disent que c’était un obsédé sexuel, mais personnellement, je ne pense pas, car un obsédé sexuel va faire du sexe le centre de sa vie, et Jules a bien d’autres choses à penser. Mais c’est clair que si t’es jolie, si t’es gauloise, blonde, vierge, eh bien quand Jules arrive, tu ne restes pas sur son chemin si tu veux le rester, vierge ! Et même romaines, et esclaves, tout y passe, je dirai donc plutôt une hyper-sexualité qu’une obsession pour ça. Après, si t’es une gauloise, vierge, jeune, grosse et disgracieuse, tu peux rester regarder passer l’équipe, Jules avait quand même le sens de l’esthétique, il l’a prouvé maintes fois.
Les romains savent bien que si le type se pointe au coin de la rue, il y a certaines femmes qu’il faut cacher, mais tant que le monde entier bosse pour eux, tout va bien. Et puis… un million d’esclaves gaulois pas syndiqués, c’est pas rien, ils vont en construire des aqueducs ces gaulois, et il va y avoir plein de jolies gauloises bien obéissantes ! En gros tout va bien pour tout le monde, sauf pour les sénateurs qui récriminent, et quand Brutus se décide à rejoindre le complot ourdi par Cassius, ils croient signer la fin de Jules César ou la fin de la république (s’ils sont démasqués ils se suicident tous, et ils sont 23). ça n’a pas été facile de convaincre Brutus, mais Cassius a joué sur son prénom avec le Brutus qui avait tué Tarquin le Superbe pour instaurer la république à Rome et faire croire à Brutus qu’il était le dernier à pouvoir sauver la république en tuant César… Donc le type cogite un moment, les rumeurs du complot arrivent même jusqu’à Jules qui choisit de s’en amuser en pariant sur la date à laquelle Brutus va rejoindre l’équipe des comploteurs, et le 14 mars de l’an 44 avant J.C, le sénat vote la dictature Perpétuelle à César, un pouvoir sans limites, même les Tribuns de la plèbe sont sous sa gouverne. Les sénateurs de la plèbe étaient acquis, les aristos avaient le choix entre voter contre et passer pour un pisse froid ou se la jouer réformateur et moderniste et se dire que oui, peut-être bien qu’un empire qui regroupe de si nombreux royaumes a besoin d’une figure telle que Jules César, stable et forte, à présenter à des types comme Hérode le Grand, par exemple. Jules décide de pardonner aux comploteurs en gage de bonne volonté.
On arrive donc aux Ides de mars, le 15 mars de l’an 44 avant Jésus Christ, et c’est là qu’on voit que même Dieu a besoin de Jules César, parce que Dieu a déjà tellement favorisé César sur un plan personnel, que là il se manifeste de diverses manières. C’est le jour où le vieux a fait la prédiction qu’il allait se passer quelque chose. Si un couillon te dit qu’il va se passer quelque chose le 15 mars, tu t’en fous et tu l’oublies, mais le vieux, il a l’air écouté, ça doit être un devin ou un mage, un type comme ça qui a des éclairages de Dieu en personne et qu’on ne contredit pas trop en attendant la date, non ? Mais non, on n’est pas dans le film, il y a vraiment plein de présages et d’augures sur cette date et Jules le sait, et non seulement Jules n’en tient pas compte, mais un mois avant la date fatidique, il congédie sa garde personnelle, tous les Prétoriens, du ballet, lui il «marche à la droite de l’Eternel, son berger, RIEN ne peux lui arriver !» Il se balade tout seul à Rome, où il veut, dans sa pourpre avec ses Lauriers, les romains sont honorés de ces visites, et plus rien ne peut lui arriver, il fait confiance en sa bonne fortune «La Fortuna», et si quelqu’un ose le tuer, ce sera la guerre civile, tout le monde le sait, ce sera donc la guerre civile.
La nuit du 14 au 15 mars, sa première femme, Calpurnia, fait un songe plus vrai que nature (je vous dis que Dieu entre dans l’équation), et elle va le raconter à Jules qui est en compagnie de Brutus, texto, elle lui dit qu’elle l’a vu percé de toute parts, son sang coulant à flots, et les plus puissants sénateurs de Rome le buvaient en s’enivrant et en riant, … enfin, ça n’avait pas l’air très engageant, et Jules se dit qu’il va peut-être prendre congé de la journée. Alors Brutus lui propose une autre interprétation du songe de la bonne femme, en lui racontant que non non, justement, les plus puissants de Rome ont besoin de s’abreuver à son savoir et à ses compétences, et des conneries pareilles qui font que Jules y va quand même, au sénat, le 15 mars. Il croise même le vieux en chemin qui lui dit de faire gaffe, ils sont derrière la porte près à se jeter sur toi… Mais non, ça c’était dans le film, en réalité, son espion principal (genre le chef des services secrets américain, pas n’importe qui), il lui donne le parchemin à l’entrée du sénat et sur le parchemin il y a les noms des 23 types qui vont le tuer dans 10 minutes, l’espion essaye d’attirer son attention en lui disant que c’est important, mais Jules s’en fout et ne lit même pas le papier, ou alors il le lit par curiosité pour voir s’il y en avait un qu’il n’avait pas repéré lui-même, et il s’en fout quand-même.
Un premier sénateur s’approche de lui, lui retire la toge, Jules s’exclame : «Mais, c’est de la violence !» (oui, à l’intérieur du sénat c’était interdit), le type le blesse un peu avec son poinçon à la gorge mais Jules arrive à le blesser à l’avant-bras avec son poinçon, et ensuite les 21 suivants donnent un coup de poinçon (on aurait compté 35 plaies sur le cadavre, il y a dû avoir des nerveux dans l’équipe qui ont donné 2-3 coups), et arrivé au dernier, il a vu Brutus et aurait dit : «Toi aussi, mon fils ?», et il est mort.
Ses médecins ont déclaré que seul le deuxième coup de poinçon avait été mortel, mais le peuple était furax quand-même !
Voilà, et attention, on fait lecture du testament de Jules publiquement, et Jules adopte Octave par testament, le désigne comme successeur, lui donne son nom de César (oui, parce que la sœur de Jules avait marié un type ordinaire avec un nom ordinaire), lui lègue les trois quarts de sa fortune personnelle (et à l’époque la politique ça rapportait beaucoup), et 300 sesterces par romain.
Le 20 mars, la foule dresse un bûcher sur le Champ de Mars, près de la tombe de sa fille Julia, et l’on imagine évidemment l’effet dramatique de cette proximité. Le corps de Jules, couché sur un lit d’ivoire tendu de pourpre et d’or, est d’abord déposé dans une chapelle dorée. À sa tête, sa toge ensanglantée est exposée sur un trophée. Comme le corps reposait face vers le ciel et ne pouvait être vu, ils élèvent au-dessus de lui une effigie de cire grandeur nature, afin que la foule puisse contempler les vingt-trois (ou 35) blessures qui lui ont été sauvagement infligées au corps et au visage. Pour souligner l’ignominie de ce crime, Marc Antoine fait lire, en guise d’oraison funèbre, la liste des honneurs qui ont été dévolus à César, ainsi que le serment qu’ont prêté les sénateurs de défendre sa vie. On chante des vers parmi lesquels revenaient, pour susciter la compassion, une citation empruntée au Jugement des Armes : « Fallait-il les sauver pour qu’ils devinssent mes meurtriers ? »
Chavirée par l’habile et pathétique mise en scène, la foule en colère entasse autour du lit funèbre le bois arraché aux boutiques avoisinantes et tout ce qui lui tombe sous la main pour construire un bûcher d’apothéose. Les vétérans de ses légions y jettent leurs armes et certaines femmes les bijoux qu’elles portent. Les Juifs, qui n’oublient pas que César leur a permis de relever les murs de Jérusalem abattus par Pompée, se réunissent plusieurs nuits de suite autour de son tombeau pour le pleurer.
L’Etna entra en éruption, faisant de sa mort un bouleversement cosmique. À l’emplacement où il fut incinéré, son neveu et fils adoptif, Octave, fait ériger un temple où, encore de nos jours, des fleurs sont souvent déposées sur les restes de l'autel où le corps a été brûlé. La plaque commémorative apposée par la ville à l’intention des visiteurs emprunte à Appien son récit de l’événement : «on le ramena sur le Forum, là où se trouvait l’ancien palais des rois de Rome ; les plébéiens rassemblèrent tous les objets de bois et tous les bancs dont regorgeait le Forum, et toutes sortes d’autres choses analogues, puis par-dessus mirent les ornements très abondants de la procession, plusieurs rapportèrent encore de chez eux quantité de couronnes et de décorations militaires : ensuite ils allumèrent le bûcher et passèrent la nuit en foule auprès de lui ; c’est là qu’un premier autel fut érigé, et que maintenant se trouve le temple de César, qui, juge-t-on, mérite d’être honoré comme un dieu… »
Voilà, tout le monde traite tout le monde de brute à cause de Brutus, mais en réalité, c’est le dernier qui a tué pour une noble raison : être le dernier à pouvoir sauver la république telle que Caton, son beau-père, l’avait connu avant Jules.
Le problème de Brutus c’est qu’une république, c’est chiant. La Suisse est le prototype du pays républicain où tout se passe bien, comme à Rome sous la république, ils rançonnaient assez de monde ailleurs pour vivre bien à Rome, un peu comme la Suisse, mais on a fait plus sophistiqué pour que ça se voit moins que de réels esclaves qu’on maltraiterai chez nous, on sous-traite ce genre de trucs en Afrique et en Asie, mais c’est pareil. Ceci dit, bien vivre n’est pas suffisant, on en est réduit à se réjouir de faire combattre des vaches, et ça passe au JT...
Non, là César a offert au peuple beaucoup mieux que la république, et Jules César a désigné : Octave !
Alors là c’est aussi toute une aventure, parce qu’Octave se trouve dans les Balkans, et il reçoit la nouvelle par lettre : «Jules a été assassiné, il t’as désigné comme fils adoptif et transmis son nom et sa fortune.»
ça sent quand même la condamnation à mort cette histoire, parce qu’il n’a que ça comme info, et Jules n’avait d’ennemis que chez les puissants, pas chez les voyous de banlieue, donc les proches d’Octave lui déconseillent de se rendre à Rome, mais Octave y va avec quelques copains, accompagné de tout un tas de présages Célestes. Le 4 mai 44 avant J.C., lorsqu’Octave passe la porte de la ville, il se fait discret mais c’est le ciel qui change et la ville bruisse de la rumeur : «Octave est à Rome, mort aux Césaricides !» Laissons encore une fois la parole à Suétone pour l’occasion : «Après la mort de César, lorsque, à son retour d’Apollonie, Octave entra dans Rome, on vit tout à coup, par un ciel pur et serein, un cercle semblable à l’arc-en-ciel, entourer le disque du soleil, et la foudre frapper par intervalles le monument de Julie, fille du dictateur. »
Malgré tout ça, le secours Divin et tout, c’est à couteau tirés, Marc Antoine, grand général césarien, a fait main basse sur le trésor de Jules et argue de problèmes de testament (en réalité il a sans doute passé un pacte avec certains césaricides), et en juillet 44, on organise des jeux funéraires en l’honneur de Jules (quand-même) ! Octave est dans le coup, Marc Antoine met la main au porte monnaie, et le jour du début des jeux, une comète arrive dans le ciel, on la voit même en plein jour (attestée aussi par les Chinois pour ceux qui croient que les romains sont des abrutis). Octave a la bonne idée de se mettre en avant, et proclame (c’est un Tribun), du haut de ses 19 ans : «C’est Jules qui a été accepté parmi les Dieux !» La comète reste visible durant toute la semaine que dure les jeux et les sibylles proclament qu’Octave a fait une augure, c’est l’Auguste (le plus grand), et elles valident Jules parmi les Dieux romains, au grand dam de Cicéron qui écrira que les romains sont les seuls assez cons pour déifier une comète. Oui, Octave a prit un risque, les gens savaient quand même ce que c’était qu’une comète, mais il a parié sur le fait que le peuple allait quand même préférer croire à son histoire Divine qu’à ces pisses froids de scientifiques astronomiques, et tout le monde l’a cru, et ceux qui ne l’ont pas cru ont fait semblant de le croire. Il aurait pu dire : «Eh, vous voyez la comète là-haut ? Oui ?, eh bien c’est pas une comète, c’est Jules qui Veni Vidi Vici à l’Olympe et qui est en train d’éclater tous les dieux grecs, Zeus et compagnie, on gardera Jupiter, à moins que Jules n’éclate tout le monde et reste le SEUL dieu !»
Le peuple aurait répondu : «D’accord».
Non, j’exagère, bien sûr que non, Auguste a pu rayer de la surface de la terre les Dieu Égyptiens, c’était des divinités orientales faciles, mais ça aurait déjà coincé avec les dieux grecs, et on ne peut pas toucher à des divinités comme Apollon, Jupiter, Mars, donc là le peuple n’aurait pas été d’accord, mais de rajouter Jules en leur compagnie, ça allait presque de soi.
Il y a même Pline l’Ancien qui s’est mis à commenter : «Rome est le seul lieu de l'Univers qui ait élevé un temple à une comète, celle que le dieu Auguste jugea de si bon augure pour lui. Elle apparut lors des débuts de sa fortune, pendant les jeux qu'il célébrait en l'honneur de Vénus Genitrix, peu de temps après la mort de son père César »
Mais c’est compliqué pour Octave, les césaricides se sont nommés à de postes prestigieux, Marc-Antoine s’est nommé Empereur des Gaules à la fin de son consulat, mais il n’y est resté qu’une semaine, jusqu’à ce que le nouveau consul annule l’empereur des gaules, et ses partisans sont déclarés « ennemis publics ». Le sénat refuse à Octave l’ovation proposée par Cicéron, mais on accorde à Brutus le Triomphe et on lui confie la mission de poursuivre Marc Antoine et d'achever la guerre civile, mais bien entendu, Octave refuse de se soumettre au meurtrier de son père adoptif, et prend en outre le contrôle des armées consulaires, mais pour résumer, Octave se met en chasse et tue tout le monde, tous. Les césaricides, Marc-Antoine et son fils, Cléopâtre et ses fils, et Cicéron. Ça fait un peu raide dit comme ça, mais c’est à peu près ça. Il ne tue même pas Brutus, parce que le type a fuit dans une sorte d’épopée à la tête de quelques troupes à la recherche des «ennemis publics» (c’est pas lui, c’est Marc-Antoine), mais Marc-Antoine lève la plus grande armée d’occident, déclare Brutus ennemi de son armée, les quelques troupes de Brutus le laissent, et plus personne ne s’intéresse au type.
Il veut rejoindre Cassius qui s’est emparé de la Syrie au nom du sénat et décide de contourner les Alpes par le nord, et il se fait tuer dans le massif du Jura par un chef indigène, peut-être pour plaire à Marc-Antoine, mais peut-être même pas, juste un chef indigène qui voit passer un romain isolé avec une jolie caravane et qui se dit : «A celui-là on va lui faire la peau !», et il le sèche, lui pique la caravane et tout son bordel de romain.
Donc si Brutus s’imaginait une fin à la Caton avec le grand Auguste qui lui court derrière pour lui pardonner c’est loupé, plus personne ne lui court après, non seulement il a tué Jules pour rien, mais il meurt pour rien, tué par un obscur chef de clan jurassien... Voilà, j’espère que ça donnera à réfléchir aux démocrates qui veulent tuer des dictateurs.
Pour ceux qui aiment quelques détails, tous les césaricides se suicident ou sont liquidés en 2 ans et demi, et ensuite Octave doit organiser un deuxième Triumvirat avec Marc-Antoine et Lépide, et les négociations sont sous la protections de 42 légions, 290’000 soldats pour protéger trois types, et si ces trois-là ne s’entendent pas, c’est la guerre totale et les barbares ont gagnés. Après 2 jours et deux nuits de palabres, ils s’entendent, mais finalement, Lépide obéi, dit oui et amen à tout ce que dit Octave, tandis que ça dégénère du côté de Marc-Antoine, qui a fait des enfants à Cléopâtre. Et ça sent le vinaigre en Égypte, Cléopâtre se prend pour la Déesse Isis et ne s’habille plus qu’en conséquence, Marc Antoine va finir par donner naissance à une lignée de pharaons, il est urgent qu’Auguste règle le problème.
Il règle le problème d’une manière si radicale qu’il met carrément fin aux dieux Égyptiens, à Marc Antoine et Cléopâtre qui choisissent de se suicider parce que toutes leurs légions ont juré fidélité à Auguste, et pour les gamins qu’ils ont eus, il tue l’aîné pour faire passer l’envie aux autres de devenir pharaons, comme ça c’est réglé.
Oui, parce qu’Auguste devient Pontifex Maximus aussi, et tous les autres Césars après lui, mais lui il a dû bûcher et faire les études pour avoir le grade, et il liquide les dieux égyptiens d’un trait de plume ! Le gaillard était grand-prêtre d’Osiris avec la Myrthe, la Myrhe et tout le saint frusquin, il faisait maximum 60 pas avec moult précautions chaque jour, et là il se retrouve à galoper dans une arène provinciale pour ne pas se faire bouffer par un lion ? Il fini quand-même par se faire bouffer par le lion ! En général, quand ils ont vus assez de grand-prêtres se faire bouffer, les adeptes de ces croyances finissent par choisir d’adopter la religion officielle. Et quand plus personne ne croit en toi, t’as beau t’appeler Seth ou Osiris, eh bien tu n’existes plus, c’est ce qui a permis à la Sainte famille de passer inaperçu de ces démons que plus personne n’invoquait lors de leur fuite en Égypte pour échapper à Hérode. Donc si Auguste a lancé la persécution des croyants Égyptiens à la mort de Cléopâtre en – 30, à la naissance du Christ, avec l’efficacité d’Auguste, il n’y avait plus un seul croyant farfelu.
Donc un zeste de cruauté, du spectacle, ça reste la manière César, mais avec l’efficacité en plus car Auguste règle les problèmes en même temps, elle est pas belle, la vie ?
Bon, Auguste, tout Auguste qu’il était, a fait une sacrée bourde, parce qu’il y avait quand même le vrai fils de Jules César dans le coup, il avait une quinzaine d’année en - 30 et gouvernait déjà l’Égypte avec Cléopâtre sous le nom de Ptolémée XV Philopator Philometor Caesar (tout un programme), dit Césarion (le petit César). Auguste est un peu emmerdé aux entournures, et au lieu de le faire assassiner au détour d’une ruelle le soir, discrètement, pour faire comme tout le monde pour une fois, eh bien non, il a quand-même divinisé Jules, des temples ont été construits pour lui, et le petit, c’est quand-même un fils de dieu…, donc il décide de prendre conseil chez un philosophe stoïcien (qu’est-ce qu’un César peut bien attendre d’un philosophe?), bref, le type c’est Arius Didyme, un grec, le philosophe fait semblant de réfléchir à la question pour conclure que : «Deux Césars c’est un de trop», et Auguste l’avait bien senti, qu’un nouveau Pharaon en Égypte et lui à Rome, il y allait avoir des histoires (Remus et Romulus et tout ça, les romains connaissaient, et la descendance...), bon Auguste proclame l’histoire urbi et orbi, mais ce qu’il n’imagine pas sur le moment, c’est que de fil en aiguille, ses successeurs vont penser que 2 types qui portent le nom César, c’est un de trop. Auguste disait ça pour dire que : deux Césars «régnants» c’est un de trop, mais les descendants vont carrément prendre le truc au pied de la lettre, ça partait d’un bon sentiment chez Auguste pour garder l’unité de l’empire, et ensuite ça va dégénérer méchamment, parce que tous ses successeurs vont se transmettre la maxime, et sur ce genre de trucs ils ont été très consciencieux, à part Tibère, mais Néron a été si consciencieux qu’il a vraiment tué tout le monde, ses enfants à peine nés, hop, deux Césars ça ne va pas, et à la fin, il se dit que si 1 César vaut mieux que 2, peut-être que 0 en vaut mieux qu’un, et il se suicide l’enfoiré !??
Bon, il connaissait les chrétiens qui proclamaient la résurrection de leur Jésus, alors Néron est aussi ressuscité, mais puisque Jésus avait compliqué l’unicité de dieu en inventant la trinité, eh bien Néron ressuscitera trois fois, pour faire bonne mesure ! Et c’était pas des résurrections discrètes dans le cénacle ou au bord d’un lac avec 5 poissons ou des choses comme ça. Non, lui il apparaît en public à la mode César dans ses beaux habits de scène, proclame son nom, lève une armée, et fait trembler tout l’empire qui envoie des troupes. Mais voilà, c’était le dernier, il fallait bien qu’il se passe quelque chose de plus qu’un suicide.
Je ne sais pas si quelqu’un va lire ces histoires, mais pour comprendre des gens comme ça, un type comme moi entre dans leur tête, tout Césars qu’ils étaient, et c’est rude parce que c’était une sacrée bande de tarés, même si très organisés. Jules, lui c’est carrément un dieu, normal, qui gravite par là haut avec Vénus, et tout à coup il ne sait pas comment, mais il naît sur la terre dans la peau d’un homme. Déjà il se sent à l’étroit, mais puisqu’il y est, il se dit que les trucs des hommes c’est chiant, alors il va faire des trucs de dieux, et le peuple accroche ? C’est ok pour le peuple, lui il avance dans la vie et tout à coup, c’est la marche de toute l’humanité qui lui colle aux baquettes (pas facile d’être un dieu). Sans Jules César c’est peut-être l’empereur du Mali qui nous aurait colonisé, on aurait bonne mine. Bon, arrive un moment où il est tellement tout puissant que ça en devient chiant pour lui-même. Il lui faut un Pompée qu’il aime détester, et un Caton en guise de poil à gratter, Brutus c’est un gamin, plus personne ne fait le poids, il fait savoir qu’il aimerait mourir de façon surprenante, Suétone prend note (décidément), il a 56 ans et il en a marre de jouer à dieu, il congédie sa garde personnelle parce qu’il EST dieu. Non, parce qu’il voit bien que pour en arriver là, il a dû donner au peuple exactement ce que le peuple voulait, et lui-même a fait appel à ses plus bas instincts : La violence, le sang, la mort, le spectacle, le pognon, le sexe, il leur a tout donné, comme un dieu, mais même s’il est tout puissant, il ne peut plus étendre d’avantage l’empire sans infrastructures, et il faut attendre qu’ils les construisent, plus personne ne se rebelle, il n’y a même plus une bataille à livrer, les routes sont en cour de construction et plus loin c’est les Parthes, des difficiles…
Donc il s’emmerde, il ne se voit pas mourir de vieillesse, les Ides de mars et tout ça…, on verra bien, et arrive ce qui arrive, il meurt de façon surprenante, comme prévu ça provoque la guerre civile, mais les romains organisent des jeux pour lui, et Jules retourne d’où il est venu, chez les dieux, point final.
Sacré destin. Mais ensuite il y a toute une race de successeurs, tous plus difficiles les uns que les autres, c’est pour cela que je ne vais pas pouvoir écrire, parce que pour écrire ça, je dois beaucoup lire, en lisant je dois faire une synthèse, je comprends comment le type se hisse et qu’il n’est pas question de l’échanger pour 20 misérables pièces d’or à 20 ans déjà, et ensuite en 36 ans de carrière il fait ce qu’il y a a faire, sauf pour Pompée et Caton où il laisse du boulot pour Octave qui deviendra Auguste, car il a terminé le boulot : Tuer tout le monde, le fils de Pompée compris ! Et Sextus Pompée ce n’est pas n’importe qui, il tient la Sicile, la Sardaigne et la Corse, et il a la plus grande flotte de l’empire, et il organise un blocus maritime de l’Italie, tout le monde va crever de faim, il faut qu’Auguste intervienne partout pour tuer tout le monde et rétablir l’ordre. Bon, les césaricides se suicident en général, comme la fille de Caton et la femme de Brutus qui avale des charbons ardent, eh oui ça brûle, mais quand t’aurai pu empêcher la mort de dieu, c’est difficile de survivre...
J’ai passé un peu vite sur les premières années d’Auguste, mais Caesar divi filius, avec ce titre, il insiste sur les liens familiaux qui l'unissent au dictateur déifié Jules César. Le mot Caesar qui a été jusqu'à présent utilisé comme prénom par les membres de la Gens Iullia change de nature et devient un nom dynastique utilisé par la nouvelle famille que va fonder Auguste. Ici, il y a une stratégie politique à jouer, car avant qu’Auguste ne soit l’Auguste et qu’il s’appelait Octave, il était marié à Scribonia qui lui avait fait un enfant, et qui était enceinte de son second fils de sang. Mais il voit déjà grand, car il va joindre la Gens Claudi à la Gens Iulli pour former cette nouvelle famille, et pour cela, il épouse Livia, qui a tout le sang qu’il faut pour être reine, ou plutôt «impératrice», reine c’est interdit à Rome. Mais la bonne femme de haute dynastie a lourd à se faire pardonner, parce qu’elle à marié un Tiberius, qui a soutenu d’abord Jules, et ensuite Marc-Antoine (donc elle est partie avec lui en Egypte), et ensuite Sextus Pompée (donc elle est partie avec lui en Sicile), et en – 39, Auguste prend la main, accorde quelques grâces, et elle rentre à Rome avec son crétin de Tibérius de mari et son fiston, Tibère. Ici, Auguste va avoir besoin du Pontifex Maximus et tutti cuanti pour :
1) Virer sa femme Scribonia dès qu’elle aura accouché de son fils
2) Virer Tiberius le mari de Livia avec divorce estampillé par les autorités religieuses.
3) Divorcer de sa femme pour marier Livia (elle aussi enceinte) dès que l’autre aura accouché, un divorce-mariage estampillé aussi par les autorités religieuses.
Et il fait bien, parce qu’à partir de là, il ne fera plus rien sans Livia (discussion avant de consulter son propre conseil, correspondance matrimoniale mais politique…), et Livia est devenue le modèle de l’épouse romaine, l’Imperatrice parfaite !
Mais lorsqu’il la marie, on est en – 40, il a dû mobiliser 300’000 hommes pour protéger 2 jours de palabres avec Marc-Antoine, et Livia va l’aider à devenir l’Auguste, titre qui lui est donné en – 27, définitivement, indépassable !
Et finalement, avec ce titre, il obtient tout les pouvoirs, le sénat les lui cède les uns après les autres, et Auguste renonce de plus en plus aux apparats du pouvoir, il n’en a plus besoin, ni pourpre, ni sceptre, ni Lauriers. Auguste est si grand qu’il doit se faire petit pour se mettre à la hauteur des gens. Il essaie de tout faire juste, et s’il fait une erreur de jeunesse, comme mettre son père et son fils sur une liste de proscription, et qu’ils arrivent jusqu’à lui pour lui demander d’épargner une vie, Auguste doit décider qui doit mourir, il ne peut pas laisser une décision pareille à son père et son fils, mais c’est un César et il ne peut s’empêcher de transformer ça en spectacle tout en s’imaginant magnanime puisqu’il pardonnera à l’un, le survivant aura la vie sauve et le pardon, mais ça se passe mal et dans le duel, le fils tue le père puis se suicide inopinément, et c’était des gens importants. Auguste croyait bien faire en leur laissant le choix, mais le peuple n’a pas aimé, l’a traité de cruel, ça l’a affecté, et il a toujours tiré les leçons de ses erreurs, c’est pour cela qu’il est en fin de compte réellement devenu l’Auguste, pas pour des choses comme il l’a dit avant de mourir : «On m’a légué une Rome de briques, je laisse une Rome de marbre.»
En -23, Auguste aurait aussi dû mourir, selon les chirurgiens, selon les médecins, selon les mages, les astrologues et les druides, et selon l’évangile selon saint Jules. Ils ont même été chercher la vieille excentrique, et elle a prédit qu’il était séché, et quand la vieille excentrique dit, plus un toubib ne tousse, les dés sont jetés, le sors en est scellé, Auguste désigne Agrippa comme successeur en attendant qu’un de valable de sa famille se manifeste et basta. La dernière chose qu’on peut faire, c’est aller chercher le curé pour lui donner l’extrême onction. Mais Dieu le guéri miraculeusement, et pour le coup, on en est sûr, parce que sur le cas d’Auguste, tout le monde s’est penché (plus de monde que le tribunal du bureau des miracles de Lourdes), et même s’il tue beaucoup de monde, Dieu a besoin de lui, et au fond c’est un brave type, parce qu’il instaure la Pax Romana ! A partir de là, il garanti la paix et rend illicite toute guerre dans l’empire, donc c’est l’ONU mais en beaucoup plus efficace, genre l’ONU qui dit à Israël : «T’attaques pas Gaza !» Israël rouspète : «Oui mais les bébés, les femmes, les otages, toussa !», l’ONU : «On s’en fout, tu le mérites et il faut bien que ces cons à gaza se défoulent de temps en temps, c’est le jeu !» Hérode le Grand : «Ah bon, ben tu sais quoi ?, je vais quand-même envoyer mes troupes !» Auguste : «T’as que des gardes du temple et de palais, des eunuques et des grecs, j’occupe ton royaume avec mes légions, fais pas chier sinon on défonce tout. Bon, je raccroche ils se sont encore planté avec le recensement Égyptien, je vais ordonner un recensement pour toute la terre, oui aussi en Israël et à Gaza, donc tu fais ce que je te dis ou je mets un autre roi plus juif que toi à ta place ?» Israël : «Non c’est bon, Ok boss, désolé d’avoir dérangé» (oui, Hérode connaissait la méthode César, il a même construit le plus grand port de la méditerranée en son honneur : Césarée de Philippe).
En – 22 de notre ère, le sénat ne trouve rien de mieux que de convoquer Auguste pour une histoire de haute trahison, … décidément. Mais Auguste s’en fiche, il y va les mains dans les poches de sa toge, 48 légions lui ont juré fidélité contre 6 au sénat républicain, il tient la réelle puissance, et il tient la puissance populaire, parce que si les sénateurs tuent encore un César, plus un sénateur ne sort vivant du sénat. Donc il y va les mains dans les poches de sa toge, l’esprit serein. Marcello (un de ses copains général), a attaqué les Parthes ou la Thrace avec les légions d’Auguste et le sénat avait un plan de paix avec les Parthes… Auguste doit gronder Marcello, parce que ce malentendu a quand même provoqué des tas de morts, mais Marcello est mort dans la bataille…, quelle guigne ! Donc il n’y a plus de coupables, il a eu son compte, Auguste rappelle ses légions, le roi Parthe vient remettre les insignes romains tombés sur le champ de bataille et se déclare l’obligé d’Auguste qui a fait cesser la guerre, qu’il avait sûrement demandé lui-même à Marcello de faire à sa place à cause de ce plan de merde du sénat où il aurait fallut faire des concessions et négocier des détails. Mais on s’en fiche de la réalité, ce qui compte c’est la magie César, comment on peut transformer un roi ennemi en roi ami, il faut toujours un minimum de morts pour ça, mais ce n’est pas le genre de détails qui arrête un César, et l’amitié ça n’a pas de prix. Parthe est devenu un état client de Rome.
Auguste, c’est le premier empereur romain, le seul qui ne se fasse pas construire un palais, mais une villa sur le Mont Palatin, et un magnifique temple à Apollon droit à côté. Il essaie de faire un peu comme si c’était un humain, modestie pour moi et honneur à Apollon, il essaie de rester simple, mais ça le rend encore plus populaire… Parce que si Jules s’est hissé à la 69ème place de ceux qui ont le plus changé le cour de l’histoire de l’humanité, Auguste boxe tout en haut, ses concurrents directs sont des religieux : Jésus, Mahomet, Paul de Tarse, Bouddha, … Auguste !
C’est tout de même un type qui a réussi a résoudre un quadruple problème insoluble :
1) Jules est divinisé, Auguste est fils de dieu, mais devient empereur de Rome, dans une chair humaine.
2) Il peut bien faire profil bas, plus il fait profil bas, plus il devient l’Auguste, donc plus il joue a être un homme, plus le peuple le prend pour un dieu et lui, eh bien il prodigue ses bienfaits au peuple (conquêtes, gloire, pain, divertissements, etc.).
3) Le sénat…, les sénateurs savent que Jules n’était pas un Dieu, ni Auguste, mais si Auguste supprime le sénat, il devient le roi des rois, et après Tarquin, le sénat ne veut plus de rois.
4) La population sait qu’elle n’a pas le droit de demander un roi (c’est ce qui a porté tort à Jules), elle veut un César, elle comprend que les sénateurs veulent garder leurs privilèges, mais c’est tout.
Il faut donc concilier : 1 – je suis le fils d’un dieu, mais 2 - il faut que je fasse semblant d’être un homme devant le peuple qui croit que je suis dieu, 3 – il faut garder le sénat en guise de garde fou si jamais un successeur fait trop le con, 4 – il faut que les sénateurs fassent quelque chose de plus qu’avoir des privilèges sinon ils vont se faire bouffer par le peuple… … et 5, un objectif qu’il ne peut pas avouer, il veut créer un système dynastique pour que ses héritiers puissent régner en tant que César Divi Filius !
Et il arrive à tout concilier ! ...en créant le Principat ! Applause, poudre de perlinpinpin, et barbatruc.
Pour écrire comme ça, je dois imaginer beaucoup de scénarios pour comprendre telle ou telle décision, parce que c’est dans ce qu’ils font et décident qu’on peut comprendre comment ils pensent, et encore, on effleure…, mais ici, si je veux faire l’avocat du diable, je dois vraiment quasiment les justifier, m’indigner contre Sextus Pompée qui ne fait que tenir ses îles et venger son père, etc. Donc je prends parti pour César, et si c’est possible de prendre parti pour Jules, Auguste et Germanicus, ça devient difficile avec Caïus, impossible avec Claude, et très difficile avec Néron. Tibère n’a pas une goûte de sang César dans les veines, ce n’est qu’un Claudii de part Livia, un très ancien patricien, mais républicain, donc il n’a fait que des trucs normaux, il n’y a pas besoin d’un type comme moi pour dire qu’un empereur romain normal a bien administré une administration. Tibère y arrive très bien, et c’est sûrement le seul de toute l’équipe qui a régné sans faire assassiner personne. Il reste un doute à propos de l’assassinat de Germanicus César, mais je pense que Tibère n’a rien à voir là-dedans.
Auguste aurait dû nommer Germanicus, il l’avait sous la main, c’était le seul de sa famille qui restait, il avait 25 ans, c’était son petit-fils, génial stratège, et Auguste s’est fait piéger dans des protocoles et des règles qu’il avait lui-même établies. En tant que César, ça n’aurait pas dû le gêner, mais Tibère lui avait rendu tellement de services, et Auguste l’avait si maltraité, la mère de Tibère, la femme d’Auguste Livia, peut-être qu’elle l’a empoisonné à la fin, mais elle lui avait consacré 50 ans de sa vie, il voulait faire comme les gens normaux et a laissé Tibère devenir Empereur en l’adoptant sur le tard, à 70 ans, pour lui donner le nom, parce qu’il ne restait plus personne à part son petit-fils Germanicus, couvert de gloire à sa mort.
A sa mort, il ne restait d’Auguste qu’un seul héritier légitime : Agrippa Postumus, exilé.
Livia voulait que son premier fils, Drusus I règne, pas Tibère, c’était le mal-aimé de la famille. Donc je ne sais plus vraiment qui a tué qui, mais ça revient au même, Drusus I passe à la trappe en – 9, et lui il a du bon sang Claudii de sa mère Livia et il fourni du bon sang Julii en se mariant avec la femme de la plus haute vertu de la Gens Julii, Antonia la Jeune, et là, ça donnera ensuite des héritiers intéressants, comme Germanicus, petit fils d’Auguste par Antonia. Les fils d’Auguste passent aussi à la trappe. Auguste n’a pas osé sauter une génération pour nommer Germanicus, que tout le monde adorait, alors que tout le monde détestait Tibère, qui était pourtant parti en exil volontaire pour ne pas faire d’ombre aux héritiers d’Auguste. Mais l’un est mort en l’an 2 et l’autre en l’an 4, et Livia voulait finalement quand-même voir régner Tibère, puisque Drusus I était mort, et là c’est compliqué, mais en 5, Auguste rappelle Tibère de son exil pour le nommer Questeur de Rome.
Auguste était le plus grand parce qu’il a inventé un truc qui lui a survécu 250 ans, le Principat, et il devenait Princeps. Dictateur ça n’allait pas, il n’y a plus besoin de sénat avec un dictateur, roi il ne pouvait pas, mais Princeps ça sonne bien, ça veut dire «la première tête» : Le premier, ...des citoyens, on reste modeste, tout en indiquant que le Princeps a toujours raison, parce que c’est le premier... Imperator, le sénat gardait ses prérogatives, mais à la fin c’est Auguste qui décide tout. Jules avait fait plus simple, il dicte et les gens font ; Auguste a fait la même chose, mais en plus compliqué, civilisé. Il aurait dû liquider le sénat, il en avait le pouvoir, et ça aurait été pour le bien de sa descendance et des chrétiens, mais pas de l’empire romain.
Personnellement, il a souffert de nombreuses maladies tout au long de sa vie, dont une des plus douloureuses qui existe encore aujourd’hui, il a aussi été blessé à mort sur un champ de bataille, mais c’était un type super organisé, pas de temps à perdre à se raser ou se coiffer, il avait un coiffeur, un barbier qui le suivaient, et un sculpteur, le scribe, le toubib, mais pour les réjouissances, il répondait présent ! C’était quand-même un César. Lui il avait un goût particulier pour les fauves, on connaît le chiffre parce qu’il fallait les soigner, et durant son règne, Auguste a usé 10’000 fauves qu’ils faisait venir d’Afrique, et d’Asie pour les tigres. Ils ne tenaient pas de comptes des gladiateurs, mais les bons gladiateurs étaient précieux et valaient cher, les autres se faisaient manger plus vite.
Il avait l’esprit aussi un peu taquin : quand Mécène, le grand érudit et amateur d’art déclare qu’il est le meilleur ami de l’empereur, Auguste couche avec sa femme pour voir s’il va le rester (et avec les Césars il faut que ça se sache), et fait de Mécène le cocu Impérial. «C’est pas grave ?, il continue de se prétendre mon meilleur ami ? Bon, ben si ça ne change rien à notre relation amicale, je vais rappeler sa femme et continuer nos ébats, c’est vrai qu’il a du goût, finalement, le Mécène !» (enfin, vous voyez le genre, je me mets un peu dans la peau de l’individu pour décrire). Ceci dit, il y a quand-même quelque chose avec Auguste, c’est que si on peut trouver quelques erreurs politiques de jeunesse, au bout d’un moment, on a l’impression qu’il a tout prévu, qu’il a tout fait juste, partout, tout le temps, dans une espèce de gouvernance qui mélangeait administration rigoureuse sans doute grâce à Livia, et une flamboyance propre à propulser Rome dans les étoiles. Alors au bout d’un moment, Auguste est devenu inaccessible pour les sénateurs et les puissants : «Si tu veux voir Auguste, il faut passer par Livia», c’est elle qui filtre, mais Auguste fait tout pour se mettre au niveau du peuple, rester accessible, mais c’était impossible…, alors ils ont recouvert Rome de statues d’Auguste, c’est le seul type de l’antiquité dont on est sûr et certain de connaître exactement sa tête, car il a été sculpté depuis enfant jusqu’à vieux. Et s’il fronce les sourcils sur mon buste, c’est parce qu’il a eu envie d’être représenté comme ça : Sévère !..., romain ! Et aucune de ses statues ni son tombeau n’ont été profané ou saccagé par un successeur, ni même le roi Goth lors de la chute de l’empire, ni les papes, les français républicains ont détruits plus de calvaires sur l’espace public en 200 ans que les rois barbares, papes, et présidents de l’Italie ont détruit de statues d’Auguste durant 2000 ans.
En 55 ans de règne, il a dû faire face à tellement de menaces et de complots qu’il est immunisé le type, il voit venir le traître à 3 kilomètres, il ne voit même pas, il sent. Hérode le Grand a direct fait le déplacement depuis Jérusalem pour prêter allégeance quand Marc Antoine voulait l’est de l’empire. Hérode arrive, lui dit que pour lui, celui qui commande à Rome commande partout, Auguste aime la formule, la messe est dite.
Pour organiser tout ça, il faut recenser les gens, et lorsque des pro-consuls et des connards de scribes de provinces lointaines se plantent dans des recensements régionaux (Gaules ou Égypte), eh bien ça donne : «En ce temps-là parût un édit de l’empereur César Auguste ordonnant le recensement de toute la terre, chaque famille devant aller s’inscrire dans son lieu d’origine».
Auguste souffre assez pour ne pas s’emmerder avec ces conneries, alors quand le type lui dit qu’ils se sont encore planté pour les Gaules, Auguste est le seul capable de dire : «Toute la terre !» ça veut dire qu’on jette tout à la poubelle, tous les recensements précédents, et ici, il donne le lieu (toute la terre), et la méthode : aller dans son lieu d’origine (pour connaître les clans et forces en présence dans l’empire), et le problème est réglé. En ce temps-là, le problème d’Auguste est le même que celui de Dieu, parce que Dieu ne savait pas comment naître à Bethléem vu que Marie et Joseph étaient à Nazareth et n’avaient pas l’intention de bouger. Donc Auguste fait bouger tout l’empire pour que Dieu puisse naître discrètement pendant tout ce bazar et tenter de passer inaperçu avec son étoile, genre on fait ça discret. Même Hérode ne l’avait pas remarquée, l’étoile, c’est les rois mages qui lui ont dit, et le type est consciencieux aussi, il tue ses propres enfants pour éviter de se faire détrôner, donc là il ne prend pas de risques et fait massacrer tous les bébés de Bethléem. Mais sans un type comme Auguste, tous les prophètes qui avaient prédis la venue du Messie à Bethléem se seraient trompés.
Ensuite, … Tibère, c’est un grand général, il a pacifié tout ce qu’Auguste lui a demandé de pacifier, et pour ne pas décevoir, il pacifiait définitivement (avec des traités et des choses comme ça), mais il arrivait avec une douzaine de légions et prenait un pays en tenaille, les gars n’en menaient pas large. Bref, Tibère massacrait suffisamment pour montrer qui commande, arrivait avec une force suffisamment impressionnante capable de déchaîner les enfers romains, et tout le monde savait que s’ils ne respectaient pas à la lettre le traité, il revenait tout raser. Donc c’est plus sympa que la méthode César mais moins spectaculaire pour les légionnaires qui doivent mieux se tenir quand les types hissent drapeau blanc, et des choses comme ça. Tibère leur laisse une chance, et en général, quand il est passé, les rois barbares sont pacifiés définitivement (il faut attendre un successeur qui ne croit plus les histoires de grand-papa pour qu’il se mette à jouer à nouveau au mariole).
Mais en attendant, Tibère c’est le mal aimé de tout le monde, même d’Auguste qui n’arrive pas à désigner Tibère comme successeur contre l’autre exilé... Mais son père, Claudius Tibérius, c’est vraiment le type qui a tenu pour Marc-Antoine, puis Sextus Pompée (que des gens qu’Auguste a dû tuer), donc Tibère est de trop dès le début, son père biologique c’est le couillon qui s’est gouré de cheval, Auguste lui a pardonné, mais à Rome, le gars rase les murs.
Et là, il se passe toute une série d’événements, parce que Tibère se marie à Vispania sur l’ordre d’Auguste en -16 pour tenter une alliance ici, et Vispania est un pion a jouer, mais Tibère tombe sincèrement amoureux de celle-ci, oui, complètement, il lui fait un enfant, Drusus II, et il la remet enceinte une seconde fois.
Le problème, c’est qu’en -20, il n’est plus question d’alliance, et Julia, la seule fille d’Auguste, vient de perdre son mari, Agrippa. C’est un coup dur pour Auguste, parce qu’Agrippa c’était LE type sur qui il pouvait compter en toutes circonstances, y compris lui confier l’empire en attendant qu’il ait un descendant qui puisse régner. Donc Auguste ordonne à Tibère de répudier la bonne femme qu’il aime pour marier Julia, que ça donne quelque chose de valable dans la famille, et je pense que ce truc va détruire Tibère. Lui, il a grandit avec son père, le soutient de Marc Antoine jusqu’à 9 ans, et c’est Drusus I qui est né dans la Domus Augustus. Tibère, lui, est un fervent républicain, et à partir de l’adolescence, il fait chier tous les Césars dans la Domus Augustus avec ses histoires de république. Le type est déconnecté, il vit dans l’antre d’un monstre aristocratique encore jamais vu, qui se divinise de génération en génération, et il…, enfin… le sénat, la république, Palpatine, et Tibère c’est Darth Vador quand il se ramollit à la fin.
Bref, le gars n’a pas le choix, il répudie son grand amour enceinte pour marier la fille de l’Auguste, Julia, et à la nouvelle, Vispania perd le bébé, il ne reste que Drusus II. Mais Tibère marie la fille d’Auguste, une vraie harpie qu’il n’a jamais pu supporter, et là il va devoir la supporter comme femme, même après qu’elle ait tué Drusus II qu’il avait eu avec la femme qu’il aimait, et ça, ça l’a cassé. Pour ce qui est de cette Vispania, elle fait contre mauvaise fortune bon cœur en mariant un bon copain d’Auguste qui a l’avantage d’avoir du sang Julien : Caius Asinius Gallus, et il lui fait 9 gamins, mais tout le monde a déjà compris depuis – 44 que rien ne se passe à Rome sans qu’Auguste ait son mot à dire. Le problème, c’est que Caius Gallus, le copain d’Auguste n’en a plus rien à faire de la république, pour lui c’est Auguste le boss un point c’est tout, mais quand Auguste meurt, le type doit faire valoir ses titres, parce que c’est Tibère qui devient empereur, celui à qui il a piqué le grand amour et fait 9 enfants ! Alors là, Tibère veut faire un truc de César, mais en bon républicain qu’il est, il lui faut l’autorisation du sénat pour tuer légalement le type, et le Gallus il lui a quand même chié dans les bottes durant tout le règne d’Auguste, il a été consul et tout. Mais si on croit qu’après Auguste c’est fini pour Gallus, on se trompe, le père du type est un de ceux qui assurait la quiétude de Jules quand il était en Gaules en étant consul de Rome pour lui. Bref, après Auguste, même si Tibère devient tout puissant, eh bien le type bénéficie de l’ombre d’Auguste et de Jules à travers les générations et le peuple, et il faut 15 ans à Tibère pour trouver un prétexte (adultère avec Agrippine l’Aînée), pour que le sénat vote Gallus « ennemi public », il est tenu dans un confinement solitaire, son nom est effacé de tous les monuments publics (damnatio memoriae) ! Gallus meurt de faim en l'an 33 après trois ans de détention, en même temps que le Christ, c’est la figure christique des Césars, et pour retrouver trace de ses 9 fils, il faut plutôt aller les chercher en des terres d’exil qu’à Rome… Ceci dit, en l’an 37, le nom de Gallus est ré-écrit sur tous les monuments publics, il se fait dé-damnationner, et tout est restauré en ordre à la mort de Tibère, il n’aura finalement été damné que 4 ans,... OUFFF !
Bref, Tibère est un sentimental dans un jeu politique très dangereux instauré par Jules, et ce n’est pas «si tu perds ta place tu perds ta place» , c’est «si tu perds ta place t’es mort.» Et si, au milieu de tous ces types, on rajoute des femmes comme Agrippine l’Aînée (ou la jeune), Julia (elle complote quand-même pour tuer Auguste et il doit la faire exiler), Livia, la mère de Tibère qui fait au moins assassiner un César pour faire place nette.
Auguste aimait passionnément Drusus I, il était d’une moralité et d’une rectitude morale admirable pour Auguste, car il a marié Antonia Minor, fille de la sœur d’Auguste, donc même si en réalité Drusus I n’a pas de sang César, Auguste rattrape le coup en prévision des successeurs. Parce que Drusus n’a jamais régné, mais il gagnera le surnom de Germanicus en écrasant les Germains, et il le donnera comme prénom à l’un de ses fils, dont le sang aura à nouveau été passé par le filtre César, et il donnera une succession au reste des vrais Césars, car ceux d’Auguste meurent tous. Lorsque Drusus meurt en 9 avant Jésus-Christ, c’est Auguste qui prononce son éloge funèbre, il a été d’une correction parfaite envers son épouse, lui étant fidèle et dévoué, et elle a été pareille pour lui, ce qui est assez rare dans la Rome aristocratique antique, il faut le noter, et c’est peut-être pour cela que Dieu lui évite de se faire tuer par l’un de ses gamins, parce qu’à partir de l’an 1, ça devient très à la mode chez les Césars, mais Drusus, grand général, est mort d’une chute de cheval en l’an - 9, et a il a préférer agoniser durant un mois sur place plutôt que de rentrer à Rome, c’est étonnant.
Lucius et Caius César meurent inopinément, et vous voulez que je vous dise ? Dans une famille pareille, Harry Windsor n’aurait aucune chance de régner, il serait mort avant. Sur ce coup, on soupçonne Livia, Auguste ne fait plus confiance en personne, il est malade, il a des goûteurs pour tout, sauf pour les figues qu’il ramasse direct sur l’arbre devant la maison.
Donc Livia empoisonne toutes les figues de l’arbre et vive Tibère…, sans grand enthousiasme, genre un pape de transition, il a 57 ans, c’est un métier usant, on espère quelqu’un de plus coloré bientôt, et il y en a un qui a tout ce qu’il faut, c’est Germanicus, le fils de Drusus qui est devenu une vedette à Rome, du coup Tibère va bouder sur son île jusqu’à sa mort, il avait une devise : «Qu’ils me haïssent (en parlant du peuple de Rome), pourvu qu’ils me craignent.»
Germanicus (le fils de Drusus qui avait gagné ce «surnom») était très doué, je parle de lui car c’était le dernier vrai César qui avait encore quelque chose à prouver en étendant encore l’empire par exemple, et parce qu’il est encore cité 250 ans plus tard et comparé à Alexandre le Grand en terme de conquêtes. Julius Augustus Ceasar Germanicus, quand Auguste meurt il a 25 ans, et à son âge, avec 50 ans d’espérance de vie et s’il avait été empereur, un type comme ça aurait conquis la terre entière jusqu’à ses limites. Pour aller au-delà, il aurait été ennuyé car avant les inventions scientifiques il aurait été difficile pour lui de conquérir les Lunaere et les Martiales, parce que Germanicus ne se serait pas divinisé de son vivant, et seul un dieu peut se lancer à la conquête de l’espace en ce temps-là, donc le fils de Germanicus, Caius, aurait pu le faire facilement.
Mais Tibère devient empereur, et son premier acte est un truc d’intello, tout de suite : D’un côté il divinise Auguste, et de l’autre, il grave dans le marbre qu’aucun empereur ne puisse se déifier de son vivant.
Tout de suite, ça devient austère, non ? Un truc compliqué à clauses qui veut empêcher l’advenue d’un dieu vivant… Ça casse un peu l’ambiance, et Tibère gèle les frontières de l’empire… Un type normal finalement, un empire lui suffit, entouré d’états clients ou vassaux…, Germanicus part en Allemagne botter le cul des Germains qui avaient massacrés 4 légions à l’époque de son père, il rase tout, met au pas les dernières régions qui parlent de fédéralisme, de revendications ou de trucs compliqués, il revient à Rome et OUFFFF, le peuple peut enfin respirer et a droit à son Triomphe. Germanicus remet un peu d’ambiance à Rome et le peuple l’adore, veut le faire empereur, Tibère est jaloux, il continue de bouder, et fini par envoyer Germanicus pacifier une région asiatique vers la Syrie, on s’en fiche pourvu qu’on s’en débarrasse gentimment. mais Germanicus se fait empoisonner à 29 ans par un couple qui se suicide avant le procès, et là Tibère n’a que 61 ans mais il sait qu’il est cuit. Les légions ramènent la dépouille de Germanicus à Rome, tout est fait à la mode César, avec une énorme mise en scène populaire, des délires exaltés, parce que mine de rien, après la mort des deux fils d’Auguste, Germanicus représentait l’Espoir, et Tibère n’ose même pas assister au cortège, l’empereur risque réellement de se faire lyncher par la foule, qu’il ait donné l’ordre de l’empoisonnement de Germanicus ou pas c’est égal, les romains ont décidés que c’était Tibère le coupable, et il finira les 12 dernières années de son Principat exilé volontaire sur l’île de Capri.
Et pendant ce temps-là, les romains murmuraient, non, c’était pire que ça, ils imaginaient et croyaient en l’histoire qu’ils imaginaient, quand le Princeps est invisible, pour le dégommer, on lui hurle de partir. Des cruautés innommables, non mais je veux dire, des trucs qu’on ne peut même pas imaginer, eh bien les romains l’imaginent, le colportent, et le croient, ça donne à Rome des versets satiriques très populaires sur la cruauté de Tibère, il se murmure :
« Je serai bref : écoute. Inhumain sanguinaire,
Tu ne peux qu'inspirer de l'horreur à ta mère. »
« De ton règne, César, Saturne n'est pas fier :
Par toi son siècle d'or sera toujours de fer. »
« Quoi ! sans payer le cens (vraiment ! c'est fort commode),
Tu te crois chevalier, pauvre exilé de Rhodes ? »
— Suétone (trad. Nisard, 1855)
Sur les nombreux faits de sang pour lesquels on suspecte la participation de Tibère, les romains n’oublient pas de lui rappeler qui a gagné, le beau-père de Jules, le Mélanchon des plébéiens, Marius, à travers Jules :
« Il veut du sang ; le vin lui devient insipide.
Comme de vin jadis, de sang il est avide. »
« Vois le cruel Sylla de meurtres s'enivrant,
Vois de ses ennemis Marius triomphant,
Vois Antoine excitant des guerres intestines,
Et de sa main sanglante entassant des ruines,
Quiconque de l'exil passe au suprême rang,
Ne fonde son pouvoir que dans des flots de sang. »
— Tibère, 59 (trad. Désiré Nisard, 1855)
Suétone fournit également un portrait physique de Tibère, qui est similaire à celui de Tacite, mais plus ample et plus détaillé :
« Tibère était gros, robuste et d'une taille au-dessus de l'ordinaire. Large des épaules et de la poitrine, il avait, de la tête aux pieds, tous les membres bien proportionnés. Sa main gauche était plus agile et plus forte que la droite. Les articulations en étaient si solides, qu'il perçait du doigt une pomme récemment cueillie, et que d'une chiquenaude il blessait à la tête un enfant et même un adulte. Il avait le teint blanc, les cheveux un peu longs derrière la tête et tombant sur le cou ; ce qui était chez lui un usage de famille. Sa figure était belle, mais souvent parsemée de boutons. Ses yeux étaient très grands, et, chose étonnante, il voyait dans la nuit et dans les ténèbres, mais seulement lorsqu'ils s'ouvraient après le sommeil et pour peu de temps ; ensuite sa vue s'obscurcissait. Il marchait, le cou raide et penché, la mine sévère, habituellement silencieux. […] Tibère jouit d'une santé inaltérable pendant presque tout le temps de son règne, quoique, depuis l'âge de trente ans, il la gouvernât à son gré, sans recourir aux remèdes ni aux avis d'aucun médecin. »
Ah oui, un empereur comme celui-là, exilé de Rome et détesté du peuple, les sénateurs aimaient bien, ils pouvaient venir lui demander des conseils ou des directives et donner des nouvelles, mais Tibère, tout général qu’il était, a vu de l’intérieur le cirque des Césars, de sa mère, les meurtres et les trahisons, Auguste faire exiler sa première femme et tuer tous ceux qui ont participé au complot pour le remplacer, il apprend que c’est Julia sa propre femme qui a tué son fils Drusus II qu’il avait eu avec Vispania, et il n’en peut plus. Il fait quand même une grosse erreur, c’est qu’il nomme un type à Rome en qui il a toute confiance et en qui il donne d’immenses pouvoirs, Séjan, préfet du prétoire, mais il abuse de la confiance de l’empereur, exile des sénateurs et ses ennemis politiques, les enfants de Germanicus sont encore trop jeunes pour interférer, mais quand il commence à assassiner des Césars pour devenir César lui-même, Tibère s’en aperçoit et c’est vraiment le moment parce qu’il ne reste plus grand monde. Séjan est destitué et tué et Tibère en nomme un nouveau, Macron, un bon copain du jeune Caius qui vient le voir depuis l’an 30 sur son île, un brave petit qui se soucie encore un peu de moi. Caius est surtout le dernier César pur sang à pouvoir régner, sinon on passe du côté du dernier fils vivant de Tibère, et là ça n’aura plus rien à voir ni avec la descendance, ni avec le sang de Jules ou d’Auguste.
Mais Tibère est malade, il s’enfuit dans une sorte de réclusion, il fait construire 12 maisons autour de sa villa de Capri, et il se rend tantôt dans l’une, tantôt dans l’autre. Une rumeur court disant que Tibère s’y rend pour satisfaire les 12 vices qu’il ne peut plus assouvir, regarder des esclaves qui le font pour lui, compte tenu de son état de santé qui se dégradait depuis la fin des années 20. La bienheureuse Anne-Catherine Emerich voit sainte Véronique se présenter devant Tibère sur son île à Capri, et elle décrit Tibère malade comme dans un lit avec des cordes pour ouvrir les volets des fenêtres (je me demandais pourquoi un empereur n’avait pas d’esclaves pour lui ouvrir les volets), et Sainte Véronique déploie le linceul de la face du Christ, Tibère est guéri miraculeusement, comme Auguste en -23. Tibère lui propose alors de vivre à Rome mais Sainte Véronique veut mourir où le Christ a vécu et repart. A mon avis, Tibère a même fini à moitié chrétien. On voit ça dans une inflexion sur un document politique où il change les actes en disant de protéger les chrétiens, mais de continuer à persécuter les juifs, parce que Tibère a toujours détesté les juifs, je vous avais dis que c’était un type normal, antisémite. En 36, 3 ans après la mort du Christ et un an avant sa propre mort, Tibère exile Ponce Pilate sur l’île de Patmos à cause du procès de Jésus.
Ici, je ne sais pas ce qui se passe entre 36 et 37, la seule chose que l’on sait, c’est que Caius et ensuite Macron venaient voir Tibère régulièrement, Caius depuis qu’il a 15 ans, à la mort de son père Germanicus (lorsqu’il avait 29 ans). Et le petit, il a l’avantage d’avoir du sang pur jus César, parce qu’il l’a déjà par son père Germanicus, petit-fils d’Auguste, mais aussi par sa mère, Agrippine l’Ainée, petite-fille d’Auguste, et aussi du sang de Jules pour faire bonne mesure, son nom résume ses ancêtres : Caïus Julius Augustus Germanicus César, c’est pas un programme, c’est lui.
Donc Tibère doit se dire que le petit est sympa de venir prendre des nouvelles du vieil empereur, et Caius a de l’esprit, il est drôle, c’est un poète de génie, il est si attendrissant que Tibère fini par l’adopter. Mauvaise idée, parce qu’à partir de ce moment, Caius se demande pourquoi le vieux débris ne se décide pas enfin à mourir ?, arrière grand-papa Auguste a fait 74 ans, et le vieux Tibère est toujours en vie à 77 ans, Caius voit bien qu’il a eu son lot de souffrances et décide de pratiquer une euthanasie pour l’aider à partir dans la dignité, parce qu’il faisait vraiment peine à voir le vieux mal aimé. Certains avancent que c’est le préfet Macron qui aurait étouffé Tibère, mais on s’en fout, Caius et Macron sont devenu copains et ils étaient d’accord, et c’était le moment, parce que les romains en on marre et c’est quasiment eux qui lui disent que maintenant, Capri c’est fini, et c’est fini, étouffé, avec un coussin de soie du Pakistan supérieur, rouge, surpiqûres bleues et moletons aux 4 coins, propre, sans pleurs ni grincements de dents.
Bref, Tibère est un type tellement normal qu’il s’est même soucié du budget de l’état et n’a pas laissé de dettes, mais un excédent de milliers de milliards de deniers ou de sesterstes peu importe, faut quand-même en faire quelque chose de sympa, non ?
Et c’est là qu’on voit que Caius est comme le bout de l’entonnoir du sang des Césars, c’est un génie, le type conquière la Bretagne que tout le monde s’était cassé les dents dessus avec 3 bataillons, style des éclaireurs...
Comme c’est un artiste, il va savoir quoi en faire de tout cet argent parce que c’est un imaginatif, et sur les 9 enfants de Germanicus, seule Agripine la jeune dépassera les 30 ans, tandis que les mâles sont tués plus tôt, et dernier en lice des 4ème Hunger Games, c’est lui, Caïus !, il ne reste plus que lui, il a tué tous les autres et a étouffé Tibère. Mais avec le système d’adoption romain on pouvait aussi court-circuiter le sang, c’est ainsi qu’un Tibère a pu succéder à un Auguste, faute de remplaçants. Caïus va réussir un tour de passe-passe de dieu. Par disposition testamentaire, le vieux Tibère a désigné son fils Gemellus pour lui succéder, … un républicain, non mais il se prend pour qui ?, et Gemellus n’a que 9 ans. Donc en attendant que Gemellus ait l’âge d’entrer au sénat, Caïus César qui en a 25 se propose de l’adopter, et de gérer un peu l’empire en attendant. Bon, le petit, qui n’était pourtant pas de constitution chétive, tombe subitement malade et meurt sans tarder, et Caïus devient empereur en 37, radie cette connerie d’interdiction de dieu vivant, et il se divinise direct, et ensuite il divinise sa sœur Drussilia en 38 quand elle est morte, c’était sa favorite d’entre les 3, parce que Caïus essaye quand-même d’avoir un héritier pur race, sans interférence humaine, parce qu’avec lui, les dieux ne se mélangent plus trop au niveau des successions.
Bon, alors oui, tout le monde veut savoir de qui je parle, enfin, tout ceux qui lisent, mais Caius, a reçu son surnom parce qu’il suivait son père Germanicus sur tous les champs de bataille depuis l’âge de 2 ans, et il portait des cagules, ces sandales romaines avec des lanières jusqu’aux mollets, et comme il grandissait, il fallait lui en confectionner souvent des plus grandes, et les légionnaires l’appelaient Caligula (petite sandale), surnom qu’il a toujours détesté, alors je vais l’appeler Caius, comme Jules.
Macron est un con. Le type a les pleins pouvoirs, il a peut-être même tué Tibère pour Caïus, mais il croit que ça lui donne des droits de familiarité avec dieu ? Non, il ne faut tout de même pas déconner, donc Caius ordonne à Macron de se suicider, ce qu’il fait sans tarder et c’est réglé. Mais Caïus tombe malade et il croit que son beau-père, Marcus Silenius a essayé de l’empoisonner, il n’en est pas certain (enfin quoique, c’est un dieu, donc il doit en savoir des choses), ceci dit, par acquis de conscience, il lui ordonne aussi de se suicider en se tranchant la gorge, et c’est chose faite. Il n’a même plus besoin de tuer, parce que si Caius t’ordonne de te suicider, eh bien à mon avis, avec un imaginatif comme ça, il vaut mieux le faire toi-même, parce que si tu fais ta forte tête et que tu refuses et que tu commences à te justifier en essayant de faire sauter un fusible à ta place (genre un sénateur ou autre bouc émissaire commode), eh bien salut ! Non non, avec Caius t’as intérêt de le faire toi-même.
Par rapport à ses prédécesseurs, Caïus détonne surtout par ses excentricités vestimentaires. Sa collection de chaussures fait fi des convenances. Il s’habille de soie légère, tels les monarques orientaux. De temps en temps, il porte même le foudre de Jupiter ou le trident de Neptune, et va jusqu’à arborer la cuirasse d’Alexandre le Grand, qu’il a fait prélever de son tombeau. Il est convaincu d’être supérieur au reste du genre humain, et c’est le cas.
Mais le peuple romain se fiche de ça, il en avait royalement marre de l’austérité et des trucs normaux de Tibère, alors Caïus va leur en donner pour leur argent (les milliers de milliards économisés par Tibère), et il a parfaitement compris ce que voulaient les romains : un Dieu. Mais Caïus veut faire les choses en ordre, alors au début, il va chaque jour dans le temple de Castor et Polux pour se faire adorer par les dévots, il paye de sa personne. Il faut aussi lui construire un temple à lui, les romains ont enfin un dieu vivant, et Drussilia le remplace quand il en a marre d’être adoré, il fait même frapper des pièces de monnaie avec au revers l’effigie de Drussilia, et là les sénateurs toussent un peu. Parce que mine de rien, en faisant frapper monnaie avec l’effigie d’une femme, il installait à Rome un système dynastique de sang … royal.
Qu’il fasse ce qu’il veut de sa vie, mais une femme sur des pièces de monnaie ça allait trop loin. Mais non, ça n’allait pas trop loin.
Car ici, je demande au lecteur un temps de compréhension ou d’adaptation. Caius c’est un artiste qui connaît la politique et la guerre, de naissance. La poésie, c’est un champion, même les auteurs classiques le reconnaissent, et pour la guerre, en ayant dû coller aux basques de Germanicus le Grand, il ne connaît que trop bien. Il connaît aussi toute l’histoire de Rome et des Césars parce que quand il était petit, au lieu de regarder des vidéos youtube ou tic-toc, sa maman lui racontait des histoires, dans la tente du chef, au milieu de tous ces légionnaires. Et quand on a une famille pareille, ben on a que l’embarras du choix pour les histoires, et elles seront toutes vraies !
… pour comparer, il me faudrait un dieu qui n’est pas au courant que c’est un dieu, parce que lui, Caius, il est au courant depuis tout petit. Bref, voilà, j’en ai trouvé un, l’empereur Claude, il n’était pas au courant, il a demandé aux sénateurs et comme ils lui ont répondu que c’était lui qui voyait, pas de problème particulier pour eux, eh bien il a décidé de ne rien décider et est resté dans le flou de ce côté là. Sinon c’est du syle le dernier empereur de chine, le gamin a 5 ans, et le vieux scribe doit lui expliquer que même s’il lui ordonne de boire un truc mortel, eh bien il boira. Le gamin est étonné, parce que le vieux, il a l’air plus sage, plus intelligent, plus pieu et plus tout que lui, donc il n’est pas sûr, et il doit ordonner de boire pour voir si le type va réellement boire un truc qui va le tuer sur son ordre… ? Il demande, le vieux boit et meurt, la même chose que les types sur qui on a fait les essais, il arrête de respirer et c’est fini. C’est quand-même là qu’on voit que le vieux était peut-être plus vieux, plus sage, plus intelligent et plus pieu que le gamin, mais surtout plus con !
Donc pas de ça avec Caius, lui n’a rien besoin de vérifier du tout, tout roule comme sur du papier à musique. Son règne / pontificat / sacerdoce a commencé sur les chapeaux de roues, il avait amnistié tous les prisonniers politiques, dé-exilé tous les exilés, dé-poscritivé tous les proscris si Tibère avait eu l’idée, et remis les dettes et les péchés de tout le monde, organisé des distributions d’argent public, après 6 mois de règne, on l’appelait «Le Magnanime», c’est dire si Jésus avait de la concurrence.
Ensuite, il y a toute cette histoire avec Invictus son cheval pour lequel il a fait construire un palais, des écuries en marbre et des mangeoires en ivoire et pierres précieuses avec des étoffes, et les sénateurs qui étaient invité par le cheval, parce que Caius l’avait nommé président de l’ordre Equestre avec 12 chevaux pour le conseiller, mais il fallait au moins ça pour le nommer consul, qui couronne d’habitude une carrière de sénateur.
Mais ça c’était juste un délire pour dire que les sénateurs ne valaient pas plus que la parole d’un cheval, parce qu’ici, à ce moment de l’histoire, il y a comme un point de bascule. Pour avoir connu autre chose que les Césars dans la vie, en l’an 37, lorsque Caius devient empereur, il faut avoir 120 ans, donc personne n’a connu autre chose que les Césars, et ils sont tous divinisés, à part ce républicain de Tibère qui de toutes façons, ne voulait pas l’être. Donc le type se doute qu’il n’est pas Dieu, mais il croit quand même qu’il vaut plus que tous les autres, et à partir du moment où il dit au peuple : «On va gagner du temps : au lieu d’attendre que je meure, je deviens dieu tout de suite, ça va pour vous ?»
Et le peuple dit : «On tope-là !»
Les sénateurs font la gueule, mais ce n’est pas nouveau, et Caius offre au peuple romain quelque chose que même Jules n’aurait pas pu imaginer car il n’en avait pas les moyens, mais Caius vide en une année le trésor public que Tibère avait mis 20 ans à économiser, et les sénateurs continuent de faire la gueule, mais Caius reprend la formule de l’austère Tibère : «Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent».
Le problème c’est que Tibère disait ça en pensant au peuple de Rome, mais Caius le dit en pensant aux sénateurs, et il leur donne toutes les raisons de le craindre, parce que le peuple, lui, l’adore !
Signe d'une tendance à la démesure, Caius fait construire un temple à la Déesse Diane, doublé d'un palais, sur les bords du lac Nemi (dont le niveau est maintenu constant par un tunnel péniblement excavé en plein roc fonctionnant comme un trop-plein de lavabo) et surtout deux navires géants, mais alors décorés à la mode César (palais, temple, statue géante sur un socle tournant). Les « navires de Caligula » mesurent plus de 70 m de long, enclavés dans un lac mesurant à peine 1500 mètres de diamètre, le truc de la Déesse Diane s’est vite transformé en lieu de détente, on dira ça comme ça...
Pour donner corps à sa propre dimension divine, Caius fait placer sa tête sur de nombreuses statues de dieux à travers tout l'Empire, et enfin, il consacre un sanctuaire à sa propre divinité, et constitue un collège sacerdotal pour célébrer sa personne. Il fait les choses en ordre.
Il y a eu un complot contre lui, impliquant sa sœur Agrippine la Jeune et quelques autres, mais finalement le gouverneur de Germanie Gaetulicus est exécuté, et remplacé par Galba. Lepidus est exécuté à son tour et les sœurs de Caius sont exilées.
En 40, Caius conquière la Bretagne facilement pour montrer qu’on s’est quand-même intéressé à l’île, on explique qui on est : dieu, et les anglais obéissent ! En réalité, il s’agit d’Adminius, un British, qui vient lui faire acte de soumission avec une faible suite, il a été chassé du trône de Grande Bretagne par son père Cynobellinus, roi des Bretons.
Caïus c’est l’ONU aussi, et personne n’a de droit de veto. Donc il annonce au sénat qu’il a conquis la Bretagne, et les types sont dubitatifs, mais en gros Adminius c’est le fils allié de Rome, un bon occidental, on va dire Volodimyr Zelensky, et le père, c’est le roi Charles en Grande Bretagne qui est plutôt pro-Poutine (ou pro-moscou, bon on s’en fout c’est pour l’exemple). Et Caius c’est Biden ? Non, Caius se contente de dire au peuple british : «Eh les Rosbiffs, salut, c’est Caius César, empereur romain, et Rome soutient Adminius, alors vous oubliez Cynobellinus et je nomme Adminius roi de Bretagne, ça va pour tout le monde ? En plus, ça reste dans la famille !» Et les british disent : «On tope là.», d’un côté, ils évitent de se prendre une raclée par plein de légions qui vont immanquablement faire plein de morts, et d’un autre côté, le roi Charles, le roi William, Volodymir ou Vladimir, franchement, pour un américain, il s’en fout, tant que tu obéis ça leur convient. Enfin, il n’y a pas encore d’américains, et Caius ce n’est pas l’ONU, l’ONU c’est les rois en dessous qui discutent, et lui il leur dit de quoi discuter, enfin bref, tout est une question de point de vue.
Donc dieu conquiert la Bretagne en plaçant un roi obligé et obéissant, c’est quand-même plus civilisé que Jules non ? Mais c’est surtout pour montrer qu’arrivé à un certain niveau ou degré de puissance, lorsque ton simple avis vaut 80 légions (à cette époque là), eh bien ceux qui écoutent l’avis y tiennent comptent lorsqu’ils décident de leurs trucs.
Ensuite il doit encore intervenir chez les Germains, mais là ça commence à bien faire, parce que c’est la 4ème génération qui doit remettre au pas les germains, donc on les éclate encore une fois. Ils avaient pénétré jusqu'en Gaule ! C'est durant ces opérations militaires que s’illustre le futur empereur Galba par sa sévérité, il contint les Germains et les troupes qu'il commandait sont celles qui sont le plus grandement félicitées et récompensées de la part de Caïus. Ensuite Galba est resté fidèle aux Césars jusqu’où il a pu, mais il ne pouvait pas plus loin.
Sur le chemin du retour vers Rome, Caius proclame un édit très hostile envers les sénateurs : "qu'il revenait, mais seulement pour ceux qui souhaitaient son retour, c'est-à-dire pour l'ordre équestre et pour le peuple, car désormais il ne serait plus ni un concitoyen, ni un prince pour les sénateurs". Après avoir refusé les honneurs du Triomphe, il préféra l’ovation, plus modeste. Il rentra dans la ville de Rome le jour de son anniversaire, le 31 août 40.
Mais bon, pour les sénateur, Caius payait aussi de sa personne, parce que mine de rien, voilà ce qu’en disent les auteurs antiques : «Quant à son visage, disgracieux, il s’efforçait de le rendre plus horrible encore, en étudiant devant son miroir tous les jeux de physionomie capables d’inspirer la terreur et l’effroi.» Bref, il se donne de la peine même pour les sénateurs, mais il déconne tout de même un peu trop pour un empereur, il y avait un juste milieu entre l’austère Tibère et lui, c’était Jules (Auguste voulait trop faire semblant d’être un homme), et lui il a poussé le bouchon trop loin.
Tout le monde était fan de lui, les sénateurs le savaient, tout le monde le voulait, et même s’il a dépensé en une année ce que Tibère avait mit 20 ans à économiser, cela n’avait aucune espèce d’importance pour un artiste comme lui.
Tu m’étonnes que c’était la débauche et que les romains étaient contents, parce que la première année, il y a déjà eu trois mois de festivités, et là les sénateurs ont déjà senti le truc leur échapper, parce que les sénateurs sont là un peu pour éduquer le peuple, pas pour leur donner ce qu’il demande. Peut-être qu’ils se sont dit qu’ils allaient attendre, au rythme où il dépensait il allait se passer quelque chose, automatiquement. Eh bien non, au contraire.
D’aucuns riches, instruits, et autre pisses froids de philosophes ou de scientifiques et de sénateurs avaient des doutes sur sa divinité, et peut-être même lui ont-ils signalé qu’un type, 5 ou 6 ans plus tôt, en Judée, se prenait pour dieu et s’était vanté d’avoir marché sur l’eau. Je ne sais pas les circonstances exactes, peut-être même que c’est Tibère qui le lui en a parlé sur son île, j’en sais rien, mais Caïus avait des services de renseignement et savait ce qui se passait dans l’empire. Donc un type qui marche sur l’eau ça l’inspire et il indique qu’il peut faire mieux !
- Le juif, en Palestine, il a marché combien de mètres ?
- ohh quelques mètres, on en sait trop rien.
- devant qui ?
- ohh quelques copains, pas plus, il n’y a pas eu d’autres témoins.
Donc Caius indique qu’il peut marcher sur la mer jusqu’à l’île qui est là-bas. Bon, ça a l’air impossible, l’île est à 5 kilomètres ! Mais comme la devise de Caïus c’est : «Le pouvoir sert à rendre possible l’impossible», eh bien il donne une date et il dit qu’à cette date il sera prêt pour marcher sur la mer jusqu’à l’île et revenir devant tous les témoins qu’ils voudront. Il prend même les paris, et à 50 ou 100 contre 1…, tu paries 1 kilo d’or qu’il ne peut pas le faire, mais ça, c’est si tu es sûr qu’il va couler, sinon il faut pas le parier, ton kilo d’or…, tandis que de son côté, s’il n’y arrive pas, il te livre une palette de 100 kilos, et il y en a plein qui tentent leur chance parce que c’est impossible pour un être humain.
A la date dite, tous les navires marchands de Méditerranée se mettent côte à côte et s’amarrent les uns aux autres, Caius les fait remplir de l’or et de choses précieuses par les types qui ont pariés contre lui, et il se balade toute la journée entre l’île et la rive en passant de bateau en bateau, un pont flottant... Ça n’a pas vraiment prouvé qu’il était un dieu, mais qu’il avait de la ressource, de la puissance, et de l’imagination. Jésus a fait ça discrètement quand seuls les apôtres ont vu mais tout le monde en parle, là tout le monde a vu et plus personne n’en parle, l’Histoire est trop injuste !
Enfin, c’était l’empereur, le Princeps, le dieu vivant de l’empire, avec quoi, une concurrence en Palestine ? Ah non, Pilate l’a fait crucifier, bon, il a fait quoi d’autre ? Multiplier les pains, pour quoi ? 5 ou 10’000 personnes… ?, je donne à bouffer gratis à 200’000 types chaque jour, il a fait quelque chose de réellement intéressant ? Comment vous dites qu’il s’appelait ? Jésus ?, il a ressuscité des morts ? Rien que ça ?
Et ça, ce n’était pas une bonne idée de lui dire, parce que malgré toutes ses observations du phénomène de la mort (surtout par décollation, on voit mieux), il n’a pas réussi, mais beaucoup se sont fait décollé juste pour voir comment il pouvait récupérer un tour pareil.
Mais à force d’imiter Dieu quand on est dieu, ça coince, parce qu’avec son histoire de bateaux…, c’est que pour gagner son pari, il y a plus de 1000 bateaux qui ont dû se mettre à la disposition de l’empereur, et il s’en est suivit une grande famine inexpliquée…, à mon avis il a donné l’ordre de balancer à la mer leurs cargaisons pour pouvoir charger les trucs qu’il a gagné avec le pari, ce n’est pas possible autrement. Donc au lieu de multiplier, il a réussi à diviser les pains jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que quelques miettes, juste pour prouver qu’il pouvait marcher sur «l’eau».
Ceci dit, les hommes n’aiment pas trop être maltraité par les dieux…, enfin, même s’ils sont bien traités, les hommes finissent aussi par les tuer. Jésus était de la même génération que Caius, il est mort en 33, Caligula est devenu empereur et divinisé en 37, ils n’avaient pas vraiment encore entendu parler de Jésus à Rome, ou alors ils avaient appris qu’il y avait eu des remous à Jérusalem avec cette histoire, mais au niveau sénateurs, CIA et commissions d’enquêtes, pas tellement aux nouvelles populaires du JT, parce que des crucifiés, il y en avait partout. Mais je pense que Caïus ne s’est jamais inquiété du concurrent puisqu’il était mort et ses disciples mal en point. Et il s’en fichait de tout les trucs que les gens trouvent importants, alors il fait à sa manière, il s’invite dans les mariages dont les sénateurs oublient de l’inviter lorsqu’ils marient leur fils ou leur fille pour honorer en premier la mariée, et ça tombe bien, parce que comme Auguste savait que tous ses successeurs ne pouvaient pas être les plus grands, les Augustes, il a inventé le Princeps, le premier, et Caius est le premier à honorer tout le monde, surtout ceux qui ne veulent pas ou qui font la gueule.
A la fin, tout le monde fini par faire plus ou moins la gueule, parce que la première année il a tout dilapidé, la deuxième il a augmenté les taxes sur les riches pour épargner le peuple, les riches ont payés, après il a sûrement dû engloutir toute la fortune des Césars parce qu’il détestait l’argent et qu’il était au-delà de ça. Un dieu ne s’occupe pas de ça, donc il fait des distributions d’argent au peuple, il s’en fout, et le Christ dit aux juifs de rendre à César ce qui appartient à César, un denier d’argent. Là ça ne va plus, si le Christ renvoie à Caius le pognon qu’il prend autant de soin à dilapider, il ne saura plus quoi en faire... Donc pour ce qui est du pognon, Jésus et Caligula sont sur la même longueur d’onde : au-delà. Mais c’est tout, l’un est né dans un palais et a pu se diviniser tout seul avec un empire et un peuple entièrement d’accord à la base, quand il est revenu de Capri annoncer que César est mort, vive César, il avait des milliers de milliards de deniers or à disposition, et un empire, et un peuple qui l’adorait avant même de connaître le son de sa voix. C’était difficile de mieux partir, pour faire dieu, non ?
L’autre c’est l’étable, la grotte, la fuite en Egypte, et toute cette affaire, et un tour de tous les bleds israéliens à pied avec 12 gens simples, à moitié illettrés, sans même un cheval, à peine un âne pour entrer à Jérusalem trois ans plus tard, quand le peuple veut le faire roi, et la crucifixion pour terminer. Difficile de faire pire pour démarrer une carrière de dieu.
On peut même comparer leur vie «publique», en terme temporel, je pense que Jésus c’est 3 ans, 3 mois, et les 3 derniers jours (passion/mort/résurrection), et Caius c’est 3 ans, 10 mois et 8 jours, donc Dieu lui donne les moyens, un peuple déjà soumis, et aimant, et plus de temps, plus de pouvoir et plus de tout, et le type arrive à se faire tuer par ses propres gardes du corps ! On sait même qui a fait le coup, le commandant Cassius Chaerea chef de la cohorte des prétoriens, qui n’en pouvait plus de son indignité pour la fonction… (oui, c’est un militaire droit et obtus qui ne saisissait pas la portée divine de la création que Caius allait faire advenir).
Pour l’argent, à partir du moment où un type comme ça dispose d’une planche à billet (ou de mines d’or ou d’un empire), il trouvera toujours les moyens que d’autres ne trouveraient pas, soit parce que ça ne se fait pas, soit parce que c’est interdit ou des considérations de cet ordre dont lui peut s’affranchir et ainsi, n’avoir jamais aucun problème de trésorerie. Et puisque les sénateurs l’emmerdent, eh bien il va les tondre jusqu’au trognon, et comme il est imaginatif et créatif, il demande : «Qui sont les plus riches commerçants de Rome ? - Les macros ! - Qui sont les plus belles femmes de Rome ? Les femmes des sénateurs !», et il fait un bordel impérial parce qu’il y a encore un peu de jus à tirer des sénateurs de cette manière, et ça va tout de suite mieux, même les macros payent un prix d’entrée exorbitant pour coucher avec les femmes des sénateurs. Mais Caïus était trop fantasque pour des militaires qui aimaient la pompe de Jules, la grandeur d’Auguste, et le prestige militaire de Tibère, là ils ont décrochés et ne comprenaient plus bien ce qui se passait, parce que pour un hippie, Ghandi ça passe, mais pour un Prétorian romain, il ne saisit pas le concept de l’œuvre.
Aujourd’hui, plus personne ne croit en Caïus, c’est dommage, parce qu’à la base, il avait un bon fond, il était encore meilleur que Néron en poésie, mais moins structuré que son père Germanicus, qui a aussi écrit des recueils, mais lui était trop artiste pour réellement gouverner, Germanicus aurait pu. Parce que Caïus au pouvoir 2 ans de plus et il engloutissait l’empire romain à lui tout seul, et on ne parlerait plus de Néron ni des lions ni des chrétiens qui seraient restés une petite secte d’israélites illuminés qui n’a pas pu essaimer dans un empire que Caligula aurait fracassé. Ce n’est qu’avec le recul de l’Histoire qu’on peut dire aujourd’hui que Caius a lui seul a concentré en lui tout l’amour du peuple pour les Césars, il a atteint l’Olympe avec le peuple qui chantait en procession derrière lui, l’année où il est devenu Princeps : Caius le Magnanime ! (...pour l’œuvre poétique que le commun des mortel ne peut pas comprendre, mais moi je peux en me mettant dans la peau du personnage, et je vois que c’est un grand incompris, pire, personne ne VEUT le comprendre, donc inutile d’expliquer).
La seule chose à avoir dans le viseur, c’est que c’est Caius qui lance la compétition des dieux. Un type comme Tibère n’était pas au niveau, mais là, en face, il y a ce Jésus-Christ qui dit à peu près tout le contraire de ce que veut, dit et fait Caius Julius Augustus Cesar Germanicus (parce que là il faut vraiment tous les mettre avec lui, c’est eux qui l’ont mis là), avec la plus grande approbation du peuple de Rome qui est parti dans la déconne avec lui, et les romains ont aimé cette vie, et ils vont continuer à l’aimer. Mais à partir de maintenant, des chrétiens avec d’autres valeurs vont s’infiltrer dans le système, et les deux systèmes ne peuvent pas coexister, celui des Césars, flamboyant, cruel, et mortel (pour beaucoup de gens mais même pour eux, … surtout pour eux), et le système des chrétiens, donc tôt ou tard, ça va coincer et c’est Caius qui lance le top départ en 37. Il a fait, vu et réalisé si grand que c’est difficile de faire mieux (à moins de s’appeler César, et là oui, il y en a encore un qui va faire mieux).
Donc là on se retrouve avec un problème, parce que les prétoriens tuent Caius, sa femme et son fils, donc le seul César qui reste, c’est Agripine la Jeune, avec du bon sang Iulli et Claudii de Jules, Auguste, Germanicus, c’est sa fille, la soeur de Caius qu’il avait foutu en exil à cause du complot. Mais personne ne va mettre une fille empereur, cependant, elle a du potentiel pour régner en tant que César, et elle régnera, quoiqu’en pense le commandant de la garde. Alors il va chercher Claudius César à Lugdunum, c’est le dernier César encore en vie, mais il a fallut aller le chercher très loin dans l’arbre généalogique pour le trouver celui-là. En réalité, ce n’est pas un descendant de Jules ou d’Auguste, attention, barbatruc, c’est le descendant d’Octavie, la sœur d’Auguste et la femme de Marc Antoine avant qu’il ne se mette avec Cléopâtre (c’est d’ailleurs ce qui a provoqué sa chute : renvoyer une bonne romaine à Rome pour une maîtresse orientale, comme le dira Auguste), donc il a du sang César, du vrai, mais mélangé à celui de Marc Antoine, et ça n’a pas dû bien se passer à l’intérieur, car la famille a décidé que compte tenu de son état mental et surtout que ça se voyait, il valait mieux le laisser à Lugdunum (Lyon), assez loin de Rome pour ne pas leur mettre la honte. Donc pendant que la famille s’entre-tuait à Rome pour succéder à Tibère, Claude se la coulait douce en France, à l’abri des regards et des complots. Et tout à coup il voit arriver le commandant de la garde, il lui dit : «Ave César, c’est toi l’empereur», il emmène Claude à Rome et il dit aux sénateurs : «C’est Claude l’empereur», et les sénateurs disent «Ok, c’est Claude l’empereur, Avé César !». L’empereur Claude, c’est François Hollande en pire, le type s’inscrit sur une liste du parti socialiste pour faire croire qu’il y a un concurrent à sa femme Ségolène Royal, et les militants votent pour lui, c’était pas prévu ! Et ensuite les français votent pour lui ?!, Le gars se retrouve président de la France et il ne sait même pas comment c’est arrivé. Donc Claude c’est ça mais en plus abrupt (parce que Hollande, il voyait quand même un peu venir qu’il était entrain de se faire piéger par les électeurs durant la campagne), Claude n’a rien vu venir.
Et mine de rien, Claude règne plutôt bien si on considère qu’il vaut mieux demander à 10 types de payer 10 % d’impôt plutôt que de tuer le plus riche pour lui spolier tous ses biens, en ce sens, Claude a administré normalement. Bon, il est entouré et est un peu bizarre, il possède la deuxième plus belle villa de cette ville vers Naples qui a coulé à 30 mètres sous l’eau (poche de méthane), la plus belle et luxueuse appartient à l’une de ses nièces. A l’époque, c’était LE lieu de détente de l’aristocratie romaine, un endroit magnifique mais de débauche, des villas toutes plus belles les unes que les autres, des péniches «festives», des termes, tout ! Donc Claude a ce côté festif et déconne, mais il a aussi un bon mélange parce que Jules et Marc-Antoine main dans la main durant 15 ans ont fait un sacré boulot, et là pareil, Claude agrandit l’empire de tous les côtés, ce qui lui vaut le nom de Britanicus. Oui, parce que le roi British de Caius n’était quand même pas si fiable que ça et Claude a quand même fini par envoyer des légions pour conquérir la Grande Bretagne. Il est débauché, mais on s’en fout, c’est des types instruits qui gèrent les affaires de l’état, Claude donne des impulsions, il a un âge rassurant, on continue avec les jeux, la bonne ambiance, il reste étonnement normal et ne se divinise pas mais refuse aux sénateurs leur requête de Damnatio ad memoriae de Caius, ça reste un dieu quoiqu’ils en disent, et Claude se contente d’être un César normal, mais un César quand même, plus que Tibère, mais pas assez pour tout faire péter.
Et là, la dernière qui peut valoir encore un peu plus que Claude en terme de sang Julien/Augustéen/Germanicéen (et rajoutons aussi Antonia l’éminente), c’est Agrippine la jeune, la sœur de Caïus, sur ses 9 enfants c’est la seule qui reste, et Claude a un fils auquel il donne le nom de Britanicus qui lui avait été octroyé comme surnom. Alors pour Agrippine c’est très difficile, parce que pour que son fils Néron règne, il va d’abord falloir séduire son cousin Claude, suffisamment pour qu’il accepte de changer la loi sur les mariages pour pouvoir la marier, puis qu’il adopte Néron, et ensuite il faut tuer Claude et le petit Britanicus pour avoir les coudées franches. Mais tout bien pesé, Claude c’est Claude, il a conquis ce que ses légions ont conquis, il s’est fait manipuler par ses femmes et a dû en faire exécuter une pour complot, et à la fin, il se résout à changer la loi pour épouser sa cousine et adopter Néron qui a du sang nettement plus pur que lui mais qui n’était pas destiné à régner, vu la tournure que prenaient les choses du côté de Claude et Octavie et Marc Antoine. Bref, ils se font tuer direct après le mariage et l’adoption, de concert avec son fils : Elle tue Claude, et Néron, 17 ans, tue le petit Britanicus de 14 ans, et c’est réglé, l’empereur est mort, vive l’empereur, et Néron est vachement content, lui le poète, l’artiste, l’acteur, il a soudainement pour public un empire, ça va être chouette, et alors là, ça va être un peu comme dans les feux d’artifices, il y a le grand final, et on y est : Imperator Nero Claudius Caesar Augustus Germanicus (le Julius a disparût dans l’équation à cause de l’adoption par Claude, mais il garde trace d’Auguste et Germanicus, et le sang est d’une grande pureté César)
Agrippine la Jeune, la sœur de Caïus règne de 54 à 59 mais pas officiellement, c’est Néron qui devrait régner, mais il est né quand Caïus venait de devenir empereur, Caius n’avait que 24 ans, et Auguste avait régné jusqu’à 74 ans, tandis que Tibère jusqu’à 77, il n’était donc pas destiné à régner, et lorsque le commandant a été chercher Claude, un parent si éloigné, le trône s’éloignait d’autant plus. Heureusement qu’Agrippine a rattrapé le coup, mais si à 17 ans, elle pouvait encore lui être d’une quelconque utilité, à 22 ans, elle lui fait de l’ombre parce qu’en réalité, il s’aperçoit qu’elle règne (et plutôt bien), donc elle fait chier et il se souvient de la consigne : Deux Césars c’est un de trop ! Bon, il tue sa mère parce que c’était la politique de la famille, il ne pouvait pas déroger à cette loi là, Augustéenne, Stoïcienne et tout ce que vous voulez, et puis comme ça, rien ne s’opposera plus à son génie.
Non, je ne sais pas, de ce que j’ai lu, Néron avait un certain talent esthétique et artistique, mais avec lui, il faut descendre dans des strates mentales très difficiles car c’était un réel malade psychique. Oui, il était capable d’écrire une poésie ou de s’intéresser à des choses de l’empire, ce n’était pas un attardé. Il bénéficiait encore d’un prestige populaire immense, petit-fils de Germanicus, même si cette histoire de matricide a été éventée et que certains romains ont fait la gueule, la plupart connaissaient le système César et l’acceptaient tel quel, tant qu’un César règne, et pas un faux, on a vu ce qui s’est passé avec Tibère, un type bien, équilibré, normal, républicain, les romains n’en voulaient pas. En lisant comme ci et comme ça, je pense que Néron souffrait, et pour cela il se vengeait sur les autres, mais c’était peut-être déjà le cas avec Caïus.
Un type comme moi, il y a certains jours où le fait d’arriver à la fin de la journée vivant, je suis déjà content, d’autres jours ça va mieux, mais les mauvais jours, franchement, si j’avais un empire, des réceptions à donner et des conneries comme ça, je pense que je pourrais faire comme Néron, faire chier tout le monde parce que j’en ai le pouvoir et le droit et que tout le monde est obligé de m’écouter. Et puis c’est tout. Suétone et l’autre là, Sénèque, franchement, des types qui se prennent tellement au sérieux, Plutarque…, déjà, pour avoir un nom comme ça il faut être prof ou quelque chose comme ça. Néron est un artiste, mais lors de certaines réceptions il exagère aussi un peu : les gens doivent se faire passer pour mort ou tomber dans le coma tant ils sont épuisés d’écouter ses déclamations de poésie et d’applaudir, il devient assez rapidement l’emmerdeur public numéro 1, et il fait tout pour...
Heureusement qu’il y a l’incendie de Rome de 64 qui ravage 14 quartiers sur 18, Néron n’a rien à voir là-dedans, il est a Antium, il ouvre ses palais pour les sans abris, il organise les secours, et le peuple est furax et cherche un coupable, et demande un coupable !
Et quand on est un César, la meilleure chose qu’on sait faire, avant même de tuer les autres, c’est de donner au peuple ce qu’il demande. L’incendie s’est déclaré dans les boutiques des écuries du cirque Maximus, il n’y a pas de responsables, là-bas c’est toujours le bordel, n’importe quelle lampe à huile aurait pu mettre le feu à la paille, mais le peuple veut un coupable, je suis un César, je suis au service du peuple, ahhh pourquoi ce peuple n’a-t-il pas une seule gorge pour que je puisse la trancher (il l’a répété assez de fois, et pas seulement dans Quo Vadis), donc en réalité, c’est le peuple qui fait chier, pas les Césars, eux n’ont fait que donner au peuple ce qu’il demandait.
Donc là un coupable, on a qui en stock ? Non, pas des ennemis politiques bordel ! Quel politicien mettrait le feu à Rome et pour en retirer quel bénéfice ??? Des chrétiens ? Ils sont assez nombreux ? Non, parce que le peuple ne veut pas UN coupable ou un responsable administratif à crucifier, il veut quand même une sorte de complot avec plein de ramifications, du sang, des lions, des combats, je ne veux pas savoir qui a renversé l’huile sur la paille, je veux un coupable crédible et organisé en association de comploteurs !
Les juifs étaient trop loin, Saint Pierre a eu la bonne idée de venir à Rome, eh bien tant pis pour lui, c’est le meneur de la bande, il faut en faire un exemple, ayez plus d’égards pour lui (plus d’égards ça veut dire plus d’imagination que les lions).
Le drame de Néron, c’est que c’était un malade psychique réel, avec de réelles capacités poétiques, de réelles capacités d’acteur (vraiment très doué d’après tout ce que j’ai lu), avec de réelles capacités d’emmerdeur, un esprit trop vif. Pendant l’incendie et après, il a développé une surcapacité d’action, une hyper-activité, il se prenait quasi pour un pompier, et s’il était bipolaire c’est normal, les événements qui apporte de l’intensité à la vie ont tendance à nous lancer dans une phase d’accélération. Ensuite il y avait tous les sdf à loger partout, et a organiser ça, et une quantité de cendres inimaginable à évacuer, et le type est capable de tout faire de front, un vrai César sur ce coup.
Le truc des chrétiens…, ça me fait penser à Notre Dame de Paris. Traumatisme national, et là c’est pire : Traumatisme Impérial. Tacite ou un autre crétin qui ne risquait plus rien par la suite a dit qu’il jouait de la lire sur le Mont Palatin pendant l’incendie, mais c’était impossible. Ceci dit, ce n’est que des commentateurs qu’aujourd’hui on prend au sérieux parce qu’ils ont un nom qui fait antique, comme Pline l’Ancien, mais si ça se trouve, à l’époque il valait ce que valait Carlos dans les grandes gueules de RTL. Donc si Notre Dame de Paris c’est un accident, et que tous les types avisés connaissent l’origine du sinistre, un endroit où il n’y a aucun chrétien (le cirque Maxime, c’était des distractions plus triviales que des cantiques), ils le disent au président de la France que c’est un accident, mais le peuple réclame vengeance et puis c’est tout, et tant qu’on ne leur aura pas désigné un coupable, eh bien ça n’ira pas. Alors le président de la France, Napoléon, il fait ce que tous les Napoléons ont fait avant lui : Il donne au peuple ce que le peuple demande, et Napoléon sait ce que veut le peuple de France, secrètement : dégommer légalement les Maures, donc au lieu de dire que c’est un accident électrique, Napoléon s’exclame : «C’est un coup des bougnoules, on va tous les éclater !», tout en gémissant : «Pourquoi ce peuple n’a pas qu’une seule gorge que je puisse la trancher». Et là, la France organise des jeux avec des lions, ils empalent tous les musulmans de France jusqu’au dernier et ils déclarent même la guerre à tous les pays musulmans en même temps, voilà, on s’en fout, le peuple a sa vengeance ! ...d’ailleurs, par acquis de conscience, 6 ans plus tard Titus rase la Palestine, ça c’est resté chez les romains, le coté militaire, mais le côté artiste s’est éteint avec Néron.
Le truc qui étonne Néron, c’est qu’il a l’habitude de tuer des gens, il fait d’ailleurs comme Hérode le Grand, le soir il allume des lampadaires, mais en guise de lampadaires, c’est des types vivants enchaînés et suspendus ainsi, enduit de poix, et allumés, et il se balade par là, ça lui donne de l’inspiration. Il a l’habitude de ceux qui crient avant de mourir, de ceux qui meurent dignement le menton haut, de ceux qui se suicident sur ordre, tout ça, mais les cantiques dans l’arène, ça je pense qu’il n’avait pas encore connu.
Bref, donc en 64 au moment de l’incendie, il n’y a pas de collisée et Néron règne encore en maître, le problème c’est qu’il est trop enthousiaste, pas pour les cantiques, mais de milles autres choses, et le type doit vraiment être en phase accélérée depuis l’incendie, parce qu’il présente beaucoup trop vite les plans de la nouvelle Rome, et c’est la seule chose qui le rend suspect.
… et coupable, puisque les rumeurs feront le reste ensuite. Trop vite, comment on peut secourir les gens, ouvrir ses palais, les accueillir, organiser et aller parfois jusqu’à assurer l’intendance, et en même temps mener un simulacre d’enquête sur les chrétiens, et en même temps faire les plans de la nouvelle Rome TOUTE ENTIÈRE ! Trop rapide. Avec une phase d’accélération où l’on a quasiment plus besoin de dormir c’est possible, tout va très vite, et si tu es pris dans tes plans et mille projets plus intéressants, j’en sais rien, tu dessines les jardins de la Villa Aurea, et un couillon de philosophe vient te dire que le peuple est mécontent et qu’il suspecte les chrétiens, eh bien, ...va pour les chrétiens, on s’en fout, tu vois bien que je suis occupé à des choses nettement plus intéressantes, crétin !
Les chrétiens pour Néron sont utiles juste pour Quo Vadis, parce que lui il s’est divinisé, et il s’en fiche complètement de leurs histoires, il est dans son délire, et il créer une Rome magnifique, mais trop rapidement.
Ceci dit, il a encore le temps de construire...la Villa Aurea est construite, c’est quelque chose d’absolument somptueux. A l’endroit de l’actuel collisée, un étang carré avec des nénuphars, plus grand que le collisée, et le reste je n’ose même pas décrire, je pense qu’à l’heure d’internet, on peut retrouver des reportages juste sur cette Villa (avec la salle à manger qui s’élève dans les airs et qui tourne...). Donc des types comme moi, on a des limites, financières d’abord, morales ensuite, mais lui n’en a aucune, c’est un mégalomane qui dispose de la plus fantastique planche à billet de l’Histoire : des tas et des tas de légions, et un empire qui, à cette époque-là, peut s’étendre encore…
Avec ça il peut piller le monde entier, mais le problème n’est pas là. Il connaît l’histoire, il sait que c’est que le sénat qui a tué Jules, et les gardes du corps de Caïus son oncle, le commandant et son équipe (ils ont été tué la même année que Caius, comme ça on est quitte), pour mettre Claude, que maman a dû tuer pour lui. Donc il se méfie des hautes strates, et il trouve un homme de confiance en un type qui s’appelle Tigellin. Avec lui, il est à l’abri des sénateurs et des gardes du corps, et des comploteurs. Il devrait se sentir menacé par les Césars, parce que tout bien pesé, les Césars ont été plus dangereux pour les Césars que les sénateurs ou les gardes du corps, mais bon, les Césars c’est comme les Higlanders, ils sont toute une équipe d’immortels, mais il ne doit en rester qu’un, il n’y a qu’un seul moyen pour les tuer, et en 150 ans de règne, ils ont payés de leur personne, ils se sont dévorés entre eux. Mais toute cette histoire qu’a initié Brutus, puis Auguste avec son Stoïcien pour se donner bonne conscience, Néron, lui, il s’en fout, parce que de tous les Higlanders, c’est lui le dernier, donc il ne peux plus rien lui arriver de mal de ce côté là.
On en arrive au drame de Néron. Les chrétiens chantent des cantiques, ils font chier, même si les lions les bouffent à la fin, le peuple est mécontent et ne croit plus que ce sont les chrétiens, ils ont même fait des contre-enquêtes, .….. mais bordel de merde le peuple fait chier !, Tigellin !, fait jeter le peuple aux lions et mets les chrétiens dans les gradins !
Voilà, donc on en arrive à la fin où Néron sait que ce ne sont pas les chrétiens, il avait fait ça juste pour faire plaisir au peuple, mais là, le peuple le suspecte de l’incendie parce que ce con de peuple romain ne comprend décidément pas ce que veut dire : - Un accident domestique a foutu le feu à Rome ! C’est quand-même pas compliqué (juillet 64, la canicule, le vent, tous les ingrédients), et là, la Villa Auréa est terminée, Néron peut enfin en profiter, elle fait le quart de la superficie de Rome (avec les jardins), il en a peut-être un peu trop fait sur ce coup, parce qu’ensuite ils ont tout détruit sauf le petit temple qui existe encore aujourd’hui je crois. Et si le peuple se retourne, ça voudra dire que tôt ou tard, les légions se retourneront, mais il s’en fiche des légions !
Parce que les Césars, au fond, ils savaient qu’ils n’étaient pas des dieux, juste des mortels, mais ils savaient aussi qu’ils valaient plus que les autres, et Néron a vraiment fait la totale, le con, il a gagné l’enfer sur la terre en 31 ans seulement, et je pense qu’il savait où il allait, car pour un César, toutes les légions peuvent bien se retourner contre soi, mais d’apprendre qu’on a été déclaré «ennemi public», pour un César, c’est trop ! Ennemi PUBLIC, pour la plèbe, les plébéiens, ceux à qui les Césars ont TOUT donné, ont déclarés César Ennemi Public.
Il y avait encore une sacrée bonne possibilité pour Néron de s’en sortir. Ce n’était pas Hitler dans son bunker, c’est Néron dans ses palais avec le pro-consul Galba qui commande des légions, qui stationne à côté de Rome et qui depuis l’épisode avec Caius en Germanie 20 ans plus tôt, a toujours soutenu le parti des césariens et de César jusqu’au bout (jusqu’où il a pu). Mais quand on s’appelle Néron César, qu’on est le descendant d’une équipe qui a changé la face du monde, qu’on est le dernier, qu’il reste une chance d’éclater tout le monde avec les légions d’un général dévoué jusqu’à la mort, ben on fait quoi ?
- On ordonne au général de se suicider !
Voilà, après moi le déluge, vous allez voir ce que vous allez voir !!!
… là, Galba a décroché et a prêté allégeance au sénat et au peuple de Rome. Néron, quant à lui, s’est retiré dans son palais de campagne, et c’est terminé, il a été déclaré ennemi public par le peuple de Rome, les dieux ne l’accepterons jamais, Jules, Auguste, Germanicus… il sera damné et il le sait, et je peux vous dire que dans sa tête, à ce moment là, c’est déchirant parce que c’est la fin de la folie, de sa folie personnelle et de la folie collective des Césars, la fin de l’expérience : Ce que peuple demande => peuple obtient (quasiment automatiquement avec cette dynastie), et il doit se suicider à contre cœur, parce qu’il s’estime très valable comme artiste, poète, acteur…, «quel poète périt avec moi», ce sont ses derniers mots. Mais, … comme la spécialité des César a toujours été d’offrir au peuple ce qu’il voulait, eh bien Néron le lui offre, le peuple veut ma mort ?
- Je m’exécute ! (au propre et au figuré).
Sa concubine prit ses cendres et les mit dans un mosaulée sous la Villa Borghèse, comme ça il n’est pas à l’étroit, parce que la villa et les jardins Borghèse font eux aussi le quart de la superficie de la ville de Rome, comme sa Villa Auréa. Son nom a été damné par le sénat, ses statues profanées, détruites, Galba s’est pointé avec ses légions et les sénateurs l’ont mis César, parce qu’après 150 ans d’AVE César, on allait pas commencer à appeler le chef autrement. Mais Néron a quand-même régné de 54 à 67, presque 14 ans de suite, taré comme il était, et Galba, normal comme il était, général et tout, quelques mois seulement et la valse des chaises musicales a recommencé.
Pour résumer, les Césars dans l’histoire de Rome, ce n’est pas grand-chose, c’est 150 ans, et le problème, c’est que les Césars sentaient trop bien le peuple, et le peuple le lui rendait bien, tandis que les sénateurs purs et durs comme Caton étaient trop austères. Les sénateurs étaient les maîtres du monde, mais c’est comme si on ne pouvait pas s’en réjouir trop fort, et les Césars ont fait péter tout ce système, ils ont dit : «Oui, on est les maîtres du monde, on a le droit de s’en réjouir, et quoiqu’il en coûte, on s’en fout, on fait payer au monde !» A partir du moment où le peuple a dit : «- On tope là !», les sénateurs étaient de trop.
Après avoir éteint ce sang César, et là c’est vraiment la lose pour des hommes qui se sont hissés à la hauteur des dieux, le Christ répand toujours Son Sang pour tous les hommes de bonne volonté à chaque messe et Il a des croyants, et les Césars n’avaient aucun concurrent malgré l’épisode Tibère, il suffisait d’avoir un peu de sang de Jules ou d’Auguste ou de Germanicus et c’était réglé, tu étais César, pour Claude ils ont même été chercher du côté de la sœur d’Auguste : «On s’en fout, il ne reste que toi avec un peu de ce sang, t’es César !», eh bien ils sont quand même arrivés à s’éteindre avec une méticulosité hallucinante.
Après eux, il y a eu la guerre civile, en 68 l’année des 4 Césars, jusqu’à ce qu’ils en trouve un qui s’organise un peu mieux, mais ça devient des empereurs normaux, antisémites : Titus règle le problème juif en rasant tout Israël en 70, vienne qui viendra… les Palestiniens !
Plus loin, il faut aller chercher jusqu’à Commode en 180 pour en trouver un aussi coloré, mais lui il se voulait guerrier et c’était le seul César qui s’est battu dans l’arène. Mais l’empereur Commode croyait sincèrement qu'il était la réincarnation d'Hercule et insistait pour que le Sénat le reconnaisse comme un être divin, en l'appelant "Hercule, fils de Zeus", les vrais Césars n’avaient pas besoin de se faire appeler autrement, il étaient divins avec leur prénom, direct, c’était des dieux qui naissaient et se tuaient l’un après l’autre, plus besoin de se référer à Vénus et à Troie ni à Zeus, des hommes-dieux ?
Il y avait un prix à payer, le prix du sang, et tout commence avec l’ambition démesurée du jeune Jules, et lorsqu’il a sa vision de la Grandeur de Rome, je pense qu’il voit aussi le prix que cela va coûter : Énormément de vies, et quand il part en Gaules, il a déjà accepté de les payer, pour son ambition personnelle. Il utilise aussi le peuple de Rome pour son ambition personnelle, et en payant un si lourd tribu, il peut donner au peuple de Rome ce qu’il lui demande en échange de tous les pouvoirs, et il le lui donne, et à la fin, il a tous les pouvoirs et le peuple l’adore comme un dieu, mais il voit le chemin qu’il a dû prendre pour en arriver là, un chemin qu’aucun digne aristocrate, même pas Pompée, n’aurait prit, et où Caton n’aurait jamais mit un orteil. Entre – 50 et – 46 il fait encore quelques guerres, mais quand Caton meurt c’est fini, il voit la populace, sa folie, il ne sait plus exactement si c’est lui qui lui a insufflé une telle soif de sang ou si c’est elle qui lui a demandé ce sang en échange du pouvoir, il est soit dans la stratosphère et il visite ses sujets en se disant qu’ils ne sont pas si mauvais, ou il médite et il se dit que peut-être la république de Caton avait raison, il aurait été plus sage de faire les choses avec modération… Il lit les comptes rendus des complots, il pardonne à tout le monde, peut-être qu’il lit même la liste de son espion, mais il se dit : «Merde, finalement, qu’ils fassent ce qu’ils veulent ces couillons !»
Pour ce qui est de l’empire, aucun suivant, sans sang César n’ira plus loin que Britanicus, Hadrien fera construire un mur en Bretagne pour se protéger au lieu d’aller les éclater jusqu’en Écosse… pas vraiment la méthode César. L’empire ne bouge quasi plus, les Chrétiens n’interfèrent pas, mais agissent plutôt comme une soupape de décompression pour les empereurs romains, soit pour contenter le peuple ou les idoles ou les prêtres, on lance une persécution, soit on calme le jeu, les chrétiens sont utiles à tout le monde, surtout à Constantin, qui ne fait pas grand-chose de plus que prendre le pouvoir comme les autres avant lui, mais aidé par les chrétiens, ce qui leur vaudra une sorte de tolérance, et à la fin de sa vie, Constantin se dit qu’ils ont peut-être raison et il se converti.
Donc voilà, l’histoire de Rome c’est deux pages de rois, une page de république, et 33 pages de Césars, familial (album photos de Jules), et 10 lignes pour le reste, c’est de l’administratif, c’est chiant.
ALORS RENDEZ-NOUS NÉRON !!! (a crié le peuple que les empereurs administratifs emmerdait), mais plus que ressusciter 3 fois il ne pouvait pas faire quand même, ce n’était qu’un dieu, faut pas exagérer non plus.
Bon, là, vous vous dites, c’est fini, les carottes sont cuites, Néron est mort et réapparût 3 fois, il ne reviendra plus.
Le problème aujourd’hui, c’est le peuple, car même si les César se sont méticuleusement éteints, puis l’empire, les chrétiens ont converti assez de monde par l’exemple et le témoignage, mais aujourd’hui, le monde n’y croit plus, et c’est fort regrettable quand on connaît Dieu. De savoir qu’on a un Dieu si bon, si aimant de ses créatures et on lui tourne le dos parce qu’on préfère le bidule ou tout un tas d'autres prétextes. Je veux dire, même si Hollywood imagine le Dieu le plus aimant et aimable possible, il n’arriverait jamais à imaginer ce Dieu là.
Mais les gens y ont cru, au Christ, pendant 1500 ans après l’empire, et puis ils n’y ont plus cru, alors le peuple est redevenu le même qu’au temps d’Auguste, superstitieux et tout, et il dispose de plus de richesses que n’en disposait les romains au temps d’Auguste, le peuple mange à sa faim, la civilisation a inventé des distractions, les narrateurs du cirque qui racontaient les grandes batailles qui se passaient au loin et qui étaient capables de noyer le cirque Maxime pour refaire la bataille navale de Marc-Antoine contre Auguste s’appellent Cyril Hanounah, et pour les grandes batailles au loin, elles sont filmées et diffusée en direct sur les smartphones, la guerre dans la poche, en sécurité, juste comme distraction, Jules en serait abasourdi !
Parce que c’est quoi d’autre qu’une distraction ? Moi qui vit en caravane, sans télévision, sans smartphone, et qui utilise internet pour la facilité que la boite e-mail offre par rapport au pigeon voyageur, je peux vous dire que pour des types comme moi, un couillon qui n’y peut rien, que la Chine envahisse Taïwan ou pas, ça m’en touche une sans bouger l’autre, sauf si le prix du gaz augmente (je chauffe au gaz ma caravane). J’avais vu ce phénomène sur le forum automobile, un vieux forum internet, une section générale, 3 mois après le début de l’offensive Russe en Ukraine, il y avait déjà 1500 pages avec 15’000 réponses d’anonymes qui croient ou font semblant de croire que leur avis sur le forum automobile va influencer de quelque manière que ce soit la guerre en Ukraine !? Même si les pro-russes arrivent à convertir tout le forum automobile et que tout le monde tombe d’accord, ça va changer à quoi à la guerre en Ukraine ?
Donc c’est de la distraction. De l’information, si vous êtes à un poste de commandement ou un sénateur, mais sinon ?
La guerre, le sang, le cul, les enfants, les cantiques, Jésus, tout est sur le smartphone, mais si au milieu de la deuxième partie des années 90, les gens se sont intéressés à internet, c’est parce qu’internet a commencé à proposer autre chose que le code civil, le code des obligations et des choses de secrétaires. Tout à coup, tout le monde s’est mit à taper au clavier comme les secrétaires, parce qu’internet a offert autre chose que des trucs de journalistes NYT et de pisses-froids de professeurs et de scientifiques : du sexe et du sang ! Les bas instincts !, bien avant Google, e-booking et autres conneries qui font perdre du temps au lieu de téléphoner à Swissair direct pour réserver la place.
Alors voilà, la mort de Néron n’a rien changé à l’empire, il a fallut encore 300 ans aux chrétiens pour convaincre un empereur romain, et encore 100 ans pour convaincre par l’exemple ceux qui restaient. Aujourd’hui, le peuple a régressé pour en revenir centré sur ce qu’il était centré du temps de Caius : Les plaisirs, les jeux, les distractions, parce que si on prend le temps d’y penser, tout ça, c’est fait, on veut quoi de plus ? un anté-christ qui nous rassure, comme Auguste : «Vous avez vu votre écran là ? Barbatruc, c’est plus votre écran, c’est votre dieu !» Et on tope-là ?
Rendez-nous Néron ! C’est ça que le peuple réclame, et si un Jules se pointe, il va le leur donner.
Moi j’y vois un autre lien plus personnel entre les César et Dieu Lui-même, il y a un lien, depuis Jules qui est si favorisé tant de fois, on se retrouve quand-même à la fin de la guerre des Gaules ou les Gaulois arrivent enfin à s’unir tous contre Jules, il se retrouve avec 400’000 barbares sur le dos, et il lui restait 40’000 légionnaires, mais c’est comme si Dieu lui donne l’astuce pour vaincre. Pareil au début avec les helvètes, les romains auraient tous dû mourir et on n’aurait jamais entendu parler de l’empire romain, juste de Rome, dans les livres d’Histoire… Mais Dieu a favorisé cette famille durant 150 ans, et ils ont pu faire tout ce qu’ils ont voulu, et malgré tout cela, … 3 ans de campagne du Fils dans une province lointaine, sans armes, sans même un cheval, et qui prie encore les César ? Encore moins que ceux qui adorent Jésus.
Caius avait réellent tout pour réussir, l’intelligence, la stratégie de combat, la politique, l’auto-divination sans que cela ne pose le moindre problème au peuple qui lui est tout acquis, et les romains avaient fait leur les devises de Sante Ferrini :
Heureux les forts, car ils posséderont la terre,
Heureux ceux qui ont le cœur dur, car ils riront des malheurs d’autrui et ne pleureront jamais,
Heureux les violents car ils seront respectés des timorés,
Heureux les injustes, car ils posséderont leurs biens et ceux des autres,
Heureux les mauvais, car ils se feront pardonner par la force,
Heureux ceux qui ont l’âme impure et malveillante, var il jouiront des turpitudes humaines,
Heureux ceux qui possèdent, car ils n’ont pas besoin de miséricorde,
Heureux les incrédules, car ils ne seront pas trompés.
Et il en est où Caius, Dieu ne va pas lui demander d’agir sur le temps de Dieu (les 150 ans des César, ça c’est le temps de Dieu), mais Caius avait 50 ans de gloire devant lui, et il a vrillé, s’est fait tuer par de vulgaires prétoriens après même pas 4 ans, et les mêmes qui ont tué celui qui se prenait pour Dieu parce qu’il avait du sang de Jules et d’Auguste, et bien les mêmes prétoriens qui ont accourus pour aller chercher le plus lointain César qui restait, car que ferait Rome sans César ? Que ferait cette petite secte d’israélite illuminés sans empire ? Caius a trop déconné, mais ce n’est pas grave, Claude, la cinquième roue du carrosse fera l’affaire en attendant qu’on reprennent les hostilité avec le dernier César pur jus en situation de régner. Et durant les 13 ans du Souverain Pontificat de Claude, les Chrétiens ont essaimé sans menace particulière. Tibère avait ordonné de les protéger, Caius ne s’en est pas intéressé, ou s’il l’a fait, ce n’était que par défi, et Claude a temporisé, parce qu’ils étaient mal en point les disciples, il leur a fallut un moment pour s’organiser, Pierre n’est pas arrivé à Rome en 37 sous Caius ! Donc Dieu donne Claude aux chrétiens pour faire face à la situation délicate pour ses apôtres en Israël d’abord, et sous Claude et Néron, Jacques le Majeur arrive à Compostelle tranquille, les Saintes Maries au sud des Gaules, tout est pacifié, tout est en ordre, saint Thomas choisit la difficulté et sort même de l’empire pour aller aux Indes et en Ceylan, Dieu leur donne un peu de temps aussi.
Et c’est les romains, le peuple, pas Néron qui a voulut leur peau, parce que ce que les chrétiens leur montraient, cet Amour étonnant, leur faisait envie, à Rome, où tout ce monde ne vivait que de petites jouissances de plus en plus insipides, alors il fallait toujours plus de sang, de sexe, et le corps social humain a d’abord vomi cette Vérité, car elle percute juste, et personne ne peux se cacher derrière de faux semblants, elle est crue et vraie.
Mais à la fin, quand les jouisseurs jouissent dans le vide car leurs jouissances devient si insipide qu’elle en devient un esclavage, le message chrétien se transforme en alternative intéressante. Mais pour cela, il faut la leur montrer cette alternative, pas les réconforter dans leur jouissance insensée.
Chronique d'écriture : L'argent, le pognon, le flouse... (9 pages word)
Avertissement avant mise en ligne : Ce texte est un peu foireux, parce qu'il part un peu dans tous les sens, mais bon, c'est sur l'argent donc c'est normal que ce soit foireux...
Je commence cette chronique par la base de la base, et d’abord de quoi on parle, d’argent, de millions, de milliards, de trilliards, mais pour s’en rendre compte, il faut visualiser, je vous donne donc les images avec, pour simplifier on va prendre la plus grande coupure en dollars, le billet de cent avec le portrait de Benjamin Franklin. En euro c’est pareil, vous pouvez imaginez avec des billets de 100 euros, tandis qu’en Suisse le volume est plus faible car on a des billets de mille, mais sinon 1 dollars = 1 euro = 1 franc Suisse (peu ou prou), donc en billets de 100, le volume est le suivant :
- 10’000 dollars/euros c’est une liasse de 100 => 1,2 cm d’épais
- 1 millions c’est 100 liasses => 1 mètre 20cm de haut (impossible à mettre dans une mallette comme dans les films, avec des billets de mille suisse c’est possible).
- 100 millions correspond au volume d’une palette d’un mètre cube.
- 1 milliards correspond à 10 palettes, soit un camion bourré de liasses de 100.
- 1 trilliards (1000 milliards). Pour visualiser ce volume, il faudrait faire un petit exercice d’imagination, empiler 3 palettes de liasses de 100 l’une sur l’autre, et recouvrir entièrement un terrain de football, c’est le volume d’un trilliards.
La dette extérieure française étant de 3000 milliards, donc 3 trilliards, il faudrait recouvrir un terrain de football de 9 mètres de billets de 100 euros. Voilà, ainsi il est facile de visualisez exactement ce que la France préfère laisser rembourser aux générations futures, dans les limites de jeu du Stade de France, 9 mètres d'épaisseur en liasses de 100 euros. ... Sauf si vous croyez comme Mélenchon que tout ceci n’est que du vent, des écritures comptables…, mais la finance ne fonctionne pas comme Mélenchon le pense. N’importe quel état peut rembourser 9 mètres de billets sur une surface de 100 mètres de long et disons 60 mètres de large, il suffit d’avoir du papier et d’imprimer si on a une banque centrale qui émet la monnaie. Des pays choisissent ainsi de dévaluer et de rembourser en monnaie de singe. Le problème en tel cas, c’est l’inflation pour les vrais gens, j’ai vu à Buenos Aires des mendiants avec des liasses de billets de 10 ou 20 centimètres d’épais, ce n’était pas suffisant pour acheter un petit pain. En réalité, il était plus économique de se moucher dans un billet de banque que dans un mouchoir, plus cher…
Si le gouvernement a une banque centrale capable de maîtriser le cours et de dévaluer, il remboursera mais ce sera comme s’il mettait ses fleurons nationaux en braderie internationale. Les pays de l’union européenne ne peuvent plus maîtriser le cours de leur monnaie car la banque centrale européenne doit contrôler une monnaie qui est en usage dans de multiples pays qui n’ont pas les mêmes intérêts, c’est très compliqués pour eux. En richesse, la Grèce ne pèse que 2 % de la création de richesses européennes, et ce petit 2 % a totalement déstabilisé la zone euro, la note de la Grèce a été dégradée, faisant grimper le taux d’intérêt de leurs emprunts à 15 %, ils n’avaient plus de quoi rembourser et ont votés pour un type qui a fait les mêmes promesses que Mélenchon. Mais finalement, l’un de leurs créanciers, la Chine, a prit le port du Pirée en guise de solde de tout compte (ils en ont besoin pour leur projet de route de la soie). Lorsqu’on n'a pas de banque centrale pour émettre et dévaluer, ce petit 2 % a déstabilisé toute la zone euro. Vu de Suisse, on a simplement vu que l’euro valait 1,6 CHF et qu’il est descendu à la parité, 1 euros = 1 CHF, avant que le président de la banque nationale Suisse intervienne.
Les chinois ont aussi prit le port de Trieste en Italie, et ils ont aussi reprit le plus grand port du Sri Lanka qu’ils avaient construit eux-mêmes sur un terrain à bail. Mais en mars 2022, lorsque le Sri Lanka a fait défaut sur les marchés internationaux et qu’ils ont mendié à l’Inde et à la Chine car ils n’avaient plus de devises internationales (dollars, euros, CHF, Yen) pour acheter simplement de l’essence ou du papier pour les écoliers (ils ont fermé les écoles à cause de ça). Donc les chinois prêtent, mais si le pays débiteur ne peux pas rembourser à l’heure, ils se servent. Mélenchon peut croire ce qu’il veut, c’est ainsi que le monde tourne actuellement.
En 2008, il s’est passé un évènement, la crise mondiale des supprimes, l’immobilier américain s’est écroulé, les banques qui avaient trempé dans ce système sont restées debout, sauf la première pour l'exemple. Pour les autres, le peuple payera. C’est ce que me dit mon cousin qui gère un fond de pension d’une valeur de plusieurs milliards : « Il n’y a pas de problèmes pour ces banques, le secret c’est la privatisation des bénéfices et la nationalisation des pertes ! »
On en arrive à une situation où on voit des états gérer leur budget moins bien qu’une ménagère. Avec des taux directeurs négatifs, les 3000 milliards de dette ne coûtent rien à la population, mais si le taux directeur grimpe de seulement 1 % au-dessus de zéro, c’est 30 milliards d’intérêts par an. A titre de comparaison, le budget de l’Otan avant la guerre d’Ukraine était de 3,2 milliards d’euros, et le budget de la défense française de 39 milliards en 2021. Dans les pays occidentaux, le budget de la défense est important, c’est lui qui détermine la puissance du pays, tandis que dans les pays à ascendance communiste, c’est plus difficile à faire le parallèle, que ce soit la Russie qui est le seul pays dont le président nomme les milliardaires (ils appellent cela oligarques, mais en réalité, c’est Poutine qui nomme ses proches à la tête des principales entreprises, ainsi tout le monde lui mange dans la main, il se créé des « obligés »), en Chine c’est un peu différent avec l’aristocratie rouge (les compagnons de route de Mao qui se croyaient intouchables), mais Xi Jimping a remis de l’ordre même dans cette aristocratie, avec des lois anticorruption sévères en 2016. On ne peut donc pas vraiment comparer les budgets de la défense Russe (90 milliards de dollars), ou chinois (225 milliards de dollars), car les entreprises appartiennent pour ainsi dire à l’état et les prix ne sont pas les mêmes que si c’est Dassault qui fabrique. Les USA misent absolument sur la force avec un budget de la défense de 740 milliards. La France dépense beaucoup plus pour l’éducation que pour la défense => 59 milliards pour l’éducation contre 39 pour la défense, et le budget de la santé en est à 240 milliards.
La balance commerciale française est déficitaire d’environ 40 milliards par an depuis la crise de 2008, elle s’est accentuée avec le Covid en 2020-21 à – 60 milliards, et a chuté depuis le début de la guerre à – 150 milliards fin 2022 à cause des sanctions il me semble. La Chine et l'Inde profitent d'un pétrole et d'un gaz Russe bon marché et l'Europe achète cher aux USA, et à la Norvège. Mais c’est des dettes gigantesques qui s’accumulent chaque année à la dette déjà existante.
Si les taux directeurs passent à 2 % d’intérêt, le prix de l’argent/dette supplantera celui de l’éducation ou de la défense.
Alors non, l'argent ce n’est pas comme le dit Mélenchon, si on ne veux plus de dette, soit on dévalue pour rembourser en monnaie de singe (impossible dans le cas de la France avec la BCE et une monnaie qui couvre des pays qui n’ont pas les mêmes problèmes), alors comme la Grèce, il faut céder ses bijoux de famille aux créanciers.
Toujours en est-il que dans ce monde, l’argent c’est le pouvoir, avec l’argent, on peut gagner des guerres, on peut piller des pays sans faire de guerre, l’argent c’est la puissance, et Crésus en est une bonne illustration : Roi de Lydie, il a tellement tout réussi et était si satisfait de lui qu’il demanda au philosophe Solon de nommer le plus heureux des hommes, mais ce dernier préféra les modestes argiens Biton et Cléobis, ce qui suscita l’ire de Crésus qui congédia le philosophe. Mais même lorsqu’il perd la guerre contre les perses, le roi Cyrus sait qui il est et lui donne la gestion des richesses aurifères de la rivière Pactole. Il nous en est resté des expressions jusqu’à nos jours, et pourtant, tout cela se passe en – 550.
L’once d’or (32,5 grammes) quand à elle, n’a jamais varié au fil de l’histoire, une once d’or vaut un très beau costume, que ce soit du temps des babyloniens, des grecs, des romains, du moyen-âge, de l’époque industrielle et de l’époque contemporaine, une once d’or valant aujourd’hui et depuis une bonne douzaine d’année environ 1700.-chf/euros = un très beau costume.
En ce qui concerne les monnaies fiduciaires, c’est une bonne invention qui permet de payer exactement le prix du consommable par des sortes de bons au porteur dont la valeur, le cours est adossé à la confiance que renvoie l’émetteur. Mais l’argent n’est qu’un moyen, à la base pour se nourrir et s’abriter des conditions extérieures. Si on en a plus, l’argent nous donne les moyens d’accéder au beau (œuvres), de faire la charité ou accéder à la puissance, comme on l’a vu ci-dessus.
Certains aiment l’argent pour ce qu’il est, tandis que pour d’autres, il représente d’abord un moyen d’arriver à leurs fins qui ne sont généralement pas pécuniaires. Pour un type comme moi, la devise est : « Les comptes en banque, ça va pour les dettes ; pour économiser, mieux vaut un coffre avec des valeurs tangibles", tandis que dans la prochaine chronique de carême, je vous emmènerais au-delà de la civilisation, là où l’argent n’a quasiment plus cours.
Aujourd’hui, il existe de l’argent papier (billets) / compte (très différent du papier, car pour l’argent compte en banque, la banque centrale n’a rien besoin d’émettre, il ne s’agit que d’écritures) / virtuel avec les crypto-monnaies / tangible avec de l’or ou de l’argent métal / plastique avec les cartes de débit et crédit / et toute autre valeur monnayable, ainsi que des supplétifs comme les chèques (quasi inconnus en Suisse), mais chacun repose sur la confiance que les gens offrent à l’émetteur. Pour l’or, l’émetteur étant la planète, on sait qu’on peut en tirer 2000 tonnes par an environ, et avec l’augmentation de la population terrestre, il garde sa valeur parce qu’on a confiance en la planète, on vit dessus ! Mais d’après la bible, même l’or ne vaudra plus rien, il est écrit dans le livre de l’apocalypse que les gens jetteront l’or par les fenêtres, car dans ces temps-là, il ne vaudra même plus le prix d’une livre de pain, donc l’argent, les valeurs, sont très relatives.
Je souhaiterais juste vous donner un exemple d’un pays qui fonctionne très bien à ce niveau, la Suisse, non pas parce que c’est mon pays, mais parce qu’il a des capacités quasi sans limites, 6 des 7 plus grandes raffineries d’or du monde sont en Suisse (capacité à affiner jusqu' 999,9/1000), la Suisse est le premier exportateur de café du monde (étonnant mais réel, grâce à Nespresso et d’autres torréfacteurs), et les bourses de Suisse sont également les principales place de négoce en matières premières. Aujourd’hui, les gens spéculent sur des choses aussi immorales que l’eau. Vous pouvez acheter une part du château d’eau africain si vous voulez, il se situe dans la région des grands lacs, en Ouganda et Burundi, et donne sa source au Nil et au fleuve Congo. Il est aujourd’hui possible de préempter ces richesses, les soustraire aux africains et transporter toute cette eau en Europe au cas où on en a plus… En tout cas, chaque pays voit son intérêt dans toutes ces opérations, sauf l’union européenne qui réfléchit avec un biais idéologique, ce que personne ne fait, surtout pas les américains. S’ils investissent chaque année 750 milliards dans leur armée, ce n’est pas pour se faire emmerder, avec un budget et une puissance pareille, il savent qu’ils peuvent prendre ce qu’ils veulent quand il le veulent. Donc même si 750 milliards c’est gigantesque par rapport à la population (ça fait 2500 dollars par personne et par année, soit 10’000 dollars pour une petite famille de deux parents avec deux enfants), et si la population accepte de payer autant, ce n’est pas pour faire la police du monde, c’est pour être certain de pouvoir aller n’importe où et se servir.
Mais pour un système non belliqueux qui fonctionne, l’exemple Suisse est assez bon, car il montre qui commande réellement: Je vous en donne une explication, mais pour parler argent, je suis obligé de parler politique à ce niveau, car le peuple est impliqué :
Vu de Suisse, la politique et l’actualité française est beaucoup plus intéressante que la politique suisse. Chez vous, personne n’est d’accord avec personne, il y a une opposition, des mouvements sociaux, des grèves, des choses comme ça.
Tandis que chez nous, on élit tous les 4 ans des députés et des sénateurs, et c’est eux qui élisent le conseil fédéral (l’exécutif) 7 ministres censés diriger le pays, et puis chaque année, ils deviennent président à tour de rôle tout en conservant leur ministère. Donc le président n’a qu’un poste de représentation, pas de pouvoir supplémentaire et beaucoup de suisses ne connaissent même pas son nom.
Et puis, les 7 ministres votent entre eux, à 7 il y aura obligatoirement une majorité, et une fois voté, tous doivent défendre l’avis du conseil fédéral. Ils sont de bords politique différents, selon la taille des partis :
- 2 UDC (Union démocratique du centre), parti nationaliste bien à la droite de Marine Le Pen, ils défendent la patrie, la morale, et les valeurs judéo-chrétiennes, c’est le plus grand parti de Suisse
- 2 PLR (Parti libéral-radical 3ème parti de Suisse), droit économique, ils défendent l’économie libérale et mondialiste
- 1 PDC (parti démocrate-chrétien, 4ème), actuellement au centre, autrefois un puissant parti conservateur, mais depuis qu’il est devenu progressiste, il a perdu le 50 % de ses électeurs.
- 2 PS (parti socialiste), gauche, 2ème parti de Suisse, mais en forte minorité au gouvernement.
Et voilà, ces 7 là sont sommés de s’entendre et de ne parler que d’une seule voix une fois qu’ils ont voté entre eux.
Ensuite, s’il veulent faire passer une loi, ils ont encore besoin de l’assentiment par vote des deux chambres, sénat et parlement (les types pour qui on vote tous les 4 ans). Là, en décembre passé, il y a eu les élections fédérales, l'UDC, le parti nationaliste a fait un si bon score qu'il s'est choisit les département les plus importants, et ont refilé les migrations et ce bordel à la socialiste fraîchement élue. Ils peuvent faire campagne sur les immigrés, mais une fois aux commandes, ils savent que leur vote vaudra autant que celui de cette ministre, et loger des réfugiés ukrainiens dans des casernes ou des abris de protection civile, ce n'est vraiment pas tellement intéressant pour un ministre...
Mais à la fin de l’histoire, si un groupe, une amicale ou un parti n’est pas content avec une décision qui a été approuvée par les deux chambres, il peut réunir 50’000 signatures au niveau fédéral ou 4'000 pour les lois cantonales (comme départements en France), et l’exécutif est obligé d’organiser un référendum populaire, ce qui veut dire qu’ine fine c’est le peuple qui tranchera.
De même, lorsqu’un groupe de personnes, ça peut-être l’association des chasseurs, les écolos ou n’importe quelle association ou parti, veulent imposer un thème politique que Berne ne veut pas traiter, ils n’ont qu’à a réunir 100’000 signatures et le gouvernement est obligé d’organiser une votation populaire et donc faire campagne sur un sujet dont il ne voulait pas parler, pour que le peuple puisse en fin de compte décider.
Parfois même, il y a des situations cocasses. Si on prend l’augmentation de l’âge de la retraite qui est un grave sujet capable de bloquer la France, le conseil fédéral (les 7 ministres) votent entre eux sur un projet préparé par une commission ad-hoc. Disons que les 2 socialistes et le PDC votent contre, ils perdent contre les 4 de droite. Du coup, avant la votation, le président vient plaider la cause du gouvernement au JT, et c’est assez drôle de voir un président socialiste plaider contre son propre parti qui a lancé le référendum… (l’inverse arrive aussi).
Du coup, on vote tout le temps, 4 fois par année sur une foule de sujets. Il paraît d’ailleurs que les Suisses votent en un an sur plus de sujets que les français ne voteront dans toute leur vie. On vote sur des trucs importants, mais aussi sur des sujets anodins, comme sur les cornes des vaches, l’instauration de quotas d’étrangers, interdiction des pigeons voyageurs dans l’armée, contre une sixième semaine de vacances (au lieu de 5), contre les minarets, et même, en juin 2021, les politiciens ont la brillante idée de nous flanquer une taxe CO2. Riposte immédiate : 50’000 signatures, votations, le peuple dit « niet », le gouvernement prend note et retourne à ses dossiers…
En plus des votations fédérales, il y a encore plein de votations cantonales (chaque canton étant indépendant sur tout un tas de sujets : Police, écoles, routes, politique budgétaire, et pas mal d’autres choses), et si on rajoute les votations communales, on n’est pas sorti de l’auberge.
L’avantage du vote, c’est qu’il coupe court à toutes velléités de manifestations, puisqu’à partir du moment où le peuple s’est prononcé à 50,1 % pour ou contre un sujet, les perdants n’ont plus qu’à se taire, sauf à se déclarer « ennemis du peuple », ce qu’ils ne font généralement pas. Un exemple concret : En 1992, tous les partis étaient d’accord pour entrer dans l’union européenne, sauf un, et à l’époque c’était un petit parti agrarien protestant. Bref, l’affaire semblait pliée, si on ne votait pas pour entrer dans l’Europe, la Suisse deviendrait le tiers-monde de l’Europe, l’apocalypse était à notre porte. Comme le conseil fédéral, le sénat, le parlement, avaient votés pour, le petit parti nationaliste lança un référendum, seul contre tous. Et 50,3 % des suisses ont dit « NON à l’UE » ! Fermez le ban, les politiciens ont fermés leur caquet, le peuple souverain venait de leur balancer un crochet du droit qui laissa hagard tous les grands partis. Les européistes convaincus ont encore lancé une initiative 9 ans plus tard : « Oui à l’Europe », balayée cette fois-ci par 77 % de la population. Après ça, on n’a plus entendu parler d’intégration à l’UE.
Dans ces années, le peuple s’est aussi rendu compte que l’état se laissait aller à dépenser plus que de raison. Hop, une votation avec un double sujet : Ancrer dans la constitution « Le contrôle des dépenses de la confédérations et le frein à l’endettement » (en résumé : économies tous azimuts et austérité). Le peuple a massivement voté pour (85% de oui), et l’état a été contraint de faire baisser la dette publique de 60 % du PIB à 30 %, interdiction aussi de dépenser plus qu’il n’en gagne (exception durant la période Covid car les cantons ont donné momentanément tous les pouvoirs à Berne pour gérer la crise).
Pas de grèves non plus, parce que c’est les corporations patronales et syndicales qui discutent ensemble des conventions collectives de travail, canton par canton et branches par branches… Ils s’engueulent pendant les réunions, mais finalement, après les disputes, ils se tapent sur l’épaule en rigolant et boivent l’apéro ensemble. Là je parle de vécu, car j’ai été secrétaire syndical, et j'ai pu choisir entre le syndicat chrétien ou le socialiste, j’ai choisis le chrétien. Après mon épisode sud-américain, je savais assez bien parler portugais et espagnol, donc pour défendre aux Prud'homme les étrangers travaillant en Suisse, j’étais à la bonne place. Au syndicat chrétien, le patron avait mit la vie de famille en priorité. Avant même d’apprendre les assurances sociales, le code des obligations ou les conventions collectives de travail, le patron m’a donné l’encyclique chrétienne-sociale de Léon XIII et m’a dit : "Voilà ce qu’on fait ici, lis d’abord les priorités là, dans ce que dit ce pape, pour les détails on verra plus tard". Mais comme en Suisse tout doit se mériter, les syndicats ne peuvent pas vivre avec seulement 8 % de membres comme en France. Pour rendre une convention collective de travail contraignante pour les patrons et les employés aussi (interdiction de faire grève si les patrons respectent la convention). Durant les négociations, si les maçons débrayent 2 heures, c’est tout une histoire au JT. Dans les branches du bâtiment, on atteint le taux des 50 %, sauf chez les électriciens, les intellos du bâtiment, ils pensent négocier mieux seuls qu’avec les syndicats, mais en général, sans contrat particulier, c’est la convention qui s’applique, alors dans la maçonnerie, ou ils sont à 95 % syndiqués, on a plus de poids dans les négociations, et avec les électros, où les syndicats n’arrivent juste pas au 50 % requis, ils sont moins bien payés.
Mais au final, tout est toujours une question d’argent, et en Suisse, les syndicats ne peuvent compter que sur les cotisation de leurs membres (pas de subventions de l’état). Mais comme tout est toujours une question d’argent quand-même, les patrons veulent aussi une convention, ils ont des délais à tenir, il n’est pas question de débrayage ou de grève. Exemple d’un ami que j’aidais sur un chantier, il a d’ailleurs choisis menuisier-ébéniste pour faire comme Saint Joseph. Nous habitons une région des Alpes où des personnalités comme Johny Hallyday viennent s’installer. En l’occurrence, c’était un grand patron danois qui économisait 10 millions de francs/euros d’impôts au Danemark si sa résidence était prête en Suisse le 31 mars. Si le 1er avril il n’avait pas ses papiers en Suisse, il devait payer ces 10 millions d’impôt au Danemark. Il a a acheté ce chalet avec vue sur toutes les Alpes, piscine panoramique au premier étage, mais il trouvait tout ça trop petit, alors il voulait prolonger la surface et faire un deuxième toit pour faire plus grand. Il avait payé 5 millions ce chalet, et avec les travaux, il fallait compter le double, donc si le 31 mars, il retirait ses papiers du Danemark, ce chalet lui revenait gratis. Les maçons avaient fait leur boulot, et il est tombé un mètre cinquante de neige. Je me souviens d’une réunion avec le promoteur du chantier. Mon ami avait décroché le travail de menuiserie, et il était content de pouvoir travailler du beau bois. Mais le promoteur disait que peu importe les conditions météo et peu importe combien ça coûte, fallait-il faire construire un deuxième toit et faire venir une autre grue pour le tenir sur le chantier, rien à cirer, mais il faut que ce soit habitable le 31 mars, vous faites tout ce qu’il faut pour ça !
Sitôt dit sitôt fait, une deuxième grue, un toit qui flotte par là au-dessus, les maçons qui reviennent et font tout fondre avec d'immenses chalumeaux, et on peut enfin bosser. On a dormi sur ce chantier, dans le chalet déjà existant avec la piscine au premier étage, chaque chambre d’ami avait un jacuzzi et un super lit. Le 31 mars, les autorités sont venues constater l’habitabilité de la chose, il y avait encore des échafaudages sur le dehors, mais chaque étage était habitable à part quelques bricoles à terminer à l’étage des domestiques. Le monsieur danois est arrivé en hélicoptère, s’est posé en contrebas, sur le terrain du vieux paysan qui refuse des sommes folles contre son terrain à vaches… et le Danois a le chalet gratis ! (économisé 10 millions d'impôts au Danemark). Donc tout est souvent toujours une question d’argent.
Ainsi, vous vous imaginez que dans un pays comme celui-là les délais c’est de l’argent, et les patrons veulent aussi ces conventions collectives, et ils font tout pour qu’il y en ait. Ceux qui ne veulent pas se syndiquer payent plus cher la cotisation professionnelle qui lui est remboursée s’il est syndiqué. De leur côté, les syndicats adaptent les primes syndicales pour que les ouvriers soient remboursés plus qu’il ne payent de primes, aucune subvention nécessaire.
Les patrons lâchent du lest sur les salaires, les horaires différents l’hiver de l’été, les restaurateurs ont aussi besoin de rassurer le personnel, les associations négocient les conditions de travail et tout le monde s’engage à respecter la convention signée. De leur côté, les syndicats s’engagent à respecter la paix sociale (pas de grève), tant que les patrons respectent les conventions. Mon patron avait eu l’idée saugrenue de faire venir les maçons sur un grand carrefour de la capitale cantonale, ils sont arrivés avec 4 camions de chaque côtés et ils ont murés le carrefour, avec des briques, sans ciment. Mais on est en Suisse quand-même, alors en tant que syndicat, on avait fait préparé du vin chaud et d’autres boissons pour les automobilistes qui étaient bloqués là, en expliquant qu’il s’agissait d’un coup de booste durant ces négociations d’automne pour obtenir de meilleures conditions dans le bâtiment. Mais après une demi-heure de mûrement du carrefour, les maçons ont tout remballé en un quart d’heure. Tout compris, le carrefour a été muré une heure, ils en ont parlé dans le journal, ça nous a fait de la pub, et on s’était bien comporté.
Donc finalement, un pays tranquille, tout se règle à la majorité, y compris les retraites, les salaires et les conditions par branches sont réglées de manière privée entre associations patronales et syndicales. D’ailleurs, c’est un fond de pension patronal qui gère ma pension de retraite avec un rendement très sécurisé. Tout ça fonctionne même si jamais aucun parti n’a la majorité, car la majorité, c’est le peuple.
Cependant, au-dessus du peuple et de l’état, il y a une entité si puissante qu’aucun politicien n’ose lui demander des comptes, c’est la BNS (la Banque Nationale Suisse). D’ailleurs, l’adresse de la BNS c’est : « Place Fédérale 1, Berne ». Si on veut écrire à un parlementaire ou à un ministre, ce sera : Place Fédérale 2, Berne.
C’est vous dire la place de l’argent en Suisse, donc on connaît. La BNS n’a aucun compte à rendre au gouvernement, c’est une SA (Société par Actions), les cantons sont les actionnaires majoritaires, viennent ensuite les banques cantonales et des investisseurs privés. Le Président, Thomas Jordan est une sorte de Super Conseiller Fédéral, sauf qu’il ne conseille pas, il décide. Il pourrait payer la dette nationale en claquant des doigts, mais la dette du pays n’intéresse pas la BNS. Il se contente de verser chaque année quelques milliards aux cantons (les actionnaires), qui se gardent bien de dire un mot tant qu’ils touchent ces dividendes. Autrement dit, la BNS est toute puissante, elle fixe le prix du Franc Suisse, la politique monétaire, elle gère ses stocks d’or, de devises et d’actions, et fait même payer un intérêt aux riches étrangers qui veulent mettre leur fortune en sécurité en la convertissant en francs suisses.
La signature de Thomas Jordan est présente sur tous les billets de banque Suisse, je pense que c’est l’homme le plus puissant du pays. Les autres, les politiciens et le peuple se chamaillent dans le bac à sable avec leurs idées de droite ou de gauche, et la BNS est comme une maman, elle surveille juste que ça ne dégénère pas, et elle mène les affaires sérieuses du pays : Que l’économie tourne. Et lorsque le président de la BNS parle, comme ça engage une partie du monde, il est tiré à quatre épingles et gominé, il ne prend que très rarement la parole, et s'il le fait, c'est devant une forêt de micros. Il peut annoncer des trucs dingues qui engagent toute la zone euro du style : « On ne laissera plus acheter un euro à moins d’un 1,2 chf (l’euro était descendu à parité à cause de la crise Grecque), pour ce faire, la BNS rachètera de l’euro en quantité suffisante pour qu’il se maintienne à ce tarif, le tissus économique souffre trop de la force du franc. » Et lorsqu’un journaliste lui demande jusqu’à quelle quantité la BNS peut se permettre d’acheter de l’euro, il répond : « Illimité, nous ne laisserons plus un euro s’échanger à moins d’1,2 chf ! ». Et la notion d’illimité est très étonnante en économie, ça n’existe pas, mais il rachète quelques centaines de milliards d’euros et le franc se maintient à 1,2 pour 1 euro. Si la BNS met en vente les euros qu’elle a amassé, ce sera autre chose que les sanctions contre la Russie, l’euro s’écroule, c’est aussi simple que cela. Ensuite, lorsque Thomas Jordan a décidé que le tissu économique s’était adapté, il laisse filer le cours et le franc revient à parité sans dommages. Les riches étrangers qui auront placé leur fortune en Chf, même s’ils payent 1 % d’intérêt par année, auront gagné 20 % vs s’ils l’avaient gardé en euros. Mais si tout à coup, Thomas Jordan et son conseil d’administration pensent qu’il vaut mieux un euro faible et qu’ils mettent les provisions en cette devise sur le marché en quantité, il s’agira toujours d’offre et de demande, la BNS peut se permettre de perdre, de se recapitaliser, elle détient la planche à billet, donc les gains sont réels et les pertes virtuelles.
Du coup, quand on regarde la politique française, on est fasciné, c’est tellement personnalisé qu’on a l’impression qu’un sauveur ou un fossoyeur peut chaque 5 ans sortir du chapeau / des urnes…
Mais à la fin du compte, c’est toujours l’argent qui décide.
Vous avez un comique en France, il s’appelle Christophe Alévêque, et dans l’un de ses sketchs, il s’indigne : « On n’arrête pas de nous dire que l’argent circule, là, on ne sait pas trop…, MAIS QU’ON NOUS DISES OÙ IL CIRCULE, qu’on puisse installer des barrages filtrants ! »
Ceci dit, l’expression est correcte, il y a tellement d’argent qui circule, que certains, comme Pablo Escobar, savaient où, et lui il les a installé, ces fameux barrages filtrants. Vous serez étonnés dans ces rubriques de carême des exemples que je prends, mais certains idolâtrent sans vergogne Che Gevara ou Gandhi, mais l’un et l’autre scandalisaient quand-même les petits enfants, et je pense qu’aux yeux de Dieu c’est le plus grave, car c’est ensuite un énorme travail pour Dieu de réparer ces enfants, c’est pour cela que je ne veux pas minimiser les choses de cet acabit dont le clergé pourrait être coupable. J’ai connu et mangé au restaurant, ma femme et moi, avec un prêtre à qui on aurait donné le bon Dieu sans confession. Il venait de mon diocèse, mais l’évêque l’avait refusé pour la prêtrise, selon lui parce qu’il avait fait une thèse sur le mouvement Lefebvriste, Ecône, qui est dans mon diocèse. Enfin, il disait que l’évêque n’osait pas le regarder dans les yeux pour lui signaler son refus, et il a finalement été consacré prêtre dans le diocèse de Mgr Rey en France. Mais comme je vous le dis, Mgr Rey ne pouvait se douter de rien, moi-même, qui m’intéresse aux gens, je lui aurait donné le bon Dieu sans confession. Aujourd’hui, il dort derrière les barreaux et tant mieux, lorsque je sais ce qu’il a fait, il a détruit des jeunes vies que le bon Dieu aura énormément de peine à réparer. Ça c’est un réel scandale, ma petite chronique sexuelle en plein carême n'est pas un scandale, elle peut tout au plus être choquante, mais comme elle s'adresse à des adultes, il n'y a pas de scandale. Alors je vais prendre un exemple au parfum de scandale mais qui n'en est pas un, juste un type que mon paternel, pourtant diacre, et moderne, a déjà voué aux feux de l’enfer, Pablo Escobar. Pour parler d'argent c'est un bon exemple.
Je vais ainsi prendre des exemples étonnants, ici pour parler de l’argent et du plus loin où un homme seul peut aller pour cela, ou pour atteindre un idéal trop grand, un idéal qui nécessite énormément d'argent. Pour y arriver, Escobar fait des trucs atroces, mais il a tellement d'argent qu'il en profite et il construit l'église que sa mère avait promis à une sainte protectrice lorsque sa maman l'a protégé des bandits durant sa jeunesse dans son école où ils se sont tous fait tuer (les autres enfants qui n'étaient pas avec la maman de Pablo). Elle les a caché et demandé la protection de cette sainte, et promis que s’ils s'en sortaient vivants, elle construirait une église dédiée à cette sainte, puis elle a prié, les bandits étaient dans la salle de classe, ils ne les ont pas vu, et Pablo a tout fait en beau et en grand quand il en a eu les moyens pour construire l'église. Mais pour arriver là, et pour transformer tout le bidonville de Medellín en petites maisonnettes pour les pauvres, il a fait faire les plans, elles se construisaient au fur et à mesure, ça marchait, mais il devenait trop populaire (il est d'ailleurs élu député, tous les pauvres l'aimaient). Lui n’a pas de champs de coca, il ne s’occupe pas de botanique mais de circuits de contrebande et garanti la livraison, même si elle est saisie, il paye. Par contre, en échange il demande toujours combien de maisonnettes les expéditeurs vont financer dans le bidonville pour se servir de ses connections ? C'est jamais gratuit, il force la charité.
La CIA envoie des armes aux Contras du Nicaragua pour se battre contre les Sandinistes ? Il fait détourner les avions chargés d’armes en payant les pilotes, les armes atterrissent en Colombie et il charge les avions avec ce que veulent les Contras (des commodités pour arriver à subsister dans la jungle), il arrose de cocaïne toute la côte est des États-Unis, mais pour sa famille, il créer un jardin d’éden à Las Napoles, en important plein d’animaux d’Afrique, même des girafes et éléphants, ainsi que des espèces rares de perroquets brésiliens, il a d'ailleurs envoyé son jet pour un seul perroquet très rare et impossible a exporter. Son fils lui dit qu’il devrait faire payer l’entrée mais non, c’est juste un magnifique parc naturel et c’est aussi pour les pauvres. A ses enfants, pour parler cocaïne, il montre le speech que Nançy Reagan a fait aux côtés de son président de mari où elle conclut : « … que toute la jeunesse ait le courage de dire non à la drogue ! ». A ses enfants il la présente comme une grande Dame de los Estados Unidos de América, et il fait jurer à son fils de ne jamais toucher à la cocaïne...
A l’heure d’aujourd’hui, l’argent c’est le business, sauf pour encore quelques pouvoirs forts comme les USA qui n’hésitent pas à faire des guerres pour de l’argent, les ressources dont ils ont besoin. Dans le cas un peu plus individuel de Pablo Escobar, il voit juste comment ça fonctionne et quand le gouvernement lui met des bâtons dans les roues, le seul dossier que la justice a contre lui est l’import de 14 kilos de cocaïne d’Equateur, mais ce n'est même pas une condamnation. Comme il n’arrivait pas à corrompre les juges de Medellín, il fait tuer les deux policiers qui l’ont arrêté et les charges contre lui sont abandonnées, ensuite il rachète le dossier et le détruit pour être sûr que personne ne tombe jamais là-dessus. Mais à peine député, le ministre de la justice a retrouvé le négatif de la pellicule de sa condamnation lorsqu'il avait 20 ans, il n'y avait pas de cocaïne en Colombie à cette époque, c’était cette arrestation pour ces 14 kilos. Le ministre de la justice a retrouvé le négatif et il enlève le voile d'un tableau et là il y a Pablo Escobar plus jeune, encarté par une photo de police en plein parlement !
Catastrophe personnelle pour Don Pablo, il fait éliminer le ministre de la justice et fait en sorte que le palais de justice disparaisse. Des guérilleros d’extrême gauche enlevaient, torturaient et demandaient des rançons pour les femmes ou les fils/filles des narcos et ses hommes ? Il capture le chef des guérilleros et ses lieutenants, règle le problème, hérite de l’épée de Bolivar, et paye pour qu’ils attaquent le palais de justice et y mettent le feu, l’armée réagira sans doute, mais elle n’aura qu’à tirer sur le palais de justice avec les communistes à l'intérieur, comme ça c’est liquidé. Tout est réglé de ce côté, c'est les marxistes qui sont impliqués, c'est plus commode, et avec des promesses de financement, ça passe, parce qu'il sait que quelque soit le bord politique, tout le monde aime l'argent, donc tout va bien, il est blanc comme coke, mais à la fin, il fait tout de même tuer ces leaders du mouvement M19 qui avaient torturés les familles de ses hommes. Tout est bien qui fini bien, il garde l’épée de Simón José Antonio de la Santísima Trinidad Bolívar, surnommé El Libertador, que ces voyous de marxistes avaient volé ! L'épée du fondateur de la Colombie est aussi de l'argent, une monnaie d'échange pour négocier avec le président.
Il avait fait construire 500 maisonnettes, ça a été jusqu’à 3000, mais dans l’illégalité totale, il avait fait fi de toutes les règles d’urbanisme, comme tous les habitants de ces bidonvilles, l’état lui a mis des bâtons dans les roues, l’a humilié face au parlement, et signe un traité d’extradition avec les États-Unis ? Bon, pour le traité d’extradition, l’armée colombienne a bombardé avec ses propres chars le palais de justice et la moitié des juges de la cour suprême ont été éliminés, le traité n’existe quasiment plus, et en 1989, il fait place nette pour l'élection présidentielle en faisant assassiner 3 des 5 candidats qui lui conviennent le moins. Voilà, avec de l’argent, on peut faire tout ça : De l’argent ou du plomb, sa devise, était de fait un système de corruption obligatoire. Mais le président veut faire réactiver le traité d’extradition sous la pression américaine, alors il entre en guerre contre le gouvernement. Comment peut-on faire une chose pareille ? - Toujours avec de l’argent !
Il était beaucoup plus organisé que les voyous des banlieues que la police française craint, alors toutes ces armes qui avaient été livrées par la CIA, il les a distribué dans les bidonville où le gouvernement avait mit un terme à ses histoires de maisonnettes, et il a fait une liste de prix : 500 dollars pour un policier, 1000 dollars pour un commissaire, et plus si juge, député ou ministre, il se fichait de l’argent. Selon son comptable, il dépensait 1000 dollars par mois en caoutchouc pour emballer les billets de banque et les stocker, mais il en perdait tout de même environ 10 %, grignotés par les rats. Il exportait des tonnes de cocaïne par jour à l’international, tous les cartels colombiens lui versaient un tribu allant de 20 à 35 %, et tous savaient qu’il préférait discuter calmement et payer plutôt que tuer, toujours sa devise : « L’argent ou le plomb », et il semble que tout le monde préférait l’argent, jusqu’aux plus hauts degrés de l’état. Pour les présidents, il assurait le coup en finançant les campagnes des deux potentiels vainqueurs en s’arrangeant que la remise des mallettes soit filmées pour rappeler ces Messieurs à son bon souvenir. En 1989, le magazine Forbes dresse une liste des 227 milliardaires mondiaux et il est classé 7ème. Il construit des terrains de foot, des infrastructures sportives pour les pauvres, des églises, des écoles, et il corrompt tout le monde. Voilà comment on peut déclarer la guerre à un gouvernement, c’est le pouvoir de l’argent. Les voyous de banlieue défendent leur barre d’immeuble, Don Pablo défend le 80 % du trafic international de cocaïne et tout le monde lui est redevable, même Frank Sinatra, qui est un point de chute aux USA. Mais il utilise tous les moyens pour acheminer la drogue aux USA, y compris des agents de la CIA et des militaires américains (plus grands avions), il envoie la poudre et reçoit les dollars et les armes destinées à ces Contras du Nicaragua, il exporte aussi par voie maritime, achète une île pour transférer la marchandise et finance quelques dictateurs d’Amérique centrale (comme les américains finalement, mais pour d’autres raisons, lui c’était pour assurer les transits), sans compter ses petits sous-marins. Il a amassé 30 milliards de dollars, soit 30 grands camions bâchés et bourrés de liasses de 100 dollars qui se suivent sur la route, voilà pour l’image et voilà ce qu’est l’argent.
L’argent ce n’est que cela, un moyen, des billets de banque en nombre suffisant permettent de faire n’importe quoi, Georges Soros a pu mettre en difficulté la banque centrale anglaise dans les années 80 en utilisant des systèmes de leviers boursiers, Escobar peut faire tomber un gouvernement en utilisant les pauvres, et si Thomas Jordan décide qu'une zone euros chaotique est plus profitable pour l'économie suisse, il peut mettre le chaos (ce n'est pas dans notre intérêt), c'est juste pour montrer qu'avec ce moyen, dépend à quel niveau on se situe, on peut changer beaucoup de choses. Le reste n’est que détails, je me souviens, lorsque j’étais enfant, en été, durant les vacances de notre curé de paroisse, il y avait Don Carlos qui remplaçait, il s’occupait d’une petite paroisse rurale en Colombie et trouvait immoral que ses paysans de paroissiens cultivent de la coca, alors il nous a raconté qu’il a cherché à discuter directement avec Don Pablo (c’était son surnom), et un curé de jungle qui veut lui parler, voilà qui intéresse le gaillard. Il se pointe avec trois hélicoptères, le sien et ceux de son escorte, le padre lui demande l’autorisation pour planter des haricots noirs à la place de la drogue, Pablo trouve l’idée très bonne (il s’en fiche, la moitié de la drogue vient du Pérou, 30 % de Colombie, et 20 % de Bolivie), le padre Carlos lui accorde une bénédiction, et il n’y a aucun problème pour les paysans, qui plantent de l’haricot noir sous les conseils du curé, mais ils arrachent tout l’année suivante pour replanter de la coca, deux fois plus rentable que les haricots pour moins de travail. Ça c’est l’argent qui le veut ainsi, le monde tourne autour de l’argent, Pablo vend par tonne une marchandise qui est revendue 100 dollars au gramme. Une entreprise peut tourner parfaitement bien avec un rendement de 100 %, le cartel de Medellín rapportait 20’000 %, c’est à dire que pour 1 dollars investi dans ce business, il en gagnait 200, c’était l’entreprise la plus rentable du monde avant Wathsapp.
Mais avec une devise comme : « mieux vaut une tombe en Colombie qu’une prison aux USA », l’extradition était sa hantise, il avait financé les campagnes électorales pour revenir sur ce traité d’extradition, mais le président ne voulait rien savoir, alors il a commencé avec les bombes. Comme il le disait lui-même, après 2 ou 3 explosions, les colombiens vont réclamer ma peau coûte que coûte au gouvernement, mais n’ayez aucune inquiétude, après une douzaine de bombes (camions piégés), ils diront au gouvernement : « Donnez à Escobar tout ce qu’il demande, pourvu que ça s’arrête. » Il était très populaire auprès des pauvres et provoquait les explosions dans les quartiers de la bourgeoisie, mon ancien médecin, d’une grande famille colombienne n’aimait pas du tout Pablo Escobar, mais encore aujourd’hui, il garde une bonne image auprès d’une partie de la population pauvre. Après une dizaine d’explosions, le gouvernement lui a donné carte blanche pour se construire une prison sur une montagne en surplomb de Medellín, l’armée se contentant d’en garder la route d’accès.
Dans cette prison baptisée : La Catedral, le dimanche était consacré aux familles, la sienne et celles de ses hommes montaient là-haut et tout se passait bien, jusqu’à ce que deux barrons de la drogue n’acceptent plus de payer le tribu sur les routes d’export internationales. … donc l’argent ou le plomb ? Ceux-là on choisit le plomb, alors lorsque les militaires se sont aperçu que des gens importants disparaissaient dans cette prison, ils l’ont prise d’assaut. Escobar avait bien entendu un plan de fuite, mais à partir de là ça a été la guerre. Georges Bush et divers présidents ont participé au sommet de Carthagène en 1990, et ça devient si intense que les américains lâchent des groupes pires que le cartel de Medellín (des soldats US d’élites), il s’ensuit 25’000 morts en 1991 et 27’000 en 1992, notamment grâce au système de primes Escobar, et il a une espèce d’armée qui le protège de plus de 3000 hommes qu’il finance, mais il sait qu’il ne pourra pas gagner la guerre avec sa famille près de lui. Il les envoie en Allemagne pour avoir les mains libres afin de terminer cette guerre, il sait qu'il a assez d'argent pour la gagner (tout en cash/or/diamants, des camions et des camions planqués partout), son homme de confiance a tué tous ceux qui ont transporté et caché là, mais lui il sait où c'est et là il va donner sa mesure !
Mais les américains sont dans le coup, exigent des allemands qu'ils renvoient la famille, les allemands ne veulent pas, ils ne sont poursuivit pour rien, nulle part, il n'y a pas de raison de ne pas les laisser entrer s'ils ont le visa. Mais les américains sont assez persuasifs, et après 2 jours de pression avec cette famille dans un bureau des douanes de l'aéroport de Frankfort, les allemands les renvoient à Bogota, et là il sait que c'est la fin, sa famille est... "séquestrée" invitée dans le plus grand hôtel de la ville, tout le dernier étage est bunkérisé, personne ne sort (CIA, DEA, polices colombienne et groupe paramilitaires, tous ceux qui veulent tuer Pablo), et tout est aux frais de Madame Escobar, qui n'a presque plus rien, qui n'est que trentenaire, et elle l’aime encore aujourd’hui. Peut-on reprocher à quelqu’un d’aimer ? C’est une très bonne femme, elle a été invitée par Cyril Hanouna il y a quelques semaines. Elle peut tout dire sur Pablo sauf qu'elle ne l'aime pas, elle l'aime. Son fils Juan Pablo aussi, j'ai lu son bouquin, il ne cache rien sur son père, mais il l'aime, toute sa famille l'aime et lui il est complètement fou... Mais pour sa famille, Pablo leur offre un autre monde que la drogue et la violence, les pauvres c'est autre chose... Mais il est complètement taré, et s'il s'occupe bien de ses enfants, les seules fois que son fils a vu son père prier, c'était dans son lit, sous le crucifix et la vierge en tête de lit conjugal, prosterné, mais comme le publicain au fond du temple, sous une couverture, parfois il sanglotait, parfois un chapelet dépassait, mais il n'a jamais vu son père prier en vrai. Et sa mère ne parle pas de ça avec les animateurs comme Cyril Hanouna, elle dit juste qu'elle l'aime, c'est tout, mais elle veut bien raconter qui il était. Elle est maladroite et ne peux pas raconter à Hanouna comme je synthétise là, alors ce n'est pas très clair, le public ne saisi pas bien.
Bref, à la fin, il y a sa famille, il sait que toutes les lignes de l'hôtel sont sur écoute, il sait parfaitement combien de temps il a le droit de parler avant de se faire repérer (la seconde précise), il l'utilise le moins possible, il préfère les pigeons voyageurs, et là on se retrouve avec des agents américains entrain de flinguer des pigeons dans la jungle colombienne pour voir s'ils ont des messages accrochés aux pattes… Mais en ce moment, il n'est plus question de pigeons, il passe quelques coups de téléphones brefs, mais à la fin il s'en fiche, il doit sentir, entendre chacun des membres de sa famille, il sait qu'il est foutu mais tant pis, il se concentre sur chacun d'eux, ils sont étonnés (mais il est toujours rassurant : ne vous inquiétez pas, j'ai un plan, j'ai tout prévu, aucun soucis), et quand sa famille est rassurée, il peux les avoir et c'est bon, et tant pis s'il se fait tuer !
Il se fait tuer à cause de ça.
Après sa chute, les autres barons ont convoqué Madame Escobar pour lui annoncer qu'ils allaient devoir tuer son fils, mais le cartel de Cali avait mit au point un appareil d'écoute téléphonique, et ils passaient la bande à leur propre femme pour montrer comment était Madame Escobar, ils avaient beaucoup de respect pour elle, mais Juan Pablo, du haut de ses 17 ans, avait juré face journalistes qu'il vengerait son père, ils ne pouvaient pas prendre ce risque et devaient le tuer. Sa tente, la sœur de Pablo avait volé tout l'argent qu'il avait caché dans le ranch de las Napoles, un camion plein, bourré jusqu'au toit, quasi sur l'essieu quand il est parti. Grace à l'Amour de cette Dame, les barons de Cali ont laissé la vie au fils, mais lui ont prit toutes ses propriétés, se les partageant avec les politiques, et elle a fini dans une prison en Argentine sous un faux nom (à cause d'un type zélé qui l'avait reconnu).
Voilà ce qu'est l'argent, des montagnes de liasses avec lesquelles on peut faire n'importe quoi, même déclarer la guerre au gouvernement, utiliser les marxistes en Colombie, ceux de Pinochet au Chili, le général Noriega au Panama pour le transit, les américains l'utilisent aussi pour le canal et endiguer ces communistes, tout le monde veut soit l'argent, soit le pouvoir, soit la puissance.
Comment juger un fou pareil ?
Moi je laisse ça à Dieu.
Personnellement, au niveau de l'argent, j'ai été deux fois moins bon que Pablo Escobar, j'ai essayé deux trucs : Le premier c'est d'avoir acheté un ticket de loterie, je crois qu'il y avait un tirage à 2 millions, j'ai mit 2 francs et des numéros au bol en disant au bon Dieu : Si je gagne, je ne récupère même pas les 2 francs, j'envoie tout chez Mère Teresa.
Mais j'ai perdu, pas la bonne méthode, du coup j'avais lu dans la bible que le Christ en Personne avait donné un conseil de placement au jeune homme riche : "Donne tout aux pauvres, tu recevras le centuple déjà sur cette terre et tu amasseras un trésor au paradis." Le placement semblait prudent vu l'instigateur, j'ai regardé ce que j'avais en banque, mais j'étais apprenti géomètre et ne gagnait pas tant lourd. J'avais 2000 francs, environ 4 mois de salaire d'apprenti, j'ai fait le calcul du centuple et le rendement m'a semblé très intéressant. Mon paternel n'en croyait pas ses oreilles et m'a envoyé en discuter avec le curé, qui m'a presque traité d'hérétique, il s'était imaginé un truc compliqué, du genre le centuple en grâces sur cette terre et je ne sais pas trop quoi au Paradis. Moi je voyais ça plutôt comme un conseil de thread, je me suis rendu compte qu'ils ne croyaient pas vraiment à ce que Jésus racontait dans Ses évangiles, alors j'ai tout envoyé chez mère Teresa. Lorsque j'ai eu 25 ans, que j'étais marié et que j'avais un petit enfant, j'ai reçu le centuple = 200'000.-chf, j'ai pu acheter une maison en faisant une petite hypothèque. Mais ça a été très dur pour celui qui a donné, il a même dit à ma femme : "Ton mari veut me voler 200'000 francs !", mais elle ne savait pas de quoi il voulait parler, et moi je ne lui ai pas dit grand-chose, en fait il n'avait pas le choix, mais c'était si dur de se séparer de cet argent qu'il a préféré me donner un terrain de la même valeur, c'est très étonnant comment fonctionnent les choses, et de voir des gens se triturer les méninges et englués, ils ne peuvent pas faire autrement, c'est assez dramatique pour eux. Enfin, tout ça pour dire qu'en matière d'argent, Jésus a de meilleurs conseils que les traders de Wall Street, même si Escobar a fait mieux. Mais bon, quand on est aussi basique que moi, et qu'on ne se pose pas de questions, Il ne m'a jamais fait faux bon. C'est pour cela que je finance sans m'inquiéter d'aucune manière cette famille au Sri Lanka dont le père voulait aller bosser au Qatar pour le mondial (pour ceux qui n'ont pas lu la chronique de présentation).
Aujourd'hui, je ne réfléchis plus comme cela, je sais juste que si je donne je reçois tout ce qu'il nous faut en retour pour ma famille. Sur ce plan là, je suis très décontracté car si même les cheveux de ma tête sont comptés, pourquoi voudrais-je m'inquiéter pour des choses comme l'argent ?
Par contre, je sais depuis toujours le pouvoir que donne l'argent, sous quelque forme que ce soit, ça s'appelle du pouvoir d'achat, et c'est important, il permet d'accéder à tout. En Inde, tout servait de pouvoir d'achat, car la civilisation était partout, un appareil photo c'était du pouvoir d'achat, comme une carte Visa, Américan Expres, des roupilles ou des dollars, ou de l'or, des pierres, n'importe quoi.
Mais lorsque j'ai rencontré ma femme, derrière le rideau de fer, on était une équipe de suisses catholiques allés en Hongrie pour "retaper" un centre pour handicapé, j'avais une 2cv jaune et noire, je bossais dans la maçonnerie, et j'étais un hippie. Le dernier week-end, le curé qui était avec nous, nous a emmené de l'autre côté de la frontière, dans la partie hongroise de la Slovaquie. On arrive là le samedi, il devait y avoir une traductrice en français, mais elle s'était cassée la jambe le matin même. Alors il y avait une jolie petite traductrice en allemand pour une douzaine de suisses, et j'ai hérité d'un jeune traducteur anglais avec 2 autres suisses qui ne parlaient pas allemand. Je suis allé au plus rapide : Bancomat ? Guichet de change ? Dollars ? Francs Suisse ? Florin hongrois ? Rien ! Pas un bancomat à l'horizon, aucun pouvoir d'achat, ils étaient quand-même à la rue après la chute du mur. Enfin bref, je ramasse mon traducteur et je vais changer 100 francs dans une pizzeria, mais le patron refuse. Mais je n'ai pas besoin qu'il me change 100 francs, j'ai juste besoin qu'il me donne assez de couronnes Slovaques pour qu'on puisse passer une bonne soirée avec un groupe de jeunes. Alors j'ai calculé mon cours en me basant sur le prix des pizzas et des bières, et le patron m'a donné assez de couronnes pour passer une très bonne soirée.
Lorsque je suis revenu, ils tournaient autour de cette jolie petite traductrice, j'avais perdu un peu de temps à chercher du pouvoir d’achat, mais eux en avaient perdu à faire les jolis cœurs, j’ai offert la fin d'après-midi et la soirée, et je me suis rendu compte que la jeune et jolie traductrice était aussi intelligente : elle connaissait la valeur de 100.-chf suisse !, et je pense que certains n’ont pas apprécié cette fin d’après-midi puisque l’un d’eux a mit un spaghetti dans mes cheveux lorsque j’ai retiré mon bandana lors du repas communautaire. Lorsque j’ai vu arriver cette jeune traductrice qui traduisait dans une langue dont je ne captais rien, et qu’elle a tendu le bras en avant vers mon front, je me suis demandé si elle voulait me faire une bénédiction… ??!, mais elle voulait juste enlever le spaghetti qu’on m’avait mit dans les cheveux ;-) , en tout cas, il semble que la jolie jeune traductrice ait apprécié la soirée, car elle m'a ensuite offert 4 enfants ;-)
Chronique d'écriture : Un peu d'émerveillement technique quand-même (10 pages word)
« On » (en général), aimons bien parler de ce qui va mal ou de ce qui ne va pas, mais aujourd’hui, j’ai envie de vous parler de ce qui va très bien. Là en relisant je me dis qu’il est urgent de poster, parce qu’on est plus du tout le bon jour pour l’émerveillement, quoique… comme expliqué à la fin… on entre dans le Plan du Salut qui est d’une certaine manière merveilleux. Vous verrez bien dans le texte, je peux m’émerveiller du monde que les humains ont réussi à faire sans Dieu, des progrès techniques ou astronomique, mais la véritable Merveille Céleste c’est les 3 prochains jours, c’est plus mystique, moins facile à contempler et admirer comme quelque chose de merveilleux, car pour en arriver à cette victoire, il y a tant de souffrances.
Mais pour voir exactement où on en est aujourd’hui, il faut s’éloigner un peu du prêt à penser actuel, de ces gens ignares qui croient que l’Église a débattu sur la présence ou non de l’âme chez la femme, que Galilée a été emprisonné pour avoir maintenu que la terre était ronde, des choses que mes enfants entendent même à l’école de la part de profs, qui sont sensés être instruits.
Donc il faut s’éloigner de tout ça, admettre que Christophe Colomb savait parfaitement que la terre était ronde, il a fait toutes les grandes universités et cherché des financements chez les rois et les princes, et dans ces milieux, 100 ans avant la naissance de Galilée, tout le monde savait que la terre était ronde depuis Aristote, mais si Aristote avait estimé la circonférence terrestre à 60’000 kilomètres (trop), il avait une théorie fausse sur le cosmos. 200 ans plus tard, vers – 250, Archimède calcule la circonférence terrestre à 47’250 km, mais Cléomède s’aperçoit d’une erreur par rapport aux mesures à Syrte et Alexandrie par rapport au soleil, et Ératosthène corrige le calcul d’Archimède en tenant compte des observations de Cléomède pour en arriver à une circonférence de 40’000 km. La réalité d’aujourd’hui, c’est très précisément 40’075 kilomètres.
Galilée c’est autre chose, il se pose des questions en 1604 car en octobre, une super-nova a explosé dans le ciel, et une étoile qui apparaît puis disparaît, c’est assez incongru pour un type qui a inventé une lunette astronomique, donc il cherche, et il s’ensuit tout un imbroglio jusqu’en 1633, date de la condamnation. Le pape, qui l’aimait bien et voulait le protéger, lui a commandé un livre impartial entre les théories Aristotélicienne en cours en ce temps là (la terre est le centre du monde/univers, et tout tourne autour), contre les théories de Copernic (qui était mort plus de vingt ans avant la naissance de Galilée), mais au lieu d’un dialogue neutre entre les deux théories, Galilée choisit d’écrire un plaidoyer pour défendre l’héliocentrisme avec pour seule preuve les marées. Il l’avait d’ailleurs dit au pape Urbain XIII, mais qui avait trouvé cette preuve trop floue pour asséner son opinion, raison pour laquelle il lui avait demandé d’écrire un livre de dialogue entre les deux écoles. Galilée a fait mine que oui pour présenter finalement un texte à sens unique, le pape ne pouvait plus que condamner. La vraie preuve qu’il fallait n’est arrivée que 100 ans après le procès, en 1728, c’est James Bradley qui l’a découvert scientifiquement et incontestablement : L’aberration de la lumière qui prouve que la terre tourne autour du soleil. 13 ans plus tard le pape Benoît XIV lève l’index sur tous les livres qui traitent d’héliocentrisme et quelques années plus tard, la Congrégation de l’Index (oui oui), confirme qu’il n’y a plus d’index en ce domaine.
Alors tout ceci est très complexe, et si on veut tout savoir il faut lire beaucoup, mais dire à l’école que Galilée a été condamné pour avoir maintenu que la terre était ronde, c’est dingue…
Donc il faut s’extraire de toute cette ignorance crasse, prendre de la hauteur, voire l’histoire, et savoir où nous en sommes.
Cette introduction m’apparaissait nécessaire pour la suite, car la suite c’est la découverte du monde. J’ai lu les carnets de bord de la plupart des grands capitaine d’autrefois, et celui de Christophe Colomb n’est pas triste. Il a une horloge de marine et un sextant, donc il a les moyens de savoir où il est, mais il ne faut pas oublier que de tous temps, il y a eu des ignorants. Et là, sur les navires, autrefois, soit tu étais un navigant (capitaine, second, lieutenant, aspirant), soit tu faisais partie de forces armées pour attaquer après accostage (Cortez), soit tu as des connaissances particulières en botanique pour répertorier les nouvelles espèces, ou autre discipline scientifique, soit t’es un abruti qu’on a trouvé à la sortie d’une taverne, qu’on lui a fait signer un contrat pour 3 ans de mer, il va bosser dur, mais dans 3 ans, il aura tout l’argent qu’il aura besoin pour désaltérer sa soif insatiable…
Et parmi ces gens qui constitue la majorité de l’équipage, eh bien oui, il y en a de ceux qui croyaient qu’ils allaient arriver au bord du monde et tomber. Christophe Colomb n’en finissait pas d’expliquer, de rassurer, de donner des exemples, mais les types avaient réellement les foins, on en est arrivé à la limite de la mutinerie, et Christophe a dû leur promettre un truc, sinon il passait par dessus bord et les types faisaient demi-tour. Donc il leur promet une distance (et donc un temps de navigation), qui les fera arriver aux Indes dans quelques jours… Christophe sait que la terre est beaucoup plus grande que ça, il a étudié, mais il est obligé de faire une promesse, il la fait et prie pour trouver quelque chose sur cette distance…
Hispagnola et pas les Indes ? On s’en fout, on va dire que c’est les Indes, l’équipage n’en a rien à cirer du lieu, il est sauvé et Christophe Colomb est devenu un dieu tout à coup, vice-roi du nouveau monde… Heureusement qu’il y avait les Caraïbes et au pire l’Amérique centrale juste derrière, parce que sans Amérique, s’il avait fallut traverser encore tout le Pacifique avant de trouver quelque chose, c’était très mal embouché son histoire…
Puis Magellan..., mais on était si puissants qu’en général, un coup de semonce par canon à blanc calmait tout le monde sur les pirogues, et lorsque Magellan a voulut faire la guerre au prince des Philippines sud, il se pointe sur la plage avec quelques chaloupes car les récifs interdisaient aux navires d’approcher. Il se retrouve avec les gars de sa chaloupe contre 2000 barbares ignorants mais bien entraîné à la guerre. « Pas de problème, on a des mousquets, on en abat quelques uns et les autres seront suffisamment impressionnés par le bruit et la fumée et leurs copains qui tombent raides morts à la suite du bruit, vous verrez, ils vont abdiquer avant même de savoir ce qui leur arrive ! »
Seulement que les sauvages n’ont pas réagit comme prévu et ils ont attaqués avant même de laisser Magellan faire son numéro, il a été abattu à peine le pied posé sur la plage, et les chaloupes ont fait demi-tour. Mais finalement c’est quand-même grâce à lui que les Philippines sont catholiques aujourd’hui.
A la fin, on découvre des terres qui viennent d’être découvertes mais dont la nouvelle n’est pas encore arrivée en Europe. Par exemple, Tahiti a été découverte par le lieutenant britannique Samuel Wallis qui accoste le 19 juin 1767 dans la baie de Matavai. Wallis baptise l’île « Île du Roi George ». Au début ça ne se passe pas très bien avec les autochtones, dès le 21 juin il y a des tensions, puis les relations se détériorent du 24 au 26 juin, date à laquelle les pirogues tentent de prendre le navire à l’abordage, soit pour s’approprier les objets métalliques du navire, soit par crainte d’une installation durable des Anglais. Là on est au-delà des coups de semonce alors Wallis passe à la vitesse supérieure, il fait charger les canons avec de la mitraille (dans des canons, la mitraille c’est des billes), et là, en une salve, ça fait des centaines de morts, jusque sur les collines alentours où les types s’étaient amassés pour protester contre le bâtiment anglais. Résultat : les habitants déposent des offrandes aux anglais, manifestant ainsi leur volonté de paix ou de soumission. Après cet épisode, Samuel Wallis eut des relations cordiales avec la cheffe Oberea (Purea) et resta sur l’île jusqu’au 27 juillet 1767. Il a pu faire savoir au roi de Tahiti qu’il venait de l’autre côté du monde, où le roi Georges régnait sur des territoires si vastes que son île, pourtant grande, n’est qu’un confetti en rapport, et il y a surtout les offrandes du roi Georges, des caisses de quincaillerie. Eh oui, pendant que l’horlogerie Suisse prenait son essor d’un côté du monde, des gens n’en étaient pas encore à l’âge ni du bronze ni d’aucun autre métal. Donc lorsqu’on dit que « ça ne vaut pas un clou », eh bien je peux vous dire que pour des peuplades qui ne connaissent pas les métaux, si vous arrivez avec un marteau et une poignée de clous, vous avez le gîte, le couvert et la femme pour tout le temps du séjour, et si vous avez la bonne idée de rajouter une scie ou un miroir (les miroirs faisaient grand effet), eh bien vous aurez droit à tout ce que vous voulez, y compris le nombre de vahinés dont vous estimerez avoir besoin.
Mais voilà que le 2 avril de l’année suivante, alors que Wallis n’est pas encore entré en Angleterre et que personne n’a l’info, Louis-Antoine de Bougainville accoste dans la baie de Matavai (la même que Wallis), et qu’il rebaptise l’île sous l’appellation de « Nouvelle-Cythère », en hommage à l’accueil chaleureux et à la douceur des mœurs tahitiennes. Ça a donné ensuite l’histoire du bon sauvage de Rousseau, … mais si Wallis n’avait pas fait un tombereau de morts en une salve avec tous les canons du bâtiment, Bougainville aurait sans doute reçu un autre accueil.
Si Bougainville parle ainsi dans son carnet de bord « accueil chaleureux et douceur des mœurs », les capitaines anglais suivants ont été plus explicites : Les bonnes femmes étaient déjà à poil sur la plage, prête à accueillir n’importe quel marin qui voudra bien d’elle. Pour le pochtron de Southampton qui a été ramassé à la sortie d’une taverne pour brosser, savonner et laver le pont du bateau, et qui a plus d’un an de voyage derrière lui, quand il voit ça, et le pouvoir d’achat que lui donne quelques clous, il fait quoi ?… Bref, à partir de Wallis, Tahiti a été la hantise des capitaines, et ça s’est terminé par une catastrophe avec le Bounty exactement 20 ans après la découverte de l’île. Les gars ne voulaient plus repartir, y compris le second qui avait choisi une femme par là-bas, mais obligé, ils sont repartis lorsque le botaniste eux fini de faire pousser mille plans d’arbre à pain pour nourrir les esclaves (dans les Antilles je crois), c’était la mission du bateau et ça a prit assez de temps pour que les marins deviennent sentimentaux. Bref, ils sont repartit, se sont mutiné, ont mis le capitaine et ses fidèles dans une chaloupe, les ont laissé au milieu du Pacifique, ont passé les pousses d’arbres à pain par les fenêtres de la cabine qu’ils occupaient (ils avaient besoin de lumière et occupaient la meilleure cabine), et ensuite ils sont retourné à Tahiti. Mais le roi de Tahiti était suspicieux et ne croyait pas à leur histoire qu’ils avaient croisé un autre navire et blablabla…, alors quand il a compris l’embrouille, il leur a dit de prendre les bonnes femmes qu’ils voulaient et de décamper de son île pour ne plus jamais y revenir. Le roi ne voulait surtout pas d’histoires avec le si puissant roi Georges, alors c’est ce qu’ont fait les mutins, ils ont erré par les flots du Pacifique et ont fini par trouver une île inconnue. Après avoir récupéré tout ce qui était nécessaire, ils ont brûlé le Bounty (le navire) pour ne jamais être repéré. Ils ont fini par réussir à fabriquer un alambic et de l’alcool et on fini par tous s’entre-tuer jusqu’au dernier après avoir fait des enfants à ces tahitiennes. 20 ans plus tard, lorsqu’un baleinier américain découvrit l’île pour de vrai, il s’attendait à voir des sauvages, mais non, des jeunes qui parlaient parfaitement l’anglais et un seul mutin rescapé de toute cette histoire, les USA n’existaient même pas lors de sa disparition.
Bref, après le passage de Bougainville, on se retrouve avec une île qui a trois nom et trois rois : Le roi de Tahiti, l’île du Roi Georges (censée appartenir au roi d’Angleterre), et la « Nouvelle-Cythère », sensée appartenir au roi de France, un certain Louis, le roi de Tahiti ne savait plus où donner de la tête avec tous ces rois lointains...
Mais pour des voyages pareils, c’était 3 ans de boulot, de manque de vitamines, de scorbut, d’humidité, de cap Horn, de froid, de tempêtes, etc.
Aujourd’hui, je passe le col du Simplon en voiture en plein hiver, il neige et il y a des murs de 3 mètres de neige de chaque coté de la route, j’arrive à Malpensa (Milan) à 20h00, je décolle à 21h00, et je me réveille le matin à 08h00 sur une île dans ce genre en plein été. En une nuit on passe de l’hémisphère nord (hiver), à l’hémisphère sud (été), sans devoir travailler, ni être botaniste, ni capitaine, 800 balles et Fly-Emirates t’emmènes où tu veux dans le monde. Pas les moyens pour la business ou la 1ère ? Franchement, même si tu es dans la bétaillère derrière, il y a une télévision personnelle, des écouteurs, on peut choisir des films, se distraire, on reçoit à manger et à boire, un couverture si on est trop frisquet pour la clim, bref, quand on connaît les histoires des explorateurs, peut-on ne pas s’émerveiller de faire un voyage pareil dans des conditions pareilles aujourd’hui ? Moi je suis émerveillé, tout simplement, on se déplace plus rapidement que la moitié de la vitesse de la rotation terrestre, on change de fuseau horaire, et si on va assez loin on change même de jour, on peut même suivre la progression de l’avion sur l’écran. Et pour les vahinés c’est pareil, on leur a juste expliqué le taux de change entre un clou et un euro, c’est pas tellement plus compliqué. Non, en réalité c’est très difficile à dire si les tahitiens y ont gagné au change avec le fer, les choses industrialisées et l’argent. Le capitaine Cook donnait tout ce que les gens voulaient sauf les armes, il était très ferme là-dessus, et lorsqu’un tahitien eu volé un mousquet, le roi bloqua l’île et lança à la poursuite du voleur ses plus fins limiers qui connaissaient parfaitement les lieux, et en deux jours, ils lui ramenèrent le mousquet. Je ne souviens plus quel sort le roi ou Cook réserva au coupable. Mais aujourd’hui, depuis l’inauguration de l’aéroport international, j’ai l’impression que la Polynésie est plutôt faite pour les touristes que pour les polynésiens, qui sont un peu laissés pour compte et dans des conditions difficiles, tandis qu’avant, ils avaient tout à profusion, mais d’un point de vue chrétien, ils connaissent le message de Dieu, en général, tout le monde sait pourquoi on est en 2023. Avant l’aéroport, on leur a collé une sorte de cliché sur la tête qui a dépendu des circonstances de l’époque, et économiquement, je trouve que nous, découvreurs, nous n’avons été que moyens.
Si on veut rester sur le côté merveilleux oui, ces îles sont des merveilles de la création, des gens sont prêt à faire le tour du monde pour les voir, mais d’autres gens sont aussi prêt à venir de très loin dans mon coin. J’ai aussi suivit l’évolution de l’industrialisation, et je sais que grâce aux touristes anglais, on a eu un train dans la vallée dès la fin du 19ème siècle qui montait jusqu’à une station de ski (construite exprès pour les anglais). Mais avant 1870, de là où j’habite, il aurait fallut tout de même compter une journée de diligence pour arriver jusqu’à un train, peut-être vers Montreux, et ensuite ça ne devait pas aller bien vite mais ça devait être plus confortable.
J’ai un ami qui habite Lausanne, c’est à 100 kilomètres de chez moi, et je sais que si j’étais né il n’y a très peu de temps à l’échelle de l’histoire de l’humanité, disons au milieu du 19ème siècle, avec ce moyen extraordinaire qu’ils ont fait venir jusque au bout du lac Léman, en trois changements de chevaux dans des relais postaux, j’y suis, au train, et ensuite ce n’est qu’une question d’heure pour arriver à Lausanne, mais quand-même à tout compter, fallait bien une journée de voyage. On arrivait couvert de poussière, la route était cahoteuse et pas goudronnée, poussiéreuse, il faisait froid ou chaud… Là je peux passer un coup de fil à mon ami à 18h00 : « Salut, t’as quelque chose ce soir ? Non ? T’as envie de manger un morceau, je passe à Lausanne, on mange sur les quais, et après on boit un dernier verre chez toi, ça joue ? Oui ? Bon, j’arrive dans une heure, dépend la circulation ! » Et à 20h00, je me parque devant le resto de la marina de Lausanne, on mange un morceau sur le lac avec vue sur un pays du quartz monde déjà de l’autre côté du lac, on passe une bonne soirée, il est minuit, je vais retourner à la maison, alors je fends le noir de la nuit à 130km/h, il n’y a pas un tremblement, je ne suis même pas à 2000 tours minutes, autant dire au ralentit pour un moteur à essence, mais quelles que soient les conditions extérieures, je peux régler la température exacte que je désire, aucune poussière ni désagrément ni nid de poule sur l’autoroute, je peux même décider d’écouter un orchestre symphonique si le cœur m’en dit, les phares balaient à 200 ou 250 mètres à l’avant, rien à voir avec la loupiotte du cocher, et je ne sais pas pour vous, mais moi je trouve ça merveilleux, non ?
Au 19ème siècle, un voyage pareil m’aurait coûté très cher et il m’aurait fallut deux jours allez-retour et sans doute un jour pour me remettre du voyage, et là on est dans un salon qui se déplace extrêmement rapidement, même si j’ai l’impression à juste titre qu’à ce rythme, je suis vraiment très très prudent… au niveau du prix net, c’est juste 16 litres d’essence (donc une trentaine d’euros). Un des meilleurs spécialistes du climat est Jean-Marc Jancovici, c’est l’inventeur de la balance carbone, mais il est totalement sceptique sur les énergies alternatives (éoliennes et solaire) et coûteuses. Il dit que la richesse actuelle ne dépend que de l’énergie disponible. Un litre d’essence est l’énergie que vont dépenser 5 alpinistes pour monter et redescendre le Mont-Blanc, les seules deux aciéries françaises dépensent l’énergie de 20 millions de bras humains. Ça veut dire que si on supprime l’énergie (fossile et nucléaire principalement), la France a besoin de l’énergie de TOUS les travailleurs du privé pour faire tourner ces deux aciéries. Donc là je déplace 2 tonnes pour aller à 100 kilomètre manger un morceau, passer une bonne soirée avec un ami, 16 litres d’essence, c’est prodigieux ! Pour les voitures électriques avec des batteries qui font entre 500 et 800 kilos, il préconise de leur livrer aussi les 50 tonnes de terres polluées pour trouver les matériaux utiles à leur fabrication. Si un type accepte 6 à 7 camion de chantier remplis de terre polluée devant chez lui pour avoir sa voiture électrique alors oui, pourquoi pas, c’est sûrement une bonne idée. Et arrêtons avec un peu avec nos culpabilisations écologiques, tout le parc automobile mondial pollue autant que 15 porte-containaires géants qui fonctionnent à l’huile lourde. Il y a actuellement 85 porte-container géant qui sillonnent les mers, sans compter les super-tanker, alors si l’état voulait réellement lutter efficacement contre la pollution, il s’occuperait de faire avancer des cargo à l’essence ou au diesel (beaucoup plus puissants que l’huile lourde), mais ça coûts plus cher, et tous ces cargos battent pavillon panaméen pour ne pas payer d’impôts… Je veux dire, il y a des pays comme la France, l’Allemagne, les USA, face au Panama… et on arriverait pas à leur faire entendre raison ?
Bien sûr que oui, mais personne n’a envie de décarboner ces navires, ça coûterait et ça ne rapporterait pas tellement de taxe, les armateurs sont plus malins que les automobilistes. Du coup, si on veut remplir les caisses de l’état en faisant semblant de lutter contre la pollution, on emmerde TOUS les gens normaux et on laisse polluer les quelques brebis galeuses qui polluent vraiment. C’est pour cela que je n’éprouve aucune mauvaise conscience de griller 16 litres d’essence pour faire Lausanne-retour, et je peux me laisser complètement aller à mes rêvasseries.
Revenons ainsi à l’émerveillement, donc je est dans un salon mobile où je règle la température, la vitesse, la musique, mais je est aussi en sécurité, j’ai un verrouillage centralisé de l’intérieur, tandis que le cocher était nettement plus exposé aux bandits. Et voilà, Lausanne allez-retour sans même avoir besoin de réfléchir à organiser quoique ce soit.
Ça c’est juste quelque chose de merveilleux pour moi, tandis que le plaisir, c’est l’Allemagne, chaque année lorsqu’on va dans le pays de ma femme. A force, je connais l’autoroute par cœur et je la fait toujours de nuit et en semaine. Je sais que de Lindau à Munich je peux rouler au tempomat à 170km en priant mon chapelet, l’autoroute est droite ou en grandes et longues courbes, mais à 200 si je suis concentré, la voiture passera chaque courbe sans aucun problème. Et quand on passe Munich et qu’on se retrouve sur la 5 pistes, là il n’y a plus de limites. Même les gamins s’y mettent : Vas-y papa, et ils ont les yeux fixés sur le compteur… Ce qui est bien en Allemagne, c’est que tu peux doubler à 200 km/h une patrouille de police qui roule à 130 (vitesse conseillée), tu te sens coupable, donc tu regardes quand-même dans le rétro, les flics ne bronchent pas, et là tu te dis : Mais oui que bien sûr, foin de culpabilité mal placée, on est en Allemagne, c’est autorisé !!! (et c’est sécure en pleine nuit avec des autoroutes droites et vides).
Mais là on gravite à des allures 10 fois plus rapide que celle du cocher avec son meilleur attelage, à en perdre son chapeau et éteindre sa pipe...
Ceci dit, ici il s’agit de cas particuliers, mais il m’arrive souvent d’arrêter ma voiture pour capter un beau paysage, c’est très important pour moi. Quand je vois un beau paysage que j’ai envie de le conserver, je dois m’y plonger quelques minutes, et pour cela je ne peux pas conduire, mais c’est aussi de l’émerveillement.
Parfois je prends des photos de ce que je vois pour le montrer aux autres qui ne font pas attention à ces choses, mais même en cas de bonne réaction, ça reste : Ah oui c’est très beau (fini terminé on passe à autre chose). Personnellement, je n’ai pas besoin d’appareil photo, je peux capter une image, il me faut parfois quelques minutes et parfois c’est juste une image flash, et je peux la classer comme image intéressante et la ressortir des années après d’un tiroir de mon cerveau. Si je prends la peine de faire des photos et que je vois que les gens n’arrivent plus à s’émerveiller, eh bien je ne prends plus de photos et je garde ces images et ces moments pour moi.
Une fois il y avait un trou dans le brouillard, on voyait les montagnes au-dessus, mais la plaine était masquée par le brouillard et la brume sauf sur le village de Bramois, là il y a un trou et le soleil passe à travers pour illuminer ce village dans cet environnement fantomatique. Je suis sur une route plus haut, pas encore au-dessus des brouillards, mais 20 mètres plus haut, il fait sans doute beau. Mais pour cette image, je m’arrête, je la prend en photo, et quand je vois les réactions « ah ouais sympa... », je me dis que bah, les gens ne s’intéressent plus tellement au merveilleux.
Aujourd’hui, il faut de l’adrénaline, un parc d’attraction qui se contenterait de vouloir émerveiller les gens ne fonctionnerait pas, c’est très regrettable.
Je ne sais pas comment mettre des photos sur ce forum pour illustrer, mais si on est observateur, on peut voir le doigt de Dieu partout, dans toute la création, même les jolies vahiné en connaissant la véritable histoire de leur accueil si chaleureux.
Cependant, dans notre monde, Dieu est devenu insuffisant pour beaucoup de gens, alors des hommes fabriquent des choses qui vont émerveiller d’autres gens, et là aussi, je m’y laisse prendre. Dans ma chronique de présentation, j’ai fait plusieurs allusions à l’horlogerie, et je peux affirmer que j’ai vu des choses qui ne se font nulle part ailleurs dans le monde. On pense que les machines peuvent tout faire, mais ce n’est pas le cas. J’ai vu une vis que ni moi ni ma femme ne pouvions dire qu’il s’agissait d’une vis. En la regardant sur le papier, ma femme s’est risquée à répondre : « Un point d’interrogation ? » Alors la dame nous a invité à regarder dans la lunette, et c’était une vis. Pour visser ce genre de vis sans riper (sinon il faut recommencer, aucun défaut n’est toléré à ce niveau), il faut la vallée de Joux, un coin perdu avec un lac à 1000 mètres d’altitude, et ceux qui étaient des paysans l’été et horloger l’hiver au 19ème siècle, savent faire des choses là-bas qui ne se font nulle part ailleurs dans le monde. Et même si on englobe toute la haute horlogerie mondiale c’est quoi ? Quelques centaines de pièces au Japon avec Crédor + 6’000 pièces en Allemagne à Glasshütte, et encore, ils ont autant d’horlogers pour faire leur 6’000 pièces qu’Audemars Piguet dans la vallée de Joux pour en faire 50’000. Et les allemands commandent le boîtier, le cadran, les aiguilles, et les bracelets acier en Suisse… Alors oui, là-aussi il y a de l’émerveillement, quand on fabrique des objets avec une marge de tolérance de 2 microns, environ 30 à 50 fois plus fin qu’un cheveux, et que ça fonctionne, c’est exceptionnel.
Mais aujourd’hui ça ne va pas, parce que les gens ont des téléphones portables avec des protections aimantées, et s’ils posent leur montre trop proche de l’aimant de leur téléphone, ils magnétisent le spiral qui se colle et cesse de battre, il faut donc le dé-magnétiser (ça prend 5 minutes, mais c’est trop demandé), il y a donc eu des consortiums de marques qui se sont alliés pour faire de nouveaux spirals amagnétiques, certains y sont arrivé seuls, d’autres en groupe, aujourd’hui, une dizaine de sociétés dans le monde fabriquent des spirals, même si Nivarox, qui était le seul fabricant de spirals en 2000, reste le fournisseur du 95 % de l’horlogerie Suisse (en spiral amagnétique actuellement).
Cependant, toute la construction d’une montre est de l’ordre du merveilleux, quand on arrive à fourrer 350 pièces métallique dans 2 cm² et qui bougent, qui donnent l’heure, la date, le jour, le mois, le chrono, les phase de la lune, l’heure par sonnerie Westminster ou tout ce que vous voulez, sans pille ni électronique, et qui est fait pour durer des centaines d’années, on est vraiment aux antipodes de la société du jetable. J’ai vu une montre Vacheron Constantin de 1755 fonctionner en 2022, et lorsque ma femme invite cette jeune fille qui vient à la messe à la chapelle parce qu’elle passe des examens ou des concours de violon, et qui s’entraîne tellement sur son instrument…, alors quand elle m’explique qu’il a été fabriqué par un luthier en 1735, avant la naissance de Mozart, je trouve que c’est fantastique et merveilleux lorsqu’elle joue là-dessus pour la première communion de mon petit dernier. Il y a des objets ainsi, ils n’ont pas d’âmes, mais ceux qui les ont fabriqué y ont mit beaucoup de la leur.
Mais en horlogerie, tout est toujours question d’esthétique, à la base, tout est toujours question d’esthétique, vous pouvez sortir le truc le plus compliqué possible, s’il n’est pas esthétique, il ne marchera pas. Ce n’est pas les goûts et les couleurs, c’est objectif, si vous éventez parfaitement un jeu de carte à 360 degrés, et que vous enlevez 3 cartes à un endroit, vous voyez très bien que vous avez cassé l’esthétique, quels que soient vos goûts.
Pour en revenir au roi Georges, il avait un navire, un cuirassé plus précisément, qui s’appelait le Royal Oak (le Chène Royal en français), et un génie du design a visité ce bâtiment et est resté scotché devant un hublot octogonal, boulonné par huit boulons, et cette forme lui est restée en tête. Alors quand une grande marque Suisse lui a demandé une idée pour une montre sport en acier et étanche, il a pensé à cette forme, je pense que l’association cuirassé/métal ; étanche/navire ; sport / hublot octogonal, et en une nuit, il a dessiné ce qui est convenu aujourd’hui d’admettre qu’il s’agit-là de la plus belle montre de l’histoire horlogère.
Mais une fois qu’on tient la forme, on peut pousser les prouesses techniques jusqu’à n’importe quelle extrémité.
Je ne sais pas mettre de photo sur le forum mais je vais voir si en la collant sur la page word ça passe aussi sur le forum, c’est la Royal Oak du 50ème anniversaire (créer en 1972) :
Ici vous vous demandez sans doute comment ils ont fait pour visser des vis hexagonales dans des trous hexagonaux ? Ce n’est que des boulons (comme sur le navire), des écrous, les vis sont au dos pour tenir le tout ensemble sous pression et ainsi créer l’étanchéité...
Voilà, c’était un exemple d’une montre où il y eu un avant et un après, on appelle cela de la disruption, et dans le monde horloger, la Royal Oak est la montre de disruption par excellence, on est passé de montres de haute horlogerie fragiles, pas étanches, en or ou en platine à une montre sport avec bracelet intégré étanche, solide, et difficilement égalable esthétiquement. Techniquement, Audemars Piguet a prit la tête des trois grandes marques de haute horlogerie Suisse. Je trouve que ça fait partie des choses qui enchantent la vie, des merveilles faites de main d’homme. Pareil pour l’art, mais sur l’art, ce sera beaucoup plus difficile de donner un point de vue esthétique que sur un produit manufacturé de série. Avec l’art, on entre réellement dans les goûts et les couleurs, et j’ai beaucoup de peine à savoir si les artistes modernes sont nuls, ou bien s’ils ont perdu le sens du beau, ou bien ils font exprès pour provoquer une émotion d’incompréhension, ou bien ils sont devenu trop flemmards pour sculpter du marbre ? Ou c’est moi qui n’y comprend plus rien ? Difficile à dire…
Mais si je pouvais m’émerveiller des prouesses des explorateurs d’autrefois, je suis également en admiration de ce qu’ont fait les explorateurs modernes. Gagarin, John Glenn, Neil Armstrong et Buzz Aldrin, des cow-boy de l’espace. Pour Gagarine c’était simple, ils ont accroché une boite de conserve pressurisée au sommet d’un missile balistique et ont envoyé le tout en l’air en attendant de voir s’il arriverait à redescendre. Ceux des missions Apollo semblaient mieux organisés mais en réalité pareil, l’aventure, et l’enjeu était tellement important au temps des deux blocs qu’on ne faisait même plus de cas de certains nazis. Il faut s’intéresser un peu aux gens aussi, Wernher Von Braun qui sort de son bunker tout en étant filmé avec son bras dans le plâtre et son porte documents, tout sourire, il est capturé par les américains, il sait que le business va continuer (c’était le concepteur des fusées-vecteur V2 que les allemands balançaient sur Londres), et du fait de son savoir, il a été directement impliqué dans l’armée américaine, et ensuite dans les programmes spatiaux dès le traumatisme de Spoutnik. Dans les années 60 il a créé les lanceurs Saturn, les vecteurs les plus puissants que le monde n’avait jamais vu, capables de soulever 12 rames de TGV. Avec l’enjeu de la lune, Von Braun était l’un des rares à avoir une ligne directe avec Kennedy. Au niveau des personnages, il y a aussi Neil le bosseur, et Buzz le fanfaron. Buzz, le seul qui se soit permis de dire tout haut ce que tout le monde pensait tout bas après l’incendie et les morts d’Apollo 1, et à la conférence de presse, quand on leur demande ce qu’ils emmènent sur la lune, Buzz a tous les bijoux de sa femme et d’autres trucs (il sait que ça va valoir un paquet), et Neil répond : Si je pouvais prendre plus de choses, je prendrais plus de carburant (très sensé mais chiant).
Finalement, un astronaute qui a marché sur la lune n’est qu’un militaire américain avec une retraite de 2’500 dollars par mois, alors lorsqu’un astronaute d’Apollo 15 met en vente sa montre personnelle portée sur la lune, elle part à 3 millions (c’était en 2016 il me semble). Et pour l’Omega Speedmaster de dotation qui a sauvé la mise d’Apollo 11 : système électronique en panne dans le module lunaire, Neil a accroché sa montre (mécanique) sur le tableau de bord, et c’est Buzz qui avait l’heure et le chrono sur la lune, et Apollo 13 où tout était en panne, ils ont réussi à se remettre d’aplomb pour rentrer dans l’atmosphère avec une poussée très précise (nécessitant un chronométrage), et ça a passé raclette, là-aussi, grâce à une vieille technologie mécanique. Donc l’électronique oui, très bien, c’est formidable, mais n’empêche que ces gens ont été sur la lune avec un ordinateur dont la mémoire était de 2000 mots. Aujourd’hui, n’importe quel demeuré à un ordinateur un million de fois plus puissant dans sa poche, c’est un smartphone. Eux, perdus dans l’espace ou sur la lune ont eu besoin de montres qui se remontaient mécaniquement, à la main, sous peine de tomber en panne à la fin de la réserve de marche : 42 heures… Si tu remontes ta montre chaque jour, elle fonctionnera, et leur sauva la vie dans ces circonstances. Et pour celles de Neil ou de Buzz, Omega leur offrira n’importe quel prix pour les mettre dans son musée.
Avec internet a aussi prit essor les théories du complot. Même les bolchéviques ont félicités les américains, et là il y a une sorte de bloggeur ou de youtubeur qui se fait filmer et s’avance vers Buzz Aldrin qui est vieux, il devait avoir 85 ans et venait donner une conférence, et le type il lui dit : « Vous répondez quoi à ceux qui disent que vous n’êtes jamais allé sur la lune, qu’en réalité vous avez été à Hollywood et que c’est Stanley Kubrik a réalisé le film ? »
Là on voit le vieux Buzz qui envoie un crochet du droite au malotru, voilà la réponse qu’il donne à ceux qui disent qu’ils sont parti à Hollywood ! Et il a bien raison, inutile d’argumenter.
Et l’émerveillement s’arrête là, on ne peut pas passer d’un monde où on rêve d’explorer les galaxies et les frontières de l’infini à un monde qui n’a finalement produit que des bidules.
On avait de grands rêves dans les années 70-80, il n’y a qu’à voir les films qui sont sortis, Retour vers le Futur montre ce qu’on pensait que serait le monde 30 ans après 1985, en 2015, des voitures volantes, des overboard (des planches à roulettes sans roulettes, en lévitation), des habits qui s’ajustent et sèchent tous seuls, plein de choses, mais pas de smartphones, et un soir, on buvait un verre avec un ami au buffet de la gare de Lausanne et il me dit : « Mais comment ça se fait que les gens ne prient plus ? » On était sur la terrasse, et je lui dis : « Ben regarde les gens, tous les gens, ils ont autre chose à faire », et c’était vrai, tout le monde autour de cette gare avait ses yeux captés par le petit écran de leur smartphone, c’est d’ailleurs pour ça que je n’en ai pas, contrairement à beaucoup de monde. Si vous voulez savoir, une grande banque internationale qui observe les marchés a estimé que le trois-quart de la population mondiale possédait un smartphone (mais c’est un autre sujet).
Donc pour moi, il y a beaucoup de progrès qui sont merveilleux, des choses simples, mais plus personne n’y prête garde (un véhicule à moteur à explosion ou un ascensceur par exemple), tandis que les progrès dans le monde de l’électronique n’est pas forcément merveilleux, il faut garder une distance raisonnable, un ordi fixe pour les écritures et les nouvelles et les recherches, et c’est tout, pas d’ordi portable, pas de smartphone, juste un téléphone portatif. La masse d’information qu’il y a sur le web est prodigieuse, d’une certaine manière, la création du web est magnifique, mais il y a des vrais gens derrière chaque écran qui y mettent ce que l’humanité charrie de pire et de meilleur, donc c’est difficile d’émerveiller un type comme moi avec cette technologie, c’est trop abstrait comparé au monde réel et réellement merveilleux.
Je termine là car j’ai commencé avec une chronique sexuelle et on m’a dit que c’était pas le bon moment, et là je sens que le jeudi Saint arrive, en réalité il est déjà là, et le merveilleux, c’est difficile de faire coïncider avec la Passion, qui est un Sacrifice Merveilleux de la part de Dieu pour nous, mais il y a tellement de souffrances, tellement de sang, de déchirements, pour arriver à la victoire finale, porter tous les péchés des hommes pour les Sauver, et là Satan est ko.
Mais que le chemin est ardu pour mériter cette couronne, gloire à Jésus-Christ pour Son Sacrifice pour nous !
Je copie-colle ci-dessous une observation du merveilleux de la création mais déjà décrite dans ma chronique de présentation, copié-collé :
Pour moi, il est impensable de dormir dans une cabane de montagne à 3000 mètres d’altitude et de ne pas sortir la nuit, parce qu’à cette altitude, par ciel découvert, c’est un spectacle. Là-haut, il n’y a aucune lumière parasite, l’atmosphère est légère, alors je pose mon sac par terre, et je me couche en posant ma tête dessus, et là : Houaouuu ! Avec la lune, les rochers sont sombres, noirs, les montagnes ont une sacrée teinte, avec la roche et les glaciers, tout prend une teinte quasi métallique, c’est totalement différent de la journée, et tout est calme, on entend ce glacier craquer alors que la journée tout semble très statique. La nuit on ne le voit pas bouger, mais on l’entend bouger. Sans lune, c’est encore plus beau, on ne voit plus les montagnes ni les alentours, non, là on plonge complètement dans les étoiles, la voie lactée qui sépare le ciel en deux, c’est magnifique. Alors Bertrand (un trisomique) me suis, on s’installe et je lui montre. Il faut laisser une dizaine de minutes d’observation, et ensuite, lorsqu’on s’est imprégné de cette magnificence totalement gigantesque, je peux lui parler un peu, lui désigner Saturne et Jupiter, quelques constellation, l’étoile polaire avec la grande et la petite ourse, Cassiopée…
Parfois, un alpiniste normal sort de la cabane, on entend la porte, puis on entend pisser par terre, fermeture éclair, porte, et fini, il est reparti dormir sans rien voir.
Ça c’est juste un échantillon de la magnificence et de la grandeur de Dieu, mais les gens ne le voient plus. Maintenant il y a le réseaux Starlink d’Elon Musk, des milliers de satellites pour un internet mondial, même dans les zones les plus reculées, et gratuit, embêtant pour ceux qui font de la photo-télescope, mais si c’est ce que veut le monde… ben le voilà, magnifique non ?
Extra-bonus, Roman : Le Grand Chaos, ou Le Triomphe de la Force (267 pages word / 514 pages bouquin)
Le Grand Chaos
Le Triomphe de la Force
Tome I
Préface de Barnabé, scribe.
Moi, Barnabé, témoin privilégié de la chute du Chaos et de la naissance d’une civilisation, tient à apporter mon témoignage sur ce que fut le monde, sur ce qu’il est en train de devenir, et par qui tout cela fut.
En un jour pas si lointain, les jeunes, les adultes, et même les vieux demanderont :
Qu’es-ce qu’était le Grand Chaos ?
Voici la raison et l’objectif de cet ouvrage : répondre à cette question, pour toutes les générations futures, et afin que personne n’oublie cette tranche de l’histoire de notre humanité.
En introduction, disons que le Chaos se résume à une société mue par une violence revendiquée et acceptée comme un droit inhérent à chaque personne, avec toutefois quelques codes de conduite. On peut même aller jusqu’à dire que Le Chaos était d’une certaine manière discipliné. Quelques règles de bases, qui comprenaient des aspects moraux et une certaine logique dictaient la loi. La loi, quant à elle, permettait l’expression de la violence, quasiment sans limites, même si certains garde-fous indispensables pour la survie des clans étaient respectés.
Mon introduction sur le monde du Chaos serait toutefois incomplète si j’oubliais d’y inclure les plus grandes figures de cette société, trois hommes, les produits les plus purs issus d’un tel univers :
1) En premier lieu, celui dont personne n’oubliera jamais le nom, déjà reconnu comme une sorte de dieu vivant : Léopold Paralamo. A lui tout seul, Léopold incarne le monde ancien, celui du Chaos, et le monde nouveau, celui de la civilisation naissante. Il est sans aucun doute la créature la plus puissante que le Chaos ait engendré.
2) Le Seigneur Marco Fallacio, qui était déjà un Seigneur de guerre quasiment mythique alors que Léopold n’était qu’un enfant. Il joua ensuite un rôle certain dans ce qu’est devenu Léopold, et pour finir, il apporta une grande contribution aux côtés Léopold dans leur entreprise de destruction du Chaos.
3) Maître Rufus. Un homme dont presque personne ne connaît ni le nom ni l’existence. Discret, évitant les coups d’éclats, passant inaperçu dans les foules, Maître Rufus n’en est pas moins demeuré l’Eminence grise, sans doute l’un des meilleurs tacticiens de combat, ayant pratiquement élevé et éduqué Léopold dans l’art de la guerre à lui tout seul.
De ces trois personnes, seul Léopold est aujourd’hui encore en vie, bien que cette dernière ne tienne plus qu’à un fil. Son agonie se prolonge de jour en jour, mais il lui reste encore toute sa tête. Il est ainsi urgent que j’écrive cette histoire, afin qu’il puisse lui-même y apporter ses commentaires, ses réflexions et corrections.
D’après mon diagnostic, Léopold sera mort dans un mois, voire deux au maximum. Il le sait et n’est pas troublé par ce prochain événement, comme il le dit lui-même : « Si je suis une personnification de ce qu’était le Chaos, je n’ai pas l’ambition lui survivre. Le Chaos était mon monde et je m’y sentais à l’aise. Je l’ai détruit consciencieusement mais je n’y éprouve pourtant aucun remords, j’ai juste fait ce qu’il fallait que je fasse. Ce nouveau monde n’est pas mon monde, c’est un monde qui m’est étranger, un monde où je n’y ai plus ma place. Qu’il soit profitable aux générations futures, et ma vie n’aura pas été vaine. Aujourd’hui, je peux dire : Mission accomplie ! »
Même si sa vie fut brève, son nom résonne dans tous les clans et bourgs du monde connu, tandis que sa devise reste gravée dans toutes les mémoires : « La brutalité est l’apanage des forts, la cruauté est l’apanage des faibles ! », qu’il complétait souvent par « et que vivent les forts ! »
Léopold…, le nom le plus respecté et le plus craint de la terre.
Voilà l’homme qu’il faut connaître pour comprendre le monde du Chaos, et c’est lui-même qui va vous conter sa vie pendant qu’il en est encore temps.
Introduction,
par Léopold Paralamo
Maintenant que j’ai mis la main sur un homme qui sait reproduire les messages sur du parchemin, j’en profite pour lui faire part de mes mémoires avant que la mort ne m’emporte. Ainsi, cette histoire ne s’envolera pas comme les récits, qui deviennent au fil des générations, des légendes...
J’aime à boire quelques verres de vin en racontant mes expériences à Barnabé, qui n’est ni un marchand, ni un guerrier, ni un cultivateur, mais un scribe, le premier du genre que j’ai rencontré, et qui m’a accompagné depuis ce temps. Il sait reproduire tous mes dires sous la dictée, et est capable de redire mot pour mot les paroles qu’on aurait pu prononcer des années auparavant. Cette technique de conservation de la parole s’appelle « écriture ». Un bon scribe doit non seulement savoir écrire des paroles vocales, mais il lui faut aussi être capable de vocaliser les paroles écrites sur ses parchemins de papier. Bref, tout un art d’une complexité semblant à la portée de peu d’intelligences humaines. Barnabé m’informe qu’il n’en est rien, mais j’ai éprouvé d’atroces migraines lorsqu’il tenta de m’enseigner sa science.
Ces choses intellectuelles n’étaient de toute manière pas à l’ordre du jour dans le monde du Chaos, c’était plutôt la force qui se trouvait à la place d’honneur. J’ai donc peu d’érudition dans la manière de raconter mon histoire, mais les souvenirs y sont.
Le scribe m’incite à livrer mon histoire personnelle sur son support de parchemin. Je sais déjà que ma vie et mes combats sont contés dans les chaumières du monde, je deviendrais sans nul doute une nouvelle légende dans quelques temps. Cela me plaît et me suffit. Toutefois, selon Barnabé, il vaudrait mieux que ma vie soit écrite plutôt que contée. Ainsi, d’après lui, mon message ne subira aucune déformation au fil des générations qui s’égrèneront à ma suite, contrairement aux légendes...
J’accepte donc de lui dicter mes aventures et péripéties, ainsi que répondre à ses questions, dans ce qui deviendra la première et unique “biographie” (comme le dit le scribe), écrite dans ce bas monde.
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Présentation du monde du Chaos
Barnabé, scribe : - Léopold, peux-tu nous expliquer ce qu’était le Chaos, ta jeunesse, les activités qui s’y passaient, l’organisation politique de ce monde qui est en train de disparaître ?
Oui, je suis né dans le monde du Chaos, et je crois être une belle espèce de cet univers : ma vie durant, j’ai pratiqué l’art des combats et de la guerre. Mais, pour la bonne compréhension du récit, je crois qu’il serait intéressant de commencer par raconter un peu mon enfance au contact du Grand Chaos, car les futures générations ne le connaîtront plus. Apportes moi une cruche de vin Barnabé, et écoute un peu l’histoire avant de l’écrire. Ainsi, tu pourras y mettre les formes nécessaires pour qu’elle soit compréhensible aux civilisés qui la liront plus tard.
Je naquis dans la vallée Alpine qui s’étend du lac de Lémano jusqu’à la source du Rôôn, notre fleuve.
Note de Barnabé, scribe : A peine ai-je commencé à relire mes écrits à Léopold qu’il éructe « C’est quoi ces conneries de « Je naquis » ???, je naquis rien du tout, je suis né dans cette vallée, bordel ! », … j’explique donc à Léopold que j’ai traduis le verbe dans un temps plus propice à la bonne fluidité du texte… Il a maintenant compris et me fait confiance pour la suite de l’écriture. … Reprenons :
Je naquis dans la vallée Alpine qui s’étend du lac de Lémano jusqu’à la source du Rôôn, notre fleuve. Notre vallée se compose de six villes principales faisant chacune office de marché : Maurice, Bâtia, Tourbillon, Sièrs, Vièschp et Brilg. La vallée est large et profonde, convient bien aux cultures, mais peut subir de grosses inondations à la suite des crues du fleuve durant la saison des pluies. Parfois, durant l’hiver, nos sommets se couvrent d’une fine couche de neige, mais il est rare qu’elle descende déranger nos pâturages et villages de montagne. Les légendes disent qu’autrefois, il neigeait jusqu’en plaine, et que des neiges éternelles recouvraient nos hautes vallées latérales…? A dire vrai, je me souviens de la dernière fois où la neige est descendue jusqu’à notre clan de Nendar, c’était l’hiver de mes 9 ans. Nous bénéficions donc d’un bon climat durant toute l’année. Les pluies, même hors saison, n’étaient pas rares, et nos torrents et autres affluents ne se retrouvaient pratiquement jamais à sec. Les anciens nous content encore la dernière grande sécheresse qui ravagea le pays au temps de leurs grands-parents. Elle sévit dans la vallée environ un siècle avant ma naissance. On raconte qu’il ne plut que quatre fois en trois ans. En ce temps, les hommes purent voir le Rôôn à sec ! Depuis, nous n’avions plus vécu pareils phénomènes, et rares étaient les années où nous perdions une partie des récoltes en raison du manque d’irrigation. L’été était chaud, mais restait humide et acceptable pour les cultures. Les habitants de plaine pouvaient d’ailleurs tout récolter et moissonner avant les grandes crues d’automne. Nos conditions de vie demeuraient ainsi tout à fait acceptables.
En montagne, à l’emplacement des villages, nous n’avions pas de crues à redouter. Chaque automne, lors des grandes pluies, il y avait toujours quelques glissements de terrain et éboulements, mais à l’origine, les clans furent judicieusement positionnés. Les ancêtres qui décidèrent la construction des villages tinrent compte de deux facteurs : Le lieu du clan devait être sécurisé contre les événements naturels, ainsi que judicieusement positionné d’un point de vue stratégique. Les villes et villages de l’ancien monde se situaient dans des endroits qu’aucun stratège de notre temps n’aurait eu idée de bâtir. C’était d’ailleurs dans ces ruines que nous nous approvisionnions en matériaux comme le fer, le verre, et autres éléments plus étranges que l’ancienne civilisation utilisait. Les légendes disent que dans l’ancien monde, les hommes savaient maîtriser la nature et vivaient en paix. Nous ne trouvions d’ailleurs aucune ruine d’enceinte autour de quelque ville ou village que se soit. De nos jours, aucun clan n’aurait l’idée de s’installer sans dresser d’abord une enceinte de protection.
Tout le monde savait bien qu’avant nous, une ancienne civilisation avait existé, nous l’appelions « l’Ancien monde ». Des ruines, envahies par la végétation, subsistaient ça et là. Le plus étonnant étaient les ruines des villes inondées chaque année lors des pluies. Nous ne comprenions pas comment avait fait l’ancienne civilisation pour maîtriser les masses d’eau que draine le Rôôn en crue. Ils avaient certainement dû domestiquer le fleuve, car leurs populations occupaient la plaine entière durant toute l’année. Sans une maîtrise totale de la nature, personne n’aurait pu habiter aux emplacements de ces ruines, sous peine d’être noyé ou emporté par des coulées de boue.
Les légendes voulaient que dans l’ancien monde, tous les hommes soient des savants, des espèces de demi-dieux. On racontait que l’homme était capable de faire le tour du monde, de voler dans les airs, et même de traverser le grand néant jusqu’à la lune. Ils disposaient de carrosses dix fois plus rapides que nos plus beaux attelages, mais sans aucun attelage !... Ils maîtrisaient les alliages des métaux les plus subtils. Aucune découverte de l’ancienne civilisation ne semblait connaître les limites du possible et de l’impossible. La seule chose qui nous paraissait impossible, c’est que des hommes aussi savants aient pu disparaître. Certaines légendes soutenaient qu’ils avaient abandonné la planète pour une autre plus clémente, dans le grand néant, et étaient partis s’y installer définitivement. Toutefois, une autre légende, plus crédible, expliquait que les anciens hommes étaient devenus si savants qu’ils voulurent tuer les dieux pour prendre leurs places. Les dieux auraient alors puni les hommes en envoyant des fléaux et le malheur sur terre. Un malheur si phénoménal et si terrible que malgré toute leur science, les hommes-dieux n’y purent rien. Suite à ces ravages, l’humanité tout entière entra alors dans le Grand Chaos. Notre civilisation était dénommée ainsi, mais de fait, notre monde nous semblait bien structuré et nullement chaotique, avec des clans, des marchés, des chefs, des parias et des esclaves. Le terme de Grand Chaos date sans doute de la nuit des temps, mais nous ne savons pas depuis combien de temps. Le Grand Chaos, ou la Longue Nuit, c’est selon, a tout emporté, même le temps...
Ceci dit, la plupart de nos trouvailles dans les ruines des anciens villages restaient pour nous incompréhensibles. L’ancienne civilisation disposait de formidables machines dont on ne peut même pas deviner l’utilité. Néanmoins, pour nous, tout était utile, car nous trouvions là toutes sortes de matériaux, alliages et machines possibles et imaginables, que nous fondions afin de les remodeler selon nos besoins.
En réalité, malgré toutes nos trouvailles, nous ne savions rien de l’ancienne humanité. Quelle était leur politique ? Comment géraient-ils leur système commercial ? Comment vivaient-ils ? S’ils vivaient en paix et qu’ils disposaient de machines fantastiques qui faisaient leurs cultures et récoltes à leur place, comment géraient-ils leur temps libre ? Que faisaient-ils de leurs journées s’ils ne pratiquaient ni la guerre, ni l’agriculture ? Sont-ils nos ancêtres ou sont-ils partis conquérir de nouveaux mondes, abandonnant la sous race que nous sommes à notre sort ? Dans notre monde, il n’y avait pas vraiment de savants. Des hommes intelligents, diplomates et talentueux oui, mais pas de savants, ils n’existaient tout simplement plus. Le premier que j’ai vu c’est toi, Barnabé !
Mon scribe est en effet le premier homme que je rencontrai à savoir déchiffrer et comprendre les signes de l’Ancien monde. Aujourd’hui, nous savons qu’il s’agit de chiffres et de lettres, mais dans ma jeunesse, nous appelions ça « les signes de l’Ancien monde ». Nous trouvions parfois des gravures sur pierre ou sur fer, mais personne n’était capable de déchiffrer ces signes. Le mystère restait entier.
Enfin, il y avait une dernière légende fabuleuse : celle de la Grande Ville mythique. La légende raconte qu’une ville de l’ancien monde a survécu au Grand Chaos. La ville mythique est une cité immense regorgeant de toutes les plus belles richesses de la terre. Là se trouverait toutes les promesses, toutes les réponses aux autres légendes. Là était l’exception et l’explication de l’évolution du monde, de la survenue du Grand Chaos, et tout simplement la réponse à la simple question de savoir : « Qui sommes nous ? ».
Toutes les légendes étaient contées au passé, seule la Grande Ville était racontée au présent, c’était LA légende qui fascinait. Toutefois, tous ceux partis chercher cette ville ne sont jamais revenus. L’histoire situe la grande ville au sud, mais nous ne connaissions ni la distance ni l’endroit. Des Alpes jusque là, nous devrions pénétrer dans une terre qu’on nomme la Péninsule. C’est, dit-on, une longue langue de terre qui s’étend entre deux mers. Il y avait cependant une multitude de territoires à traverser pour mener à bien une telle expédition. Sans compter les parias et les bandits de grand chemin, les clans n’étaient pas non plus réputés pour leur hospitalité. Il y avait des jungles à traverser, des gorges, des fleuves. Ceux qui partaient chercher la grande ville étaient plutôt des illuminés. Parfois, il s’agissait tout de même de groupes de gens obsédés par cette légende, qui s’armaient pour entreprendre une expédition de suicide collectif...
En ce temps-là, nous ne savions pas beaucoup plus que ça sur l’ancien monde, mais cela ne constituait de toute façon pas le principal de nos soucis. Nous avions en effet assez à faire dans nos propres territoires.
A chaque lune, durant trois jours, se tenait le grand marché à la ville. Notre clan dépendait du marché de Tourbillon et nous nous y approvisionnions régulièrement en troquant nos biens de production contre ceux de la plaine ou d’ailleurs.
Concernant la nourriture, nous étions relativement bien organisés. Le café, très apprécié de toutes les populations, poussait en haute montagne, tandis que le sucre qui va avec, venait d’habitude des plantations de betteraves du coteau. La canne à sucre, qui est le fin du fin en matière de douceurs avec le cacao, n’arrivait pas à maturité dans notre climat alpin, un peu trop rigoureux pour ces plantes. Toutefois, les marchés d’Aoste et de Domodosolia, situés dans les contreforts sud des Alpes, proposaient ces denrées qui étaient largement cultivées dans la vaste plaine au sud des montagnes. Certains commerçants en emmenaient parfois jusque dans notre vallée.
Les producteurs de vin avaient planté leurs vignes sur les pans de coteau d’altitude les plus ensoleillés. Nous n’avions donc pas de vignes car notre territoire se situait sur la face nord de la montagne, et il manquait de soleil pour cette culture. Par contre, nous avions la chance de disposer de nombreuses têtes de bétail. Nous mangions de la viande sans nous priver et pouvions troquer le cuir, la laine et les fromages au marché. Pour la fabrication de vêtements plus légers, il nous fallait du coton dont toutes les plantations étaient en plaine. Les clans de basse altitude fournissaient le gros des épices, tandis que le sel était importé dans la vallée. Des mines se trouvaient au bord du lac de Lémano, et les convois distribuaient la précieuse marchandise dans tous les marchés de la vallée. D’importantes escortes armées accompagnaient les délégations se rendant au marché, car les biens transportés attisaient toujours la convoitise de quelques troupes infâmes.
Lorsque les délégations des clans se rendaient au marché, elles étaient désarmées aux portes des enceintes de Tourbillon, les guerriers de la ville assurant le maintien de l’ordre dans le lieu. Les chefs de clans profitaient de l’occasion des jours de marché pour se rencontrer, régler ou envenimer leurs conflits. Pour tirer au clair leurs différents, les chefs s’affrontaient parfois en duel, directement sur la place centrale de la ville, à la plus grande joie de la populace. Les combats de chefs étaient toujours très impressionnants et appréciés, car tous devinrent chefs après avoir combattu et vaincu les meilleurs guerriers de leur clan. D’autres fois, les chefs en conflit faisaient sortir leurs hommes de la ville pour entamer de petites guerres éclairs à l’extérieur, qui faisaient le plaisir des spectateurs se massant sur la muraille pour encourager l’un ou l’autre camp. Le but du jeu consistait à massacrer tous les guerriers adverses, avant d’humilier le chef perdant, qui avait alors le choix entre capituler ou mourir.
Tourbillon était une ville de plaine, disposant d’une belle muraille de pierre abritant une population d’environ 6’000 individus. Les ruelles y étaient étroites mais les maisons bien bâties. Toutefois, les villes n’étaient aucunement des chefs lieus. Elles ne disposaient d’aucun pouvoir politique sur les clans gravitant autour, et ne servaient que de place de marchandage. Notre village, Nendar, était construit en altitude, sur un promontoire surplombant la plaine. Nous nous protégions avec une grande enceinte doublée faite de troncs de mélèzes entiers plantés à même le sol. Tout autour du village, une distance d’un jet de flèche avait été déboisée. Huit miradors s’élevaient au dessus des enceintes, et des guetteurs se relayaient perpétuellement dans ces postes de surveillance. Nos maisons étaient plutôt construites en bois qu’en pierre, contrairement au marché. Nous n’avions qu’un seul grand bâtiment entièrement bâti en pierre, il s’agissait de la citadelle, mais chaque village disposait également de tels ouvrages.
Les citadelles constituaient le dernier refuge en cas d’envahissement du clan. Elles étaient presque un village dans le village. Notre citadelle, située au centre de la bourgade, était aussi entourée d’une imposante muraille, mais en gros blocs de pierre, contrairement aux enceintes de bois autour du village. Au bas de la muraille, un fossé avait été creusé et nous ne pouvions accéder au bâtiment que par le pont-levis. Notre citadelle comptait six étages et faisait office d’habitation pour les chefs et les différents conseils du clan. Nous engrangions une grande partie de nos récoltes au dernier étage, tandis qu’au-dessous se trouvait la demeure du chef et de sa famille. Un étage plus bas logeait le conseil des anciens et leurs familles, puis il s’y trouvait encore au-dessous le conseil des matrones. Les deux étages du bas étaient réservés aux banquets et autres réjouissances en tant de paix, mais pouvaient accueillir toute la population du clan si des ennemis parvenaient à pénétrer à l’intérieur du village. Auquel cas, le pont-levis était remonté, et les assaillants avaient peu de chances de vaincre les défenses de cette bâtisse. L’ennemi ne pouvait que faire le siège.
Conquérir une citadelle requérait d’instruments de combat autres que des flèches ou des béliers. Elles ne disposaient pas de grandes fenêtres mais plutôt de meurtrières, et il était pratiquement impossible de bouter le feu à ces constructions de pierre. Le toit était soigneusement recouvert d’ardoises, et les flèches enflammées pouvaient l’atteindre sans dégâts. La vie de tous les jours se déroulait ainsi autour de ces forteresses, dans le village qui s’étendait au bas, jusqu’aux limites des enceintes de troncs. Les logis du clan entouraient la place du village où se déroulaient toutes les activités communautaires, marchandages, tournois et jeux.
En termes de défense du territoire, notre village surpassait la ville. Non seulement, notre clan était extrêmement bien situé et défendu, mais de plus, sur toutes les voies d’accès, nous avions des hameaux. Même si ces hameaux ne disposaient pas de citadelles, ils étaient aussi dûment fortifiés et protégés par de solides enceintes de bois. Ils faisaient ainsi office de postes avancés. Nous en avions une demi-douzaine sur le coteau, et en cas d’attaque, l’alerte était répercutée immédiatement jusqu’au village par le son des cors d’alarme. Même si notre clan ne comptait que 4’500 âmes, notre puissance militaire équivalait au moins celle de Tourbillon. Notre politique avait toujours misé sur un contrôle strict du territoire, et nous avions en permanence plusieurs centaines de guerriers en patrouille aux quatre coins de notre montagne. Nous payions ainsi un lourd tribu en forces armées, car les guerriers n’étant pas cultivateurs, cela augmentait le travail des paysans. Toutefois, ils cultivaient en sécurité et ils ne se plaignaient pas. Les femmes appréciaient également cette politique, car elles pouvaient sortir du village à leur guise sans trop craindre d’être kidnappées.
Le conseil des matrones avait d’ailleurs remarqué cela, et elles durcirent leurs règles envers leurs congénères. Puisque les hommes se dévouaient pour sécuriser entièrement le territoire, et ainsi donner une plus grande liberté et aisance de mouvement aux femmes, elles devaient apporter aide et assistance aux cultivateurs. Finalement, tout le monde y trouvait son compte et personne n’envisageait de changer de système sur ce point. Les femmes étaient rassurées, les cultivateurs aussi, et ils recevaient en plus une aide bienvenue. Les guerriers étaient satisfaits de leur statut, et leur nombre faisant la puissance du clan, ce dernier était respecté par les autres. De la sorte, le chef disposait d’un poids politique plus important lors des réunions au marché, et pouvait plus facilement imposer ses solutions aux adversaires. Ainsi, tout était parfait pour chacun.
Armadé, mon père, devint chef du clan à vingt ans, l’année de ma naissance. Chaque fois qu’un vieux chef mourrait, un grand tournoi s’organisait, et tous les guerriers du clan pouvaient tenter leur chance. Le vainqueur du tournoi était déclaré nouveau chef jusqu’à sa mort. Armadé était un homme d’une grande intelligence, mais sans doute pas le plus robuste. Par contre, il maniait les armes avec une agilité hors du commun, et disposait à chaque fois de mille stratégies pour vaincre, par tous les moyens. D’ailleurs, ce ne fut pas par la force qu’il remporta la finale, mais grâce à une poutrelle de bois dont il avait sectionné les amarres. Elle s’abattit avec force fracas sur le crâne du malheureux dauphin, qui fini assommé. Le combat fut déclaré loyal et père devint chef de Nendar. De toute façon, il n’y avait aucune règle à respecter durant les joutes et tournois. Les seules interdictions étant de demander l’aide d’un comparse, ou de toucher le cheval s’il s’agissait de combats montés.
Le chef disposait ensuite d’une autorité totale sur son clan et décidait de la politique à mener. Une autre frange du pouvoir était le conseil des anciens. Ce conseil se composait des douze plus anciens guerriers du clan. Leur tâche consistait à seconder le chef dans ses décisions, lui faire part de leur expérience et apporter les conseils utiles. Les anciens pouvaient bloquer une décision politique si l’unanimité d’entre eux votait contre l’avis du chef, ce qui était rarement le cas. Ce conseil était chargé de juger les villageois indisciplinés, le chef se contentant d’approuver la sentence où, dans des cas exceptionnels, de gracier le coupable. Dans la théorie, le conseil des anciens devait aussi juger les femmes, mais les matrones les avaient déclarés inaptes à faire appliquer les règles au sexe faible.
Il faut comprendre que durant le Grand Chaos, environ un accouchement sur six se terminait par le décès de la mère. Ainsi, toute la puissance d’un clan se construisait autour de la fertilité des femmes. Un enfant sur deux n’arrivant pas à l’âge adulte, une baisse de la natalité signifiait toujours une future perte de puissance du clan. Ainsi, lorsque la proportion hommes-femmes n’était plus équilibrée, nous organisions des expéditions de capture dans les territoires voisins. Cependant, les femmes bénéficiaient de toute notre attention, car chacune d’entre elles était précieuse. Les règles à ce sujet étaient d’ailleurs les plus dures : Le fait de lever la main contre une femme pouvait encore passer pour un mouvement d’humeur possible à corriger, et les indélicats recevaient leur punition sur la place publique au vu du village tout entier. Par contre, celui qui avait vraiment blessé une femme n’était même plus châtié, les juges le déclaraient paria. Sous les huées de la plèbe, le malheureux n’avait plus qu’à quitter le village, banni à vie. Condamné à errer sans terres ni ressources, il ne tardait pas à se joindre aux groupuscules de parias hors clans.
Ainsi était la loi.
Les femmes bénéficiaient d’un respect tel que même durant les enlèvements, nous n’avions pas le droit de molester celles que nous emportions. Nous pouvions les maîtriser fermement, mais jamais les battre, ce qui n’était pas leur cas. Parfois elles luttaient dur, frappant, griffant ou nous mordant dans les avants bras jusqu’aux os alors que nous galopions pour rejoindre notre territoire. Elles pouvaient donc se défendre à loisir tandis que la riposte nous était interdite.
A vrai dire, nous ne voyons pas directement les défauts de la gente féminine, car elle représentait d’abord la promesse de la pérennité du clan, et ensuite seulement, un vrai être humain capable de fautes. Les matrones sont des anciennes ayant survécu à toutes leurs grossesses. Elles avaient déclaré les guerriers incapables de juger les femmes, et prirent elles-mêmes les choses en main. Les lois qu’elles établissaient pour leurs semblables étaient d’ailleurs bien plus dures que les nôtres. En gros, tout ce que nous demandions aux femmes était de nous faire de solides bébés, tandis que les matrones exigeaient d’elles beaucoup plus. C’était la troisième forme de pouvoir du clan, qui s’occupait de toutes les affaires féminines.
Nous n’avions pas de cellules de détention, et chez les deux sexes, il y avait des jugements impliquant des punitions publiques, de la plus légère à la plus lourde, la peine de mort. Le chef utilisait souvent son droit de grâce envers les femmes condamnées, et rarement, pour ne pas dire jamais, envers les coupables masculins.
Il existait néanmoins des gens qui n’étaient pas jugés. Considérés comme maléfiques, aucun bourreau ni guerrier n’aurait jamais levé la main sur l’un d’eux, de peur que la malédiction retombe sur le clan. Ces êtres étaient déclarés parias, et bannis des villes et villages. Avant d’être bannis, on les marquait au fer rouge sur le front. Il s’agissait juste de provoquer un signe indélébile, visible au premier regard, afin que chaque clan puisse l’identifier immédiatement.
Les parias étaient considérés comme des irrécupérables, qu’on peut facilement classer en 4 catégories :
Les femmes qui n’enfantaient pas ! Leur homme avait beau l’accoupler, son sein restait stérile et infécond. Nous ne savions pas pourquoi certaines étaient prises par cette malédiction, mais dès le mal identifié, elles étaient mises en quarantaine avant de quitter définitivement le territoire, de peur qu’elles ne contaminent les autres. Ce genre de malédiction semblait frapper au hasard dans la population sans que les guérisseuses ne puissent rien pour les désenvoûter. Celles soupçonnées d’infertilité étaient cependant dûment contrôlées avant le bannissement. Nous ne prenions pas le risque de laisser partir dans la nature de futures mères si c’était leur homme qui se trouvait stérilisé par la malédiction. Ainsi, le conseil des matrones avait jugé opportun de laisser les femmes suspectes trois lunes à l’épreuve d’un homme dont on connaissait la puissance de procréation. Si après ce temps elles se retrouvaient enceintes, la preuve était faite que la malédiction pesait sur l’homme. C’était alors lui qui devenait paria et quittait le clan.
Rarement, nous voyions aussi des comportements masculins infernaux : Des hommes s’accouplant avec d’autres hommes ! Ceux-là étaient aussi irrécupérables, incapables de comprendre qu’un homme est d’une inutilité totale pour porter la vie en son sein ! Ils étaient donc bannis. Nous avions aussi eu connaissance de femmes agissant de même, et refusant les hommes... Inutiles également, et donc chassées du clan. Plus immonde mais encore plus rares étaient ceux qui s’accouplaient avec des enfants !? Ils pouvaient blesser des futures mères, et quittaient le village sous la vindicte populaire.
Ceux qui blessaient les femmes de manière à les rendre impropre à la procréation étaient également bannis. Mais généralement, les hommes n’allaient pas jusque là dans la brutalité, il ne s’agissait le plus souvent que de mouvements d’humeurs, et la femme s’en sortait avec un oeil boursouflé ou une joue enfoncée. L’homme était cependant si sévèrement châtié, que rares étaient ceux qui recommençaient de sitôt.
Les traîtres n’étaient pas non plus jugés, mais bannis, car celui qui trahi une fois recommence toujours...
On peut donc dire que la catégorie des parias ne concernait que les individus mettant en danger la pérennité du clan, soit en trahissant, soit en n’ayant pas les moyens de participer à son développement humain.
Le conseil des anciens ne jugeait de fait que les infractions moindres. Les criminels occupant le haut du pavé de la hiérarchie des délits, ils étaient normalement mis à mort à l’occasion de festivités villageoises, bien que certaines circonstances puissent donner droit à la grâce du chef. Les autres manquements aux règles étaient sanctionnés par des châtiments correspondant à la faute, un des plus durement puni était le viol sans le consentement de la lésée. En général, le violeur s’en sortait avec le dos quadrillé et lacéré sous les coups du fouet, puis aspergé d’alcool pur ; d’un côté pour désinfecter, mais d’un autre côté aussi pour qu’il sente bien passer la morsure finale de la punition.
Les anciens pouvaient déclarer esclave un individu ou toute une famille de notre propre clan, notamment et surtout celles des traîtres. La loi voulait que pour prévenir la trahison, le châtiment devait être des plus exemplaire et collectif ! Les traîtres quittaient leur clan avec la marque des parias sur le front, tandis que leur femme et enfants devenaient esclaves. Cela donnait à réfléchir avant de trahir...
Les esclaves étaient aussi des hommes d’autres villages fais prisonniers. Les parias ne servaient bien entendu jamais d’esclaves à cause de la malédiction. Ils formaient des groupes assez peu organisés qui erraient par les territoires de la vallée. Ils subsistaient en bandes allant d’une douzaine à une vingtaine d’individus, pour ne s’unir que lors des transports au marché. A ces occasions, ils s’attaquaient habituellement aux caravanes de marchandises des clans les moins bien protégés. Ce n’est d’ailleurs qu’en cas d’attaque de leur part que nous pouvions les tuer sans craindre que la malédiction ne s’abatte sur nous.
Nous savions tous que ces parias aspiraient à former de nouveaux clans selon leurs règles infernales. Toutefois, pour tous les chefs traditionnels, il était hors de question de voir naître une telle union de parias. Personne ne cèderait une once de territoire à de tels êtres. Si nous découvrions une de leur culture à terme, nous ne la prenions pas mais la brûlions et laissions le champ en jachère durant 4 ans pour le libérer du maléfice. A peine essayaient-ils de monter une palissade de protection que le lendemain, il n’en restait que des cendres. Ils n’avaient donc pas beaucoup d’autres solutions que nous voler pour survivre.
Il y avait une autre affaire qui n’était pas jugée car considérée comme privée, l’adultère. En cas d’adultère, les femmes n’étaient pas inquiétées, mais l’homme lésé pouvait obtenir réparation en demandant un duel à mort au fornicateur, ce dernier étant obligé d’accepter, sous peine de sanction publique infligée par le conseil des anciens. Si le cocu était guerrier, il se chargeait lui-même du duel, mais s’il était paysan, il pouvait demander à son guerrier attitré de mener le combat pour lui. Chaque paysan avait un guerrier attitré : Le paysan lui confiait ses enfants pour leur éducation militaire, tandis que le guerrier lui prêtait les siens 3 jours par semaine pour l’aide et l’apprentissage des métiers de la culture et de l’élevage. Ainsi, si un combattant forniquait avec la femme d’un paysan, ce dernier pouvait laver son honneur dans un duel par procuration, via l’entremise de son guerrier. Ces combats à mort se déroulaient en général sur la place du village, pour le divertissement des spectateurs, qui encourageaient l’un ou l’autre…
Du côté de nos religions, elles variaient selon les chefs au pouvoir. Il y avait en effet deux tendances qui s’affrontaient régulièrement, l’une et l’autre trouvaient preneur parmi les populations :
Le culte des esprits de la nature était une croyance plus concrète. Cette doctrine voulait que chaque élément soit mû par un esprit particulier. Ils croyaient que la montagne était investie d’un esprit plutôt vengeur et belliqueux, ainsi le respectaient-ils particulièrement. Certaines légendes parlaient de montagnes se jetant sur des villages entiers pour les engloutir à jamais... Il y avait aussi l’esprit de la forêt, pacifique et calme ; l’esprit des champs, généreux ; l’esprit du fleuve qui varie d’humeur au gré des saisons. Ensuite, il y avait les grands esprits comme celui du vent, qui voyage constamment ; celui de la pluie qui abreuve le sol et les champs, mais qui peut aussi être colérique ; celui du tonnerre et de la foudre, impétueux et sans scrupules. Enfin, il y avait les esprits des astres qui modifiaient l’humeur de la nature et même celle des humains, en particulier l’esprit lunaire. Celui du soleil était le plus important. Il représentait l’esprit de vie, c’était grâce à lui que tous les autres pouvaient subsister. Les adeptes de ces croyances vénéraient particulièrement le soleil comme étant le père fondateur de la terre.
Une autre religion voulait qu’il n’y ait aucun esprit de cette nature, mais un immense Esprit qui embrassait toute la création, de la terre et de tous les astres. Cet Esprit était l’Architecte et le Créateur de l’univers, il était le père de tous les dieux. Il était présent avant l’univers, il était là et le resterai après la fin du monde. Le Dieu tout puissant était la croyance la plus répandue chez nous. C’est lui qui réglait tout sur terre et dans les cieux. Nous n’avions cependant pas le droit de le prier directement, car nous étions trop insignifiants à ses yeux pour oser le déranger. Nous ne pouvions le louer ou le remercier qu’en lui sacrifiant une bête ou quelques récoltes afin d’attirer Sa sympathie sur notre clan. Les seuls dieux que nous pouvions invoquer directement étaient les dieux mineurs, fils du Tout puissant, comme celui de la guerre, de l’amour, de la fertilité, des guérisons, etc. Et selon la croyance populaire, ce Dieu Tout Puissant avait un fils vivant en chair et en os sur cette terre ! Mais là, il ne s’agissait plus de croyance, c’était concret et réel. Tous les hommes de plus de 30 ans de notre clan l’avaient vu, il était venu en personne 25 ans auparavant à Tourbillon. Celui qu’on nommait le fils de Dieu s’appelait en réalité Marco Fallacio, dit aussi « Le Magnifique », « Roi des guerres », « Seigneur des duels », « Terreur des parias », « Divin guerrier », « Le Dieu au casque d’or », ou encore plus simplement « Le Maître ». Bien sûr, nous doutions qu’il s’agisse là d’un réel fils du Dieu Tout Puissant, mais s’il devait en exister un sur la surface de la terre, c’était bel et bien lui qui pouvait prétendre être ce fils, car Marco Fallacio était la perfection incarnée.
Armadé, mon père, adhérait plutôt à la croyance du Dieu Tout Puissant, car elle expliquait bien plus de choses que les esprits naturels. Le Dieu Père de tous les dieux avait créé l’univers, le monde, la nature, les bêtes et l’homme. Mon père voyait mal comment les esprits naturels pouvaient expliquer leur propre création ainsi que la nôtre sans l’intervention de l’Architecte Tout Puissant. Cette croyance me convenait aussi mieux que l’autre.
Cependant, même si le chef pouvait décréter la religion officielle de son clan, il avait généralement suffisamment de jugeote pour laisser chacun continuer à croire en ce qu’il voulait. De toute façon, il valait mieux essayer d’éviter les affrontements domestiques, car nous avions assez à faire avec l’extérieur.
Les guérisseuses invoquaient sans arrêts les dieux et les esprits de la nature. Mais leurs psalmodies restaient totalement incompréhensibles aux non-initiés, et ne nous donnaient ainsi aucune indication sur leurs prières. On pouvait bien se demander si elles invoquaient la religion officielle, nous ne savions jamais la réponse. Toutefois, nous leur laissions appliquer cette science à leur guise, car les guérisseuses nous étaient d’une grande utilité. Elles connaissaient les vertus curatives de toutes les plantes et aidaient bien des malades à vaincre leurs maux. Chaque clan et marché comptaient plusieurs guérisseuses qui se transmettaient leur savoir de génération en génération.
Le point faible de notre monde était les voies de communications. De notre village de Nendar, deux chemins praticables avec des chars à boeufs ou autres charrettes rejoignaient la plaine. Cependant, durant la saison des pluies, les éboulements venaient couper ces « routes » à plusieurs endroits, mais même par temps sec, il n’était jamais très prudent de les emprunter sans escorte armée. De la sorte, il y avait très peu de mouvements, et les voyageurs individuels étaient inexistants. Il n’y avait qu’une poignée d’hommes de notre clan à avoir vu le grand lac de Lémano, situé pourtant à peine à une quinzaine de lieues de Tourbillon.
Les plus grands voyageurs étaient les marchands, toujours entourés de leur armée personnelle. Appréciés de tous les clans, c’était eux qui nous enseignaient sur le monde lointain. Grâce à eux, nous connaissions les noms et les capacités de villes aussi lointaines que Génévia, à l’autre bout du grand lac, ou Tourini et Milani, dans le grand sud. Aucun d’entre eux n’avait vu la grande ville de La légende, mais ils pouvaient nous confirmer que cette légende existait bel et bien partout. Ces courageux commerçants bénéficiaient de tout notre respect et attention. Dans quelque ville ou village qu’ils s’arrêtaient, ils étaient toujours traités en hôtes de marque et invités à partager la demeure du chef dans la citadelle. Leur venue provoquait à chaque fois une fête réunissant tout le clan. Ils en profitaient pour nous proposer leurs marchandises en l’étalant au vu de tous, et les marchandages et trocs allaient bon train. Les commerçants étaient les seuls à pouvoir proposer des richesses introuvables dans nos montagnes, comme les métaux précieux. L’argent était chèrement payé par les jeunes hommes dont la femme était enceinte, quant à l’or, métal pratiquement introuvable sur terre, il n’était destiné qu’aux chefs. Quelques paillettes d’or valaient déjà une vache ou trois cochons. La quantité d’or nécessaire à la confection d’une modeste bague, signe distinctif des chefs, pouvait valoir une demi-douzaine de têtes de bétail.
Les commerçants nous racontaient que les chefs des grandes villes s’octroyant le titre de « Seigneur » devaient se faire confectionner une couronne d’or. Nous avions appris récemment par l’un d’eux que le nouveau seigneur de Génévia céda un troupeau de quatre-vingt vaches. Cette quantité lui permettait de se forger une fine couronne. Mais même modeste, elle suffisait au titre de Seigneur.
Les marchands se promenaient ainsi parfois avec plusieurs centaines de têtes de bétail, toujours escortés par des dizaines de guerriers. Ces bêtes nourrissaient et payaient ses hommes d’armes, et il lui en restait suffisamment pour acquérir de nouvelles pépites auprès des chercheurs et autres fournisseurs de matériaux divers. Les commerçants au long cours menaient une vie très spéciale mais infiniment intéressante. Ils n’appartenaient à aucun clan et c’était bien les seuls êtres vivant hors clans respectables. Les autres n’étaient que des bandits et parias sans foi ni loi. Ils voyageaient avec toute leur famille, ainsi que celles de leur armée personnelle, et dormaient au gré des villes et villages sur leur route. En plus d’être commerçants, ils devaient aussi être chefs militaires de plusieurs dizaines de guerriers triés sur le volet, car il leur fallait lutter contre toute la racaille qui convoitait les marchandises transportées. Ces guerriers étaient aussi les seuls autorisés à massacrer les parias, car n’appartenant à aucun village, la malédiction ne pouvait pas retomber sur un clan inexistant...
Voilà le monde tel qu’il était à ma naissance, celui du Grand Chaos. Divisé en de multiples clans défendant leur petit territoire. Le monde de chaque individu se réduisait à son village, et à la ville du marché trois jours à chaque lune. Seuls les marchands étaient accueillit partout comme des seigneurs, et connaissaient de vastes territoires du monde. Mais eux aussi avaient des limites et des frontières. Un marchand parlant notre langue restait limité à sa frontière linguistique, et les commerçants trop étrangers étaient en général douteux, vite considérés comme des espions. Les échanges entre frontières se faisaient par des négociants. Aoste et Domodossolia étaient de grandes plaques de distribution de cacao, de sucre et alcool de canne, comme d’autres produits non propices aux climats plus rigoureux du nord. Seuls quelques négociants originaires de notre vallée avaient accès à ces plaques de distribution. Ces hommes devaient êtres au-dessus de tout soupçon et restaient neutres. Ils chargeaient d’immenses convois, passaient les Alpes par un des cols, traversaient la vallée, et déchargeaient de grandes quantités de marchandise auprès d’autres plaques de distribution, comme la ville de Friborg, qui est une ville francophone du nord, où les négociants germaniques venaient échanger leurs produits du nord contre ceux du sud. Le commerçant faisait alors le voyage inverse. Une vie passionnante faite de multiples rencontres et de paysages sans cesse changeants. Les rares commerçants ayant accès aux diverses plaques de distribution parlaient souvent les trois langues : italophone, francophone et germanophone. Les marchands locaux s’approvisionnaient souvent au passage des grands convois en quantité plus raisonnable, et écumaient les campagnes, troquant leurs marchandises dans toutes les villes et villages. Aucun d’entre eux n’avait vu ou connu un marchand ayant voyagé assez loin pour voir la ville mythique de la légende...
Ainsi, le monde des marchands s’arrêtait lui-aussi en deçà de la Grande Ville. Nous ne savions que peu de choses à ce sujet.
Il y avait toutefois une histoire qui n’était pas encore une légende mais qui ne tardera pas à le devenir: Celle du grand guerrier. Ce fameux guerrier vivait dans notre vallée 6 générations avant ma naissance. Certains anciens du village avaient des parents qui ont vu ce guerrier à l’oeuvre dans leur prime jeunesse. Ils se rappelaient de lui à travers leurs yeux émerveillés d’enfants. Le fameux guerrier vécu à Bâtia et Tourbillon, une centaine d’années avant ma naissance. A ce qu’on dit, ce seul homme était une armée à lui tout seul. Il maîtrisait parfaitement chacune des disciplines du combat. Dans les tournois, on raconte qu’il ne se battait jamais contre un seul adversaire, car il pouvait écraser plus d’une douzaine de guerriers à lui tout seul. Le chiffre est certainement exagéré, car au fil des histoires, on rajoutait toujours un ou deux adversaires supplémentaires pour grossir le mythe. Ce qui est toutefois certain, c’est que cet homme avait voyagé de part le monde, traversant des territoires lointains et hostiles, et que jamais personne ne réussi à provoquer sa chute. La dernière fois que les gens l’ont vu, ce fut lorsqu’il passa le col de Barnard pour aller plein sud tenter de trouver la Grande Ville. Après son départ, plus personne n’entendit parler de lui. Comme tous les autres, le grand guerrier ne revint jamais de cette expédition.
Certains hommes de notre époque, qui ne supportaient plus ce monde recroquevillé sur lui-même, prenaient les armes pour tenter eux aussi de découvrir la Grande Ville. Parfois en groupe, mais parfois seuls aussi. Jamais aucune expédition n’en revint de mémoire de légende ! La seule énigme de ce temps était celle de l’armée du Maître, le roi des guerres : Marco Fallacio. On disait, … les gens disaient, … que Marco Fallacio et son armée avaient atteint la Grande Ville et en étaient revenus. Mais personne ne connaissait le détail de l’histoire ni même sa véracité, car le Maître lui-même n’avait jamais rien dit à ce sujet.
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Ma vie au clan
Avant ma naissance, mon père était un jeune guerrier comme tant d’autres dans ce monde divisé mais simple, avec ses simples règles. A l’âge de quatorze ans, un grand tournoi oppose tous les jeunes du clan. C’est à cette occasion que sont sélectionnés les futurs guerriers. Le conseil des anciens, de concert avec le chef, établit des quotas de nouvelles recrues selon la politique de sécurité du clan. Par exemple, lors du tournoi auquel participa Armadé, il y avait 98 jeunes qui arrivaient à leur majorité, soit… quatorze ans. Cette année, le conseil décida qu’il fallait sélectionner les 42 meilleurs pour en faire de nouveaux guerriers. Armadé termina 3ème et fut tout naturellement retenu. Il reçu son sacre de guerrier ainsi que son épée ce jour-là. Les 53 perdants reçurent un matériel neuf de paysan: Racloir, fourche, rateliers...
Même si les guerriers devaient faire beaucoup d’efforts pour se maintenir en force, leur vie était tout de même plus intéressante et enviable que celle des paysans, dépendant d’eux pour leur sécurité. D’ailleurs, la première activité que tous les enfants mâles devaient apprendre, était le maniement des armes. Vers l’âge de trois ans, les cultivateurs confiaient l’éducation de leurs fils à un guerrier. Les guerriers se nourrissaient de ce que produisaient les paysans, ils les protégeaient et leur donnaient la possibilité d’inscrire leur descendance dans une lignée de guerriers. Nous avions d’ailleurs vu des fils de paysans devenir de grands chefs. Dans le monde du Chaos, tous naissaient égaux, sauf les fils de parias qui devaient attendre une génération pour pouvoir prendre part aux joutes. Les parias n’avaient généralement pas de progéniture, mais les traîtres devenant eux aussi parias, ils laissaient parfois une famille au clan. Cependant, une génération passée, leurs petits-fils recouvraient tous leurs droits et dignité. La vie des garçons était donc principalement axée autour de l’éducation au maniement des armes, même si à partir de 5 ans, chaque enfant devait consacrer trois jours par semaine à l’aide aux cultivateurs, le reste étant occupé par les entraînements. Ainsi, au tournoi des 14 ans, les perdants connaissaient déjà les champs et le bétail pour débuter leur nouvelle vie. A cet âge, il était admis que le jeune soit adulte et devait en assumer le rôle. Les gagnants cessaient à cet âge toute activité de paysannerie pour faire partie des forces armées du clan, nourris par les cultivateurs comme il se doit.
Une année après ce tournoi, père avait terminé de construire sa maison. Il prit sous son aile Lucie, la femme qu’il avait toujours aimé. Après que le conseil des anciens eut procédé à l’union, elle vint habiter à la maison. Armadé connaissait Lucie depuis l’enfance, et ils s’appréciaient mutuellement. A peine installé, il l’engrossa, et à 15 ans, ma mère mit au monde une fille qui ne passa pas l’hiver, atteinte de la grande toux (une pneumonie me dit Barnabé). Deux ans plus tard, ils eurent un fils qui fit leur fierté, Jo. Après la mort de l’ancien chef, Armadé gagna le grand tournoi de succession, ce qui le propulsa chef du clan, et ils s’installèrent dans la demeure réservée au chef, au 5ème étage de la citadelle. Un peu plus tard, je naissais dans la famille du chef des Nendars, mais ma naissance fut une tragédie pour père. Il n’avait pas enlevé Lucie et il nourrissait un véritable amour pour elle, comme il aimait tant à le dire. Elle s’apprêtait à me donner la vie lorsque elle commença à saigner abondamment (le scribe me dit que cela s’appelle une hémorragie). Mère perdit connaissance avant que je ne sois sorti de son sein. Elle ne pouvait plus pousser, la guérisseuse du clan n’y pouvait plus rien, alors père dû agir. Il devait sauver au moins une vie. Il ouvrit le ventre de ma mère avec son poignard pour m’en extraire, et mère mourut un instant après, sans un mot, inconsciente. Ce fut douloureux pour lui et il disait parfois: “J’ai tué mon amour”. Son amertume était telle qu’il ne voulut pas remplacer sa femme chérie par une autre, et il se consacra dès lors entièrement à notre éducation militaire ainsi qu’à son rôle de chef de clan.
J’étais un grand bébé, ce qui explique peut-être le malheur de ma naissance. Armadé me disait parfois : “Elle t’a donné tout ce qu’elle avait, elle s’est vidée de sa vie pour te la transmettre. Soit digne d’elle fils !” Oui, il devait vraiment beaucoup aimer ma mère.
Je grandis à Nendar, clan des plus respecté dans la région. Hormis la demi-douzaine de hameaux fortifiés dont nous disposions, le total de nos force militaires actives s’élevaient tout de même à une armée de presque mille guerriers, tous en état de combattre n’importe quand. La ville de Tourbillon elle-même ne devait pas être beaucoup plus armée, et semblait bien moins protégée que nos villages de montagne.
Notre village et celui de Savièz étaient réputés pour être les plus puissants du marché, et le poids politique des deux chefs n’en était que plus important. Cependant, les collaborations entre clans se limitaient à quelques droits de passages, possession de sources, ou autres dilemmes de territoires.
De mon côté, depuis tout petit, père m’avait accroché des bracelets de plomb aux poignets et aux chevilles, « pour me renforcer », comme il disait. Plus je grandissais et plus il rajoutait du plomb. Il y avait tout de même quelques exceptions à l’astreinte paysanne pour les fils de chefs et ceux du conseil des anciens : nous étions dispensé des corvées de paysannerie que les fils de guerriers et de cultivateurs devaient s’acquitter trois jour par semaine jusqu‘à leur majorité. Notre temps était ainsi entièrement consacré à l’éducation militaire. C’était un avantage, car il était rare qu’un fils de chef devienne cultivateur après le tournoi des 14 ans.
De grand bébé, je devins un petit garçon vraiment fort. J’ai dû commencer le tir à l’arbalestre alors que je savais à peine marcher ! On me mit un glaive dans les mains un rien plus tard. Armadé nous éduqua, mon frère et moi, au maniement des armes depuis notre plus tendre enfance, mais je n’ai pas grands souvenirs de ces trois ou quatre premières années de vie. Tout ce que je sais est ce que mon père m’a conté. A savoir que j’étais un sacré petit phénomène guerrier. De la sorte, lors des entraînements, il était toujours plus dur et exigeant avec moi.
Notre vie n’était donc pas très facile depuis tout petit, mais l’enfance était tout de même un âge d’or. Les distractions étaient rares, il n’y avait que les trois jours de marché à chaque lune qui rythmaient notre vie. De temps en temps, la venue dans notre clan d’un marchand égayait le quotidien. Ils évitaient les villages de montagne durant la saison des pluies à cause des éboulements sur les chemins, mais durant le reste de l’année, on pouvait compter sur au moins quatre visites annuelles. Ces marchands logeaient avec nous dans la citadelle, étalaient leurs richesses devant notre famille, ils avaient de tout, et étant de la famille du chef, j’étais privilégié pour apprécier de plus près tous ces trésors. Le commerçant disait le nom des pierres précieuses qui scintillaient sous mes yeux. La pierre la plus dure de toutes, le diamant, mais aussi les pierres de couleur, émeraudes, saphirs, rubis,... des noms étranges et fascinants. Toutes ces pierres avaient appartenu en un jour lointain à quelqu’un de l’Ancien monde qui la portait sur lui, ou sur elle ? Les bagues, colliers, et tous ces bijoux avaient été fabriqués par l’ancienne civilisation comme objets d’apparats. Ils avaient traversé le Grand Chaos, et nous les portions à notre tour. Je me souviens qu’enfant, je restais parfois longtemps à regarder ces pierres et à m’imaginer ce qu’elles avaient bien pu voir. Si ces pierres pouvaient parler, que pourraient-elles me raconter ? A défaut d’apprendre à parler aux pierres, je m’imaginais l’Ancien monde en regardant ces bijoux.
Les marchands m’aimaient bien. Lorsqu’ils apprenaient mon âge et voyaient ma stature, certains disaient que dans le futur, ils seraient bien tentés de me prendre à leur service. C’était très gratifiant. Faire partie de l’armée personnelle d’un marchand était le plus grand honneur qu’un guerrier puisse attendre. Les troupes marchandes n’étaient composées que de la crème des plus valeureux combattants. Leur organisation, leur matériel, leurs montures (les meilleures du pays), en faisait des escouades d’une efficacité abominable. Ces chevaux étaient peut-être la seule chose dont les marchands ne se séparaient jamais, même contre de l’or. De plus, leurs armes étaient conçues dans un alliage si précieux que jamais, ils ne dévoilaient leurs composantes. Une sorte d’acier inoxydable, incapable de briser. C’était tout simplement “les armes des marchands”. Ils se transmettaient le secret de cet acier de père en fils, et nous ne savions rien de ce métal. Où trouvaient-ils les composantes, comment dosaient-ils leurs alliages ? Tout cela, même les guerriers du marchand ignoraient. Toutefois, la totalité de leur équipement était fait de cet acier secret. Leurs cotes de mailles résistaient à tout, et elles ne rouillaient jamais, contrairement aux nôtres.
Les anciens racontaient qu’à une certaine époque durant le Chaos, des clans avaient commencé à s’équiper d’armures complètes. Cependant, cette technique nous semblait maintenant nuisible au combat. Ces armures offraient bien une protection supplémentaire, mais elles supprimaient l’agilité, la rapidité et finalement, l’efficacité du guerrier. Si on ajoutait à cela l’état de quasi suffocation qu’éprouvait l’homme sous un pareil équipement, ce devait être une catastrophe. Dans notre époque, le gros souci des guerriers était leurs cotes de mailles, car ils devaient sans cesse les réparer. C’était les matrones qui faisaient ces tenues pour les guerriers. Chacun en recevait une neuve à leur sélection des 14 ans, avec l’épée et l’équipement du guerrier. Mais ensuite, à tout bien compter, nous devions refaire une tenue de côtes de mailles nous même, tous les 3 ans environ. Pas de cela avec le matériel des marchands, leur acier étant absolument inoxydable !
Notre épée était offerte par le clan. Même si elles étaient toutes faites dans un très bon acier, trempé, elles pouvaient se briser. Rien de comparable non plus avec l’acier des troupes de marchands. Lors de leurs visites, outre les jolies pierreries, c’était bel et bien leurs armes qui fascinaient. Des épées étincelantes comme de l’argent, tranchantes comme les lames à raser, incassables... Porter de telles armes était le rêve de tous les combattants, mais peu d’entre eux étaient assez doués pour prétendre entrer au service d’une armée marchande.
Les commerçants, quant à eux, trouvaient leurs trésors chez les fouilleurs d’anciennes villes en ruines, mais aussi de mines. Les fouilleurs négociaient leurs trouvailles contre du bétail ou autres denrées. Ainsi, les marchands étaient souvent les plus informés de ce qu’avait pu être l’Ancien monde. Suivant ce qui se découvrait dans les ruines, ils en déduisaient ceci ou cela. Et je vous assure que lorsqu’un marchand parlait, tout le monde écoutait. Mais nous savions d’expérience que les engins ou autres machines surgissant de l’ancienne civilisation ne nous apportaient que ce dont nous voulions bien comprendre. Etant incapables de faire fonctionner ces machines dotées de mécanismes complexes, nous ne pouvions qu’imaginer et fabuler sur leur véritable utilité dans l’Ancien monde.
Lorsque nous étions enfants, j’allais parfois avec Jo sur les ruines de ce que nous considérions comme l’ancien village de Nendar. Des coulées de boue lui sont passées dessus, mais des chercheurs de tous temps ont creusés des galeries dans la terre. Dans cet exercice, seul trouve celui qui creuse. Chaque pièce creusée était nettoyée de tout ce qui pouvait avoir une quelconque valeur. En plus de creuser, il fallait donc aussi de la chance pour arriver sur un endroit valable. Mais avant la chance, il fallait creuser, alors nous creusions. Nous trouvions parfois des babioles, mais jamais vraiment des choses de valeur. La seule fois où nous fûmes fiers de nous, c’est lorsque nous trouvions une mallette métallique grise, sous une dalle. Elle était au sec et semblait avoir parfaitement résisté à l’épreuve du temps. Nous ne pouvions pas l’ouvrir. A côté des taquets qui auraient dû provoquer l’ouverture, il y avait des signes. Quatre sortes de petites roulettes sur lesquelles étaient inscrits des signes, les fameux chiffres de Barnabé ! Nous pensions à une espèce de code secret. En la secouant, nous nous aperçûmes qu’elle contenait des choses. Tout excité de notre trouvaille, je voulais fracturer la mallette sur-le-champ. Mais le conseil des anciens n’aurait pas apprécié, et Jo trouva plus sage de l’emmener au village. J’avais alors six ans et Jo en avait huit.
Au village, le conseil des anciens se réunit avec mon père dans la citadelle. Après avoir vainement tenté de trouver le mécanisme d’ouverture, ils décidèrent de fracturer les serrures. Ils nous laissèrent toutefois l’honneur de les briser avec pour consigne de ne pas abîmer la mallette, qui était encore belle, malgré toutes ces années... Avec mon frère, nous ouvrions ce mystérieux petit coffret tout à fait remarquable. Hermétiquement fermé, son contenu était resté intact. A l’intérieur, nous trouvions une sorte de plus petite mallette encore, noire celle-là, et trop fine pour pouvoir contenir quelque chose. Contrairement à la mallette grise, le mécanisme d’ouverture de celle-ci fut trouvé assez facilement. Malheureusement, à l’intérieur, il n’y avait aucune place pour y loger quoi que ce soit, mais nous trouvions une multitude de petits boutons sur une face, tandis que l’autre était plate et noire. Sur chaque bouton de la grande face, des tas de signes de l’Ancien monde (les chiffres et les lettres de Barnabé), étaient alignés sur plusieurs colonnes... Les lettres sur cette tablette de boutons étaient les mêmes que ceux que nous trouvions parfois, à la différence que dans cette boite, les boutons étaient séparés les uns des autres. Nous finîmes par croire que cette boite était une machine à fabriquer les signes. D’ailleurs, cette explication était la plus plausible, car à côté de cette machine, il y avait des parchemins écrits avec ces signes. C’était la première fois que nous voyions ces signes sur du parchemin, et cela changea notre croyance à propos d’une légende de l’ancien monde.
En effet, certains prétendaient que les hommes de l’Ancien monde n’écrivaient ces signes que sur des supports indestructibles. Nous pensions que ces signes étaient des références à leurs dieux, et que de ce fait, les anciens ne pouvaient pas écrire sur des supports périssables, car les dieux étaient éternels. Une légende disait que ce fut à cause de l’orgueil des hommes et à la désobéissance des anciens à leurs dieux qu’ils furent punis. Avaient-ils enfreint cette règle ou une autre ? Ce n’était pas très clair.
Notre trouvaille montrait néanmoins que les humains avaient écrit sur des supports périssables et avaient même inventé des machines pour le faire. De plus, il y avait dans la mallette grise un tas de feuilles fines, comme entassées et pliées sur elles-mêmes, en deux. Le tout constituait une suite pages reliées les unes aux autres, et le document comportait 88 pages d’excellente qualité, en couleur ! Nous ne savions pas ce que c’était, mais les feuilles de fin parchemin avaient remarquablement résisté au temps. Certaines pages se brisaient tant elles étaient sèches et anciennes, mais l’ensemble de la brochure était plutôt bien conservée. A l’intérieur, nous découvrions de nombreuses images collées au parchemin. Cependant, ces images n’étaient pas vraiment collées mais faisaient partie du parchemin, qui semble en fait être le fruit d’une savante préparation à base de bois et de colle. Du papier, comme l’affirme mon scribe, dont il en fait lui-même grand usage. Sur ces feuilles, ce n’était pas des peintures ou autres créations de l’esprit, mais des sortes de représentation de choses et de gens bien réels.
Cette découverte fut d’ailleurs suffisamment importante pour que les anciens examinent la chose durant des semaines. Des images représentaient des hommes barbus, agitant des sortes de bâtons métalliques noirs, comme s’il s’agissait d’armes ! Une autre montrait une troupe rasée de près, qui aurait pu être des guerriers casqués, très disciplinés, devant un commandant qui lui, portait un couvre chef à visière. C’était tout de même étrange, car pas un de ces hommes qui semblaient être des guerriers, n’était correctement armé, pas plus que celui qui pouvait être leur commandant. A peine exhibaient-ils la même sorte de bâton un peu volumineux en métal noir, comme les barbus des images précédentes ! Ils posaient bien devant une sorte de grande machine, mais vu leurs armes ridicules, nous avancions un peu plus dans notre conviction que ces humains étaient des couards et des pacifiques.
Cette armée bon enfant, alignée au quart de pouce, ressemblait plutôt à une parade pour une tradition folklorique qu’à de véritables guerriers prêts à la guerre.
Cette trouvaille nous faisait progresser un peu sur la compréhension du monde d’avant le Grand Chaos : Un monde magique, riche et merveilleux, mais certainement ennuyeux car pacifique... Toutefois, le mystère de la disparition de ce monde s’épaississait d’autant plus. Qu’est-ce qui avait bien pu leur arriver ? Là était toute la question. La machine à l’arrière plan de l’image était une sorte de véhicule à trois jeux de roues. Un en avant et les deux autres derrière. Elle était montée haut sur pied, et les ailes triangulaires nous autorisaient à penser qu’il s’agissait là bel et bien de l’un de ces fameux véhicules volant des légendes. Cette image était une sorte de preuve de la véracité de la légende prétendant que les anciens hommes savaient voler. Quoi qu’il en soit, nous voyions mal ce qu’un véhicule volant pouvait bien avoir à faire dans une guerre, à part peut-être quelques reconnaissances des troupes ennemies.
Ce qui était paradoxal, c’est que quelques feuilles plus loin, nous pouvions observer une pleine page représentant une sorte de ville fumante. Une ville ravagée par je ne sais quelle puissance, une ville immense, comme il n’en existe plus de nos jours, entièrement détruite. Ne restait ça et là que quelques étages de ce qui pouvait être des sortes de citadelles. D’autres images nous montraient ce dont avaient été capables les anciens hommes, car on découvrait dans cette brochure des constructions intactes et tout à fait grandioses.
La pleine page représentant cette ville ravagée par la destruction laissait supposer à une vengeance divine. A voir l’image des soldats de l’époque, nous imaginions mal que de telles armées ridicules puissent mettre à sac pareillement une ville immense. Ce devait donc être les dieux qui provoquèrent la chute de l’ancien monde.
Une autre image confirmait d’ailleurs la nature divine de ce châtiment. On pouvait y distinguer une sorte de champignon lumineux,… mais attention, un champignon qui atteignait les nuages. Son tronc n’était qu’une immense volute de fumée, surmonté par une gigantesque boule de feu s’élevant dans le ciel, au milieu des nuages. Si cette image était la véritable copie de ce qui fut sur terre, on devinait que les dieux s’étaient véritablement déchaînés sur nos pacifiques et savants ancêtres. Cependant, jusqu’à ma rencontre avec le scribe qui me permit de déchiffrer les signes de cette “brochure”, nous ne pouvions que faire des suppositions.
Jusqu’à l’âge de sept ans, je fus heureux dans ma condition d’apprenti guerrier. Lorsque j’eu 5 ans, je commençais à battre mon aîné dans une série de disciplines. Il avait pourtant deux ans de plus que moi. A 6 ans, j’étais à égalité dans les combats, et à 7 ans, je prenais pratiquement toujours l’avantage, sauf dans le maniement de la hache, encore trop lourde pour moi.
En ces temps, quelque chose de tout à fait extraordinaire survint dans la vallée. Au début ce n’était qu’une rumeur, mais elle suffisait à galvaniser l’ensemble des guerriers du pays. C’est mon père qui la rapporta à l’occasion d’un retour du marché, où il avait été convoqué pour préparer une attaque contre le clan de San Léonardo, qui menaçait de faire sécession d’avec le marché de Tourbillon pour se rallier à celui de Sièrs. A Tourbillon, un marchand de passage racontait qu’il avait eu vent que le fils de Dieu en personne se trouvait en ce moment même dans la ville de Brilg, et qu’il allait sans doute descendre le long de la vallée pour rejoindre un territoire au-delà de Génévia.
La nouvelle était suffisante pour mettre en effervescence toute la vallée. Marco Fallacio, le Seigneur de la guerre, considéré par tous comme étant le fils de Dieu, le guerrier devenu une légende de son vivant, le meilleur combattant des Alpes, sans doute le seul homme ici-bas ayant visité la Grande Ville de la légende, l’homme le plus riche du monde, présent dans notre vallée avec son armée d’élite au grand complet,… imaginez seulement l’émotion que cette nouvelle provoqua !
Je me souviens de l’excitation qui régnait à Nendar, tous les guerriers rassemblaient leurs affaires et quelques vivres pour partir de suite aux alentours de la ville de Tourbillon. Personne ne voulait rater son arrivée, et tous allaient camper à la belle étoile autour des enceintes du marché en attendant la venue du Maître. Sur place, nous nous entraînions et joutions jusqu’à tard dans la nuit, l’annonce de son arrivée nous donnait courage et entrain, car bientôt, nous aurions peut-être la chance de combattre sous le regard du plus prestigieux seigneur de guerre connu en ce bas monde. Le lendemain du lancement de la rumeur, la plaine autour des murailles du marché était noire de monde, tous les clans avaient afflués vers la ville. C’était impressionnant, il devait y avoir des dizaines de milliers de guerriers réunis non pas pour une grande guerre de clans, mais pacifiquement.
Il faut dire que Marco Fallacio était un phénomène à part. Il n’était pas marchand, mais voyageait pourtant comme un marchand avec son armée composée d’environ 80 mercenaires, les meilleurs guerriers du Chaos. Sa subsistance et celle de son armée étaient assurées par les clans qui avaient l’honneur de le recevoir. Si le Maître décidait de s’arrêter dans un clan, il n’avait qu’à s’asseoir, et à chaque fois, un vrai festin lui était servi. Tout ce que les clans lui demandaient en échange était d’accepter de juger les combats que les villageois organisaient à l’occasion de sa venue. Durant les festivités, il observait les duels, critiquait les maladresses, et tuait de temps en temps un mauvais perdant en lançant sa dague depuis la table du banquet, sans se lever ! A la fin des tournois, il choisissait parfois un homme pour l’intégrer dans son armée personnelle, lorsqu’il en avait besoin. C’était seulement dans ce genre d’occasion que les guerriers des clans pouvaient espérer entrer dans l’armée légendaire de Marco Fallacio. Lui-même était déjà un mythe au-delà de toutes les frontières, personne n’ignorait son nom, mais personne ne connaissait vraiment son visage, toujours caché par son casque d’or, qui lui recouvrait le front, le nez et les joues. Ceux qui l’avaient vu ne connaissaient de lui que ses yeux, sa bouche et son menton. Ainsi, même lorsqu’il était présent au milieu des gens, il restait entouré d’une part de mystère.
Le travail de Marco dans le Chaos ? Parfois, des clans lui demandaient son aide contre une ville ou un village ennemi, et pour de l’or ou de l’argent, il détruisait ou soumettait le clan en question à l’esclavage, mais ces guerres n’étaient qu’un à-côté, …un gros à côté tout de même, qui lui permis de devenir l’homme le plus riche de la terre. Cependant, ces batailles n’étaient qu’un travail, pas sa vocation. Lui-même se disait en mission pour Dieu, et cette mission était de trouver un enfant. Si les chefs de clans qui l’accueillaient lui demandaient d’assister à des tournois de guerriers contre le gîte et la subsistance, il demandait toujours en retour de voir les combats entre les meilleurs enfants de la région. A chaque fois, il repartait déçu et jamais, semble-t-il, il n’avait trouvé l’enfant qu’il cherchait.
Pour les peuples de la vallée, le fait de savoir Marco Fallacio à Brilg, voulait dire que le roi de la guerre était déjà parmi nous ! Moi-même, j’étais subjugué, car mon père et les anciens utilisaient toujours son exemple pour me faire travailler plus consciencieusement mes exercices : « Si tu veux pouvoir un jour te battre aux côtés du Seigneur Marco, faudra travailler plus que ça », qu’ils me disaient !
Deux jours après la rumeur, un cortège de cors annonçaient son passage auprès du clan de San Léonardo, il serait là dans moins d’une heure, tout le monde se taisait, cherchait à repérer l’avancée de son armée au loin.
Puis il arriva, monté sur un splendide cheval d’un noir luisant, marchant au pas, à la tête de ses quelques dizaines de mercenaires. La foule se fendit avec révérence pour leur laisser un passage jusqu’à la porte d’entrée du marché. Le silence était total, personne ne disait un mot, nous n’entendions que le son des sabots de leurs montures claquer sur le pavé, ainsi que les cliquetis de leurs armes brillantes comme de l’argent, qui réfléchissaient des rais de soleil sur les visages des villageois. Les spectateurs qui se trouvaient à proximité du passage de l’armée mythique avaient mis genou à terre, tandis que les autres, plus éloignés du passage, regardaient debout, sans même oser chuchoter un son. Marco Fallacio, la légende, avançait nonchalamment sous un soleil de plomb, et étincelait sous une carapace d’or. Son casque à pointes avait la couleur de l’or, son plastron cuirasse pareil, ses cuissardes pareil.
Arrivé au milieu de la foule, il fit halte, et cria d’une voix puissante :
Salut à toi, Tourbillon !
En réponse à cette salutation, nous entendîmes un roulement de tonnerre de cris de bienvenue venant des enceintes de la ville. Puis, le chef de Tourbillon demanda le silence à la ville, et cria depuis les enceintes : « Bienvenue à toi, Seigneur des seigneurs, roi des guerres ! Durant ton séjour, ma ville sera TA ville ! »
Puis, le Maître nous regarda, tout autour de lui, et cria :
Salut à vous, clans de Tourbillon !
Et là, une rumeur assourdissante monta au-dessus de la foule que nous formions. Au début, le grondement était inarticulé, chacun criait simplement son émotion, puis, une discipline dans le tonnerre de sons se forma pour donner des retentissants et successifs : « Gloire à Marco Fallacio ; gloire à Marco Fallacio… »
Alors, le Maître pointa son épée vers le ciel, remercia de la main pour l’accueil, et repris sa marche pour pénétrer dans la ville.
Jo et moi accompagnions notre père qui, sitôt entré dans les enceintes du marché, exigea de pouvoir faire ses hommages au grand seigneur. Armadé avait les moyens de se permettre d’exiger, même face au chef de Tourbillon, car ce dernier ne pouvait pas avoir un clan aussi puissant que le notre contre lui. Ainsi, nous pûmes approcher du Maître, et mon père vanta mes qualités de petit combattant à 7 ans à peine, lui demandant s’il acceptait d’observer un combat entre mon frère et moi. Sans dire un mot, Marco fit un signe de la tête pour signifier son accord. Terrifié à l’idée de décevoir cette légende vivante, impressionné par sa présence, je tremblais un peu lorsque je me mis en position face à Jo, muni de mon épée et d’un bouclier. Dès le combat commencé, mon trouble me quitta et j’offris ce jour-là tout ce dont j’étais capable de faire, utilisant tous les coups techniques que j’avais déjà appris, pour finalement remporter la victoire. Nous fûmes fiers d’avoir pu lui offrir un beau combat d’enfants, tant et si bien qu’au terme de celui-ci, alors que le Maître restait d’habitude assis pour émettre ses critiques, il se leva !
Toute la population fit silence, et Marco frappa une fois dans ses mains, puis une deuxième, et enfin, c’est tous ses hommes, attablés autour du festin, qui se levèrent pour applaudir. J’étais confus, fier de ma prestation, mais gêné d’être applaudi par de si illustres guerriers. Le seigneur de guerre me donna alors un ordre qui me glaça le sang : « Tue le ! »
Mon regard croisa celui de Jo, effrayé, et j’hurlais : « NON ! Jamais ! »
Le maître grimaça un peu en entendant ma réponse, avant d’ordonner une seconde fois sur un ton ferme et brutal : « TUE LE ! »
Je ne répondis pas à son ordre. Après un si beau et si propre combat, je sentais la fureur monter en moi, et toute cette colère était dirigée directement contre le seigneur des guerres, celui qui me demandait de tuer mon frère. Dans un élan de rage, je saisis ma dague à la ceinture et la lançait dans la direction de Marco. Il para le projectile avec un plat de table, tandis que, bouillonnant, je lui rétorquais en criant : « Viens me tuer toi-même si tu oses ! Salopard !!! »
Etonnamment, Marco eu l’air satisfait de ma réponse et il esquissa même un sourire. Sans plus attendre, il se dirigea vers moi, tira son épée du fourreau et dit d’un ton sérieux mais amical : « Frappe pour tuer gamin, on ne joue plus, on combat ! ».
C’est alors que mon père s’interposa entre le Maître et moi, éructant qu’il faudrait d’abord lui passer sur le corps avant de toucher à l’un de mes cheveux. D’un geste violent, Armadé frappa de haut en bas, et au lieu de parer le coup, Marco se déporta à la vitesse de l’éclair pour éviter la lame. Armadé n’eut même pas le temps de se repositionner que l’épée du Maître écrasa celle de père par terre. En même temps, le grand seigneur lâchait son bouclier pour asséner un monumental crochet du gauche dans la mâchoire de mon paternel, qui fut projeté en arrière par la violence du coup. L’accrochage fut si bref qu’il se termina avant même que Marco eu fini sa phrase, car durant l’échange, lors de l’esquive il dit « Je », puis lorsqu’il arracha l’épée de la main de père il dit « tue », et lors de son monumental coup de poing il termina par « qui je veux ! ».
Les clans de Tourbillon connaissaient les capacités en duel de mon père, et à 27 ans à cette époque, il était au plus haut de sa forme. Un duel gagné contre lui avec une fulgurance pareille trahissait la puissance phénoménale du dieu des guerres. Tout le monde avait bien compris que le Maître aurait pu le tuer encore plus rapidement s’il en avait eu envie, car en duel, il est souvent plus facile de frapper pour tuer que de frapper pour estourdir, et comme l’avait dit le grand seigneur durant l’affrontement, … il tue qui il veut ! Un de ses mercenaires vint tenir mon père en respect, Armadé ne pouvait plus rien pour me protéger.
Lorsque Marco tourna son regard vers moi, une chape de plomb s’abattit sur Tourbillon. Le lourd silence qui pesait sur la ville était à peine troublé par les pleurs étouffés de quelques femmes, persuadées que le magnifique guerrier si vénéré s’était transformé en monstre implacable prêt à tuer l’enfant que j’étais. Tous les hommes se retrouvaient troublés, oscillant entre l’admiration pour son duel contre Armadé et le dégoût pour le duel à venir… Le chef de Savièz fendit courageusement le silence en criant depuis la muraille qu’il interdisait ce duel à mort contre un enfant, mais avant même qu’il eu fini de parler, une flèche tirée par un des mercenaires du Maître lui transperça le cou. Le vieux chef se tût, vacilla un moment, et hagard, tomba de la muraille. Le son sourd de son corps s’écrasant dans la rue épaissit encore la lourdeur de l’atmosphère.
Le chef de Tourbillon n’osa pas s’opposer à l’affreux duel inéquitable ; il savait que Marco pouvait mettre à sac et incendier sa ville sur le champ s’il décidait de déchainer les enfers. D’ailleurs, immédiatement après l’intervention du défunt Savièzois, sans que le Maître n’eut à dire un mot, toute son armée s’était positionnée en formation d’attaque, arbalestres chargées et pointées sur les gardes aux alentours dans une main, épée au poing dans l’autre, chevaux prêt à bondir. Tout le monde pressentait quelque chose de terrible, la nervosité s’emparait même des chevaux qui hennissaient en piaffant sur le pavé. C’était quelque chose de complètement fou, incroyable, même dans le monde du Chaos : Un guerrier aguerri ne peut pas affronter un enfant dans une passe d’arme mortelle. Seul le fils de Dieu se donnait ce droit, se donnait le droit d’être détesté après avoir été vénéré, se donnait le droit d’être haït et poursuivit, car s’il venait à me tuer, nul doute que cette histoire fera le tour du monde connu. Mais, dans cette ambiance intolérable, j’avais conscience que c’était moi-même qui avait défié le Maître. Il m’aurait suffit de prendre mes jambes à mon cou, de courir avec Jo, loin de la présence du grand seigneur, et aucun homme des clans de Tourbillon ne nous auraient empêché de fuir un ordre pareil « Tue-le, … tue ton frère ! ». Il nous aurait été facile de disparaître dans la foule, mais au lieu de ça, du haut de mes 7 ans, j’ai défié un homme qui s’est débarrassé de père en deux coups !
Au milieu de toute cette tension, seul le Maître avait l’air détendu et presque jovial, il était dans son élément, la guerre était à portée d’épée, elle pouvait éclater à chaque instant, ses 80 hommes au milieu de dizaines de milliers d’autres…, et moi en face de lui. C’était la première fois de mon existence que je voyais la mort devant moi, et ce jour-là, elle s’appelait Marco Fallacio !
Il s’avança encore un peu, toucha ma lame avec la sienne pour saluer, me sourit, et le duel commença. J’attaquais directement de toutes mes forces, et en un coup, il m’arracha l’épée des mains, elle virevolta en l’air avant de retomber à ses pieds. Il la ramassa par la lame et me la tendit avec ce conseil : « n’attaque jamais franchement en premier, taquine, défend et soit patient, l’adversaire baissera sa garde et tu déploieras à ce moment toute ta force pour la victoire ». Il s’ensuivit une belle joute entre le Maître et moi, tandis que toute la ville respectait un silence religieux, entrecoupé de quelques cris demandant grâce… Durant les passes, Marco me grondait s’il voyait que je commettais des erreurs, entamait des mouvements de lame qui auraient dû me tuer, mais à la fin de l’action, il frappait avec le plat de l’épée pour me punir de mes mauvaises postures. Ça faisait un mal de chien, mais même lorsqu’il me claquait en plein visage, j’essayais de ne pas larmoyer pour maintenir mes yeux secs et lucides afin de continuer le combat. Il me semblait que c’était le jeu : tant que je n’étais pas mort, je devais combattre, peu importait la douleur ! Parfois, il me prodiguait des conseils dans les situations difficiles, et plusieurs fois, il interpella un dénommé Lucius, son chef d’escouade. Je sentais le Maître heureux comme il est rare d’être heureux, plein de bonheur et de gratitude, il criait : « Lucius, regarde ça, mais regarde bon sang ! ».
Lucius, qui tenait en respect le chef de Tourbillon avec son arbalestre rétorqua : - Je te regarde d’un œil chef, belle passe !
Marco : - Pas moi idiot, regarde le petit ! Mais regarde le bon Dieu !
On continuait la joute, et le Maître était de plus en plus ravi. A ce moment, je compris qu’il n’y aurait pas de mort à la clef du combat, et que j’étais en train de vivre ma plus grande leçon d’arme. « Lucius, il a 7 ans ! Il a 7 ans ce petit bougre, qu’est-ce que tu dis de ça ? », lançait Marco. Lorsque je réussissais de beaux coups, il riait, m’encourageait, frappait son épée sur son bouclier pour m’inciter à y aller plus franchement encore, et depuis que je compris que je ne risquais plus la mort, libéré de cette crainte, je pouvais donner toute la mesure de mon talent.
Lucius baissa son arbalestre et l’armée du Maître fit comme lui, l’ambiance se détendit, et les encouragements commencèrent ! Le grand guerrier virevoltait dans tous les sens, il faisait lui-aussi une démonstration d’agilité et de combat extraordinaire, en frappant toujours de manière à ne pas blesser. Après une bonne demi-heure de combat passionné, il détruisit mes capacités d’attaque en faisant voler à nouveau mon épée en un coup, réduit à néant mes défenses en brisant mon bouclier d’un second coup, et m’empoigna pour me lever de terre au bout de son bras. Le bonheur se lisait dans ses yeux, il me donna une petite gifle amicale en guise de félicitation, me reposa sur le sol, et demanda à la foule de m’applaudir, ce qu’elle fit sans attendre, soulagée de voir que Marco le Magnifique ne s’était pas transformé en Marco le monstrueux !
Il s’adressa à nouveau à son commandant d’escouade : - « Lucius, qu’en penses-tu ? ». Le dénommé Lucius répondit : « Je pense qu’on vient de voir quelque chose d’étonnant pour ce qui est de l’enfant ! Quelle est la position sociale du père ? »
Mon père, la joue enflée par le coup de poing, indiqua qu’il était chef de clan. Marco lui présenta ses excuses pour son geste, tout en indiquant qu’il avait fait attention à ne pas lui casser la mâchoire, et Armadé accepta ses excuses. Mais Lucius voulait encore connaître la position du clan dans le marché, était-ce un clan important et respecté, ou un clan de seconde zone ? En apprenant que nous comptions parmi les deux plus puissants clans de Tourbillon, Marco afficha une mine totalement satisfaite. Il posa ses yeux sur moi, les joues rougies par les claques d’épée qu’il m’avait infligé, mais tout à coup, son visage radieux de l’instant d’avant se détendit, son regard me transperça puis se perdit au lointain, dans le vague. Las, le Maître se laissa choir sur une chaise, des frissons le traversaient de temps en temps et secouaient sa grande carcasse, on aurait dit que le grand seigneur était vidé de sa force, son visage n’avait plus aucune expression, son regard était perdu au fond de ses pensées.
Après un moment ainsi, où tous les spectateurs se demandaient ce qu’il se passait, moi y compris, il revint à lui, et presque en chuchotant, il demanda gravement à son chef d’escouade : « Tu crois que ça y’est ? »
Lucius s’accroupit face à lui, posa ses deux mains sur les épaules du Maître et dit tout aussi doucement : - Je ne sais pas si ça y’est chef, mais tout ce que je sais, c’est qu’il s’agit là d’une affaire pour Maître Rufus. Il faut absolument qu’il voie ça.
Marco acquiesça : - Maître Rufus ne sera pas déçu. A cet âge, le petit a encore un joli potentiel de développement.
Lucius émis alors ce qui pouvait paraître comme une critique, mais de la manière dont il le dit, avec le sourire et enthousiasme, ça ressemblait plutôt à un bon point : - Et tu as vu, il n’a pas tué malgré ton ordre !
Le grand seigneur conclut en répondant : - Il a même fait mieux que ça, il m’a défié sans trembler, c’est la première fois que les choses se passent ainsi. Maître Rufus se chargera de son éducation, j’en suis certain.
Puis, Marco sembla reprendre le contrôle sur lui-même, il se leva d’un bond, s’avança seul au milieu de la place, regarda vers le ciel, frappa par trois fois son épée contre son bouclier au-dessus de lui et cria : « DIEU ! C’est terminé ! J’ai trouvé l’enfant, fait-en ce que tu veux maintenant, ma mission est accomplie ! Je retourne à mes guerres ! »
Le grand seigneur resta un moment les yeux rivés au ciel, il attendait une réponse qui ne venait pas. Au bout d’un moment, il perdit patience et éructa violement, l’épée pointée au ciel : « RHAaaaaaaa, ça fait 40 ans que je cherche, j’ai droit à une réponse bordel de merde ! Est-ce l’enfant ? Si c’est lui, fait moi un signe Seigneur ! »
Il se passa encore un instant, et tout à coup, sous un ciel d’un bleu profond, un éclair surgi de nulle part frappa le sol aux pieds du Maître. Directement après, une immense voix venant du ciel résonna dans toute la ville : « Seuls toi et Rufus savent si c’est l’enfant ! Si tu crois qu’il l’est, tu es libre et peux vaquer à tes occupations. Et arrête de m’appeler « Dieu » espèce de fou, tu sais qu’il n’en est rien. Merci pour tout Marco, et adieu. »
Toute la populace avait mis genou à terre en voyant et en entendant ce prodige, comme sonnée par tant d’émotions : D’abord l’arrivée du fils de Dieu dans la ville, ensuite son duel exprès face à Armadé, puis la mort de l’ancien vénérable chef Savièzois suivit d’un duel inique avec un risque de guerre totale dans la cité, et enfin, la voix de Dieu qui prétendait ne pas l’être…, c’était plus qu’il n’en fallait pour déstabiliser le brutal peuple du Chaos.
Mais le plus sonné dans l’histoire était encore le grand seigneur de guerre, Marco Fallacio, qui, après avoir entendu La Voix, s’était écroulé à genou, les bras pendant à même le sol, les larmes ruisselant en silence jusqu’à terre. Le Maître semblait épuisé, atteint dans son âme et son corps. Lucius et un autre de ses mercenaires vinrent le relever, et le soutinrent jusque dans une maison en bordure de la place. Un moment plus tard, Lucius apparût sur le palier et demanda à mon père et moi d’entrer dans la demeure.
Marco se tenait assis au bord d’un lit et me regarda de ses yeux rougis : - La plupart des guerriers meurent avant 40 ans. Moi, j’ai passé 40 années à te chercher, alors ne me déçois pas gamin, et fait TOUT ce que Maître Rufus te dira de faire, c’est le meilleur éducateur que je connaisse.
… - Mais, qui est Maître Rufus ?, osais-je demander après cette altercade entre le grand seigneur et celui qu’il appelait Dieu.
- Maître Rufus est mon Maître, celui qui m’a tout appris, répondit Marco. Je vais lui dire de venir te voir dans ton clan, entraîne toi bien petit, fais lui bonne impression, et il acceptera de te prendre comme apprenti. Il n’a de toute façon pas le choix, puisque je t’ai trouvé et choisi. Ma mission était de te trouver, la mission de Maître Rufus est de te former.
- Et qui est celui que tu nommes Dieu, demandais-je encore ?
- C’est le Seigneur de la Grande Ville des légendes.
- Tu as donc vraiment été jusqu’à la cité de la légende ?
- J’y ai été il y a 40 ans avec mon armée de l’époque, ils sont tous morts maintenant.
- Et pourquoi ce Seigneur veut mon fils, s’enquit Armadé ?
- Je ne peux pas répondre à cette question. Maître Rufus pourra sans doute te mettre dans la confidence, mais l’enfant ne doit rien savoir.
Je lui demandais encore de nous expliquer la ville de la légende, mais il refusa de parler, il nous indiqua juste qu’il était très fatigué et que nous devions retourner à notre clan. Le Maître me saisit solennellement par les épaules, m’embrassa, et me salua : « Au revoir gamin, reste en vie, je tâcherai d’en faire autant, et on se retrouvera dans une quinzaine d’années si Dieu le veut, et… il le veut ! »
Je remerciais, mais sans trop savoir ce qui se passait exactement. J’avais conscience que le seigneur Marco avait été impressionné par mon jeu, mais de là à faire la connaissance de son propre Maître, … c’était de toute façon déjà incroyable que Marco Fallacio lui-même ait un Maître plus grand que lui, et c’était surréaliste qu’une telle personne puisse s’intéresser à moi. Je pensais être dans une sorte de rêve duquel je me réveillerai tantôt.
Le Maître n’en dit pas plus. De toute façon, il était de notoriété publique que Marco Fallacio ne parlait jamais de la Grande Ville et là, il semblait déjà regretter d’en avoir trop dit. Cependant, une chose étonnante était le temps : Si le grand seigneur y était allé 40 ans auparavant, il devait au moins en avoir 60 en ce moment, et cela ne collait pas. Il ne pouvait pas avoir un âge pareil et se battre comme il le faisait, … et il pouvait encore moins avoir un maître encore en vie. En partant, sur le seuil de la porte, mon père osa encore cette dernière question : « Quel est le secret de ta jeunesse ? ». En s’allongeant sur le lit, le seigneur de guerre répondit évasivement « …cadeau du Dieu de la ville légendaire…, au revoir ».
Puis, le rêve s’éteignit. Nous laissions Tourbillon derrière nous et retournions ensemble dans notre clan de Nendar. Tout était redevenu à nouveau comme avant…
Pendant les temps qui suivirent, j’appliquais les conseils de Marco en m’entraînant sans cesse, du matin au soir, espérant chaque jour l’arrivée de ce mystérieux Maître Rufus. Les jours passaient, les semaines, puis les mois, mais rien ni personne ne venait de la part du grand guerrier. Ce n’est qu’un an plus tard, alors que j’avais perdu tout espoir de rencontrer un jour ce maître de guerre, qu’un homme arriva aux portes de notre clan.
Le vigile n’avait pas ouvert les portes, car l’homme ressemblait plus à un paria qu’à un guerrier. Il portait une longue cape de bure ceint à la taille par une corde, et son capuchon lui recouvrait la tête et la moitié du visage. Il tenait un bâton métallique à la main, tandis qu’une superbe épée était accrochée sur le flanc de sa monture. C’était d’ailleurs les seules choses remarquables chez cet homme : Son épée,… et son cheval, impressionnant de part son port et sa stature, une monture comme il est rare d’en voir, même parmi les armées de marchands. Le vigile demanda à un ancien du clan, Joaquim, s’il pouvait laisser entrer l’étranger se présentant sous le nom de « Maître Rufus ».
Joaquim donna l’alerte afin que le conseil des anciens et le chef s’approchent, puis, lorsque le comité d’accueil fut complet, il ordonna l’ouverture des portes. La rumeur enfla immédiatement dans tout le clan, et je sentis mon cœur battre de plus en plus fort. Je courrais vers la porte d’enceinte pour voir ce maître des maîtres dont la visite m’était destinée. Je restais cependant à distance, laissant le conseil des anciens, le chef, et quelques guerriers d’élites accueillir le vieil homme qui se présenta comme étant le propre entraîneur du légendaire Marco Fallacio.
Toutefois, cette affirmation était totalement insuffisante pour que la confiance s’établisse. Toute la ville de Tourbillon avait entendu qu’un prétendu Maître Rufus devait venir me voir, et la rumeur avait même dépassé les frontières du marché, n’importe quel imposteur pouvait se prétendre tel. D’ailleurs, celui qui se présentait comme étant Maître Rufus ne payait pas de mine. A part son épée et son cheval, lui-même semblait insignifiant, vieux, assez grand, de corpulence plutôt svelte. Sa capuche nous laissait voir le bas de son visage, orné d’une petite barbe grise mais bien taillée, son nez fin mais cassé, et on devinait à peine les yeux, masqués par l’ombre de son vêtement. Quant à son front, il restait invisible, et c’est cela qui contrariait beaucoup les anciens et mon père, qui dû intervenir : - « Je te salue étranger, je suis Armadé Paralamo, chef de ce clan. Maintenant, mets bas ta capuche si tu recherches notre confiance », lui ordonna-t-il.
Le vieil homme s’exécuta et l’effroi gagna toute l’assemblée : - PARIA ! L’homme avait le signe des parias gravé sur son front, signe rendu encore plus visible par l’absence totale de cheveux sur son crâne !
A la vue de la marque des parias, les quelques gardes d’élites présents avaient imité mon père, qui venait de dégainer son épée du fourreau : - « Qui que tu sois, dit mon père avec autorité, ressort de ce clan sans mouvement brusques, et tu vivras ! »
Le vigile rouvrit les portes, mais Rufus ne bougea pas, se contentant de répondre avec calme : « Je ne partirais pas sans avoir vu l’enfant ! Marco se trompe rarement dans ses jugements, et il ne m’a pas fait faire tout ce chemin pour que je reparte sans avoir vu combattre l’enfant ! »
C’en était trop, père ordonna à Vincent, champion du clan du moment, de chasser le paria, et de le tuer s’il n’obtempérait pas ! Vincent s’avança vers le vieil homme qui ne chercha même pas à atteindre son épée, toujours accrochée au flanc de son cheval. Il restait planté là, sa main tenant simplement son bâton métallique cylindrique, appuyé au sol, à la verticale. Vincent donna une dernière sommation, le priant de partir s’il tenait à la vie et, comme l’homme ne réagissait toujours pas, il leva son épée pour frapper. A ce moment, quelque chose d’incroyable se produisit : Rufus esquissa un mouvement si rapide que nos yeux eurent de la peine à suivre le geste et comprendre ce qu’il avait réellement fait. Tout ce que nous avions vu, c’est le sommet du bâton métallique frapper d’un coup sec le front de Vincent, qui s’écroula à terre, sans connaissance. Avant même que Vincent ait touché terre, l’homme avait déjà repris sa posture paisible et répéta : « Montrez-moi l’enfant ! »
Trois de nos meilleurs guerriers s’avancèrent alors au devant de l’individu, épée au poing, mais là aussi, dans une succession de mouvements tous plus rapides et précis les uns que les autres, Rufus désarma d’un coup sec de bâton deux des guerriers, en cassant le pouce de l’un et en démettant l’épaule de l’autre. Puis, prenant un peu d’élan contre le troisième qui avait reculé de quelques pas, il utilisa son bâton comme d’un levier pour son corps, s’envola à 4 ou 5 coudées au-dessus du sol, et dans une contorsion extraordinaire, frappa des pieds joints de toute sa force dans la tête du troisième guerrier, qui bascula en arrière, le nez cassé sous la violence du coup. Rufus retomba les deux pieds sur terre, repris en un instant sa posture initiale, et redit : « L’enfant je vous prie ! »
La stupeur était totale au sein du conseil des anciens et de mon père. Ce vieux paria venait de vaincre, sans démontrer le moindre effort, quatre des meilleurs guerriers de notre clan, les uns à la suite des autres. Ils comprenaient qu’ils n’avaient pas affaire à un paria ordinaire, et face à leur stupéfaction, je pris la décision de me manifester. J’avais attendu si longtemps ce maître, que je ne souhaitais pas qu’il reparte sans m’avoir vu. Je m’avançais alors au devant de Rufus en lui disant que j’étais l’enfant qu’il cherchait.
Père restait inquiet, et avant d’accepter de confier mon éducation à un inconnu, qui plus est un paria, il lui demanda de prouver encore une fois sa valeur, mais face a lui, Armadé, le chef, qui avait gagné son titre seulement quelques années auparavant, et qui pouvait encore être considéré comme le meilleur guerrier du clan. Maître Rufus accepta sans rechigner, et Armadé saisit son épée pour entamer le combat.
Mais là, une nouvelle surprise attendait tous les spectateurs, qui devaient se compter par centaines, une bonne partie du village ayant afflué après la rumeur de la présence d’un paria dans le clan : - Non seulement le dénommé Rufus ne crut pas utile de saisir son épée, mais en plus, il laissa tomber son bâton, pour se présenter face à mon père à mains nues !
Devant un tacticien de l’envergure d’Armadé, c’était du suicide, mais c’est ainsi qu’il s’avança vers père. Ce dernier décida alors de lui couper une jambe, mais par un nouveau mouvement incroyable, une sorte de pirouette aérienne, Rufus esquiva en lui mettant un coup de pied au visage pendant sa voltige ! Ensuite, Armadé frappa verticalement en entamant un mouvement de pendule avec son épée, mais le vieil individu esquiva encore une fois par une sorte de plongeon tout à fait indescriptible, qui se termina par une espèce de tourné boulé rampant entre les jambes de père, pour finir par se relever d’un bond dans son dos en lui assénant un violent coup de poing dans les reins. Armadé, champion du clan de Nendar, se cabra sous la douleur, et Maître Rufus, toujours derrière lui, passa son bras autour du cou du chef, prêt à l’étrangler. Père lâcha son épée, leva ses mains en signe de forfait, et comprit que Rufus, tout paria qu’il soit, était effectivement un maître des combats, envoyé par Marco Fallacio en personne.
Tout le monde retenait son souffle, car sans conteste, nous venions de voir à l’œuvre un être exceptionnel, une sommité âgée qui s’était joué des plus valeureux guerriers du clan avec une arme dérisoire, et même sans arme du tout. Ce qui impressionnait le plus, étaient ses postures avant le mouvement. Il restait immobile, raide, tous les muscles de son corps tendus à l’extrême, jusqu’à ceux des phalanges de ses doigts. Juste avant l’attaque, la tension semblait telle qu’on aurait pu croire que ses os se briseraient d’eux mêmes. Puis le mouvement survenait, pour dire la vérité : le mouvement éclatait, dans l’ordre, dans la direction, et dans la puissance exacte que Rufus souhaitait lui donner. C’était comme si l’énergie qui tendait son corps tout entier se libérait d’un seul coup, en un instant, dans une précision et une rapidité tout simplement diabolique.
Lorsque père reprit ses esprits, il osa la question que tout le monde souhaitait poser : « Mais, … quel est cet art ? »
Maître Rufus répondit à Armadé en me regardant : « Toi, tu ne le sauras jamais, mais lui le saura, si je le juge apte à suivre mes enseignements ». Sur cette réponse, il décrocha son épée de son cheval, et m’apostropha par un simple : « En garde, gamin ! »
Je tirais mon glaive du fourreau, sans aucun espoir de gagner, mais néanmoins fermement décidé de lui montrer ce dont j’étais capable. J’attaquais alors par un coup technique difficile et qui aurait dû être efficace, que père m’avait enseigné. En un seul et unique mouvement de lame d’une vélocité et précision effroyable, Maître Rufus fit glisser sa pointe sur mon pommeau, et la ficha dans la paume de ma main jusqu’à l’os, ce qui provoqua une douleur telle que je dû changer mon glaive de main, qui passa de la droite à la gauche. Ma main droite saignait abondamment, je grimaçais un peu, mais je m’étais mis en position pour continuer le duel de la main gauche. Le maître eu l’air satisfait, car dans un sourire d’approbation qui traversa son visage, il lâcha un simple « bravo p’tit gars, bien réagit »... Il planta alors son épée dans le sol, se saisit de son bâton métallique, et se tint immobile, le bâton pointé dans ma direction.
J’attaquais une seconde fois en frappant de toutes mes forces par un coup de revers, de bas en haut, afin d’écarter son arme sur son flanc droit, histoire de provoquer une petite ouverture qui m’aurait permis d’avancer pour lui porter une réelle estocade. Mais mon glaive d’écrasa sur le bâton sans que ce dernier n’oscille de la moindre des manières. Mon coup manqué, je vis le bout du bâton foncer sur moi, et puis le choc ! Un choc terrible sur mon épaule gauche qui me fit lâcher mon glaive. Je sentis les ossements de mon épaule bouger, et immédiatement, une douleur atroce qui me fit hurler de mal ! Les larmes perlaient sur mes joues, mais je me retenais pour ne pas geindre. Je restais bras ballants, le bras gauche flottant dans une incroyable douleur, tandis que la main droite ruisselait de sang. En deux coups, le Maître m’avait ôté tous mes moyens d’attaque et de défense.
Le vieil homme s’approcha alors de moi, saisit mon bras gauche, et d’un mouvement sec qui provoqua une nouvelle fois une terrible douleur, le remis en place. Ceci fait, le mal disparût. Ensuite, il me dit qu’il allait s’occuper de la plaie de ma paume droite et indiqua qu’il me prendrait comme apprenti : « Huit ans et pas un pleur, tu as le cran qu’il faut pour devenir un grand guerrier. Dorénavant, je m’occuperais de ton éducation ! », conclu-t-il.
Par la suite, Maître Rufus m’informa que le test, douloureux, qu’il m’avait fait subir n’était que l’entaille de ma main droite. Si j’avais abandonné à ce moment pour pleurnicher sur ma blessure, il serait reparti ; mais comme je n’ai ni pleurniché ni abandonné la partie pour contrebalancer mon glaive dans ma main gauche, sa décision de devenir mon Maître fut prise à ce moment. Il m’indiqua que le déboîtement de mon épaule gauche n’était qu’un bonus, et que ma réaction le surpris en bien : Un gros cri de douleur, mais pas de pleurnicheries !
Après ce test, le Maître remis sa capuche sur son front marqué du signe des parias, et apostropha mon père ainsi que le conseil des anciens en disant d’une mine soucieuse : « - Je crois que vous êtes face à un sérieux problème dans votre communauté, tous, autant que vous êtes ! Si le chef m’y autorise, je m’établirais et vivrais ici, jusqu’à ce que mon élève soit devenu un vrai guerrier. Si quelqu’un d’un village voisin apprenait que vous hébergez un paria, c’est toute la réputation, la respectabilité, et l’honneur de votre clan qui sera bafouée. Les autres clans s’uniront pour vous faire la guerre, et il ne restera plus de Nendar qu’un tas de cendres. Je pense, chef Armadé, que si tu acceptes de m’héberger, tu devrais t’assurer du silence de tes sujets, et prendre les mesures nécessaires pour que ce secret ne dépasse jamais cette enceinte ! »
Cela n’allait bien entendu pas de soi, car un paria ne pouvait pas vivre dans un clan, et maître Rufus, tout Maître qu’il était, avait été marqué du signe des parias… Une grande discussion s’ensuivit entre les anciens et mon père pour savoir si oui ou non, notre clan pouvait prendre le risque de s’attirer la malédiction des parias en hébergeant un être tel que Rufus. C’est finalement mon père qui coupa court à toute cette polémique, en déclarant qu’un paria qui se battait de pareille manière ne pouvait être qu’un innocent déclaré paria à tort par son clan d’origine.
Armadé était non seulement un bon tacticien, mais aussi un excellent diplomate. Il comprenait les raisons pour lesquelles il était utile de déclarer des gens « parias », mais il était peu superstitieux, et ne faisait finalement que semblant de croire à la fameuse malédiction, dans le seul but de réconforter le peuple sur ses croyances, n’ayant pas lui-même les arguments pour démontrer la fausseté desdites malédictions.
Par contre, pour le secret, Armadé souleva un nouveau problème. Il parla à maître Rufus en ces termes : « - Tu n’es pas tombé sur notre clan par hasard n’est-ce pas ? Pour trouver le village de Nendar, tu as dû te renseigner dans la vallée, non ? Et personne ne renseigne personne avant d’avoir vu son front ! Il y a donc nécessairement des gens qui sont déjà au courant qu’un paria a recherché l’emplacement de notre clan !? »
Maître Rufus fut franc : « - Exact, j’ai croisé une patrouille de 4 cavaliers aux environs du marché de Tourbillon, j’en ai profité pour leur demander mon chemin, et ils m’ont effectivement demandé de retirer ma capuche. Je l’ai enlevée, ils ont vu que j’étais un paria, j’en ai tué trois et ait demandé les renseignements utiles à celui resté en vie. Lorsque j’eus obtenu les informations nécessaires pour vous rejoindre, j’ai tué l’informateur. Personne, aucun témoin extérieur ne sait que je suis là ! »
Père eu l’air satisfait de l’explication, et il offrit à Rufus de vivre dans le second étage de la citadelle. Ainsi, je pouvais vivre au sein de ma famille, elle-même logée dans la citadelle, et auprès de celui qui devint dès ce jour mon Maître, trois étages plus bas.
On sonna la cloche, ce qui signifiait le rassemblement immédiat du village tout entier sur la place centrale. Les anciens, père, et même le conseil des matrones s’étaient consultés pour savoir comment faire garder un secret pareil à toute la population. Les contacts entre clans étaient rares, voire inexistants, mais il restait les trois jours de marché à chaque lune, où une maladresse d’un membre du clan pouvait nous trahir. Les deux conseils et le chef prirent donc des dispositions pour punir ceux qui pourraient avoir tendance à parler un peu trop : « Ceux qui dévoileront la présence de Maître Rufus en nos enceintes deviendra coupable de haute trahison à l’encontre du clan, il sera chassé en tant que paria, et toute sa famille, ascendance comme descendance, soumise à l’esclavage le plus dur qui n’ait jamais été pratiqué ! »
Ensuite, chaque habitant de Nendar dû jurer un serment qui se résumait en deux phrases : « Nous savons que Rufus, Maître du Seigneur Marco Fallacio, et envoyé par lui dans notre clan, a été déclaré paria à tort. Nous savons qu’il n’est pas plus paria que nous-mêmes, et nous jurons de ne jamais ébruiter cette affaire plus loin que nos enceintes, ainsi que de nous taire tout à fait si des marchands, une délégation, ou un chef étranger se trouverait dans notre village ! »
Toutefois, même avec ce serment, beaucoup de questions entouraient Rufus. Tous avaient vu ce vieillard corriger les plus terribles guerriers du clan, mais personne ne savait ni d’où il venait, ni quel était son art du combat, ni pourquoi il était marqué du signe des parias ! Rufus étant un homme d’une discrétion à toute épreuve, peu bavard, personne n’eut finalement les réponses à ces questions à part moi, et, … mon père.
Aujourd’hui je peux le dire car il n’est plus : Pour ce qui se rapportait à sa marque de paria, il appelait cela : « La malédiction de la Grande Ville de la légende » ! Dans sa jeunesse, il vécu dans la cité de Pari, une immense ville très loin au Nord-ouest des Alpes, une ville à la mesure de ce que sont les marchés de Tourini ou Milani, plus au sud et mieux connus de nos populations. Il se faisait remarquer à Pari comme une sorte de génie des tournois, en raison de ses manières très spéciales de combattre, et, en attendant la mort de l’ancien Seigneur de la cité pour participer au tournoi de succession, il décida d’aller vérifier l’existence de la Grande Ville de la légende. Il y est allé, y est revenu, et ses récits furent si fascinants que de nombreux hommes se mirent à sa suite pour qu’il les guide vers cette ville fantastique. Voyant cela, le Seigneur de Pari l’accusa de complot et trahison, arguant que par ses mensonges éhontés, il ne cherchait qu’à exciter les foules, afin de lever une armée pour prendre le pouvoir sur le marché et la région. Il fut condamné par le chef et le conseil des anciens de Pari, et en tant que traître, banni de la cité sur le champ, devenu dès cet instant un paria. Sa femme, ses deux fils et sa fille furent déclarés esclaves. Voilà ce qu’il appelait « la malédiction de la Grande Ville ».
Même vis-à-vis de moi et de mon père, Rufus refusa toujours de nous donner des détails sur la Cité mythique, se bornant à dire que toute notre imagination multipliée par 100 n’était rien par rapport à ce qu’est réellement cette cité. Il avait eu un plan pour Marco Fallacio, qui découvrit lui aussi la Grande Ville, mais ce plan échoua ; il avait dorénavant un nouveau plan pour moi, et cette fois, il était certain d’avoir compris la manière de parvenir à ses fins. Père l’interrogea tout de même sur ce que signifiait « arriver à ses fins », et Maître Rufus donna cette réponse : « L’important n’est pas tant de découvrir la Grande Ville, l’important n’est pas non plus d’arriver à y entrer et la visiter, l’important n’est guère plus de rencontrer le Seigneur de la Grande Ville pour obtenir réponse à quelques unes de nos questions. Non, l’important est de mériter la confiance du Seigneur de cette ville. A ce moment précis, au moment où ce Seigneur accordera sa confiance à un homme du Chaos, le monde du Chaos tout entier changera ! C’est la seule chose qui importe dans toute cette histoire : la confiance du Seigneur de la ville légendaire. Je ne l’ai pas reçue, j’ai espéré que Marco obtienne cette confiance mais il a échoué, et maintenant, je sais que Léopold pourra l’obtenir, mais il aura besoin de mon aide, et encore plus de ton aide, Armadé ! Si nous parvenons à avoir la confiance du Seigneur de la Grande Ville, le monde entier changera de visage. »
Ça restait énigmatique, mais Rufus ne disait rien de plus à propos de la Grande Ville, se bornant à me répéter : « Tout ce que tu as à faire c’est de m’obéir et ne pas poser trop de questions à ce sujet…, à chaque jour suffit sa peine » !
Enfin, si Rufus n’était pas très bavard avec moi, je le soupçonnais de partager des projets beaucoup plus détaillés avec mon père Armadé. Ils passaient de nombreuses soirées ensemble, et discutaient souvent jusque tard dans la nuit, mais je n’étais pas dans la confidence des chefs.
Je lui demandais alors quelle était cette discipline de combat qu’il pratiquait, mais il m’informa qu’il ne s’agissait pas d’une discipline de combat, mais d’exercices de souplesse, de concentration, de symbiose entre l’esprit et le corps…, il nommait cela de l’Art Martial …? En guise d’explication, il me dit simplement : « Vous êtes beaucoup trop rigides. Vos muscles vous empêchent de bouger comme vous le devriez. A cause de cela, vous ne pourrez jamais être les meilleurs. Pour ton père, c’est trop tard, mais toi tu es dans le bon âge. Si tu es aussi doué que ce que m’a laissé entendre le seigneur Marco, je ferai de toi un grand champion ». A la suite de cela, il m’ordonna d’ôter tous les bracelets de plombs qu’on m’avait mis aux poignets et aux chevilles « pour me renforcer »…, Rufus considérait cela comme nuisible au développement musculaire ainsi qu’à la souplesse des jeunes.
C’est finalement à ce moment, dans ma huitième année, que ma vie se détériora. Alors que mon frère était déjà remarqué lors des tournois d’enfants dans sa catégorie d’âge, père m’interdit toutes nouvelles joutes. Je ne pouvais plus me battre en tournoi ou en duel ni contre mon frère, ni contre aucun autre enfant ! Je me souviens bien de cette catastrophe personnelle, c’était un soir dans la citadelle, après les entraînements et le dîner. Père m’emmena à l’étage inférieur, où vivait le conseil des anciens. Apparemment, ils s’attendaient à notre visite car ils s’étaient déjà réunit dans la salle des jugements.
Là, sans doute à la suite des conseils de maître Rufus, Armadé demanda aux anciens de m’écarter définitivement de tous les tournois. Y compris celui des 14 ans. Je ne serai ni cultivateur… ni guerrier... !?
L’ancien Nicola, qui connaissait bien ma force et mes capacités, demanda à père ce qu’il comptait faire de moi. Il répondit qu’avec l’aide de maître Rufus, il allait en faire une créature spéciale, d’un autre genre. Les anciens étaient étonnés car j’étais arrivé premier, lors du tournoi de ma catégorie, et avec une bonne marge sur mon plus proche rival. Ils savaient que j’étais déjà un petit génie du combat, et demandèrent à père s’il ne voulait pas plutôt me faire passer à une catégorie supérieure. Armadé estima qu’il n’en était nul besoin. Je ne combattrais plus, sauf contre lui-même, Rufus, ainsi que des guerriers de sa connaissance ! Les anciens prirent acte de cette décision, et père me renvoya à l’étage. Restant seul avec les sages, certainement expliqua-t-il plus clairement sa position, mais il ne voulut pas me la communiquer.
Ce qui changea radicalement à cette époque fut aussi mon style d’éducation. Lorsque je n’étais pas occupé avec maître Rufus, père me prenait partout avec lui, comme un véritable guerrier. Il m’expliquait tous les pourquoi de ses gestes, manoeuvres de troupes, organisation de ses hommes et régiments. Il passait ainsi beaucoup de temps à mon éducation en stratégies militaire, utilité des différentes armes collectives ou individuelles dans diverses situations, et de toutes les stratégies, de leurs avantages et inconvénients.
J’avais le droit de me battre contre lui et quelques guerriers triés sur le volet. Je perdais évidemment à chaque fois. La doctrine de Maître Rufus disait que chacun, même Marco Fallacio, avait un point faible. Tout homme, toute armée, toute ville ou village avait un point faible. Le fait de me battre contre beaucoup plus fort que moi me révélait sans cesse de nouveaux points faibles que je devais à chaque fois corriger. Ce fut une période plutôt triste pour moi car jamais, je n’avais la satisfaction d’une victoire. C’était impossible et terriblement frustrant.
Si père était aussi dur avec moi, c’est sans doute sous les conseils de maître Rufus, car la discipline de ce dernier était tout simplement tyrannique. Rufus m’enseignait bien sûr le maniement des armes, mais il était encore plus pointilleux sur les exercices d’assouplissement de mon corps. Chaque jour, il m’imposait des exercices que je jugeais complètement inutile pour le combat, mais que lui trouvait indispensable. Lorsque je n’apportais pas satisfaction par ma souplesse, il me punissait, parfois en me laissant accroché des nuits entières au plafond de la citadelle, histoire de me détendre, disait-il ! C’était tout bonnement atroce, j’étais encore petit, j’avais envie de pleurer, mais je n’en avais pas le droit. Si je pleurais, Rufus devenait encore plus impitoyable.
Je n’apprenais pas seulement les tactiques et autres astuces, mais plein de choses bizarres que personne n’apprend : des exercices de souplesse, de voltige, d’acrobatie, d’équilibre. Cette “gymnastique” comme il disait, consistait par exemple à me tenir debout, sur un cheval au galop, et à sauter sur un épouvantail, épée en avant et à pleine vitesse. Le but était de toucher l’épouvantail au cœur et d’abandonner là mon épée, de retomber ensuite sans mal dans une grande culbute, durant laquelle je devais encore toucher une cible avec ma dague alors que je tournais sur moi-même, emporté par la vélocité du cheval. Je devais aussi apprendre la voltige en portant des coups de précision sans qu’aucun de mes membres ne touche terre. Il me fallait également faire des sauts à plongeons en utilisant la seule propulsion de mes jambes, ainsi que des sauts à levier en utilisant la fameuse canne dont Rufus ne se séparait jamais. C’était une canne d’un métal très léger que lui-même nommait aluminium. Lorsque j’étais en l’air, je devais savoir frapper à l’endroit indiqué sur une cible mouvante ou un épouvantail. J’ai encore appris à marcher sur les mains, puis à me tenir la tête en bas sur une seule main en me battant épée au poing avec l’autre, tout en gardant l’équilibre ! Je devais aussi être capable de reculer face à un adversaire sans faire un pas en arrière mais en faisant un tour sur moi-même en l’air, en virevoltant pour atterrir droit sur mes deux pieds, toujours face à l’adversaire… Rufus appelait cela un saut périlleux arrière… Mais je devais aussi être capable de faire ce même saut en avant… Et puis, il y avait encore les contorsions, les exercices musculaires, les tirs à l’arbalestre, à l’arc, les jets de dagues et d’étoiles, la rapidité, la précision, la concentration, la maîtrise de mon corps en toutes circonstances, même nu en plein hiver dans le froid de la nuit… Pour le dire franchement, la vie avec Maître Rufus était un vrai calvaire, faite d’épuisements, de souffrances, de bosses et de plaies…
Cependant, je progressais, je gagnais en puissance et en efficacité, mais je continuais à perdre. Je n’avais ainsi jamais une confiance importante en mes capacités face aux adversaires qui m’étaient proposés. Armadé trouva que c’était excellent pour moi, ne jamais partir en croyant que la victoire était acquise. Cela aurait pu être le cas si je combattais dans une catégorie appropriée à mon âge, mais de cela, il n’en était pas question ! Je regardais avec envie les tournois, mais toujours comme spectateur, et c’était rageant de voir tous les défauts et faiblesses des combattants sans pouvoir me mêler aux joutes.
Finalement, j’étais une sorte d’enfant guerrier à part, éduqué par le meilleur maître, Rufus ; et par un des meilleurs stratèges, mon père, d’une manière dont aucun enfant ne l’était. Et même si je ne voyais pas l’utilité de la moitié de leurs exercices, j’obéissais.
A plusieurs reprises, je m’étais plaint à père des traitements tyranniques de mon maître, mais Armadé ne pouvait, ou ne voulait rien faire qui puisse perturber l’éducation de Rufus. Toutefois, ce dernier dû percevoir que j’étais malheureux, que mon visage s’était renfrogné, que mon humeur était obscure et que cela déteignait sur mon caractère. Je continuais à faire tout ce qu’il me demandait de faire, mais le cœur n’y était plus, les gestes devenaient mécaniques, instinctifs, la rage avait disparût, il ne restait que l’obéissance et la soumission, rien d’autre.
Constatant sans doute cela, le maître devint plus intime avec moi ; il n’était pas plus laxiste sur mon éducation, mais il arrivait fréquemment que nous quittions le village la nuit avec des vivres. Nous arpentions alors la montagne dans l’obscurité, trouvions une clairière ou un dégagement agréable, allumions un feu et combattions autour des flammes. Mais la nuit, il ne s’agissait pas de combats rudes, techniques ou instructifs, nous laissions libre court à notre instinct, à notre imagination, nous recherchions la beauté des gestes, nous riions de nos erreurs. Car même Rufus, détendu en ces moments, pouvait se ramasser comme un bleu à la suite de quelques manques de concentration, ou lorsqu’il tentait de reproduire des mouvements qu’il maîtrisait dans sa jeunesse mais qui devenaient très difficile du haut de ses 78 ans. Il n’y avait pas de vainqueur ni de vaincu, il n’y avait que la beauté du combat qui comptait. Puis, vers le milieu de la nuit, nous grillions quelques tranches de viande sur le brasier, buvions un peu de vin, et discutions non plus de maître à élève, mais d’ami à ami. Et cela était très agréable, car Rufus ne parlait presque jamais, sauf avec mon père, ou alors pour me donner des ordres et émettre des critiques. Après 4 ans dans notre clan, je pense que plus de la moitié du village ne connaissaient même pas le timbre de sa voix. A la suite du repas de minuit, nous nous allongions sur l’herbe pour digérer, et Rufus m’expliquait la voûte céleste.
Il nommait des étoiles, des constellations, décrivait les phases de la lune, me désignait des planètes qui ont des parcours différents que ceux des étoiles, m’expliquait comment m’orienter à l’aide des astres nocturnes, et me disais que depuis la grande Ville Légendaire, les gens voyaient les mêmes étoiles que nous au même moment. Il me parlait aussi de son ancien élève Marco, me racontait des anecdotes, des souffrances qu’il avait lui aussi enduré avant de devenir le grand seigneur de guerre que nous connaissions. Bref, Rufus bavardait amicalement avec moi et cela adoucis un peu ma situation.
Cette nouvelle proximité affective avec le maître fut profitable à mon humeur et à ma motivation. Rufus me tranquillisait sur le calvaire que je subissais, m’informant que pour l’instant, ma vie était faite de frustrations et de souffrances, mais que la récompense de ces moments difficiles sonnerait un jour, et que cette récompense sera à la mesure des souffrances endurées, et la dépasserait même de beaucoup.
A l’âge de mes 12 ans, Maître Rufus demanda à Armadé de s’engager dans une grande guerre des clans du marché. Il m’avoua plus tard que tout avait été calculé à la suite des circonstances favorables qui s’offraient à nous. Les fameuses circonstances, c’étaient les clans de Savièz et de Conté qui nous l’offrirent. Tout avait ainsi commencé avec les fulminants Savièzois, qui se vengèrent d’une attaque des Contésois contre leurs femmes. Comme je l’ai déjà dit, le clan de Savièz avec ses hameaux dépendants était très puissant. Leur village était aussi extrêmement bien situé.
Une nuit, des guerriers Contésois contournèrent un petit hameau appartenant à Savièz, un peu plus bas sur le coteau. Au matin, alors que les gens ouvraient les portes pour s’en aller aux champs, les guerriers Contésois, dissimulés aux abords de l’enceinte durant la nuit, attaquèrent. Pour kidnapper une vingtaine de femmes, ils durent exterminer tous les hommes du hameau. Ils purent prendre la fuite avant l’arrivée du gros des troupes descendant du village. Cependant, le jeune Alphonse Héritio, tout frais promu chef des Savièzois à la suite de l’ancien vieux chef tué par un homme de Marco lors de mon duel avec lui, ne l’entendait pas de cette oreille.
Il était habituel d’avoir affaire à des kidnappings de filles. J’ai moi-même enlevé par la suite celle qui devint ma femme, et commandé des expéditions de kidnapping. C’était une pratique courante et bien connue de tous dans le monde du Chaos. Raison pour laquelle il était utile de disposer de nos hameaux fortifiés, qui nous permettaient de surveiller le plus vaste domaine possible. Normalement, les enlèvements se faisaient lorsque les femmes étaient aux champs avec les cultivateurs. Les paysans ne résistaient pas trop. Ils savaient que tout signe de résistance équivalait à la mort. Il y avait parfois quelques combats lorsque des guerriers surveillaient de près les cultures au moment des récoltes, ou lors de patrouilles de surveillance.
La guerre des clans avait donc débuté par une razzia de femmes chez les Savièsois, ainsi que quelques dizaines de morts. Héritio tenait à sa vengeance, et dans sa fureur, fondit avec tous ses guerriers sur les Contésois. Il déclencha une vraie guerre de clan. Il y eu 5 jours d’affrontements meurtriers. Héritio perdit beaucoup d’hommes en tentant d’enfoncer la porte d’enceinte du village de Conté. Une fois à l’intérieur, pour venir à bout de la citadelle, les guerriers Savièzois l’avait enfumée. Lorsque les Contésois furent sur le point de suffoquer, ils sortirent pour se rendre. Il y eu alors ce que l’on appela dans la vallée « le grand massacre ». Héritio, le fameux chef de Savièz avait perdu la moitié de ses guerriers, mais il anéantit quasiment toute la population mâle de Conté, près de 2'000 hommes. A la fin de cette horrible journée de massacre, ne restait de Conté que les femmes et les filles, gardées pour la reproduction, ainsi que de très jeunes enfants et quelques vieux paysans pris comme esclaves. Tout ce qui pouvait ressembler de prêt ou de loin à un guerrier fut exterminé.
Savièz avait ainsi englouti le territoire entier de Conté. Héritio tenait la montagne depuis la plaine avec deux villages fortifiés et une dizaine de hameaux dispersés sur toutes les voies d’accès à sa forteresse. Avec les femmes qu’il disposait maintenant, nul doute que son clan allait devenir d’ici à une vingtaine d’année le plus puissant de toute la vallée alpine, et ceci était de fait inadmissible pour la majorité des clans de Tourbillon. Ce phénomène inquiéta d’abord et plus particulièrement leurs voisins directs, qui firent alliance pour vaincre les Savièsois sur leur propre terrain. Entreprise fort périlleuse, même si ces derniers avaient perdus beaucoup d’hommes à Conté.
Les Blecs, les Darboués et les Ayentois s’unirent pour marcher de concert sur Savièz. Mais pour prendre le village fortifié d’Héritio, il fallait déjà passer par trois postes avancés, s’engouffrer dans des couloirs assassins où les dispositifs d’avalanches de pierres marchaient en plein. Une fois au bas de la colline, sur laquelle était construit le village même de Savièz, une zone d’une distance d’un jet de flèche était déboisée. Les troupes seraient à découvert pendant que les Savièsois laisseraient rouler leurs tas de troncs et se donneraient à coeur joie au lancer des balles enflammées depuis leurs catapultes... A supposer que les assaillants arrivent à forcer l’entrée du village, ils devaient encore prendre la citadelle... Bref, l’entreprise se révélait de toute manière catastrophique en termes de pertes humaines. Prendre le clan de Savièz était comme s’attaquer au nôtre, cela ne pouvait finir que par une hécatombe. L’alliance pouvait tirer parti de sa supériorité numérique, mais leurs chances de vaincre paraissaient ridicules, d’autant plus qu’ils avaient l’intention d’indexer Savièz et non de la brûler.
En plaine aussi, les Chamosars s’unissaient avec les Morgiens et les Vétrosois pour reprendre Conté aux Savièsois. Héritio se retrouvait avec six clans sur le dos, et s’il semblait évident que Conté tomberait, c’était loin d’être le cas pour Savièz.
Le chef de Tourbillon décida alors de s’en mêler et envoya une bonne partie de ses troupes à Savièz, ainsi que quelques bataillons à Conté. C’est dans ces conditions, alors que l’alliance faisait une sorte de siège à Savièz en attendant les guerriers de Tourbillon, que père fit une alliance éclair avec les Hérensars, sous les conseils de maître Rufus, restant dans l’ombre, comme de coutume.
Le clan d’Hérens était un clan tout à fait particulier. Ils n’avaient pas vraiment de villages fortifiés, leur val était leur forteresse. Quelques bons archets et arbalestriers bien placés pouvaient boucher un passage. C’était d’ailleurs avec eux qu’avaient lieu la plupart de nos conflits, ils étaient nos voisins directs. Les Hérensars n’étaient pas des conquérants, mais s’il fallait lutter, ils étaient comme leurs vaches noires rompues à la lutte : des durs ! Pacifiques avec les autres, ils étaient capables du pire si des intrus venaient leur spolier une source, un bisse, où des femmes. Dans la vallée d’Hérens, on peut dire qu’une quinzaine d’hameaux libres vivaient en paix entre eux. La situation géographique de leur vallée était peu propice à la culture, mais certainement très avantageuse au niveau du prix de la sécurité. En effet, à Hérens, tous les hommes étaient à moitié guerriers et à moitié cultivateurs. Il n’y avait que certains combattants particulièrement doués qui n’étaient que guerriers. C’était eux qui surveillaient en permanence les frontières de leur val. C’était aussi eux qui pouvaient donner l’alerte.
Une fois que les cors retentissaient, il suffisait de très peu de temps pour que les cutivateurs-paysans-guerriers troquent leur pioche contre un glaive, un arc, ou une lance. Etant totalement dévoués à leur val, ils ne se préoccupaient pas de leur propre sort, et si leur vie pouvait sauver leur territoire, ils n’hésitaient jamais à la donner au combat. Toutefois, les Hérensars ayant l’habitude de suer très dur pour se nourrir, ils connaissaient la valeur des choses, et mon père savait qu’il pouvait en profiter.
Voyant Tourbillon pratiquement vidée de ses guerriers, alors que son chef ne se doutait à aucun instant qu’un clan oserait s’attaquer à la ville elle-même, nous tentions de faire main basse sur le marché. Si les Hérensars n’étaient pas des conquérants, ils savaient le profit qu’ils pourraient tirer en contrôlant le marché de Tourbillon. Ils ne furent donc pas difficiles à convaincre, et nos deux clans marchèrent à l’unisson sous le commandement militaire d’Armadé contre la ville, en rasant tous les postes avancés. Cependant, arrivés devant la grande muraille, sans catapultes, nous ne pouvions qu’envoyer des volées de flèches en tentant de nous protéger de celles des archets sur les murailles. Pendant que les guerriers de Tourbillon en campagne à Savièz et Conté faisaient demi-tour pour venir protéger leur ville, père conclu encore une alliance avec les Aproziens et Veysonnars, deux petits clans proche du nôtre.
Les soldats Tourbillonnois revinrent bien vite, mais des postes s’étaient déjà formés en prévision de leur arrivée. Ils ne pouvaient plus approcher de leur ville, mais nous étions pris en tenaille sans possibilité de retraite. Père élargit encore l’alliance en y intégrant les léonardiens, ce qui nous donnait un itinéraire de repli en cas de coup dur. Ils eurent tous la promesse d’une parité des bénéfices du pillage du marché en cas de victoire.
Le chef de Tourbillon dû lui aussi quérir du renfort, et s’allia aux Morgiens et autres clans déjà aventurés dans leur conflit contre Savièz. Père conclut encore à son tour de nouvelles collaborations, et pour finir, la frénésie prit peu à peu presque tous les clans qui envoyaient des troupes, sans trop savoir pourquoi. Tous préparaient leurs positions en vue d’un immense combat, en ordonnant déjà des séries de tirs. Des alliances avec l’un ou l’autre chef étaient encore tentées ici ou là, alors que la guerre était déjà déclarée, chacun cherchant le meilleur profit pour son clan.
Lorsque la situation était prête à exploser, Armadé s’en fut parlementer avec le chef de Tourbillon. Pour finir, tous les chefs présents furent invités à entrer dans la ville. Armadé avait proposé un retour à la normale, en faisant plier le maître de Savièz, Héritio. Somme toute, juste le fait d’humilier le chef de Tourbillon et Héritio dans la foulée, constituait déjà un fait important pour mon père. Les Savièsois vaincus, père deviendrait alors le plus puissant chef du marché. Toutefois, bien que cette promotion politique pouvait être heureuse pour lui, il pensait aussi à autre chose, car il avait pris conscience d’un autre phénomène, qui était le but de maître Rufus : Avoir réussi à attrouper toutes les forces de tous les clans du marché autour de la ville constituait une armée unique de mémoire d’homme ! De ce qu’il me rapporta, du haut de la citadelle de Tourbillon, ils purent tous voir un océan de puissance guerrière à leurs pieds. Il n’importait plus de voir qui était contre qui, mais de pouvoir observer l’ensemble, près de quinze mille hommes en armes, prêt au combat. C’était gigantesque ! Armadé le leur fit bien remarquer, les invitant à réfléchir de ce qu’ils seraient capables dans l’union, de quelle puissance nous disposerions. Il exposa certaines idées qui plurent à la majorité, et les chefs, après avoir écoutés ses plans, se déclarèrent satisfaits de l’issue des tractations.
Suivis de leurs armées, tous prirent la direction de Savièz. Presque tous les clans avaient déjà essuyés des pertes, et Armadé eu simplement l’idée d’arrêter la guerre en remettant les Savièsois au pas. Comme tous les clans avaient accepté, il restait à aller apprendre les bonnes manières à Héritio. Ce dernier, voyant la marée guerrière monter vers lui, accepta de négocier.
Au final, les Savièsois se retirèrent de Conté avec l’obligation de protéger le village jusqu’au moment où les enfants seraient en âge de porter les armes. Obligation leur était donnée aussi d’accoupler toutes les Contèsoises qui leur en faisaient la demande, et ce, sans droit de paternité sur les futurs enfants. D’un autre côté, tous les clans s’engagèrent à ne pas enlever les Contèsoises tant que ce clan n’ait retrouvé sa puissance normale.
Il y eu aussi un jurement de tous. C’est Armadé qui en fit la proposition et cela faisait partie du plan de maître Rufus. Tous les chefs jurèrent de ne plus indexer de villages entiers, et qu’en cas d’attaque sur notre territoire par des clans appartenant à un autre marché, nous nous unirions pour protéger nos frontières. C’était le premier pas, et il ne fut pas des moindres, dans le début d’une sorte d’union entre nos clans.
Depuis cet épisode, il régna un ordre relatif. Les kidnapings n’avaient pas cessés, les affrontements non plus, mais il n’y avait plus eu d’attaques d’envergure contre des villages entiers.
Au niveau de ma situation personnelle, je devais finalement mettre en sourdine mon talent, et cela, à la place de mon aîné, qui avait toutes les chances de gagner si je ne montrais pas mes capacités en tournoi. Rufus avait d’autres projets pour moi, et mon père était en train d’agir diplomatiquement pour mon avenir, qu’il disait...
Jo grandissait, et il reçu son épée de guerrier à ses quatorze ans, en même temps que moi… ! A douze ans à peine, père m’intégra dans les forces régulières de Nendar, sans même un seul duel pour prouver ma valeur. Armadé, ainsi que les meilleurs guerriers du clan, assistés du conseil des anciens, m’offrirent le statut de guerrier. Ceux qui venaient de gagner leur épée ne m’aimaient pas, ne savaient même pas ce que j’avais fait de si spécial à part avoir fait bonne impression au seigneur Marco des années auparavant. Cependant, ils m’avaient vu combattre contre les meilleurs commandants, et devaient savoir que j’étais déjà à un autre niveau qu’eux. Certainement jaloux, ils me tinrent à l’écart des jeunesses militaires. Lorsque je les vis lors du grand tournoi, j’étais certain de pouvoir tous les battre. Jo avait été très remarqué à cette occasion, accomplissant un sans-faute jusqu’à la finale, qu’il perdit toutefois sur une dommageable maladresse. C’était idiot mais cela lui coûta la première place.
Maintenant que je suis à l’article de la mort, je veux rendre hommage à Jo, mon frère et mon seul ami que j’ai si maltraité et humilié par la suite. Alors que tous les jeunes guerriers me détestaient, il resta toujours bon et serviable avec moi. Son amitié pour moi lui valut d’être mal-aimé par les jeunes guerriers, et malgré tout, il me resta toujours fidèle, préférant être moqué par les autres plutôt que de s’éloigner de moi. Il a été, et est encore toujours reconnaissant de lui avoir laissé la vie contre l’ordre du Seigneur Marco. J’avais risqué ma vie pour ne pas prendre la sienne, et il n’oublia jamais cela. Merci grand-frère, car sans toi, il m’eut été difficile de vivre toutes ces années de brimades et de corrections !
Peu après l’obtention de son statut de guerrier, Jo s’était uni avec une fille qu’il connaissait bien et ils s’appréciaient mutuellement. Quant à moi, comme je n’avais jamais vraiment appartenu à un cercle ou à un autre (guerriers ou cultivateurs), que je n’avais aucun ami et que je ne connaissais pas le sexe faible, il m’apparut plus simple d’enlever une fille d’un autre village que de m’adonner à des jeux de séduction avec celles du clan. Ainsi, à 14 ans, je demandais à père la permission d’aller enlever une fille. Il me l’accorda mais me rappela les règles de conduite à respecter.
Il me prêta sa plus belle monture et me fit grâce d’un quart d’once d’or. Combien de fois ai-je vu revenir au village de jeunes prétendants dont les muscles du bras avaient été carrément arrachés par les crocs de la demoiselle furieuse... Il était donc important de faire bonne impression dès la première rencontre pour éviter que la kidnappée ne se débatte trop, d’où le magnifique cheval. Quant au quart d’once d’or, c’était pratiquement un présent pour une douzaine d’enfants. D’habitude, quelques pesées d’argent faisaient l’affaire, mais père me privait de tant de choses qu’il ne fut pas pingre là-dessus. Cette dette de l’homme envers la femme était une règle universelle, c’était « le prix des enfants ». Si la femme mourrait en ayant enfanté pour son homme, le cadeau était remis aux parents de la défunte, tandis que le père gardait l’enfant. A chaque naissance, l’homme devait offrir un nouveau présent. Les femmes ayant survécu à toutes leurs grossesses gardent ces bijoux ciselés autour de leur cou, assemblés par une chaînette. La cheffe des matrones de notre clan disposait de 18 figurines d’argent sur un splendide collier !
Je partais donc enlever ma future femme tout en ayant demandé à Jo de venir en renfort pour éventuellement couvrir ma retraite. D’habitude, je ne craignais jamais de sortir seul du clan, et même s’il devait y avoir affrontement, j’allais au devant de l’adversaire sans trembler. Toutefois, si je devais fuir avec des guerriers sur les talons et une jeune fille se tortillant sur le cheval, je préférais un renfort de confiance.
Comme nous essayons d’éviter de trop froisser nos voisins Hérensars, je portais mon choix sur le petit village de Morges. Morges était construit sur une colline à une demi-lieue à peine de Tourbillon. C’était un clan sous tutelle presque totale du grand marché, comme le clan de Veysonne pour nous. Ils étaient pratiquement sous protectorat de Tourbillon, et les Morgiens devenaient en majorité des cultivateurs. Tôt le matin, nous étions en poste pour guetter la sortie des enceintes morgiennes. Nous avions laissé nos chevaux dans un bois discret au bas d’une falaise, un peu plus loin. Au levé du soleil, les grandes portes s’ouvrirent et une longue population de paysans, paysannes, cultivateurs et guerriers sortirent, pour se disperser dans les champs au bas de la colline. Nous étions cachés sous un rocher en contrebas du chemin, à une distance qui me permettait de bien voir pour faire mon choix. Un à un, les soldats passèrent en premier pour assurer la route. Ensuite, le défilé commença.
Il fallait d’abord faire attention de ne pas choisir une femme déjà prise. Pour cela, nous devions nous baser sur les colliers. A chaque sorties, elles le portaient d’ailleurs assez ostensiblement, et même si le bijou était trop petit, elles s’arrangeaient pour que le collier, lui, soit bien visible. Cela leur assurait une protection contre les rapts, mais pas contre les parias et les voyous... Quant elles n’avaient pas de collier, il fallait encore regarder si elles n’étaient pas enceintes. Malgré toutes ces restrictions d’usage, j’en repérais une correspondant à mes critères principaux : Elle dégageait une impression de robustesse toute paysanne, grande pour son jeune âge, ses cheveux blonds soigneusement attachés, et paraissait pouvoir faire une très bonne mère. D’un père comme moi et une mère comme elle, nos enfants deviendront assurément de solides guerriers. Ceci dicta mon choix sur cette fille.
Au pied de leur colline, une fois dans la grande plaine, les paysans se dispersèrent dans divers champs tandis que les guerriers entamaient des tours de garde. Il n’y avait cependant qu’une vingtaine d’hommes montés patrouillant sur le territoire. Une dizaine de petits bataillons comprenant trois ou quatre guerriers à pied restaient dans les champs auprès des paysans.
Quand les derniers Morgiens quittèrent le sentier, nous arpentions un point de vue au dessus d’un promontoire rocheux pour observer de loin la progression des groupes de paysans dans les différents champs. Je repérais celui de ma jeune choisie et arrivais à situer le lieu de leur labeur ; puis, nous retournions discrètement récupérer nos montures. Les guerriers à cheval s’étaient divisés en 4 groupes de 5 individus et ils représentaient nos principaux adversaires. A 16 ans et 14 ans, Jo et moi n’étions pas encore de taille à lutter contre 5 hommes mûrs, nous nous tenions donc à couvert le plus longtemps possible, sans cesse aux aguets, arbalestre chargée et bandée, nous nous apprêtions à faire usage de nos armes à tout instant.
Lorsque nous fûmes à proximité du lieu, encore sous couvert de la végétation, nous vîmes l’immense zone déboisée où oeuvraient ces braves gens. Tout en restant à distance, nous repérions les trois gardes surveillant le champ. Ils s’étaient assis à l’ombre d’un cerisier et nous tournaient le dos. Nous décidions alors d’un plan d’attaque : Nous partirions au grand galop dans leur direction et devions les estourdir avant qu’ils ne puissent donner l’alarme. Cela signifiait tout de même de devoir sacrifier un garde sur les trois car nous n’arriverions pas à estourdir trois hommes à la fois !
Nous engagions alors notre galop, l’arbalestre bloquée sur le garde du milieu. Dès qu’ils comprirent l’attaque et se retournèrent, le guerrier reçu deux flèches en pleine poitrine, Jo et moi avions chacun fait mouche. Avant que les deux autres n’aient eu le temps de nous fixer avec leurs armes, nous étions déjà à leur hauteur et les assommions d’un coup de boulier en plein crâne. La force du coup ajouté à la vitesse des chevaux les mit hors d’état de nuire. Les paysans avaient cessé leur besogne et hésitaient à crier. Sans presser l’allure, nous passions au milieu d’eux, et tandis qu’ils restaient silencieux, je me dirigeais tout droit vers celle que je voulais. Une fois près d’elle, je descendis de ma monture malgré les remontrances de Jo. Mais avant même que je ne puisse engager la conversation avec elle, son père, un bon paysan, compris que j’allais la lui prendre. Il fit mine de vouloir venir m’enfourcher mais je fus plus rapide. Avant qu’il n’arrive jusqu’à moi, mon arbalestre était déjà pointée sur son visage. Il hésita, et c’est sa fille qui lui demanda de laisser faire les choses. Il baissa sa fourche et je l’invitais à s’approcher amicalement.
Devant le père, j’engageais la conversation avec la fille. N’étant pas très diplomate, je me bornais à lui expliquer qu’elle pouvait se défendre mais que je l’enlèverais quoi qu’il arrive. Dans le cas d’une pareille résistance, Jo abattrait son père tandis que je me chargerais de la maîtriser.
Ce fut un peu cru mais au moins les choses furent claires pour chacun tout de suite. Après quoi, j’informais le père de mes origines ainsi que ma situation. Je lui montrais surtout le quart d’once d’or qu’elle ou lui auraient droit après la naissance de mon premier.
D’apprendre ainsi que sa fille appartiendrait à l’une des plus puissantes familles du marché, voilà que le père me faisait maintenant ses hommages en vantant les qualités culinaires et besogneuses de ma promise ! Une capture si bien arrangée qu’on aurait pu croire à un vrai mariage d’amour... Même la jeune fille souriait, avant de pleurer un peu dans les bras de son père, car bon prince, je lui laissais même le temps de faire ses adieux.
Devant le franc succès de la conclusion du contrat, je promis encore qu’à chaque solstice, quatre fois par année, je lui permettrais de se rendre au marché. Elle pourrait donc revoir ses proches parents morgiens à ces occasions. Tout le monde se déclara très satisfait et l’enlèvement pu avoir lieu sans heurs. Sabrine, c’est son nom, grimpa sur mon cheval, et nous nous dirigions vers la montagne sans rencontrer de patrouilles montées. Le fait que personne n’ait donné l’alarme n’y fut pas pour rien et je me félicitais de cet enlèvement digne d’un vrai petit stratège. Et même, contre toutes attentes, d’un vrai diplomate : Il n’y eu qu’un seul guerrier tué dans l’affaire.
Nous nous unissions définitivement juste avant ma 15ème année. C’était le chef du conseil des anciens qui procédait aux unifications. A cet âge, j’étais déjà le guerrier à la réputation obscure du clan. Personne ne m’avait vu en tournoi, mais lors d’accrochages, les guerriers connaissaient mon potentiel. Alors que les autres portaient des plombs jusqu’à leur tournoi des quatorze ans, je ne les portais plus depuis déjà 6 ans, et pourtant, ma musculature n’était pas moindre que la leur, elle était au contraire plutôt athlétique. Beaucoup de guerriers étaient très musclés mais cependant, comme l’avait prédit Rufus, ils y perdaient en agilité. Les nombreux exercices d’étirements, de voltige et de gymnastique auxquels m’avait astreint le grand maître me maintinrent dans une agilité redoutable. Ma taille atteignait déjà celle d’un bon guerrier adulte, et ma croissance n’était pas encore terminée.
Un an plus tard, Sabrine me donna un premier fils. L’accouchement fut difficile car l’enfant était de grande taille et je craignis même qu’elle ne succombe. Je ne l’avais en fait que peu connue, bien que je l’appréciais comme femme. Mes entraînements, le temps que je passais dans les forces armées, avec mon père et avec maître Rufus, sans compter les nuits d’escapades du clan avec ce dernier, me tenaient éloigné la plupart du temps de mon foyer. Je respectais Sabrine, mais c’était plus par devoir que par envie que je l’avais prise. A cette époque, je me souciais principalement de mes progressions dans l’art du combat, mais j’arrivais cependant à mes 15 ans, et il était normal que je prenne femme. Le contraire aurait pu paraître suspect. Elle voyait sa famille à chaque solstice, comme promis. Ils étaient bons et amicaux, et je permettais même à ma femme de leur offrir tantôt une chèvre, tantôt un cochon ou quelque autre présent qu’elle souhaitait.
Cependant, juste avant d’enfanter, elle donnait l’impression de vouloir tourner de l’oeil, et je découvris que j’étais vraiment attaché à elle. Elle était souriante, attentionnée, mignonne, bonne cuisinière comme me l’avais vanté fort à propos son père lors de l’enlèvement, et de plus, affectueuse, ce qui adoucissait les souffrances dues à mon éducation. Elle semblait heureuse de sa nouvelle vie à la citadelle, et s’était préparée à accueillir avec beaucoup de joie cet enfant. Je pressentais qu’elle ferait en outre une bonne mère et sa perte m’aurait été pénible.
Heureusement, elle survécu et se remis de cet accouchement douloureux. L’enfant était lui aussi un guerrier né, il en avait la taille et le tempérament, alors je le nommais : Victorio.
Au fil du temps, j’étais aussi passé maître dans la plus dure des disciplines : le parage des flèches. Depuis qu’il fut mon Maître, Rufus m’avait entraîné à arrêter ses flèches avec mon bouclier. Au tout début, il ne me tirait jamais vraiment dessus, mais un peu sur le côté, à moi de contrer la flèche. Les tirs étaient lents et fortement bombés. Mais petit à petit que j’acquérais de l’assurance, les tirs devenaient plus rapides et directs. Cependant, ce genre d’exercice était plus ou moins inutile en situation de combat. Lorsqu’on est engagé dans une lutte, on n’a pas le temps de suivre toute la trajectoire d’une flèche. Il faut être capable de la détecter au dernier moment. Ceci exige d’être non seulement très rapide, mais aussi extrêmement agile. Il était cependant très rare qu’un guerrier en arrive là. Vu mes progrès et mon assurance de plus en plus ténue, Rufus pensa que je pourrai être capable de maîtriser une telle discipline. Je devais alors fermer les yeux, et les ouvrir seulement à son ordre. Au début, je les ouvrais alors que la flèche était encore loin, puis, de plus en plus proche. Après cela, Rufus engagea les meilleurs archets de mon père pour m’offrir plusieurs trajectoires différentes en même temps. Je fus blessé à plusieurs reprises (même si le bout des flèches était arrondi), mais mes progrès étaient encourageants. Ce fut en fait la dernière discipline que je maîtrisais après toutes les autres, vers mes 17 ans. Des tirs en séries, de cinq archets différents... Pour en arriver là, j’eu droit à de mémorables cicatrices.
A cet âge, j’étais le guerrier le plus fameux de Nendar. Et même si je ne me produisais jamais dans des tournois publics, je commençais à gagner de plus en plus souvent mes anciens adversaires. Les premières victoires furent magnifiques. Tout à coup, je compris que je pouvais tout de même gagner, après avoir toujours perdu ! Père, d’entente avec Rufus, réduisait le cercle de mes prétendants à mesure que je battais l’un où l’autre. Avant même 17 ans, il ne restait plus que deux guerriers à pouvoir encore me tenir en échec tantôt : Mon père, et maître Rufus, et ils gagnaient de moins en moins souvent… Lors de ma première victoire contre Maître Rufus, je me sentis très gêné, un peu comme si je l’avais insulté. Il me rassura car de son côté, il savourait ma victoire comme si ça avait été la sienne, ne tarissant pas d’éloges et de compliments à mon endroit.
Dès lors, je ne me battais plus que contre eux, qui avaient de plus en plus de peine à me tenir tête. Armadé ne cachait cependant pas sa fierté pour Jo, qui, à 19 ans, comptait parmi les meilleurs guerriers officiels de Nendar. Mais lorsque j’invoquais ceci pour pouvoir m’entraîner avec mon frère, en arguant à père que lui n’était plus tout jeune (il avait tout de même 37 ans), il refusait systématiquement. Armadé pouvait me battre par certaines ruses, et il arrivait encore que je perde le combat. Mais il devenait plus lent, plus prévisible, … moins bon ! Quant à Rufus, il était vraiment très vieux, 82 ans, ce qui constituait un âge canonique dans la société du chaos ! En réalité, s’il avait bel et bien 82 ans d’existence, il en avait bien moins réellement… comme pour Marco je suppose : « …cadeau du Dieu de la ville légendaire… ».
Malgré mes victoires, mon éducation ne molli pas pour autant : Désormais, je ne devais plus me battre contre père ou Rufus, je devais combattre les deux à la fois ! Après mon anniversaire des 17 ans, mes conditions d’entrainement étaient devenues de la folie pure et simple, Rufus innovait sans cesse dans la difficulté : Par exemple, il pouvait attacher mon pied avec une corde de trois coudées de longueur à un pieu pour limiter mon champ d’action, le Maître et mon père attaquaient chacun de leur côté, tandis que 3 gosses réquisitionnés par Armadé me molestaient, l’un en me claquant des coups de fouet, l’autre en me lançant des pierres, et un troisième en m’expédiant des poignées de sable…
Lorsque le soir, je rentrais en souffrance au foyer, ensanglanté d’une manière quelconque et épuisé, il arrivait que Sabrine pleure à ma place. Elle m’aimait vraiment de tout son coeur et détestait cordialement Maître Rufus. Elle ne comprenait pas quel tort j’avais pu causer pour mériter pareils châtiments, et c’est encore moi qui devait la consoler. Lorsqu’elle comprenait enfin que j’acceptais ma condition aussi longtemps que mon Maître le jugerait utile, elle finissait par se calmer et m’entourait de tendresse et d’attention. Rufus m’offrait la rudesse et la souffrance, Sabrine m’offrait l’affection et la tendresse, et moi, je les aimais tous les deux. Parfois, après le dîner, lorsque je me détendais de mes courbatures du jour en buvant quelques verres de vin, avachi dans mon siège, elle restait en face de moi à me regarder de ses grands yeux bleus embués de larmes, pour lâcher au bout d’un moment la même interrogation pensive : « … Ohhh Léopold, je sais qui tu es et je t’aime comme ça, mais qu’es-ce qu’ils veulent bien faire de toi ? … Tous les autres guerriers terminent leur éducation à 14 ans et ils sont moins bons que tu ne l’étais à cet âge, pourquoi toutes ces souffrances encore aujourd’hui ? Tu ne participes à aucun tournoi, tu ne deviendras jamais chef de clan, qu’es-ce qu’ils te veulent à la fin ??? »
Mais elle connaissait très bien la réponse à cette question : « Tout ce que je sais, c’est que Rufus s’est déjà occupé de l’éducation d’un enfant, et tu dis vrai, cet enfant n’est pas devenu chef de clan, il est devenu Marco Fallacio. »
Mais Rufus ne veut pas d’un deuxième Marco Fallacio, il veut plus ! … s’énervait-elle. Léopold, dans cette histoire, soit tu mourras et je te perdrais ; soit tu vivras et tu deviendras une espèce de monstre sacré vénéré comme un dieu, et je te perdrais. Dans tous les cas, je te perdrais. Dois-je accepter que Rufus dispose non seulement de ta vie, mais de la mienne aussi ?
Je la tranquillisais en lui assurant de ma fidélité indéfectible à son amour, et en toute sincérité, elle savait au fond d’elle que les femmes ne m’intéressaient pas. Sabrine, la mère de mes enfants, était seule importante pour moi ; ni les conquêtes, ni la gloire que ces dernières pourraient m’apporter, ne risquaient d’avoir de l’influence sur les effets que procurent les roucoulades féminines à l’endroit de ma personnalité. Sabrine jouait à se faire peur en imaginant des dangers invraissemblables. Je ne la rassurais qu’à moitié, puisque je l’informais que la seule véritable menace pour notre couple était ma mort précoce ; car finalement, après 10 ans d’entrainement tyrannique, de souffrances, de plaies et de cicatrices, je devais devenir le meilleur, … ou mourir ! Plus je devenais fort, et plus j’acceptais de repousser mes limites dans la difficulté et la souffrance pour m’améliorer encore. A ce stade de mon développement, je ne pouvais plus accepter une place de second, je serais soit le champion des champions, soit mort. Mais de toute façon, tout le monde meurt un jour ou l’autre…
A cette époque, je dépassais d’une tête la majorité des gens, j’étais devenu un petit géant. Rufus pensait que j’avais atteint le maximum de mon perfectionnement personnel en clan, et il voulait aussi que je m’émancipe de lui, que je fasse mes preuves loin de son regard et de ses conseils. Avec mon père, ils décidèrent de m’envoyer avec toute ma petite famille trouver un marchand Valaisois du nom de Robert Monié, car Rufus ne voulais pas que j’intègre l’armée du seigneur Marco Fallacio, quelles que soient mes capacités !
Je traversais alors tout le pays jusqu’au marché de Brilg pour me présenter au grand marchand. Monié était dépositaire d’une permission dans la plaque de distribution de Domodosolia, et pouvait pénétrer au sud des Alpes.
Les marchands acceptaient généralement dans leur armée tous les guerriers surmontant une série d’épreuves de leur invention. Il suffisait de les passer pour entrer dans leur armée marchande, qui constituait d’habitude le sommet de la hiérarchie des guerriers.
En l’occurrence, les règles de Monié étaient les suivantes : Il désignait six de ses guerriers. Il fallait gagner en duel contre au moins trois d’entre eux. Le marchand ne choisissait pas les plus faibles, mais de toutes manières, tous ses guerriers étaient déjà les meilleurs qui soient. J’en battis cinq. Ensuite, Il m’emmena avec une escorte dans un lieu qu’il savait occupé par des parias. Nous en trouvâmes un groupe d’une quinzaine, dont une dizaine d’hommes. Je devais les affronter seul et les exterminer. Les marchands ayant le droit de tuer les parias, j’eu cette autorisation pour la première fois, sans craindre la malédiction. J’en vins à bout mais l’un d’eux m’infligea une méchante blessure à l’avant bras droit.
Ensuite, il y avait des épreuves physiques, d’endurance à l’effort et à la douleur, que je surmontait très facilement.
En fin de compte, je remportais brillamment mon examen d’entrée. Monié me fit forger une épée bien plus grande que la moyenne, effilée comme une lame de rasoir mais robuste, du meilleur alliage, celui des marchands... De recevoir ces armes était une vraie consécration. Et de servir dans l’armée marchande me donnait l’occasion de me frotter à toute la faune de voyous, parias et brigands de grands chemins hors clans.
Monié m’intégra dans sa société, et ce fut un grand jour pour moi et ma famille. Victorio n’avait que deux ans et déjà il tirait à l’arbalestre. Sabrine fit connaissance avec les autres femmes des guerriers-marchands. Notre vie ne serait dorénavant plus qu’un grand voyage, dormant chaque nuit dans un autre clan.
Monié était un riche commerçant, transportant de grosses quantités de biens entres les plaques de distribution de Domodosolia et Friborg. Nous transportions des céréales, du sucre, cacao et sel, de l’or, argent et pierres précieuses, ainsi qu’une foule d’autres biens alimentaires. Nous voyageons, et jamais nous n’avions de toit nous appartenant pour dormir. Au passage du marchand, les portes des villes et villages s’ouvraient comme par miracle. Monié et son escorte rapprochée logeaient dans les citadelles tandis que les habitants nous invitaient, rien que pour admirer nos armes. Deux cents excellents guerriers équipés des meilleures montures et matériaux gardaient les marchandises transportées par plus de mille mulets. Chaque guerrier ayant une femme et quelques enfants, ce n’était donc pas moins de sept cents personnes qui accompagnaient le grand marchand dans ses pérégrinations. Cette période me fut d’un grand bénéfice, car Monié faisait preuve de grande inventivité dans ses stratégies. Cependant, mon maître et mon père me manquaient…
Lors de mon arrivée fracassante et la victoire sur cinq guerriers, les meilleurs hommes de l’armée voulurent m’affronter. Il s’avéra que dans toute l’armée du marchand, seuls 3 étaient capables de me tenir tête. Monié me prit immédiatement dans son escorte rapprochée et je décidais de garder la ligne d’éducation que Rufus et mon père avait tracé. Désormais, je ne me battrais plus en duel que contre ceux qui pouvaient encore me vaincre. Je n’avais que 17 ans et disposais de mon plein potentiel de puissance bien que je continuais encore ma croissance. Cependant, je manquais sans doute encore un peu d’expérience, de patience dans les duels, et cela ne s’acquérait qu’en affrontant régulièrement meilleur que soit.
A peine six mois plus tard, je ne combattais plus que contre un seul adversaire. C’était une très belle époque. Ce fut la première fois que je passais les Alpes pour atteindre la Péninsule. Une fois dans la ville Italophone, nous entamions de nombreux voyages d’un côté à l’autre du col. Les marchandises devaient êtres chargées à dos de mulet car il n’y avait guère de bons chemins pour les charrettes dans les hauteurs. En général, il nous fallait cinq voyages pour tout emmener à Brilg, au nord des Alpes. Une fois la marchandise dans le marché valaisois, elle était chargée sur d’immenses charrettes, de véritables trains roulants, et menées dans les territoires du nord, par la vallée.
Avant même mes 19 ans, plus personne n’était de taille à tenir un duel contre moi. Plus aucun d’entre eux ne faisait l’affaire, je joutais contre deux ou trois guerriers marchand en même temps, mais sans les souffrances infligées autrefois par Rufus. Monié reconnut mes capacités stratégiques lors de plusieurs attaques, et était prêt à me donner le commandement de son armée.
Sabrine enfanta à nouveau, mais d’une fille cette fois-ci. Je lui laissais donc le choix de son appellation. Elle la nomma Aurore et il en fut ainsi. Dieu merci, l’accouchement se passa mieux cette fois et je n’eu pas à craindre pour sa vie.
Alors que nous passions par Tourbillon, nous eûmes droit à la visite d’Armadé. Il voulait me parler, ainsi qu’à Monié, et nous prit à l’écart. Il avait décidé d’envoyer une expédition vérifier l’existence de la Grande Ville de la légende !... Suicidaire, pensa Monié, mais c’était mal connaître père, et c’était ne point connaître du tout Rufus, qui ne pensait qu’à ça depuis qu’il prit en charge mon éducation…
J’avais souvent vu partir Armadé sans qu’il accepte ma présence. Il s’en allait plusieurs jours avec une bonne escorte en m’informant qu’il partait en voyage diplomatique. Un jour, il m’avoua presque son grand projet. Alors que nous buvions ensemble le soir après quelques exercices, il me raconta comment il eu peur de voir une guerre fratricide alors que je commençais à vaincre mon aîné, pourquoi il déclencha ce début de guerre des clans : Pour unir les clans (ce qui était surtout l’idée de maître Rufus) ! Ainsi, tout à coup, dans la plaine de Tourbillon, on vit la force que pouvait représenter une armée composée de tous ces clans. C’est ce que père montra du haut de la citadelle à tous les chefs réunis : La plus grande armée jamais vue de mémoire d’ancien. Un grand pas fut franchit par un jurement commun, du jamais vu dans le Chaos !
Ensuite, père n’avait jamais cessé de tisser des liens avec d’autres clans, et même d’autres marchés. Il avait un poids militaire suffisant pour que les chefs le considèrent un peu comme le maître à penser de la région de Tourbillon. Il avait humilié le chef du marché en l’obligeant à quérir du renfort pour protéger sa ville, et c’était grâce à lui qu’Héritio avait plié. Les Savièsois ayant vu leur puissance baisser de part leurs nombreuses pertes, Nendar prit de l’importance. Son aura personnelle ajoutée à son intelligence et à sa puissance militaire faisait d’Armadé l’homme incontournable du marché. Et il fut respecté comme tel. Après le fameux début de guerre des clans, il s’attela à changer les mentalités : Il trouva un nom pour tous les habitants de la vallée alpine qu’il nomma les Valaisois. Ce n’était qu’un nom, mais en désignant ainsi tous les habitants de la vallée, ceci fit grandir l’impression que nous appartenions tous à un même peuple. Les combats entre clans se raréfiaient et duraient moins longtemps. Le plus souvent, Armadé imposait une solution diplomatique, menaçant de lancer ses propres guerriers pour faire cesser les combats, voire même de faire appel à l’armée du Seigneur Marco si les belligérants n’obtempéraient pas. Il fut donc de plus en plus écouté, et peu de clans prenaient le risque de contester son autorité.
Il partit même en expédition au sud des Alpes dans les territoires de la Péninsule. Il passa les cols de Barnar et de Simplon, visita les chefs aostien et domodosoliens, Viniacci et Garibaldi. Ces derniers contrôlaient de vastes domaines dans les remparts sud des Alpes et avaient un accès direct à la Péninsule.
Cependant, il ne m’expliqua jamais vraiment ce qu’il faisait durant ces voyages, jusqu’à ce jour devant Monié. Il nous informa alors clairement de tout ce qu’il avait mit sur pied durant ses nombreuses missions diplomatiques : Tous les clans avaient accepté de mettre à disposition un homme, leur champion, pour la plus importante expédition sérieuse de mémoire de légende : Aller vérifier l’existence de la Grande Ville mythique. Pour arriver à un tel résultat, il lui fallut des années de négociations, de visites dans différents marchés pour sans cesse tenter d’apaiser les rancunes, faire état des clans qui acceptaient de relever le défi, et gagner les autres à sa cause. Plus le nombre des adhérents augmentait, et plus nombreux étaient ceux qui ne voulaient pas rater pareille occasion de se joindre à une expédition qui avait peut-être une petite chance de réussir. Les derniers réfractaires furent plus ou moins forcés diplomatiquement d’accepter.
Au final, Armadé Paralamo réussit à unir pour un projet commun tous les clans valaisois, plus ceux des marchés péninsulaires d’Aoste et Domodossolia. La seule chose que nous savions, et que même Vinniacci, le chef d’Aoste a pu lui aussi confirmer, c’est que partout, la légende dit que La Ville est au sud. Nous passerions donc les Alpes et ferions route vers le sud avec une magnifique mini-armée. Elle représentait 173 champions valaisois et 87 champions des clans italophones, qui marcheraient en direction de La Légende.
Vinniacci nous avait bien mis en garde contre tous les dangers que représentait le fait de traverser les territoires de la péninsule qui s’étend au sud des Alpes. Au début, tous les chefs avaient crû en une expédition suicidaire, impossible, et qui n’avait peut-être tout simplement jamais été imaginée par un homme sain d’esprit. Mais père réussit à les convaincre de n’envoyer qu’un seul homme, leur champion. Si l’expédition échouait, les clans n’en seraient pas incommodés. Les champions ne sont jamais irremplaçables, et il ne s’agira jamais que d’un seul homme par clan. Cependant, si l’expédition aboutissait ?
Petit à petit, les chefs pensaient que si Armadé était capable de réunir plus de 200 des meilleurs guerriers qui soient, avec de bonnes montures, bien armés, tous maniant aussi bien l’arbalestre que la lance, le glaive ou la hache, le projet avait une chance de réussir... Doucement, les chefs commencèrent à y croire.
Après avoir convaincu les valaisois, Armadé s’en alla en petite délégation faire état à Vinniacci et Garibaldi des forces disposées à entreprendre l’expédition. Lorsque ceux-ci apprirent qu’il avait réussi à coaliser un pareil bataillon, ils en parlèrent avec les chefs des clans gravitant autour de leurs marchés. Ils ne pouvaient pas se permettre de laisser passer une telle occasion d’avoir au moins une chance de connaître le fin mot de cette Légende. Si une expédition vers la grande ville avait une chance de réussir, c’était bien la notre. Car enfin, si une pareille force montée ne revenait pas, ceci voulait dire qu’il serait vain de continuer à rêver pouvoir trouver un jour la Grande Ville légendaire.
Oui, de l’avis de tous, nous avions une chance. Et même si elle était infime, cela valait la peine. Sous l’influence de maître Rufus, Père vivait avec la persuasion qu’une telle découverte changerait le monde du Grand Chaos que nous connaissions. Mais pour savoir, il fallait aller voir...
Armadé en vint enfin au but de cet entretient avec Monié, car il tenait à ce que le marchand participe lui aussi au bon déroulement de cette aventure. Cependant, il ne désirait pas d’hommes de son armée, mais son métal. Il requit de fabriquer plus de deux cent équipements complets dans le métal des commerçants. Cette contribution du grand marchand serait dûment récompensée si nous trouvions la ville mythique, ou des richesses.
Quant à moi, père souhaitait que je dirige cette expédition. Mais pour ce faire, il fallait que je gagne un tournoi, prévu à Tourbillon à la prochaine lune. Les autres chefs arguaient que leur champion ne se laisserait jamais commander par un homme qui n’a pas prouvé sa supériorité au combat. Ceci tombait d’ailleurs sous le sens. Les chefs des clans de Tourbillon avaient fait moins d’histoires car ils me voyaient parfois au marché. Même s’ils ne m’avaient jamais vu combattre, ils connaissaient ma stature et l’origine de mes éducateurs : Armadé, … et le maître de Marco Fallacio, qu’ils n’avaient jamais vu. Cependant, pour avoir une chance de diriger l’expédition, le champion du marché de Tourbillon se porta lui aussi candidat. Le vainqueur commanderait l’expédition, c’était la loi des clans. En fin d’année, un grand tournoi était toujours organisé au marché. Les champions de chaque clan joutaient pour déterminer une sorte de champion des champions de tous les clans du marché. Je n’avais donc pas à combattre les 260 guerriers, mais uniquement les champions des 6 marchés valaisois, plus ceux d’Aoste et Domodossolia. Un tournoi tout au sommet réunissant les 8 meilleurs guerriers alpins.
Après quelques discutions de détail, Monié accepta de fournir les armes tandis que j’étais déjà impatient de me retrouver au combat. Je fis donc mes adieux au grand marchand le jour même. Dès les premiers jours à son service, Monié m’avait prit dans son escorte rapprochée, et nous avions l’un pour l’autre un grand respect. Il me fit don de mon matériel militaire, de même que la monture qu’il avait mit à ma disposition.
Je rentrais ainsi à Nendar sans même avoir servi deux années complètes dans l’armée marchande. Victorio avait maintenant 4 ans et je passais de plus en plus de temps à son éducation militaire. Il récitait d’ailleurs des bottes et tactiques avec honneur. Après Aurore, Sabrine engendra à nouveau. Elle mit au monde un fils. Petit, chétif, il naquit prématurément et ne passa même pas sa première nuit.
Durant les quelques jours précédant le grand tournoi, Armadé et Rufus m’informèrent des règles impératives à respecter pour participer à cette expédition au bout du monde :
Premièrement, il fallait à tout prix gagner le tournoi des champions. La défaite n’était même pas envisageable. Je devais commander cette expédition et ma participation à cette aventure était conditionnée à ma victoire à Tourbillon. Une deuxième place en finale ne valait rien, elle ferait exploser tout le projet pour lequel Rufus avait sacrifié plus d’une dizaine d’année d’éducation, et pour lequel père avait sacrifié des années de vie en visites et discussions diplomatiques.
Deuxièmement, il faudrait chercher la ville mythique jusqu’à sa découverte. Lorsque ce serait chose faite, je devais déceler les points faibles de la ville pour en rendre compte à mon retour d’après mon père, mais principalement gagner la confiance du seigneur de cette ville d’après maître Rufus, ce qui signifiait que je devrais le rencontrer...
Père me dit qu’il ne suffirait pas d’être le découvreur de la ville de la légende, mais toujours tenir tête à mes troupes, devenir un grand chef militaire. Alors seulement, de grandes choses seraient possibles, comme de changer le monde... (et maître Rufus approuvait !)
Armadé m’informa également qu’il avait fait exprès de demander très peu aux différents chefs (un seul homme), afin de ne pas devoir leur être trop redevable en cas de réussite ou d’échec de la mission.
Le matin de la nouvelle lune, le jour du combat, Rufus me prit à partie avant notre départ pour le marché, et d’un ton grave, il m’informa réellement de la situation : « Léopold mon cher disciple, aujourd’hui tu vas jouer ta destinée, celle pour laquelle tu es né, celle pour laquelle je t’ai préparé, celle pour laquelle Marco a consacré 40 ans de vie, celle pour laquelle ton père a œuvré ces 10 dernières années. Je n’irais pas voir le tournoi, mais je serais là, en toi. C’est maintenant que tu dois faire usage de tout ce que je t’ai appris, et tu vaincras. Va maintenant, ce n’est pas un tournoi qui t’attend, c’est ton destin. Força victoria Léopold, c’est ton heure, montre leur enfin qui tu es ! »
Je promis à Rufus de ne pas le décevoir, et après un au-revoir, nous descendions en famille au marché de Tourbillon. Victorio verrait son père se battre contre les meilleurs champions des Alpes, et pour rien au monde, je ne voulais qu’il rate cet exemple. Père tenait sa monture à mon côté en me donnant encore quelques conseils, que je n’écoutais plus. Cette matinée d’hiver était radieuse, l’air était doux, la rosée suintait des fougères et autres plantes, il flottait dans l’air quelque chose de doux et de terrible.
Je ne pressentais aucune peur de mes adversaires et savais que je pouvais tous les vaincre. Plus aucun guerrier marchand n’était capable de m’affronter, et après avoir perdu tant de combats durant mes nombreuses années de formation, voilà presque un an que je n’avais plus jamais été mis en échec. Les clans disposaient tous d’excellents champions, car ils ne se mettaient pas tous au service des marchands. Par exemple, si le chef de leur clan était âgé et malade, ils attendaient son décès pour avoir la chance de remporter le combat qui les propulserait chef du clan à leur tour. Si leur chef était encore en pleine santé, ils décidaient habituellement de combattre aux côtés des marchands. Il n’était donc pas faux de dire que les huit combattants étaient de véritables champions alpins de premier ordre.
Toutefois, j’avais trop perdu pour perdre encore, et même si je pouvais bien admettre que moi aussi je disposais d’un point faible, je ne voyais pas comment on pouvait me battre. Je ne craignais donc pas du tout les combats, mais une erreur de ma part. L’erreur, l’infime erreur qui fait basculer toute la partie, voilà ma seule peur. Car sans erreur, je peux dire un peu présomptueusement que je ne voyais pas comment faire pour perdre... Je serais cependant si concentré que je me voyais mal commettre des erreurs dans un tournoi pareil. Ce fut donc le coeur serein que je pénétrais dans les enceintes de Tourbillon.
A l’intérieur de la ville, c’était l’effervescence. La foule se pressait vers les champions, et surtout vers moi en raison de mon équipement marchand.
Le conseil des anciens donna le signal du commencement des joutes au milieu du jour. Tout devait être terminé sur le soir.
C’était magnifique, je me battais contre de vrais champions, dans un tournoi superbe ! Je retardais même la victoire tant j’étais heureux de combattre en duel, me contentant de taquiner et de me faire plaisir. Je pouvais enfin montrer à tous ce dont je valais, dans la première apparition publique de ma vie. J’arrivais ainsi en finale contre le champion du marché de Brilg, Rino, un homme très robuste venant du clan de Lotchent. Ils étaient tous très puissants et habiles, mais après quelques instants de face à face, je comprenais leur jeu, je sentais leurs faiblesses défensives et ils devenaient prévisibles. Rufus m’avait souvent dit que l’observation est la première règle au combat. Ne jamais attaquer, fermer ses défenses et laisser l’adversaire se découvrir. Tous ces guerriers connaissaient bien entendu les multiples tactiques de combat rapproché et savaient aussi toutes ces règles. Je ne voudrais pas trop faire mon éloge personnel, mais comme ce fut mon premier combat en duel lors d’un tournoi, je ne vais tout de même pas me priver de garder en mémoire écrite ces quelques souvenirs de bonheur :
J’avais commencé par me battre contre le champion de mon propre marché. Fédérit venait du clan de Veysonne, qui se situait juste à côté du notre. Veysonne était bien moins puissant que Nendar, et beaucoup de nos guerriers ne cachaient pas leur envie de l’envahir. Cependant, Armadé tenait la promesse qu’il avait lui-même proposé : Plus d’attaque de clans entiers ! Cette ancienne promesse faisait grincer les nouveaux guerriers, qui ne se sentaient pas concernés. Nendar s’était pratiquement uni à Veysonne, les deux chefs ayant fait quelques pactes. De fait, aujourd’hui, même si Veysonne garde son armée et son semblant d’autonomie, nous avions vassalisé ce clan. Son chef savait que nos guerriers n’attendaient qu’un faux pas de sa part pour l’écarter définitivement de ses fonctions. Il obéissait ainsi à Armadé tout en négociant à chaque fois une légère compensation à présenter à son clan. Père me disait que c’était de la politique : être capable d’obéir tout en laissant croire au peuple qu’on continue à gouverner le destin de son clan... Très compliqué, vous vous en rendez compte. Mais je me perds dans mes histoires…
Barnabé, où en étais-je ? ... ah oui, à mon combat contre le champion du marché qui venait du clan de Veysonne, c’est ça !
Donc, je connaissais l’individu. Je l’avais vu combattre deux fois lors du grand tournoi d’automne à Tourbillon, et plusieurs fois lors de tournois inter-clans entre Nendar, Veysonne, et Apro. Il était rapide et fort comme un boeuf, mais c’était une brute de premier ordre. Il ne laissait pas la moindre chance aux plus jeunes qui arrivaient dans le circuit des tournois, et je l’ai vu en massacrer plus d’un à mort. Il restait toutefois loyal, et si un adversaire avouait sa défaite, il cessait le combat. Mais il frappait en général de sorte que l’adversaire n’ait pas le temps de s’avouer vaincu. Sa jouissance était la mise à mort et je détestais ce genre de type. Père disait qu’une mise à mort en tournoi était l’aveu d’un demi-échec : C’est ce qu’on fait lorsqu’on est à cours d’idée. Fédérit semblait donc toujours à cours d’idées. Ce type était un puissant, tous ses coups étaient une explosion de force, bien qu’il puisse aussi montrer des coups techniques difficiles. Je connaissais cependant trop bien le lascar pour perdre. Il n’était pas prévu de tuer lors de ce tournoi, car nous participerions tous à la même expédition. Mais je décidais de l’humilier, voire de le liquider s’il n’implorait pas la fin du combat.
Avant de commencer le duel, je lançais toutes mes armes à terre, mon bouclier, mes cotes de mailles, mon casque, mon épée... Ce n’est que légèrement vêtu, armé de mon simple bâton d’aluminium que Rufus m’avait fabriqué, que je me mettais en position de l’autre côté de la place. Fédérit poussa un grand rire rauque lorsqu’il comprit que j’étais prêt à me battre ainsi. Il s’avança sans précipitation, sûr de la victoire. A moi de le pousser dans une de ses colères dont il était sujet lorsque tout ne se passait pas comme prévu. « Alors mon petit Fédérit, es-tu prêt à te prendre une raclée par un type armé d’un seul bâton ? Je vais t’humilier mon cochon, tu demanderas grâce à genou, et tu mordras la poussière ! »… Bref, je l’encourageais à s’énerver avec ce genre de gentillesses, et tout à coup, il éclata. Il n’avait pas jugé bon de prendre son bouclier au vu de mon arme, et se jeta sur moi en furie, épée levée et hache sur le côté, prêt à frapper. C’était exactement comme cela que je l’aimais : furieux. Ses coups gagnaient alors en puissance, mais sa fureur estompait sa précision. Je fis mine de vouloir parer avec mon bâton, mais en dernier lieu, j’esquivais en me plaquant puis en roulant au sol hors de sa portée. Je glissais alors la perche entre ses jambes et lui fit perdre l’équilibre. Une première fois, il mordit la poussière. Il se releva immédiatement plus combatif que jamais et je fis mine de fuir.
En cela j’avais un avantage sur mes adversaires. Ils avaient tous certainement reçu le meilleur enseignement possible dans leur apprentissage du combat, toutefois, mes éducateurs m’enseignèrent quelque chose de plus encore : L’environnement ! Ne pas seulement tenir compte de l’adversaire, mais aussi du terrain dans lequel on se trouve. Que ce soit à la guerre ou en duel, toujours se servir de l’environnement. En duel, cela pouvait être l’escalier d’une maison, ou tout autre endroit dans lequel il était possible de mettre en difficulté l’adversaire. C’était d’ailleurs grâce à cet environnement que mon propre père, Armadé, devint chef de clan : grâce à une poutre, et sans connaître Rufus à cette époque !
Je fuyais Férérit doucement, à reculons. Il changea alors de tactique, et au lieu de se ruer comme un fauve, il feignit la prudence. Lorsqu’il lança l’assaut, je fis à nouveau le même mouvement pour parer le coup, mais il était déjà prêt à me frapper à terre si je plongeais. Au lieu de parer, en dernier lieu, aussi rapide que maître Rufus à sa grande époque, je pointais la perche droit sur lui alors qu’il était en pleine attaque, donc à découvert. Il reçut un coup formidable qui dû lui casser le nez et quelques dents. Alors que les larmes lui embuaient les yeux grâce au coup du nez, j’en profitais pour démettre son bras gauche par un coup sec sur l’épaule.
Il pouvait encore être dangereux, mais avec un seul bras valide, ses défenses étaient quasi nulles pendant l’attaque, faiblesse je mettais à profit à chaque fois dans une riposte différente. C’était aussi un enseignement important, être le plus imprévisible possible, changer souvent de jeu, voire en jouer deux différents à la fois. Plus il mordait la poussière et plus sa fureur aveuglait son jeu, tant et si bien qu’après quatre chutes, il ne me paraissait déjà plus mentalement apte à combattre. Je sautais, je tournais, et je pouvais utiliser totalement tous les exercices d’agilité que j’avais appris durant de nombreuses années, la fameuse gymnastique de Rufus. J’étais insaisissable, j’en profitais pour me faufiler comme une anguille entre ses armes, et à chaque fois, il recevait un coup de bâton. Il avait déjà perdu toutes ses dents de devant, cassé son nez et quelques côtes lorsque je l’envoyais à terre une énième fois.
Je le laissais se relever mais décidais de lui régler son compte. J’attendais toujours qu’il avoue sa défaite, et sous mes invectives et mes coups répétés, je le conjurais de demander l’arrêt du combat. Cependant, c’était trop lui demander. L’humiliation d’un forfait était pour lui pire que la mort. Fédérit respectait la vie de ses adversaires lorsqu’ils demandaient le forfait, mais il ne manquait jamais de les traiter de cloportes, sans aucun honneur du combat. Il se retrouvait aujourd’hui dans la situation inverse. Je lui disais que je ne l’assommerais pas pour vaincre, et que ce serait le forfait ou la mort. Il ne put s’avouer vaincu. Alors, dans un mouvement tactique bien facile vu le délabrement du gaillard, je lui cassais le poignet qui tenait l’épée d’un coup de bâton, et m’emparais de l’épée qu’il venait de lâcher. Il arriva encore à saisir sa hache à la ceinture, mais j’avais déjà entamé ma rotation avec son épée qui passa entre ses épaules et sa tête, avant d’aller se planter dans les cottes de mailles de son bras levé avec la hache. Son regard abruti se figea, sa tête tomba en premier et roula vers un groupe de gosses qui me la retournèrent d’un coup de pied. Son corps d’athlète tomba juste après, toujours avec sa propre épée fichée dans son bras.
Une grande clameur retentit, j’étais devenu le nouveau champion de Tourbillon en décapitant mon adversaire avec sa propre arme ! Avant même les autres combats, c’était déjà la gloire, et je me portais encore comme une fleur. Les champions des autres marchés me regardaient aussi d’un air moins décontracté.
Pour les duels suivants, je pris mes armes car je ne connaissais pas mes adversaires. Toutefois, d’aucuns protestèrent car je disposais d’armes de marchands, ce qui impliquait un avantage certain. Le conseil des anciens de Tourbillon jugea immédiatement que je devais combattre à armes égales, pour plus d’équité dans les duels à venir. Père me prêta son équipement, et j’étais bien résolu à faire honneur à l’épée qui lui avait permis de devenir chef de clan.
Je vaincu mes adversaires suivants en les éliminant tous de manière civilisée, sans coups d’éclat ni grosses effusions de sang. Fédérit fut peut-être un bon exemple pour les autres, mais même si tous étaient de grands champions, j’avais un jeu différent, un jeu qu’ils ne connaissaient et ne comprenaient pas. La force était certes un avantage, et j’étais devenu un vrai géant. Mais l’agilité et la technique étaient aussi des ingrédients indispensables à un champion. Je crois qu’il faut avoir connu Rufus pour comprendre cela. Rufus était une sommité autant dans son esprit que dans l’art de la guerre. Ce sont ses multiples connaissances et toutes ces années d’enseignement qui firent de moi ce que j’étais en train de devenir, le champion incontestable des Alpes. Mon finaliste m’infligea tout de même une vilaine blessure à la jambe gauche, son épée ayant pénétré jusqu’à l’os, sans toutefois le briser. C’était de ma faute, la seule erreur que je commettais lors de ce tournoi : L’impatience ! Impatient d’être acclamé champion des champions, je tentais de forcer la victoire en négligeant ma défense… Malgré cette blessure, je vins à bout du combat au coup suivant pour remporter le tournoi.
Quant à mes adversaires, ils furent certes tous un peu amochés, mais je n’avais blessé personne sérieusement. J’eu droit à un mort, Fédérit, trois forfaits et quatre victoires par éstourdissement, dont le finaliste qui fut assommé après m’avoir blessé de la sorte. Les guérisseuses s’occupèrent de ma blessure, et je ne pus me déplacer qu’à l’aide d’une béquille durant deux semaines.
En remportant la finale, j’obtenais ainsi un pouvoir total sur le plus fameux bataillon jamais réuni, un pouvoir supérieur que celui d’un chef sur son clan. J’allais commander la plus extraordinaire exploration que bien peu d’hommes avaient réussit à mener à bien, une “épopée” me dit Barnabé.
Le départ de l’expédition fut programmé pour la prochaine lune. Ce délai laisserait le temps nécessaire à Monié pour terminer la confection des armes.
Le jour dit, tous les champions valaisois se réunirent dans la ville de Bâtia. Je laissais Sabrine enceinte, avec Victorio et la petite Aurore, m’en allant dans une aventure dont je ne savais si je reviendrais un jour. Jo m’assura qu’au cas où je n’en réchapperais pas, il prendrait soin des miens. Rufus ne me donna aucune indication sérieuse sur la Grande Ville, il me dit simplement que je n’avais qu’à demander la direction aux villages que je rencontrerai, car cette légende existait partout. Il me souhaita bonne chance, me demanda de saluer le Seigneur de la Grande Ville de sa part, et m’annonça sa mort prochaine… ! La nouvelle me troubla profondément, mais Rufus me demanda de ne pas m’en inquiéter, que c’était dans les règles du jeu : « Mon rôle était d’éduquer l’enfant que Marco me présenterait. J’ai vécu pour cela, je t’ai appris tout ce qu’il est possible d’apprendre, je n’ai aujourd’hui plus de raison d’être, ma mission est achevée. Je quitterais ce monde l’esprit en paix, peut-être le Seigneur de la Grande Ville m’offrira encore le plaisir d’assister à ton retour, mais quoi qu’il en soit, je suis prêt à mourir. Adieu disciple, reste en vie, et revient !..., même si tu préfèrerais rester là-bas. » Je remerciais mon maître en lui jurant de ne pas le décevoir, je le serrais fort sur mon cœur pour la première et peut-être la dernière fois, l’émotion me fit presque verser une larme, alors je partis sans me retourner.
Nous traversions les Alpes pour rejoindre le clan aostien. Là, 87 champions se joignirent à nous, ainsi qu’un commerçant qui parlait ma langue et celle du sud des Alpes. Je souhaitais alors rester quelques semaines à Aoste avec mes 260 champions, histoire de les connaître un peu, mettre sur pied des tactiques et statégies, nous entraîner ensemble, ainsi que me rendre compte des capacités de chacun. Ma blessure me faisait encore souffrir, bien que l’auteur, Rino, soit venu me présenter des excuses.
Rino était un des meilleurs de mes champions et il n’y avait aucune rancune entre nous. Ce fut je pense un combat rare, un vrai spectacle pour tous ceux qui l’ont vu. Avant même le combat, Rino me rendit hommage en disant « Je te salue Léopold, choisi par le Seigneur Marco. J’ai moi-même jouté en face du Maître lorsque j’avais 9 ans, quand il est passé dans la vallée. Il n’a pas daigné m’accorder sa confiance après avoir obéi à son ordre de tuer mon adversaire. Maintenant, montre-moi que le Grand Seigneur ne s’est pas trompé, montre moi de quoi tu es capable ! »
Puis le combat commença, et au cours de celui-ci, Rino avait pris un avantage tactique en grimpant sur le toit d’une maison. Durant tout le temps où je me trouvais en contrebas, je ne pouvais rien contre lui. Ce n’est que lorsque j’arrivais à l’atteindre, que dans de splendides échanges d’armes, la plèbe eu droit à un tout grand spectacle technique de part et d’autre. Nous luttions en équilibre sur le faîte d’un toit, et c’est à cette occasion d’ailleurs qu’il me porta ce coup à la cuisse. Dans une dernière attaque déguisée, je réussis à le faire perdre l’équilibre à l’aide de mon bouclier. Il alla s’écraser 10 coudées plus bas, assommé,… mais il s’en était bien remis. Ces 6 semaines d’organisation de l’expédition à Aoste permirent à ma blessure de mieux cicatriser, ainsi qu’à distinguer les champions qui avaient de bonnes aptitudes stratégiques et de commandement.
Je pus ainsi diviser mon armée d’élite en 5 régiments, comportant chacun 52 guerriers.
Les 5 commandants de ces minis-armées étaient :
Commandant du premier régiment : Rino, mon Dauphin de tournoi. Il n’était pas le meilleur seulement parce qu’il était le plus fort, mais aussi parce qu’après notre finale, sa loyauté alla de soit ! Il avait perdu, et il avait immédiatement reconnu son rang. Pour moi, Rino était prêt à donner sa vie sans la moindre hésitation, la fidélité transpirait de lui, c’était un guerrier de premier ordre.
Patrick, quatrième du tournoi des champions de Tourbillon. Champion du marché de Bâtia, il était inventif mais respectait l’autorité et il savait lui-même se faire respecter.
Marcello, champion du marché d’Aoste, et 6ème au tournoi de Toubillon. Avec ses 35 ans, il était le doyen des champions, avait de l’expérience stratégique et pratique. Dans son clan, il était commandant de l’armée sous l’autorité du chef.
Paskale, troisième du tournoi de Tourbillon, une véritable furie, champion du marché de Maurice. Paskale était sans conteste le guerrier le plus extravagant de tous, le seul qui faisait mentir ma devise : « La brutalité est l’apanage des fort, la cruauté est l’apanage des faibles ». Il était un phénomène de puissance, une bête de combat capable de s’amuser comme un gosse de la souffrance de son adversaire, brutal et cruel à la fois, sachant soulever l’indignation générale à chacune de ses provocations, il était sans conteste un guerrier à part. Il avait mal réagit et n’avait pas encore tout à fait accepté sa défaite face à Rino, en demi-finale, car il faut dire que lors de ce tournoi de Tourbillon, Paskale était malade, transpirant comme un bœuf et fiévreux. Ça avait été un exploit de terminer troisième, mais il n’en était pas satisfait. C’était un sanguin, un impulsif, une force de la nature, un homme qui ne savait même pas ce que la pitié voulait dire. Il avait néanmoins de bonnes idées de stratégie, et un sens inné de l’esprit de survie. Je savais que je prenais un risque de le nommer commandant, mais je savais aussi que j’en prendrai un plus grand en ne le laissant qu’à un grade inférieur. Il était toutefois averti qu’en cas de désobéissance, il serait exécuté sans état d’âme. Il accepta sa nouvelle fonction et promis de lui faire honneur.
Sérafino, champion du clan de Valdresia, près du marché de Domodossolia. Il n’avait pas participé au tournoi des champions car il n’était pas encore le meilleur de tous les clans de Domodossollia. Il était cependant le plus jeune de toute l’expédition, et du haut de ses 17 ans, il était déjà champion de son petit clan. Sérafino manquait d’expérience et n’était peut-être pas le meilleur stratège, mais je nourrissais une espèce d’amitié pour lui. Il avait tellement soif d’apprendre, soif de prouver toujours et encore sa valeur, et semblait d’une loyauté à toute épreuve. Je le nommais ainsi commandant du cinquième régiment, tout en sachant qu’il ne se retrouverait pas dépourvu aux commandes, car je resterais moi-même dans ce régiment pour l’épauler.
Après avoir formé ces 5 régiments, je les divisais chacun en 5 bataillons d’une dizaine d’hommes sous le commandement de lieutenants, eux-mêmes nommés par les commandants de régiments.
Moi-même, j’avais le grade de Chef, et ce serait dorénavant avec cet état major qui comprenait mes 5 commandants que toutes les décisions seraient prises.
Avant le départ, Vinniacci me prévint d’éviter la ville de Tourini, qui comptait plus de 20’000 habitants et de nombreux postes avancés pour surveiller leur territoire.
Nous disposions tous des meilleures montures, et notre nombre nous permettait d’avancer rapidement tout en faisant face relativement facilement aux embuscades de brigands le long du chemin. Après Aoste, un paysage totalement plat et inondé de végétation s’offrait à nous. C’était le début de ce qu’on nommait la Péninsule, une immense langue de terre qui s’avance entre deux mers, à ce que nous savions. Il était facile d’éviter les villes et villages car il nous suffisait de grimper à un arbre pour situer les fumées indiquant l’emplacement des localités. Par contre, le terrain, recouvert de forêts immenses, était propice aux embuscades. Avec la force dont nous disposions, je ne craignais pas tant les parias, car même s’ils étaient farouches, chez nous ils ne montraient jamais une importante puissance de frappe. Nous massacrions simplement ces êtres qui se trouvaient sur notre route, tout en étant persuadés que nous étions assez loin de notre clan pour que la malédiction ne parvienne jusqu’à lui.
A part ceux-là, je ne m’en prenais qu’aux plus petits hameaux lorsque nous devions quémander de la nourriture. Devant mon bataillon, je demandais au chef du hameau de lancer de la pitance par dessus la palissade, et de m’indiquer la direction de la Grande Ville. Je lui promettais que nous ne voulions rien de plus, et que s’il obtempérait, nous passerions notre chemin. Cas contraire, je menaçais d’incendier le hameau. La menace était généralement prise au sérieux, car les petits chefs ne pouvaient pas ignorer une armée de plus de 250 cavaliers armés comme des marchands. Les hommes d’Aoste parlaient une langue que ces gens semblaient comprendre. Nous n’étions pas gourmant, juste quelques vivres afin de pouvoir poursuivre campagne, et à chaque fois, ils lancèrent quelques sacs par dessus leur palissade, et tout se passa bien au niveau de l’approvisionnement. Nous voyagions loin de Tourini.
Notre première véritable mésaventure arriva plus tard. Cinq jours après notre départ d’Aoste, quelqu’un nous donna une réponse différente que le sud. De derrière la palissade, on nous indiqua de poursuivre jusqu’à la mer et d’en suivre la rive en direction de l’est. L’information n’était pas certaine, mais cela faisait partie de leur légende...
Je demandais à être reçu avec l’homme qui parlait leur langue et la mienne. On m’ouvrit la porte et je pénétrais le village avec mon interprète. Le chef du clan s’enquit de notre voyage et nous l’informions de nos intentions. Quant à lui, il nous conta leur légende : Il parait qu’il y a très longtemps, un géant de leur village, bien plus grand que moi, avait fait la route dans sa jeunesse. Il était fort comme un boeuf et né sous une bonne étoile. Il avait réussit à voir la Grande Ville et en revenir vivant. C’était cette route, suivre la mer, mais personne ne savait de quant datait cette histoire. C’était donc aussi devenu une légende... Par contre, leur chef nous déconseilla fortement de traverser un territoire qui se trouvait justement être sur notre route, à quelques heures au sud. Peuplé de parias rassemblés là en grand nombre, il s’agissait selon ses dires, d’une forêt dont personne ne ressortait vivant. D’après lui, il valait mieux perdre deux jours en détours plutôt que de s’aventurer dans cette région. Mais il n’en était pas question.
Nous réprimes donc la route et j’ordonnais le campement un peu avant de nous aventurer dans la fameuse zone infestée.
Dans ma confiance totale aux capacités de mes champions, je les informais même que le lendemain, nous aurions du paria à bouffer, et en quantité suffisante pour qu’on en fasse tous une indigestion. Tout le monde se déclara satisfait et rien ne perturba notre nuit.
Tôt le lendemain, j’organisais notre progression. Nous avancerions tous en ligne, les 5 régiments étant volontairement divisés afin de couvrir un vaste territoire sans jamais risquer de nous retrouver tous dans un même piège. Si un régiment était attaqué, il devait sonner du cor. Alors, chacun entamerai une course non pas en direction du son, mais droit en avant. Puis, dans un mouvement de cercle, tourner pour revenir vers le son à rebours.
Nous entamions un trot silencieux dans cette immense forêt, et restions sans cesse aux aguets. C’est au milieu de la matinée qu’un cor sonna sur ma droite. Je fis signe à mes voisins d’avancer tout en resserrant les rangs. Deux hommes furent envoyés pour rabattre les deux bataillons à notre gauche. Nous entamions alors le retour sur la cible, ou le piège. Alors que nous étions en plein galop, un bataillon de parias tenta de s’interposer. Je criais aux guerriers galopants à ma gauche de s’occuper d’eux pendant que je continuais avec les autres pour savoir ce que signifiait l’alarme du cor.
Sur les lieus, la lutte faisait rage entre le gros de la troupe des parias et un de nos régiments. Ce devait effectivement être un piège, et une cinquantaine de mes hommes s’y étaient laissés prendre. Il y avait des assaillants dans les arbres, à cheval, partout. Les parias étaient au moins dix fois plus nombreux que Paskale et ses hommes. J’ordonnais à toutes mes troupes de faire demi tour pour aller prêter main forte à nos compagnons affrontant l’autre bataillon de parias, moins nombreux et moins organisé, tandis que je restais en embuscade pour observer les manœuvres de mon commandant en péril. En réalité, bien que Paskale était sur la défensive, il n’était nullement en péril. A ce que je voyais depuis le bosquet qui me servait de protection visuelle pour ne pas être repéré, il avait formé une véritable carapace autour de son bataillon. Disposé en cercle, il avait fait descendre une série d’hommes de leurs chevaux, et ces derniers protégeaient le bas du régiment par une rangée de boucliers à même le sol. Plus haut, une seconde rangée de boucliers protégeait les flancs des chevaux et les cuisses des cavaliers, puis une autre lignée de boucliers s’empilaient sur les deux premières rangées pour la protections des têtes, et enfin, toute la zone de repli stratégique était encore fermée par un toit de boucliers pour parer aux flèches et autres ustensiles lancés depuis les arbres.
L’image que ce bataillon offrait était celle d’un animal qui aurait pu être le fruit du croisement entre une tortue et un porc-épic, car si les boucliers formaient la carapace, tous les interstices étaient hérissés de pointes de lances dépassant d’à peine une coudée. Si un ou plusieurs parias s’avisaient de s’approcher trop prêt pour attaquer avec des armes de poing, une série de lances faisaient un mouvement d’aller-retour pour transpercer l’imprudent. Outre cette magnifique défense, Paskale poussait encore le culot jusqu’à organiser des attaques, et par intervalles réguliers, on pouvait voir des séries de flèches jaillir de la carapace en direction des parias. Spectaculaire ! A 10 contre 1 et sur leur propre terrain, les parias se retrouvaient bien en peine pour faire plier mon petit régiment.
Le gros de nos troupes eut vite fait d’anéantir les quelques dizaines de parias qui restaient en retrait et nous rejoint rapidement. Au lieu d’encercler les parias qui molestaient le bataillon de Paskale, nous avancions d’une ligne vers eux. A mon signal, nous vidions nos arbalestres. L’ordre était d’abattre dans un premier temps tous ceux qui se trouvaient dans les arbres. Beaucoup tombèrent déjà lors de ce tir, et les proportions devinrent soudain moins démesurées. Nous rechargions alors que les troupes de parias s’élançaient déjà vers nous, et après un second tir, nous accrochions nos arbalestres à la ceinture pour nous saisir des lances, qui ne restèrent qu’un instant entre nos mains : Viser, et lancer pour tuer. Après ces trois salves de tirs, le bouclier dans une main et l’épée dans l’autre, nous fondions sur l’ennemi au galop, certains de la victoire. Ce fut un véritable massacre, à un point tel qu’après un moment, celui qui semblait être le chef des parias demanda l’arrêt des combats en agitant un vêtement blanc. Dans un premier temps, je refusais leur capitulation et criait à tous mes hommes : « Pas de prisonniers,… aucun prisonnier…, je ne veux que des morts ! ». Toutefois, sur la fin, lorsqu’il ne restait plus qu’une centaine de parias qui ne se battaient quasiment plus, car mes hommes ne se contentaient pas de les tuer mais devenaient cruels envers ceux qui tentaient encore de résister, je fis cesser le jeu de massacre :
- « Les parias ont peut-être un refuge fortifié, lançais-je, gardez ceux qui restent en vie, ils pourraient nous être utile pour pénétrer dans leur tanière ! »
Nous comptions au final 412 parias morts, plus les 86 du plus petit bataillon, et 105 rescapés fais prisonniers jusqu’à la découverte de leur cache. Ce fut aussi une journée noire pour nous. 38 de mes hommes avaient péri sous les coups de l’adversaire, sans compter les blessés plus ou moins graves. Un peu plus loin dans la forêt, nous trouvions leur refuge : Un véritable village fortifié, comme s’il s’agissait d’un clan, incroyable !
J’ordonnais à une trentaine d’hommes de faire le tour du village, afin de surveiller que personne ne puisse fuir en escaladant la palissade par derrière. Tous les autres se postèrent devant la porte d’enceinte, à distance de tir. Je fis aligner nos 105 prisonniers face aux enceintes de leur village, et parlait ainsi à l’intention de ceux restés à l’intérieur du clan, tout en avançant avec mon cheval derrière la ligne des prisonniers :
« PARIAS ! Voilà ce qui reste de vos hommes de combat (à ce moment de mon discours, je tuais un prisonnier au hasard d’un coup d’épée dans la nuque). Ouvrez les portes et sortez les mains bien visibles au dessus de votre tête (à ce moment, je tuais un second prisonnier de la même manière) ! A partir de maintenant, chaque fois que mon cheval fera un pas, un prisonnier supplémentaire mourra (je tuais un troisième homme).
Mon cheval fit un pas, et je tuais un quatrième paria. Ma monture continua d’avancer derrière le rang de prisonniers, et un cinquième tomba. J’entendis alors une voix féminine crier depuis le village :
« Es-ce que vous nous garantissez la vie si nous nous rendons ? »
Pendant la question, j’avais tué un sixième paria et répondis :
« Je garantis la vie sauve à tous les innocents ! Et un septième homme tomba…
Mon cheval fit un nouveau pas, et le huitième paria mourut. Puis… les portes s’ouvrirent, comme par enchantement, et des centaines de femmes en sortirent, ainsi que des vieillards et encore quelques jeunes hommes qui n’avaient pas participés à l’embuscade. J’ordonnais alors :
Toutes les femmes à gauche, tous les hommes à droite !
Ceci fait, mes guerriers à cheval encerclèrent les deux groupes et vérifièrent si les prisonniers volontaires étaient bien désarmés, ce qui était le cas. Je demandais au bataillon de Paskale de terminer le massacre de tous les prisonniers ayant participé à l’embuscade, tandis qu’avec Rino et quelques uns de ses hommes, nous entrions dans les enceintes pour voir à quoi ressemblait un village maudit.
C’était tout à fait étonnant, ces parias avaient un vrai village, assez banal ; plutôt correctement protégé, mais sans citadelle, ce qui était un peu normal dans cette plaine de forêt sans beaucoup de grandes pierres pour bâtir ce genre d’édifice. Il y avait pourtant un bâtiment un peu plus grand que les autres au milieu du village, arborant une croix sur son toit. Rino s’en fut l’inspecter.
Un instant plus tard, j’entendis Rino m’appeler depuis l’intérieur du fameux édifice. J’y entrais avec mon cheval, et le spectacle qui s’offrit à moi était tout à fait incroyable. Dans cette grande maison pleine de bancs, avec une petite table au sommet et une nouvelle grande croix sur le mur du fond, je trouvais une cinquantaine de gamins, et un homme habillé d’une grande robe blanche. L’homme n’avait pas le signe des parias sur son front… Mais ce qui était phénoménal, c’était de voir des enfants chez des parias !??? - Illogique ! Je me disais que ce groupe de paria, mieux organisé que les autres petits groupes qui gravitent dans nos vallées, avait sans doute réussi à enlever des enfants dans les villages voisins pour leurs aises personnels. Rien que d’y penser, j’en avais la nausée, mais je me proposais de sauver tous ces enfants de cet enfer. Je demandais à Rino de rester pour veiller sur les enfants, j’empoignais l’homme habillé en robe blanche au collet en le traînant au trot jusque dehors, pour le lancer aux pieds de Patrik en lui enjoignant de surveiller spécialement cet individu exempt du signe des parias !
Suite à cela, notre interprète demanda aux femmes présentes dans quel clan elles avaient volé les enfants. Une des femmes répondit qu’ils étaient leurs enfants. Je lui décochais une flèche en pleine poitrine, et exigeait des autres la vérité. Elles disaient toutes la même chose, alors j’ordonnais que toutes celles n’étant pas marquée du signe des parias sortent du groupe.
Aucune n’en sortit ! Toutes étaient de véritables parias, et il était impossible que des clans aient déclaré « paria » des femmes capables d’enfanter.
Je demandais également aux hommes et aux vieillards qui n’étaient pas marqué du signe de sortir du rang, aucun n’en sortit !
Patrick m’interpella : « Ils sont tous coupables, il n’y a ici que des parias bel et bien estampillé comme tel. Je les estime à environ 400 femmes et presque 200 hommes, malades ou vieux, qu’es-ce qu’on fait ? »
J’étais songeur, mais je répondis quand même : « Hier soir, lorsque je plaisantais en vous disant que nous allions aujourd’hui bouffer du paria jusqu’à en avoir une indigestion, je ne pensais pas que ce serait à ce point… »
Je réfléchissais encore un instant avant de trancher, dégoûté de cette décision contre ma conscience : « Tuez les tous ! »
Paskale, dans son indécence habituelle, me demanda encore si les hommes avaient l’autorisation d’abuser des femmes parias avant de les tuer, mais je répondis par la négative. Je ne voulais ni qu’ils se corrompent avec ces femmes maudites, ni qu’ils les violentent physiquement ou les brutalisent trop. Les achever était suffisant.
Et le grand massacre commença. Je regardais faire avec un sentiment étrange. D’un côté, j’étais fier de débarrasser cette forêt de ces parias, et d’un autre, j’éprouvais un certain dégoût de voir mourir autant de femmes. Normalement, ça aurait dû être une horreur, mais dans ces conditions, je ne savais plus : Ma conscience me disait que c’était mal, mon intelligence me disait que c’était une très bonne chose… J’étais ainsi en proie à un sentiment confus, pas sûr de moi ni de mon action.
Pendant le massacre, certaines se mirent à genou, criant et implorant notre clémence, ce qui avait le don de m’irriter encore plus dans mon problème de conscience. J’avançais alors sur ma monture par devant celle qui semblait commander aux autres, ou du moins, celle qui criait plus fort que ses congénères pour me supplier d’épargner les survivantes. Lorsque je perçais son cou en enfonçant mon épée dans sa gorge, le son cessa. Je la soulevais de terre à la pointe de mon épée pour la regarder face à face, je cherchais dans ses yeux quelque malice ou envoûtement, j’avais besoin de voir le mal écrit en elle, et pas seulement par une marque fabriquée sur son front. Elle ne pouvait plus respirer mais vivait encore, son regard croisa le mien, et je n’y trouvais que la peur que j’inspirais… Pas une once de sorcellerie, même à l’article de la mort, pas de haine ni de maléfice, qu’un regard de terreur et d’angoisse. Bien loin de me tranquilliser l’esprit, ce regard de panique et de supplication ne fit que confirmer ce que me criait ma conscience : Ce que je fais est mal ! Mais… pouvais-je faire autrement ? Il était beaucoup trop tard pour changer les choses, il était déjà trop tard depuis que nous avions pénétré dans cette forêt. Tous les évènements qui survinrent lors de notre progression sur ce territoire obéissaient à une suite logique : Embuscade, piège, contre-attaque, victoire et destruction totale de l’ennemi…, je ne pouvais plus rien y changer. La gorge de la paria toujours flanquée au sommet de mon épée, ses pieds gigotant à deux coudées du sol, je ne pus que m’excuser en abrégeant ses souffrances, me contentant d’un laconique : « désolé »… Puis, d’un coup sec, je propulsais mon épée en avant pour lui briser la nuque,… alors elle se tut à jamais.
Le massacre fut réglé sans cruauté excessive et les blessées eurent droit à leur coup de grâce. Une multitude de cadavres jonchaient le sol, et de toute la tribu de parias, il n’en restait plus qu’un seul en vie, l’homme retrouvé dans le bâtiment surmonté d’une croix. Il s’agissait du seul être du clan à ne pas être marqué du signe des parias. Il pouvait être un de leur prisonnier, comme les enfants, et son habillement détonnait par rapport à la mode du Chaos : Il était flanqué d’une grande robe blanche bizarre, qui lui avait sans doute été imposée par les parias afin de mieux se moquer de lui. Par contre, son attitude aussi était bizarre : Durant le massacre, au lieu d’en profiter pour se venger sur ses ravisseurs, il se tint à genou sur le sol, semblant prier vers le ciel… ? Remerciait-il les dieux pour avoir été libéré, ou priait-il pour les parias ? Il fallait que l’interprète l’interroge pour savoir s’il était avec ou contre les parias.
L’homme répondit qu’il était prêtre, … une sorte de druide à ce que j’ai pu comprendre, et il disait venir de la Grande Ville de la Légende apporter la bonne nouvelle aux plus pauvres d’entre les pauvres du Chaos : Les parias !
C’était intriguant, il disait venir de la grande ville et porter une bonne nouvelle ? Mais quelle bonne nouvelle ???
Sa réponse me fit bien rire : En gros, sa bonne nouvelle se résumait à dire que Dieu était venu sur terre en prenant la condition humaine, en chair et en os, et qu’il avait donné sa vie pour la rédemption de nos péchés, y compris ceux des parias. A la fin, alors qu’il n’avait fait que du bien autour de lui sa vie durant, les hommes se saisirent de lui, le fouettèrent, l’affublèrent d’une couronne d’épine en se moquant de sa royauté divine, et terminèrent en le crucifiant jusqu’à ce que mort s’ensuive. Et sur la croix, ce dieu mourût en pardonnant à ses bourreaux ??!
Paskale s’esclaffa encore plus que moi, qui, la surprise passée, ne pus m’empêcher de rugir :
Un dieu qui se laisse crucifier par des hommes comme le dernier des idiots, comme un misérable petit agneau qu’on égorge ??? NON MAIS TU TE FOUS DE MA GUEULE OU QUOI !??? ça c’est ce que j’appelle : « un dieu de PARIAS ! Un dieu de pacotille qui ne peut convenir qu’aux faibles et aux lâches ! Cet imposteur cherche à nous embrouiller avec ses balivernes en nous faisant croire qu’il vient de la grande ville ! Tuez-moi ce type, il ne vaut pas mieux que les parias ! »
Paskale, jamais en manque d’imagination, eut l’idée de le fouetter, de lui fabriquer une couronne d’épine et de le crucifier, histoire de faire honneur à son dieu, mais Patrik lui répéta ma devise : « La brutalité est l’apanage des forts, la cruauté est celui des faibles…, et que vivent les forts ! ». Après avoir parlé ainsi, d’un geste vif et précis, Patrik transperça le cœur du druide avec sa lance !
Sur ce coup, je ne pus que donner raison à Patrik en m’énervant un peu : « Mais nom de dieu Paskale, t’as beau être doué, t’es quand même un sacré tordu : On pourrait abuser un peu des femmes parias avant de les tuer ? … on crucifie le druide pour s’amuser ? Merde à la fin ! Alors comme divertissement, déshabille le druide, fouette-le, flanque lui une couronne d’épine sur le crâne, et crucifie-le bordel de merde ! »
Paskale ne bougea pas, se contentant de répondre en ronchonnant : « Là c’est plus drôle du tout, c’est nul, il est déjà mort ! »
Alors je mis les points sur les « i » : « C’est justement pour ça que je t’ordonne de le faire ! Martyrise le cadavre comme je te l’ai indiqué, et tu te rendras compte ensuite que tout ce qui t’amuse réellement, c’est la souffrance des gens ! Tu es extrêmement doué et ça a été un réel plaisir de t’observer à l’œuvre contre ces centaines de parias lorsque tu ne pouvais compter que sur ta petite unité. Là tu fais des merveilles, il y a de la noblesse, du courage et de la dignité dans la difficulté, mais toutes ces belles valeurs s’envolent lorsque tu tiens quelqu’un à ta merci. Là, tu deviens un petit vicieux pervers, et je déteste ça ! Alors fait ce que je dis, c’est un ordre que tu peux considérer comme une punition éducative ! »
Paskale pesta, et de mauvaise grâce entreprit de déshabiller le cadavre du shaman pour lui administrer ses tortures posthumes…
Ne restait de vivant dans ce clan de malheur que les gosses. Nous leur indiquions le chemin du clan qui nous avait avertit de la présence de ces parias et leur demandions de s’y rendre, en expliquant à son chef leur libération par notre troupe. Là-bas, ils recevraient certainement gîte et assistance.
Les enfants pleuraient lorsqu’ils virent les amas de morts devant la porte, d’aucuns criaient même « Mamma ! »… Les pauvres, ils avaient été enlevés depuis tellement longtemps qu’ils croyaient réellement que ces parias puissent être leurs parents ! Paskale, grognon, en train de fouetter son cadavre dans son coin, ne put s’empêcher de lancer un scandaleux : « Les enfants du diable, … passez-les tous par les armes ! », mais nous ne l’écoutions plus. Certains enfants voulurent s’attarder, mais nous les chassions. Ce n’était pas un spectacle pour eux.
Une fois les enfants partis, nous mettions le feu au village maudit. Sur nos montures, nous regardions placidement ce clan entier dévoré par les flammes, finalement assez satisfaits d’avoir rendu un tel service à la région, ainsi qu’une vengeance digne à nos champions tombés au combat.
Pendant que les flammes rasaient tout ce qui restait de ce clan et que Paskale terminait de crucifier son mort, nous nous remîmes en route pour organiser notre campement un peu plus loin, car la nuit tombait déjà. Ce fut une drôle de journée, on avait bel et bien débarrassé la forêt de cette peste, mais à quel prix !? De mes 260 champions, il ne m’en restait plus que 222, dont une bonne quinzaine en piteux état. Quelques uns, blessés assez cruellement, ne passèrent d’ailleurs pas la nuit.
Je pris conscience que j’avais beau avoir les meilleurs guerriers et montures qui soient, nous n’étions pas invulnérables. Depuis, je me montrais plus prudent quant à nos itinéraires. Notre objectif était de vérifier la légende, pas de nettoyer la planète !
Après avoir passé l’immense plaine des forêts, des plissements du sol apparurent. La direction qu’on nous indiquait était toujours la même: Au sud ! Cependant, le terrain devenait de plus en plus accidenté.
Nous essuyâmes encore des pertes alors que nous passions au fond d’une gorge. L’adversaire, tout au sommet, nous molestait en provoquant des chutes de pierres. Toute riposte était rendue impossible par les falaises des deux côtés, et nous n’avions d’autre choix que de nous hâter de sortir de ce piège. Nous perdîmes une vingtaine d’hommes dans ces gorges, et plusieurs autres furent blessés par des flèches ou des pierres. Nous ne nous aventurions toutefois pas à aller punir les coupables, et poursuivions notre chemin.
Trois jours plus tard, du sommet d’un col, nous apercevions la mer... Des masses d’eaux s’étendant à l’infini, c’était bien ça : la mer ! Suivre la mer... Je ne pensais pas qu’il puisse y avoir autant d’eau sur terre, et nous étions tous subjugués par ce paysage nautique illimité.
Nous évitions toutefois les bourgs de pêcheurs et longions la côte un peu en retrait. Le terrain devenait moins propice aux embuscades, le relief était de moins en moins prononcé, et la végétation plus éparse. Nous ne risquions donc qu’une attaque rangée. Mon principal souci fut donc de ménager au maximum nos montures lorsque nous étions hors de danger afin qu’elles puissent offrir leur meilleur rendement en cas d’attaque. Cette stratégie se révéla payante lorsque nous fûmes pris en chasse par les guerriers de Spézia, une grande ville côtière. Nos montures étaient toujours bien nourries, habituées à l’endurance, et notre cadence ne les fatiguait que peu. C’est sans doute grâce à cela que nous échappions aux forces de Spézia. Quelques hommes furent tout de même abattus par des tirs arrière, mais nos adversaires abandonnèrent après 2 lieues de poursuite effrénée. Nous n’étions pas en campagne de conquête et évitions de perdre trop d’hommes en combat si la possibilité d’échapper à l’adversaire s’offrait à nous.
Arrivés aux abords de la ville de Livornio, 91 de mes champions avaient été tués où étaient morts des suites de leurs blessures. Des 260 guerriers partis, il m’en restait encore 169 indemnes, plus l’interprète. J’avais toutefois bon espoir car plus nous avancions, moins la Grande Ville était légendaire. Les habitants que nous interrogions ne parlaient plus d’elle comme d’une légende, mais comme d’une véritable ville. D’aucuns s’aventuraient même à nous indiquer le nombre de jours qu’il nous restait : encore 6 jours si vous n’êtes pas confrontés à trop d’incidents !
Durant ce voyage, je vis aussi que tous ceux que nous interrogions étaient gentils et affables, car nous ne nous arrêtions qu’auprès des plus humbles villages, et ils avaient peur. Par contre, lorsqu’on passait sur les terres de certains clans plus puissants, la situation était à chaque fois prête à exploser. Parfois ils nous fléchaient depuis l’intérieur de leur enceinte, mais nous gardions une distance raisonnable. Parfois ils nous prenaient carrément en chasse, pour laisser tomber lorsque nous quittions leur territoire. C’était uniquement la puissance qui commandait le tempérament des hommes. S’ils se sentaient vulnérables, ils étaient courtois et pacifiques. S’ils étaient plus forts, ils attaquaient. Je me demandais alors quelle serait la réaction des guerriers de la Grande Ville.
Il nous tardait cependant de voir de nos yeux la légende et forcions un peu l’allure. Deux embuscades plus tard, qui nous avaient encore enlevées une demi-douzaine d’hommes, nous voyons de très loin, certainement une dizaine de lieues, un pic qui pointait droit vers le ciel. Ce pic était tout sauf naturel, et nous pressentions qu’il pouvait appartenir à la Grande Ville. Il était toutefois plus à l’intérieur des terres que nous avait laissé entendre l’ancien du village d’avant la mer. Nous quittions donc la côte pour nous aventurer en direction de cette étrange montagne.
Après quelques cavalcades, le spectacle de ce pic fut encore plus étrange. Un peu plus bas que son sommet, deux branches s’élançaient à l’horizontal, flottant dans l’air, sans aucune assise!...
A mesure de l’avancement, nous nous rendions compte qu’il ne s’agissait nullement d’une montagne, mais d’une croix, avec un crucifié comme on en découvre parfois dans d’anciennes ruines, mais monumental. C’était d’autant plus intéressant que l’espèce de druide des parias portait lui aussi une de ces croix autour de son cou. Lorsque nous fûmes assez près, nous montions sur un relief pour observer l’intérieur des enceintes. Le spectacle qui s’offrit à nous bouleversait tous les concepts que nous avions de notre civilisation, nommée Grand Chaos, ou Longue Nuit sans qu’on en sache pourquoi. A cette époque, personne ne connaissait autre chose que le Grand Chaos. De la sorte, étant habitués à vivre ainsi, il nous semblait que nos sociétés n’étaient nullement chaotiques. De fait, le nom de “grand chaos”, qui désigne notre civilisation, n’est qu’une appellation sans intérêt pour quiconque n’a pas vu la Grande Ville. Nous avions bien découvert des tracés de routes, des ruines en pleine campagne, ainsi que des ruines de villes sans murailles. Cela nous renforçait dans notre impression que les hommes vivaient en paix dans l’ancien monde, mais nous n’avions jamais eu la moindre idée de ce qu’il fut, à part les légendes.
Aujourd’hui, nous avions sous nos yeux ce que fut certainement l’ancien monde. La ville était entourée d’une muraille dont aucun chef n’aurait idée de construire. Cette muraille, entièrement construite en blocs de pierre, ridiculisait toutes les enceintes que j’avais connu jusqu’ici. Elle était au moins 5 fois plus haute que les meilleures murailles, et d’une longueur qu’il était impossible de définir, car nous n’en voyons pas la fin.
A l’intérieur, nous pouvions observer des palais dont absolument personne ne serait capable d’en ordonner l’édification. Des centaines de palais qui défient l’imagination, tout à fait gigantesques, et dont les toits étaient recouverts d’or. Au milieu de la ville, se dressait l’inimaginable croix, aussi haute que les nuages, et encore plus surprenant, la statue du crucifié. Le crucifié ne ressemblait pas à celui qu’on trouvait parfois dans les vieilles ruines des anciens villages de chez nous, où il apparaissait plutôt comme un pauvre hère agonisant.
Non, là, sur cette croix gigantesque, il portait tous les attributs d’un roi crucifié, surmonté d’une immense couronne d’or et vêtu d’habits d’apparats des plus riches. Cette statue à elle seule défiait l’imagination de part sa grandeur. Il faut avoir vu cette oeuvre pour le croire. La plus haute coupole de ce qui semblait être le palais principal était ridiculisée par la croix, au moins 5 fois plus haute. Le palais en question donnait sur une place ronde aux proportions tout à fait phénoménales.
Nous restions là, hébétés pendant une bonne heure à observer ce dont pourquoi nous avions pris tous ces risques. La cité mythique de la légende s’étendait là, à nos pieds, remplissant totalement notre champ de vision. Elle dépassait en tous points nos idées les plus extravagantes. Impossible de dénombrer la population de la cité. Les plus grandes villes que nous avions croisées en chemin pouvaient avoisiner les 20’000 habitants, mais c’était absolument incomparable. Il y avait une multitude de maisons entre les palais, avec chacune un bout de verdure, et nous ne voyions même pas l’autre bout de la ville tant elle était étendue. A ce que nous pouvions distinguer, des gens circulaient dans des carrosses sur de belles routes. Maître Rufus avait dit un jour : « Toute votre imagination multipliée par 100 reste ridicule par rapport à ce qu’est la Ville de la légende »…, et il avait raison !
Notre armée de champions, qui soudain paraissait minable, s’approchait de la muraille avec la consigne de rester en dehors de portée des flèches. Si les hommes de la Grande Ville se décidaient à attaquer, nous les verrions venir et pouvions peut-être leur échapper en fuyant au galop.
Tandis que nous étions bien au dehors des murs, les branches de la croix paraissaient venir jusqu’à la verticale au dessus de nous. Ces hommes avaient construit une croix de la taille d’une montagne ! Etourdissant !
Nous distinguions quelques hommes sur la muraille. Ils nous regardaient sans marquer de signes d’hostilité ou d’agitation. L’enceinte semblait infinie. En fait, elle entourait la ville proprement dite et se terminait dans la mer, abritant un port formidable. Entre deux, il y avait des champs, des bêtes, et tout cela, à l’intérieur des murs s’il vous plait! A l’est, un fleuve pénétrait sous la muraille, tandis que deux bras avaient été déviés artificiellement pour remplir les fossés creusés au bas des murs extérieurs. Ainsi, nous ne pouvions même pas approcher.
Un siège contre une telle ville serait une absurdité. Ils avaient de l’eau en quantité, des pâturages et des champs bien irrigués, ainsi que du poisson à profusion grâce à leur port protégé. Dans de telles circonstances, c’était les assaillants, et non les assiégés qui mourraient de faim. Il semblait que tout était prévu pour que ces gens n’aient besoin de sortir des murs en aucune occasion. Ils avaient tout à l’intérieur ! Tout cela était complètement surréaliste : Une muraille longue de plusieurs lieues, abritant une ville dont tous les palais semblaient être construits en or !...
Le premier jour, nous n’eûmes pas le temps de faire le tour de l’enceinte tant elle était longue. Nous installions notre campement un peu en amont de la Grande Ville et, alors que le crépuscule gagnait doucement sur le jour, la ville s’illumina ! Tout s’illumina et on entendit des centaines de cloches sonner d’un bout à l’autre de la cité. Nous étions bien situés, et de notre position, nous avions vue sur quelques routes. Elles étaient baignées de lumière douce et il y avait une grande circulation de calèches, cavaliers et gens à pieds, à ce que nous pouvions distinguer. Les gens se dirigeaient tous vers les palais recouvert d’or, et y pénétraient. Comme si les cloches avaient sonné un rassemblement, mais pour parler de quoi ? De notre sort ?
Les illuminations n’avaient rien de comparable aux flambeaux placés dans nos villages. Non, cette lumière était blanche mais douce. Elle flottait ainsi dans chaque rue. En tous cas, ils voyaient certainement autant qu’en plein jour, avec une sorte de lumière tout de même moins agressive. La croix aussi s’illumina jusqu’en son sommet, comme si la croix et la sculpture du crucifié étaient devenus lumière ! Elle montait infiniment vers les cieux, perçant les ténèbres de la nuit... C’était plus que prodigieux, miraculeux ! Mais tout ce que nous avions vu durant cette journée était invraisemblable. L’or qui recouvrait toutes les coupoles des palais ! Cela aussi est inexplicable. L’or est un métal pratiquement inexistant sur terre. Au marché, quelques paillettes d’or valaient déjà le prix d’un cochon. Les chefs de clans avaient pour habitude de se faire couler une bague en or avec une petite gravure de leur blason et les plus grands seigneurs osaient aller jusqu’à se faire une couronne pour fasciner leur population, mais ça valait une véritable fortune, des troupeaux entiers. L’or était un métal si beau mais si rare que nous n’aurions jamais imaginé l’utiliser pour autre chose qu’une parure personnelle. Mais non, ici dans la Grande Ville, l’or avait été utilisé même pour des constructions, et jusqu’à ce jour, je n’avais jamais imaginé que la terre ait pu offrir autant d’or que cela.
Mes hommes pensaient que si un dieu habitait sur cette terre, c’est bien là le seul endroit où il aurait jugé digne de demeurer. Moi, je ne croyais pas à ce dieu si facilement. Les hommes que nous voyons sur ces murs n’étaient pas des dieus ou des géants, mais bien des hommes. D’où venaient-ils, comment avaient-ils fait pour s’approprier la ville ? Là était mon problème : Comment avaient fait ces hommes pour s’emparer d’une telle cité ? La ville devait avoir un point faible, et c’était à moi de le découvrir. D’autre part, ce seigneur crucifié !? Que cela signifiait-il ? J’avais l’intuition que ce roi devait certainement être l’ancien seigneur de la Grande Ville. Lorsque les hommes que nous voyons sur les murailles où leurs ancêtres avaient réussi à prendre la ville, ils crucifièrent certainement l’ancien seigneur. En montrant aussi ostensiblement sa statue, cela sonnait comme un avertissement à ceux qui seraient tentés de s’en prendre à leur cité.
Mais cette explication n’était pas tout à fait suffisante, car nous avions trouvé des sculptures du crucifié dans les ruines de nos anciennes villes. Rino pensait que l’individu crucifié avait effectivement existé, et qu’il s’était prit pour un dieu. Il avait peut-être même régné sur la grande ville, mais il fut battu par les nouveaux occupants de la ville, et crucifié ! D’après lui, le druide (ou prêtre comme il se nommait) des parias, était sans doute un ancien sympathisant de ce seigneur, et il avait dû fuir la ville après la mort de ce prétendu « dieu ». Ceci fait, les vainqueurs durent soumettre à l’esclavage les partisans politiques de cet ancien seigneur-dieu, afin de leur faire construire cette croix avec la représentation du faux dieu, en guise d’avertissement à tous ceux qui seraient tenté de croire encore en lui.
Dans tous les cas de figures et d’hypothèses, nous pensions que cette monumentale statue ne constituait qu’un avertissement à tous ceux qui pourraient être tentés de croire à ce dieu-roi de pacotille, et l’avertissement était on ne peut plus clair : La mort en croix pour ceux qui se réclameraient de ce dieu de parias ! Et moi dans tout ça ? D’après le seigneur Marco, d’après maître Rufus, je devais obtenir la confiance du roi de cette ville, du crucificateur ! Aucun risque que je vénère un jour ou l’autre ce dieu de parias, et de ce côté, le crucificateur pouvait être tranquille, je n’avais nullement l’intention de m’abaisser à croire à un dieu pareil. Mais comment obtenir la confiance du roi de cette ville ? Comment le trouver et lui faire savoir qui je suis ? La ville est si grande, … j’avais beau réfléchir, je restais dans l’expectative ; tout à coup, il m’apparût qu’il fut sans doute plus simple et moins risqué de découvrir la ville de la légende que de trouver son roi au milieu de celle-ci !
Je restais seul avec mes interrogations tandis que mes commandants sécurisaient notre campement en organisant de grosses équipes de veille afin que tour à tour, nous puissions dormir un peu. Toutes ces cloches, tous ces rassemblements aux palais nous donnaient l’impression que le peuple de la grande ville avait pu comploter pour nous surprendre durant la nuit. Et si les guerriers de cette ville voulaient notre peau, nous n’avions plus qu’à compter sur la rapidité de nos montures. Etrangement presque, la nuit se passa sans aucun heur.
Tôt le lendemain, nous reprîmes la route afin de trouver un passage nous permettant de traverser le fleuve, car certains champions ne savaient pas nager. Il nous fallut remonter son cours jusqu’à un village de pêcheur. Là, je fis pression pour que leur chef nous autorise à user de ses barques pour traverser. Arrivé de l’autre côté avec nos montures, nous prenions le chemin inverse jusqu’à la ville mythique. A nouveau, nous longeâmes les murailles jusqu’à la mer. Tout était parfaitement homogène, les murs ne présentaient aucun point faible. Et même si on était tenté d’attaquer par la mer, une muraille derrière le bourg portuaire bouchait l’accès à la large vallée qui menait à la cité !
Il m’apparut que le seul moyen de pénétrer dans cette ville était de le faire à la nage, par le fleuve qui pénétrait sous les murailles à l’est de la ville. Mais il se faisait déjà tard, nous avions usé une journée entière pour longer les murailles depuis l’est jusqu’à la mer. Nous montions ainsi un campement en bord de mer, assez loin des murs de la grande ville.
Le lendemain, nous reprîmes notre chemin en sens inverse, en laissant la mer derrière nous. Sur le soir, alors que nous avions atteint l’extrême est de la muraille, je décidais de dresser un campement bien en vue des vigiles de la ville, en guise de leurre, pour le déserter la nuit tombée. Il y avait toujours quelques personnes sur les murailles, mais elles avaient plutôt l’air de se promener. Lorsqu’il fit suffisamment noir pour qu’ils ne puissent plus nous distinguer, nous cachions nos chevaux dans un bois en retrait, et approchions du fleuve à pied. L’opération consistait à m’attacher à une corde et plonger. La muraille ne s’arrêtait pas au fleuve, elle le surplombait entièrement à fleur d’eau. Il fallait donc plonger et retenir son souffle jusqu’arrivé de l’autre côté. Je me promettais de faire une discrète reconnaissance de la ville et me laisser remorquer par la corde à contre-courant pour en ressortir.
Il faisait noir et nous ne fîmes pas un bruit. J’étais certain que personne ne nous avait vu. Alors je plongeais. La première heureuse surprise, si l’on puis dire, c’est que ces gens n’avaient pas installé de barreaux sous l’eau. Il y avait donc effectivement un accès, ridicule, mais un point faible tout de même. Après peut-être la distance d’une vingtaine de brasses, je vis une sorte de lueur et je sus que j’étais passé,... j’étais de l’autre côté, dans la Grande Ville de la légende ! Prudemment, je mettais la tête hors de l’eau pour reprendre mon souffle. Assez loin du bord, je ne sentais nullement le danger et restais prudent. A peine eu-je pris une respiration, voilà que tout à coup, le noir, le noir total, je perdis connaissance.
Lorsque je revins à moi, j’évaluais la hauteur du fin croissant de lune et m’aperçus que je n’étais pas resté trop longtemps sans connaissances. On ne m’avait pas assommé, je n’avais ni bosse ni maux de tête. C’était juste comme si je me réveillais après un vrai sommeil du juste. J’étais assis sur un banc, au centre d’une immense place ronde, certainement celle que nous avions repéré le premier jour. Elle était entourée de plusieurs rangées de colonnades monumentales. Devant moi, un palais qui défie l’imagination s’élevait vers le ciel. Sa façade était inondée d’une lumière agréable et absolument magique. Une lumière sans aucune source ! Pas de flamme, pas d’endroit plus lumineux qu’un autre, une illumination tout à fait parfaite et homogène de la façade de l’édifice, comme si l’édifice lui-même irradiait la lumière... Sur cette façade gigantesque trônait treize statues. Tout était construit en pierre, sauf le toit dont j’apercevais la coupole depuis la place, qui lui, était recouvert d’or. Derrière moi, une immense avenue où flottait une douce clarté, se prolongeait jusqu’au coeur de la ville, derrière le fleuve. Cette étrange clarté flottait aussi au dessus de la place, au dessus de moi... l’air était lumineux !
Un homme, plutôt âgé et tout de rouge vêtu, qui se tenait un peu à l’écart du banc, ne portant pas d’armes à part une canne métallique dont il se servait pour marcher, s’approcha de moi et engagea la conversation. Comme je n’y comprenais rien, je tentais une communication gestuelle tout en prononçant les paroles qui sont les miennes. Son air plus ou moins détaché de l’instant d’avant devint soudain vivement intéressé. Alors, fait incroyable, le même homme me parla dans ma propre langue. Certains marchands d’Aoste ou de chez nous parlaient ces deux langues puisqu’ils passaient parfois le col. Mais ici, si loin de chez nous, c’était incroyable !
- Je te souhaite la bienvenue, étranger. Puis-je savoir d’où viennent tous ces valeureux guerriers ? Commença-t-il.
- Des Alpes, au delà de Tourini, répondis-je, non sans étonnement.
- D’après ton idiome français, je dirai du nord des Alpes ?, rétorqua l’homme en rouge.
- Moi oui, repris-je, mais certains de mes hommes parlent votre langue et sont du sud des Alpes...
- Formidable, une alliance ! s’enthousiasma-t-il. De quels marchés est composée votre coalition ?
- Aoste, Domodosolia, et tous les marchés de la grande vallée au nord d’Aoste, après le col de Barnar. Mais ce sont de petites villes, tu ne peux pas les connaître.
- Au contraire, nous connaissons tout de même le visage de notre région ! Tu parles de la vallée où est sise la ville de Tourbillon ?
- Oui, exactement, mais comment peux-tu savoir ?
- Nous savons, c’est tout ! Et tu es ?
- Léopold Paralamo, champion des clans Alpins, fils de chef et commandant de cette expédition.
- Je t’en félicite, et c’est tout à fait remarquable. Cela fait fort longtemps que nous n’avions plus vu une expédition venir d’aussi loin. Crois moi, l’évènement est largement suffisant pour déranger le souverain de la cité. Je m’en vais donc le prévenir, et te prie de patienter quelque peu. Désires-tu attendre dans une pièce intérieure ?
- Non, merci, je vais profiter de ces instants pour apprécier le spectacle...
- A ton aise, je te laisse à ton observation, conclu l’homme, de façon tout à fait courtoise.
L’homme s’en alla et je restais seul au milieu de cette place gigantesque, ébahi par l’impensable : J’allais rencontrer le souverain de la ville de la légende, l’heure de vérité approchait, il fallait que je lui fasse bonne impression pour obtenir la confiance qu’il n’a accordé ni à Rufus, ni à Marco…
Je distinguais des gardes habillés étrangement en poste sur les grandes marches qui menaient au palais, mais à part eux, la place était déserte.
Après un instant, je vis un jeune homme qui s’avançait dans ma direction. Il poussait une sorte de chariot. Arrivé à ma hauteur, il en ouvrit une porte, en sortit une carafe de boisson chaude ainsi que de belles pièces de viande agréablement cuites. Ensuite, il ouvrit le tiroir du fond et en sortit des vêtements secs, de la meilleure facture qui soient.
Il dit simplement:
Sur ordre de Son Eminence Bardoso, l’homme avec qui tu as parlé tout à l’heure.
Il s’inclina légèrement, et à peine eu-je le temps de remercier qu’il s’en allait déjà... S’il y avait au moins quelque chose qui était clair, c’est que ces gens-là avaient le sens de l’hospitalité. Ils ne nous attaquèrent pas lorsque nous contournions la ville, et prenaient soin de leurs visiteurs ! J’étais certain que la nourriture n’avait pas été empoisonnée. S’ils désiraient me tuer, ils auraient pu le faire à n’importe quel moment, et je ne savais toujours pas comment ils avaient fait pour repérer mon entrée sous-marine. En tout cas, ma visite semblait suffisamment importante pour réveiller le Seigneur de la cité mythique !
Après un certain temps, que j’avais mis à profit pour manger et me parer de ces vêtements seigneuriaux, la garde entama un mouvement. Une énorme porte s’ouvrit sur la face du palais et une puissante lumière en jaillit. Je m’avançais en direction de la lumière, et l’Eminence Bardoso sortit du palais. Il descendit les grands escaliers, suivit de la garde vêtue de bouts de tissus bleu et jaunes assemblés tout à fait étonnamment. Il m’invita alors à le suivre, et nous montions l’escalier sous l’oeil de la soldatesque qui formait comme une haie d’honneur de chaque côté, hallebardes levées. Je m’adressais alors à l’Eminence :
- En quel honneur, la haie ?
- En ton honneur, me répondit-il ! Ce fut un exploit tout de même honorable d’arriver jusqu’ici après un si long voyage, non ?
- Eh bien ! Vous savez accueillir, vous !
- Merci.
Nous arrivions alors sous un immense porche, où se trouvaient d’autres hommes vêtus de rouge. Certains faisaient un signe étrange dans ma direction, … comme s’ils dessinaient une croix avec leurs doigts, ce qui ne manquait pas de m’inquiéter peu, venant de ce peuple de crucificateurs…, mais tout à coup, je vis l’intérieur du palais !!!
Savez-vous Barnabé qu’il est impossible de décrire ce que j’ai vu dans ce palais ?
(Note de Barnabé, scribe: Léopold me parlait souvent du palais du seigneur de la cité mythique. Dans une confusion de gigantisme qui lui donnait le vertige, il semblait y avoir plus de richesses et d’or dans ce seul palais que toutes les richesses qu’il pensait que la terre entière contenait.)
“Non Barnabé, je ne peux pas vous expliquez cela. Imaginez un palais d’une beauté parfaite. Eh bien vous êtes encore loin du compte. Là-bas, il n’y a pas que des richesses de choses de valeurs, mais aussi des richesses de beautés et d’une finesse qu’aucune main humaine de notre monde n’aurait été capable d’exécuter : Un étalage de raffinements. De la pierre ou du bois qui ne sont peut-être pas si précieux, ils arrivaient à les transformer de manière à les rendre unique. Ils sont si délicatement travaillés et ouvragés qu’on ne croirait tout simplement pas que telles choses puissent avoir été faites par l’homme!”
Je pénétrais alors dans ce palais, totalement hébété, et tout à coup, un des hommes en rouge dit d’une voix forte :
- A genou dans la maison de Dieu !
Là-dessus, un garde me donna un coup sec derrière les genoux avec le manche de sa hallebarde, ce qui me fit choir à terre. J’observais alors les éminences en rouge qui entraient dans le palais, et m’aperçus qu’elles aussi, faisaient un signe de génuflexion avant de poursuivre leur marche vers le centre de l’édifice. L’Eminence Bardoso jeta un regard dur au soldat, et m’indiqua de me lever pour le suivre.
J’entamais alors la marche la plus incroyable de ma vie. Sous des masses d’or, de pierres de grande valeur, de statues qu’on dirait vivantes, dans un bâtiment dont la pièce principale mesure des centaines de pas de long et de haut... Inimaginable ! Et cette lumière... La nuit était totale à l’extérieur, il n’y avait ni torches ni aucune autre source de lumière, mais la lumière était partout, elle habitait là ! J’avançais vers le trône du puissant Seigneur de la Grande Ville Légendaire ! Celui que même les habitants de la Cité appellent Dieu en s’agenouillant devant lui. Vêtu de blanc, il trônait au centre de l’édifice. De loin, je distinguais une couronne blanche en forme de flèche pointant vers le ciel. Je demandais alors à mon Eminence si c’était vraiment Dieu ?
- Non, me répondit-il sans hésitation. C’est le palais, qu’on nomme basilique, qui est la demeure de Dieu. Le souverain pontife est le représentant de Dieu sur terre, mais humain comme toi et moi.
Lorsque nous fument à une trentaine de pas du trône, nous nous arrêtions à nouveau.
Le grand souverain me signa avec deux doigts depuis sa place, comme les hommes en rouge, … décidément, la crucifiction semblait être une idée fixe chez eux ! Puis, il prit la parole :
- Léopold Paralamo si mes informations sont exactes ? Je te souhaite la bienvenue à Rome.
- Rome ?
- C’est ainsi que se nomme cette ville depuis toujours. Quant à moi, je suis Paul XII, souverain pontife de l’Eglise du Dieu vivant, ainsi que gardien du Saint Siège.
Je n’ai rien compris à son histoire d’église et de sièges, mais j’avais au moins appris le nom de la ville et celui de son chef.
- Très honoré, repris-je tout de même, mais qu’ai je fais pour mériter ta bienveillance ?
- Pour l’instant, rien. Mais nous n’avons jamais l’occasion de recevoir des visites de coalitions entières venant d’aussi lointaines contrées. Peut-on me dire à quant remonte la dernière visite coalisée du nord des Alpes ?
Un homme, vêtu d’une robe noire cette fois, et qui restait toujours deux pas derrière le Grand Seigneur Paul, répondit :
- Voilà 104 ans, une expédition de 78 guerriers étaient venus de la ville de Salzbourg et des clans alentours.
Le pontife reprit:
- Tu vois, personne ici présent n’a jamais vu des hommes coalisés venir d’aussi loin. Il y a 104 ans, personne n’était né. Ceux qui viennent ici ne sont en général que de pauvres hères qui arrivent épuisés, et ne font pas de tels trajets.
- Mais c’est faux, m’exclamais-je dépité à l’idée que Rufus ait pu me mentir ! Je connais des hommes qui sont venu il y a moins de temps que ça, dont un qui est venu avec son armée !
- Oui, acquiesça le Souverain, mais je te parle de coalitions et d’alliances, pas de bandes de guerriers ! Ta coalition de guerriers provenant de plusieurs marchés et de nombreux clans n’a rien à voir avec une équipe de mercenaires. Tout cela pour vérifier un rêve ? Exceptionnel ! Mais je doute que tu sois parvenu à former cette coalition, tu me sembles bien jeune.
- A vrai dire, c’est mon père, chef des Nendars, sous l’influence de maître Rufus, qui organisa cette expédition.
- … Rufus, cela me dit quelque chose…, ah oui, sacré Rufus, n’a-t-il pas à voir avec le fameux seigneur de guerre Marco Fallacio ?
- C’est exact, Rufus était son maître, et il vous transmet ses humbles salutations.
- Merci, c’est bien gentil à lui, … mais… ton père doit être un homme bien sage pour être arrivé à former une pareille coalition dans votre monde chaotique ! Pourquoi a-t-il confié le commandement de l’expédition à son fils ?
- Père souhaitait que je commande cette épopée, mais les autres clans n’ont pas accepté sans combats. Tous mes guerriers sont en effet les champions de leur clan. Nous avons donc dû en découdre d’abord entre nous pour connaître le vainqueur, qui devint le chef de l’expédition.
- Et grâce à l’enseignement de ce bon vieux Rufus, tu as triomphé de tous ? Ta capacité au combat est donc phénoménale, au vu de la brutalité qui sévit dans vos sociétés ?
- Souhaites-tu me mettre à l’épreuve ? J’accepte un défi contre tes trois meilleurs guerriers en même temps, lui dis-je, pour essayer de conquérir sa confiance.
Le pontife, amusé, rit de bon coeur, avant de rétorquer, jovial : - Je t’aime bien mon petit, et je pense que tu battrais peut-être mes cinq meilleurs soldats, inutile donc de me prouver quoi que ce soit. Mais,... pourquoi une telle expédition ?
- C’est de la reconnaissance, nous voulions savoir si la Grande Ville existait vraiment.
- Ah oui ? Mais pourtant, Rufus ainsi que Marco pouvaient répondre à cette question, la Grande Ville existe bel et bien ! Et de toutes façons, que cela va-t-il changer, que tu l’aies vue toi aussi ? Tu penses que ceci changera quelque chose au monde du Chaos ?
- Nous souhaitions simplement trouver des réponses à toutes ces légendes de l’ancien monde, et nous voulions voir ce à quoi pouvait ressembler une ville survivante du Chaos.
- Eh bien, moi je n’y crois pas une seconde ! Pour réunir une telle coalition, ton père a certainement dû entreprendre des efforts sur plusieurs années. S’il a été capable d’une telle diplomatie dans autant de clans, il est aussi capable d’élaborer un projet. Car il a un atout de poids : Toi, son propre fils, champion des champions capable de commander les guerriers d’une multitude de clans ! Je pense qu’il attend de toi que tu mènes son projet à terme. Pour cela, il fallait que tu prennes le commandement de cette expédition, que tu réussisses, et qu’on ne parle plus que de toi dans la toute ta vallée. Une fois que tu auras acquis ce prestige, il souhaite certainement poursuivre son entreprise. Tu ne vas tout de même pas rentrer dans ton clan, donner l’information et en rester là ?
- Nous n’avons pour l’instant prévu aucune suite à cette expédition, mais tu ne penses pas que je vais en rester là ? Et puis, comment connais-tu les projets de mon père ?
- Je ne les connais pas. Simple déduction ! Je n’imagine pas qu’un homme qui ait réussit à former pareilles alliances dans votre Chaos, envoie son fils dans une expédition aussi risquée juste pour vérifier et trouver des réponses qu’il a déjà sous la main ! Et puis, un homme qui a côtoyé aussi longtemps maître Rufus a de toute façon une idée derrière la tête. Il a une vision, mais ne pourra la mettre en oeuvre que si tu rentres vivant.
- Pour te dire la vérité, mon père et maître Rufus ont effectivement une vision, celle de l’union, qu’ils élaborent depuis bien longtemps. Et il s’avérait que seule la Grande Ville pouvait nous réunir.
- Le contraire m’aurait étonné, et sache que j’apprécie ta réponse sincère. Dis-moi Léopold, le monde d’aujourd’hui est-il à ton goût ?
- Pourquoi cette question ?
- Je veux dire, la société dans laquelle tu vis est-elle à ton goût ?
- Après avoir vu ce que je vois maintenant, je doute que le monde que j’ai connu jusqu’à ce jour continue à être à mon goût !
- Merci, tu parles sans détours et j’aime cela. Tu rêves d’un monde plus grand que celui de vos marchés ? Tu rêves de conquêtes. Me tromperais-je ?
- C’est exact, tu es implacable !
- Je connais un peu vos lois et la nature humaine, et je crois que si tu es devenu le champion de plusieurs marchés, tu ne souhaiteras pas rester toute ta vie l’homme qui a découvert la cité mythique. Ton rêve le plus fou n’est-il d’ailleurs pas de conquérir Rome un jour ?
- Je suis loin de là...
- C’est un fait ! Mais voilà tout de même trois jours que ta troupe inspecte notre enceinte à la recherche d’une possible brèche. Tu peux être un conquérant Léopold, et si tu étais plus sage, peut-être pourrais-tu rebâtir un monde. Mais pour lancer les ponts d’une nouvelle civilisation, encore faut-il être vertueux, tandis que pour conquérir Rome, il te faudra bien plus qu’une coalition de quelques marchés ! Tu devras être digne de la confiance que tes hommes te porteront. Es-tu un homme vertueux ? Respectes-tu scrupuleusement la loi ?
- Nous n’avons certainement pas les mêmes lois que chez vous.
- Certes, mais sans connaître nos lois, tu ne peux pas les respecter. Je te demande donc si tu respectes les lois des clans ?
- Celles-là oui, et scrupuleusement comme tu dis. Je suis chef militaire, il est de mon devoir d’avoir une attitude sérieuse par rapport à nos lois !
- C’est tout à ton honneur, et… je te connais mieux que tu ne le penses.
- Rome est effectivement une ville tout à fait splendide et d’un attrait certain pour un conquérant. Mais d’un autre côté, je n’ai pas envie de finir comme l’ancien seigneur de la cité.
- Comment cela ?
- Le roi que vous avez crucifié pardi ! Vous en exhibez la statue bien haut d’ailleurs.
- Tu as raison,… j’ai crucifié ce roi, mais toi aussi tu l’as crucifié, comme tous les hommes vivant dans ce bas monde.
- Je ne comprends pas ?
- Ce roi est Dieu. Il est venu sur terre il y a bien longtemps. Il a passé sa vie à faire le bien, guérir les hommes de toutes sortes de peines et souffrances, rappelé des morts à la vie. Ce crucifié a créé le monde, Il y est venu pour aider les hommes à y vivre convenablement et fraternellement. Les hommes l’ont cependant rejeté et crucifié. En mourant sur la croix, Il prit tous les péchés des hommes sur lui, et pardonna à ses bourreaux ainsi qu’à nous tous. Car nous sommes ses véritables bourreaux : Chaque fois que nous nous laissons aller au mal, c’est un peu comme si on le remettait sur Sa croix. Le symbole de la croix nous rappelle l’Amour qu’Il a pour les hommes, car Il l’avait dit Lui-même, « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ».
- C’est pittoresque, mais un dieu ne peut pas mourir, surtout s’il a créé le monde, c’est idiot !
- Lorsqu’il est venu sur terre, il est né comme n’importe quel enfant. Il a connu la condition humaine et ses souffrances jusqu’à la fin. Cependant, trois jours après Sa mort, comme ultime preuve de Sa nature divine, Il ressuscita. Il a vaincu la mort.
- Et Il est où maintenant ?
- Quarante jours après Sa résurrection, Son corps fut emporté dans les Cieux. Là où se trouve Son royaume. En s’élevant, Il nous laissa toutefois un dernier message : « Je suis avec vous tous, tous les jours, et jusqu’à la fin du monde ». Ainsi, aujourd’hui tu ne Le vois plus, mais Il demeure dans chacun de nos coeurs, et ces basiliques sont les lieux Saints où l’on se réunit pour Le prier. Il est là, Il entend et voit tout, Il te connaît mieux que toi même. Il espère que ta vie soit bonne afin de pouvoir t’accueillir dans Son royaume lorsque la mort aura eu raison de ton corps.
- Incroyable histoire, mais intéressant…, quoique, je l’ai déjà entendue il n’y a pas si longtemps de la bouche d’une sorte de druide, habillé en robe, comme toi. On ne l’a pas trop prit au sérieux d’ailleurs…, un dieu crucifié par les hommes, ça me semblait loufoque comme idée.
- C’est ainsi que cela fut. Quant à moi, je crois en toi, en tes capacités, en ta vertu, même si elle est encore loin de ce qu’on pourrait appeler morale. C’est pourquoi j’ai décidé de te faire don d’un objet tout à fait particulier.
Le souverain se leva alors de son trône pour s’approcher de moi. Un jeune homme arriva en portant un coussin sur lequel était présentée une épée. Faite d’un même acier, du pommeau au bout de la lame, sa simplicité lui donnait une apparence de robustesse à toute épreuve. Sa sobriété la rendait belle, encore plus belle que les épées ciselées de façon complexe.
Elle est pour toi Léopold, et uniquement pour toi. Prend-là.
Je saisis alors l’épée et au même instant, une sorte de force bleutée entoura toute la lame. C’était prodigieux, comme si une pure énergie courrait le long de la lame, crépitant même parfois en de minuscules étincelles.
- Qu’est-ce que cela ?
- C’est l’arme noble des guerriers, mais celle-là est puissante, et elle respecte nos lois. Cette épée, baptisée “Renaissance”, obéit à certaines règles fondamentales que Dieu nous a légué. Elle sera tienne tant que tu respecteras ses préceptes. Je souhaite que tu puisses t’en montrer digne. Dépose-là à l’intérieur du fourreau. C’est maintenant ton épée, personne d’autre que toi ne pourra la tenir entre ses mains.
- C’est de la sorcellerie ou quoi !?
- Non, c’est juste scientifique. D’ailleurs, c’est une pièce unique. Un concentré de technologies qui a demandé un travail époustouflant à nos savants. Mais il ne servirait à rien de t’en expliquer le fonctionnement, car tu n’y comprendrais pas un traître mot. Moi-même je m’y perds. Quoi qu’il en soit, si tu peux rester vertueux dans ce que tu entreprendras, je n’aurai pas à regretter l’offre que je t’ai faite.
- Je te remercie, mais pourquoi tant d’attentions ?
- Parce que nous attendons désespérément un homme ayant la force et le courage de lutter contre le Chaos, et le vaincre. Rufus espérait que tu obtiennes ma confiance ! Par ce don, je t’accorde la confiance qui n’a été donnée ni à Rufus, ni à Marco !
- Merci, mais pourquoi moi et pas eux ?
- Pour tout un tas de raisons qui nous regardent, moi et mes prédécesseurs. Au lieu de ça, nous leur avons confié une mission à chacun, et je constate aujourd’hui qu’ils ont réussi. Marco a abouti dans sa quête lorsqu’il t’a trouvé lors de son passage à Tourbillon, et Rufus s’est bien débrouillé dans ton éducation.
- L’éclair aux pieds de Marco et la grande voix à Tourbillon, c’était toi ?
- Oui, répondit le souverain, puis, amusé, il rajouta : - Marco avait hurlé assez fort son dépit pour qu’on l’entende jusqu’à Rome…
- Je ne te crois pas !
- Tu as raison, m’enfin, j’ai eu pitié de lui, il voulait un signe, alors on lui a donné un signe… Ne m’en demande pas plus à ce sujet, on a tous nos petits secrets, non ?
- Bon d’accord, vous arrivez à produire des éclairs et à causer depuis le ciel, je ne demande pas d’explications. Mais une autre chose me tarabuste, tu dis que vous attendez désespérément un homme ayant la force de lutter contre le Chaos, mais c’est fou…, un homme ne peut pas lutter contre le Grand Chaos !?
- Tu le penses maintenant, espérons que tu t’aperçoives un jour de ta méprise.
- Alors pourquoi ne luttez-vous pas vous-même contre le Chaos ? N’êtes vous pas mieux équipés que moi pour un boulot pareil ?
- Notre histoire est compliquée. Vous êtes des enfants, encore des bébés, tandis que nous sommes des vieux dinosaures d’une civilisation engloutie. Nous traînons derrière nous une histoire dont vous n’avez même pas idée, tandis que vous venez de naître. Tu as la fraîcheur et l’impétuosité, nous avons la sagesse et la connaissance. Les hommes du Chaos ne comprendraient pas notre langage, tandis que toi, ils te comprennent. Tu n’as pas des milliers d’années de décalage de civilisation avec ce monde. Nous mêmes, vivons dans un autre monde, encore incompréhensible pour vos peuplades.
- Je ne comprends pas bien ce que tu me dis, mais je veux bien y croire. Seigneur Paul, j’avais des questions sur le monde d’avant le Chaos... mais ici, j’ai tout oublié, cette demeure m’empêche de réfléchir, tout cela, tout cet or... D’ailleurs, où avez-vous bien pu trouver autant d’or?
- Dans le monde entier. L’or fut la cause de nombreux crimes. Pendant que vous étiez dans votre Chaos, nous avons débarrassé le monde de son or. L’or du monde est là où il sied qu’il soit : à Rome, et il orne les demeures de Dieu. Nous avions aussi reçu de grosses quantités d’or de la part des banques centrales des nations lorsqu’elles ont périclité et que s’est installé le Chaos.
- Des banques centrales ? Je n’y comprends rien, votre dynastie existait déjà dans l’ancien monde ? Comment est né le Grand Chaos ?
- Il se pourrait bien que nous existions déjà avant le Chaos. Quant à la source de celui-ci, c’est une histoire fort complexe, mais je peux te donner une piste qui a accompagné l’homme dans son déclin. L’esprit de l’homme était gravement malade. L’esprit est ce qui distingue l’homme de toutes les autres espèces. Les hommes peuvent se battre, trouver leur nourriture, se reproduire, construire un foyer. Mais cela, toutes les bêtes le font aussi, car chacune de ces activités ne dépendent pas de l’esprit. L’instinct de survie peut à lui seul résoudre ce genre de problèmes, et tu en es la preuve. Mais regarde le Chaos, et par opposition, observe ce qui t’entoure. Y vois-tu une quelconque utilité à disposer de tant de sculptures, de peintures, et d’oeuvres d’art ?
- A vrai dire, tout ce que je vois ici m’édifie et réjouit mon oeil, mais je doute que cela puisse être de quelque utilité que ce soit dans la vie courante.
- Tu as bien dit. Tout ce que tu vois ici ne sert à rien pour la survie de l’espèce humaine. Tout cela serait donc inutile, et c’est vrai pour le corps. L’art est inutile en soit, mais grâce à l’art, l’homme marque le pas visiblement sur toutes les autres espèces. La grandeur d’esprit de l’artiste ne se situe pas au niveau de nos nécessités vitales, elle produit de l’inutile. Cela, ta civilisation a encore de la peine à le comprendre. Toi, tu commences à saisir le sens de mes paroles car tu as bien dis que ces oeuvres réjouissaient ton oeil, preuve que malgré le Chaos, une petite flamme d’humanité est restée en l’homme. L’esprit est l’expression la plus haute de l’espèce humaine. Si l’esprit meurt, l’homme retourne au stade animal, menant une vie strictement concentrée sur ses besoins instinctifs et ses désirs primaires.
- C’est ce qu’il s’est passé ? L’homme n’a plus été capable de voir plus avant que cela malgré toutes les oeuvres qu’il avait sous les yeux ?
- Dans l’ancien monde, il y avait un proverbe qui disait que le rire est le propre de l’homme, cela pour signifier que les hommes ont des émotions qui leur sont propres. Vers la fin, certains prétendirent que les bêtes pouvaient rire, pleurer et avoir les mêmes émotions que le genre humain.
- C’est vrai ?
- Là n’est pas le problème, mais tout à coup, on faisait mentir le proverbe.
- Et qu’est-ce que les anciens hommes on alors trouvé de propre à eux ?
- « Le propre de l’homme pourrait se réduire grossièrement à trois choses. Des choses dont aucune autre espèce vivante n’est capable. »
« La première était bien sûr l’art, car d’essence inutile pour nos besoin et désirs instinctifs, primaires et fondamentaux, l’art est sensé dépasser les concepts matériels. Il aurait normalement dû être le propre de l’homme, mais l’esprit humain devint si fou que leur art ne ressemblait plus à rien. En l’an 1’910 de notre calendrier, un homme respectable fit peindre une oeuvre par un âne. Il ne comprenait pas les nouvelles formes picturales, et décida alors d’avoir l’opinion des spécialistes sur cette oeuvre. Il plaça simplement une toile vierge derrière la bête, qui la badigeonna avec sa queue trempée dans des pots de différentes couleurs. La toile fut inaugurée par les autorités, et les spécialistes de l’art s’enflammèrent pour saluer ce chef d’oeuvre... Sans savoir, bien sûr, que c’était en réalité l’expression artistique de la queue d’un âne... C’était un peu plus d’un siècle avant le début du Chaos. »
- C’est impossible, même moi je pense être capable de peindre mieux qu’un âne !
- Oui, c’est absurde, mais le monde d’alors était devenu absurde. L’art n’était ainsi plus le propre de l’homme ! Ou plutôt, il faudrait dire : Les hommes soutenus et applaudit par les autorités et autres spécialistes devinrent incapables d’art, tandis que les artistes encore sain d’esprit étaient ignorés et rejetés du monde des arts ! La décadence de l’esprit pouvait se remarquer dans toutes les formes artistiques, comme la « littérature » (je ne comprenais pas ce mot mais mon scribe me l’a expliqué plus tard), l’architecture, la sculpture, la musique, les comtes... Leur esprit était devenu fou.
- C’est incroyable ! Et alors, le propre de l’homme ?
- La paix. L’humain est la seule espèce détenant la capacité de résoudre des conflits par le dialogue, la conviction, et la sagesse du compromis acceptable, la diplomatie et le respect de soi. Nous sommes les seuls, non seulement capable de paix, mais aussi de créer la paix.
Sur le coup de ce genre d’explication, je m’emportais un peu en répondant au grand seigneur : - Et tu crois que je suis un type qui va promouvoir la paix ou quoi ? Si c’est ça que tu attends de moi, tu te trompes de cheval ! Les hommes sont fait pour la guerre et le combat viril bordel de merde ! Et tous ceux qui disent le contraire, tous les promoteurs de la paix ne sont pas pacifistes par conviction, mais par lâcheté et couardise ! Ceux qui aiment la paix ne l’aiment pas pour l’amour de la paix, ils l’aiment uniquement parce qu’ils sont faibles ; toutes les autres explications, c’est des conneries inventées par des pleutres pour rassurer leur conscience face à leur propre lâcheté, pas par des vrais hommes.
Paul XII sourit à mon indignation, et calma mon trouble en me donnant l’exemple d’un homme courageux et brave qui avait promu la paix :
- Calme toi Léopold et répond à cette question : Pour englober autant de clans dans un même et unique projet, ton père a sans doute dû passer des accords de non-agression et de défense mutuelle au sein des clans qui font partie de ta coalition, non ?
- Oui, notre région est plutôt calme depuis quelques années.
- Et ton père n’est ni un lâche ni un pleutre n’est-ce pas ?
- Manquerait plus que ça !
- Et voilà…, ton père, tout en étant sans doute un fameux guerrier, puisqu’il est chef de clan, a su promouvoir la paix dans votre région, sans avoir peur de faire la guerre si besoin l’est ! Ainsi, la paix, ou l’organisation de la paix, fait partie du propre de l’homme. Mais avant le Chaos, les plus grandes puissances du monde n’y croyaient plus, et préféraient la guerre. Les hommes avaient perdu cette capacité de paix, et elle ne faisait plus guère partie du propre de ces hommes là.
- Bon d’accord,…mais pourtant, j’ai retrouvé une reliure de feuilles manuscrites avec des images, dont une qui semble représenter des soldats pas bien méchants !
- Détrompe-toi, ils étaient puissants, et capable du pire.
- Mes images représentent aussi une immense colonne de fumée surmontée d’une sorte de boule de feu, qui elle, atteignait les nuages. N’est ce pas Dieu qui s’est vengé de la folie des hommes?
- Non, les hommes ont créé leur Chaos tous seuls. Dieu, quant à Lui, reste le dernier propre de l’homme. Nous sommes les seuls à être capable de foi, de croire en ce qui ne se voit ni ne se sent. Cela semble être un phénomène dont aucune autre espèce n’y verrait d’utilité. Dans un monde organisé, Dieu n’est pas une évidence, et n’apparaît pas utile à la survie de l’espèce de prime abord. Cependant, l’homme est le seul capable d’y croire. Mais qu’avaient fait nos ancêtres de cette capacité ? Les puissants détournèrent la foi pour utiliser les peuples à des fins qui n’avaient rien à voir avec le message de Dieu. Je pense que les humains de cette époque ne savaient tout simplement plus en quoi croire. Le monde était cruel, et si Dieu pouvait être utile à se donner du courage à la guerre, on l’utilisait ainsi.
- Ils ne croyaient plus en votre Dieu?
- Les disciples du Christ-Dieu étaient venus à Rome, ils ont été crucifiés, leurs adeptes donnés en pâture aux lions. Ils ont accepté l’arène aux lions pour ne pas renier le Christ, et nous transmettre leur message et leur foi. Lorsque les persécutions cessèrent, Rome rayonna et apporta le message du Christ à tous les royaumes de la terre. Grâce à la foi des premiers, une civilisation phénoménale fut créée. Puis, le coeur de l’homme s’est asséché, et Dieu devint un concept...
- Un quoi?
- Une sorte de formule. Mais pour répondre à ta question, je me demande moi-même quelle était la foi de nos ancêtres d’avant le Chaos. Elle était assurément en mauvais état. L’homme avait oublié Dieu pour ce qu’Il était, en le remplaçant par un concept utilitaire.
- Tu es un sacré philosophe en tout cas ! Mais c’est pas en devenant incapable d’art qu’on créé un Chaos!
- « Non, mais toutes ces oeuvres devenues fades et incompréhensibles, sans pour autant que l’homme ne s’en émeuve, nous donne déjà une idée sur leur degré de dérangement. Leur esprit était devenu fou et des hommes payaient même le prix fort pour acquérir de véritables laideurs. Après une longue maladie, les humains devinrent pires que les bêtes. Les animaux peuvent faire du mal, mais ils n’ont pas l’imagination nécessaire pour inventer un monde aussi atroce que celui bâti par nos ancêtres. L’homme s’étala alors dans l’abomination et la débauche, devenues des normes. Puis son esprit mourut pour ne subsister qu’à l’état de veille. Avec la puissance de feu des armes dont il disposaient, et compte tenu de l’état de leur désarroi, le Chaos ne pût que débuter... »
« Tu as sans doute de nombreuses questions, mais retiens déjà cet humble enseignement : Tend ton esprit vers les valeurs qui ont du sens, qui te paraissent belles et vertueuses. Eduque ton esprit pour élever un monde plus beau, plus humain. “Renaissance”, ta nouvelle épée, t’éduquera dans plus d’humanité pour qu’à ton tour tu essaimes les bases d’une renaissance des hommes dans une civilisation digne de s’appeler ainsi. Tu n’as pas tant besoin de connaître l’ancien monde pour en créer un nouveau. Nous allons donc nous quitter Léopold, et je t’accorde ma bénédiction. Séparons-nous amis, car je crains que notre prochaine rencontre soit moins amicale. »
A peine le souverain eu fini sa bénédiction au nom de toute une famille, père, fils et un troisième dont je ne me souviens plus du nom, que je perdis à nouveau connaissance.
Voilà maintenant des années que j’ai tenu cette conversation avec le souverain Paul XII, et, chose tout à fait étonnante, chacune de ses paroles me reviennent en mémoire encore plus facilement que celles d’une conversation que je viens d’avoir... C’est comme si ses phrases et ses mots étaient restés gravés durant toute ma vie dans un coin de mon esprit. Sauf le dernier de la famille de la bénédiction. Les romains avaient semble-il une technique tout à fait mystérieuse pour endormir les gens sans les assommer. Je suppose que j’étais en train de me faire endormir lorsque le pontife termina sa bénédiction...
Je me réveillais à l’aube, et je vis mes compagnons d’arme de l’autre côté du fleuve, attendant toujours les trois secousses que je devais donner à la corde pour le retour. Je les appelais et ils me reconnurent, malgré mes nouveaux vêtements. Je leur ordonnais alors de retourner jusqu’au village de pêcheurs en amont pour effectuer la traversée à l’aide des barques.
Ainsi, seul, les attendant au bord du fleuve, je tirais l’épée que m’avait offert le seigneur Paul, “Renaissance”! J’avais à peine eu le temps de la toucher la nuit, que je reçu l’ordre de la remettre au fourreau.
Je la saisis alors délicatement, et la lame recommença à crépiter de cette mystérieuse énergie bleue. Je la tins alors vigoureusement pour tenter quelques mouvements, mais la lame s’agrandit tout à coup. A peine avais-je séré le pommeau dans ma main que la lame tripla de longueur sans toutefois devenir plus lourde. Je crispais encore un peu plus ma main et Rennaissance grandit encore. Je m’aperçus que plus je la serrais, plus la lame s’allongeait. Au maximum de ma force, je dirai que la lame pouvait mesurer facilement une cinquantaine de pas !
C’était inouï : Le métal se déformait et s’effilait à mesure que je serrais mon arme. Et plus la poigne était ferme, plus il me semblait que l’énergie bleue s’excitait elle aussi. J’essayais un mouvement pour me rendre compte de la maniabilité de l’arme : Elle était aussi maniable qu’une épée de taille normale, alors qu’elle était devenue vingt fois plus longue. L’impression était comme si l’air s’écartait pour laisser passer la lame ! Je portais un coup sur un arbuste situé à trente pas de moi. La lame traversa l’arbuste sans que je m’aperçoive d’une résistance quelconque, et il fut coupé net à l’endroit du passage. J’essayais alors la même manoeuvre sur le tronc d’un grand arbre. A nouveau, la lame traversa le tronc comme si elle traversait du néant, et l’arbre s’abattit par terre, d’une pièce ! C’était formidable, je pouvais couper un arbre du simple fait de passer mon épée par là, sans forcer le moins du monde. Le tronc était sectionné net alors que je n’avais même pas l’impression d’avoir touché quelque chose. Pareillement lorsque je tentais de pourfendre un rocher... La lame traversait toutes les matières sans y rencontrer aucune sorte de résistance. Je tirais encore ma hache de ma ceinture et laissais l’épée passer à travers le métal. Tout doucement, sans forcer, la lame traversait le métal. Lorsque les deux bouts de la hache furent entièrement séparés, j’examinais l’état des morceaux. Le fer n’avait pas été fondu ni brisé, il avait tout simplement été coupé net à l’endroit du passage !
Lorsque mes hommes revinrent, je leur montrais Renaissance. Nous passâmes encore une journée entière et je leur racontais toute mon aventure. Je ne pus guère leur donner des détails sur la ville elle-même, car on m’avait mystérieusement endormi durant tout le trajet. J’avais toutefois des informations sur le monde d’avant le Chaos, sur ces hommes tout puissants qui ont réussi à créé le Chaos pour le léguer aux générations futures, à nous... Non, ils n’étaient ni partis sur une autre planète, ni été punis des dieux, ils avaient organisé eux-mêmes ce monde pour, en fin de compte, l’échanger contre le nôtre, … le Chaos!
Rino, mon fameux adversaire devenu un de mes plus proches et meilleur guerrier, voulut essayer Renaissance. A peine l’eut-il empoigné que la fameuse énergie bleue apparût, mais sur toute l’épée, y compris le pommeau. Rino poussa un cri, l’énergie bleue entourait toute sa main. Il dû lâcher prise pour que tout rentre dans l’ordre. Il n’était pas blessé mais je m’aperçus que le seigneur Paul avait dit vrai : J’étais le seul qui puisse me servir de cette épée magique. Paul avait dit scientifique, mais je ne comprenais pas la signification de ce mot. Pour nous tous, Renaissance a toujours été considérée comme une épée magique.
Le soir, nous dressions le campement au sommet de la colline d’où nous avions observé la Grande Ville pour la première fois, Rome, et qui n’est, à partir de cette date, plus une légende !
Nous passions la journée à parler de cette fabuleuse découverte et négligions l’approvisionnement. Je m’apprêtais à envoyer une partie des guerriers à la chasse pendant que d’autres allumeraient les feux et prépareraient le camp. Mais un fait nouveau se produisit : Le pont-levis devant la grande muraille s’abaissa, et on ouvrit les portes de la ville. Une grande charrette s’avança dans notre direction. Arrivé sur le lieu, le cochet, qui n’était autre que le jeune homme m’ayant servi la veille durant la nuit et qui parlait francophone, stoppa son attelage, composé de 4 magnifiques chevaux noirs. Il descendit de la charrette, et me salua :
- Je te transmets les salutations de Son Eminence Bardoso. Puisque vous avez décidé de passer encore une soirée dans la région, il m’a prié d’apporter un en-cas pour tes hommes. Je t’ai donc préparé quelques uns de nos produits. Ils sont dans la charrette. De plus, Son Eminence te fait don de ces bêtes. Tu apprécieras ce présent, ce sont des pur-sang arabes issus de la meilleure lignée qui soit. Vous pouvez laisser la charrette ici lorsque vous aurez terminé, nous la récupérerons plus tard.
- Eh bien...!, lui répondis-je, confus, tu transmettras mes respects à l’Eminence Bardoso, et nos remerciements.
Le jeune homme redescendit la colline à pied, entra dans la cité, et les portes se refermèrent derrière lui, ces portes qui cachaient encore tant de mystères.
C’était tout à fait incroyable, je n’avais jamais vu de chevaux pareils et il me les offrait ainsi ! Nous levions la toile sur la remorque de la charrette pour en examiner le contenu. Ce fut un soir de fête, Bardoso nous avait gaté. Il y avait toutes sortes de poissons, des viandes diverses, mais aussi de la nourriture que nous ne connaissions pas, mais finement apprêtée.
On alluma les feux pour une grande grillade. L’éminence n’avait pas oublié d’enjoindre une série de vins tout à fait délicats, dont on ne s’en privait pas. Les chevaux étaient si grandioses, que je n’avais pu résister à la tentation d’en essayer un tout de suite. Il était foudroyant. Ces bêtes dépassaient d’une tête nos traditionnels chevaux Aplins. Leur poil était court et pour ainsi dire, policé. Ils développaient une vivacité et une force dont les nôtres en étaient incapables. Après quelques galops, leur sueur faisait reluire leur pelage et on devinait alors tous les mouvements de leurs muscles sous le cuir. Noirs comme l’encre qu’utilise Barnabé, ils avaient également un port de grands seigneurs. Ces chevaux semblaient même savoir qu’ils étaient les meilleurs. Leurs manières orgueilleuses, voire capricieuses, trahissaient la pureté d’une race de vainqueurs. Nous avions les meilleurs chevaux de la région d’où nous venions, mais cette race les ridiculisait tous. C’était en tout cas un fameux présent.
Dès la nuit tombée, Rome s’illumina à nouveau, et les cloches retentirent un peu après. Alors, tous les habitants de la Grande Ville se rendirent dans ces basiliques prier leur Dieu crucifié. Alors que nous étions repus et un peu alcoolisés, une impression de communion dans l’apothéose d’une découverte de premier plan conférait à notre groupe une sorte d’union sacrée. Entre nous, plus aucune division depuis que je tenais l’épée magique. Même Paskale, champion des clans de Maurice, qui fit partie du tournoi pour décider du commandement de l’expédition, ne semblait plus porter aucun doute sur mon rôle de chef. Je combattis Paskale dans des duels amicaux sans jamais perdre, et à vrai dire, il était difficile de savoir s’il était supérieur ou non à Rino, ils avaient d’ailleurs joutés plusieurs fois ensemble et le vainqueur alternait sans cesse, avec toutefois un léger avantage pour Paskale ; quant à moi, je rencontrais autant de talent chez l’un que chez l’autre, bien que Paskale se montrait nettement plus flamboyant que Rino. Durant le trajet de l’aller, je voyais que Paskale avait du mal à accepter son rôle de subalterne, se permettant même à l’occasion de contester ouvertement certaines de mes décisions. Mais depuis ce matin, alors qu’il avait lui aussi essayé de saisir Renaissance sans y parvenir, toutes sortes de résistances à mon autorité semblaient s’être évaporées. Il était un puissant guerrier, et si de plus, je pouvais en faire un véritable ami, alors quel ami !
De nuit, sous la grande croix et à la clarté de la lune, nous avions même fait une course avec chacun des purs-sangs de l’Eminence. Rino, Patrick, Paskale et moi-même, côte à côte au grand galop par devant Rome,... des souvenirs inoubliables.
Terminant la soirée tous ensemble, finissant les bouteilles du bon vieux Bardoso, on admirait la ville en contrebas. Et nous eûmes à ce moment vraiment l’impression que tout commencerait avec nous, comme l’avait dit Paul, le souverain de la ville. Le nom de mon épée, notre petite armée de champions qui avaient réussi l’impossible épopée, c’était comme si notre groupe constituait le centre et le début de tout ce qui allait advenir. Voilà une éternité que personne n’avait pris la peine de s’unir comme nous l’avions fait pour réussir pareil périple. Il nous fallait une petite armée rapide et efficace, et nous avions formé la meilleure qui soit. En fin de compte, nous réussissions ce que tous croyaient impossible et suicidaire. Après quelques discutions, Patrick eut une idée que tout le monde approuva. Sa théorie était que maintenant, ce soit l’an zéro. Personne ne s’y retrouvait avec les dates. On disait : je suis né en l’an 20 de mon père..., mais pour s’y retrouver lorsqu’il y avait plusieurs personnes, ce n’était pas évident. Patrick Fabian a dit qu’en ce jour, nous vivions le premier jour de l’an zéro, et que nous tâcherons de faire comprendre ça dans nos vallées !
En effet, il fallait que tous comprennent qu’ensemble, nous pourrions vaincre le Chaos et créer un nouveau monde. Nous avions réussi l’impossible, pourquoi ne pourrions nous pas réussir plus encore ? Le Seigneur Paul semblait y croire, lui, et même m’encourager dans cette voie. Et comme il l’avait si bien deviné, mon rêve le plus fou était bien de prendre Rome, cette ville, à mes pieds, dont je voyais les lumières s’étendre infiniment dans ces rues superbes. Si je pouvais prendre Rome, ce serai là l’ultime bataille, car si j’avais cette ville, j’avais le monde. A l’époque, c’était encore de la musique d’un avenir lointain, et cette idée était vertigineuse. Quoi qu’il en advienne, si je triomphais un jour des romains, je m’étais juré de traiter dignement ce peuple courtois et bienveillant.
Enfin, cette nuit-là, ne parvenant pas à dormir, je montais sur un des purs-sangs noir que m’avait offert Bardoso, pour vaquer le long de la Grande Ville. Je lui fis mes adieux tout en sachant que j’y reviendrai.
Nous quittions le lieu légendaire à la première heure, le lendemain, 2ème jour de l’an zéro. Les toits d’or des palais de Rome étincelaient sous les rayons obliques du soleil naissant. Ce fut la dernière image, éblouissante, que j’eus de la Grande Ville.
Dans l’après-midi, nous rencontrions un petit groupe de parias pas bien méchants, mais je fus tout heureux de pouvoir essayer Renaissance sur un adversaire humain. Je la sortis de mon fourreau tandis que la quinzaine de pauvres hères se terraient dans un creux du terrain. La lame se mit à crépiter et en resserrant mon emprise, je la fis grandir jusqu’à atteindre les individus. Ils voyaient les étincelles crépiter et en étaient terrorisés. Alors d’un coup, je fis une rotation et la lame passa d’un trait à travers chacun d’eux.
Stupeur ! Après avoir été traversés par Renaissance, il n’y avait pas une goutte de sang. Je descendis de ma monture pour me rendre compte de ce nouveau phénomène. Les parias étaient tous tombés à terre, mais ils n’étaient nullement blessés, ils n’étaient même pas morts, simplement évanouis ! Cette lame, capable de pourfendre un rocher, avait traversé ces hommes de part en part sans les blesser. Je desserrais l’étreinte de ma main autour du pommeau afin que la lame reprenne des proportions normales. J’enfonçais alors l’épée dans le coeur d’un des hommes à terre. Bon sang, j’avais beau lui triturer les boyaux, c’était comme si la lame passait, mais sans rien provoquer. Je la ressortis du corps, il n’avait pas la moindre cicatrice, et l’individu n’était pas plus mort qu’avant.
Face à ce prodige, j’ordonnais alors à mes hommes de les tuer et d’en garder un pour voir le temps que dure l’évanouissement.
A peine avais-je fini de donner cet ordre que Renaissance me provoqua un grand malaise. Je regardais l’épée et la force bleue avait entouré ma main. J’étais prit de secousses convulsives et je dû lâcher l’épée. La force bleue s’éteignit et j’essayais de ressaisir mon arme à terre. Peine perdue, elle était intouchable sous peine de dures souffrances. Je pensais alors à ce que m’avait dit le seigneur Paul. Renaissance obéit à certains préceptes de base du Dieu romain, et j’avais reçu ces secousses juste après avoir demandé à mes hommes de liquider les parias. J’annulais alors mon ordre et demandais de ne tuer personne. Je me penchais, approchais ma main de Renaissance, la saisi, et elle me reconnut. Je pouvais à nouveau la tenir.
Il ne fallait donc pas tuer les parias, ce devait être une de leur règle. En fait, cette règle existe aussi chez nous, sauf pour se défendre, car à cause de la malédiction, nous ne pouvions pas les attaquer pour les exterminer. Nous laissions donc là ces parias et poursuivions notre route.
C’était tout à fait étrange, Renaissance était comme vivante. Elle entendait mes ordres en acceptant ou refusant. En l’occurrence, elle m’avait bien fait comprendre qu’on ne touche pas aux parias ! Comme l’avait dit Paul, cette épée était en train de m’éduquer...
Le lendemain, nous repérions des brigands qui s’enfuirent lorsqu’ils estimèrent nos forces. Nous les prenions en chasse, et cette fois-ci, j’avais bien l’intention de faire grand usage de mon épée. Une soixantaine de brigands de grand chemin, de voleurs de bétail et de chevaux, de pilleurs et de tueurs. Cette fois-ci, j’allais pouvoir les découper correctement !
Crois le si tu veux Barnabé, la même histoire qu’avec les parias se reproduisit : Renaissance passait à travers ces individus sans les trancher, et tous perdaient connaissance. Alors j’eus un doute. Je me suis dis que Renaissance était peut-être tout simplement incapable de trancher de la chair ! Pour vérifier, je donnais le même ordre à mes guerriers, de tous les tuer. Mais tout s’est répété de la même manière. Je dû lâcher l’épée jusqu’à ce que je retire mon ordre.
Le message était clair: L’épée n’était pas incapable de trancher la chair, mais elle n’acceptait pas de tuer.
J’en avais évanoui une bonne douzaine, et les autres criminels avaient été appréhendés par mes hommes. Ces malfaiteurs disposaient eux aussi de montures. Nous décidions alors de les prendre avec nous, désarmés, attachés et bien entourés.
Je me demandais alors si Renaissance n’était pas un cadeau empoisonné. Si je donnais l’ordre de tuer, elle ne m’acceptait plus. Lorsque nous avions poursuivit les brigands, mes hommes en tuèrent quelques uns dans le feu de l’action. Mais une fois qu’ils furent prisonniers, il n’était plus possible de les égorger ! Dans de telles conditions, je commençais à me demander si je ne devrais pas purement et simplement me débarrasser de cette épée. Une arme qui refuse de tuer ne peut-être qu’un cadeau empoisonné... Cependant, je décidais de la garder comme preuve, jusqu’à notre retour chez nous.
Nous n’eûmes pas beaucoup d’affrontements les jours qui suivirent, juste quelques provocations de la part de certaines localités. Par contre, le 12ème jour de l’an zéro, nous nous retrouvâmes face à face avec les forces de Spézia. Cette fois-ci, ils n’avaient pas attendus pour nous prendre en chasse. Ils furent sans nul doute informés de notre passage, et établirent une sorte d’immense ligne de front devant nous. Une cavalerie d’au moins cinq cent hommes, en ligne, bouchant l’horizon, ils ne bougeaient pas. Je ne savais pas s’ils comptaient attaquer où tout simplement ne pas nous laisser pénétrer sur leur territoire. Dans ce cas, une négociation pouvait certainement avoir lieu.
Je m’avançais seul, sur Arabe. C’était le nom que j’avais donné au meilleur de mes chevaux noir. Le jeune homme qui m’apporta ces bêtes parlait de purs-sangs arabes. Je comprenais les mots purs et sang, mais je ne saisissais pas ce que signifiait le mot « arabe ». Ce devait certainement être quelque chose de très bien puisque ces chevaux étaient magnifiques. J’avais donc décidé de donner ce nom à l’une de mes montures.
La négociation fut très courte. Bartoloméo, le chef de Spézia, accepta mes conditions. Je lui demandais un combat entre moi seul et ses dix meilleurs guerriers ensemble. Si je triomphais, Bartoloméo s’engageait à nous laisser passer notre chemin. Si je perdais, il y aurait affrontement. La bataille fut réglée en un instant : Les dix hommes formèrent un cercle autour de moi, boucliers et épées au poing, mais lorsqu’ils furent assez avancé, je sortis Rennaissance, qui les évanouis tous en une seule rotation. Les guerriers tombèrent comme des masses de leur monture et ce phénomène fit grand effet sur le seigneur de la ville. Il ordonna le regroupement de sa cavalerie et je lui confiais les brigands que nous avions capturés. Il fut sommé de les juger et nous laissions ces bandits entre leurs mains. Ils seraient certainement tous tués le jour même, mais au moins, l’ordre n’émanait pas de moi.
En définitive, le voyage du retour fut relativement calme. Nous fûmes attaqués à plusieurs reprises, mais soit nous avions la possibilité de fuir, soit l’adversaire se retrouvait suffisamment effrayé par Renaissance pour abréger les combats. Nous perdions tout de même une vingtaine d’hommes dans des affrontements. Par contre, un bataillon entier d’une cinquantaine de guerriers disparut d’un seul coup dans une coulée de terrain, juste avant d’atteindre Aoste. Ce fut tout de même plus d’une centaine de nos champions qui arrivèrent à bon port, dans la ville alpine italophone.
Nous passions la nuit à Aoste, et tous les habitants écoutaient avec avidité le récit de nos aventures. Une vingtaine de champions des clans italophone étaient encore vivants. Vinniacci, ainsi que tous les autres chefs de clans voulurent venir avec nous pour une grande rencontre à Tourbillon, avec tous les chefs des clans valaisois. Le lendemain, nous arrivâmes à Bâtia avec la délégation d’Aoste et de ses villages. On envoya des messagers aux quatre coins de la vallée pour une grande rencontre le surlendemain à Tourbillon. La vallée était en effervescence, on ne parlait plus que de nous. C’était le 26ème jour de l’an zéro.
A peine arrivé, je retrouvais toute ma famille déjà installée à Tourbillon en prévision de la fête à venir. Après 3 lunes d’absence, j’eu le plaisir de voir que Sabrine avait prit quelques rondeurs et que sa grossesse se poursuivait sans encombres. Victorio me sauta au cou, tandis qu’Aurore me fit un joli câlin. Mais lorsque je vis père, à peine m’eut-il félicité que je demandais :
Rufus ?
Mon père fit « non » de la tête. Je m’enquis alors de ses dernières paroles pour les conserver en mémoire, mais Armadé me répondit qu’il n’était pas mort à Nendar, qu’il ne l’avait pas vu dans ses derniers moments.
Il est parti mourir seul hors du clan comme une bête et tu l’as laissé faire ?, m’emportais-je.
Léopold, calme toi, maître Rufus est mort à Rome, et a été enterré auprès des siens…
??? Je ne comprenais plus rien, comment avait-il pu aller à Rome dans son état, et d’ailleurs, comment mon père connaissait-il le nom de la ville de la légende avant même notre retour ?
Rufus était à l’agonie, expliqua mon père, c’était un soir, 66 jours après votre départ. Nous pressentions qu’il ne passerait pas la nuit, alors je décidais de le veiller pour que le maître ne meure point seul. Vers le milieu de la nuit, nous eûmes une sorte d’apparition. Un vieil homme, tout de blanc vêtu, entra dans la chambre, et dès que Rufus le vit, il se tourna pour tomber du lit, puis s’accrocha à moi pour se mettre à genou. Lorsque le vieil homme en blanc fut proche de nous, le maître lui saisi la main, embrassa sa bague, puis il dit : « Tu n’es pas Jérôme III, le pontife qui nous a reçu, moi et Marco ? ». Alors l’homme donna son identité : « Non, Sa Sainteté Jérôme III est morte, je suis Paul XII son successeur. Maître Rufus, ton disciple Léopold est actuellement en train d’attendre sur un banc de la place Saint Pierre à Rome. Je vais le recevoir en audience dans quelques minutes, et si tu le souhaites, je peux t’emmener dans la basilique pour assister à notre rencontre. Tu pourras voir et entendre ton protégé depuis un balcon, mais il ne devra ni te voir ni t’entendre, veux-tu ? »
Maître Rufus laissa une larme perler sur sa joue, et hocha la tête pour donner son accord. Alors le dénommé Paul XII poursuivit :
Ensuite, tu pourras mourir dans notre Sainte ville éternelle, et être enterré auprès de ta femme et de ton fils aîné. Ton second fils et ta fille sont toujours en vie, tout comme tes petits-enfants et arrières petits-enfants que tu n’as point connu. Ils demeurent tous à Rome et connaissent l’histoire de l’illustre ancêtre que tu es. Ils t’attendent et veilleront sur toi lors de ton trépas. »
Rufus semblait alors complètement égaré, confus, et demanda comment cela se pouvait-il ? Le pontife répondit qu’après son bannissement de la ville de Pari et la mise en esclavage de toute sa famille, les romains enlevèrent les siens pour leur donner une demeure et une vie digne dans la Grande Ville. La famille du maître resta reconnaissante à Rufus pour son exploit leur vie durant, et ils prièrent tous les jours pour ce père et ce mari qu’ils n’avaient que peu connu, mais qui leur avait permis de vivre dans la ville légendaire. Alors Rufus remercia en bredouillant et arriva à articuler : « Merci Seigneur, emmène-moi maintenant auprès de mon disciple dans la basilique et auprès de ma descendance à Rome. Armadé, aide Léopold, dis-lui la joie et la fierté que j’ai eu à éduquer un si brillant guerrier, adieu. » A peine Rufus eu fini de parler que les deux hommes disparurent de ma vue, d’un seul coup, et je me retrouvais seul dans la chambre, … c’est tout.
Ainsi, maître Rufus était présent dans la basilique lorsque le Grand souverain m’accorda sa confiance ! Je pense que Rufus en fut très heureux, non seulement pour moi, mais aussi de pouvoir mourir auprès des siens pour être enseveli avec les membres de sa famille, j’étais soulagé.
Restait bien sûr des inconnues : Comment faisaient les romains pour se déplacer si vite ? Père me disait qu’aucune machine volante ne s’était posée dans le village lorsque Paul XII arriva, et que les vigiles n’avaient ni ouvert les portes du clan ni celles de la citadelle. Le pontife était apparût, et avait disparût avec Rufus…, pour réapparaître quelques instants plus tard dans la basilique alors que je mangeais un repas sur la grande place ? C’était juste impossible, mais que signifiait le mot impossible pour cette civilisation ?
Je ne perdais toutefois pas trop de temps à chercher des explications que je ne trouverais de toutes façons pas, et me joignis rapidement à la grande réunion qui rassemblait tous les chefs valaisois et péninsulaires à Tourbillon. Les jours après notre arrivée furent ponctués de nombreuses fêtes et réjouissances, durant lesquelles nombres de valaisois purent connaître les récits de nos aventures, tandis que les chefs s’informèrent de la suite du programme, si toutefois il y avait un programme. Les 103 champions qui avaient survécu à notre expédition participaient évidemment aux discutions.
Armadé avait bien senti que le moment était propice pour pousser l’union encore beaucoup plus loin, car tous étaient fascinés par notre aventure et Rome. Pour la première fois, ils comprenaient la grandeur du monde, et que le Chaos était partout, sauf là-bas, dans la Grande Ville. Et puis il y avait l’épée, Renaissance, qui fascinait les foules. Mes hommes étaient respectés comme des héros, ils avaient fait que la Grande Ville n’était plus une légende mais la réalité. Moi, j’étais celui qui en apportait la preuve avec Renaissance. Là-dessus, je décidais de profiter de notre nouvelle popularité pour en appeler à une sorte d’union guerrière qui marcherait sur le Grand Chaos, comme l’avait prévu le seigneur Paul. Vu les divisions qui régnaient dans le monde, si nous étions unis, nous pourrions vaincre tour à tour chaque marché et clan qui se trouveraient sur notre passage.
Les discutions commencèrent sur la manière, le commandement, ainsi que la taille des troupes que les clans voudraient bien céder, mais je coupais court à de tels débats. Le principal était que les divisions entre nos clans s’estompent pour un projet plus immense, mais prématuré. Je proposais d’organiser de grands tournois inters-clans de toute la vallée, ainsi qu’avec les clans d’Aoste et de Domo, pour mettre sur pied une première armée d’élite d’un millier d’hommes.
Il est vrai que j’avais eu le temps de penser un peu à tout cela durant notre voyage de retour. J’avais déjà ainsi une petite idée de la composition de cette armée que je désirais voir naître. Une troupe d’élite de 1’000 hommes ne représentait même pas 4 hommes par clan. D’aucuns protestèrent déjà, désirant joindre une force plus importante.
Armadé soutint ma position. Il concéda qu’il valait mieux préparer une troupe de réserve particulièrement entraînée dans des combats de groupe ou d’espionnage. Raison pour laquelle leur entraînement prendrait plus de temps. Durant ce temps, les clans auront tout loisir de discuter des troupes qu’ils mettront à disposition. Armadé fit remarquer que cet effort commun devrait être récompensé, et que cette nouvelle armée, quelle que soit sa taille finale, ne devrait jamais oublier ses origines. D’autre part, il nota que les marchés et les clans devaient revoir complètement leur politique de défense. Car si nos territoires étaient privés d’une partie de leurs guerriers, il était impératif de s’unir non seulement pour la constitution de cette armée de conquête, mais également pour redistribuer les forces militaires à l’intérieur de nos régions. Pour tout cela, il valait mieux se concentrer sur une légère force d’élite, et ainsi, les clans auraient le temps de réaménager le reste.
Le mot fut lancé, chaque clan de Maurice à Brilg, et de Bâtia à Aoste commencèrent par envoyer à Tourbillon leurs 10 meilleurs guerriers. Armadé avait instauré des règles aux tournois. « Pour être de bons soldats, les guerriers doivent êtres capables d’obéir à certaines règles », disait-il. Après de longues épreuves, je sélectionnais, avec l’aide de père, ceux qui font partie maintenant de ma garde d’élite. Les 103 champions qui avaient vus Rome et qui remarquaient la constitution de cette unité étaient enthousiasmés. Cette petite armée ne devait toutefois que servir de réserve. C’était une des règles stratégiques d’Armadé : Toujours garder une force importante sans que l’ennemi en ait conscience. Elle ne devait intervenir que si l’armée régulière faiblissait sur un flan, était taillée en brèche, ou autres mésaventures. Pour cela, il fallait que nos réservistes soient d’une grande efficacité. Si chacun avait toujours un point faible, cela voulait dire que nous en aurions aussi. Cette unité avait pour but de renforcer le point faible, où qu’il soit, et au moment où il se présentera. Cela impliquait un effet de surprise, une grande mobilité, et un maniement de toutes les armes de jets ou de combat. Et il est vrai que sur toute la population valaisoise et des vallées du sud des Alpes, cette unité regroupait les meilleurs guerriers de l’arc Alpin. Ils étaient tous capables de se battre contre plusieurs guerriers moyens à la fois. Ce bataillon devenait tout à fait redoutable.
Cependant, moi aussi, j’étais devenu redoutable et redouté de tous, et pas à cause de ma puissance ni de ma taille, ou de la réussite d’avoir mené à bien cette épopée, mais grâce à Renaissance. J’avais été très partagé à l’idée de garder l’épée. Elle m’avait secoué à plusieurs reprises durant lesquelles je n’avais plus pu la tenir avant d’avoir annulé mes ordres. L’épée limitait donc mon pouvoir de décision, mais elle me conférait une aura que même le champion du monde n’aurait pas discuté. J’étais le seul à pouvoir la tenir en main. Ni mon père, ni mon fils, ni aucun chef ne pouvait la saisir. C’était comme si l’épée reconnaissait son maître et personne d’autre. Tant que Renaissance me reconnaissait comme le maître, personne ne pouvait contester cet état de fait. Dans l’inconscient de tous, j’étais devenu LE grand chef des Alpes, et personne ne songea plus à discuter de cela. Ce fut Armadé qui me conjura de garder cette épée vivante et d’obéir à ses lois. Je préférais être respecté pour ma puissance et mon ingéniosité, mais ce fut Renaissance qui me rendit intouchable.
Depuis mon arrivée, je n’habitais pour ainsi dire plus à Nendar car nous avions établi un camp d’entraînement en plaine, entre Conté et Tourbillon. La centaine de champions revenus de Rome, qui était certainement encore meilleurs que ce bataillon d’élite, s’occupait activement de leur entraînement. Quant à moi, j’entrepris de grands voyages à travers les Alpes en essayant à chaque fois de gagner un maximum de guerriers à notre cause, mais en imposant tout de même un minimum. Armadé ne m’accompagnait pas, car il passait beaucoup de temps avec ma centaine de champions. Tous ceux qui avaient vus Rome étaient destinés à commander des troupes, et père les entraînait aux implications stratégiques du combat. Tandis qu’eux, entraînaient mes guerriers d’élite à obéir et à se battre.
Plus tard, environ 6 lunes après notre retour, les grands mouvements des chefs commencèrent à travers tout l’arc alpin. Armadé présidait les assemblées de chefs et il réinventa la politique régionale. Les enlèvements de femmes furent déclarés hors la loi. C’était une règle que Renaissance m’avait apprise. Cependant, pour père, cela découlait d’une réflexion simple : Pour protéger tous les territoires avec un nombre restreint de soldats, il fallait être uni. Et l’union impliquait l’abandon de nos attitudes les plus propices à faire éclater des conflits internes. Donc plus d’enlèvements, plus d’annexion de territoires, plus de vol de sources ou de canalisations d’irrigation. Dorénavant, tout se réglera diplomatiquement entre les clans alpins. Une telle politique fut acceptée par presque tous les clans, mais le gros problème résidait en l’élection du chef. En effet, si l’arc alpin s’unissait, il fallait une unité de commandement. Ce fut une sorte de problème insoluble. Jusqu’à ce jour, chaque chef avait une autorité presque totale sur son clan. Cependant, que deviendraient-ils si un pouvoir supérieur pouvait leur signifier des décisions contestées. Merlandin, le chef du marché de Sièrs, eut alors une idée à laquelle tous adhérèrent : Il proposa la constitution de ministères. Chaque chef continuerait à régner sur son propre clan, mais chacun d’eux devait nommer un négociateur à Tourbillon. Le ministère de ces négociateurs serait de préserver les intérêts de la région Alpine et de leur propre clan. Si des décisions importantes devaient être prises, les négociateurs voteraient et la majorité valait commandement pour tous. Les chefs avaient obligation de respecter ce genre de décision. A vrai dire, c’était une idée tout à fait révolutionnaire. Les chefs avaient toujours été des champions, et voilà que tout à coup, ils pouvaient imposer des négociateurs qui n’avaient à priori remportés aucun tournoi. Cette proposition fit un peu peur à certains, car cela allait contre nos anciennes lois, mais finalement, je pense que la majorité des chefs furent plutôt satisfaite de pouvoir choisir eux-mêmes leur négociateur. De plus, il fallait que ces attachés ministériels soient en permanence à Tourbillon, cela pour une plus grande efficacité et rapidité dans les situations urgentes.
Plus le temps passait, et plus je pressentais que le souverain Paul avait raison : Nous pouvions vaincre le Chaos ! Dans les limites des frontières régionales, nous étions en train de remplacer le Chaos par une organisation formidable. Je participais aux palabres des chefs, et voyais mes forces militaires s’amplifier et s’organiser. C’était extraordinaire ! Nous n’étions plus des valaisois, mais en intégrant les clans d’Aoste et de Domodosolia, nous devenions simplement les « alpins ». Le peuple alpin, voilà comment nous nous désignions nous-mêmes dans les discussions : Le peuple alpin est capable de cela, le peuple alpin serait d’accord d’une telle proposition, le peuple alpin n’acceptera jamais ceci, etc. Ce n’était plus ni les aostiens, ni les Mauriciens ou les Bâtiastres, c’était tout simplement le peuple alpin...
Mon fils aîné, Victorio, qui avait maintenant passé 5 ans, venait souvent voir nos entraînements. Il sentait que quelque chose se préparait et savait que son père en serait le chef. Je le pris donc avec moi pour vivre dans le camp, et le laissait libre des plombs, malgré la tradition qui voulait que chaque jeune porte les plombs jusqu’à 14 ans. Je restais ainsi fidèle à l’enseignement de Maître Rufus, et c’est une véritable torture d’exercices en tous genre que je faisais subir à Victorio, les mêmes que je dus subir moi-même.
Petit à petit, des troupes entières venaient se mettre sous le commandement de mes 103 champions. La population alpine pouvait compter peut-être 140’000 individus, et nous réussîmes à fédérer presque 20’000 guerriers sans toutefois trop affaiblir les clans.
Il est clair qu’avec de telles troupes massées en plaine, les clans alentours ne tarderaient pas à souffrir de la faim, car ils devaient nous nourrir. Cependant, avant d’aller battre campagne, il fallait sécuriser complètement le territoire. Chacun de mes 103 champions commandait un régiment d’environ 200 hommes. Nous répartîmes des secteurs à chaque régiment et nous nous promettions de nettoyer toute la racaille qui sévissait dans nos contrées. Les parias m’avaient attaqué lorsque je m’entraînais seul avec Rufus, c’est pourquoi j’avais pu les tuer. Cependant, lorsqu’ils se trouvaient face à un adversaire plus puissant, ils ne prenaient pas le risque de l’attaque, et sans attaque de leur part, ils n’avaient en général rien à craindre, à cause de la malédiction. Renaissance m’avait aussi appris qu’il était interdit de tuer qui que ce soit de sang froid. L’armée reçu donc la mission de capturer tous ceux qui se trouvaient hors clans : brigands, parias et autres indésirables. Pour les loger, j’avais fait construire un immense mur à l’entrée des gorges de Borgnes. Nous appelions ce lieu « le trou ». Tous les bandits furent mis au trou, sans aucun espoir de pouvoir en sortir. Il y avait des postes de surveillance dans les falaises au dessus du trou, ainsi qu’un grand poste d’observation au sommet de la muraille qui barrait l’accès aux gorges. De là, nous leur lancions chaque jour quelques nourritures.
Malgré les protestations des clans, j’avais ordonné qu’on les nourrisse, et il en fut ainsi. Même si la nourriture n’était pas de la première fraîcheur, ils avaient au moins à manger et nous n’avions pas tué !
Il fallut 8 lunes pour sécuriser totalement le territoire alpin. Nos défenses les plus massives étaient positionnées à Maurice pour ne laisser personne prendre la vallée. Des hommes étaient disposés aux abords de tous les cols débouchant sur notre vallée. A Aoste et Domodosolia, la coalition des clans leur permettait une surveillance totale des contreforts sud des Alpes. Tout était donc en place, et la région assez sûre pour que n’importe quelle femme puisse voyager sans grand risque. Un peu partout, on voyait des gens s’entraider pour améliorer routes et autres voies de communication entre clans et marchés. Toute la population commençait maintenant à comprendre pourquoi nous appelions notre civilisation “Grand Chaos”. Mais pour en arriver là, il fallut l’histoire de la Grande Ville et surtout Renaissance comme preuve quasi vivante de la véracité de tous nos dires.
Le 120ème jour de l’an 2, la totalité de mes forces armées étaient prêtes au départ. L’armée était constituée de la sorte : Les lieutenants dirigeaient chacun une vingtaine d’hommes. Dans un régiment d’environ 200 hommes, il y avait une dizaine de lieutenants qui obéissaient à un commandant. Les commandants étaient les champions qui avaient déjà réalisés « l’épopée ». Il y avait 98 commandants, car j’avais gardé 5 champions pour diriger des divisions de plus de 4’000 hommes. J’avais confié ce poste aux champions qui avaient spécialement brillé lors de notre ancienne expédition à Rome et qui m’avaient apporté entière satisfaction : Rino, Paskale, Patrick, Marcello le vieux loup, et le jeune Sérafino qui entrait à peine dans sa 20ème année et qui essayait chaque jour de se surpasser pour toujours montrer le meilleur de lui-même. Les 98 commandants étaient donc sous les ordres de mes 5 généraux.
Quant à moi, je dirigeais les stratégies des 5 divisions et établissais les plans avec mon état major restreint, composé des 5 généraux ; ou de mon état major élargi qui comprenait mes 103 champions. Par contre, l’unité d’élite des milles meilleurs hommes des Alpes n’était sous le commandement d’aucun général. Seul moi pouvais dicter leurs actions. Ils devaient rester en retrait, n’intervenant qu’en cas de force majeure. Durant deux ans, les lieutenants, commandants, généraux et moi-même avions appris à communiquer sans nous entendre ni nous voir. Père avait créé une sorte de langage militaire au moyen duquel nous pouvions donner des ordres à des bataillons invisibles car trop éloignés. Il s’agissait d’une communication à l’aide de flèches flamboyantes. Les flèches étaient allumées à l’alcool, et tirées de manière à ce que leur nombre représente l’ordre donné. Il y avait ainsi une douzaine de manoeuvres stratégiques que nous pouvions comprendre et faire exécuter sans nous voir.
L’unité d’élite des mille était un bataillon entièrement monté, et leurs chevaux avaient été sélectionnés. Pour les 20’000 autres guerriers, nous disposions d’environ 5’400 montures. Chacune des 5 divisions de 4’000 hommes pouvaient compter sur plus de mille guerriers montés. Nous avions également à remorquer une vingtaine de catapultes, et des charrettes chargées de tonneaux d’alcool.
Tous massés à Maurice, nous nous apprêtions à envahir le monde !
Aucun autre marché ne se doutait que nous allions entreprendre une conquête pareille. Nous pouvions donc espérer bénéficier d’un effet de surprise. Nos frontières alpines étaient restées étanches depuis notre arrivée. Personne n’était entré et personne n’était sortit de la vallée, même les marchands. Le secret de la Grande Ville avait été jalousement gardé. Nous nous chargions nous même d’aller chercher le sel et autres nécessités au marché de Monty, qui se trouve proche du lac de Lémano. En plus de l’effet de surprise, nous pouvions compter sur notre écrasante supériorité numérique face à des clans aussi divisés. Et même s’ils étaient capables de créer des alliances éclairs, leur désorganisation les perdrait.
Le doute de la victoire n’était donc pas permis face au monde tel qu’il se présentait à nous. Cependant, je n’imaginais à aucun instant me présenter devant Rome avec une armée pareille. Nous pouvions mettre Spézia ou Tourini à feu et à sang, mais pour Rome, il me faudrait infiniment plus de forces que ces 5 divisions. Armadé pensait pouvoir palier à ce problème et c’est son enseignement que moi-même ainsi que tous mes lieutenants, commandants et généraux, avions choisi d’adopter. Il se résumait à ceci :
L’heure n’était plus aux négociations avec d’autres chefs, mais à l’imposition. En toutes situations, il fallait arriver à démontrer la domination écrasante de notre puissance pour obtenir une reddition totale et si possible, sans combat. Nous n’étions pas en conquête de territoires, mais en conquête de guerriers. Le but n’était pas de montrer une hostilité terrible et une soif de sang, mais justement essayer de gagner les chefs à notre cause en leur promettant que le jour venu, Rome saurait être reconnaissante de leur soutient. Le but ultime et avoué était bien la conquête de la Grande Ville. Ainsi, au lieu de laisser la dévastation derrière nous, notre armée laisserait un message d’espoir dans cette longue nuit ténébreuse où était plongée l’humanité du Chaos.
Nous sortîmes enfin de notre vallée.
Nous connaissions déjà un bon bout de la région du lac de Lémano, et notre premier échauffement sera contre le marché de Monty. En milieu de matinée, le gros de notre cavalerie encerclait déjà la ville. Les régiments à pieds ne tardèrent pas non plus, quant à l’unité des mille, comme nous l’avions appelée, elle devait être encore dans la vallée. Nous ne la voyons pas, elle fermait la marche pour n’apparaître qu’en cas d’alerte.
Une bonne heure durant, nous encerclions Monty et je restais à savourer pleinement cette nouvelle vie de voyages et de conquêtes. Qu’il était plaisant de les voir s’agiter derrière leur enceinte !
Alors que les troupes à pied commençaient à arriver, des guerriers de Monty entrouvrirent la porte de la ville. Une ambassade de deux hommes en sortit, pour parlementer. Je tirais mon épée du fourreau et en serrait le pommeau. Elle s’agrandit d’une quinzaine de pas, et traversa de part en part un des ambassadeurs, qui s’écroula de son cheval. Puis, je m’adressais au guerrier encore en état :
- « Je ne suis pas venu avec une armée pareille pour négocier ! Va dire à ton chef que nous n’avons pas de mauvaises intentions. Dis lui que nous avons découvert la Grande Ville de la Légende et que j’ai besoin de guerriers pour la conquérir. C’est d’ailleurs le seigneur de la Grande Ville qui m’a offert cette épée. Si ton chef coopère sans conditions, je saurai m’en souvenir. Cas contraire, nous brûlerons la ville car comme tu vois, nous disposons de catapultes à cet effet. Et tu peux ramasser ton ami, il n’est pas mort et se réveillera dans trois heures. Tu vois que mes intentions ne sont pas hostiles. »
L’ambassadeur s’en retourna dans la ville et il ne se passa pas longtemps avant qu’on nous ouvre les portes. Une division complète de quatre mille hommes investit la ville en se bornant à sécuriser les rues. Je fus reçu par leur chef, et lui expliquais ainsi notre aventure et notre manoeuvre actuelle. Puis, j’exigeais qu’il participe à notre effort de guerre en mettant à ma disposition un contingent de guerriers. Ses guerriers se rassemblèrent au dehors de la ville et je pris la parole face à tous pour qu’ils comprennent l’enjeu de notre campagne. Après quoi, je demandais que les jeunes guerriers ambitieux et souhaitant se joindre volontairement à une telle aventure s’avancent. Je jouais bien sûr de grandes démonstrations avec Renaissance pour ajouter crédit à mes dires. A mon étonnement, je m’aperçu qu’il y avait suffisamment de volontaires pour que je n’ai pas besoin de les choisir de force. Et un guerrier motivé vaut souvent plus qu’un champion démotivé...
Je prenais alors la tête de deux divisions et m’engageais dans le val qui grimpe au sud de Monty. De nombreux clans vivaient dans ce val, mais contre une force pareille, ces clans préféraient la discussion à l’affrontement. Car en cas de résistance, il ne pouvait qu’y avoir affrontement au corps à corps. Nous étions décidés à incendier tous les clans rebelles, et en cas d’incendie, ils n’avaient d’autres choix que de sortir pour se battre hors enceintes. Ils n’étaient pas de taille à affronter un combat rangé contre de telles troupes, et j’invitais bien gentiment les chefs et les guerriers volontaires ou forcés à nous suivre. Lorsque j’arrivais à Monty avec les chefs des clans du val, je leur imposais une nouvelle politique ayant pour modèle celle de notre vallée. Sécuriser le territoire, enfermer les nuisibles, arrêter les kidnappings, ouvrir de nouvelles routes et collaborer, échanger plus intensément entre les clans. J’expliquais alors aux chefs comment vivent aujourd’hui les habitants de notre région et les exhortais d’en faire autant. Le lendemain, je quittais la région avec 1’500 guerriers et 400 chevaux de plus, tous répartis dans les 5 différentes divisions. Mes commandants se chargeaient d’enthousiasmer les nouveaux en étant proche d’eux pour leur expliquer notre épopée légendaire et leur donner plus de détails sur cette ville mythique. De plus, en les dispersant dans différentes divisions, nous avions peu de risque de rébellion.
Nous prenions ainsi tous les clans et marchés jusqu’au bord du lac de Lémano. Villenouvelle céda sans combattre. Un peu plus loin, il y avait un grand marché entre montagne et lac, perché sur un promontoire, très bien situé et protégé. Il s’agissait de la ville de Montrey, fière et puissante. Ils nous voyaient arriver de loin, et c’était une véritable marrée guerrière que j’avais derrière moi. Ils firent mine de ne pas en être intimidés et refusèrent la reddition. Pour brûler une ville comme Montrey, il fallait plus que quelques flèches.
Les flèches étaient plutôt une distraction pendant que nous hissions les catapultes sous le feu de l’ennemi. Cependant, lorsque les catapultes furent en place, la victoire était évidente. Nous avions une grosse réserve de munitions. Il s’agissait en fait de balles en tissus rembourrées de pierres et qui trempaient dans de l’alcool distillé jusqu’à la plus grande pureté. Nous placions alors les balles dans le creuset des catapultes, les enflammions, et elles volaient sur la ville. Lorsqu’elles touchaient, elles éclataient et le feu jaillissait en toutes directions.
Quand la ville fut en flammes, nous n’eûmes plus qu’à cueillir les habitants au sortir des portes. Nous avions subis quelques pertes lors de ce premier affrontement, mais la victoire était complète. Il ne resta bientôt de Montrey, puissant marché de plus de douze mille habitants, qu’un tas de cendres fumantes. Toute la population mâle, du plus petit bébé jusqu’aux plus vieux individus, fut faite prisonnière. Je laissais les femmes se réfugier dans les clans qui jusqu’alors les kidnappaient. Quant aux mâles, je pensais les offrir comme esclaves aux prochaines villes qui nous fourniront des montures. Ainsi, il n’y eu pas de massacres, à peine quelques centaines de morts, tués par les flèches où le feu. Renaissance n’avait pas bronché dans ma main durant tout le combat. Je pouvais donc tuer en guerroyant, mais pas exécuter les prisonniers : Une nouvelle loi de la guerre bien sympathique pour les perdants !
La stratégie du brûlis devait nous faire gagner beaucoup de temps. Nous n’essayions pas de conquérir les marchés et les clans, mais nous cherchions des collaborations. Dans le Chaos, les collaborations n’avaient jamais été au goût du jour. Lors d’affrontements, il était relativement rare que les belligérants incendient des villes entières. Ils préféraient les soumettre. Cependant, cette méthode impliquait plus de morts dans nos rangs en essayant de pénétrer la cité. La technique de l’incendie fut donc adoptée pour gagner du temps et faire comprendre qu’aucune négociation n’était envisageable. Ils avaient le choix entre une reddition totale sans conditions, ou voir leur clan détruit et éparpillé. Dans la tête du chef, son affabilité était inverse à sa puissance. Moins il était puissant plus il était affable, plus il était puissant et plus il tentait de négocier des conditions, voire se montrer carrément agressif.
C’est ce qu’il se passa un peu plus loin. Veuvé était le marché suivant. Il se situait aussi au bord du lac, et devait compter un peu moins de quinze mille habitants. Cependant, nous avions perdus trois jours à installer notre matériel, brûler et faire prisonnier le clan de Montrey. Pendant ce temps, j’avais mandé mon unité des mille au devant de nous au lieu de fermer la marche. J’envoyais 15 petites escouades d’une vingtaine de guerriers en reconnaissance le long du lac, sur sol non encore soumis. L’incendie de Montrey se voyait de partout, et il n’était pas exclut que les marchés suivants tentent de s’organiser. Je préférais m’éviter des surprises et ces escouades discrètes étaient tout indiquées pour ce genre de mission.
Ainsi, en quittant Montrey encore fumante, je n’eus pas à regretter d’avoir fait espionner Veuvé et ses clans. Mes hommes m’apprirent qu’après avoir pris conscience que notre armée s’avançait aux abords du lac, de grands mouvements étaient perceptibles entre ce marché, celui de Lozalne, et leurs clans affiliés. En fin de compte, de grands mouvements de troupes avaient eu lieu en direction des villages, avant-postes et ville de Veuvé. Il semblait que Lozalne ait envoyé de grands renforts, ainsi que de nombreux autres clans de la région lémanique. Tous nous attendaient aux alentours de Veuvé pour nous barrer le chemin de leurs marchés.
Cette information fut d’une importance capitale pour la suite de la campagne. Dans ces conditions, je ne devais pas prendre Veuvé qui avait reçu des renforts de partout, mais Lozalne d’abord. Cependant, il fallait que tous ces guerriers voient mon armée arriver sur eux ! Sinon, ils modifieraient leurs positions. Je donnais donc l’ordre à Rino de prendre le commandement des 5 divisions pendant que j’irai conquérir Lozalne avec mon unité des mille. Il était important que cela se fasse rapidement, que même leurs espions postés un peu partout n’aient pas le temps de faire déplacer les troupes ennemies. De toute façon, lorsqu’ils verront l’armée entière s’avancer vers eux, ils ne se soucieront pas d’un millier de cavaliers sans matériel lourd contre une ville telle que Lozalne.
Rino devait guider les manoeuvres pour que ses divisions tenaillent l’adversaire tout en restant hors de portée, et sans lancer les hostilités, un simple positionnement qui occuperait suffisamment l’ennemi. Durant la manoeuvre de l’armée, je partais au galop avec mon unité d’élite. Nous passions derrière le relief au dessus du lac, de sorte que les clans de la côte soient assez éloignés. Les villages que nous croisions dans l’arrière pays ne bronchaient pas contre une force de mille hommes montés. Puis, lorsque nous passions la ligne de front qui se dessinait aux alentours de Veuvé, nous regagnions les bords du lac. Ils pouvaient donner l’alarme, c’était maintenant égal, nous serions dans Lozalne avant qu’ils n’aient compris ce qui se passe. Après trois bonnes heures de galop, nous arrivions face à la ville : Un grand marché avec une belle enceinte. Mais ils avaient aussi quelques postes avancés dont le peu de guerriers qui restaient se promettaient de ne pas nous laisser arriver jusqu’aux portes du marché. Il ne faisait aucun doute que l’unité des mille arriverait jusqu’à la muraille, mais c’était le moment le plus dangereux pour moi. Si j’étais abattu, mes hommes se retrouveraient coincés entre la ville et les postes de garde. Je leur fis signe de ne pas s’arrêter et nous poursuivions notre galop. Renaissance serrée en main, elle pointait à une trentaine de pas de haut. Les guerriers furent suffisamment interloqués par le prodige pour ne pas réaliser tout de suite que nous étions en pleine course au milieu de leurs défenses. Mais un instant plus tard, ils commencèrent le tir et plusieurs dizaines d’entre nous périrent ainsi.
Alors que nous approchions de la ville, je donnais l’ordre de tirer sur les guerriers en poste sur la muraille. Quant à moi, je serrais mon épée si fort qu’elle était plus grande que je ne l’avais jamais vue. Lorsque je fus à portée de l’entrée, je tranchais le portail d’un coup, ainsi qu’une partie de la muraille qui l’entourait. La lame traversa tout ce qui se trouva à sa portée, tout un pan de la face de l’enceinte s’écroula, et mes hommes s’engouffrèrent dans ce trou béant. Les ordres étaient très clairs : Une cinquantaine d’hommes garderaient ce passage pour ne pas laisser pénétrer les guerriers hors murs. Tous les autres s’occuperaient de maîtriser le peu de guerriers qui restaient dans la ville, tandis que je prenais une trentaine d’hommes pour investir le “palais” du seigneur de la cité. Dans les enceintes, il restait moins de mille guerriers et nous n’eûmes aucune difficulté à leur imposer la reddition, sous peine d’incendier toute la ville de l’intérieur.
Blancart, le chef de Lozalne, était parti sur le front à Veuvé avec ses troupes. Il restait néanmoins le conseil des anciens ainsi que son porte-parole. Le porte-parole était un fidèle, choisis par le chef, censé le remplacer lors de ses absences et parler pour lui. Je lui ordonnais donc d’aller aviser le seigneur Blancart que mes troupes avaient pris le contrôle de son marché, et de convoquer tous les chefs de clans qui s’étaient réunis sur la ligne de front. Comme de coutume, je promettais que je n’avais aucune mauvaise intention s’ils étaient capables d’envisager une collaboration dans la reddition.
Le soir tombait déjà lorsque Blancart, le chef de Veuvé, celui de Nio, et une cinquantaine de chefs d’autres clans arrivèrent dans la ville. Nous les attendions dans la grande salle de la citadelle. A nouveau, je déclamais le récit de notre aventure ainsi que l’objectif de notre campagne. Renaissance fit grand effet, mais il était difficile de dire si ces chefs acceptaient leur reddition pour participer à nos conquêtes, ou s’ils le faisaient par peur de la destruction de leur clan. Sans doute un peu les deux.
Ce n’est que le lendemain que toutes les armées furent réunies autour de Lozalne. A nouveau, nous nous adressions à tous les guerriers de ces clans et marchés. Une partie d’entre eux furent volontaires, mais ils n’étaient pas suffisants. Mes commandants choisirent alors une série d’hommes supplémentaires. Tous ces clans soumis d’un même coup nous apportèrent presque 8’000 guerriers de plus. Il fallut trois jours pour reformer les bataillons et imposer de nouvelles règles de conduite aux clans du lac. De plus, je décidais de laisser une garnison d’environ 2’000 guerriers à l’emplacement de l’ancienne ville de Montrey. Ils furent chargés de faire respecter nos lois. Après quoi, notre armée reprit sa route en longeant les rives du lac.
Les villages sur notre passage ne nous créèrent aucune difficulté. Cependant, nous allions arriver par devant la ville de Génévia, l’une des plus grandes villes du nord des Alpes à ma connaissance. Sa population était la même que celle des grandes cités de la Péninsule comme Tourini ou Milani. Les habitants de Génévia avaient de plus la réputation d’être fiers et arrogants. Je m’attendais à un combat, mais il n’en fut rien. Les portes de la ville étaient déjà ouvertes à notre arrivée. Aucune résistance ni animosité, ils avaient choisis de laisser leur ville continuer à vivre ! Génévia et ses clans dépendants m’apportèrent 5’000 guerriers de plus. Depuis notre départ de Maurice, mon armée avait maintenant doublé. Nous passâmes donc deux semaines entières dans la ville du bout du lac pour réorganiser les contingents, les bataillons et régiments. Les 5 divisions de 4’000 hommes passèrent à 8 divisions de 5’000. En gage de reconnaissance de son accueil, je donnais à Barriar, seigneur de Génévia, autorité pour faire respecter nos lois, ainsi qu’une force de 1’000 guerriers pour sécuriser le territoire. J’exigeais bien sûr une coopération avec les marchés voisins, mais c’était à lui de gouverner selon nos nouveaux préceptes.
A ce stade, je pouvais déjà me permettre de diviser mon armée en deux pour progresser sur plusieurs fronts. Cependant j’y renonçais. La raison était qu’il n’y avait qu’une seule Renaissance. L’épée exerçait un tel pouvoir de fascination sur les guerriers qui la voyaient, que je gage qu’elle en avait motivé plus d’un à se porter volontaire. Elle représentait une promesse, l’échantillon de quelque chose d’inimaginable, une idée de la Grande Ville. Renaissance n’était qu’une petite pièce qui sortait de Rome, et notre but n’était pas de nous contenter de l’échantillon, mais de gagner le gros lot ! Les hommes étaient donc motivés, ils savaient qu’en restant avec nous, ils verraient Rome. Depuis ce jour, je décidais de ne recruter dans mon armée que des volontaires. D’autre part, mon unité des mille ne comptait plus que 830 guerriers, car nous avions subit des pertes lors de la prise de Lozalne. Pas seulement lorsque nous traversions leurs lignes, mais également lors de combats dispersés en ville. J’avais demandé aux différents lieutenants de mettre à ma disposition les 5 meilleurs hommes de leur bataillon pour un grand tournoi. Les 170 meilleurs guerriers intégrèrent l’unité spéciale qui devint à nouveau l’unité des mille.
Je dirais qu’une armée bien organisée de 5’000 hommes peut venir à bout d’une ville de 20’000 habitants. Le plus simple étant d’incendier la ville. Même si la cité faisait alors sortir tous ses hommes pour un combat hors murs, je doutais fort qu’ils aient des forces suffisamment organisées pour affronter 5’000 guerriers bien structurés. J’avais presque 40’000 guerriers, c’est vous dire que nous étions dès lors invincibles par n’importe quelle coalition. L’itinéraire décidé fut donc de contourner le lac de Lémano par le sud. Ceci, pour prendre les clans et marchés que nous avions vu sur la rive d’en face lors de notre avancée. Ils avaient vus l’incendie de Montrey, quelques espions étaient sûrement venus voir de quoi il s’agissait, et mes espions virent qu’il n’était pas exclu qu’ils aient fait alliance pour tenter de nous barrer la route. Mes escouades avaient remarqué beaucoup de mouvements entre ces clans. Cependant, il s’agissait plutôt d’activités diplomatiques. Les chefs semblaient se réunir souvent, mais aucun mouvement de troupes. Ils apprirent certainement que nous avions épargné Lozalne in-extremis car ils avaient tenté de nous nuire, et que nous avions récompensé Génévia pour sa collaboration. Peut-être avaient-ils choisis d’adopter une attitude prudente à notre égard. Mais si je choisissais cet itinéraire, c’était aussi pour des raisons stratégiques. Les marchés du sud du lac pouvaient bien s’allier, je ne les considérais pas directement comme une menace. Leur territoire, coincé entre la montagne et le lac, ne comptait pas de marchés très importants, et ils ne pouvaient pas s’attendre à des appuis considérables. Par contre, au nord du Lac, les clans de l’arrière pays étaient nombreux. De clans en clans, de marchés en marchés, les bruits de notre campagne s’entendraient jusqu’au puissant marché de Berm, qui se situe juste au nord de notre vallée alpine.
Dans l’arrière pays, il y avait suffisamment de forces armées, qui, si elles étaient capables de s’allier, pouvaient encore nous poser des difficultés. Je prévoyais donc de soumettre les clans du sud du lac, puis, faire mine d’en rester là, rentrer à Maurice avec tous mes hommes. Une fois dans notre vallée, nous serions à l’abri des espions. Pour cela, nous rendons grâce aux montagnes qui sont nos véritables murailles. Les clans du nord penseront peut-être que nous nous en tiendrons aux abords du lac. Ils avaient certainement dû apprendre que notre but était la Grande Ville, et peut-être imagineraient-ils que nous descendrions au sud des Alpes par un de nos cols. Mais justement pas, il me fallait le maximum de forces pour avoir une petite chance contre Rome, et j’attaquerais Berm en passant par le col de Sanetch. On leur tomberait dessus à rebours. De toute façon, une alliance éclair ne résiste pas s’il n’y a plus d’ennemi en face. C’est ce que je devais leur laisser penser.
Cependant, lorsque je regardais la marée guerrière aux alentours de la ville de Génévia, je savais au fond de moi que le monde m’appartenait. Le monde, oui, mais pas Rome.
Juste avant de quitter la ville du bout du lac, un fait nouveau survint. Au début, ce n’était que rumeurs et questionnements ; puis, les espions de Barriar, seigneur de la ville, donnèrent la nouvelle : - Marco Fallacio et toute son armée venait de pénétrer sur le territoire de Génévia, ses forces étaient à deux heures de marche de la ville ! Barriar ordonna immédiatement la fermeture des portes et le triplement des archets sur les murailles. Il m’enjoignit de prendre la tête de mes troupes afin de terrasser l’adversaire aux portes de la ville.
Barriar pensait que des marchés du nord avaient payé Marco Fallacio pour venir semer le désordre dans notre armée. Son raisonnement était logique, puisque le Seigneur Marco et ses mercenaires ne faisaient que des guerres contre payement. Toutefois, de mon point de vue, il n’en était pas ainsi. J’imaginais volontiers que la légende vivante de la guerre ne se déplaçait ici que par pure curiosité et…, amitié. Barriar n’était pas de cet avis, et si je souhaitais qu’il laisse ses portes ouvertes, il me conjura de faire entrer dans la ville le plus grand nombre de mes hommes, afin de le terrasser intra-muros si ses intentions étaient la guerre. J’acceptais pour la forme, et une division entière de 5'000 hommes pénétra dans la ville, sans compter mon unité des milles.
Quelques instants plus tard, la ville plongea dans un grand silence. Le roi des guerres venait de passer les enceintes par la porte principale, suivit de son armée. Le peuple s’était massé aux abords de la rue principale, qui menait droit à la citadelle où j’attendais le maître avec le seigneur Barriar à mes côtés. Le souvenir de mon enfance remonta dans mon esprit, c’était exactement la même chose : Un silence de mort que seul fendait le claquement des sabots sur le pavé, le cliquetis des armes, une foule de gens mettant genou à terre sur son passage…, j’avais déjà vécu ça, mais aujourd’hui je n’étais plus un gosse, j’étais devenu ce que Marco avait voulut que je devienne en m’envoyant Rufus : Un chef de guerre.
Marco Fallacio, toujours entouré d’une carapace d’or, s’approcha de nous, et stoppa sa monture à une dizaine de pas pour mettre pied à terre. Il s’avança droit vers moi en m’apostrophant de la sorte :
Salut gamin ! A ce que je vois, tu as bien progressé depuis notre dernière rencontre. Maître Rufus a bien fait son œuvre.
Maître Rufus n’est plus, … il est mort il y a environ deux ans, répondis-je.
Marco resta un moment sans dire un mot. Cette nouvelle l’avait saisit, il ne versa pas une larme, mais visiblement, il était troublé. La gorge un peu serrée, il rajouta :
Ainsi, nous sommes aujourd’hui des frères ! Nous avons eu le même Maître…, paix à son âme.
Puis, il se ressaisit et me demanda :
Fais voir l’épée ! Grâce à Rufus, c’est aujourd’hui ton épée, mais elle aurait pu être la mienne il y a plus de 50 ans, lorsque je rencontrais le pontife de Rome, allez, laisse moi l’essayer !
Je lui indiquais qu’il ne pourrait pas la tenir, mais il insista : « Donne, je veux la tenir juste un instant, c’est sentimental, il faut que je la touche un peu ! »
Je lui tendis Renaissance, et la force bleutée entoura toute sa main. Il devait certainement souffrir car je voyais le bas de son visage grimacer un peu au dessous de son casque. Mais il la serra quand même dans sa main, Renaissance s’agrandit, et il coupa net une fontaine de pierre qui se trouvait à proximité. Après quoi, il me rendit l’épée, et respira bruyamment lorsqu’il la lâcha enfin « c’est beau mais putain, ça fait un mal de chien ! », lâcha-t-il.
Là-dessus, il me mit une gifle si violente que j’en perdis presque l’équilibre !
ça, c’est pour ton comportement face à la ville de Lozalne, commenta-t-il.
Je m’énervais un peu, en lui rappelant que la victoire sur lozalne fut totale et sans bavure. Je ne comprenais pas ce qu’il pouvait me reprocher dans cette histoire, mais il s’énerva encore plus que moi en éructant :
Quand on a reçu la confiance du Pontife de la ville éternelle, on ne met pas sa vie en danger de pareille manière ! Galoper comme un gamin sans protection sous les flèches ennemies c’est de l’inconscience ! Personne d’autre que toi ne peut porter cette épée, tu es devenu trop important pour prendre ce genre de risques. Si tu veux vraiment continuer à découper des murailles, la moindre des choses sera de te munir d’une armure pour ces occasions ! Si tu meurs, que se passera-t-il ?
Eh ben j’en sais rien, je ne me pose pas la question, tous les guerriers meurent, et alors ?
Alors le Chaos continuera espèce d’idiot ! Et tu ne peux pas mourir avant d’avoir vaincu le Chaos. Allez, maintenant que ce détail est au point, je t’offre mes 78 mercenaires, ils seront ta garde, tes yeux, tes oreilles et ton bouclier. Chacun connaît exactement sa mission, ils sont comme un corps, composé de plusieurs membres, mais ils agissent dans une complémentarité parfaite ! Quant à moi, je vais reprendre en main ton unité d’élite, l’unité des mille à ce que j’ai cru comprendre, j’en ferai aussi un vrai corps de combat !
Marco avait dit ça comme une évidence, comme si c’était lui qui commandait, mais je savais de quelle capacité de structuration des forces il était capable. Marco à la tête des mille ferait de cette unité une puissance époustouflante. Ses 78 guerriers comme garde personnelle avaient tous juré de ne pas me laisser mourir tant que l’un d’eux était encore en vie. Après cette démonstration d’autorité, quelque chose d’inouï se produisit : Marco Fallacio, le Seigneur des seigneurs, mit genou à terre devant moi, et rajouta : « Seigneur Léopold, acceptes-tu de me prendre, moi et mes hommes, à ton service ? Je te jure obéissance et loyauté jusqu’à mon dernier souffle de vie ».
Tous ses hommes étaient également descendus de leur monture et avaient mis genou à terre en même temps que leur illustre Maître. J’étais gêné, mais j’acceptais néanmoins son offre.
Dorénavant, tous les clans devront savoir qu’ils n’auraient pas simplement à lutter contre ma gigantesque armée, mais aussi contre une légende de la guerre, le Seigneur Marco Fallacio !
Nous quittâmes Génévia, et les clans et marchés du sud du lac nous accueillirent convenablement. Et c’est là, après le marché de Tonnon et avant celui d’Evian, alors que nous avancions entre montagne et lac, qu’un homme surgit d’un creux du rocher devant moi. A première vue, un lascar bien insignifiant physiquement. Une demi portion comme je l’avais jaugé au premier abord. Il portait une espèce de tunique en bure attachée à la taille par un cordon, un peu dans le style de Maître Rufus. Maigrichon, les cheveux hirsutes, affublé d’une sorte de barbichette, il m’informa qu’il connaissait l’art des signes de l’ancien monde.
C’est ainsi que toi, Barnabé, mon fidèle scribe, tu m’apparus en tombant pour ainsi dire sur ma route. Je croyais à un paria perdu, mais non, tu étais venu exprès du marché d’Annemasse, comme tu dis. Barnabé habitait un petit clan à côté du marché d’Annemasse, une ville non encore soumise, sise à l’ouest de Génévia. Lorsqu’il eu vent de notre entreprise et du but de notre campagne, il vint se mettre à la disposition de l’homme qui tient l’épée de feu. Il m’expliqua que dans son clan, quelques hommes ont appris cette technique des signes, l’écriture... La rédaction par écrit des paroles prend un certain temps, cependant, je pris goût d’avoir un scribe ! Ce fut une excellente idée que de venir te mettre à mon service Barnabé. Ainsi, tu fus aux premières loges pour voir la naissance de ce nouveau monde.
C’était tout de même étonnant qu’il connaisse les secrets des signes, je dirai même… unique. En tout cas, je n’avais jamais vu quelqu’un capable de déchiffrer les signes. Et c’est flatteur de savoir que ma vie est certainement une des seules écrite (Barnabé me dit qu’il s’agit de biographie?). Enfin, il me fit profiter de sa science pour déchiffrer aussi d’antiques inscriptions et gravures qui ont résistées au Chaos. Il ne restait plus beaucoup d’inscriptions de l’ancien monde, toutefois, Barnabé m’informa que dans son village, depuis que les anciens avaient commencé à comprendre ces signes, il y a plus de 500 ans, ils ont conservés une série de plaques et autres gravures qui donnaient des indications sur l’antique humanité. Il pense que les livres à base de papier ont dû être brûlés un peu après le début du Grand Chaos, lorsque les hommes perdirent petit à petit l’art de lire. Devenus inutiles, les livres avaient certainement été utilisés pour allumer les foyers. Barnabé n’avait donc pas de grandes révélations à faire, mais il était sûr que l’ancien monde avait domestiqué le feu sous toutes ses formes. De plus, d’après mes descriptions de Rome, il pensait que cette société ne fut pas touchée par le Chaos, et qu’elle maîtrise toujours cette science. L’illumination nocturne sans source que j’ai vu dans la basilique et dans les rues en sont la preuve, ainsi que Renaissance. Barnabé pensait d’ailleurs que Rome ne fut pas prise par celui que les éminences nomment “Souverain Pontife”, mais que cette lignée régnait déjà certainement avant le Grand Chaos. En tout cas, ils en connaissaient un bout.
Quoiqu’il en soit, j’étais bien décidé à revoir le Pontife, mais dans des rôles inversés. Si je gagnais cet ultime combat, j’étais décidé à être clément avec ces gens. Cependant, ils devront tout de même admettre leur défaite !
Nous n’en étions cependant pas encore là. Les clans et marchés du sud du lac se soumirent tous, et j’eus droit à 5’000 volontaires de plus. Je laissais tout de même un contingent de mille hommes à Evian. Ces contingents n’étaient pas nécessairement assez puissants pour combattre une rébellion, mais un état major qui connaissait bien nos nouvelles règles et ambitions était chargé de les faire respecter aux autres chefs. Ces états major avaient donc un droit de supervision des assemblées de chefs. Ils étaient chargés d’améliorer les collaborations entre clans et marchés, la mise en place de nouvelles voies de communication, sécuriser le territoire, construire des prisons à la place d’échafauds, etc. L’unité de guerriers sous leurs ordres n’était qu’une force de dissuasion, mais je doutais beaucoup qu’après avoir vu mon armée, des clans puissent avoir l’outrecuidance de s’en prendre à mes garnisons de campagne.
Lorsque nous fûmes de retour dans notre vallée, je jugeais bon de faire halte pour former de nouveaux lieutenants, donner des promotions aux anciens, restructurer à nouveau mon armée. Il y eu cependant quelque chose que Marco fit immédiatement. Il transforma mon unité des mille en régiments de chaque fois une cinquantaine de combattants et en envoya quelques uns au nord du lac et de notre vallée, avec pour mission de rapporter tous les faits et gestes des armées des clans insoumis. Quelles alliances ils avaient fait, où étaient leurs troupes, tout !
Barnabé pensait en outre qu’il était urgent d’apprendre à d’autres l’art d’écrire ! Je m’y étais moi-même essayé quelques heures, mais cet apprentissage me fut insupportable. De plus, mes guerriers ne s’emballaient pas vraiment pour ce genre d’exercice mental. Pendant que mes commandants et généraux réorganisaient leurs régiments, je fis le trajet de Nendar avec Barnabé. Après cette brève campagne à succès répétés, j’étais totalement optimiste. Mais Marco, prudent, avait tout de même envoyé ses espions...
J’eus grand plaisir à retrouver ma famille et passer quelques moments avec eux. J’en profitais pour leur conter nos exploits. Victorio en était fasciné. Du haut de ses six ans, il me demanda de l’emmener à la guerre avec lui. Je refusais dans un premier temps, mais pensais par la suite qu’il n’y aurait pas de meilleur apprentissage que de nous voir à l’oeuvre. De plus, Barnabé me prit à partie pour m’expliquer que dans leur clan, lorsque les anciens prenaient des apprentis scribes, c’était toujours aux enfants qu’ils enseignaient cet art. D’après lui, les enfants avaient plus de facilité que les adultes pour cet apprentissage. Je devais encore étudier cette idée, car je voyais mal mon fils devenir une sorte de scribe-philosophe, mais plutôt un conquérant.
Je pu cependant profiter de la présence de Barnabé à Nendar pour lui montrer les pages de la brochure que mon frère et moi avions trouvé étant enfants, dans la fameuse mallette métallique. Il pu déchiffrer les caractères et ceci me réjouit. A part une certaine philosophie, le pontife avait été plutôt vague sur les causes du Chaos, mais j’avais l’impression que cette brochure allait nous indiquer plus clairement la situation. Et nous n’en fûmes pas déçus.
L’année de fabrication de ces écrits, 2’015, était indiquée selon l’ancien calendrier, qui ne nous était d’aucun secours. L’intérieur était toutefois nettement plus instructif, même si nous ne comprenions qu’à moitié. Il semble y avoir eu de grands bouleversements politiques dans une partie du monde. Il était notamment fait mention d’islamistes... Les images montraient des troupes de barbus qui paraissaient justement désignés comme étant les fameux islamistes en question. Ils auraient renversés les gouvernements d’une multitude de territoires. Il était indiqué que les islamistes s’étaient emparés du pouvoir dans plusieurs “pays”. Peu après eu lieu ce que la brochure interprétait comme étant le commencement de “l’apocalypse”. Ces islamistes, que la revue semble décrire comme étant des êtres plutôt agités, firent exploser ce qu’ils nommaient Washington, capitale des Etats-Unis, Bruxelles capitale de l’Europe, et Moscou capitale de la Russie. Les anciens nommaient cela des “bombes” qu’ils qualifiaient “d’atomiques”. Nous ne comprenions ni un terme ni un autre, mais c’est cette chose qui serait à l’origine de la destruction des villes-capitales de ces territoires. Une puissance de feu inouïe ! Pour mettre vraiment tout le monde à bout de nerf, la brochure indiquait également en dernier lieu que ces sacrés islamistes avaient informés les gouvernements occidentaux qu’ils avaient déjà dissimulé 18 autres “bombes atomiques” dans 18 autres villes. En cas de riposte occidentale, ils assuraient une destruction finale de ces 18 villes ! L’histoire s’arrête là. La brochure ne dit ni si les « occidentaux » ont riposté, ni si ces 18 villes ont par la suite été détruites, mais ça semblait plutôt mal parti. Un peuple, désigné comme les américains, voulaient une vengeance cinglante. C’est plutôt étonnant car les américains n’avaient pas été touchés par ces destructions. On y parlait de capitale des territoires dénommés Etats-Unis, Europe, et Russie, mais pas d’américains dans les parages !
Enfin, les américains étaient partisans d’atomiser tous les musulmans. Le commentaire disait même que de pouvoir disposer des territoires arabes sans arabes était une idée qui se discutait de plus en plus dans les cercles du pouvoir américain. Le “pétrole” sans les arabes ! On ne comprenait pas ce que signifiait le “pétrole”, mais les écritures en parlaient comme une source de motivation non négligeable pour les partisans d’une solution radicale. Du coup, si les « occidentaux » décidaient d’une riposte, ils s’exposaient à voir encore 18 de leurs cités pulvérisées par l’explosion de ce feu atomique...
Il était fait aussi mention de mouvements de panique chez les populations des nations occidentales. Des débuts de Chaos, des plans d’urgences, de lois martiales, et bien d’autres explications sophistiquées dont nous n’y entendions plus grand-chose. D’un côté, la brochure nous disait que c’était les islamistes qui avaient fait le coup, et ensuite, on nous annonçait que les occidentaux voulaient riposter, mais pas contre les islamistes en question, contre des musulmans ! Ou contre des arabes ?! Les occidentaux semblaient donc mal partis dans cette affaire, car ils se trompaient d’ennemi dans leur riposte... Ils étaient vraiment bizarre ces anciens. Si intelligents, et pourtant, ils ne semblaient plus savoir quelle était leur cible... Bref, c’était très intéressant mais assez tordu. En tout cas, leurs armes étaient d’une puissance défiant l’imaginaire. Trois explosions et on faisait mention de millions de morts… C’était prodigieux ! Ces hommes étaient vraiment tout puissant, savant comme des dieux, et ils ont fini par détruire leur civilisation pour la remplacer par le Grand Chaos...
Barnabé lut la brochure devant tous les anciens durant plusieurs heures, et toutes ces connaissances nouvelles donnèrent lieu à une semaine de discussion avec les conseils. Pour finir, on en tirait la conclusion que si ces hommes avaient été assez idiots pour laisser anéantir trois de leurs villes, et finalement riposter contre le mauvais ennemi, les islamistes étaient tranquilles pour finir leur boulot.
Il y avait également un récapitulatif des actions guerrières d’une organisation dénommée Al Quaida, que les anciens assimilaient à des terroristes.
Tout commençait en 1996 par l’explosion des tours dénommées World Trade Center, qu’ils semblent n’avoir finalement réussi à détruire qu’en 2’001. La brochure faisait la récapitulation des faits d’armes d’Al Quaida jusqu’en 2’015. Après de nombreuses attaques, dont nous ne comprenions rien, les membres islamistes de l’organisation renversèrent le gouvernement Egyptien. Ce fut le premier gouvernement à passer aux mains des Islamistes, en novembre 2’013. A la suite du territoire égyptien, les islamistes s’emparèrent du pouvoir au Pakistan, dans toute la péninsule Arabique, et dans de multiples territoires dont les noms inconnus ne nous étaient d’aucune utilité. Il semble qu’en moins de deux ans, au moins une douzaine de territoires soient passés dans les mains de ce mouvement belliqueux. Mais ces mots ne nous aidaient pas beaucoup. Ils étaient écris dans la même langue que la nôtre, mais leur vocabulaire était trop développé pour nous. Par exemple, sous l’année 2’012, il était fait mention d’une immense panique mondiale à la suite d’un bug informatique provoqué par un virus, développé par les islamistes. Ne comprenant pas les mots “bug” “informatique” et “virus”, nous pouvions bien imaginer qu’il y ait eu une attaque sérieuse, mais sans rien comprendre de sa nature. Lorsqu’on nous annonçait qu’Al Quaida avait pollué l’eau de la ville de Los Angeles, provoquant 58’000 morts, nous pouvions imaginer qu’ils avaient empoisonnés les puits. Ce genre d’informations était encore compréhensible, mais bien d’autres restaient obscures.
Au final, on se demandait bien quel rapport il pouvait y avoir entre “Al Quaida, les islamistes, les musulmans, et les arabes...” C’était peu clair, mais nous savions maintenant que l’homme était capable de détruire tout ce qu’il avait créé.
Suite à cette pause chez les miens, je décidais de prendre Victorio en campagne et laissais Sabrine avec Aurore et le petit Samuel, né juste après ma première épopée à Rome il y a deux ans, en leur promettant un nouveau retour victorieux.
Après 10 jours d’attente dans notre vallée, les escouades d’espions de Marco revinrent avec des nouvelles. Tous les chefs des marchés francophones jusqu’à Friborg étaient venus se renseigner sur notre compte auprès de Lozalne et Veuvé. Lorsqu’ils eurent compris notre objectif, ils se déclaraient prêt à nous offrir des troupes si je ne touchais pas à la souveraineté de leur territoire. Mais il n’en était pas question, nos nouvelles règles devaient s’appliquer partout, et les chefs garderaient autorité en dehors de nos préceptes. Dans le doute, les chefs francophones n’avaient pour l’instant rien envisagés, à part notre venue. Après discussion avec le seigneur de Lozalne, ils n’avaient même pas jugés bon de tenter une alliance. Ils capitulaient sans même savoir si nous passerions chez eux, et ils pensaient que cela leur donnaient droit à poser des conditions ! Par contre, il semblait que cela ne soit pas le cas plus loin, dans la région germanique qui se situe au nord. Ils avaient connaissance du retour de toute notre armée dans la vallée, et avaient formés des barrages à plusieurs endroits. Cette coalition éclair comprenait les grands marchés de Toune, de Berm, d’Interlak et d’une majorité de leurs clans affiliés. Le col de Sanetch ainsi que les autres passages étaient rudement bien protégés, et passer par là signifiait de grosses pertes pour nous.
Nous tînmes réunion avec mes 5 généraux ainsi que le nouveau chef de l’unité des mille, Marco Fallacio. D’après les espions, les germanophones avaient un grand nombre de guerriers montés. Comme s’ils avaient réquisitionnés tous les chevaux du paysage en prévision de la guerre. Cela signifiait également qu’ils seraient très mobiles.
Une évidence était qu’il fallait créer plusieurs fronts. Si nous arrivions tous par la route du lac de Lémano, ils avaient le temps de démobiliser les troupes gardant les cols pour venir résister massivement. Rino prit sur lui de diriger une division par le col de Sanetch pour les occuper suffisamment pendant que le gros des troupes attaquerait par l’ouest.
En fait, nous passâmes une bonne partie de la nuit pour arriver à la conclusion suivante : Je devais partir avec mes gardes ainsi qu’avec Marco Fallacio et son unité des mille, trois jours avant les troupes régulières. Il fallait être très rapide, et surtout le plus discret possible pour que l’adversaire ne comprenne pas la manoeuvre. Ou mieux, qu’il ne la voie pas. Les germanophones ne paraissaient pas très liés aux francophones. Il était donc probable qu’ils n’aient pas connaissance de tous les détails de notre attaque contre les villes lémaniques. Par contre, tous les marchés francophones du nord du lac connaissaient le récit de nos éclats.
Je devais attirer le maximum de guerriers montés des marchés de Bul, Gruère, Friborg. A peine une escale et que ceux qui veulent venir voir une vraie conquête me suivent ! Je saurai m’en montrer reconnaissant. Ensuite, il me fallait poursuivre au nord avec mon unité et tous les cavaliers que j’aurais pu récupérer au passage. Je voulais rentrer dans les défenses bermoises par le nord-est. Jamais ils ne se douteraient qu’on puisse attaquer par là, ce n’était géographiquement pas possible pour nous. Ces territoires devaient d’ailleurs être pratiquement vides de guerriers. C’est pourquoi nous devrions être rapides. Le surlendemain, 7 divisions entières, sous les ordres de Paskale et Patrik, environ 40’000 guerriers, entameraient un pas forcé en passant par le bord du lac de Lémano. Ils s’arrêteront aux frontières francophones pour ne pénétrer chez les germains que le lendemain à midi. Leurs espions auraient ainsi eu le temps de situer l’armée et remobiliser leurs troupes en fonction. Leur présence militaire aux frontières des cols en serait certainement diminuée. Rino passerait donc le col de Sanetch seulement le jour même de l’attaque, avec une seule division de 6’000 guerriers à pied. Quant à moi, je devais réitérer mon action de Lozalne sur la ville de Berm.
Nous étions tous conscient qu’il y avait une part de sacrifice dans cette stratégie. Si les germains avaient eu vent des moyens que nous avions utilisés pour prendre la ville de Lozalne, nous pouvions espérer qu’ils croient que c’était la division de Rino qui serait chargée de cela contre eux. Dans ce cas, Rino était conscient qu’il ne servait que d’une sorte de leurre. Cependant, lorsque l’armée régulière marchera sur territoire ennemi le jour dit à midi, Paskale commanderait la moitié des forces armées pour combattre l’adversaire de front.
Quant à Patrik, il prendrait le commandement de l’autre moitié des forces pour redescendre prêter main forte à la division de Rino, prenant ainsi l’adversaire resté vers le col de Sanetch à rebours.
Ainsi, tôt le lendemain, nous quittions Maurice avec mon unité d’élite. En quatre heures de trot, nous étions à Bul. Le chef du marché m’accueillit amicalement. Lorsqu’il vit l’épée, il sut immédiatement qui j’étais, et lorsqu’il vit Marco Fallacio, il mit genou à terre en nous promettant tout ce que nous voulions. Il voulut se mettre à bavarder de la Grande Ville, mais je ne lui en laissais pas le temps : « Des guerriers montés au plus vite pour renouveler l’exploit de Lozalne sur Berm, VITE ! », voilà tout ce que je lui demandais. Il fit passer le mot, des messagers furent envoyés dans les clans alentours et je passais ainsi quelque temps avec lui, lui expliquant notre ambition de prendre la Grande Ville ainsi que ce qu’elle contient. Au marché de Gruère et Friborg, nous reçûmes le même accueil, ainsi que les cavaliers demandés. Je leur indiquais que mon armée régulière passerait le lendemain sur leurs terres, et que s’ils souhaitaient lui venir en appui, ils en obtiendront ma sympathie. Nous dormions ainsi dans la ville de Friborg.
Le lendemain, l’aube se levait à peine lorsque nous passions devant la ville de Mora. La veille au soir, nous avions répartis des bataillons sous les ordres de Marco et des lieutenants de mon unité des mille. Nous avions en effet 4’000 cavaliers supplémentaires prêtés par les villes francophones du nord du lac de Lémano. D’après le chef de Friborg, la manoeuvre la plus sûre était de prendre nord-ouest jusqu’à une ville nommée Mora, francophone elle aussi. Ils avaient entendus parler de nous et n’attaqueraient pas. Je suivis ses conseils et entamais un énorme détour pour éviter de perdre des hommes en tentant de forcer les lignes ennemies. Nous passions donc rapidement devant le marché de Mora et forcions un peu l’allure. Ensuite, nous pouvions rester en territoire francophone en passant derrière le lac de Biène, dans un territoire nommé Jura. Enfin, nous passions au Nord du marché de Biène pour continuer plein est dans les territoires germaniques du nord de Berm. Ici, même si les gens avaient peut-être eu vent de notre existence, ce n’était que des rumeurs, et ils n’étaient pas préparés à faire face à une cavalerie pareille. Lorsque nous arrivions vers le marché de Soloturm, l’après-midi était déjà bien avancé. Nous redescendions au sud et dressions le campement avant la ville d’Affoltan. Il faisait nuit, et mes armées devaient déjà être massées sur les territoires de Friborg et ses clans, au sud-est de Berm.
Le lendemain, nous ne partîmes qu’au levé du soleil. Nous ne tarderions pas à entrer dans les territoires de l’alliance germanique. Nous lancerions notre assaut par le nord-est en même temps que l’armée au sud-ouest, ainsi que Rino qui devait s’apprêter à traverser le col de Sanetch, plein sud.
Mes prédictions s’avérèrent exactes : les territoires du nord et de l’est de Berm n’opposèrent aucune sorte de résistance, à part quelques tirs de l’intérieur des enceintes de clans ou postes avancés. A l’instant où nous pénétrions dans un territoire vraiment dangereux, Marco exigea que je m’équipe d’une armure correcte, ce qui signifiait un casque, un plastron cuirasse, et des cuissardes, ce que j’acceptais, surtout après sa gifle publique dans le marché de Génévia.
A partir du moment où nous entrâmes en territoire ennemi, nous foncions à vive allure avec un unique but : Prendre le contrôle de Berm. Nous ne prêtions pas attention aux villages que nous voyions, même s’ils étaient hostiles. Ils n’avaient de toute manière d’autre choix que d’essayer de nous nuire de l’intérieur de leurs murailles, ne pouvant pas supporter l’affrontement contre 5’000 hommes montés, car la plupart de leurs guerriers étaient sur d’autres fronts, face à nos armées régulières.
Nous atteignîmes la ville de Berm un peu avant midi. Personne n’avait rien vu venir, et à part les alarmes des cors, ils ne purent rien faire. Nous étions en plein galop, leurs armées n’avaient ni le temps de revenir, ni de réagir, elles étaient bien trop occupées contre les forces de Rino, Patrik et Paskale. J’arrivais ainsi devant la muraille de Berm, par l’est. Les guerriers s’étaient massés pour nous recevoir, et c’est des volées de flèches qui fendaient l’air. Mon travail était d’entailler la muraille avec Renaissance pour la faire s’écrouler. Mes hommes devaient ensuite prendre le contrôle de la ville.
Cependant, un peu avant de pouvoir atteindre la muraille, j’évitais de justesse qu’Arabe soit touché en interposant mon genou à une flèche. Je fus blessé à la jambe mais le cheval n’avait rien et continua à grand galop. A peine deux enjambées plus tard, une seconde flèche fondit sur nous, et cette fois, Arabe fut touché au cou. Nous nous écroulions ensemble. Il me fallait rapidement une monture pour trancher la muraille, car à pied, elle s’écroulerait sur moi. A ce moment, lorsque j’étais à terre, au moins six guerriers furent touchés en me protégeant, faisant office de boucliers humains jusqu’à ce que je sois à nouveau monté. Nous entamions alors un galop et je tranchais la muraille d’un trait. Les guerriers qui nous fléchaient des enceintes disparurent dans les décombres, et mes hommes s’engouffrèrent dans la cité, tandis que j’ordonnais qu’on m’emmène Hannibal, un des 4 purs-sangs noir que m’avait offert Bardoso. Une fois sur Hannibal, je rejoignis mon pauvre Arabe, à terre, blessé. C’était le meilleur, et ces maudits bermois me l’avaient blessé à mort, alors que moi-même venais de sacrifier mon mollet pour lui épargner un premier tir ! C’est avec Rennaissance que j’achevais Arabe, et ceci me peina profondément.
Entre temps, mes hommes sous le commandement de Marco Fallacio se battaient encore par endroits dans la ville, mais toute résistance semblait futile. Quant à moi, je refusais d’entrer dans cette cité. A vrai dire, j’étais furieux de la perte de mon cheval, et mon mollet me faisait souffrir. Je ne pouvais retirer la flèche et je dû la briser en attendant de recevoir des soins. J’ordonnais alors de brûler la ville, de laisser la population, et de reprendre le galop en direction de Toune. Il suffit d’à peine quelques instants pour que mes troupes incendient une partie des habitations du marché, et le vent se chargea de propager l’incendie à toute la ville.
Les armées sur la ligne de front voyaient maintenant les fumées monter de Berm, et tous savaient que c’en était fini du grand marché. Toute ma cavalerie fit alors route à grand train vers Toune. Les armées germanophone coalisées faisaient face contre deux fronts différents à l’ouest et au sud, tandis que Patrik menait une armée mobile d’au moins 20’000 hommes qui se déplaçait vers le sud à la rencontre de Rino afin de prendre à rebours les forces qui molestaient ses troupes, en mauvaise posture d’après le coursier qui venait d’arriver. Mais tout cela occupait suffisamment l’ennemi pour qu’il ne comprenne pas tout de suite qu’il y avait une quatrième armée à l’oeuvre, entièrement montée et très rapide. Du moment que nous arrivions face aux enceintes de Berm, et jusqu’à ce que nous quittions après avoir incendié la ville, il s’était passé moins d’une heure !
Les chevaux étaient luisants de sueur, et après une formidable performance, nous arrivions devant la muraille du marché de Toune. Cette fois, les ordres étaient différents, nous ne prenions pas le marché, nous nous contentions de le brûler et filer ensuite directement sur Interlak. J’eus moins de problèmes pour arriver jusqu’à la muraille : ni le cheval ni moi ne fûmes touchés, mon escadron de protection galopait entre moi et la muraille, boucliers levés pour parer les projectiles. Je tranchais à nouveau la muraille à l’endroit où étaient massés le plus de tireurs, et mes hommes pénétrèrent la ville pour y bouter le feu, tandis que je restais à l’extérieur, car ma blessure commençait à me faire souffrir durement. Nous mîmes encore moins de temps pour incendier Toune que Berm, et nos pertes furent moindres.
Sur le soir, nous atteignions Interlak, tandis que des nouvelles m’arrivaient de tous côtés. La coalition germanique avait éclaté lorsque les guerriers Bermois avaient vu les fumées sur leur marché. Ils reculèrent de la ligne de front, tandis que les guerriers des clans de Toune s’en retournaient défendre leur ville, de même que ceux d’Interlak. Mais lorsqu’ils virent les fumées de Berm depuis le front, il était trop tard, nous foncions déjà à vive allure vers Toune et arrivâmes avant leur armée régulière, poursuivie par des divisions entières sous le commandement de mes généraux. Toune fut ainsi brûlée avant l’arrivée de leur armée.
Par contre, cela n’était pas si évident pour Interlak. Les guerriers eurent le temps de se réfugier dans leur cité. Ils avaient cependant subit de lourdes pertes lors des combats sur le front, mais ils pouvaient nous poser problème si je n’arrivais pas à approcher de l’enceinte. Les seules fois où je me suis permis de trancher les enceintes à l’aide de Renaissance, c’était avec l’avantage de l’effet de surprise, lorsque personne ne nous attendait vraiment. Nous nous mîmes tout de même en marche pour Interlak, sachant que l’entreprise était nettement plus périlleuse ainsi. C’était d’ailleurs pour cette raison que nous avions préféré brûler la ville de Montrey à la catapulte, car nous jugions trop risqué de s’y approcher de si prêt lorsqu’elle disposait de toutes ses capacités militaires.
A Interlak, je retrouvais la division de Rino, durement touchée comme prévu et celle de Patrik, encore bien portante. Quant à Paskale, un messager m’informa qu’il avait fait un carnage ! Lorsque les guerriers de Berm firent marche arrière pour rejoindre leur marché d’où montaient les fumées de l’incendie, il bloqua leur retraite et les encerclèrent sans aucune possibilité de s’échapper. Paskale avait élaboré non pas une stratégie de guerre, mais de génocide total des guerriers bermois : Tandis que les catapultiers lançaient des balles enflammées au milieu des guerriers germanophones, nos forces les empêchaient de sortir du cercle que mon général avait formé. Tous ceux qui essayaient de fuir l’enfer du feu furent tués par les armes, et même ceux qui ne fuyaient pas furent fauchés par des assauts menés à l’intérieur de leurs lignes par la cavalerie accompagnée de Paskale en personne. D’après mon messager, malgré le drapeau blanc agité par le chef de Berm, mon général n’avait fait aucun prisonnier, il ne voulait que des morts !
J’étais contrarié, voire même un peu énervé de son comportement, c’était contraire à mes ordres ! D’un autre côté, c’était du Paskale tout craché, j’ai vu ce qu’il avait été capable de faire avec un bataillon de 50 guerriers contre 500 parias, et j’imaginais facilement les ravages qu’il pouvait provoquer à la tête de 20'000 hommes…
En attendant, le marché d’Interlak m’ouvrit les portes de la ville. Les soldats en sortirent et déposèrent leurs armes. Ils avaient vu le deuxième incendie et il flottait dans l’air une grisaille et une odeur de fumée de bois presque palpable.
Je souffrais de la blessure de cette flèche toujours plantée dans mon mollet, mais en même temps, qu’il était bon de souffrir ainsi ! La victoire était totale, éclatante ! Et même si nous avions perdus quelques milliers d’hommes, deux marchés avaient été anéantis, leur population vouée à l’esclavage, tandis que le troisième se rendait, tout simplement humilié et tremblant de peur. Certains cultivateurs parlent des plaisirs de l’accouplement avec une femme, mais c’est parce qu’ils n’ont jamais connu ça : Trois marchés vaincus en une seule journée ! Et lorsque tout cela est de ton oeuvre, je ne crois pas qu’une femme puisse y apporter grand-chose à pareille émotion.
Interlak se rendit sans condition et je fis preuve d’un zeste de laxisme sur la discipline que j’avais prévu à l’encontre des villes qui nous combattaient : Je laissais leur marché intact et leur peuple libre.
C’est à ce moment que Paskale, tout gaillard et flanqué d’un large sourire, passa la porte de la ville sur son cheval. Il chantait de bon cœur un refrain paillard dont les paroles avaient dû être inventées par ses soins pendant la route, qui disait en gros : « Un porc et son goret au bout de ma laisse, leurs deux bâtards au sommet de ma lance, c’est Paskale le dur à cuir, qui va les faire bouillir, faire bouilliiiir, pour le souper des chiens… ». Ces paroles étaient immédiatement compréhensibles lorsqu’on observait son bagage : Dans une main, il tenait deux lances posées sur son épaule, et au sommet de chaque lance était empalée la tête d’un jeune homme. De son autre main, il tirait une chaîne au bout de laquelle deux autres types suivaient en trottinant péniblement derrière son cheval, les chaînes autour du cou ! Paskale, visiblement d’excellente humeur, ruisselant du sang encore chaud de ses vaincus, s’exclama, jovial : « Mission accomplie chef ! Je n’ai perdu que 200 hommes, un vrai triomphe ! »
Où sont les prisonniers ? Lui demandais-je, inquisiteur.
Là, derrière moi. Voici Sa Majesté Martin Schmidt, le seigneur de Berm, et son fils cadet ! Ses deux autres fils se sont suicidés sans qu’on puisse les en empêcher, alors je les ai empalé au sommet de mes lances, voilà donc toute la famille !
Suicidé ??? M’énervais-je.
Ouais, et ce putain de seigneur Bermois a faillit y réussir lui aussi. Lorsqu’il a vu qu’il allait être fait prisonnier, ce lâche a retourné son épée contre lui, mais j’ai réussi à lui décocher une flèche dans le bras. Il a lâché l’épée, et le voilà en vie pour te servir, chef !
Rien ne semblait pouvoir ébranler la félicité de Paskale, on sentait que ça avait été sa journée, et qu’il y avait prit grand plaisir, alors j’éclatais :
Et depuis quand on massacre des troupes qui ont levé drapeau blanc bordel de merde ???
Paskale parut contrarié par mon ingratitude à la suite de sa victoire, et après un instant de réflexion, il rajouta l’air pensif :
Ben à vrai dire chef, leur drapeau n’était pas vraiment blanc…, je le trouvais plutôt brun clair, ou alors gris clair, … grisâtre quoi, en tout cas pas très blanc, et je me suis sans doute dit qu’il devait s’agir d’un signal entre eux…
Il se tourna vers un de ses lieutenants et lança : « Hein dit Jérémia qu’il était pas très blanc leur drapeau ? ». Jérémia, gêné, regardait Paskale et moi-même en alternance, sans trop savoir quoi répondre, avant de lâcher un judicieux compromis « … disons gris-blanc, … environ… »
… Que répondre à ça ? Mon général était un excellent guerrier, un très bon stratège, mais ma foi, Paskale restait Paskale, c’était la fureur, le feu et le sang en même temps, un genre de type qu’il vaut mieux avoir avec soi que contre soi. Je le réprimandais quand même en menaçant que si un génocide pareil se reproduisait, il perdrait son grade, et cette simple menace sembla faire son effet. Il avait de plus un petit cadeau pour se faire pardonner du génocide des guerriers bermois : Tout le peuple de Berm, vieillards, femmes et enfants (tous ceux qui s’enfuirent de la ville en flammes), attendait au dehors des murs d’Interlak, prisonnier de ses troupes. Il l’avait trouvé qui errait par les champs.
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Je passais l’éponge encore une fois sur les extravagances guerrières de mon général terrible car je le comprenais si bien, …et, il faut bien l’avouer, l’enviais un peu, … beaucoup ! Depuis que Renaissance est à moi, depuis que Marco m’empêche d’approcher le risque de trop prêt, depuis que ses anciens mercenaires veillent sur moi, les grandes ivresses de la guerre me sont interdites. Bien sûr, je peux encore guerroyer et mener de belles batailles, mais ça devient propre et sans grand attrait. Je pense que les générations futures et civilisées ne comprendront plus très bien de quoi il s’agit, c’est pourquoi, mon cher Barnabé, je veux leur laisser ces quelques explications :
Pour le guerrier, la guerre commence avant la bataille de terrain, elle commence dans les tripes de chaque homme, elle commence lorsqu’on se positionne, et qu’on voit l’ennemi faire de même à l’autre bout du champ qui sera bientôt abreuvé de nos sangs. Même si l’adversaire est hors de portée de nos flèches, il est déjà dans nos têtes, là, droit devant nous, et on sait qu’aujourd’hui même, il mourra ou on mourra, et qu’il n’y a aucune autre alternative à ce sort. La tension extrême noue les entrailles de chaque combattant, et physiquement, cela se ressent par le besoin d’évacuer ce que les tripes tordues ne veulent plus garder. Avant le combat, il n’est pas rare de voir bon nombre de guerriers chier un bon coup avant de s’élancer vers la victoire ou la mort. Il n’y a pas de peur, chaque guerrier a déjà accepté de souffrir et même de succomber dans l’heure qui suivra, c’est un autre sentiment qui prédomine, quelque chose au-delà de la peur, comme une sorte d’excitation incontrôlable et délicieuse que je ne saurais décrire (adrénaline me dit le scribe ? peut-être), bref, une espèce d’exaltation, un surpassement de soi-même qui nous permet de foncer tout droit à la mort, la rage au ventre, et même l’envie de tuer alors qu’on se sait condamné soi-même après un méchant coup. Cette force dépasse tout, c’est ce que j’appelle « l’ivresse de la guerre », et c’est magnifique !
Ce sentiment nous accompagne depuis la charge contre l’ennemi, durant le choc des armées les unes contre les autres, et jusqu’au mélange des forces, et à chaque étape, il gagne en intensité. Lorsqu’on se retrouve face à face avec l’adversaire, c’est cette ivresse qui nous porte, et le guerrier ne doit la contrôler que pour continuer à obéir aux ordres stratégiques, rien d’autre. De toutes nos pensées, soucis ou tracasseries quotidiennes, il ne reste rien, tout ce qui subsiste, c’est le claquement des armes, le bruit des os qui se brisent, l’odeur âcre du sang qui empli l’air, l’envie de tuer, la fureur, la rage et l’ivresse du combat. Mélangé à l’ennemi, on a à peine le temps de le regarder dans les yeux avant de le pourfendre, que déjà en arrive un autre. Il n’y a pas de haine, il n’y a que des hommes à tuer et d’autres à ne pas tuer. Ceux qu’on doit tuer ne nous ont rien fait de mal, ils font juste partie du camp ennemi qui doit être anéanti, sans haine, sans vengeance ni rancoeur, juste parce qu’il en a été décidé ainsi et cela suffit à notre ivresse de sang.
A cheval, cette sensation délicieuse est encore décuplée : On survole au grand galop une mer en furie et des troupes en plein carnage en y ajoutant soi-même sa part de morts en faisant voler des têtes ou en transperçant des torses. C’est difficile à décrire, et pour toi, Barnabé, qui ne guerroie pas, c’est sans doute encore plus difficile à comprendre, mais le fait est là : Il y a une réelle extase dans le combat ! D’ailleurs, après m’être un peu fâché pour la forme contre Paskale, je l’invitais à venir me raconter son combat à l’écart des autres, et après son récit, je regrettais presque ma place de « Chef qui tient l’épée de feu ». Paskale m’informa que ces combats étaient rendus encore plus intéressant parce qu’ils marquaient l’Histoire, l’histoire du Chaos, chaque coup d’épée faisait avancer l’histoire, et cela rendait le combat d’autant plus épique. Pris par la griserie de la guerre, il ne voulait pas que ça s’arrête, drapeau blanc ou pas, et s’il avait pu ressusciter les Bermois pour recommencer la partie, il l’aurait fait ! Je ne pouvais que me lamenter en écoutant son récit, car même si je pénétrais jusqu’au milieu du combat, personne n’osait m’approcher à cause de la stupeur que Renaissance provoquait. J’avais bien conscience que ma destinée me priverait d’une partie de cette ivresse de la guerre, mais j’avais accepté ma condition, alors tant pis pour moi...
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Sur le soir, je m’occupais de ma blessure qui commençait vraiment à brûler. Barnabé m’étonna ce jour là car il soigna ma blessure comme la meilleure des guérisseuses. Il avait appris des sciences médicales et s’était brillamment occupé de mon mollet transpercé. Je pris deux jours de repos à Interlak, et en profitait pour faire part à son chef de nos exigences. Je reçu ainsi des chevaux mais je refusais leurs guerriers volontaires. Ils nous avaient combattus sur le front et je ne leur faisais pas confiance. La nuit tombait et il fallait attendre le lendemain pour retourner soumettre le peuple de Toune, encore en liberté, sans doute recueilli dans les clans alentours.
Ce fut chose faite le lendemain. Les hommes furent pris comme prisonniers, et j’allais les distribuer comme esclaves dans les marchés francophones du nord du lac qui nous avaient prêté main forte lors de l’affrontement. Les alliances n’étaient jamais très solides et j’en eu la preuve ce jour. Quant à moi, je pris le seigneur de Berm comme esclave personnel, à exhiber parfois en cas de réticences de prochaines régions. Les femmes restèrent libres.
De grosses troupes volontaires des marchés de Friborg, Gruère, Bul, et même Mora s’étaient jointes à nous spontanément. Il fallut donc réorganiser des régiments en conséquence. Ensuite, la campagne devint moins intéressante car il n’y eu pratiquement plus d’affrontements. Nous prenions Brienze, Lussèrn, Schwisz, Zurik, ainsi qu’une quantité d’autres clans et marchés du nord des Alpes. Tous avaient eu vent du sort réservé à ceux qui s’opposaient à nous, et lorsqu’ils voyaient arriver des dizaines de milliers de guerriers, peu étaient disposés à chercher la bagarre.
Vu l’absence de combats, j’encourageais mes guerriers à se battre entre eux. En duel ou en bataillons rangés, peu importait, mais ils ne devaient pas perdre leur expérience de combattants, ou stratégique pour les commandants. D’ailleurs, moi-même je combattais souvent contre les meilleurs de nos champions, avec l’épée que m’avait offerte Monié, laissant Renaissance pour la durée des joutes. Après la prise du grand marché de Zurik, nous changions de cap pour retourner plein sud. Une nouvelle série de marchés capitulèrent et nous nous retrouvions face aux Alpes avec plus de 100’000 guerriers, plus toute une série de garnisons qui maintenaient nos lois dans les régions soumises. Le petit Victorio avait été fort impressionné par notre totale victoire sur Berm. Mais maintenant, il se plaignait de l’absence de combats. C’était déjà un vrai guerrier ! Cependant, moi aussi, le goût du sang me manquait. Avant d’avoir en ma possession Renaissance, je ne sais pas combien d’hommes et de parias j’avais pu tuer, mais ils étaient nombreux. Aujourd’hui, mon épée tranchait net des murailles entières, mais en combat, jamais je n’ai vu une goutte de sang suinter de l’un de mes adversaires. Voilà un peu plus de trois ans que je n’avais plus tué un homme, et comme condition de travail, c’était pénible à accepter. Mais je n’avais pas à me plaindre, je disposais de l’armée la plus prestigieuse de l’histoire, et nous allions pénétrer dans la Péninsule italophone après avoir passé les cols. De plus, nous avions un avantage de taille sur la Péninsule, car ces gens ne savaient même pas qu’une telle armée marchait en ce moment même droit sur eux.
Je décidais donc de diviser mon armée en deux groupes d’environ 50’000 guerriers. Rino commanderait la division qui devait retourner dans notre vallée pour attaquer la Péninsule par Domodosolia en passant le col de Simplon.
Je n’avais aucune crainte de confier autant d’hommes à Rino, je savais qu’il appliquerait les ordres, qu’il vaincrait partout ou il passerait, et qu’il ferait tout cela proprement. Il était bien plus raisonnable que Paskale, mais dans son cas, raisonnable n’était pas synonyme de faiblesse. Quoique sans doute un peu inférieur à Paskale en combat singulier, Rino était tout de même une force de la nature, et à la place de la désolation et de la dévastation qui caractérise le style Paskale, il était organisé, méthodique, fidèle et obéissant, sans pour autant manquer d’initiative et d’imagination. Je portais une totale confiance à ce général, et même une certaine amitié, bien que ses récits de combats étaient nettement moins colorés que ceux de Paskale. La grosse différence entre ces deux commandants, c’est que Rino agissait de sang froid et avec calcul, même s’il aimait aussi se joindre à la bataille dans le feu de l’action pour goûter à l’ivresse guerrière, tandis que Paskale était un fou furieux, extrêmement efficace, mais pas trop regardant sur les risques qu’il prenait pour lui ou ses hommes.
C’est donc l’âme en paix que je scindais mon armée en deux pour joindre la Péninsule. Pendant que Rino faisait un détour par notre vallée, je traçais tout droit par le col de Lévantin pour me retrouver face à Bélinzon. Le rendez-vous de nos deux armées était fixé devant la grande ville de Milani.
Nous prîmes Bélinzon, Lokarno, Verbanière, ainsi que tous les clans et marchés du lac Major. De l’autre côté du lac, Varèze, Commo et tous les autres clans se soumirent. Aucune localité jusqu’à Milani ne tenta d’y opposer une résistance. De son côté, Rino avait accompli sa tâche avec succès. Depuis ce jour, je savais que mon pays était devenu intouchable et inatteignable. Mon pays, la vallée alpine, n’était plus seulement protégé par ses montagnes : Je contrôlais les contreforts nord et sud des Alpes, ce qui revenait à dire que plus personne ne s’aventurerait dans cette vallée sans un minimum de respect.
Les Milanois se montrèrent impertinents, acceptant de se soumettre mais en y imposant toute une série de conditions. En effet, ils ne connaissaient pas le sort réservé aux cités du nord des Alpes qui avaient tenté de négocier. A nouveau, pour bien faire comprendre aux populations péninsulaires que Léopold Paralamo ne négocie jamais, je laissais champ libre à Paskale pour incendier Milani. Cette fois-ci, il le fit proprement, et je n’eus pas à me plaindre de ses services. Comme d’habitude, nous nous emparions des hommes pour les livrer en esclavage aux villes plus disciplinées, et ce fut là une rafle immense, près de 12’000 hommes de tous âges. Ces esclaves étaient normalement chargés de besognes peu gratifiantes, dont même les paysans rechignaient à réaliser. Ainsi, cet apport de main d’oeuvre était très apprécié par les marchés qui les recevaient.
Après Milani, nous poursuivions en direction de l’ouest jusqu’à Aoste. Nous ne nous attardâmes pas trop car la masse de mon armée épuisait les vivres des marchés sur notre route. Nous devions donc sans cesse bouger, et notre prochaine étape était Tourini, bien que nous continuions à ratisser tous les clans sur notre passage. Devant l’océan de guerriers qui déferlait avec moi, les volontaires se faisaient de plus en plus nombreux. Nous pouvions vaincre le Chaos, tous pourraient voir la Grande Ville, et la soumettre si possible. A vrai dire, c’était un projet formidable pour beaucoup de jeunes guerriers qui n’hésitaient pas à s’enrôler.
Tourini, Alessandria, Genovi, Parmal, Medina, Veroni, Ravenna, Pistoia, Pisa, Florencia, Perrugia, Livornio, Streza, et une multitude d’autres grandes villes qui se trouvaient sur notre chemin entrèrent dans notre “juridiction”. A partir du moment où notre armée avait dépassé les 100’000 hommes, il n’y eu pour ainsi dire plus aucun combat, à part l’incendie de Milani et quelques escarmouches tout au plus. La plupart du temps, il ne s’agissait que d’une simple formalité avec les marchés que nous traversions. La consigne était que partout où mon armée foulait le sol, le territoire tombait sous ma juridiction. Et cela, même les plus puissants marchés semblaient l’avoir compris. J’avais eu la main lourde en incendiant Milani, mais ce fut un sacré exemple pour ceux qui étaient tentés de contester mon autorité. De plus, j’avais offert le chef de Milani, Bonaventure et ses fils, comme esclaves au seigneur de Tourini. L’anecdote fut rapportée et répétée, connue déjà avant l’arrivée de nos troupes. Les chefs savaient qu’une armée contre laquelle on ne lutte pas s’approchait d’eux, et qu’ils devaient abdiquer pour sauvegarder leur clan. Cependant, les rencontres n’avaient souvent pas lieu dans une atmosphère hostile. Je demandais juste de faire preuve d’un peu de bonne volonté, à savoir : Nous fournir des vivres, des chevaux, et laisser libre les volontaires qui souhaitaient se joindre à nous. Le plus dur à faire comprendre était cette nouvelle politique d’ouverture, la fin du chacun pour soi, la fin des kidnappings, l’encouragement à des projets communs, la fin de la peine de mort, et toutes ces choses qui devaient servir de base de structure sur notre nouveau territoire, que je voulais uni. Je devais ainsi toujours laisser de petites troupes qui joueraient le rôle d’arbitres dans les différents entre clans et marchés.
Enfin, sans combat, le plus clair de notre temps était perdu en organisation et réorganisation de cette armée qui s’agrandissait sans cesse. Depuis ce temps, Barnabé fut sur le qui vive, car il se révéla d’un apport logistique très intéressant dans l’organisation des troupes. Il passait son temps à consigner les bataillons, répertorier les troupes, les classer. Il eu même l’idée d’organiser des jeux ! Jeux de tirs, jeux d’aptitudes à combattre sur une monture, à pied, à armes différentes. Il tria les meilleurs de chaque discipline pour faire des régiments spécialisés, utiles dans des conditions précises. J’approuvais la proposition, et nous eûmes droit à sept régiments spécialisés, tous divisés en 10 bataillons.
Nous perdions ainsi énormément de temps à structurer et peaufiner l’organisation de notre armée. Mais je prenais également beaucoup de temps en parlementations avec les chefs pour lancer les quelques bases politiques que je voulais voir naître. Et cela, d’une mer à l’autre de la Péninsule.
Nous approchions cependant de la Grande Ville, les villages devenaient de plus en plus rares, et Rome allait se découvrir devant nous d’un jour à l’autre.
Enfin, le sommet de la croix apparût dans un ciel sombre d’automne. A ce stade, mon armée était gigantesque, mais, à côté des murailles de la Grande Ville légendaire, je sus que je ne pourrais en rien inquiéter ces gens. L’épaisseur des murs en pierre semblait pouvoir défier toute catapulte traditionnelle. Quelques gardes faisant leur ronde sur la muraille regardaient 400’000 guerriers à leurs portes, sans même donner l’alerte, ni se précipiter. D’aucun s’accoudaient même sur le parapet pour observer, tout simplement.
Si cette garde désinvolte était une chose, l’autre chose était la cité, cette croix aussi haute qu’une montagne, les toits recouverts d’or, et les constructions irréelles. Mes hommes étaient sous l’emprise d’un charme. Ils avaient tous entendus nos récits sur la Grande Ville, mais ils subissaient la même incompréhension, le même étonnement que notre troupe de reconnaissance plus de 4 ans auparavant.
Je savais que je ne pouvais pas attaquer, mais il fallait que tous mes hommes voient ça afin de pouvoir témoigner partout de ce qu’ils admiraient à cet instant particulier. J’avais l’intention de diviser rapidement mon armée en huit. Car en ce moment, nous ne pouvions ni attaquer, ni incendier quoi que ce soit, ni même établir un siège. Une pareille armée ne pouvait rester unie ici sans courir le risque d’une terrible famine. Je devais donc renvoyer au plus vite mes divisions. Trois jours d’observation de la cité firent toutefois le plus grand bien au moral des troupes.
La seule entrée vers la ville était le fleuve. Mis à part le fait qu’il fallait tenir sa tête sous l’eau durant quelques brasses, l’entrée était aisée, et si nous ressortions de l’eau arbalestre en main, nous aurions même pu investir la ville par là. Cependant, bien peu de guerriers savaient nager, et de toutes façons, il fallait plus d’une armée de 400’000 hommes pour vaincre cette ville. J’avais toutefois envisagé ce problème et en avait parlé à nos fabricants dès notre départ. Ils savaient qu’une fois à Rome, ils devraient construire des catapultes comme jamais ils n’en ont eu l’idée. Et ces idées pour fabriquer de telles catapultes, ils devaient y réfléchir durant le voyage. Nous transportions des catapultes avec nous, mais elles étaient faites pour des murailles normales. Ma vision de la prise de Rome était d’ouvrir deux fonts : les guerriers sachant nager pénétreraient par le fleuve arbalestre en main et épée au fourreau, tandis que pour les autres, il fallait leur ouvrir une brèche dans la muraille.
Je ne pouvais tout de même pas utiliser Renaissance contre Rome ! Cela aurait été comme une trahison, et il était hors de question que je tente d’incendier une ville pareille. Le pontife m’avait dit que cette épée était unique. C’était bien là mon principal souci : de quelles armes disposait l’adversaire ? Les gardes que j’avais vu sur la place tenaient de simples hallebardes. J’espérais donc que le pontife ait dit vrai au sujet de Renaissance, et que nous ne serions pas confrontés à ce genre d’armes.
La légende s’étalait donc sous les yeux de tous, et, petite humiliation, nous étions totalement démunis avec la meilleure armée du monde. Mais ce n’était pas grave, l’important étant que mes hommes voient ça ! La situation était néanmoins prévue et je devais laisser quelques régiments sur place durant le temps qu’il leur faudrait pour construire un maximum de catapultes géantes. Maintenant qu’ils avaient la ville sous les yeux, ils se rendaient mieux compte de l’ampleur de la tâche. D’autres devaient se charger d’arrondir des pierres pour les jets. Les clans des villages voisins s’occuperaient de leur approvisionnement. Et comme les habitants de Rome ne semblaient pas avoir pour habitude de sortir de leur enceinte, les catapultes seraient construites dans une forêt plus en retrait. Ils ne pourraient ainsi pas remarquer les chantiers depuis Rome, et j’espérais qu’ils ignorent leur existence. Ainsi, les romains auront vus passer notre armée, et rien de plus.
La vision de la Grande Ville galvanisa les troupes. Enfin, ils l’avaient vue. Maintenant, ils la voulaient ! Pour cela, l’armée fut divisée. Rino, Paskale, et Patrik (celui grâce à qui nous sommes au 207ème jour de l’an 4), Sérafino, Marcello, Tristan et Rodolf, tous des champions de la première heure, tous promus généraux, devaient investir le nord des Alpes. Ils passeraient les cols alpins avant l’hiver et reviendraient avec le plus de troupes possible le jour du solstice de l’été prochain. La synchronisation de l’arrivée des troupes était importante car il était impossible de nourrir une telle armée en un seul lieu. Elle devait maintenant se diviser pour ne se réunir que lorsque les catapultes seraient prêtes, et que nous puissions réellement passer à l’attaque contre Rome. Moi-même, je continuais au sud de la Péninsule afin de soumettre les localités qui restait.
Le but était de recruter le plus de guerriers possible, car cette ville semblait avoir une population nettement plus importante que mon armée actuelle. Je ne devais pas précipiter l’invasion au risque de voir s’effondrer tout ce que j’avais bâti durant ces 4 dernières années. Il restait donc encore un peu moins d’une année pour être en mesure de m’aventurer dans cet ultime combat titanesque.
Les 8 divisions étaient toutes composées de plus de 50’000 guerriers volontaires. On pouvait donc s’imaginer sans risque de se tromper qu’il n’y aurait que peu de résistances. En effet, Aprilli, Latina, L’Aquila, Chieta, Cassino, Minturni, pour ne citer que les principaux marchés, s’inclinèrent tous sans conditions. Un peu plus au sud, nous voyons une sorte de grande tache lumineuse et rouge, dans le ciel nocturne, alors que nous venions de décider d’un campement. J’envoyais immédiatement des espions vérifier l’anomalie. Ils voyagèrent toute la nuit, et ce n’est qu’au matin, alors que nous avions levé le camp et que nous étions déjà en route, que nous les vîmes revenir. D’après leurs dires, c’était une montagne qui crachait du feu en grande quantité... Rien que ça !?
Je me promis de tirer au clair cette diablerie, et dans l’après-midi, j’arrivais avec le gros de mes troupes de cavalerie aux abords d’une cité du nom de Napolita. Les nouvelles me concernant avaient toujours un ou deux jours d’avance sur nous. Ainsi, le chef de la ville, nommé Borgèsia, nous accueillit sans réticences. Il tenta de nous donner une explication au sujet de la montagne de feu. Selon lui, ce genre de montagnes s’appellent en réalité Volcanos, et ces derniers crachent du feu venant du centre de la terre ! Une sorte de bouche du diable qui crache le feu des enfers... Mes guerriers et moi-même étions bien moins désinvoltes que les Napolitaniens face à ce volcano qui portait même un nom, le Vésuvio. Nous quittions ainsi les lieus au plus vite après avoir enrôlé nos volontaires. Nous ne craignions le combat en aucune occasion, mais nous voulions conquérir le monde et Rome, pas l’enfer !
Nous déferlions encore sur tout le sud de la péninsule, et en trois lunes, nous étions arrivés à son extrémité, là où les deux mers se rejoignent. Il me restait encore un peu de temps, et j’étudiais la possibilité d’envahir la grande île qui se trouvait face à nous. L’île portait le nom de Sicilia, et à ce qu’on m’avait rapporté, elle était d’une taille tout à fait convenable. Je décidais donc de réquisitionner tous les bateaux du sud de la Péninsule. Nous envahirions cette île à pied, sans nos chevaux.
C’est ainsi que des centaines de bateaux de pécheurs chargés de milliers de guerriers traversèrent. Une fois débarqué les premières troupes, les embarcations firent encore 7 trajets pour transporter la majorité de l’armée sur Sicilia.
Après avoir brûlé Palèrma, les habitants de l’île nous respectèrent, et il ne fallut que deux lunes pour ratisser tout le territoire. C’était donc avec plus de 140’000 hommes que je reprenais la route de la cité mythique.
Arrivés à Rome, nous retrouvions les régiments restés en poste pour construire le matériel de propulsion adéquat, soit environ 3’000 hommes. Ils étaient tous tracés ! C’est d’ailleurs le nom qu’on leur donna par la suite : “les tracés”. Ils avaient tous été comme marqué au fer rouge. Des brûlures rectilignes avaient tracé leur peau. De plus, aucune catapulte n’était en vue.
Le commandant, Jérica, me donna une explication tout à fait invraisemblable : Il y avait une quinzaine de jours de cela, les portes de la ville furent ouvertes. Un petit bataillon monté en sortit. Ils avaient probablement eu vent de notre retour prochain. Jérica tenta de s’interposer avec ses guerriers. Les romains n’étaient pas encore à portée de flèche qu’ils levèrent des sortes de cannes argentées vers nos hommes, et quelque chose d’inouï se produisit. De ces armes sortirent de fines lignes de feu ! Tous nos hommes furent brûlés par les rais de feu. Au milieu de toutes ces douleurs, le pire était encore cette odeur de sa propre chaire brûlée comme de la viande. Lorsque ces lignes de feu cessèrent, les cavaliers s’approchèrent de nos troupes meurtries en observant les catapultes dissimulées sous les bois. Selon tous les témoignages, la douleur qu’inflige ces brûlures interdit presque tout mouvement, ils étaient comme paralysés et totalement impuissants. Alors, un homme leva sa canne argentée vers une catapulte. Ce n’était plus une ligne, mais une boule de feu d’une extrême puissance qui en sorti pour exploser notre engin. Puis, de la même manière et d’un seul mouvement, l’homme détruisit le fruit de 7 lunes de labeur : Toutes nos catapultes ! Il se tourna alors vers Jérica et lui dit : « - Personne ne peut lever la main sur Rome. Et tes catapultes ne t’auraient été d’aucune efficacité contre nos murs. »
L’homme regarda Jérica une dernière fois, lui souhaita bonne chance, et s’en retourna avec son bataillon à l’intérieur de la ville.
L’adversaire était donc tout à fait particulier, car à en croire les tracés, ce peuple était invincible. Le moral était au plus bas. Les catapultes détruites, je ne pouvais rien faire sauf m’interroger sur la suite que je pourrais proposer à mes hommes qui avaient vécu si longtemps avec l’espoir de pouvoir enfin pénétrer cette ville magique.
Je réunis les armées dans un camp immense, au sud de Rome. Notre nombre était invraisemblable et incalculable, il fallait agir vite, mais comment ? J’avais une armée composée de guerriers parlant germanophone, francophone et italophone, les plus nombreux. Moi-même, après tout ce temps, je communiquais parfaitement en italophone, qui était devenue la langue officielle de l’armée. Nous avions aussi laissé des garnisons positionnées dans toute la Péninsule et dans d’immenses territoires du nord des Alpes. Mais ici, c’était une mer de guerriers qui se morfondaient devant la Grande Ville, sans qu’aucun des généraux n’aie la moindre idée de la marche à suivre pour la soumettre. Jérica jurait tous ses dieux que personne ne pourrait faire face aux armes dont disposait l’ennemi, mais je l’ordonnais de se taire. Les troupes étaient suffisamment démoralisées pour que ce rabat joie ne nous intimide encore avec ces armes traçantes.
Tout à coup, alors que j’étais encore plongé dans de sombres pensées, les hommes de la Grande Ville ouvrirent leur porte principale et une ambassade galopa en direction de notre commandement. Trois des hommes du seigneur Paul m’abordèrent. Ils me firent part de l’invitation amicale du Souverain Pontife.
Pensant à un piège, je refusais de m’y rendre sans un solide détachement d’hommes. Mais en face de moi, l’homme rit :
Dis-toi juste que si nous désirons détruire vos armées, nous avons les moyens de le faire sur l’instant. Nous te répétons donc que le souverain pontife, sa Sainteté Paul XII, veut te voir et t’invite amicalement à venir parlementer, toi seul.
Les trois ambassadeurs s’en retournèrent au petit trot en direction de la porte qui s’ouvrit à nouveau.
Paul, celui qui m’avait offert Renaissance, à ses côtés Bardoso, qui m’avait offert les 4 magnifiques bêtes, ... ce n’était pas un piège, en tout cas pas à ce stade. Je me rappelais les paroles du pontife, et, sans y réfléchir plus loin, je laissais Victorio avec Rino, sautais sur une monture, et les suivit.
Les ambassadeurs me conduisirent directement à la basilique que je connaissais déjà. Je passais à côté de la base de la grande croix, mais il faut venir à Rome pour s’en faire une idée. C’est une construction qui défie les cieux, et dont la base mesure plusieurs centaines de pas de côté. La seule assise de la croix était grande comme plusieurs pâtés de maisons. Sur les immenses escaliers qui mènent à la demeure de Dieu nommée la “Basilique”, des soldats formèrent à nouveau une haie d’honneur. Les ambassadeurs descendirent alors de cheval et me suggérèrent d’en faire autant. Il me fut indiqué de monter l’escalier à pied, seul, sous l’oeil de la soldatesque toujours affublée de ce même costume étonnant. Au sommet, sous l’immense portique, se trouvaient nombre d’hommes vêtus de robes rouge qui m’adressèrent ce même étrange salut, dessinant une croix avec leurs deux doigts dans l’air... Puis, les gardes ouvrirent l’immense porte centrale de la basilique. J’y pénétrais, en me veillant cette foi-ci à m’incliner devant leur Dieu invisible mais si puissant. J’approchais ensuite du trône où le pontife m’attendait.
Lorsque je fus suffisamment près, le seigneur Paul leva la main en guise de salutation.
- Salut à toi, Léopold Paralamo ! Et félicitations, tes avancées sont étonnantes. Tu as tout gagné, tu es organisé, et nous voici l’un et l’autre arrivé au grand jour ! Que veux-tu ?
- Régner sur le monde sans régner sur la Grande Ville que vous appelez Rome n’est pas un vrai règne. Je suis venu conquérir cette cité.
A voir le sourire paternaliste du pontife, comme si de toute évidence, mes armées ne semblaient être qu’un divertissement pour lui, je rajoutais:
- Mais peut-être suis-je fou ?
- Là est toute la question Léopold, es-tu fou au point d’anéantir tous les efforts que tu as fais, tous les efforts diplomatiques de ton père, tous les efforts d’éducation de Rufus, toutes les années perdues par Marco pour te trouver, juste pour prendre Rome ? … Oui, tu l’es !... Toutefois, tu gagnes. Et la plupart du temps, assez facilement. Là où tes troupes passent, mis à part quelques incendies pour te forger une réputation, les hommes s’éveillent et voient que le monde est plus vaste que leur village. A votre passage, les villes soumises ne sont ni pillées ni mises à sac, leurs habitants ne sont pas maltraités, tu respectes une certaine déontologie, et saches que j’apprécie ! Quelques structures sont lancées, et un semblant d’ordre dans le désordre naît avec toi. Mais…, il me semble que tu te retrouves bien emprunté pour asseoir ton règne sur Rome ?
- Ce n’est qu’une question de temps. Je ne veux aucun mal à ton peuple, mais si je ne règne pas d’ici, mon nouveau monde éclatera. La motivation de tous mes guerriers est cette ville. Sans Rome, je n’existe plus.
- « Oui je sais, répondit le pontife, décontracté, et de notre côté, nous aurions les moyens de disloquer ta formidable armée en quelques minutes, mais ce n’est pas mon intention. Je constate que ce que tu as fais durant ces 5 dernières années est bon. La preuve en est que Renaissance se trouve toujours à ton côté. J’ai de plus un avis très favorable te concernant toi même, et je souhaite que tu continues ta construction du monde… »
… avant de poursuivre, le pontife se leva lentement de son trône, et conclut solennellement : « … Et pour ce faire, je te confie Rome » !
Je restais un instant sans voix à cette annonce, pensant à un coup de bluff, … mais Paul avait l’air sérieux, alors je demandais franchement : - Tu es en train de me dire que vous ne défendrez pas la ville ?
- Non seulement nous ne nous défendrons pas, mais nous quitterons Rome tout à l’heure pour vous laisser la place. Je te mets toutefois en garde Léopold : Ne profane jamais un lieu Saint. Tous ces édifices de la ville qui portent une croix en leur sommet sont les maisons de Dieu. Si tu t’avisais, toi ou tes descendants, de détruire le patrimoine de Rome, nous reviendrons ravager ta dynastie et prendre le contrôle de ta jeune civilisation. Je te donne les clefs de la cité éternelle, et je te laisse sous la protection de Saint Pierre, dont les restes sont gardés précieusement sous cet autel.
- Qui c’est encore celui-là ?
- L’homme qui reçu les clefs du paradis de Dieu Lui-même lorsqu’Il est venu sur terre. Pierre était l’apôtre sur lequel le Christ a bâti son Eglise, ici à Rome, et je suis son successeur. Jusqu’à notre retour, je te mets, toi et tes descendants sous sa protection ainsi que celle de Dieu, et Rome sous ta souveraine protection. N’oublie jamais ceci Léopold : Respecte les lieux saints, pénètres-y pour prier et non pour y vivre. Dieu vit ici, il entend toutes tes demandes et remerciements. Ne Le fâche pas et ne porte jamais la main sur les œuvres bénies qui ornent Ses demeures.
Je ne savais plus que penser. Un souverain aussi puissant que ce Paul qui livre une ville pareille à l’ennemi sans combattre était incompréhensible. Mais je n’eus pas le temps de trop y réfléchir car le pontife pointa sa canne argentée vers moi. Une ligne de feu en sorti. Elle était jaune et éclatante comme le soleil, mais droite et précise comme un fil tendu. Le souverain traça une croix brûlante sur mon torse tout entier. Je gardais ensuite cette cicatrice de la croix gravée sur moi jusqu’à ma mort. Les parties de mon corps que cette flamme avait touché ressemblent aux brûlures qu’une épée chauffée à blanc, appliquée sur la peau par le tranchant, aurait pu laisser sur un supplicié. La souffrance était atroce...
- En guise de bénédiction !... et aussi afin que tu te souviennes pour toujours de mon commandement, rajouta le pontife.
Alors que j’étais recroquevillé sur moi-même tant la douleur de la brûlure était ardente, Paul dit encore une phrase incompréhensible sur le moment: “Léopold Paralamo, tu es a partir de ce jour, le premier empereur d’occident de l’après Grand Chaos, tâche d’être un exemple pour tes sujets !”
Le pontife fit alors un signe à tous ses gardes et ses Eminences en rouge qui restaient dans la basilique. Ils obéirent à ce signal en quittant les lieus. Tous descendirent les escaliers sous l’autel où justement ce Saint Pierre reposait. Je me souviens avec précision de tous ces détails, ainsi que de la brûlure rapide et pénétrante qui avait marqué la croix sur mon corps. Cependant, même lorsque je souffrais ainsi, je ne pouvais m’empêcher d’exprimer ma gratitude au seigneur Paul.
Toute sa suite et ses gardes disparurent sous l’autel où le trône était disposé. Et lorsque je dis “disparurent”, c’est le mot exact. Ils empruntèrent un escalier qui donne dans une crypte et disparurent. Mes meurtrissures n’étaient rien en rapport avec ce que j’avais gagné. Le mystère de la disparition du peuple de Rome était de même nature que celle des éminences et gardes de la dernière heure. Jérica nous avait indiqué que depuis la veille de notre arrivée, ils n’avaient plus décelé aucun mouvement de population à l’intérieur de la ville. Lorsque j’arrivais moi-même sur les lieus, il n’y avait que quelques gardes épars sur les murailles, et aujourd’hui, il n’y en avait plus eu du tout. Cela m’avait d’ailleurs même énervé. Je me disais que ces gens se désintéressaient totalement du danger qu’était sensé représenter mon armée. Mais il n’y avait guère plus de monde à l’intérieur des enceintes. Des espions avaient été postés en permanence aux abords de toutes les sorties possibles. Le peuple romain n’avait fui ni par terre, ni par mer, et pourtant, la cité était totalement vide, fantôme. Les quelques centaines d’hommes qui accompagnaient le pontife venaient aussi de disparaître dans les sous-sols de la basilique. Nous ne retrouvions pas le moindre passage secret mais simplement une porte. Une population entière de peut-être plusieurs millions d’individus ne s’évapore pas comme ça ! En tout cas, après avoir interrogés autant les villages côtiers que les villages intérieurs, personne n’avait remarqué de quelconques mouvements suspects !
La réponse à toutes ces interrogations arriva lorsque je vis le pontife disparaître lui aussi ! Mais avant de disparaître, et avant d’en arriver au fin mot de cette énigme, le seigneur Paul resta seul avec moi. Il m’enjoint de le suivre à l’extérieur de l’édifice divin. Un carrosse attendait au bas du grand escalier de la basilique. Nous étions seuls, complètement seuls sur cette immense place, et il n’y avait plus âme qui vive dans toute la ville mythique. Je demandais alors au pontife ce qu’il en était advenu de son peuple, mais il me répondit qu’ils étaient déjà tous très loin de Rome, bien loin de la Péninsule, de l’Italie comme ils la nommaient, et en dehors de tous les territoires que j’ai soumis. Selon lui, les Eminences qui venaient de nous quitter à l’instant étaient déjà dans cet endroit, si lointain... Je tentais toutefois de comprendre ce mystère et le questionnais un peu plus. La réponse fut elle aussi incompréhensible:
- Mon peuple est en un lieu que tu n’atteindras jamais, même si tu vis très longtemps. Quant à nos moyens de transports, je me porte garant de nos scientifiques. Nous voyageons tout simplement différemment de vous.
Encore ces scientifiques ! Mais qu’étaient donc ces scientifiques???
- Des savants, me répondit Paul...
Le souverain exprima son intention d’aller faire ses adieux à Sa ville. Il monta dans son superbe carrosse, lui aussi décoré avec de l’or partout, et tiré par un attelage de six chevaux de prestige, blancs cette fois. Il me demanda de prendre les reines, et je m’assis à la place du cochet. Ma position s’en trouvait moins évidente pour bavarder, mais au moins à l’air libre, je profitais de la visite. Paul m’instruisit tout de même des différentes oeuvres grandioses qui font la cité. Il nommait des fontaines, des bâtiments.
La ville était formidable. Totalement plongée dans son silence, il n’y avait que les sabots de nos chevaux qui résonnaient sur les routes.
Le souverain pontife m’apprit également que Rome avait plus de 4’000 ans, et que les papes y ont régné successivement depuis plus de 3’000 ans ! Toutefois, Paul répondait parcimonieusement à mes questions. J’en profitais tout de même pour lui demander les raisons qui l’avaient conduit à me céder sa ville :
- Parce que tu es comme tu es, et je ne donne rien, je prête !
- Mais jusqu’à quand ?
- Tout dépend d’Octave…, mais je ne pense pas qu’il se manifestera durant ton règne.
- Octave ? Qui c’est encore, celui-là ?
- C’est l’homme le plus puissant de la terre, et accessoirement le plus grand génie de toute l’histoire de l’humanité, ancien monde compris !
- Tu n’es donc pas l’homme le plus puissant du monde ? !
- Eh non, je ne suis pas l’homme le plus puissant de la terre. Octave domine tout l’hémisphère sud du monde, et lorsque le nord sera organisé, sorti du Chaos, il se manifestera avec panache et fracas. Ce sera peut-être dans 50 ans ou dans 100 ans, mais lorsqu’Octave décidera d’attaquer, ce jour sonnera sans aucun doute le glas de l’humanité telle que nous la connaissons, la fin des temps en quelques sortes…
- Attend voir un peu, tu crois que ton bonhomme sera encore en vie dans 100 ans ?
- Octave a 683 ans, il est patient et peut attendre. Mais je n’ai pour l’instant pas besoin de te tracasser avec nos propres problèmes, Octave ne t’inquiétera pas de ton vivant, crois-moi, et nous informerons tes successeurs de la menace en temps voulut.
Nous continuâmes notre promenade et le pontife me cita encore les noms de quelques oeuvres, puis nous passâmes devant ce qu’il appelait le collisée, une sorte d’immense cirque datant de la nuit des temps… Enfin, devant une magnifique fontaine, Paul me demanda de stopper. Il m’en indiqua le nom : La fontaine de Trevi, datant elle aussi de fort longtemps, et tout aussi monumentale ! Nous nous assîmes face à l’eau sur un banc de pierre. Le pape m’indiqua que je pouvais maintenant poser mes questions.
Je l’interrogeais sur les secrets de leurs armes, sur le pourquoi du Chaos, et ce genre de choses que je devais connaître, que nous devions tous connaître, sur nos origines ! Alors il m’en apprit un peu plus :
- Bon an mal an, commença-t-il, la civilisation de l’ancien monde a évolué durant 6’000 ans. On situe l’émergence de véritables civilisations environ 4’000 ans avant la naissance du Christ, qui est le Dieu fait homme. La naissance du Christ ne fut que la naissance d’une nouvelle ère d’espérance pour les hommes. Mais fondamentalement, l’humanité a continué sa progression dans toutes sortes de sciences savantes durant plus de 2’000 ans après la naissance du Christ. A ce moment, l’homme arriva, peut-on dire, à une sorte d’apogée technique, mais il avait perdu la raison. Il usait de sa science de façon aveugle, sans savoir véritablement où il souhaitait aller, ni ce qu’il voulait en faire. Les hommes avaient la connaissance, mais aucun projet digne d’être cité. Sauf peut-être un seul qui semblait sérieux : modifier la nature de l’homme !
- Qu’est-ce que cela signifie ?
- Vois-tu, le premier homme s’appelait Adam. Dieu a fait Adam à son image et à sa ressemblance, ce qui veut dire bon et aimant, et Il lui donna le monde. Il mit à ses pieds toute la création et lui donna autorité sur tout ce qui vit sur terre. Adam avait tous les droits, sauf un, goutter au fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Selon le diable, si l’homme gouttait de ce fruit, qu’on associe généralement à une pomme, il deviendrait comme Dieu. Adam savait qu’en goûtant du fruit de cet arbre, sa nature changerait fondamentalement, mais c’était là le seul interdit de Dieu.
- Et je parie que le vieux bougre n’a pas pu s’empêcher de bouffer cette satanée pomme, vrai ?
- Bien vu ! Quoique…, courageux mais pas téméraire, le « vieux bougre » comme tu dis, eu besoin des encouragements de sa femme Eve pour passer par-dessus l’interdit. Et au risque de provoquer la colère divine, ils croquèrent dans le fruit.
- Et alors ?
- Souffrances, que de souffrances depuis là !... Adam fut chassé du jardin d’Eden, un paradis sur terre, et Dieu mis deux anges pour garder l’arbre de la vie, car si l’homme touchait à l’arbre de la vie, il se damnerait lui-même. Un peu avant le début du Grand Chaos, l’homme tenta de toucher à cet arbre de vie, que nos scientifiques appellent « chaîne ADN », et qui se présente sous la forme d’une échelle torsadée. En trafiquant celle échelle, l’homme pouvait modifier sa propre nature, et pratiquement atteindre la vie éternelle sur terre, ce qui est une véritable catastrophe, une malédiction ! Imagine toi vivre des milliers d’années dans ce monde si imparfait : ce serait une auto-damnation ! Avec cette science génétique, l’homme se plaçait une nouvelle fois à l’égal de Dieu, voire plus haut ! Ce que l’homme considérait comme imparfait, donc mal créé, l’homme se proposait de rendre parfait. Les anciens hommes étaient en voie de modifier leur propre nature ainsi que celle de la création en général. Ce furent les scientifiques cette fois-ci qui présentèrent le second fruit à l’humanité : Modifier l’essence même de la création divine en pensant pouvoir faire mieux que Dieu Lui-même... Voilà où en était l’orgueil de l’homme avant la chute de l’ancien monde.
- Ils étaient si mal foutus que ça ? Les anciens hommes ?
- Non, ils étaient bien portants, mais même si leur monde pouvait sembler merveilleux au premier coup d’oeil, il était impitoyable. Leur culture voulait des gens jeunes, grands, athlétiques. Etre en dehors de cette norme induisait pernicieusement la laideur. Par moult artifices, les vieux essayaient de paraître jeune, les petits devenaient grands, les gros se faisaient sucer de la graisse pour devenir minces, tandis que les jeunes grands et beaux étaient non seulement plein de complexes, mais vivaient avec l’angoisse perpétuelle de vieillir, et par là même, de devenir laids. Un vrai monde de fous où pour finir, chacun ne pouvait que souffrir. Il est aussi amusant de constater que la période du déclin de l’art, dont les artisans sans imagination se voyaient à peine capable de produire de pâles copies d’une oeuvre digne de ce nom, coïncide avec celle où l’homme ne trouva plus que sa petite personne pour tenter d’exprimer un semblant de beauté. De plus, l’humanité civilisée avait une frousse panique face à la mort, et c’est ce qui motivait les savants à aller toujours plus loin dans la modification des gènes. Ils essayaient aussi de transformer des embryons humains en divers organes de rechange au cas où l’original subirait des dommages... Mais ils n’y sont pas arrivé. Ceci est toutefois très compliqué, et tu n’y comprendrais rien sans un exemple concret. Toi-même, tu as certainement pratiqué de la génétique sans le savoir.
- Jamais de la vie !
- Bien sûr que si. Lorsque tu as choisis ta femme, quel fut l’élément qui a décidé ton choix ?
- Je voulais juste un bon petit bout de femme bien robuste ! Rien de génétique, comme tu dis.
- Ce que tu viens de me dire est de la génétique. Tu choisis une femme robuste car tu sais que pour espérer de solides enfants qui deviendront un jour des guerriers, tu auras plus de chance d’y parvenir avec une forte femme qu’avec une chétive et malingre. A la conception, vos gènes distinctifs en créent de nouveaux, une sorte de combinaison entre les tiens et ceux de la mère, et cela donne un enfant qui s’est servis de vos gènes pour construire son arbre ADN, son propre arbre de vie.
- C’est aussi simple que ça ?
- C’est en fait si simple que l’homme connaît la génétique de manière naturelle. Toutefois, les scientifiques de l’avant Chaos n’acceptaient plus cette part d’inconnu que laisse la génétique naturelle. Ils avaient le pouvoir de créer des embryons en dehors du sein maternel. Ils en retiraient ensuite les gènes qui ne leur convenaient pas, et rajoutaient ceux qu’ils souhaitaient. Ils manipulaient le fondement même de la vie et de la création telle que voulue par Dieu. Ce sont de toutes manières des techniques que nous n’avons jamais utilisées à Rome, et qui nous paraissent totalement désuètes aujourd’hui.
- Tout de même, c’est fort de pouvoir disposer de tout le matériel de rechange !
- Mais en même temps, c’était une déviance de la médecine sans précédent. Le père de la médecine, Hippocrate, qui vécu 2’500 ans avant l’invention de ces techniques, avait établi un serment, une sorte de grande règle déontologique de la médecine : “Le médecin ne tuera jamais ni n’avortera, même à la demande du patient. Le médecin soigne un point c’est tout, il ne détruit pas une vie pour soigner, il ne fait que soigner, là se trouve la limite de son art !” Dans cette logique, tuer un être humain, même non né au grand jour, pour en faire du matériel de rechange médical était une déviance claire de la règle.
- Et vous avez abandonné la technique ?
- En ce qui concerne notre société romaine, nous continuons à appliquer la première doctrine d’Hippocrate : Nous soignons. Et nous soignons beaucoup mieux que les savants de l’avant Grand Chaos sans avoir recours au meurtre pour guérir.
- Bravo, c’est sage ! Dans notre société aussi, la femme enceinte fait l’objet de toutes les attentions, et personne ne penserait à de telles choses, ... de trafic génétique, comme tu dis.
- Ceci n’était qu’un point, mais une grande déviance qui faisait partie de multiples autres du monde d’avant le chaos.
- Lesquelles ?
- « A cette époque, la femme n’était pas respectée comme aujourd’hui. Elle croyait avoir reçu un grand cadeau de la société lorsque celle-ci décréta par la loi le droit d’avorter le fruit de son sein, mais ce fut plutôt une malédiction pour les femmes qu’une bénédiction. Une fois ceci légalisé, les pères se déresponsabilisèrent face à leur progéniture, quittaient leur femme enceinte, et le choix qu’elles croyaient avoir gagné devint de plus en plus un non-choix. Elles ne pouvaient plus élever les enfants et subvenir aux besoins d’une famille du fait de la désertion des pères, sans compter que la société elle-même faisait pression sur les femmes pour qu’elles soient rentables et productives au travail… On leur faisait croire qu’elles avaient gagné de grands privilèges, mais en réalité, il s’agissait d’une exploitation phénoménale de la femme à tous les niveaux. »
« D’un autre côté, les parias jouissaient d’une grande considération sociale et politique, ils formaient même des groupes de pression pour que la société considère leur mode de vie comme étant bon et moral, ce que la société accepta. »
« L’honneur et la parole donnée ne valaient plus rien, et chacun trahissait au gré de ses intérêts sans aucune remontrance particulière de la part d’un ordre moral qui n’existait plus. Les hommes vivaient comme si Dieu lui-même n’existait plus, et leur principal centre d’intérêt était… eux-mêmes ! Bref, c’était vraiment un drôle de monde. »
- Incroyable, c’est en fait comme notre monde du chaos, mais à l’envers !
- Oui, on pourrait dire ça comme ça !
- Et alors, qu’est-ce qu’il se passait encore ?
- En plus de tout ça, ou pour ne pas voir leurs réels problèmes, ils s’étaient inventé un gros souci écologique.
- Un quoi ?
- Ils avaient une peur bleue d’avoir trop chaud. En somme, les températures du climat mondial étaient de cinq degrés inférieures à aujourd’hui, mais ils pensaient que si le climat grimpait de deux ou trois degrés, ils se retrouveraient face à l’apocalypse, la fin des temps, tout ça parce que les hommes consommaient de l’énergie polluante. Ce fut une grande préoccupation de l’époque.
- Les rois de l’époque n’ont pas vu le fléau venir ? Et interdit la pollution ?
- « Les gouvernants politiques ont tout de suite vu venir, pas le réchauffement, mais ce que le réchauffement pouvait rapporter aux caisses de l’Etat ! Tout compte fait, je pense que les dirigeants de ce temps trouvèrent cette idée de réchauffement formidable : elle leur permis d’instaurer de nouvelles taxes et impôts sans protestation ni manifestations des peuples. Tous ceux qui osaient s’indigner étaient diabolisés et étiquetés « ennemis de la nature », ce qui était très mal vu. Les politiques se contentèrent grosso modo de remplir leurs caisses pour finir par ne rien faire contre ce danger potentiel. Les promesses suffisaient. »
« A la fin du compte, la pollution aida le chaos à s’installer, elle ne le provoqua pas. Les hommes se sont chargés tous seuls de créer le Chaos avant les grandes catastrophes qu’emmena ensuite la pollution. La création du Chaos, je crois qu’on peut d’abord l’imputer à la maladie de l’esprit humain. Plus les gens étaient informés et instruits, plus ils se rendaient compte, peut-être inconsciemment, que le mode de vie qu’ils avaient créé sur terre ne pouvait pas durer, que l’épuisement des ressources s’accélérait, qu’ils vivaient une sorte de sursis. Un dernier délai dont il fallait profiter au maximum. Même si cela n’était pas vraiment conscient, on remarque à cette époque de l’histoire des attitudes de plus en plus extravagantes dans tous les milieux de la société. Un mode boulimique de consommation lié à toutes sortes d’attitudes tout à fait étonnantes. »
- Quoi par exemple?
- Oh, des choses dont tu ne peux même pas imaginer avec tous tes efforts. Imagine la chose la plus incroyable et dis-toi simplement qu’ils l’ont faite. Si je te racontais, tu ne me croirais de toute façon pas. Passons donc sur ces extravagances et allons à l’essentiel. Les ressources de la planète permettaient peut-être à 2 ou 3 milliards d’hommes de vivre ainsi leur vie, même boulimique. Par contre, ces ressources étaient insuffisantes pour permettre aux 7 milliards d’habitants que comptait la terre de vivre comme les 2 milliards favorisés. On se retrouvait donc avec deux modes de vies foncièrement différents : D’un côté, les boulimiques de la consommation et d’excès en tous genres ; et de l’autre, les faméliques et les laissés pour compte, se contentant de rations rachitiques pour survivre.
- Il fallait donc que les 2 milliards de boulimiques deviennent simplement normaux pour permettre aux faméliques de profiter aussi un peu des ressources de la terre !
- Oui…, mais ce n’est pas ce qu’il se passa. Face à la crainte d’un épuisement des ressources, les nations les plus puissantes cherchèrent à s’assurer leur approvisionnement. Leur désintérêt pour les énergies non polluantes avait conduit les scientifiques à des connaissances moindres dans l’utilisation d’autres ressources. Le pétrole est un liquide inflammable qui produit une énergie considérablement puissante, mais assez polluante.
- Le Pétrole ! C’est ça... J’avais découvert une brochure de l’ancien monde, ils parlaient justement du pétrole. ...du pétrole sans les arabes, c’était ça !
- Certainement, ils devaient aller là où le pétrole existait. La plupart des dernières grandes guerres d’avant le Chaos étaient des guerres pour assurer cet approvisionnement indispensable à leur technique. Au début, on inventait de grands prétextes à ces nouvelles guerres. Mais les populations des plus puissantes nations savaient au fond que ces ressources naturelles étaient vitales pour eux. Ils acceptaient les pillages des pays faibles, même s’ils émettaient quelques protestations de façade par rapport à ces guerres. Leur force dépendait de la faiblesse des pays producteurs d’énergie. Pour résumer, on pourrait caricaturer la situation en disant que les richesses du sud se concentrèrent au nord, et la pauvreté s’installa au sud.”
- Et ils ne se sont pas révoltés, les sudistes ?
- Au début ils n’en étaient pas capables, mais l’injustice n’est jamais gage d’équilibre et de paix. Les hommes ne sont pas plus fous que les oiseaux migrateurs. Ils savent où se trouve l’abondance, alors que chez eux, il ne restait même plus de miettes. Alors, comme les oiseaux, les sudistes, comme tu les appelles, ont migrés. Pas tous, mais beaucoup. Les sudistes avaient d’autres mœurs et coutumes que les nordistes, et au lieu d’adopter la manière de vivre de leur pays d’accueil au nord, beaucoup d’entre eux ont préféré respecter les traditions de leurs ancêtres, qui pouvaient sembler barbares aux nordistes. Des frictions ont débuté, puis il y a eu des révoltes, et enfin des attaques. Les attaques n’ont pas débuté entre un pays et un autre, mais de l’intérieur même des puissantes nations du nord. Il y a eu des révoltes de la part de certains peuples marginalisés qui agitaient une devise tout aussi convaincante que les puissants: “Dieu dénonce l’injustice, donc je vais tuer les injustes pour rétablir la justice de Dieu...” Une sorte de maxime... Tu vois comme l’esprit humain était prompt à interpréter une des première règle que Dieu nous à légué : “Tu ne tueras point”. En travestissant un des plus grands commandements, ils pensaient qu’ils tuaient pour Dieu, et cela leur donnait encore plus de force de conviction. Note, du côté des puissants, vers la fin ce n’était guère mieux.
- Que s’est-il passé ?
- Une folie collective. La tension était à son comble un peu partout, l’injustice et l’iniquité régnaient au sein des populations. Avec les moyens techniques dont disposaient les puissants, les misérables devinrent de plus en plus misérables tout en voyant, au travers d’une sorte de lucarne, les nantis du monde devenir de plus en plus riches. Ils en sont arrivés à un stade où le monde n’était plus qu’une vallée de misère pour les trois quart des gens, et une vallée de larmes dans des souffrances de l’esprit pour le quart qui restait. La situation n’était de toute manière plus tenable. Tout a commencé par le renversement des chefs des pays les plus pauvres par leurs propres populations. Les grandes puissances n’en pavoisaient pas pour autant. Leurs peuples respectifs s’assemblaient par centaines de milliers dès que plusieurs chefs de grandes nations se réunissaient. Puis, rois et gouvernements de pays du sud, riches en matières énergétiques, ce fameux pétrole, furent à leur tour renversés par leurs populations, gagnées par le fanatisme de quelques uns. Les nations tombaient les unes après les autres. Chez nous, nous appelons cela l’effet domino, mais tu ne peux pas comprendre. Des gens prêt à tout avaient entre leurs mains des armes dont tu ne peux imaginer la puissance.
- Dans ma brochure, il était fait mention d’islamistes ?
- C’est cela, les islamistes ont joué un certain rôle à l’origine du Chaos. Ils y ont participé, comme tous les autres. S’il n’y avait pas eu les islamistes, il y aurait eu un autre déclencheur. Leur société n’était en fait plus viable, et elle ne pouvait qu’éclater, et c’était voulut par les maîtres du monde.
- Les maîtres du monde ?
- Oui, une sorte de très vieille confrérie secrète qui réunissait les hommes les plus puissants du monde. Leur idée fixe depuis très longtemps était de diriger le monde, et lorsque je dis le monde, je veux dire : Tout le monde, tous les individus de la planète ! Leur devise était : « Ordo ab Chaos », l’ordre à partir du désordre. Ils arrivèrent à plonger le monde dans une crise économique qui provoqua des désastres sociaux dans tous les pays développés, et ensuite ils armèrent les islamistes pour leur donner les moyens de frapper les plus puissantes nations. Leur objectif, secret, était de faire table rase de toutes les nations et royaumes de la terre, pour ensuite venir se positionner au grand jour en sauveurs de l’humanité en leur offrant LA solution : Ils avaient mis au point une technique de marquage pour régenter la vie de chaque être humain afin que les crises ne surviennent plus, ils se proposaient de rétablir l’ordre en prenant les commandes d’un empire qui serait mondial, et ainsi exercer un pouvoir absolu sur la planète et ses peuples. Mais au lieu d’appeler à l’aide ces grands Messieurs, les hommes les rejetèrent après la chute des nations. L’humanité préféra le Chaos au grand monde mondialisé…
- Heuuu, j’ai pas tout saisi, mais c’est bien fait pour les maîtres du monde. Si je comprends bien, je fais l’inverse d’eux ? Eux ils ont créé le Chaos, et moi je le détruis ?
- Exact.
- Bon, à part ça, moi ce qui m’intéresse c’est les armes, ils avaient des armes plus puissantes que vos cannes ?
- Oui, nous avions dû tuer au début du chaos pour nous protéger, avec les armes à notre disposition. Ensuite, nos savants inventèrent des armes incapables de tuer l’homme.
- Comme Renaissance?
- Oui, dans ce registre.
- Les armes de l’ancien monde étaient donc infiniment plus meurtrières que les vôtres ?
- « On peut le dire, oui. Les hommes avaient mis à profit leurs connaissances de la science pour inventer des armes nommées nucléaires. Au commencement, seules quelques nations garantes de la paix du monde étaient suffisamment équipées pour les construire. Mais vers la fin, ces armes avaient proliféré dans une vingtaine de nations. Les puissants avaient faillit dans leur mission de maintenir la justice et la paix dans le monde, au lieu de cela, le monde s’était engouffré dans l’iniquité et la corruption. Un échec total, et une véritable humiliation pour les sudistes. »
« Des parents voyaient leur progéniture mourir de faim. On leur demandait de surtout rester en paix, mais on ne faisait rien pour améliorer leur sort. Les puissants n’avaient plus guère le choix que de faire bloc devant la soif de vengeance de ces populations. Fiévreusement, chacun préparait l’affrontement qui n’aura jamais eu lieu. Si les pays du nord avaient indéniablement une plus grande puissance, les pays du sud avaient un avantage aussi. Comme beaucoup de leurs hommes avaient migré au nord, ils étaient partout. Ils frappèrent donc de l’intérieur même des pays. »
- Les trois villes-capitales occidentales détruites ? C’est avec ces armes ?
- Avant la guerre qui semblait devenue évidente, trois grandes villes du nord, autant grandes que Rome, explosèrent. Une seule de ces bombes nucléaire pouvait faire disparaître une grande ville à elle toute seule. Voilà qui te donne une idée de la puissance des armes dont ils disposaient. Trois bombes, trois villes qui n’existaient plus et des millions de morts d’un coup.
- Infernal ! Mais dans ma brochure, ils nommaient cela “bombe atomique”.
- C’est la même chose. Mais cela n’est pas tout ; ces bombes dégageaient encore un méfait plus pernicieux, elles intoxiquaient l’air, les nuages, la pluie.
- C’est incroyable ! Complètement malades ces types ?!
- Malades certes, et je t’avais prévenu que tu ne pourrais croire à tout, mais c’est ainsi que cela fut. Les grandes puissances se réunirent alors pour ordonner leur riposte. Leurs chefs se rencontrèrent dans une réunion au sommet. Elle déclencha le petit chaos. Durant cette réunion, plusieurs chefs quittèrent l’assemblée en informant la foule que le nord s’apprêtait à rayer de la carte les populations du sud du globe. Ils devaient ainsi faire d’une pierre deux coups, si l’on ose dire : D’un côté ils auraient vengé la destruction de leurs villes, et de l’autre, ils pourraient survivre techniquement avec les richesses énergétiques du sud. Le sud sans sudistes en fait, le pétrole sans arabes ! Un grand rêve de l’époque... Les frappes nucléaires de représailles devaient être effectuées dans des conditions météorologiques favorables, ceci afin que les vents n’emmènent pas le poison nucléaire vers les territoires du nord.
- C’est donc l’idée américaine qui l’a emportée ?
- « Au début, c’était l’idée américaine, mais ensuite, l’idée prit de l’ampleur pour contaminer bien des chefs d’états. Cependant, les chefs radicaux, nommés justement les islamistes, qui avaient renversés les gouvernements du sud, venaient de détruire trois villes en annonçant que 18 de leurs bombes nucléaires étaient déjà en place dans d’autres cités nordiques. En cas de riposte, ils prédirent qu’une destruction finale aurait lieu. Les populations nanties étaient de toute manière à bout. Si les sudistes avaient l’habitude de voir mourir les leurs, ce n’était pas le cas au nord, et eux tremblaient devant cette grande destruction. Ils rejetèrent leurs propres gouvernements qui s’apprêtaient à condamner une partie du monde, et peut-être la totalité en cas de riposte du sud. »
« La plèbe nordiste s’introduit donc en masse dans le bâtiment où étaient réunis leurs chefs. Ce fut un grand massacre des chefs dans l’enceinte même du palais, et c’est là que les maîtres du monde furent prit de vitesse, car dans leur plan, ils comptaient s’appuyer sur le reste d’autorité de ces chefs pour ensuite recevoir d’eux le pouvoir total par cession. Tous ces gouvernements furent ensuite renversés par la populace en folie dans leurs propres patries. Ce fut effroyable, mais peut-être ce qui sauva le monde. »
« Une sorte d’anarchie se mit à sévir un peu partout. Voyant que l’ennemi n’existait pour ainsi dire plus, puisque le chaos s’installait au nord, les islamistes n’avaient plus lieu d’être au sud. Ces gens existent s’ils ont un ennemi. Sans ennemi, ils se virent incapables de gérer et maîtriser leurs nations et populations. Le chaos s’installait partout. Le pontife de l’époque avait mené des tractations avec les différents états-majors des armées lorsque celles-ci se retrouvèrent sans nation, sans chefs : Tous morts, et leurs gouvernements inexistants. Le pontife obtint de la plupart des chefs militaires de ne pas tirer sur leur propre peuple. Mais surtout, il réclama un accord sur l’utilisation de ces armes aussi dévastatrices que dangereuses pour l’humanité tout entière. Si le sud se perdait à son tour dans le chaos, il serait vain de sacrifier autant de vies pour un résultat identique. »
« Le sud sombra dans le chaos pas même un an après le nord. Les armées se morcelaient, devenaient de plus en plus des sortes de guérillas protégeant des régions plutôt que des nations qui n’existaient plus. Le nord et le sud n’étaient pas plus avancés, mais le danger de la fin de l’humanité semblait s’éloigner. Il ne s’agissait plus d’attaquer un adversaire de l’autre côté du monde, mais contenir ses frontières locales. Après une longue médiation entre les différents chefs militaire détenant ces armes, ils acceptèrent de ne plus en faire usage et de s’en débarrasser. Le monde était peut-être sauvé, mais le chaos avait commencé. Les soldats avaient rejoint leur ville ou village. Il y eu encore des explosions immenses, tous les pays n’ayant pas respecté l’accord sur l’arme de destruction nucléaire. Mais ce n’était plus que des soubresauts d’individus qui voulaient encore croire au monde qu’ils avaient connu, notamment les chinois. »
- C’est qui ceux-ci encore ?
- « Le plus grand peuple du monde. Il avait vu le monde s’écrouler sans n’avoir participé à rien ! Sans doute un peu frustré, leur gouvernement tenta de soumettre le reste du monde et s’attaquèrent à quelques nations qui n’existaient même plus, en faisant usage de leurs armes nucléaires, … mais sans effet, car les pays n’allaient pas se reformer pour faire plaisir aux chinois. Leur gouvernement tomba lui aussi à la suite d’une énorme crise économique et alimentaire, l’année suivante. »
« De fait, les gens se repliaient sur eux-mêmes. Ils ne voulaient plus de ce grand monde si cruel, ils ne voulaient pour ainsi dire plus en entendre parler. A ce grand monde là, ils préférèrent la sécurité de leur petite ville où village. Ce n’était toutefois pas encore la pire des périodes que connu le monde. Il y eu bien sûr beaucoup de personnes qui ne pouvaient pas accepter ce nouveau monde chaotique, et ils baissèrent les bras. Je pense qu’il n’y a jamais eu autant de gens dans l’histoire de l’humanité qui se soient donné la mort de leur propre main. Ces années qui ont fissuré l’ancien monde donnèrent lieux à des hécatombes de suicidés. Toutefois, certains semblaient comprendre leur nouvelle situation. Coupés de leur ressource énergétique première, le pétrole, les hommes du nord ne pouvaient plus utiliser leurs fantastiques machines. Dans la vallée d’où tu viens, ils ont pu repousser le vrai chaos de quelques dizaines d’années car ils utilisaient l’eau des montagnes pour en faire de l’énergie. Ils purent donc maintenir un minimum de technique un peu plus longtemps. »
- Ils n’avaient pas encore d’enceintes en ce temps, n’est-ce pas ?
- C’est exact, et ta vallée alpine est restée plus où moins calme pendant que les autres mourraient de faim. Tes ancêtres redevinrent des besogneux, cultivateurs, éleveurs. Il leur restait encore quelques unes de ces notions, tandis que les grandes villes étaient à l’agonie, des épidémies y faisant des ravages.
- Parce qu’avant d’être cultivateurs ils étaient quoi ? Tous guerriers ?
- Ce n’était pas aussi simple, ils n’avaient pas du tout la même vie que vous. La majorité des gens des villes restaient toute la journée assis dans des endroits qu’ils nommaient « bureau », pour travailler à milles choses différentes et très complexes.
- Ils travaillaient assis ? Ils n’étaient ni cultivateurs ni guerriers, ni marchands et ils travaillaient assis ?!?
- Le monde dans lequel ils vivaient avait besoin d’eux, c’était eux qui participaient à faire que cette société puisse continuer à fonctionner. Cela semblait d’ailleurs leur convenir, ils avaient un système de monnaie pour acheter et vendre.
- De la monnaie, qu’est-ce cela encore ?
- Oublie ça, il aurait mieux valut que je ne t’en dise rien. La monnaie était peut-être une de leur pire invention, ce qui a rendu malade l’esprit humain. Continuez vos trocs et vos commerces, ils sont sains.
- Alors c’est cette monnaie qui a provoqué le véritable Grand Chaos ?
- Non, la monnaie disparût en même temps que les nations. Elle ne valait ni ne servait plus à rien. Elle aurait théoriquement dû être remplacée par des systèmes électroniques très savants implantés sous la peau des gens, mais finalement cela ne se fit pas, et la monnaie fut tout simplement oubliée. Mais le pire restait à venir. L’épuisement des ressources, la pollution de l’air, la quasi disparition des grandes forêts, des nappes phréatiques empoisonnées, des catastrophes naturelles à la chaîne, des épidémies monstres... Aujourd’hui, tu repars dans un nouveau monde avec une seule dominante : La force, voilà la valeur la plus élevée de votre civilisation.
- Cela n’en a-t-il pas toujours été ainsi ?
- Dans l’ancien monde, la valeur dominante était la puissance financière.
- Que signifie “financière” ?
- Cela avait justement un rapport avec la monnaie. Plus les gens avaient de cette monnaie, plus ils étaient riches et plus grande était leur puissance. La force physique n’avait plus beaucoup d’importance.
- Mais, des faibles ne dominaient tout de même pas les forts ?
- Bien entendu. Des petits malingres pouvaient avoir des dizaines de forts pour les protéger, peu importait que les chefs soient forts ou faibles. Vos marchands ne sont pas toujours les plus forts non plus, et ils commandent les meilleurs guerriers.
- Tout de même, c’est des marchands ! Tandis que d’après ce que tu me dis, avec cette monnaie, les guerriers se laissaient commander ainsi par des ridicules ? C’est invraisemblable !
- Ce fut pourtant ainsi. Le monde a changé de visage suivant ses nécessités. Dans l’ancien monde, les enfants venant au monde n’étaient pas toujours accueillis à bras ouverts. Vers la fin de l’ancienne civilisation, quelques dizaines d’années avant le Chaos, bien des femmes demandaient à leur guérisseur de tuer l’enfant en elles pour qu’il ne puisse naître.
- Bon Dieu quels barbares !... Mais comment se fait-il que des êtres aussi intelligents en soient arrivés là ?
- Ils ne savaient plus ce qu’ils faisaient, l’esprit à la dérive... Maintenant, une femme qui chercherait à éliminer l’enfant qu’elle porte serait immédiatement rejetée parmi les parias. Tandis qu’avant, c’était normal. Si la venue de cet enfant pouvait lui poser des problèmes d’organisation, elle pouvait le détruire avant même sa naissance. De toute manière, si elle décidait de donner vie à ce petit, elle n’était nullement plus considérée que si elle restait inféconde. Aujourd’hui, une femme qui a donné la vie dispose de toute la déférence possible de la part du sexe fort. Une sorte de respect si particulier, que les anciennes mères se sont vues dans l’obligation morale de fonder des conseils de matrones pour juger leurs congénères ! Vous êtes devenus incapables d’objectivité face aux femmes qui enfantent. Votre monnaie, votre richesse, votre puissance repose sur la fécondité de vos femmes et vous en êtes conscients. Vous faites ainsi tout votre possible pour qu’elles atteignent cet objectif en les préservant au maximum de toutes tâches qui pourraient les blesser. Vous donnez aussi votre vie pour sauver vos femmes de la capture. Elles ont aujourd’hui le respect qu’elles méritent pour ce qu’elles font de mieux : des enfants ! Et cela est bon. Votre comportement provient du phénomène de l’instinct de survie de l’espèce.
- Comment cela?
- La population mondiale fut décimée durant 3 siècles, et faillit disparaître. Pour ne pas s’éteindre, les femmes fécondes furent en quelque sorte sanctifiées par la tribu. L’humanité a ainsi pu croître selon un schéma plus ou moins bien établi. Lorsqu’il ne reste plus rien, on redécouvre l’essentiel : Essayer de rester en vie et sauver l’espèce du naufrage... L’humanité a surmonté l’épreuve de la peste nucléaire, mais perdit tout ascendant sur la création. Depuis mille ans, vous participez à reconquérir votre dû : La création que Dieu offrit à l’homme. Pour cela, les femmes restent en grande considération dans votre Chaos. Il vous faut de la descendance pour repeupler le monde... Dans l’ancienne civilisation, les femmes recevaient la considération sociale en fonction de leur travail, et non de leur descendance. Ceci a également contribué à la destruction de la perception de la vraie nature des êtres ainsi que de la famille, mais c’était avant le début du Chaos.
- Sais-tu ce qu’il y eu dans ma vallée lors de ce Chaos ?
- « Oui, j’ai fait consulter nos archives depuis ton dernier passage. En fait, vous avez étés gâté durant encore pas mal de temps. L’époque était dure, certes, mais il y avait peu de querelles entre vous. Cependant, vous défendiez férocement l’accès à votre vallée. A l’intérieur, vous étiez bien lotis par rapport aux autres, mais c’était pour le payer chèrement plus tard. Vous aviez de l’énergie grâce à de grands barrages construits dans les montagnes qui retenaient d’immenses masses d’eau. C’est grâce à eux que beaucoup de centres vitaux de l’époque purent continuer à fonctionner. Car à partir de cette eau, vous arriviez à fabriquer de l’énergie. Par exemple, vos hôpitaux, qui étaient en fait d’immenses centres de soins, ont fonctionné durant encore longtemps,... jusqu’à ce qu’un premier barrage ait craqué. Une cinquantaine d’années après le début du petit chaos, de grosses catastrophes faisant des multitudes de morts vous frappèrent. Le Grand Chaos débuta trois générations après la fin des nations. Certains vieillards de cette époque ont connus les deux chaos successifs à quelques 70 ans d’intervalle, tous deux ayant sévit au 21ème siècle. »
« Alors que le monde se remettait à peine de sa nouvelle condition, le coup de grâce tomba. L’humanité commençait à tenter de redémarrer quelques semblants de coopérations, essayait de rebâtir sur des ruines encore fumantes. Certains disposaient toujours des connaissances de l’ancienne civilisation, et ils pensaient pouvoir réussir. Mais c’est justement en ce temps de la dernière chance que la fin de l’ancien monde survint. Les fameuses bombes nucléaires qui avaient été débarrassées, ainsi que des multitudes de ces déchets empoisonnés, à force de pourrir dans divers dépôts, répandirent leur poison invisible dans les airs. Des masses incroyables de ces déchets mortels avaient même réussis à polluer la mer. Il y avait les pluies acides, le monde ne savait plus ce qui lui arrivait, même si d’aucuns prophètes de la dernière heure avaient annoncé cet ultime fléau. L’humanité souffrit toutes les plaies possibles durant une quinzaine de générations. Ils tombaient malades, naissaient déformés, mourraient jeunes. Ce fut la période la plus dure. Le temps de la peste nucléaire, de la disette, de la maladie et de la mort partout. L’humanité agonisait véritablement. Tous les hommes souffraient et voyaient mourir énormément de leurs proches. La mort envahi la terre durant près de 300 ans, le temps que le poison perde son potentiel nuisible. Entre temps, nous croyions que tout était fini.
- Et pourquoi Rome a résisté?
- Nous fûmes aussi sujet à cette agonie. Notre médecine nous aidait, mais en ce temps, nous ne connaissions pas encore de remède contre ce mal, et notre population en fut durement touchée. Rome n’a pas été emportée par le Chaos, non. Après la chute des gouvernements, la dernière autorité qui restait et qui pouvait encore être respectée était celle du pape. Nous avons pu compter sur des millions de fidèles venus assurer la protection du Saint Siège et de Rome. Comme des brebis perdues, elles cherchaient un berger. Beaucoup venaient de loin armés, avec leur famille. Le pape les accueillit tous à Rome et ils étaient d’excellents combattants lorsque nous étions agressés. Ils construisirent d’ailleurs toute cette enceinte, eux et leurs descendants.
- Oui j’ai remarqué, prodigieux ! Les autres en ont fait autant ?
- Non, pas tout de suite. Mais les uns après les autres, les villages et les villes se repliaient sur elles-mêmes et commençaient à se protéger de tout intrus, surtout lors de l’époque des grandes maladies. Dans ces conditions, les hommes se concentrèrent de plus en plus sur l’essentiel : manger et survivre, et du peu qu’il en restait, ils oublièrent l’esprit. Ils ressemblaient plutôt à des bêtes hargneuses. D’ailleurs, Rome finit par accueillir presque tous les plus grands savants. Ils venaient y chercher refuge. A l’extérieur de nos enceintes, depuis la chute des nations, les guérillas faisaient la loi, les autres autorités avaient disparût. Cela faisait peine à voir. Tout ce chaos résulte en fait d’une suite d’événement dû à la maladie de l’esprit de l’homme. Je pourrai te parler durant des heures, mais jamais je ne pourrai te dire : - “Voilà, c’est ceci ou c’est cela qui a provoqué le chaos !” Pas une chose plus qu’une autre, seulement la folie humaine... Avec son esprit malade, errant, l’homme a créé de ses propres mains son Grand Chaos. Tout cela alors qu’il disposait d’une maîtrise technique que jamais jusque là l’humanité n’avait atteint. Dieu n’est intervenu directement à aucun moment, l’homme s’est jeté lui-même dans les bras chaos. En même temps, il réapprit certaines valeurs qu’il avait tout simplement oubliées, comme la valeur des enfants et des femmes.
- Merci, j’y vois tout de même un peu plus clair. Mais comment avez-vous réussi à maintenir cette technique chez vous ?
- « Comme je te le disais fort à propos, beaucoup de grands savants vinrent chercher refuge à Rome après la chute des nations, tandis que nos fidèles défendaient la ville et les territoires que nous revendiquions pour nos cultures. Ces savants ne se sont pas contentés de maintenir la technique de l’ancien monde, ils furent forcés de chercher d’autres sources d’énergie que celles que nous connaissions traditionnellement. Puis, ils ont évolués. En fait, je pense que si j’expliquais notre technique actuelle à un homme du 21ème siècle après le Christ, il en comprendrait autant que toi si je t’expliquais le mécanisme des machines qu’ils construisaient dans l’ancien monde. »
« Toutefois, au lieu de faire tout et n’importe quoi, chacune de nos innovations technique est conçue après avoir répondu à une question fondamentale: “Qu’est-ce que cela apportera à l’évolution du peuple romain, où plus généralement à l’Homme?” Dans l’ancien monde, la devise était plutôt : “C’est possible, donc on le fait.” Nous pensons à l’homme d’après un point de vue différent de nos ancêtres. Nous savons aujourd’hui que notre planète a été conçue de manière parfaite. La Terre évolue avec des multitudes d’interactions qui chacune, s’équilibrent. L’intervention de l’homme peut bouleverser ces équilibres, et il est inutile d’intervenir sur la nature fondamentale des composantes de la création, comme le faisaient les anciens scientifiques. Le Chaos nous a au moins appris cela : Si la science n’apporte rien à l’amélioration de la condition humaine, elle est inutile. Cependant, nous considérons l’humanité comme un tout et non à partir des désirs individuels des hommes. Peut-être qu’une femme de 60 ans souhaiterait avoir l’apparence d’une de trente ans, mais qu’est-ce que cela apporte à l’humanité ? Cette femme se sentira-t-elle mieux dans sa peau ? Peut-être, mais uniquement selon un jugement perturbé qui n’induit qu’une incapacité à s’accepter tel que nous sommes. Une déviance et des utilisations très égoïstes de la science dont nos ancêtres ont largement abusé.
- Ils arrivaient à rajeunir les gens ?
- Non, juste à leur en donner l’apparence. Aujourd’hui, nos connaissances nous permettraient de rajeunir véritablement les humains, mais à quoi cela sert-il ? Après plus de 80 ans de vie, lorsqu’ils ont vus leurs propres enfants faire des petits enfants, et ceux-là en faire des arrières petits-fils, ils ne souhaitent de toute manière plus continuer..., pour faire quoi d’ailleurs ? Nous possédons la connaissance scientifique de la source de jouvence, mais cette technique ne fut jamais utilisée ni conçue. Elle fut interdite et le restera. Une maxime de l’ancien monde disait que la vie est un long fleuve tranquille. Mais à la fin, si le fleuve ne se jette pas dans la mer, à quoi sert-il ? Dieu nous propose la mer entière, pourquoi voudrions-nous rester éternellement coincés entre deux berges ? Pourquoi l’homme devrait-il vivre éternellement les souffrances de la condition humaine, alors que Dieu lui propose le bonheur éternel dans son royaume ?
- Tu m’as l’air d’en savoir un bout sur le sujet, mais c’est ton boulot. Moi je n’ai guère de connaissances dans ce domaine. Qu’est-ce qu’il se passe après la mort ?
- Jésus Christ fera la différence entre les agneaux et les loups. Il prendra les premiers auprès de Lui, dans le Royaume des cieux, tandis que les loups seront précipités en enfer.
- Oh là doucement ! J’ai de la peine à me comparer à un agneau.
- C’est une métaphore, une comparaison pour dire les saints et les maudits. Regardes moi Léopold, je suis le souverain pontife de Rome, Sa Sainteté Paul XII. D’un simple décret, je pourrai conquérir le monde et en faire ce dont je jugerais bon. Et pourtant, je te livre cette ville, comme un agneau, pour te laisser construire le monde. L’important n’est pas la puissance, mais la sagesse de reconnaître que ce qui est bon pour beaucoup, l’emporte sur les désirs, souvent égoïstes, du petit nombre. Tu parles le langage du Chaos, ton épée t’éduque, et ton peuple te comprend, toi.
- Vous ne pensez plus être en mesure de communiquer correctement avec le peuple du Chaos ?
- Communiquer avec eux veut d’abord dire les conquérir. Si je conquière le monde, je ne suis plus le pape mais l’empereur. Ma vocation me suffit, et l’histoire nous a déjà démontré qu’un pouvoir politique respectueux des commandements fondamentaux et de l’église, mais différent, est profitable pour le peuple. Ce qui est bon aujourd’hui pour le monde est un fédérateur, un homme de caractère, puissant, que tout le monde admire et qui parle un langage que tous les peuples comprennent, un homme qui structure une nouvelle civilisation. J’accepte donc de te léguer Rome pour le bien du monde. Ton travail sera de le conquérir et le rebâtir. Tu exerceras ta responsabilité, et ne crois pas que tu seras jeté en enfer. Nous intercéderons pour toi auprès du Tout-Puissant.
- Mais dans ta métaphore, je me compare tout de même plus à un loup ! Lorsque j’incendie des marchés et des clans entiers, tu trouves que ça fait genre agneau ?
- Tu fais avec les moyens à ta disposition, mais après ton passage, que reste-t-il des régions soumises ? Vivent-elles mieux ou moins bien qu’avant ? C’est à cela que tu devras veiller. A ce que ton passage et ton action laisse du bon derrière toi, de la justice, une plus grande sécurité, un monde meilleur. Jésus Christ a dit “aime ton prochain comme toi même”. Ton prochain est les peuples que tu soumets à ta loi. Fait en sorte que la civilisation que tu bâtis soit meilleure que le Chaos, c’est pour que tu puisses mener à bien cette mission que je te cède Rome. Dieu jugera ta conduite lors de ta mort. Tâche de Lui présenter un monde qui relève la tête et qui reprend son destin en main. Accompli ce pourquoi je te laisse ma ville.
- Sacrée affaire tout de même!, concluais-je sous le sourire du pontife.
Quant à ma damnation, le pape se montrait plutôt bienveillant. Il avait d’ailleurs réussi à me faire croire que leur fameux Paradis était même ouvert à nous, les barbares. De plus, le pontife me semblait en très bons termes avec son Dieu et s’il me disait qu’il intercéderait pour moi, j’étais certain qu’il le ferait. Paul n’était ni fourbe, ni homme à mentir, je le voyais et le sentais. J’avais donc bon espoir qu’avec un allié comme lui, je ne pouvais que m’en sortir au jour de mon jugement. Ne m’avait-il d’ailleurs pas dit que c’était son prédécesseur qui tenait les clefs du Paradis ? Je restais ainsi confiant sur mon sort à ce niveau, et de toute façon, je n’avais plus de question dans ce domaine car la spiritualité n’a jamais été l’un de mes points forts.
Le Seigneur Paul dû le ressentir car il se leva en annonçant : - Maintenant, rejoignons la basilique, nous parlerons peut-être encore un peu là-bas.
Après ce tour de Rome où le pape avait vraiment fait ses adieux à Sa ville, nous arrivâmes devant la basilique. Le pontife ne semblait pourtant pas pressé de partir et il s’assit sur le banc de pierre au centre de la place, le même que celui sur lequel je m’étais réveillé le jour zéro de l’an zéro, et il resta là, pensif, fixant l’immense façade de l’édifice. Il était difficile de deviner ses pensées. Parfois, son regard semblait triste mais résigné, mais d’autres fois, lorsqu’il me parlait, je devinais aussi comme une certaine forme de soulagement. De mon côté, je ne pus résister à percer encore quelques mystères:
- Regrettes-tu ?
- La séparation sera certes difficile, mais pour le moment, je ne regrette rien. Il y a trois mille ans, un homme comme toi voulait aussi prendre Rome. Mon prédécesseur, Léon le Grand, l’en dissuada car il avait ses raisons, raisons qui ne sont plus valables de nos jours, c’est pourquoi je fais l’inverse de lui, en espérant ne pas avoir à le regretter un jour.
- Veux-tu me raconter ?
- « Pourquoi pas ? Je ne suis pas si pressé de quitter cette ville Sainte. »
« C’était en l’an 451 après la naissance du Christ. La civilisation romaine avait déjà presque 1’500 ans d’évolution. L’empire de Rome s’étendait sur des territoires dont tu n’imagines pas encore l’étendue. Avant les papes, des empereurs régnaient sur Rome. Mais à cette époque, l’empire était entraîné dans la spirale de la décadence. Les moeurs des individus ressemblaient à ceux des hommes juste avant le Grand Chaos. Je crois qu’on peut dire que la société romaine avait là aussi perdu l’esprit. »
« En ce temps, un barbare comme toi, nommé Attila, naquit en dehors de l’empire. Il appartenait à un peuple de l’est, les Huns. Durant la jeunesse d’Attila, son peuple menait à peu près le même genre de vie que vous. Ils habitaient dans des huttes, fortifiaient leurs villages, s’entre-tuaient entre clans du même peuple, tout comme vous. Ils vivaient dans le chaos. Rome n’avait donc pas à se soucier des Huns, ils étaient bien trop divisés pour représenter une quelconque menace. Attila fut le premier à réussir à fédérer toutes les tribus, ce qui lui valut le titre de premier roi des Huns. C’était un splendide guerrier et un immense stratège. Il fut appelé le fléau de Dieu. L’empereur l’invita même à Rome avec les honneurs en tant que roi des Huns ! Lorsqu’Attila vit Rome, il était sans doute comme toi, subjugué par les beautés de cette ville, lui le sauvage qui sortait de cabanes de bois! »
« Cependant, s’il remarqua la grandeur de Rome, il remarqua également des hommes et des femmes décadents, calculateurs, politiciens, corrompus par le vice et la luxure. Il remarqua aussi des armées fatiguées, démotivées, pressées de toutes parts dans un empire qui n’arrêtait pas de se fissurer. L’empire romain avait d’ailleurs été divisé peu de temps auparavant. Ils avaient créé l’empire d’orient, et celui d’occident, dont Rome était la capitale. A partir du moment où Attila avait vu la cité, il prépara comme toi la chute de Rome. Son peuple vivait dans les territoires de l’est. Il fracassa d’abord l’empire d’orient, puis s’attaqua à celui d’occident. En moins de deux ans, il soumit toutes les villes de l’empire sur sa route jusqu’en Espagne, le territoire le plus occidental du continent. Il pouvait prendre Rome et était prêt à l’occuper. L’empereur de l’époque, assis sur un trône branlant, laissa le pape Saint Léon le Grand négocier avec Attila. Mon prédécesseur le dissuada d’occuper Rome et le grand barbare retira ses armées. »
- Comment a-t-il fait pour le convaincre de reculer ?
- Là n’est pas la question. Après quelques tractations, les Huns partirent. Avec le recul de l’histoire, ce fut peut-être une erreur. Attila était un barbare, mais son esprit était sain, tandis que l’empereur Valentin était incapable de prendre une décision cohérente. Le barbare avait de toute manière fait éclater l’empire romain et Byzantin, en orient. Au lieu de prendre les commandes de ces empires avec des forces vives, il les laissa agoniser. L’agonie fut pourtant de courte durée. En juin 455, Rome fut mise à sac par les Vandales. Au lieu d’Attila : les Vandales, Rome humiliée, et la chute finale d’une grande civilisation. Comme pour l’ancien monde, cette civilisation n’était plus viable. Attila aurait pu être le déclencheur, et puisque ce ne fut lui, un autre est venu. »
- Et Attila ?
- « C’était un fantastique guerrier. Dans ses combats, il a toujours mené ses troupes à la victoire. Beaucoup complotèrent pour tenter de le tuer mais périrent à sa place. Il avait la force, un sens de la stratégie inné, l’intelligence, l’agilité, il ne perdait pas. Mais tout le monde a un point faible non ?... Son point faible était les femmes, tout simplement. Attila mourut deux ans avant le sac de Rome, en 453, empoisonné par sa femme. A n’en pas douter, sans son aveuglement face aux femmes, il aurait fait un grand empereur. Fait attention à toi Léopold. Un sage homme disait un jour : « Bon Dieu, protège moi de mes amis, mes ennemis je m’en occupe... »
« Rome à terre, Attila mort, le monde sombra dans une sorte de petit chaos durant environ 6 ou 7 siècles. Cependant, l’humanité post-romaine s’en sortit mieux que vous. Durant ce petit chaos, il y avait encore de grandes juridictions et royaumes, avec un premier Empereur Chrétien d’Occident déjà en l’an 800, Charlemagne. N’en demeure pas moins que le monde vécu dans l’obscurité durant cette période sans véritables grande civilisation. »
- Les hommes d’avant le Grand Chaos n’arrivèrent pas à se maintenir comme ceux-ci?
- Peut-être auraient-ils pu le faire s’il n’y avait eu les maladies dues aux pollutions nucléaires. Ces trois cents ans de souffrances transformèrent les hommes en vraies bêtes. Tout fut emporté durant cette période, toutes les connaissances de l’ancien monde, sauf à Rome. Il a cependant fallut attendre plus de mille ans pour que vous vous multipliez, et qu’enfin, l’homme reprenne possession de la Terre. Maintenant que vos territoires sont gérés par des chefs qui peuvent compter sur de bons bataillons d’hommes vaillants, ils commencent à regarder un peu plus loin que leur seul marché. Tu es apparu, et te voilà aujourd’hui, tel Attila à l’époque, devant les murs de Rome avec une armée colossale ! J’ai donc choisis de ne pas prendre la même décision que mon prédécesseur. Les temps n’étaient pas les mêmes, toi tu combats le Chaos, Attila se battait contre des empires, décadents certes, mais de puissants adversaires tout de même.
- Mais comment es-tu sûr que je serai capable de bâtir une civilisation ?
- « Tuer son adversaire lors d’un duel est l’aveux d’un demi échec », comment sais-je cette phrase que ton père t’a apprise et dont tu y crois fermement ? « La brutalité est l’apanage des forts, la cruauté est celui des faibles », … c’est ta devise non ? Comment puis-je la connaître ? Comment saurai-je les jours et les années que tu as passé en entraînements pour maîtriser la discipline la plus difficile, parer les flèches de plusieurs tireurs. Comment sais-je que tu fus interdit de tournois durant toute ton enfance, et que tu servis durant deux ans dans l’armée marchande de Monié, dont tu devins le champion ? Comment sais-je que le combat de Tourbillon fut spectaculaire, que tu tuas, armé d’une simple perche métallique, un grand champion, et que ton Dauphin Rino est devenu un de tes plus proches amis malgré le méchant coup qu’il te donna à la jambe ? Comment sais-je que Sabrine te porte une fidélité de coeur indéfectible, que tu lui as offert un quart d’once d’or à chacun de ses accouchements ? Comment saurai-je tout ceci ?
- Mais..., ce n’est pas possible ! Comment fais-tu pour…?
- Je n’aurai pas confié Rome au premier voyou venu. La première fois que tu es entré dans la ville, après avoir passé la muraille sous l’eau, nous t’avons endormi. Dans ta tête, un endroit garde en souvenir tout ce qui s’est passé dans ton existence. Pendant que tu dormais, nos scientifiques ont comme copié cette mémoire.
- Encore ces scientifiques ! Qu’est-ce qu’ils m’ont fait ?
- « Rien, rassure toi, une simple photographie..., mais tu ne comprend pas ce mot. Enfin, toute ta mémoire a été copiée et l’unique exemplaire de cette copie est en ma possession, personne d’autre n’y a accès. Mais je n’en ai que la copie, l’original est en toi. »
« Lorsque je t’ai rencontré la première fois, une analyse sommaire me montra que tu étais un barbare sans coeur. C’est la vérité, ton coeur ressemble à une pierre. Tu as du respect pour certaines personnes, mais tu n’es attaché à personne, bien que tu apprécies Sabrine et que tu fondes de grandes espérances sur Victorio. Cependant, j’ai aussi vu de la puissance, de l’intelligence, des principes, de la rectitude et une volonté rare. Je t’ai donc offert Renaissance, une épée unique. »
« Elle pouvait t’aider à lutter contre le Chaos tout en te civilisant un peu. Mais je sais aussi que sans Rome, tu n’es plus grand-chose. Tous ces guerriers te laisseront s’ils n’ont plus d’espoir de prendre la ville. Ainsi, je te donne une assise pour civiliser le monde, et tes guerriers t’en resteront reconnaissants et fidèles. »
« Vois-tu, si je ne devais retenir qu’une seule chose qui aurait provoqué le Chaos, je la mettrais sur le compte de la haine. La haine de l’autre, la haine de soi-même… Ton coeur étant insensible à l’amour, il est à contrario imperméable à la haine aussi, qui n’a pas d’emprise sur toi. De fait, tu n’as jamais haï, pas même les parias. Tu as toujours fait ce que tu pensais juste, et l’ennemi ne t’a jamais inspiré de haine, mais plutôt des défis que tu aspires à relever. »
- Et pour quelle obscure raison les anciens hommes se haïssaient-ils ainsi ?
- Ils désiraient en fait le contraire. Ils aspiraient à créer une société globale sur le monde tout entier, dont chaque habitant serait soumis aux mêmes règles de paix, de fraternité, d’amour… Ils ne réussirent pas à mener à bien leur mission dans leur monde organisé, car on ne haït pas ceux qu’on ne voit pas. Cependant, sitôt que les populations ont commencé à se mélanger et que chaque peuple y allait de ses petites revendications, la haine de l’autre naquit. Ce n’est qu’ensuite que la grande civilisation globale put voir le jour. Lors du début du chaos, et surtout, lors de la grande peste nucléaire : tous les humains vivant sur la surface de la planète ont adopté le même mode de vie ! Mais il ne s’agissait plus là de globalisation organisée, ce n’était plus que l’instinct de survie qui imposait ses règles à l’humanité tout entière. Ainsi, durant la grande peste, nous vîmes une harmonisation des règles et des lois qui s’étendaient à travers tous les clans du monde. Les anciens avaient donc réussit leur globalisation du monde, mais au prix du Chaos...
- Nos ancêtres n’étaient donc que des savants idiots ?
- Je dirais plutôt des sortes d’aventuriers errants, sans buts ni objectifs, dont la seule aventure suffisait à justifier leurs errances...
- C’est bien ce que je disais, des idiots !
- Comme tu voudras. Maintenant, je vais te confier Rome, je la remets sous ta protection, en espérant que tu sauras te montrer digne de ton règne et de ma confiance.
- J’essayerai, et de toute façon, que pourrais-je répondre à quelqu’un qui a lu dans mon esprit comme mon scribe lit les manuscrits ?
- Je devais tout de même connaître un peu l’homme qui allait tenir le monde entre ses mains...
Nous descendîmes ensemble dans la crypte où avait disparut la suite du pontife quelques heures auparavant, et je vis un prodige.
Dans une pièce à l’arrière d’une série de sépultures de papes, il y avait une porte au beau milieu de la salle ! Elle ne donnait sur aucune pièce. Elle trônait simplement là. Toutefois, entre les battants, il flottait une sorte de miroir qui paraissait onduler comme du liquide. Paul m’informa qu’il avait connaissance des conditions de détention de nos prisonniers, et qu’il pouvait m’aider à résoudre ces problèmes. Il m’indiqua que lorsqu’il aura franchit cette porte, il sera loin, très loin de la Péninsule, de l’Italie. C’était un phénomène prodigieux, mais en fait, je n’en croyais pas un mot, c’était impossible.
D’après les dires du pontife, lorsque notre corps franchit cette porte, il passe comme au travers d’un trou dans l’espace. En fait, le corps disparaît pour réapparaître sous une autre porte qui peut être située n’importe où. L’opération est immédiate. Dans l’ancien monde, ils avaient nommé cela la téléportation, mais ils ne l’avaient pas encore inventée... Il n’y a pas de vitesse de voyage, c’est instantané ! Il m’informa donc que lorsqu’il aura passé cette porte, ses savants modifieraient la destination d’arrivée. Je pouvais envoyer tous les prisonniers indésirables par cette porte... nos fameux parias ! Il m’assura que jamais personne ne les reverrait. Cependant, il m’étonna encore plus en m’informant que les femmes infécondes n’étaient pas envoûtées. Selon ses dires, les stériles souffraient simplement d’une maladie bénigne, que ses scientifiques étaient tout à fait en mesure de guérir. Il me proposa donc de faire passer les stériles par la porte avec les autres bandits, et ils se chargeraient de les guérir pour nous les renvoyer ! Les autres parias réapparaîtront sous une autre porte située dans un lieu d’où ils ne pourront plus nuire, et sans retour possible ! Il s’agissait d’un aller simple, et Paul me dissuada d’essayer d’y passer sous peine de ne plus pouvoir revenir. Le marché était intéressant. Paul faisait soigner les infécondes et nous débarrassait par la même occasion des parias que tous les clans rechignaient à nourrir, enfermés dans de piteuses conditions. J’acceptais cette idée, mais lorsqu’il me proposa de soigner les gens qui aiment les autres de leur même sexe, je déclinais son offre. C’eut été un scandale de les revoir, et personne n’y comprendrait rien. La maladie des infécondes passait encore, mais pour le reste, qu’on s’en débarrasse et qu’on en parle plus. J’avais de toute façon un peu de peine à croire en cette affaire douteuse.
Le pape traversa alors la fine couche bizarre de liquide réfléchissant dans la porte, et il ne réapparût pas de l’autre côté ! C’était formidable, il avait disparût !? A peine un instant plus tard, voilà qu’il réapparaissait en sortant de cette sorte de miroir, mais dans l’autre sens cette fois-ci.
J’étais sidéré :
- Mais où étais-tu ?
- A des milliers de lieues d’ici, là où se trouve actuellement mon peuple. C’est une manière de voyager impensable pour toi.
- Il est difficile de m’imaginer une magie pareille.
- Je sais, et cependant, je vais te faire un dernier présent, ceci est pour toi.
Le souverain me désigna une série de malles plates un peu à l’écart dans la pièce. Il y en avait des centaines, et je n’avais aucune idée de leur contenu. Cependant, Paul s’approcha de la malle en bois la plus proche, et déverrouilla le petit taquet qui retenait le couvercle. Comme par enchantement, le couvercle s’ouvrit de lui-même pour aller se coucher sur le sol de l’autre côté. Lorsqu’il toucha terre, une porte se dressa à la verticale entre les deux couvercles. Lorsqu’elle fut en place, l’étrange miroir ondulant apparût miraculeusement entre les battants.
- « Ceci sont des portes que tu pourras emmener dans tes campagnes. Ces portes te permettront de rejoindre Rome ou n’importe quelles autres provinces en un instant. Celle-ci précisément, est programmée pour t’emmener au sommet de la grande croix. Là t’attend encore une heureuse surprise. J’espère que ce don saura faire diminuer le sang que tu fais couler dans tes combats. »
“Maintenant que Dieu te bénisse Léopold, nous ne nous reverrons sans doute jamais..., pour un peu que tu respectes mes consignes.”
Sur ces mots, il traversa le miroir de la porte fixée au milieu de la salle et disparût pour de bon.
Je me saisis d’une hallebarde et essayais de la passer sous cette porte à travers cette chose, mais l’arme n’apparût pas non plus de l’autre côté. Par contre, lorsque je la retirais en arrière, la totalité de ce qui avait traversé ce miroir visqueux n’était plus là. Il ne restait de ma hallebarde que le bout du manche que je tenais en main. Le reste était resté « de l’autre côté ». Je me saisis alors d’une seconde arme et me dirigeais vers la porte mobile qui était toujours en place dans le coin de la salle pour renouveler l’opération. Cette fois-ci, après avoir disparût derrière le “miroir”, la hallebarde revint intacte. Le pape avait dit vrai, la porte fixe est devenue un passage à sens unique dans un lieu dont on ne revient plus, réservé dorénavant aux parias et autres personnages de cet acabit ; tandis que celle que l’on peut ranger dans la malle fonctionne avec la hallebarde dans les deux directions.
La porte mobile était donc censée m’emmener au sommet de la grande croix, et là il devait encore y avoir une bonne surprise. Mais comment redescendre depuis là-haut ?
Je ne résistais pas à la tentation trop longtemps, le pontife ne semblait avoir aucun intérêt à me voir disparaître et j’avais confiance en cet homme. Alors, d’un pas décidé, je marchais au travers de la porte. Au pas suivant, voilà que je me retrouvais face à un soleil de fin d’après-midi, de biais sur la mer. J’étais sur une grande plate-forme très élevée. En fait, j’étais à extrême pointe de l’immense croix, sous une porte identique à celle de la crypte. Le sommet de la croix était une plate-forme de plusieurs centaines de pas de côté, et il n’y avait aucun risque de tomber. Cependant, depuis la porte située au centre, ils avaient installé des barrières qui menaient jusqu’au bord, un endroit d’où on pourrait observer la ville au bas. Le passage entre les deux barrières était large de 7 ou 8 pas et j’avançais vers le bord. Lorsque je fus proche de l’extrémité et que je commençais à voir la ville au-dessous, je distinguais un cercle droit devant moi. Ce n’était pas un cercle simplement tracé sur le sol, mais métallique. Le plus étrange était que le métal ondulait en petites vagues. J’étais obligé de mettre mon pied dans ce cercle si je voulais atteindre le bord de la croix pour observer la ville plus à mon aise. Mais, pensant à l’heureuse surprise que m’avait prédis le pontife, je m’aventurais dans cette bizarrerie, confiant. Au moment où mon corps se trouva dans le cercle, je fus entouré immédiatement par une espèce de bulle invisible qui s’éleva dans le ciel !
J’étais à moitié terrorisé de ne plus sentir le sol sous mes pieds. En fait, je flottais dans cette sorte de bulle, sa paroi invisible était tout à fait molle, et elle s’avançait au-dessus de la ville, à une hauteur vertigineuse... Je n’étais pas assis dans la bulle, je flottais totalement, … comme ça, en plein ciel ! En tendant la main, je pouvais toucher la face invisible, qui se déformait sous la pression, et je n’osais pas trop forcer de peur de faire éclater la bulle. En même temps, j’étais de plus en plus convaincu par la science de ces romains ainsi qu’en la bonté de leur souverain, et ils m’avaient l’air tout à fait au point avec leurs histoires scientifiques. Après quelques tests contre la paroi invisible, je m’aperçus que je n’avais pas trop à craindre. Alors, je pu commencer à profiter vraiment de cet incroyable voyage au dessus de la grande ville éternelle de la légende.
La bulle m’entraîna d’abord dans un tour de ville à haute altitude, environ celle du sommet de la croix. D’où j’étais, je voyais toute la ville d’un seul regard, ainsi que mes armées massées au dehors, et au bout de la muraille, la mer. Les toits de Rome étaient beiges, marrons, et or. Ces derniers étincelaient sous le soleil oblique du soir et je n’arrivais pas à croire que tout cela était dorénavant à moi, mais le plus fou était de voler ainsi ! C’était phénoménal, et je devais me plier à l’évidence : je ne rêvais pas !
Tout à coup, la bulle accéléra brusquement et descendit en piqué comme un aigle sur mes armées. Je voyais les troupes s’approcher à une vitesse formidable et je pensais qu’il en était fini de moi, que j’allais m’écraser au milieu de mes guerriers. Ah l’heureuse surprise comme avait dit Paul !
Cependant, juste avant de toucher terre, elle s’arrêta. La bulle avait une sorte d’élasticité et il n’était pas possible de s’y blesser à l’intérieur. Par contre, on ne sentait ni l’accélération, ni le freinage, j’étais en totale flottaison, n’étant en rien incommodé par la vitesse !
Je flottais ainsi à quelques coudées au-dessus de mes soldats, qui commençaient à allumer les feux. Je les appelais, leur faisais des signes, mais ils n’eurent aucune sorte de réaction. Alors la bulle se posa par terre et mes pieds touchèrent le sol. Cependant, je ne pesais guère plus qu’une plume, comme si la terre n’exerçait plus aucune attraction sur moi... Un mouvement de mon bras suffit à me convaincre que la bulle m’entourait toujours, car j’heurtais à nouveau cette paroi molle et invisible. Il y avait un guerrier juste à côté de moi, et d’autres pas beaucoup plus loin. Malgré ma présence et mes appels répétés, ils ne s’aperçurent en aucun instant d’une présence juste à portée de main. Je pensais ainsi que je rêvais peut-être, mais nous savons aujourd’hui qu’il n’en est rien, et que tout cela est véridique.
Sans plus tarder, la bulle s’éleva et en une puissante accélération, fonça droit vers la grande muraille de Rome, comme si elle voulait me précipiter contre l’enceinte. Alors que je m’approchais à grande vitesse du mur et qu’il n’était plus qu’à quelques pas, je crû ma fin venue. Lorsque je devais m’écraser contre la muraille, je protégeais instinctivement ma tête avec mes avants bras. Mais rien ne se passa et tout à coup, j’étais dans Rome ! Passé au travers de l’énorme muraille sans n’en ressentir aucun effet... A ce moment, trop d’aberrations s’étaient produites et j’étais persuadé que mon esprit me jouait des tours. Que tout cela n’était pas réel.
La bulle continuait dans la ville à grande vitesse. Elle évitait les basiliques mais passait au travers de tous les autres édifices sur son chemin. Alors que je traversais les épais murs d’immenses palais, je ne sentais rien, juste un court instant d’obscurité... Comme si dans la bulle, rien ne pénétrait. Vrai aussi qu’elle-même ne détruisait rien sur son passage, se contentant de traverser les obstacles sans les endommager... cela aussi était impossible ! Mais ici, ce mot ne devait visiblement pas dire grand-chose. D’ailleurs, même à vive allure, je ne sentais pas le souffle du vent. Je fendais la ville à une telle vitesse que je discernais déjà l’itinéraire : Droit sur le mur d’enceinte du port ! Elle le traversa en un instant et plongea dans la mer.
J’étais maintenant sous l’eau, mais toujours dans cette bulle et avec de l’air normal tout autour de moi. Elle ralentit un peu durant un instant, comme pour me laisser observer des choses que normalement, l’oeil humain ne peut pas voir, les fonds marins. Les poissons étaient magnifiques mais ne me prêtaient eux non plus aucune attention, comme si je n’existais pas.
La bulle pris tout à coup de l’élan pour une longue accélération. Je traversais maintenant les fonds marins à une vitesse que même Arabe n’aurait pas pu tenir, et tout à coup, je jaillis hors de l’eau. L’accélération ne cessait pas, je passais comme une flèche au ras des flots marins. Je voyais l’eau juste sous mes pieds, tandis que sur la rive, les villages côtiers défilaient les uns après les autres.
Puis, tout en continuant l’accélération, elle passa sur la terre en s’élevant de plus en plus. Je volais maintenant à un rythme vertigineux au dessus des villages et des villes. J’eus le temps de reconnaître Livornio et quelques marchés. La bulle fonçait à une vitesse qui dépassait l’entendement, tout droit contre les Alpes. Un instant, je reconnu Tourini, mais à peine avais-je tourné les yeux que la ville disparaissait déjà par l’arrière. A la hauteur d’Aoste, elle commença à ralentir fortement tout en s’élevant au dessus des cimes Alpines. J’arrivais ainsi dans ma vallée, de l’autre côté des montagnes. Cette dernière était déjà plongée dans l’ombre mais on y voyait encore suffisamment, la grande ligne sombre tout au fond m’indiquant le passage du Rôôn. En fait, lorsque j’étais sur la grande croix, le soleil déclinait déjà fortement, et il me semblait que j’avais fait un tel trajet en à peine un quart d’heure ! Au vu de la direction qu’avait emprunté la bulle, je savais qu’elle me mènerait directement à Nendar. C’est ce qu’elle fit pour arriver exactement à l’intérieur de la citadelle. Un instant auparavant, je survolais le clan, et après un piquet digne de l’aigle royal, je traversais les murs pour me retrouver au milieu de ma famille. Sabrine préparait le repas, tandis que mon père entrait justement dans la maison avec le petit Samuel, tenant déjà fièrement son arbalestre sur l’épaule ! Père ne négligeait pas l’éducation de mon fils durant mon absence et j’en fus heureux, il avait là le meilleur éducateur. J’essayais encore une fois d’appeler, mais visiblement, personne ne pouvait ni me voir, ni m’entendre.
Je ne restais dans ma maison que durant un court instant, juste le temps de voir les miens, avant que la bulle ne prenne un nouvel envol, terrible celui-là. Elle entama une accélération verticale depuis Nendar en traversant le toit de la citadelle. Un rien de temps plus tard, j’avais déjà atteint le sommet de nos plus hautes montagnes, encore baignées par le soleil, mais la bulle allait de plus en plus vite. Maintenant je ne voyais plus Nendar, plongé dans l’ombre de la vallée alors que je jaillissais en plein soleil. Les montagnes étaient déjà loin au-dessous et je découvrais le lac de Lémano, dans le soleil couchant. Les marchés avaient déjà allumés les feux. J’allais de plus en plus vite, l’accélération était facile à supporter, comme si l’attraction de la terre n’existait pas autour de moi. Je ne perdais pas une miette de ce que je pouvais distinguer d’aussi haut. Je vis la côte ouest de l’Italie, tandis que l’est était déjà dans la nuit. Les Alpes n’étaient plus maintenant que quelques points blancs signalant les sommets enneigés. Je commençais à percevoir la rondeur de la terre. La bulle sembla cesser l’accélération mais changea un peu de cap, elle se propulsa pour commencer le voyage le plus merveilleux que jamais je ne pensais pouvoir vivre. Durant un temps très court, je fis un tour entier de cette terre qui était un vrai globe. Une partie était illuminée par le soleil tandis qu’une autre était dans la nuit. Lorsque je survolais le monde illuminé, je vis des océans immenses et des terres qui paraissaient petites mais qui assurément devaient êtres très vastes. Il y avait aussi de longues bandes blanches à la surface du globe. Il était difficile de concevoir qu’il puisse y avoir des montagnes enneigées au milieu des océans et je pensais que ce devait être de grands mouvements de nuages. Mais très vite, le soleil se recoucha et je passais dans l’ombre de la terre. La bulle se mit alors en position de descente. Tout en parcourant certainement des distances phénoménales, je plongeais dans la nuit noire. Cela dura un moment, durant lequel je tentais de croire à ce que je venais de voir ainsi qu’à ce que je continuais à voir car la lune était plus belle que jamais il ne fut possible de l’admirer. Tout à coup, je vis de très loin une grande lumière. La bulle fonçait d’ailleurs droit sur elle. Il ne me fallut que peu de temps pour m’apercevoir qu’il s’agissait en fait de la grande croix de Rome, entièrement illuminée ! J’avais bel et bien fait le tour entier du globe terrestre... J’étais parti en direction du jour, je suis revenu dans la nuit, et je m’aperçus que la nuit n’étais pas encore noire à Rome... Ce voyage complet jusqu’à Nendar et autour du monde avait duré moins de deux heures ! C’était magique, incroyable, ... “scientifique”, aurait certainement dit Paul ! Prodigieux en tout cas. Je passais doucement sur la ville et me posais exactement à l’endroit d’où j’étais parti, dans ce bizarre cercle de métal liquide tout au sommet et en bordure de la croix, qui elle, était entièrement lumineuse. Mes pieds touchèrent le sol et en avançant mon bras, je m’aperçus que la bulle avait disparût. J’étais libre d’aller.
Barnabé me demande quelles ont été mes sentiments durant ce voyage magique, mais tout s’est enchaîné à une telle vitesse que la bulle ne m’a pour ainsi dire pas laissé le temps d’avoir de grands sentiments. A peine j’avais entrevu ma famille que j’étais déjà loin, et ainsi de suite. La bulle a été sans répit. Par contre, des émotions oui j’en ai eues ! D’abord de commencer à flotter dans les airs, c’était tout à fait incroyable, et à peine commençais-je à comprendre ce qui m’arrivait, voilà que je me trouvais à des hauteurs qui me donnèrent le vertige. Juste après avoir pris confiance en cette bulle, voilà qu’elle pique sur mon armée, puis traverse la muraille, plonge dans la mer... Des sensations oui, j’en ai eues ! Des émotions aussi lorsque j’ai vu le globe entier au dessous de moi en faisant le tour à une telle altitude qu’on ne distinguait plus le moindre relief sur la planète. Elle était complètement ronde et aucune montagne n’en dépassait ! Ce furent des moments durant lesquels je ne me suis pas trop posé de questions, me contentant d’observer, tout simplement, complètement émerveillé par ce globe, par les fonds marins, de voir Rome et les Alpes depuis les airs, tout cela était merveilleux. Je ne réfléchissais pas trop non, je regardais, j’observais, je ne perdais pas une miette de ce spectacle. J’en fus même ému par cette terre superbe, entourée de ce fin halo bleu. Oui la terre était belle et immense, mais en même temps fragile, car si j’avais bien compris les explications du pontife, les hommes avaient faillit la détruire... Perdue ainsi comme une bille dans un grand néant noir peuplé de planètes et d’étoiles lointaines, elle était presque attendrissante, mais surtout, elle était à nous, les hommes.
Je me retrouvais donc au sommet de la croix, sur l’immense plateforme illuminée comme le reste de la croix. Je ne voyais pour ainsi dire plus rien de la ville et décidais de descendre de là. Il m’apparût bien vite qu’il n’y avait qu’un moyen pour redescendre en ville, et c’était de repasser par la porte trônant au centre de la plate forme sommitale. Après avoir passé entre les battants, par le miroir liquide, j’arrivais dans la crypte, sortant de la porte mobile, et non celle destinée aux prisonniers. Je venais de vivre ce qu’aucun homme de notre civilisation n’avait eu l’occasion d’expérimenter.
Ainsi, j’étais seul dans Rome ! Je détachais un des chevaux blanc du carrosse pontifical pour me balader dans la ville. Cette dernière se compose de larges avenues et d’immenses monuments qui ne semblent pas avoir servi d’habitation, et qui en général, arborent la croix qui les désigne comme étant les fameux lieux saints, ou demeures de Dieu. Toutefois, d’autres monuments tout à fait exceptionnels ornent également la cité. A côté de ces constructions titanesques, s’égrènent des petites maisons individuelles dispersées dans la ville, et qui ont servit d’habitations. Elles sont toutes très solidement bâties avec de bonnes pierres et pas en bois comme nous avions l’habitude de le faire. Toutes ces habitations disposent d’un grand jardin qui offre fruits et légumes, elles ont des places de verdure ou pousse une herbe particulièrement fine et agréable, des terrasses dallées en pierre et abritées sous de beaux arcs extérieurs. Beaucoup de ces demeures disposent de fontaines sculptées dans la pierre, voire d’autres sculptures en marbre, magnifiques.
Dans certains quartiers, c’est plutôt de grandes bâtisses collectives, abritant beaucoup de logements divisés sur plusieurs étages, et tous sous un même toit. Ces immenses habitations sont elles aussi richement travaillées, ornées et sculptées, disposants de parcs et jardins. Elles devaient certainement servir à de très grandes familles. La ville compte aussi de nombreux grands parcs et places au milieu de décors de façades grandioses, et il y a de l’eau partout, des fontaines par centaines. Tout dans Rome est fait pour durer, tout est beau, merveilleux, solide, étincelant. Comme l’avait fait remarquer le souverain Paul lors de notre première entrevue, l’art est l’expression la plus visible qui distingue l’homme de la bête. Dans toutes ces audaces artistiques qui m’entouraient, je pensais alors que ces hommes avaient vraiment montrés, dans chaque recoin de leur ville, ce qui distingue l’homme de l’animal.
Au pas, il me fallut une bonne heure pour me retrouver par devant la grande porte. Mais une fois sur place, je décidais de ne pas l’ouvrir. Rendez-vous compte Barnabé, il y avait des millénaires que Rome fut peuplée. Et tout à coup, j’étais seul dans cette ville gigantesque qui symbolisait le parachèvement de la grandeur de l’humanité. Je décidais ainsi de passer la nuit dans la cité, en solitaire. J’avais 20 ans la première fois que je vis la Grande Ville. 5 ans plus tard, je me retrouvais seul au centre de la Rome mythique, elle était à moi, Paul m’en avait fait cadeau pour quelques raisons qui n’étaient pas encore tout à fait claires dans mon esprit. A vrai dire, je ne comprenais pas grand-chose de tout cela, c’était trop !
Y avait-il d’ailleurs quelque chose à comprendre ? Je ne le savais. J’errais, seul, dans cette ville fabuleuse, léguée à bien plaire par sa Gracieuse Majesté Paul XII...
La muraille de Rome est imprenable. Trop grande pour des échelles, totalement encerclée d’eau, et sans catapultes, jamais nous n’aurions pu prendre cette ville. De plus, les romains disposaient d’armes tout à fait inhabituelles par leur puissance. Ils avaient la technique, des savants, la connaissance de tout, jusqu’à mes pensées et ma mémoire... Oui, j’étais certain que le pontife m’avait légué la cité non pas car il fut un tant soit peu impressionné par mon armée, mais volontairement, sans la moindre contrainte. Paul avait “laissé le monde entre mes mains”. Je voyais l’ampleur de la tâche qui m’attendait : Organiser un monde ! Ce n’était plus un jeu de conquêtes, et je n’avais pas la moindre idée de la marche à entreprendre pour réaliser cela.
Malgré tout, le pontife m’avait fait confiance au point de me léguer Sa ville. Il avait dit vrai : Sans Rome, je n’étais plus grand chose, et Paul voulait que je règne, donc je régnerai. Toi-même Barnabé, et bien d’autres, aiment à me flatter en me disant que je suis un homme hors normes, un de ceux à qui personne, en lisant cette chronique, ne pourra s’identifier. Barnabé me demande d’ailleurs de lui décrire mes impressions, émotions et sentiments qui m’ont habité dans les grands moments de mon existence... Mais je suis très pauvre en tout cela. Si j’arrivais devant une ville rebelle, mon rôle était de la mettre à genou et la défaite n’était pas une option. Il n’y avait ainsi pas trop de sentiments, et après un certain temps, la victoire n’était même plus source de griserie. Le combat contre les villes récalcitrantes ne faisait que retarder mon avancée, et je ne voyais plus une victoire comme un progrès. Après la victoire, nous n’avions même pas droit à un massacre.
Des sentiments ? C’est un peu comme me demander ce qu’est l’amour ? Je peux bien dire aimer mon fils Victorio, mais en même temps, je me disais qu’il fallait que Sabrine me rejoigne le plus prestement à Rome pour la remettre enceinte. Je l’avais mise enceinte avant mon départ, mais c’était il y a plus de deux ans, et lors de mon passage en bulle, je vis qu’elle n’était pas morte et j’en fus satisfait. C’est comme ça, les hommes meurent au combat, et les femmes en enfantant. Les uns avaient besoin des autres et c’était plutôt un calcul qui dictait mes décisions. Pour avoir au moins deux ou trois fils qui arrivent jusqu’à leur majorité de 14 ans, il fallait souvent en faire 5 ou 6. Rares étant les femmes capables de supporter autant d’accouchements, il nous fallait parfois en trouver de nouvelles. Elles devenaient ainsi une denrée rare, et cela suffit amplement pour que les hommes s’en intéressent. Certains affichaient quelques émotions, mais personnellement, je ne voyais là aucun motif de sensibleries. Pour moi, le tout répondait à une mécanique vitale, instinctive de l’espèce, comme avait dit le pontife, et c’est tout. Le plaisir de l’union avec la femme était appréciable, mais chacune peut donner autant de plaisir. Coeur de pierre comme avait dit Paul ? Sûrement, mais n’empêche, si le grand Attila est mort ainsi, je ne pouvais que me féliciter d’être ce que je suis. Un homme de principe au coeur de pierre...
Pour moi, tout avait toujours été difficile, voire impossible. Lorsque mon frère était plus fort que moi, j’avais le droit de combattre. Depuis le moment où je commençais à le vaincre, on m’interdit de jouter avec lui. Avant même l’âge de 8 ans, je ne me battais plus que contre Rufus, mon père, et d’autres guerriers de premier ordre. Ce fut des années d’humiliations. Chaque fois, ils me battaient, voyaient mes erreurs et utilisaient mes faiblesses. Des heures d’entraînements et de combats, des années à perdre sans cesse face à plus fort que moi. Il m’arrivait de vouloir pleurer tant je souffrais mais je n’en avais pas le droit.
Comme consolation, j’étais autorisé à assister aux spectacles des tournois, mais assis parmi le public... Je voyais mes contemporains dans des duels, sûr de l’emporter à tous les coups, mais je n’avais pas le droit d’y participer. Plus tard, vers 17 ans, père m’envoya chez Monié, et là je combattais contre de grands champions, puis seul contre des troupes de parias. Mon corps en reste couvert de cicatrices, j’ai été blessé à mort une fois, et ne dois mon salut qu’à l’intervention rapide de Rufus qui repoussa l’ennemi alors que j’étais à terre.
Oui, ma vie n’a véritablement commencé que le jour du grand tournoi de Toubillon. Depuis ce jour là, même sans Renaissance, personne n’était de taille à m’affronter en duel. Le combat n’a en fait plus jamais été loyal. Je pouvais bien me dire que nous luttions à armes égales, je savais déjà avant de commencer que ces combats n’étaient pas loyaux puisque en toute logique, je ne pouvais pas perdre. J’ai été vaincu tant de fois dans ma jeunesse qu’au fil des ans, j’ai appris à connaître et corriger mes points faibles presque par instinct, et sans cesse perfectionner la technique d’attaque pour chaque fois tenter d’arracher une première victoire... Mais jamais, Rufus n’accepta que je joute avec plus faible que moi. J’avais donc appris à perdre presque continuellement et aujourd’hui je gagne..., toujours ! Je connaissais des techniques que les autres ignoraient, comme cette fameuse gymnastique et ces Arts Martiaux. Avec Renaissance en plus, je devins une sorte de mythe vivant, “le géant qui tient l’épée de feu”, comme on m’appelait aux quatre coins du monde connu.
Avec Rome, je pouvais remodeler le monde. Mais même si je pensais avoir corrigé toutes mes faiblesses, après que le pape m’eut expliqué la mort du grand Attila, empoisonné à cause de sa passion pour la gent féminine, je compris que le plus grand champion pouvait être terrassé dans la pire mort qu’il puisse imaginer. Pas une mort de guerrier, pas une mort au combat, une simple mort dans son lit, empoisonné ! Selon Rufus, nous avons tous un point faible. Alors même si j’avais éliminé toutes mes faiblesses au combat, Attila était la preuve que chez chacun, il reste toujours une faiblesse... Cela me donnait à réfléchir.
Ensuite, un peu comme Attila le barbare, quelques 3’000 ans plus tard, je m’émerveillais de cette ville, mais en même temps, je progressais à nouveau dans la difficulté. Je devais bâtir une nouvelle civilisation... Là serait dorénavant ma mission et le but que je me fixais. Moi qui ai vécu pour ainsi dire en dehors de tous schémas de société normale, ni cultivateur, ni guerrier, ni paysan, rien,... à part fils de chef : Voilà ce que j’étais avant notre première épopée. Un inconnu, sauf de Rufus et de mon père qui me travaillaient sans cesse sans que j’en sache vraiment pourquoi. Ils m’ont transmit leurs enseignements durant vingt ans. En un jour, grâce à cette Ville de Légende, ma vie bascula. Je devenais dès lors l’homme à l’épée ardente, le seul ayant vu l’intérieur de Rome et en être ressorti, non sans une discussion avec ce puissant seigneur qu’est le pape ! Mais… ce n’est pas de cela dont il s’agit, ce n’est pas d’un règne à la manière de Paul que je désirais. J’ai le sang chaud, et les campagnes militaires correspondent bien mieux à mon tempérament.
Je passais ainsi cette première nuit seul dans la ville en pensant à la « récompense » que m’avait prédis Rufus dans mes moments de déprime, et la récompense dépassait tout ce que j’avais enduré comme souffrances et frustrations. C’est ainsi qu’en cette nuit dans Ma ville, je me remémorais toutes ces années, tous ces combats qui m’ont emmené ici ! Je laissais mes armées camper à l’extérieur, tandis que je vaquais par les rues et avenues désertes, regardais des constructions, des places, des fontaines, des sculptures. En vérité, j’ai vu des sculptures de la taille d’un arbre, en or massif, dans des basiliques, dans les palais, et même à l’extérieur sur des places... Tout cela, je l’avais hérité sans grand mérite me semblait-il. Cette ville est unique au monde, je n’en doutais pas. Vivre à Rome est d’ailleurs devenu par la suite un honneur. Mais pour cette soirée et cette nuit, Rome ne serait qu’à moi, seul. La cité montrait l’exemple de ce que pourrait être le nouveau monde si j’étais capable de l’organiser comme elle l’est. Un travail déroutant pour un guerrier comme moi !
La nuit n’était percée que par la clarté de la lune. Pour la première fois depuis très très longtemps je pense, les cloches de Rome ne sonnèrent pas, les rues ne s’illuminèrent plus... Comme si pour la première fois, le grand barbare avait laissé pénétrer le chaos, la nuit, dans la Grande Ville. Tout était obscur, silencieux, noir, sauf l’intérieur des basiliques, les seuls endroits où la lumière continuait à flotter, ainsi que sur la grande croix.
Tôt le lendemain matin, alors que le soleil pointait à peine, je grimpais sur la muraille au dessus de la grande porte, face à laquelle campait mon état-major. Lorsque je vis cette foule immense et sans doute un peu déprimée, je fus gonflé d’orgueil, submergé par l’envie de crier à la terre entière que Rome était désormais nôtre. Je sortis Renaissance du fourreau, la pointait vers le ciel en poussant mon cri de guerre, le même qu’à chaque fois que je m’élançais contre une ville pour en découper la muraille. Alors je vis tous les soldats se lever, les uns à la suite des autres, à perte de vue.
Puis, à trois reprises, j’hurlais, en italophone, devenue la langue officielle de l’armée : « VICTORIA ! » « VICTORIA », … « VICTOOOORIA ! » « ROMA E NOSSO ! »
Une clameur s’éleva d’abord du groupe d’en face de la porte, puis elle se propagea à toute l’armée, un million d’homme, levant leur épée, hurlant leur satisfaction, ce fut un grand moment d’émotion ! (voilà pour les émotions recherchées par Barnabé)
J’ouvrais enfin les portes à mes armées, ne comprenant rien à cette situation. En effet, les jours précédents, nous étions en proie aux plus vives incertitudes quant à la possibilité de soumettre cette ville. Maintenant, après une promenade solitaire dans la Grande Ville, je venais tout simplement leur ouvrir les portes. Pas une flèche tirée, pas d’invasion sous-marine, ni luttes ni combats, juste ma brûlure. Voilà ce que nous a coûté Rome : une brûlure!
De plus en plus émerveillés, rues après rues, mes hommes gagnaient le centre de la ville. Ils observaient d’un oeil presque apeuré ces statues, ces palais, cette ville incroyable pour qui ne l’a jamais vue. J’avais fait passer l’information à tous mes commandants de diriger leurs troupes vers la basilique de Pierre. Lorsque je fus au sommet des marches, je pu m’adresser à mon armée. Elle remplissait l’immense place, débordait sur l’avenue d’en face, et se perdait à l’infini dans la ville. Mon discours fut répercuté par des portes voix. J’expliquais aux hommes comment la ville m’avait été confiée. Je m’étais porté garant envers le seigneur Paul XII de respecter cette ville et par dessus tout, les lieus saints. J’indiquais donc d’entrer dans la basilique, sensée être la demeure de Dieu, pour Le remercier du cadeau que m’avait fait Son serviteur Paul. J’indiquais aussi que le peuple de Rome semblait particulièrement puissant au vu des armes dont il disposait. Tous avaient autorisation de rentrer dans ces lieus saints, mais ni pour y manger, ni pour y vivre, seulement pour prier ce Dieu invisible. Et il était inutile de trop Le déranger pour des riens ! Ce serai dorénavant des lieus saints pour nous aussi, et qu’on respecterait ! C’était d’ailleurs la principale règle à observer, d’après les menaces du pontife. Nous entrions donc tous tour à tour dans cette basilique pour remercier le Dieu romain de l’événement. Rino dû sortir, ainsi que bien d’autres. La tête leur tournait, impossible de psalmodier. Comme m’avait dit Rino par la suite, c’était trop à la fois et trop vite. Il y avait effectivement quelque chose qui nous bouleversait lorsqu’on voyait toutes ces oeuvres. On ne comprenait tout simplement pas des choses pareilles.
Il est certain que la civilisation romaine ne comptait pas avoir besoin de sortir des murs de leur cité pour vivre. Un peu partout entre les murs, en direction du port de la grande mer, étaient disposés de grands parcs pour les bêtes. Ils ne les avaient pas toutes emportées, comme s’ils nous laissaient même à manger ! On dénombrait également de nombreux champs cultivés. Non, il n’y avait vraiment rien à redire sur l’accueil de ces romains... Mais en même temps, leur attitude restait complètement incompréhensible. Il était entendu que Paul m’avait carrément offert la ville. Il apprécia certainement le fait que je n’use pas de Renaissance contre Rome pour y pénétrer. Ce n’est pas faute d’y avoir pensé,... juste tailler une brèche dans cette muraille… Mais décidément, je n’arrivais pas à me faire à cette idée.
Plus tard, nous découvrions un grand palais dans un parc, à l’extrémité nord-est de la ville. A l’intérieur, il y a avait multitude de statues. Cependant, les plus anciennes faisaient mention d’empereurs. On y trouvait même des dates. Empereur César Auguste, Néron, Dioclétien, et toute une suite. Au mur, une grande carte de l’empire était dessinée, et pour la première fois, je vis ce à quoi ressemblait le monde des empereurs romains. Les deux mers qui entourent la Péninsule, qui rejoignent une immense mer au sud, et d’autres territoires au sud de cette mer... Barnabé passait le plus clair de son temps à me lire toutes les inscriptions, mais les romains n’avaient laissés aucun livre. Toutefois, les inscriptions gravées ou peintes dans les murs étaient une grande source d’enseignements.
Quant à moi, j’étais abasourdi par la tâche qui m’incombait soudain. J’avais été créé pour le combat et les conquêtes, pas pour organiser une société. Dès le lendemain de la prise de Rome, j’avais mandé un régiment chercher père de toute urgence. Je commandais aussi à ce qu’on m’emmène ma femme et mes enfants. Victorio était déjà auprès de moi car il fut des nôtres durant toute la campagne. Je lui expliquais toujours pourquoi je décidais de certaines manoeuvres et pas d’autres. Mais même si c’était devenu un vrai petit stratège, il n’en appréciait pas moins nos promenades dans Rome, avide de tout savoir. Un jour que Barnabé était occupé à des affaires d’organisation, je regardais une magnifique sculpture sur marbre. Victorio me dit alors :
Je pense que celui qui l’a faite s’appelait Valentino Di Pietro, et qu’il a sculpté ça en l’an 2’679 de leur calendrier à eux.
Je me retournais vers mon fils, interloqué. Ce petit gredin avait appris l’art de la lecture et de l’écriture en cachette avec toi, Barnabé ! Lorsque je ne l’entraînais pas car j’avais trop à faire en discussions avec des chefs de clans, Barnabé l’instruisait de cet art sans que je le sache. Je n’avais pas été emballé à l’idée que mon fils devienne une sorte d’érudit comme le scribe. Pour moi, c’était plutôt des sortes de penseurs qui devaient apprendre ces choses, pas des chefs ou des guerriers. C’est pourquoi Victorio ne m’avait rien dit. Il avait peur que je désapprouve. Il progressait cependant très bien dans l’art du combat, et jamais je ne me suis douté qu’il avait pu apprendre des choses pareilles ! Mon fils était en train de devenir une sorte de scribe-guerrier ! Incroyable, mais cela ne se voyait pas du tout, qu’il devenait érudit en même temps que guerrier... Enfin, cette fois il osa parler car il voyait mon embarras sans Barnabé.
A vrai dire, je fus tout content de découvrir cela, et à partir de ce jour, je l’encourageais à persévérer dans cet art, tant que cela ne le distraie pas de son éducation du combat !
Le nom de l’artiste était donc Valentino Di Pietro. Quant aux dates qu’on trouvait ici, elles reflétaient des millénaires d’histoire. Ils avaient un système de dates bien différent du notre. De fait, ils devaient avoir conservé le système de datations de l’ancien monde. Durant la campagne, avant que nous arrivions à Rome, Barnabé avait repéré d’anciens cimetières. Les plus grandes dates qu’il avait trouvé au dehors des murs faisaient mention de l’an 2’080 - 2’085. Plus après dans le temps, il n’y avait rien, ce qui nous laissait penser que Paul avait dit vrai, les deux chaos avaient bien eu lieu au 21ème siècle. Nous ne savions cependant pas précisément combien de temps il dura, car ces dates n’existaient plus. Mais ici à Rome, ce système de datation continuait, dépassait l’année 3’000. Pour l’heure, la date la plus récente que nous avions trouvée était l’an 3’357. Elle était inscrite sur la façade d’un édifice. Nous ne savions toutefois pas grand-chose de l’ancien monde. Son système politique et les lois qui furent appliquées avant nous restaient obscures, comme leur Dieu d’ailleurs. Un Dieu invisible et inconnu ! Mais à toute heure du jour et de la nuit, l’intérieur de toutes les basiliques était baigné de cette étrange lumière. La grande croix ne s’éclairait que la nuit, contrairement à l’intérieur des basiliques qui ne s’éteignaient jamais. Nous avions cherché partout la source de cette illumination, mais rien ! Pas de flamme, pas de point plus lumineux qu’un autre. C’était comme si dans les basiliques, il flottait une lumière égale dans chaque recoin des édifices. Une sorte d’illumination douce, délicate, mais qui nous permettait d’admirer tout à loisir chaque fresque, chaque peinture, chaque sculpture. La lumière pénétrait tout, comme si dans ces lieus, l’air lui-même s’illuminait. Peut-être provenait-elle de Dieu Lui-même. Ce serait même logique… : Tant que son peuple vivait à Rome, Dieu était partout, mais maintenant que nous autres les barbares avions envahis les rues, Dieu restait en Ses demeures. Peut-être aussi que la lumière était encore l’une de leurs inventions “scientifiques”? Cette lumière restait cependant cantonnée dans les demeures de Dieu et nulle part ailleurs. Nous concluions donc que ce Dieu devait avoir un rapport avec la clarté.
Il y avait tellement d’or dans cette ville que la tête nous en tournait. Cependant, s’il y eut bien une chose que j’avais compris, c’est que les lieus saints devaient être protégés contre tout vandalisme ou irrespect. Rome possédait 2’000 lieus saints, et j’ordonnais deux gardiens attitrés à la surveillance de chaque basilique, ou église, comme l’avait aussi dit Paul. N’importe qui avait le droit de pénétrer dans ces édifices, toutefois, les visiteurs de Dieu devaient avoir une bonne raison pour le faire. J’avais en effet ordonné qu’on ne dérange pas Dieu pour n’importe quelle peccadille, mais uniquement pour des affaires sérieuses. Ceux qui souhaitaient visiter le Dieu romain avaient donc tout intérêt à avoir de bonnes raisons de le faire.
J’avais en effet remarqué que mes guerriers entraient dans ces basiliques afin de quémander des grâces pour leurs femmes, ou pour que leurs enfants deviennent grands et vigoureux ! Comme si ce Dieu, pour qui on avait prit la peine de construire de tels édifices s’intéressait à ce genre de broutilles ?! Je décrétais donc que le Dieu romain n’avait pas de temps à perdre à écouter des doléances aussi insignifiantes. S’ils souhaitaient le faire, mes guerriers n’avaient qu’à prier nos anciens dieux ! Le Dieu romain étant de toute évidence le plus puissant, nous nous devions de le réserver pour les affaires sérieuses. Les hommes se disciplinèrent un peu, et commencèrent à respecter ce Dieu.
Je laissais ainsi passer quelques jours pour organiser notre villégiature. Ainsi, mes guerriers pouvaient tout à loisir s’imprégner de ce lieu dont aucun d’eux n’avait seulement imaginé, même après nos récits les plus détaillés. Il faut vraiment avoir vu Rome pour oser croire que tout cela existe !
Puis, lorsque mes 103 champions, fidèles de la première heure, eurent reprit leurs esprits et choisis une demeure, je décidais de leur montrer le clou du spectacle.
Ils furent tous réunis après le repas de midi dans la grande Basilique. Je descendis avec eux dans la crypte en m’avançant vers la salle des portes magiques. Nous nous réunîmes tous devant cette grande porte trônant seule au milieu de la salle, qui semblait ne donner sur rien du tout, avec au milieu ce genre de fine pellicule de liquide réfléchissant et flottant. Ce n’était déjà pas très commun ! Mais lorsqu’ils virent disparaître le manche de la hallebarde de l’autre côté, ils en furent tout bouleversés. Je les exhortais de ne pas essayer d’y passer un doigt sous peine de le voir disparaître, et me dirigeais vers une des longues malles plates au fond de la pièce.
Comme l’avait fait Paul, j’ouvrais le taquet du couvercle et la porte se mit en place toute seule. J’invitais alors mes 103 commandants et généraux à me suivre au travers de cette porte et seulement de celle-ci. Je fis même comme l’avais fait une première fois le pontife : Je franchis la porte seul, et pendant que j’apparaissais au grand jour au sommet de la croix, je disparaissais aux yeux de mes hommes dans la crypte. A peine arrivé sur la croix, je fis demi-tour et réapparût dans la salle de la basilique, tout content de mon petit effet ! Mes champions n’en croyaient pas leurs yeux, mais eurent confiance et me suivirent pour se retrouver à leur grand étonnement au soleil, dans le ciel au dessus de Rome. Je m’avançais à reculons entre les barrières tandis que mes hommes franchissaient un à un la porte. Je leur expliquais que c’était le moyen de transport des romains. Il faut une porte au départ et une à l’arrivée, n’importe où dans le monde. Ensuite, le voyage est instantané d’une porte à l’autre... Voilà qui élucidait au moins le mystère de la disparition de tout leur peuple.
Je continuais la marche avec à mes côtés mes trois principaux généraux, car la largeur des barrières ne permettait pas d’avancer en groupe. Arrivé devant le cercle de métal liquide, j’étais assez tenté de faire visiter moi-même à mes amis ma découverte. Le cercle allait d’une bordure à l’autre et mesurait facilement sept pas de diamètre. On pouvait donc y entrer à plusieurs. Cependant, si je n’avais aucun doute sur la solidité de la bulle, je ne savais pas si elle pouvait supporter le poids de 4 ou 5 personnes. Mais en y réfléchissant bien, si elle ne pouvait accepter un tel poids, je me disais qu’elle n’arriverait tout simplement pas à s’envoler.
Personne n’avait encore mis un pied dans l’enceinte du cercle. J’informais alors tous mes commandants du voyage qu’ils allaient entreprendre. Je partirais en premier avec Rino, Paskale, Patrick et Sérafino. Normalement, les autres devraient nous voir disparaître. Lorsque nous serions invisibles, d’autres pourraient essayer de se mettre dans le cercle, peut-être arrivait-il à produire plusieurs bulles de suite. Mais peut-être pas. Dans ce cas, ils devaient attendre notre retour.
Après ces quelques recommandations, je demandais à mes quatre fidèles de me tenir la main pour entrer ensemble dans le cercle. Je pensais que si nous allions l’un après l’autre sans contact entre nous, la bulle envelopperait le premier et s’en irait. Main dans la main, nous fîmes donc le pas !
Nous voyons les visages des hommes au dehors. En fait, ils nous avaient tout simplement vu disparaître et affichaient une mine bien soucieuse malgré mes encouragements. De notre côté, nous sentions les parois de la bulle mais avions encore les pieds sur terre, ou plutôt sur la croix, tout en nous sentant léger comme une plume. Cela ne dura qu’un instant car nous nous élevions tout en douceur. Mes quatre compagnons étaient subjugués tandis que je me félicitais de mon nouveau petit effet. Juste en contrebas, je vis Marco Fallacio entrer seul dans le cercle et disparaître. Il y avait donc plusieurs bulles. Chacun s’y engagea ensuite seul où avec leurs meilleurs amis et disparurent.
La bulle nous promena cette fois sur et dans Rome, traversant les murs, montant dans les airs, tandis que positionnés l’un à côté de l’autre, adossés aux parois invisibles de la bulle, nous flottions dans cet espace étrange. Nous regardions les quartiers de la ville entre nos jambes, droit au dessous. Puis, notre course nous entraîna à nouveau sous l’eau. La bulle resta d’abord tranquille, afin de nous laisser admirer les fonds marins que l’homme ne voit jamais, puis elle alla de plus en plus vite, toujours sous l’eau. Il n’y avait cependant pas d’à coup. Nous avions tous cinq prit place pieds contre pieds et fesses contre la paroi de la bulle. Bien que l’accélération fût puissante, elle était totalement supportable. Tout à coup nous émergions des océans. Nous prenions une direction de plus en plus verticale. Bientôt, nous pouvions voir Rome très loin au dessous de nous. Puis nous vîmes l’Italie tout entière, dégagée des nuages, une grande botte, comme sur les cartes romaines...
Ce fut là le voyage le plus lointain que nous entreprenions. Au lieu de cesser l’ascension et faire un tour du globe comme lors de mon premier voyage en solitaire, la bulle continua de s’en aller dans le grand néant, de plus en plus loin de notre planète, et l’accélération n’avait pas cessé. La terre devint plus petite, et la lune devenait plus grande... Nous étions pour ainsi dire perdus dans le néant entre la terre et la lune. Nous voyons maintenant des détails sur la surface lunaire qu’il est impossible de distinguer depuis la terre. Nous allions arriver sur l’astre de la nuit à une vitesse prodigieuse. L’accélération sembla cesser mais nous continuions à filer comme une flèche. La bulle vira un peu en passant très près de la surface lunaire, et nous vîmes une terre désolée, sans la moindre vie, morte. Nous ne fîmes cependant qu’un demi-tour de la lune pour reprendre soudain notre accélération en nous éloignant de plus en plus du soleil. Nous nous dirigions tout droit en direction de la planète rouge, celle du dieu Mars !
Aucun de nous ne craignait grand-chose, nous avions le sentiment d’être là en toute sécurité, et tous avaient les yeux rivés vers notre planète, qui devenait de plus en plus insignifiante dans ce néant de l’espace infini. Tous connaissaient l’histoire du commencement du Chaos que m’avait contée le pontife, et en voyant notre immense Terre devenir tout à coup si petite, nous comprenions ce récit. Cette petite bille bleue avait été intoxiquée et les hommes faillirent disparaitre.
De l’autre côté, Mars grandissait de plus en plus et, après quelques réflexions que nous échangeâmes depuis le départ de l’astre lunaire, nous étions déjà en approche à une vitesse fulgurante. Nous commencions à voir ce que nous pressentions depuis un moment : Cette planète n’était en fait qu’un immense désert de sable rouge. Plus nous approchions, et plus cela devenait évident. Pas une mer, par un coin de verdure, aucun fleuve... Un immense désert planétaire, tout simplement.
Nous passions si vite que la bulle resta à une altitude honorable au dessus de Mars. A peine avions nous eu le temps de voir la planète de près que la voilà déjà par l’arrière. La Terre, qui ne ressemblait plus qu’à une étoile lointaine, se coucha derrière Mars. La taille de la planète rouge diminuait maintenant à vue d’oeil tant notre vitesse était devenue phénoménale. La bulle semblait avoir pris la route de la planète du dieu Jupiter cette fois-ci, mais nous pressentions déjà qu’il n’y aurait pas plus de dieu sur Jupiter que sur Mars.
L’immense planète grandissait sous nos yeux, et juste avant d’arriver sur elle, la bulle ralenti très fortement en profitant de survoler quatre petites planètes de ce qui semblaient êtres les lunes de Jupiter. A nouveau, le même paysage de désolation, des lunes gelées où il n’y avait que rochers et glaces éternelles. Puis, à vitesse de plus en plus réduite, nous allions droit vers cette planète monstrueusement gigantesque qui devenait de plus en plus inquiétante. Nous ne voyons en fait pas la planète car des vents d’une violence inouïe semblaient en faire le tour en emportant sur leur passage toutes sortes de poussières. Nous arrivions juste au-dessus de la zone des vents, mais la bulle continua sa descente. Nous nous trouvions alors dans un formidable ouragan comme jamais on ne peut en voir sur terre. Nous n’en ressentions cependant aucun désagrément. Nous ne voyons pas le sol. Ce n’est seulement qu’après quelques instants que nous pûmes distinguer la surface de la planète. Désolant, encore pire que Mars, rien qui ne puisse vivre ici...
Mais la ballade n’était pas encore terminée. La bulle repris son élan et semblait maintenant vouloir atteindre Saturne. Nous n’étions pas mécontents de sortir de cette furie de tempêtes sur Jupiter et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, nous apercevions déjà des formes étrangement allongées autour de Saturne. Peu après, il nous sembla que cette planète était entourée de ce qui pouvait être des anneaux. Et ceci devint évident juste un instant plus tard. Saturne apparaissait comme étant une planète particulière. Dans notre approche, nous ralentissions à nouveau et survolions quelques lunes avant de nous poser sur un des anneaux. En fait, la bulle avançait sur l’anneau en direction de la planète. Ces anneaux n’étaient somme toute qu’une multitude de petits débris de roches et de glaces qui tournaient indéfiniment autour de Saturne. Au lieu d’être très spéciale, la planète elle-même était tout aussi inhospitalière que Jupiter. Le même genre d’ouragan continuel faisait rage tout autour du globe, et sa surface était tout aussi stérile.
Sortant de cet enfer, la bulle se dirigea alors vers Neptune, puis encore vers une autre planète plus lointaine et minuscule, avant de reprendre le chemin du retour. D’où nous étions, le soleil était vraiment très petit, à peine plus lumineux que les autres étoiles. La Terre, elle, avait disparût... Nous ne la voyons plus tant elle était éloignée. Chacun de nous n’espérions cependant qu’une chose, que notre bulle nous ramène à bon port. N’importe où mais sur terre... Car durant ce voyage dans l’immensité de l’infini, nous avions tous prit conscience d’une chose : Que partout ailleurs, les mondes sont invivables, et cette terre est notre unique refuge connu, le seul endroit où nous puissions vivre. Si les anciens avaient saccagé la planète, il en irait autrement sous notre commandement et la nouvelle civilisation que nous entendions créer. Après un tel voyage, après avoir vu toutes ces planètes infernales, nous savions que seule la terre était importante pour nous, ni Mars, ni tous les autres dieux des astres!
La vitesse du retour fut encore plus prodigieuse que celle de l’aller, à tel point que les lumières des astres se tordaient à notre vue, et nous fûmes soulagés de voir notre planète grandir devant nous. Nous passions Mars à une vitesse époustouflante, nous la vîmes devant, puis derrière, incapables de préciser si nous avions passé à droite, à gauche ou à travers la planète... Nous étions d’ailleurs si rapide que juste après, nous percevions déjà la bulle décélérer pour se poser sur la terre.
Comme prévu, elle nous posa au sommet de la croix après le parcours le plus inoubliable qui puisse être.
Tous mes champions étaient déjà de retour et nous attendaient sur la croix, au dessus de Rome, sans oser franchir la porte dans l’autre sens. Notre voyage, le plus long de tous, n’avait guère duré plus de deux heures ! J’appris qu’il y avait eu assez de bulles pour chacun !
Je leur demandais alors de passer la porte et nous nous retrouvions tous dans la crypte. Les vols de mes hommes n’avaient pas été aussi spectaculaires que le notre car leur itinéraire était resté local, avec des passages de murs, une plongée, une large visite de la ville ainsi qu’une grande envolée finale d’où ils purent voir Rome de la taille d’un ongle. Aucun d’entre eux n’avait fait le voyage dans le grand néant. Je ne l’explique pas pour le moment mais je constate qu’il en fut ainsi.
Au soir, Barnabé fit irruption dans la salle à manger, tout excité. Nous parlions encore de notre voyage, mais il nous interrompit. Il tenait une pile de papiers. C’était effectivement étonnant car les Romains n’avaient laissé aucun document. Il s’agissait là d’une quantité impressionnante de grandes fiches reliées les unes aux autres. Je demandais la signification de tous ces signes. Alors Barnabé m’en jeta plein la vue !
Il commença par la première page et m’expliqua que tous ces signes étaient pour la plupart des chiffres, qui leur servaient dans l’ancien calendrier. Ainsi, sur une fiche, il y avait une année, et au verso, c’était déjà l’année suivante. Plus de 1’700 grandes fiches reflétaient dans cet immense livre 3’400 ans de l’histoire des romains. Le premier jour était le 25 décembre de l’an zéro. Une annotation précisait qu’il s’agissait en fait de la naissance de leur Dieu, Jésus-Christ. L’introduction annonce cependant que Rome fut fondée le 21 avril de l’an 753 avant la naissance du Christ, par un certain Romulus. 5 pages avant la fin du grand livre, il y avait une annotation le 9 avril de l’an 3’412 après J.-C. : « Visite d’une coalition Alpine, emmenée par Léopold Paralamo, affaire à suivre »... Notre propre calendrier commence ce jour là. Le jour zéro de l’an zéro fut pour eux le 9 février 3’412.
Il y avait encore d’autres annotations à mon sujet dans les pages suivantes. Il était fait mention de la date de la première sortie de la vallée avec les 20’000 guerriers de base, la prise de Lozalne et de Berm, notre passage devant Rome pour continuer sur Sicilia... Ils savaient tout, ce qui s’expliquait parfaitement avec leurs sortes de bulles invisibles. S’ils savaient diriger leurs parcours, le pontife en personne pouvait être à un mètre de moi en ce moment même sans que je n’en sache rien. Mais il était impossible pour nous de diriger ces bulles, c’étaient elles qui choisissaient leur chemin et nous promenaient.
Barnabé avait bien calculé, et selon le mode de partage des ans en douze mois, divisés par des semaines de 7 jours comme ils le faisaient, nous étions en ce jour le 19 janvier de l’an 5. Et sur leur calendrier, nous étions le 27 mars de l’an 3’417... Nous maintenions bien entendu notre datation mais ce moyen de séparation avec des mois et des semaines pouvait être intéressant pour inspirer notre système.
Je demandais de regarder le calendrier aux alentours des années 2’000. Il y avait une annotation sur le 11 septembre 2001: « Déclenchement d’une longue guerre mondiale, d’usure. »
Puis, sous le 4 juillet 2’015, il était écrit: « Aboutissement de la guerre terroriste, trois capitales détruites en occident. » Sous le 8 octobre 2’015: « Commencement du petit chaos, massacre des chefs d’états occidentaux. » Entre 2’015 et 2’030 s’égrenaient les catastrophes. Il était fait mention d’explosions de « centrales nucléaires », de grandes épidémies « bactériologiques et virales », le retour de nombreuses maladies qui n’existaient plus... Par exemple en septembre 2’017: « -Bactéries échappées d’un laboratoire en Amérique du nord, début de pandémie qui ravage le continent. » l’épisode prend fin une année plus tard en octobre 2’018, et les romains estimèrent que plus de la moitié de la population du continent avait disparût. En août 2’021 : « - Retour de la peste bubonique au sud de l’Europe » et en décembre de la même année, « - La peste noire sévit sur toute l’Europe. Des millions de morts ». Ce fléau prend fin en novembre 2’022. Ils mentionnent que grâce à l’agrandissement de leur muraille jusqu’à la mer qui pris fin en 2’019, Rome put vivre en autarcie durant la grande peste qui passait au dehors de la cité. Ils semblaient en plus disposer du remède contre cette maladie.
Le monde paraît vraiment aller de travers depuis le début de cette guerre mondiale en 2001 pour sauter définitivement dans le tragique en 2’015 lors du massacre des chefs. Depuis là, il ne semble y avoir eu que des catastrophes répertoriées jusqu’en 2’030. Les états les plus développés semblaient avoir souffert plus que ceux n’utilisant que peu de technologies savantes. En fin d’année 2’030, il y avait une petite explication disant ce qui suit: “- Cette date de l’histoire mérite un constat global de l’humanité de notre époque. Il ne s’est pas encore écoulé une génération entre le plongeon du monde dans l’anarchie, mais des jeunes de 20 ans ne savent déjà plus lire dans des pays où auparavant, ces notions étaient élémentaires. L’homme est aux aguets, replié dans ses villages en fortifications durant les grandes catastrophes, tous sont aux abois. Nous voyons se dessiner une nouvelle société primitive et clanique. Beaucoup de nos prêtres à travers le monde sont morts, et il nous incombe de reciviliser l’humanité. Nous formons actuellement des milliers de séminaristes dans Rome en vue de les envoyer prêcher la parole de Dieu, et enseigner les notions élémentaires de la civilisation dans le monde. Partout où nous le pourrons, nous tenterons de réinstituer l’école. Les moyens de transport ne sont plus ce qu’ils étaient auparavant, mais nous disposons d’une grande flotte de voiliers qui mènera nos missionnaires sur tous les continents.”
Ce beau projet sembla battre de l’aile déjà l’année suivante, car dans le petit rapport de fin d’année il était expliqué que la plupart des missionnaires avaient tout simplement été rejeté par les populations. Au mieux ils ne pouvaient pas accéder aux villages, au pire ils avaient certainement été tués car il n’y avait plus trace de 12’000 prêtres. La population n’avait rien trouvé de mieux que Dieu comme suspect principal de leurs malheurs. Les prêtres ont donc fait les frais de l’état du monde en devenant des boucs émissaires bien inoffensifs. Le pape déclara ses serviteurs martyrs, et non content du fiasco, il décida de renvoyer des dizaines de milliers de prêtres l’année suivante.
2’032, le pontife se retrouva de nouveau avec un paquet de martyrs sur les bras et le constat de fin d’année était plutôt pessimiste. A part quelques enclaves qui continuaient envers et contre tout à faire confiance en Dieu, et dans lesquelles des prêtres continuaient à officier, la majeure partie du monde les rejetait. Et le mot paraît faible. Fini donc l’idée d’envoyer des prêtres au casse pipe ! A regret, le pape sembla commencer à privilégier l’observation aux missions.
Une annotation au bas de la page, à mon intention de la part de Paul XII, mentionnait que ma vallée fut restée fidèle et reconnaissante en Dieu de leur avoir évité bien des malheurs qui avaient frappé plus durement d’autres parties du monde. Même lors de l’éclatement de barrages et autres grandes catastrophes, mes ancêtres prirent cela avec philosophie. Ils étaient assez sages pour savoir que l’éclatement d’un barrage n’avait rien à voir avec Dieu mais plutôt avec des matériaux vieillissants. Leurs prêtres continuaient à officier dans toute la vallée.
Il s’ensuivit quelques rapports sur les malheurs du monde et de la ruine de l’ancienne civilisation. Vers les années 2’060 cependant, les comptes rendus devinrent de plus en plus optimistes. En 2’072, le rapport disait même la chose suivante:
“- Voilà dix ans qu’un calme relatif s’installe dans un monde qui a radicalement changé. La science a disparût ainsi que la ferveur, mais l’espoir est à nouveau permis. De plus en plus de prêtres sont à nouveau acceptés au sein des villages, et parfois même accueillit. Ils prêchent l’espérance d’un renouveau meilleur que l’ancienne civilisation, et font tout pour y parvenir. Certains enfants réapprennent des notions scolaires. Nous examinons comment utiliser les bonnes choses de l’ancien monde en oubliant les mauvaises, celles qui ont conduit aux catastrophes.”
Changement de ton dans les années 2’080, il y a des inscriptions datées :
Février : “Début de la peste nucléaire Russie”
Septembre : “Arrivée de nuages et pluies toxiques sur l’Europe”
2'082 : “Pacifique, Atlantique, Indien, Antarctique, tous les océans contaminés et début d’un énorme chaos mondial.”
L’année 2’083 donne lieu à un nouveau commandement:
“- Avis de Sa Sainteté le souverain pontife Benoît XVIII, le 21.12.2083:
Je prononce ce jour la fermeture définitive de Rome. Trois générations se sont maintenant passées depuis le chaos. Nous avons vu l’humanité perdre l’esprit avant d’espérer un retour à un sort acceptable. Le pire des fléaux nous touche aujourd’hui et nous devrons faire face à des siècles à venir bien sombres. A Rome et partout ailleurs, les gens meurent, tandis que nos prêtres dans le monde subissent le martyr de la part de toutes les populations. En rage contre Dieu, qui, disent-ils, ne veut même pas leur laisser une dernière chance. Nos missionnaires, en prêchant l’espérance sont pris partout comme boucs émissaires de ce nouveau fléau nucléaire. Nos églises ont été brûlées, nos prêtres se voient massacrés sans espoir de seulement pouvoir plaider leur cause. Le monde sombre définitivement dans une très longue agonie où la barbarie s’étend en des lieus qu’elle n’avait pas encore atteint.
Afin de ne pas nous laisser entraîner à notre tour dans le gouffre de cette humanité, nous nous contenterons dorénavant d’un rôle d’observateurs. Ceux qui voudront quitter la cité pour aller au contact du monde hideux pourront le faire, mais de manière définitive, sans retour. Ceci est un deuil, mais le prix de la survie de l’humanité dans notre cité. Tant qu’il nous en restera la force, prions pour le monde. Nous ne pouvons rien faire de plus, ni de mieux.”
Là dessous, il y a une nouvelle annotation du pontife Paul à mon intention. Il mentionnait simplement que ma vallée ne fut pas épargnée par cette vague mondiale de maladie, de terreur et de barbarie. Ce fut là l’anéantissement total de l’ancienne civilisation et le début de ce qui fut nommé le Grand Chaos. Le pontife de l’époque avait abandonné son idée de missionnaires et il semble que depuis ce temps, Rome n’ait plus jamais évolué comme le reste du monde.
En dernière page du calendrier, Paul XII me laissait un dernier conseil, un conseil pour notre nouveau monde:
Plus il y aura d’injustices dans le monde, plus il sera fragile. Le principe étant que l’injustice naît lorsque la liberté d’un être humain surpasse celle d’un autre. Le fondement étant de ne point faire à l’autre ce que nous ne désirerions pas qu’il nous fasse, et de faire ce que nous souhaiterions le voir faire à notre égard.
Paul XII
Ce calendrier sera des plus intéressants à lire car il semblait faire mention de tous les faits importants de l’ancien monde, ainsi que ceux durant le Grand Chaos. Beaucoup de mots qu’utilisaient les romains, comme “école” par exemple et de nombreux autres m’étaient totalement inconnus. Heureusement, Barnabé est un excellent érudit, et il dispose d’un phénoménal vocabulaire, ce qui nous permet de comprendre certaines de leurs phrases.
Mais avant de piocher des informations dans ce calendrier, j’expliquais à Barnabé notre voyage. Nous festoyâmes tous ensemble dans la grande sale du palais adjacent à la basilique et j’envoyais 6 de mes hommes chercher la porte mobile que nous avions utilisé dans la crypte.
Ils l’installèrent devant la grande table, toujours dans sa boite. Je m’approchais et l’ouvrit. J’emmenais alors Barnabé de l’autre côté, au sommet de la croix, et lui indiquais de marcher tout droit entre les barrières, jusqu’au cercle métallique. Après l’avoir vu disparaître, je redescendais instantanément dans la sale de fête pour continuer nos ripailles.
Les romains avaient un vin d’une finesse telle qu’à chaque bouteille, c’était une nouvelle délectation qui nous attendait. 3’389 semblait d’ailleurs être un de leur plus splendide millésime, et nous nous gardions bien de nous en priver. Une cave exceptionnelle de part le choix de vins proposés se situait au sous-sol du palais adjacent à la basilique : Une véritable merveille. Le vin était bien entendu excellent mais le soin apporté au récipient stupéfiait lui aussi. Ciselées comme des oeuvres d’art, les bouteilles de verre portaient également des étiquettes peintes de divers motifs représentant la vigne, le raisin, où autres plus originaux, avec mention des diverses appellations de vin, indication de l’année de fermentation, du lieu de production... Mis à part le soin apporté au contenant après le contenu, le lieu de production était l’indication la plus étonnante. Comment cette civilisation repliée entre ses murs pouvait avoir des vignobles dans ce qui paraissait être des centaines de lieus de part le monde. Nous qui croyions que les romains ne sortaient jamais de leurs murs !? Je ne connaissais pas ces lieus nommés Bordeaux, Bourgogne, Grèce, Palestine, Espagne, Californie etc., mais les multitudes de noms différents reflétaient une intense activité hors murs. D’ailleurs, il n’y avait qu’une vigne bien chiche dans les enceintes de Rome.
La société du chaos qui régnait à l’extérieur n’était pas très perméable aux étrangers. Je n’arrivais pas à concevoir qu’un marché ou un clan ait pu laisser des inconnus cultiver des vignes sur leurs territoires.
Il restait beaucoup de mystères insolubles, chaque nouvelle petite découverte, aussi anodine soit-elle, nous apportait des questions insolubles. Dans chaque maison de Rome par exemple, nous avions trouvé une pièce où il y avait des bassins plus ou moins grand, ainsi que des petites pièces métalliques accrochées aux murs. Nous découvrions qu’en tournant les pièces métallique d’une certaine manière, il en sortait de l’eau par un tube recourbé, en métal lui aussi. Cette eau pouvait être maintenue dans le bassin ou être évacuée par une tubulure au dessous ! Toutes ces pièces étaient en fait des salles d’eau dont un petit bassin devait servir pour le lavement des mains et du visage, et un grand pour le lavement du corps tout entier. Une cuvette à même le sol avait une plus importante évacuation, et était faite de sorte que le postérieur s’assoit parfaitement dessus. Cela servait pour nos besoins d’hygiène. A l’intérieur même de la maison ! Imaginez un instant faire vos besoins à l’intérieur même de votre maison, sans pour autant être incommodé par les odeurs ! Prodigieux non ? La cuvette était munie elle aussi d’un pressoir qui provoquait une arrivée d’eau et l’évacuation totale des déjections... J’avais fait fouiller les maisons de fond en comble pour d’abord comprendre où étaient les réservoirs d’eau. Puis, lorsque nous comprîmes qu’il n’existait pas de réservoirs, nous démolissions le quart d’une modeste demeure pour comprendre le mécanisme de ces tuyauteries. En l’occurrence, nous avions pu comprendre cette invention géniale qui est d’emmener l’eau directement dans les habitations depuis le fleuve ou des nappes phréatiques au-dessous de la ville...
Une de mes grandes interrogations avant même d’intégrer la ville était le ravitaillement en combustible. Pour une ville qui comptait sans doute des millions d’habitants, ils devaient disposer d’énormément de bois, et leurs propres ressources étaient nettement insuffisantes. Nous éclaircissions en partie ce problème en découvrant la chaleur sans feu. Chaque habitation disposait d’une pièce où toutes sortes d’ustensiles de cuisine étaient disposés, ainsi que de belles marmites bien polies. Chose tout à fait étonnante, il y avait une armoire qui renfermait de l’air froid ! L’air y était toujours froid et ces armoires froides furent tout indiquées pour y conserver certaines denrées alimentaires. Ces salles donnaient l’impression d’avoir été prévues pour apprêter les repas, et cependant, nous étions vivement intrigués de l’absence de fourneau. Nous ne voyons même pas où nous pourrions allumer un feu dans de telles pièces. Ce ne fut qu’après avoir essayé des sortes de petites manivelles que nous nous aperçûmes tout à coup qu’un cercle rouge apparaissait à même le marbre entourant le bassin de lavage des ustensiles. Le marbre s’échauffa d’un coup, tout en se limitant à une surface ronde et nul part ailleurs. La taille du rond chauffé suffisait pour y loger une marmite, tandis que la température augmentait à mesure que nous tournions une des petites molettes. Non seulement, les romains avaient totalement domestiqué le feu, mais ils étaient capables aussi de lui ordonner la chaleur qu’il devait diffuser ! Un feu sans flamme, sans fumée, un feu sans feu en quelques sortes…
Quelques jours après notre arrivée, nous percions enfin le grand mystère de la lumière sans source qui régnait dans les basiliques. Dans les pièces de chaque maison romaine, il y avait un petit élément particulier qui était phosphorescent la nuit. En fait, ce n’était rien, juste une sorte de marque allongée en rectangle contre les murs. Il n’y avait ni manivelle, ni taquet, juste une marque sur le mur. D’aucun l’avaient même touchée. Elle semblait ne servir à rien jusqu’à ce qu’un d’entre nous frotta par hasard son doigt sur cette marque. Alors, d’un coup, la lumière apparût dans toute la pièce. La même clarté sans source que dans les basiliques, c’était tout simplement l’air de la pièce qui s’illuminait. Pour enclencher le mécanisme, il ne suffisait pas seulement de toucher l’intérieur de la marque. Partant du fond, il s’agissait de glisser son doigt vers le haut, dans le cadre de la marque. Plus nous montions, plus la lumière était forte. Ainsi, il était possible de régler la clarté de chaque pièce selon l’illumination que nous désirions... Du coup, je pensais que ce prodige relevait plutôt du “scientifique” que de Dieu, même dans les lieus saints. En fait, nous ne comprenions pas ces mystères, mais nous apprenions à user des bénéfices qu’ils nous offraient. De nombreuses choses bien plus insignifiantes pouvaient aussi nous occuper l’esprit des jours durant. C’est pourquoi, j’avais laissé passer une semaine avant de faire voler mes fidèles. Nous n’avions cessé de découvrir des choses surprenantes durant cette semaine. Maintenant qu’ils avaient grossièrement fait le tour de ce que serait notre vie, l’expérience de la bulle terminait admirablement cette initiation de Rome.
Il y avait encore un autre phénomène, disséminé dans toute la ville, dans les campagnes entre la ville et la mer, et jusqu’au port : Des portes de téléportation, comme disait le Seigneur Paul. Sous les colonnades de la place de la basilique par exemple, il y avait une trentaine de portes, avec toujours cette espèce de miroir ondulant entre les battants. Sur ces trente portes, une vingtaine servaient au transport d’hommes, et une dizaine, beaucoup plus larges et plus hautes, devaient servir à passer carrément avec un convoi à l’intérieur. Elles étaient suffisamment larges pour laisser passer tout un attelage avec un immense carrosse derrière. J’essayais de pénétrer à l’intérieur d’une porte pour voir où ça allait déboucher, mais je me heurtais à un mur. Immédiatement après, la porte parla :
« Bonjour, vous n’avez pas programmé de destination. Veuillez m’indiquer votre lieu d’arrivée ».
Je lui répondis alors : « Quelles destinations me proposez-vous ? »
Et la porte répondit : « Il y a 187 lieus de destination entre les murs de Rome, souhaitez-vous que je les énumère toutes ? »
Je répondis : « Pouvez-vous me faire atterrir au port ?»
Et la porte renchérit : « Sur le port, ou sur la place centrale du village du port ? »
« Sur le port », rajoutais-je, me sentant tout à fait idiot de discuter ainsi avec une porte !
« Vous pouvez maintenant traversez, votre destination est programmée pour une arrivée sur le port », conclut la porte !?
Je traversais, et effectivement, je me retrouvais immédiatement sur le port, face à la mer !
Il y avait ainsi presque deux cents destinations que nous pouvions atteindre instantanément dans tout Rome, … comme système de transports rapides et efficaces, c’était difficile de faire mieux.
Ma famille arriva à peine quinze jours après notre prise de Rome. Les guerriers que j’avais envoyés avaient fait au plus vite en changeant de monture à mesure de nos campements provinciaux éparpillés dans l’empire naissant. En 5 jours, ils étaient déjà parvenus à Nendar. Armadé organisa pour le lendemain même, la grande joute qui déterminerait le futur chef provisoire du clan. Jo arriva en finale, mais il fut coiffé au poteau par Léo, un jeune talent du clan. Le résultat du tournoi connu, léo Fourniard devint chef de Nendar jusqu’à l’éventuel retour d’Armadé.
Le lendemain à l’aube, toute ma famille était en route avec une escorte dûment armée, et dix jours plus tard, les voilà arrivant par devant la ville de légende pour la première fois, émerveillés. D’autres soldats devaient regrouper et emmener ici les femmes et enfants des guerriers de ma première armée des 20’000 hommes qui quittèrent notre vallée en l’an 2 pour conquérir le monde. De ces hommes, il n’y avait que peu de veuves. Cette première armée, composée uniquement de purs alpins, était toujours restée le noyau dur de ma formation militaire. Dans les batailles avant Berm, j’avais perdu quelques centaines de mon unité des mille à Lozalne et Montrey, guère plus. Puis, déjà lors de la bataille de Berm, les hommes qui passèrent le col de Sanetch avec Rino étaient presque tous des étrangers à la vallée, car je savais que les pertes seraient lourdes. Je faisais en sorte que mon noyau dur évite de se mettre en danger dans de simples manoeuvres de diversion. Il manquait aujourd’hui à l’appel 2’400 guerriers de cette première armée, donc autant de veuves, qui auront la consolation de pouvoir venir habiter Rome. D’ailleurs, j’avais décidé de laisser à chacun des guerriers du noyau dur le choix d’une maison, les palais étant réservés aux 103 champions survivants du jour zéro de l’an zéro.
Je pris soin de bien mettre les choses au clair pour tous. Les guerriers pouvaient occuper les maisons provisoirement, mais tous ceux n’étant pas de la première armée, originaire des clans de Maurice, Bâtia, Tourbillon, Sièrs, Viesp, Brilg, Aoste, où Domodosolia, devront se soumettre à une épreuve avant de décider du choix de leur demeure. Mon idée était de garder une puissante armée à Rome même, ainsi qu’une armée d’ordre qui irait faire appliquer la loi là où elle serait bafouée. Ceci impliquerait une force suffisamment dissuasive pour remettre de l’ordre en quelque lieu que ce soit. A cette intention, je fis organiser par Barnabé une sorte d’immense compétition, un tournoi monumental qui durerait peut-être des semaines. Les guerriers alpins feraient tous partie de cette armée, mais le tournoi ne les concernait pas. Il devait servir à dégager les 20’000 meilleurs éléments du gros des troupes pour les intégrer à la future armée romaine. Les dix mille premiers allaient servir exclusivement à la garde de la ville. L’autre moitié intégrerait l’armée alpine qui passerait ainsi à une force d’intervention de 30’000 hommes, tous montés, pour atteindre rapidement n’importe quelle cible. Cette armée restera néanmoins dans l’empire sans participer aux guerres d’extension. Elle ne sera destinée qu’à remettre de l’ordre dans nos frontières avec comme point d’attache Rome. Les meilleurs resteront toujours à l’intérieur des enceintes de la ville. Ce sont eux qui protégeront les basiliques et la cité contre d’éventuels agresseurs. Des fresques de formidables anciens guerriers romains mentionnaient le nom de Prétorians. Nous dénommions ainsi ces 10’000 Prétorians qui seraient la crème de nos meilleurs soldats, et gardiens de la cité. La troupe d’intervention aurait résidence à Rome mais leurs campagnes pouvaient les mener aux quatre coins de l’empire. Le reste des troupes seraient disséminées en une quinzaine d’armées de 50’000 hommes. La reformation des troupes prendrait du temps, mais une bonne organisation rapporte souvent les victoires.
Armadé pénétra le premier les grandes portes de la cité, suivit de Sabrine et mes deux derniers enfants. J’arrivais avec Victorio à la tête du carrosse en or de Paul, tiré par les 6 somptueux chevaux blancs. J’accueillais les miens avec la fierté de pouvoir leur présenter la cité qui rayonnera bientôt à nouveau sur le monde entier. Par contre, je remarquais la présence de Jo et m’enquit immédiatement sur l’état de Nendar. Comment se faisait-il que Jo soit ici alors qu’il aurait normalement dû assurer la gouvernance du clan ?
Mon grand frère baissa son regard piteusement, et c’est alors que père m’apprit le déshonneur ! Mon frère aîné avait perdu la finale du tournoi pour la promotion du futur chef, et Nendar avait passé aux mains des Fourniards ! Cette annonce me bouleversa. A vrai dire, je détestais tout à coup mon frère. A cause de lui, j’avais vécu une enfance privée de toutes compétitions pour ne pas lui faire d’ombre. A 19 ans, je m’étais imposé dans une joute jamais réalisée à un tel niveau. Je devenais le prodige de l’arc Alpin, et cela m’avait valut de régner sur Rome ! Tout ce que Jo avait à faire, c’était de gagner la gouvernance de Nendar durant mon absence, alors que beaucoup d’excellents guerriers du clan m’avaient suivit ! Le résultat fut qu’il échoua lamentablement, et perdit la place que j’avais pour ainsi dire nettoyée pour lui. Il n’avait suffit que d’un jeune nouveau talent pour le mettre au tapis ! C’était une honte ! Alors que tout bouillonnait dans ma tête, je ne savais comment me comporter face à lui. Je ne souhaitais en fait même pas qu’il mette les pieds dans Rome. Cependant, Armadé me demanda de n’en rien faire.
Je ne pouvais toutefois pas accepter ainsi cet outrage à notre nom. Sa mission était de devenir chef d’un clan et il fut pitoyable après s’être entraîné des années pour cela en terminant second, comme a son tournoi des 14 ans, second là-aussi ! J’ordonnais donc à une cohorte de l’enrôler dans l’armée régulière, celle qui disputera les joutes dont les meilleurs pourront rester à Rome. S’il souhaitait demeurer dans la cité, il devrait cette fois le mériter. J’indiquais au commandant qu’il se nommait Jo Lesecond, et lui demandais d’appliquer dix coups de fouet à chaque fois qu’il prétendra être quelqu’un d’autre que Jo Lesecond ! Le nom de Paralamo ne serait pas sali par cette déroute inacceptable !
Lorsque Jo fut emmené, sans un mot d’au revoir, je pressais ma famille dans le carrosse tandis que père et moi prenions la place du cochet. Tous restèrent béats durant le trajet tandis que je leur expliquais ce que je pouvais sur les monuments que nous rencontrions au passage, mais je ne savais pas s’ils m’écoutaient vraiment. Je demeurais avec mes meilleurs généraux dans les palais les plus somptueux aux abords de la grande basilique de Pierre et chacun s’était réservé de spacieux appartements. J’y conduisis les miens, impressionnés par ces richesses débordant de partout.
Sabrine tremblait de tout son corps, et elle ne donnait plus l’impression de disposer de toute sa raison. Après avoir fait visiter leur future demeure à ma famille, nous redescendions sur la place et je les pressais vers les portes de la basilique elle-même. Ce n’est que lorsque nous fûmes à l’intérieur que Sabrine perdit tout à fait conscience. Sous son apparence de jeune femme robuste, elle cachait un coeur sensible, et ne s’était visiblement pas préparée à cela malgré mes récits. Victorio, qui connaissait déjà les lieux, rassura sa petite soeur Aurore et ils s’en allèrent ensemble à la découverte de l’édifice divin. Le petit Samuel, du haut de ses quatre ans, s’agrippa au coup d’Armadé, car bien qu’étant son père, je ne l’avais vu qu’une fois, et il ne me connaissait pas. Le dernier accouchement de Sabrine durant mon absence s’était soldé par la mort du petit après à peine huit mois de vie.
Dans cette basilique, même Armadé en était tout déboussolé, tandis que je giflais gentiment Sabrine pour la tirer de sa torpeur. Après un simple aperçu, qui fut suffisant pour la première fois, nous nous retirions non sans oublier la fameuse génuflexion.
Le soir approchait, et après le repas, fatigués du voyage, ils se retirèrent se reposer sur des lits dans lesquels ils n’avaient imaginé dormir un jour. Le lendemain, je poussais un peu plus loin la visite et une grande fête fut organisée avec tous mes champions pour célébrer Armadé, l’homme qui a pensé, organisé, et permis la plus folle découverte de tous les temps. Grâce à lui, nous tenions aujourd’hui la cité de la légende. L’initiateur de ce fabuleux projet et de l’union des clans alpins fut déclaré « père de l’empire ». Je profitais également de ces journées de visite pour lui conter nos découvertes ainsi que toutes les paroles que j’avais échangées avec le pontife. Une semaine plus tard, ils eurent tous droit à la porte et la bulle volante...
Les familles des guerriers alpins commençaient à arriver par vagues. Depuis la prise de Rome, je ne voyais Barnabé que sporadiquement. Lorsqu’il n’était pas occupé à organiser la villégiature de mon armée alpine, il fouillait, à la recherche d’anciens manuscrits romains qui pouvaient nous être utiles à la compréhension de certains mystères de l’ancienne civilisation. Toutes les familles qui arrivaient à Rome étaient dûment escortées jusqu’à la basilique de Pierre. Là, chacun avait obligation de rentrer respectueusement dans le lieu Saint pour rendre grâce au Dieu romain. Après les psalmodies, ils ressortaient attendre leur mari et leur père, qui les cherchaient sur la grande place. Les groupes restaient entre eux en brandissant bien haut le blason de leur clan ou marché. Ainsi, les guerriers pouvaient les retrouver plus facilement.
Trois semaines après notre entrée dans Rome, je réunissais mes 103 champions dans une grande salle qui comprenait un trône au milieu, un peu en hauteur, deux places sur les côtés, quelques places aux pieds du trône, et en face, des gradins à demi circulaire (un hémicycle me dit Barnabé). Ce lieu deviendrait dorénavant la salle du conseil des pères. J’occupais le trône, immédiatement à ma droite était la place de Marco, et à gauche celle d’Armadé, père de l’empire. Au pied du trône, les places étaient réservées à mes généraux avec Barnabé en plus, et dans les gradins en face siégeaient le reste de mes 103 champions de la première heure. Nous nous réunîmes ainsi pour penser et dessiner le futur de notre société. Père était bien entendu partie prenante, c’est d’ailleurs lui qui ouvrit les débats en saluant tout d’abord notre bravoure et nos succès de campagne. Curieusement, il adressa aussi des remerciements au pontife Paul XII comme s’il était dans la salle, en lui garantissant que nous nous montrerions dignes de sa confiance. Armadé avait expérimenté la bulle, et il était certain qu’au moins un espion romain invisible se trouvait dans la salle pour suivre nos débats. Il n’avait certainement pas tort.
Après quoi, il demanda que la devise du pontife fut acceptée telle quelle. Il prétendit qu’il était inutile de légiférer, et que l’unique loi de la liberté s’arrêtant là où commence celle de l’autre était suffisante car elle regroupait tous les principes de justice.
Paskale, toujours aussi rebelle, se leva et rejeta avec véhémence cette notion d’entrave à notre liberté. D’après lui, cette devise pouvait être appliquée à tous les peuples, mais pas à nous. Nous serions tenus de légiférer sur les punitions par rapport aux fautes et contraindre des hommes à l’esclavage. Ce qui signifierait que nous deviendrons hors la loi dès l’instant où nous priverons un autre de sa liberté. Paskale conclut en affirmant que nous ne devions pas être sujets aux lois, car nous devions les établir et non en subir les conséquences. Autrement dit, les 103 champions deviendraient des intouchables, tandis que la loi s’appliquerait à tous les autres. Nous serions les gardiens de la loi, ceux qui veilleront à sa bonne application.
Rino abonda dans ce sens en indiquant que le seul juge à pouvoir appliquer la loi à l’encontre des fondateurs du nouveau monde ne pouvait être que moi-même, à qui le pontife avait remis la cité. Les combattants ayant approché Rome le jour zéro, les pères de la nouvelle civilisation, seraient la loi, et la renaissance de l’humanité dépendrait de nos décisions. La seule loi les concernant était celle de la fidélité à Rome et ses principes, nous veilleront au respect de la morale des lois, tout en montrant nous-mêmes l’exemple ! Voilà comment devait fonctionner le nouveau monde. Les restrictions de libertés n’étaient pas faites pour les fondateurs.
J’approuvais entièrement cette manière de voir les choses et Armadé ne s’y opposa plus. Au contraire, il rétablit justice à ceux qui périrent durant la première expédition. Notre cercle de pouvoir ne serait pas divisé qu’entre les guerriers survivants, mais aussi avec ceux qui ont donné leur vie pour la réussite de notre première épopée. Pour ce faire, les fils aînés des champions tués pendant l’expédition initiale auraient droit de cité dans notre assemblée qui passerait donc à 260 décideurs. Je n’y voyais pas d’inconvénients, mais je souhaitais que les hommes non soumis à la loi soient le moins nombreux possible. Il fut donc admis que seul les fils aînés des champions décédés pouvaient accéder à ce cercle, cela pour éviter une pléthore d’intouchables qui conduiraient inévitablement à des dérives et des injustices dans la cité. J’espérais que si le monde reposait sur un nombre aussi restreint de décideurs, chacun d’entre eux prenne pleine conscience de la responsabilité qu’il endossait. Qu’eux ou leurs descendants soient conscients d’appartenir aux pères de ce monde en création, et que de leurs décisions, il pouvait en ressortir un monde harmonieux, ou alors catastrophique. Même s’ils n’étaient pas soumis à la loi, leur fidélité à Rome leur imposerait que leur vie soit un modèle pour le peuple ! Je comptais d’ailleurs remettre sur le droit chemin quiconque s’en écarterait trop.
Ensuite, il me fallait une hiérarchie ! Un chef et 260 décideurs, c’était beaucoup trop flou ! Mais comment trouver les noms et les grades ? En cela, Barnabé proposa de reprendre les termes utilisés par l’ancien empire Romain, dont nous avions trouvé les inscriptions dans les antiques bâtiments de la ville.
Nous décidions alors ce qui suit :
L’assemblée des pères du nouveau monde, ceux qui ont découvert la ville le jour zéro, serait le Sénat, et les pères deviendront des sénateurs ! Ceux qui désiraient poursuivre les guerres d’agrandissement de l’empire pouvaient déléguer un suppléant de leur choix par procuration pour qu’il siège au conseil durant leur absence.
Le Sénat était dirigé par un consul, que nous nommions en la personne de Marcello, notre plus ancien champion, qui avait 40 ans en ce moment.
La ville et les habitants de Rome seraient dirigés par un gouverneur, que nous désignions en la personne de mon père Armadé, celui qui a permis notre épopée, et le seul qui avait une idée de gestion de population, car il avait régné pendant vingt ans sur un village.
Le gouverneur de Rome serait secondé par un vice-gouverneur, que nous trouvions en la personne de Barnabé, pour sa grande capacité de gestion et d’organisation écrite des choses.
Un conseil de matrones sera constitué par une femme, encore à découvrir, celle qui aurait mis le plus d’enfants au monde. Il s’agissait de trouver la femme la plus féconde dans Rome, et de lui laisser former elle-même son conseil.
Les prétorians seraient les gardiens de Rome. Nous sélectionneront les 20'000 meilleurs guerriers de l’armée, et ces derniers ne quitteraient jamais la ville. Ils seraient entièrement attachés à la sécurité de Rome et de ses habitants. Les prétorians seraient les seuls à pouvoir porter les armes à l’intérieur des murs de la ville.
L’armée Romaine, sera une armée de 30'000 hommes montés, dédiée à faire respecter l’ordre dans les frontières de l’empire. Elle regrouperait les 17'600 guerriers Alpins encore en vie sur les 20'000 de base, ceux-là même qui sortirent de notre vallée le 120ème jour de l’an 2. On ajouterait 13'000 excellents guerriers, et ils formeront l’armée de Rome !
L’armée impériale, c'est-à-dire : Tout le reste, une multitude de guerriers, qui seront consacrés aux guerres d’extension de l’empire, au-delà de nos frontières actuelles.
Ensuite, il me fallait des rois, alors je nommais :
- Patrick, roi du Latium, c'est-à-dire de Rome et ses environs. Il recevait le pouvoir de bloquer des décisions du gouverneur, d’aménager les alentours de la ville, de réquisitionner les prétorians si besoin en était.
- Paskale, roi du monde connu, c'est-à-dire de l’empire à l’intérieur des frontières soumises à notre autorité. Il serait le maître de l’armée romaine pour remettre de l’ordre là où il en jugerait utile, nommer des généraux et autres subalternes. Il serait d’ailleurs parfait dans ce rôle de redresseur de tords, et je pensais qu’avec un gaillard comme lui comme régent de l’empire, peu de marchés seraient tentés de jouer aux mariolles.
- Rino, roi de la guerre et du monde inconnu ! L’armée impériale serait à sa disposition, il était chargé d’agrandir notre empire, de repousser ses frontières toujours plus loin, de nommer les généraux, de décider des stratégies et des conquêtes avec pour outil un million d’hommes armés. Il devait s’entendre avec Paskale, roi du monde connu, pour que ce dernier puisse organiser les peuples sortant du chaos après le passage de Rino.
- Sérafino, roi de la mer ! Ce dernier était en effet totalement fasciné par les quelques dizaines de navires que le pontife nous avait laissé. Il passait le plus clair de son temps à rôder au port et dans les navires, qu’il se promettait de faire voguer un jour, lorsqu’il aura compris leur fonctionnement. Dès qu’il sera en mesure de le faire, la mer lui appartiendra. Il décidera des découvertes et expéditions à mener.
- Marco Fallacio, roi honorifique de toutes les guerres ! Il n’avait ni juridiction, ni armée à part son unité des milles, mais les guerres se dérouleraient sous sa bénédiction. Il pouvait être appelé par n’importe quel roi sur n’importe quel front pour dispenser ses conseils. Il était également chargé de veiller à la correcte éducation guerrière des enfants de sénateurs.
- Moi-même, Impérator, … empereur du monde connu et inconnu, qui pouvait imposer mes volontés aux rois, les punir, les féliciter, les encourager dans les entreprises que je jugerais utiles.
Ceci fait, nous passâmes encore un peu de temps à discuter des lois et de leurs applications dans l’empire. Le sénat ou les rois ne pouvaient pas juger toutes les affaires de l’empire, et nous pensâmes à un système de tribunaux avec des juges soumis eux aussi à la loi. D’aucuns demandèrent déjà comment et par qui la loi allait être appliquée. Nous nous attelions donc à clarifier ce point.
Le problème me paraissait pourtant simple : Nous faisons des lois égales pour tous, et les chefs de clans se chargeraient de les faire appliquer. Barnabé, qui prenait note de l’évolution des débats, souleva une problématique à ce propos : Les chefs de clans étant généralement les plus forts, ils risquaient bien de pencher pour la loi du plus fort. Toute la question résidait dans le monde que nous souhaitions bâtir ? Serait-ce un monde cherchant la paix où un monde élevant la force, la violence et la guerre au rang de vertu ? D’autant plus qu’avec mon épée incapable de tuer, cela faisait bientôt cinq ans que je n’ai plus égorgé personne ! Il est vrai qu’à part quelques incendies pour imposer le respect dans de nouveaux territoires, il n’y avait plus eu de combat loyal depuis Berm. Le monde semblait d’ailleurs se pacifier dans le sillage de notre armée, les territoires étant de plus en plus sécurisés. Bref, selon Barnabé et quelques autres, les juges devaient être neutres et dans la morale de la loi, pas être les plus forts !
Il était hors de question que je laisse détruire toutes les prérogatives de l’ancienne civilisation pour bouleverser les donnes du pouvoir. J’évitais également soigneusement de soumettre la question au vote afin de parer à une éventuelle mauvaise surprise, et je déclarais les chefs de clans juges sur leurs territoires. Toutefois, je laissais du champ aux quelques progressistes présents en admettant que les chefs pourraient eux aussi être jugés, au cas où ils travestiraient notre loi dans leurs décisions et jugements.
Cette histoire me paraissait cependant tout à fait secondaire, et j’entrais immédiatement dans la chose que je considérais la plus importante : L’esprit de notre nouvelle loi que je souhaitais clair et sans équivoque. Il fut admis que tout être était égal à la naissance. Cela correspondait d’ailleurs à la loi des clans actuels. Dans la société du chaos, tous disposaient des mêmes chances à leur naissance. Nous avons vu des fils de cultivateurs devenir chef de clan, et même seigneurs de marchés ! Il leur suffisait de gagner le tournoi. Les seules exceptions à cette règle étaient les fils de parias. La majorité des parias ne procréaient pas, mais un père de famille qui trahissait son clan devenait lui aussi paria, la trahison étant considérée comme le crime le plus abject. Après expulsion de l’individu, les tournois étaient interdits à sa descendance directe. Leurs petits fils retrouvaient cependant tous leurs droits, et il existait aussi des petits-fils de parias devenus chefs de clans... Nous décidions de maintenir cette norme à l’encontre des descendants de parias. Ceci, afin de bien faire comprendre qu’en cas de trahison de Rome, c’est toute la famille du criminel qui serait punie. Il réfléchirait ainsi à deux fois avant de commettre l’irréparable.
L’esprit de la loi étant d’éviter au maximum les conflits importants, les juges seraient priés de rendre les décisions les plus conformes à notre morale, car d’après la note de Paul, il n’y avait rien de pire que l’injustice pour provoquer du tumulte, et c’était également mon avis. Comme il était impossible de croire en l’intégrité de tous les chefs, nous nous promettions de former des tribunaux romains dans chaque grande région. Ces instances seraient des présences romaines provinciales, visant à juger les chefs irrespectueux de la loi. Au lieu d’une passe d’arme entre les protagonistes du dilemme, le lésé pouvait recourir à l’instance romaine contre le jugement ou les crimes de son chef. Si l’instance supérieure décidait que le recours était abusif, le plaignant devenait immédiatement un paria pour avoir osé traîner son chef à tort par devant nos tribunaux. Si le chef avait été inique en interprétant notre loi pour créer une injustice, c’est lui qui deviendrait paria en trahissant non pas son clan mais Rome. Ainsi, il nous semblait que chaque chef appliquerait la loi dans l’attention de ne pas la dénaturer, et que chaque plaignant y réfléchirait à deux fois avant de traîner son propre chef devant une coure romaine.
Rino objecta encore que les coures romaines provinciales pouvaient elles aussi être influencées par certains intérêts régionaux, et il proposa une dernière instance de recours auprès de l’autorité suprême de l’empire : - Soit auprès du gouverneur de Rome, soit auprès du roi du monde connu, Paskale…, soit auprès de juges suprêmes que nous choisirions parmi notre assemblée, seules autorités aptes à juger des coures romaines provinciales. Même affaire que pour les chefs de clans. Si les juges romains hors-murs allaient à l’encontre de la loi, ils pouvaient eux aussi devenir des parias. Le principe était identique que pour les juges claniques : Soit le plaignant avait raison et la coure entière devenait paria, soit la coure avait raison et le plaignant passait par la porte des parias... En cas d’affaires peu claires, il était convenu que le doute profiterait au chef ou au juge, l’accusé étant présumé coupable jusqu’à preuve du contraire.
Quant a notre assemblée, il fut admis que les 260 champions ou orphelins de champions pouvaient être jugés par l’empereur lui-même uniquement. J’avais également le pouvoir de décider de mesures, seul contre l’avis de tous les autres. Les sénateurs pouvaient proposer des lois, tandis que je pouvais les imposer par décret. Mon fidèle Barnabé demanda encore qu’une instance supérieure obtienne le pouvoir de bloquer toute décision, …même les miennes, parbleu ! Ce pouvoir serait conféré au gouverneur de Rome, soit à mon père, Armadé. Il n’avait pas le droit de créer des lois, mais pouvait bloquer les miennes... Le scribe argua que cette mesure ne lui était pas venue à l’esprit à cause de moi, mais au cas où un de mes futurs héritiers puisse être assez fou pour mettre à lui tout seul l’empire en péril.
Je refusais net une telle mesure. L’impérator ne pouvait être contré que par le pape lui-même ! L’empereur n’avait de compte à rendre à personne, ni au sénat, ni au gouverneur de Rome, ni aux rois. J’acceptais par contre la constitution d’un « conseil » impérial dans le genre des conseils des anciens qui existaient dans les clans, mais personne ne pouvait contrer une décision ferme de l’empereur qui avait le pouvoir de dicter sa volonté. L’empereur était dictateur par essence. Par contre, le gouverneur de la cité devait le remplacer lors de ses absences.
La morale, la discipline, l’ordre et la paix étant des valeurs universelles, nous décidions de ne tenir aucun compte des différences culturelles, ou de mentalités des régions. Si des choses étaient bonnes pour notre humanité romaine, elles devaient forcément l’être pour toutes les autres.
Nous tentions d’esquisser diverses solutions pour limiter au maximum les situations de conflit. Limiter ou supprimer la liberté d’autrui signifiait que le meurtre serait proscrit ainsi que les enlèvements. Nous déclarions hors la loi les guerres entre clans sans l’assentiment de Rome. Nous réglementions également la législation sur les esclaves. Aucun nouveau-né ne pouvait venir au monde esclave, cela pour respecter l’égalité du droit à la naissance. Toutefois, en cas de lutte armée et de soumission de l’adversaire, tous les hommes du clan belliqueux pouvaient devenir esclaves, y compris les enfants. Nous admettions que les enfants n’aient pas directement de responsabilités dans l’attitude peut-être récalcitrante de leurs aînés. Mais la punition collective était une bonne manière de faire réfléchir des clans entiers, ainsi que déstabiliser un peu le pouvoir de chefs trop belliqueux.
Si un chef se mettait en tête de nous résister, il n’aurait ainsi pas seulement à faire face à notre armée, mais également à ses propres sujets inquiets de leur sort. L’esclavagisation massive des protestants était le meilleur moyen pour faire disparaître totalement un clan ou un marché. Si des enfants mâles étaient laissés en liberté, nul doute qu’un sentiment de vengeance grandirait en même temps que leur force. En les gardant sous contrôle comme esclaves dispersés dans divers lieus, ils n’avaient plus aucune chance de nuire. Tandis que les femmes, dispersées dans les villages alentours, n’auraient plus aucune influence sur la politique de leur clan d’adoption. L’escavagisation de tous les mâles visait à l’effacement total des clans réfractaire.
Les fils d’esclaves deviendraient cependant sujets romains à part entière, tandis que l’esclave pouvait obtenir la clémence de son maître en cas de comportement respectueux.
Nous ne légiférions pas beaucoup sur les femmes, car tout compte fait, l’unique loi disait tout, et leur pire faute serait de priver leur homme de la liberté d’avoir une descendance. Pour cette faute, le seigneur Paul m’avait cependant promis une solution. Les comportements contre nature restaient interdis. Les protagonistes seraient déportés à Rome comme tous les autres parias de l’empire et expédiés par la porte des parias. Ainsi, tous pourraient voir au moins une fois la perfection de la beauté avant de disparaître pour de bon. Dans quel monde Paul les envoyait-il ? Dans quel cauchemar finiront-ils leur vie ? Nous ne le saurons sans doute jamais... Cependant, lorsque Paul m’avait parlé des parias, il paraissait plus inquiet par leurs nouvelles conditions de détention que d’avoir envie de les punir encore plus... Peut-être les envoyait-il sur des terres convenables et fertiles ? Qui sait ? Cependant, qu’ils soient bien ou mal lotis m’importait peu. Je m’en débarrassais définitivement sans grands frais et c’est ce qui comptait.
Le lendemain fut le 1er jour du monumental tournoi qui allait dégager les 20’000 meilleurs guerriers pour en faire des prétorians. Pour le peuplement de la ville, nous fûmes tous d’avis qu’il était plus sage de laisser tous nos guerriers s’y installer avec leurs familles. Ils devront repartir en campagne, mais de savoir qu’ils disposaient d’une demeure à Rome devait les inciter à la fidélité. D’autre part, cela les motiverait sans doute à se battre farouchement pour rester vivant jusqu’à leur retour de campagne... Cependant, pour les motiver encore plus dans ce tournoi, j’indiquais que seuls les 20'000 meilleurs auront la possibilité de garder leurs armes dans la ville. Les joutes allaient se poursuivre sur une vingtaine de jours et elles se dérouleraient sur la grande place de la basilique. J’y introduisis cependant une nouvelle règle. Il était inutile de nous entre-tuer, et je déclarais que les combattants mettant à mort leur adversaire, même s’ils le tuaient accidentellement, seraient disqualifiés de la compétition.
Une centaine de joutes différentes commencèrent un peu partout sur la place. Pour ces premiers affrontements, il s’agissait de dégager les deux meilleurs guerriers de chaque bataillon, qui comptaient tous une vingtaine d’hommes. Après ces premières éliminations, il ne devait donc subsister qu’un dixième des effectifs de toutes les armées. Ces premières joutes allaient durer bonnement une semaine. Après avoir donné le coup d’envoi, nous nous retirions dans l’hémicycle, que nous avions nommé la salle des pères.
Cette fois, les veuves des champions de la première expédition furent priées de nous emmener leur fils aîné. Les champions morts lors de l’épopée avaient pour la grande majorité plus de 20 ans à l’époque de l’expédition. Seul une demi-douzaine étaient plus jeunes que moi. Certains avaient déjà au moment de l’épopée des fils de 8 ans, et qui en avaient 13 maintenant. D’autres aînés n’avaient que 5 ans. Ils venaient de naître lorsque leur père partit mourir dans la grande aventure. Une quinzaine d’entre eux n’avaient eu que des filles mais le problème fut résolut de la manière suivante :
- Le premier fils de leur fille aînée siégerait au conseil des pères.
Nous débutâmes donc notre réunion avec plus d’une centaine d’enfants dans la salle. Cette journée leur fut dédiée, ainsi que de nombreuses autres. Nous commençâmes par leur expliquer qui étaient leurs pères, le dévouement dont ils firent preuves pour quérir la ville de la légende, et nous permettre de la trouver. Pour le service que leur père avait rendu au monde du chaos, eux auraient droit d’habiter les palais et prendre des décisions avec nous. Mais auparavant, Marco Fallacio allait charger nos meilleurs guerriers de leur apporter l’éducation militaire nécessaire à un décideur. Ils nous accompagneraient en outre comme écuyers dans nos futures campagnes et découvriront les stratégies militaires. Prenant en exemple Victorio, mon fils, je décrétais que les pères de la deuxième génération, sénateurs, devaient également avoir de l’instruction. Barnabé serait donc chargé de leur inculquer l’art de lire et d’écrire. Mes champions et moi-même étions dispensés de cet enseignement, car à notre âge, il était trop tard.
Depuis que j’étais à Rome, je commençais à me rendre compte de l’importance de l’instruction. Barnabé ne ménageait d’ailleurs pas ses efforts pour répertorier, déchiffrer, sélectionner et organiser les biens et les personnes. Il nous était d’un si grand secours que j’avais mandé une escouade dans son village près du marché d’Annemasse, afin qu’ils me ramènent ses amis maîtrisant cet art de l’écriture. Nous en avions grand besoin et mon scribe était certain qu’ils se feraient une joie d’accepter l’invitation. Nous attendions encore leur arrivée.
Nous consacrâmes une semaine romaine de sept jours pour initier les aînés à leurs futures responsabilités. Entre temps, Victorio fit une découverte telle qu’elle nous avait tous convaincus d’adopter le calendrier de semaine à sept jours. Depuis que nous étions à Rome, j’avais adouci ses entraînements, le temps qu’on s’organise un peu. Il occupait ses loisirs à visiter les basiliques, ces demeures de Dieu accessibles en cas d’urgence. Sans qu’il n’ait de raisons valables pour entrer dans ces basiliques, Victorio pouvait le faire à sa guise pour ses recherches, comme Barnabé, et finalement comme tous mes champions. Alors que nous étions dans la salle des pères en compagnie des fils aînés, Victorio découvrit la raison de la semaine à sept jours. Sur un premier vitrail d’une basilique, il était montré comment Dieu fit sa création. Depuis le premier jour de la création de l’univers, jusqu’au sixième jour où il fit l’homme. Enfin, le septième jour, Dieu se reposa. Il y avait sept vitraux avec en image des représentations artistiques, mais sous les fenêtres, il y avait également l’inscription du récit de la création du monde...
Si Dieu avait fait le monde en sept jours et que l’ancienne civilisation avait établi ainsi son calendrier par respect du Créateur, il n’y avait aucune raison que nous ne le fassions pas, et la semaine de sept jours fit son apparition dans Rome.
La deuxième semaine du grand tournoi, nous commencions à porter attention aux joutes. Les duels avaient provoqué trois cent décès, un minimum, compte tenu du nombre de guerriers. Nous décidions en outre de préparer les divisions des dix-huit armées de 50’000 hommes. Il y avait de nombreuses réformes à faire au niveau des lieutenants et commandants, ainsi que les redistributions de bataillons dans chaque armée: archets, infanterie, cavalerie...
Nos plans de campagnes étaient dictés par les plans géographiques romains. Il y avait d’immenses territoires au nord, à l’est et à l’ouest de la péninsule et nos armées se disperseraient dans ces Tierras Incognitas. La consigne était toujours la même : chaque sol foulé par nos guerriers devient terre romaine. Nous ne demanderions ni butin de guerre, ni trésors, ni même l’abdication des chefs, pour peu qu’ils se placent sous notre juridiction et qu’ils s’engagent à respecter et faire respecter nos lois et principes. Tout signe de résistance serait considéré comme un acte de rébellion et le clan soumis à l’esclavage. La seule différence d’avec nos campagnes précédentes serait que les suivantes n’étaient plus à la recherche de soldats, et nous n’avions plus rien à proposer en échange des éventuelles collaborations, à part une tournée en bulle pour les chefs et conseils coopératifs. Nous étions dorénavant en mission, et la mission était de civiliser à nouveau ce monde, par la force s’il le fallait. Mon nouveau monde devait être uni autour de la ville phare de l’humanité, celle qui abrite le Dieu qui créa le ciel et la terre. Pour cette unique raison, il serait exigé de la déférence envers Rome et sa divine justice. Mais régner et faire respecter la loi sur un territoire aussi vaste que nous le présentaient les anciennes cartes romaines nécessiterait une présence armée, des juges et des postes provinciaux en grand nombre dispersés sur le monde entier ! Avec beaucoup d’organisation, c’était envisageable, mais loin d’être une mince affaire...
Après avoir bien instruit les enfants durant tous ces jours sur ce qu’ils auraient à faire, Marco les renvoya auprès des meilleurs guerriers de son unité des mille pour leur éducation. De même, lorsque les amis de Barnabé arriveraient, ils prendraient en charge leur instruction des lettres.
Pour l’instant, tout en suivant de plus en plus près les joutes qui commençaient à rassembler du beau monde, nous nous intéressions un peu à la splendide marina du port. Lorsque nous étions venus 5 ans auparavant, les romains disposaient d’autres genres de navires, bien plus perfectionnés que ceux laissés en rade dans le port. Ces bateaux, d’aspect plus archaïque que ceux dont la civilisation du pape était capable de fabriquer, étaient néanmoins spectaculaires pour nous. Personne dans le Chaos ne pouvait simplement avoir l’idée de construire de telles embarcations... et pour aller où ? Les navires de nos villes côtières n’étaient autre que des barques de pêche plus où moins importantes. Dans un monde si divisé, personne n’avait idée d’entreprendre de grandes traversées les menant auprès de terres et de clans sûrement hostiles... Cependant, avec ces immenses navires dont certains étaient capables d’accueillir des centaines de guerriers, nous pouvions rêver d’expéditions et de découvertes, et même pas en position de faiblesse. Il restait dans le grand port de Rome quatre splendides navires à 4 mats monumentaux, 12 navires à trois mats d’une taille presque aussi gigantesque que les autres, et enfin, 15 plus petites unités à deux mats. Chacun de ces bateaux disposait de barques à bord. Je suppose qu’elles servaient en cas de naufrage. C’est dire si nous avions un équipement de base tout à fait conséquent.
Séraphino, le plus jeune de mes 103 champions qui participa à l’épopée à seulement 17 ans (déjà champion de clan à 16 ans), était tout à son affaire autour de ces unités navales. Il avait fini par trouver des documents qui retinrent toute notre attention sur cette nouvelle flotte. Il y avait d’abord 5 livres richement illustrés, donnant tous les détails nécessaires à la fabrication de 5 différentes sortes de navires. Un sixième livre traitait des parties techniques de la navigation, de l’utilisation des vents, du repérage en mer, ainsi que d’une foule de conseils pratique et techniques. D’autres cartes marines étaient jointes aux documents. Barnabé eu fort affaire pour lire tout cela et nous indiquer ce que nous pourrions faire de cette marina. Les premiers signes étaient réjouissants. Barnabé nous laissait entendre qu’avec de tels navires ainsi que les enseignements contenus dans le sixième volume, il n’était nullement impossible que cette flotte puisse atteindre n’importe quel coin du globe !
De retour sur la place de la basilique, devenue celle des joutes pour encore quelques jours, nous écoutions Barnabé nous résumer le livre à mesure qu’il y trouvait des nouvelles intéressantes. Pendant ce temps, nous nous promenions au milieu des combats pour voir les prouesses que certains montraient déjà. Mais entre nous, nous parlions souvent de cette marina. Sérafino était bien entendu le plus motivé, il fondait de grands rêves sur nos nouvelles capacités de découvertes. Cet aspect n’était d’ailleurs pas pour nous déplaire, bien au contraire, et cette marina pouvait être un atout de taille dans de nouvelles conquêtes.
Arrivé à la fin du livre, deux jours plus tard, nous étions convaincus que ce moyen de transport était réellement une manière de franchir de grandes distances sur la terre entière. Nous savions comment construire de tels vaisseaux, nous savions à quoi servaient le moindre de ses filins, nous savions comment nous diriger sur les mers, comment conserver de la nourriture, ces romains nous avaient donné toutes les instructions pour mener de belles traversées. Sérafino aura les soldats qu’il arriverait à entasser sur ces bateaux, et il serait aidé par Bartoloméo, un des 63 amis écrivains de Barnabé, qui étaient finalement arrivés la veille. Bartoloméo serait chargé de lui lire les plans de construction et autres indications pour la bonne marche de la flotte. Sérafino se formera lui-même ainsi que les soldats nécessaires au métier de la marine, décrits dans le dernier volume, tandis le sénat lui proposerait des expéditions à entreprendre une fois qu’il sera au point. Pour l’instant, nous n’en étions pas encore là, car il y avait d’abord lieu d’apprendre à maîtriser de tels vaisseaux.
Les combats devenaient sans cesse plus pointus sur la place, et chaque jour, les guerriers produisaient de plus en plus de démonstrations techniques. Le 16ème jour, il ne restait que 40’000 guerriers, dont la moitié était sensée rester à Rome. Les meilleurs commencèrent à se profiler dans ces joutes qui retenaient de plus en plus notre attention.
Le 18ème jour du tournoi, nous avions nos 30’000 vainqueurs. Mon frère Jo en faisait partie. Il fallait encore trier les 20'000 meilleurs, qui intégreraient notre nouvelle unité de Prétorians, seule véritable armée attachée exclusivement, et en toutes circonstances, à la protection de Rome. Les 10'000 restants seront intégrés à l’armée romaine de Paskale, qui rouspétait déjà de devoir se contenter de soldats de seconde zone… Ils faisaient tout de même partie des 30'000 meilleurs sur un million, ce qui représentait le 3 meilleur pourcent de tous les hommes, mais rien à faire, Paskale ronchonnait sur la piètre qualité de ce troisième pourcent et ne comprenait pas pourquoi il fallait la crème de l’armée pour protéger une ville qui a une muraille imprenable ! Il n’avait pas tout tord le bougre, mais n’empêche que les prétorians ne se contenteraient pas d’un rôle de protection de la ville contre une menace étrangère, ils devraient aussi protéger la ville contre elle-même, contre des insurrections ou des coups d’état. Finalement, par gain de paix, je fini par céder partiellement à sa demande : Les 20'000 meilleurs ne serait pas « automatiquement » intégrés aux prétorians, mais pourront choisir, soit de se mettre sous les ordres de Paskale et intégrer l’armée romaine qui interviendrait aux 4 coins de l’empire pour remettre de l’ordre, soit de se mettre sous les ordres du gouverneur de Rome, Armadé, et garder ainsi la place qui leur revient de droit en tant que prétorians. Paskale se déclara satisfait du compromis et ne rouspéta plus.
Au stade de ce dernier palier d’élimination où il ne restait que 3 guerriers sur 100 participants au départ, les joutes promettaient une qualité peut-être jamais égalée dans l’histoire, à tel point que nous commencions à regretter de ne pouvoir y participer.
Deux jours de spectacle époustouflant suffirent pour départager mes 20’000 Prétorians. Mon frère Jo fut battu et n’intégra pas cette unité... Son nouveau nom lui seyait donc à merveille… « Lesecond » ! Ces joutes historiques étaient théoriquement terminées, mais des voix s’élevèrent parmi les vainqueurs. Leur requête était de pouvoir poursuivre afin de connaître le meilleur d’entre tous. Enthousiasmé par la qualité des combats, je donnais mon accord pour la poursuite du tournoi jusqu’au stade où il n’en restera plus qu’un ! Sur le moment, je ne vis pas le danger, mais il ne tarda pas à se manifester.
Au soir d’une nouvelle semaine de lutte que je passais à observer les prouesses des participants, il ne restait que trois paliers de combat étalés sur trois jours : Les quarts de finales, les demies, et la finale qui allait se faire affronter les deux plus grands champions de nos armées.
Personnellement, je savais déjà à ce stade quel serait le champion suprême, c’était un guerrier qui se prénommait Gianfranco Villania, et qui était une sorte d’anomalie là au milieu, même s’il faisait tout pour le cacher. Pour être sûr que je n’avais pas la berlue et que j’interprétais correctement ses mouvements, je demandais à Marco de rester avec moi pour voir batailler le lascar en quart de finale, et Marco eu exactement le même diagnostic que moi :
« Ce type se retrouve à ce stade de la compétition parmi les 8 meilleurs guerriers de tout l’empire, et il retient ses coups » !
C’était tout à fait intriguant, cet homme se battait comme se battent les meilleurs guerriers du Chaos, avec force, rapidité et précision, mais tout ceci ne semblait être que l’apparence de son jeu. En réalité, certaines postures le trahissaient, il connaissait des styles de jeu qu’il ne voulait pas montrer, qu’il tentait de cacher tant bien que mal, même si parfois lors de situations délicates, ses réflexes faisaient revenir certains gestes qui devaient êtres naturels pour lui, et qu’il corrigeait immédiatement en adoptant de suite un jeu plus grossier. J’eu les renseignements le concernant, et selon mes lieutenants, il aurait rejoint mon armée à Barri, dans le sud de l’Italie. Aucun combat important ne permis de le distinguer avant ce tournoi, ce qui fait que je le découvrais seulement maintenant. Gianfranco avait naturellement battu son adversaire en quart de finale, et le lendemain, Marco et moi étions assis côte à côte pour l’observer en demi-finale. Après quelques minutes de jeu, malgré tous ses efforts pour le cacher, c’était évident, il y avait comme quelque chose de Rufus là-derrière. Je m’en ouvris à Marco :
Est-il possible que Rufus ait entraîné ce type, demandais-je ?
Impossible, répondit Marco catégorique, Rufus a passé les 12 dernières années de sa vie avec toi, ce Gianfranco a 26 ans, et il habitait au sud de la Péninsule. A ce que je sache, et j’en sais quelque chose, Maître Rufus n’est jamais allé plus au sud que Rome. Et s’il avait eu un autre apprenti que toi, il m’en aurait parlé.
A moi aussi il me semble, rétorquais-je, mais c’est trop bizarre, ce type trahi des attitudes de combat d’art martial, il connaît des techniques que le Chaos ne connaît pas à priori, c’est incroyable. Regarde, là maintenant ! Tu as vu ? Il aurait dû gagner à la suite de cet enchaînement de trois coups trop beaux pour êtres honnêtes, et qu’est-ce qu’il vient de faire ? Au lieu de porter l’estocade, il recule comme un couillon ! Tu comprends ça, toi ?
Marco acquiesça de la tête, mais restait pensif. Après un moment de contemplation du combat, il rajouta perplexe : - « c’est un grand bluff, ce combat n’est pas un vrai combat, Gianfranco fait trop d’erreurs grossières après des coups somptueux, tout est faux ». Après quoi, il fit signe à un simple guerrier d’approcher. L’homme, qui observait comme nous le combat, vint vers nous, tout anxieux d’être interpellé par un seigneur si prestigieux. Il s’approcha avec déférence et écouta Marco attentivement :
Salut guerrier, ton nom ?
Julien Brescourt.
Tu parles italophone ? demanda Marco
Je commence à me débrouiller Seigneur, mais je suis loin d’être un bon traducteur, si c’est ce que vous recherchez, répliqua le guerrier.
On n’a pas besoin de traduction, répondit Marco. Tout ce qu’on te demande, c’est d’aller voir ce type, Gianfranco, lorsqu’il aura enfin gagné sa demi-finale, tu te tiendras dos à nous, pour qu’on puisse voir son visage de face, et tu lui transmettras les félicitations de Maître Rufus pour sa victoire. Avant de prononcer ce nom, tu feras un petit signe avec ton bras derrière ton dos. On veut voir exactement sa réaction lorsqu’il entendra le nom de Rufus. S’il nie le connaître, insiste en lui disant qu’il se bat presque comme lui, et demande lui d’où il tient ses connaissances des arts martiaux. Tu as tout compris ?
Heuuu oui et non, répondit Julien.
T’inquiètes pas, les seules choses importantes sont de prononcer le nom de Rufus, de lui parler d’art Martiaux, et qu’on voit son visage lorsque tu prononceras ces mots, reprit Marco. S’il te demande comment tu connais cet art, dis-lui que c’est Maître Rufus qui t’en a parlé lors de l’un de ses passages dans ton village, et qu’il semble se battre comme lui. Tiens toi prêt, il a fait durer le combat déjà une demi-heure, il ne va pas tarder à conclure. Tu viendras nous rendre compte de ses observations et questions lorsqu’il se sera éloigné, je ne veux pas qu’il nous relie à toi. Allez, dégage d’ici maintenant, il va finir par te repérer.
Julien s’éloigna, tout intrigué de sa mission, de ces mots « arts martiaux », qu’il ne connaissait pas plus que ce Maître Rufus.
Comme prévu, Gianfranco conclut le combat un peu après la demi-heure de jeu, et le dénommé Julien s’approcha de lui en nous tournant le dos. Gianfranco ne lui portait pas la moindre attention, à peine sembla-t-il lui jeter un regard distrait durant les présentations dudit Julien. Puis, notre homme ouvrit sa main dans son dos, c’était le signe. Au lieu de continuer à ranger ses armes, Gianfranco s’arrêta net, le dévisagea de la tête aux pieds, secoua la tête en signe de négation, puis sembla s’intéresser de très prêt au Julien en lui posant des questions. Le dédain qu’il affichait pour l’homme lorsqu’il l’apostropha se transforma en vif intérêt. Il secoua encore une fois la tête lorsque Julien parlait, certainement prononça-t-il les mots « art martiaux ». On sentit alors que Julien était de plus en plus mal à l’aise face aux questions du champion, alors nous décidions d’intervenir avec Marco en venant nous même le féliciter pour son combat, ce qui permit à notre homme de s’éloigner en le félicitant encore une fois.
Le combat était terminé, et j’annonçais au peuple la finale pour le lendemain, deux heures après le levé du soleil.
Lorsque Gianfranco se fut éloigné, Julien osa nous approcher pour nous rendre compte de ce que nous savions déjà : Non, le champion n’avait jamais entendu parler de Maître Rufus, et non, il ne connaissait pas ce que signifiait « art martiaux ». Mais bien sûr, Marco et moi savions qu’il mentait, et Julien eu exactement la même impression après son changement d’attitude totale dès que le mot Rufus fut prononcé.
Nous nous trouvions donc face à une énigme. Il était matériellement impossible à Rufus de m’enseigner l’art du combat 18 heures sur 24 dans les Alpes, et en même temps d’éduquer un jeune homme du sud de l’Italie à ces mêmes arts. Rufus ne l’avait probablement même jamais rencontré, mais l’homme connaissait son existence… ?
Le jour dit de la finale, deux phénomènes offrirent un spectacle si magnifique que je doutais presque de pouvoir battre le vainqueur, connu d’avance par Marco et moi-même : Gianfranco Villania. J’écartais cette pensée, en admettant toutefois que ces deux gaillards pouvaient tout de même me mettre en difficulté, surtout celui qui continuait à camoufler son vrai jeu. Je tiens à mentionner le nom de l’autre finaliste : Guerart Weinberg, un colosse blond que Paskale avait ramené de sa campagne dans les territoires germaniques du nord de Bâle. Quant à Gianfranco Villania, outre le mystère qui entourait le bonhomme, c’était un superbe guerrier brun et ténébreux, vraisemblablement originaire du sud de la péninsule italienne. Les deux champions nous offrirent une heure de combat sans précédent avant que Gianfranco ne se décide enfin à désarmer et immobiliser Guerart à terre, la pointe de l’épée taquinant sa pomme d’Adam. Comme ce n’était pas des combats à mort, le vaincu n’avait pas à demander grâce pour stopper la joute. Guerart ne pouvait pas être plus vaincu que cela et Gianfranco fut logiquement déclaré champion des armées.
Je félicitais le tout nouveau champion, mais n’étais pas au bout de mes surprises. Ce bougre de prétentieux n’hésita pas à me lancer un défi ! Tout innocemment, il me demanda si je n’étais pas tenté par un duel contre lui, histoire d’asseoir définitivement ma place de guerrier supérieur à toutes les armées...!
J’étais furieux d’un tel culot. Il y avait une lune, je leur ouvrais les portes de la ville, et voilà qu’on me demandait déjà de prouver ma supériorité au combat, histoire d’essayer de mettre à mal mon autorité. D’un autre côté, je n’étais que le champion alpin, et j’avais sous mes ordres une multitude de guerriers n’étant pas originaires des Alpes, et auxquels je n’avais jamais prouvé ma vaillance en duel. Selon la loi des clans, cette demande était logique ; mais après ce que j’avais offert à mes hommes, je percevais ceci comme une grande ingratitude et un réel affront.
Furieux, j’acceptais néanmoins sans hésiter le défi, mais en indiquant clairement que ce duel n’avait plus rien à voir avec le tournoi, et j’y posais une condition. Je ne jouterais pas contre le champion des armées pour asseoir mon règne, mais pour laver cet affront dans le sang ! Je décrétais en effet que les champions de la première heure ainsi que leurs descendants n’avaient plus à prouver leurs capacités, car cela avait déjà été fait. Malgré les protestations de mon père, de Rino, Barnabé et presque tous mes champions, je demandais un duel se terminant avec une seule vie. Le premier mort serait le vaincu, mais en aucun cas, le gagnant n’obtiendrait plus de faveurs qu’il n’en disposait déjà. Quoiqu’il en advienne du résultat, Gianfranco ne serait jamais empereur. Ce n’était plus un combat de prétention, mais un duel d’honneur..., en ce qui me concernait en tout cas. Renaissance ne broncha pas et accepta elle aussi ce duel à mort.
Je fixais l’heure du duel le lendemain, deux heures après midi, à l’intérieur du grand cirque du Colisée. Tous les guerriers qui y trouveraient une place pourraient assister au spectacle.
Après avoir donné mes ordre à haute et intelligible voix pour que tout le monde entende, je saisis le champion par la chemise et l’interrogeais frontalement :
Espèce de crapule, tu connais Maître Rufus mais tu n’as jamais été l’un de ses élèves, si tu l’avais été tu serais comme Marco, un frère. Inutile de mentir, je sais que tu le connais !
Grianfranco sembla déstabilisé, mais répondit toutefois :
Je ne le connais pas, mais j’en ai entendu parler !
Comment ?
Aucune réponse, le lascar fit mine de chercher ses mots, avant de se raviser, de ravaler sa salive, et pour finir, il préféra ne rien dire.
Quel est ton maître bon sang ? Lui demandais-je encore en le secouant.
C’est… personne, et…, rien, je ne dirais rien, tu verras demain ce que je vaux réellement. Tu vas te faire écraser comme un cloporte, passe une bonne nuit empereur, c’est ta dernière, me répondit l’imprudent avant d’arracher ma main de sa chemise et de s’éloigner avec ses armes.
Après cette altercade, c’est une véritable avalanche de reproches qui me tombèrent dessus de tous côtés. Mon père était furieux que je prenne le risque de ruiner cette nouvelle civilisation par pur orgueil ! Il craignait que si je meure, les guerriers se détournent de l’autorité que les pères sénateurs, les rois et lui-même représentaient. Rino était complètement terrifié à cette idée, Paskale me reprochait simplement de ne pas avoir poignardé Gianfranco sur-le-champ pour offrir ses tripes en dîner aux vautours, Patrick tirait une gueule de déterré, Sérafino ne disait rien mais n’en pensait pas moins, TOUS mes plus proches craignaient non seulement pour ma vie, mais aussi pour leur place. Si Gianfranco remportait le duel, il ne faisait aucun doute qu’il tenterait de fédérer les armées derrière lui pour renverser les dirigeants actuels. Ils avaient tous vu le champion se battre, ils avaient vu sa force, sa rapidité et sa précision abominable, ils avaient perçu qu’il se retenait encore, même en finale, ils pensaient tous qu’il pouvait me battre et je m’aperçus à ce moment que leur confiance en moi n’était pas totale. Au bout d’un moment, ayant marre de leurs remontrances et pleurnicheries, je les renvoyais tous. Marco Fallacio resta un peu en arrière, et avant de quitter les lieus, contrairement à tous les autres, il me félicita :
« Bravo Léopold ! Si tu avais tué Gianfranco sans prévenir, tu te serais rabaissé ; si tu avais passé outre à sa provocation en refusant le duel, tu aurais été déconsidéré par toute une série de guerriers qui auraient repéré une sorte de couardise de leur chef. En acceptant le duel, mais en plus en le transformant en un duel à mort, tous ont vu ce qu’ils voulaient voir : Un chef tout puissant, qui ne craint rien ni personne, même le champion d’un million d’hommes ! Tu battras Gianfranco, Léopold, et à ce moment précis, pour tout le nouveau peuple de Rome, tu deviendras un monument des combats à toi tout seul ! Lorsque Grianfranco sera mort, tu seras non seulement une légende vivante, mais un demi-dieu pour chacun, tu seras le guerrier qui aura dépassé toutes les légendes des plus fantastiques guerriers de tous les temps, ton pouvoir sera total ! »
Merci Marco, répondis-je. Mais…, si je perds ?
Si tu perds, tout ce pourquoi tu t’es battu sera sans doute perdu, tu vas jouer l’avenir de Rome dans un seul duel, et c’est ça que je trouve grandiose chez toi. Personne n’a ressenti la moindre peur en toi lorsque tu déclaras ce duel à mort. Tu n’as pas peur ?
Non. Je ne sais pas si je vais gagner, mais je n’ai pas peur de mourir.
Marco me gifla avec vigueur avant de continuer : « Est-ce qu’un disciple de Maître Rufus peut perdre un duel pareil ? BORDEL ??? EST-CE QUE TU VAS FAIRE HONNEUR A SA MEMOIRE ? PAR TOUS LES DIEUX, TU CAUSES COMME UN GUERRIER ORDINAIRE !
PUTAIN, m’emportais-je, t’es pas obligé de me cogner dessus à chaque fois que je ne cause pas comme tu veux, vain dieu ! Bien sûr que je vais le gagner ce fichu duel ! Tu crois quand même pas que je vais laisser Rome aux mains de ce prétentieux ou quoi ? Je vais lui montrer que les enseignements de Maître Rufus sont supérieurs à tous ceux qui ont fait de lui ce qu’il est !
Ah ben voilà qui est bien dit ! Je préfère te voir parler comme ça. Alors passe une bonne soirée, une agréable nuit, et à demain, 2 heures tapantes dans l’arène ! Sacré veinard va !
Salut vieux briscard, rassure toi, je ne décevrais ni toi, ni maître Rufus !
Marco s’en fut, et je me retirais dans mes appartements du palais. Je sentais que Victorio se faisait quelques soucis, même s’il répétait sans cesse : « Tu vas le démolir papa, je suis sûr que tu vas lui foutre une de ces corrections, ça va être génial »…, mais au fond, je savais qu’il disait ça pour se rassurer, je sentais qu’il avait peur pour moi, mais je le rassurais tout de même : « Fils, quand m’as-tu vu perdre pour la dernière fois ?..., jamais ? alors rassure-toi, ce n’est pas demain la veille que ça arrivera ! » Finalement, toute ma famille était inquiète, depuis mon père jusqu’à mes enfants et peut-être même Sabrine, mais elle ne le montrait pas.
Je décidais alors de me cloîtrer, seul, dans une chambre. Là, je me dévêtis, me saisi de la perche d’aluminium que Rufus m’avait offerte, et recommençais des exercices que je n’avais plus fait depuis longtemps. Toute mon enfance, mon adolescence, et ma vie repassèrent dans ma tête. Je faisais des sauts périlleux arrière, avant, des contorsions, des sauts en toupie, et à la fin, avant d’aller me coucher, tard dans la nuit, je me regardais dans une glace. Je voyais en face de moi un corps couvert de cicatrices certes, mais celle qui m’intéressait était la grande croix que le Seigneur Paul avait gravé à jamais sur mon thorax tout entier. Lorsque je vis ça, je me dis à voix haute : « JE SUIS L’EMPEREUR de Rome, personne ne pourra remettre cela en cause, ni par la ruse, ni par les armes ! »
Après avoir prononcé ces paroles, je me couchais et m’endormis du sommeil du juste, rassuré ! Eh oui, moi aussi j’avais eu besoin de me rassurer un peu.
Ce que je ne savais pas, c’est que toute la ville fut en émoi durant toute la nuit. Dès l’annonce du duel dans le Colisée le lendemain, toute une série de guerriers s’étaient rués dans le grand cirque, qui était déjà plein le soir même. On chuchotait dans les rues de Rome d’un éventuel renversement du pouvoir, mais la plupart des guerriers se déclaraient fier de servir sous les ordres d’un chef si courageux. D’après ce qu’on m’avait appris, la ville de Rome ne dormit pas cette nuit-là ! Pour chacun, demain serait soit la chute d’un grand chef, soit son élévation au rang de légende vivante.
Dans la matinée, toutes les rues aux alentours du Colisée étaient noires de monde. Tous se pressaient, mais des dizaines de milliers de spectateurs s’étaient déjà installés la veille dans les gradins du grand cirque, et il n’y avait plus une seule place de libre.
Barnabé demanda à ce que des hommes se postent au sommet du Colisée avec des portes voix afin de commenter à la foule des rues avoisinantes le spectacle qui se déroulerait dans les enceintes.
A midi, je mangeais tranquillement, toujours seul. Je n’avais plus revu mes amis depuis la veille, et ne souhaitait revoir personne avant le combat. Malgré mes ordres pour demeurer seul, Sabrine entra dans la salle à manger, s’assit en face de moi en me regardant d’un sourire tendre et avec un air un peu nostalgique. Je lui demandais si elle venait me faire ses adieux, mais elle répondit :
Non, pourquoi ? Tu as l’intention de quitter la ville ?
Je souris sans lui répondre, mais lui demandais tout de même si elle avait peur que je meure cet après-midi ?
Toi ? Perdre ? Non, je n’ai pas peur que tu perdes, mais que tu gagnes !
Interloqué, je lui demandais de s’expliquer, et elle me remémora le passé en me prédisant l’avenir :
Il y a 10 ans, j’ai épousé un jeune homme venu me chercher sur son beau cheval blanc. Tu as souffert des années, tu as été entrainé au-delà du raisonnable, tu perdais tous tes combats, tu souffrais dans ta chair et je souffrais dans mon âme de te voir ainsi. Ensuite, tu es devenu un guerrier de marchand, et puis le plus fameux des guerriers de marchand. Plus tard tu es devenu le champion de tous les champions des Alpes, et puis le plus fameux seigneur de guerre. A ton retour d’expédition, tu étais le géant à l’épée de feu, et ensuite tu es devenu le chef de la plus grande armée du monde. Maintenant, tu es le Seigneur de la grande ville de la Légende, tu as le monde à tes pieds, tu es l’empereur et à ce jour, tout le monde te vénère. Dans trois heures, Gianfranco sera mort, et tu deviendras un dieu. Au lieu de te vénérer, les guerriers t’adoreront, alors je me demande qui suis-je moi, là, au milieu de toute cette gloire ?
Tu exagères Sabrine, je suis juste le chef et je défends mon statut et mon honneur, rien de plus. Quant à toi, tu seras toujours la femme du chef, rien de plus ni rien de moins, la tranquillisais-je.
Elle soupira : - Tu ne remarques donc pas avec quelle vénération les hommes te voient, et avec quelle envie les femmes osent lever leurs regards vers toi ?
Ahhh les femmes, … qu’ais-je a faire de femmes ma chère ? Je suis un homme de combat et de principes, pas un séducteur ni un joli cœur ! Tu le sais après tout ce temps, non ?
Oui, je le sais, pardonne-moi. Mais pense un peu a Victorio, il ne sera pas facile pour lui de prendre la succession d’un dieu.
Mais, est-ce de ma faute si les hommes m’élèvent ainsi ?! Je ne fais que faire ce pour quoi j’ai été éduqué, rien de plus. Si le peuple veut des idoles et qu’il souhaite m’élever au rang de dieu vivant, eh bien je le lui interdirais ! J’en ai le pouvoir. Mais avant ça, va falloir que je gagne ce fichu duel, et tu es entrain de m’embrouiller l’esprit avec tes histoires. Tu es tout de même consciente que ce Gianfranco est un type assez spécial. Spécial au point d’avoir entendu parler de Rufus, des arts martiaux, et que ce combat ne va pas être une mince affaire !??
Oui, je suis tout à fait consciente de ça, et je pense que ce Gianfranco ne s’est pas mis à ton service pour te servir mais bel et bien pour prendre ta place ! Il n’en attendait que l’occasion et tu la lui as offerte. D’après ce que m’a rapporté ton père, cet homme t’as traité de cloporte, …aucun homme normal n’aurait parlé ainsi. Ce guerrier est envoyé par on ne sait quelle puissance, ce n’est pas un homme du Chaos, tous les hommes du Chaos te vénèrent et lui te déteste. C’est le seul, et tu vas le tuer.
Finalement, il fut bon que ma femme parle un peu avec moi avant ce combat, elle était si sûre de ma victoire que sa confiance en était communicative. Je fis alors venir mes fils et ma fille, et nous partagions le dessert ensemble dans une ambiance plutôt sereine.
Ce n’est qu’après avoir mangé que je leur demandais de se taire tout à fait pour que je puisse me concentrer sur ma mission. Je me revêtis de la même tunique à capuchon que maître Rufus, j’accrochais mon épée de marchand à mon cheval, mon boulier à la ceinture, et je partis à cheval à travers Rome pour rejoindre le Colisée. Ma famille me suivait sur d’autres montures, mais dans ma tête, j’étais déjà loin d’elle.
Sur mon chemin, un grand nombre de gens m’encourageaient, certains pleuraient, d’autres mettaient genou à terre sans dire un mot, d’autre hurlaient : « Gloire à Léopold », certains défaillaient même…, et d’aucuns tendaient leurs mains vers moi en psalmodiant les yeux fermés en guise de bénédiction ! C’était hallucinant, pour un peu, et je me serais pris pour Marco Fallacio entrant dans un marché de campagne !
Aux alentours du Colisée, la marée humaine s’écarta pour me laisser avancer, et les explosions d’hystéries provoquèrent une sorte de tonnerre de cris et de bruits inaudibles ! Les commentateurs au sommet du Colisée avisèrent les gens à l’intérieur de mon arrivée. De mon côté, j’entendais tous ces cris et ces sons d’une manière un peu sourde, j’étais rentré en moi-même, mon regard était fixé droit devant moi, je ne prêtais plus attention à personne, dans mon esprit, j’étais déjà dans le combat.
Environ deux heures après le midi, j’étais dans l’enceinte du grand cirque, sans être encore entré sur la piste. Gianfranco se trouvait lui aussi dans l’enceinte, mais de l’autre côté. Patrick, roi du Latium, et Armadé, gouverneur de Rome, entrèrent au milieu de la piste et annoncèrent le début du combat en précisant le choix des armes :
« Peuple de Rome, cria Patrick, dans quelques instants, vous assisterez au plus grand duel que la société du Chaos n’a jamais pu produire ! S’affronteront sur cette piste deux hommes de qualité exceptionnelle :
Le champion de toutes les armées de l’empire, Gianfranco Villania, vainqueur parmi les vainqueurs d’un million de guerriers, et, …
L’Empereur de tout le monde connu, Léopold Paralamo, champion des Alpes, découvreur de la Grande Ville de la Légende, celui qui nous a ouvert les portes de cette ville, celui que nous admirons tous ici ! »
Après cet énoncé, une immense clameur retentit dans les enceintes du grand cirque. Le calme revenu, Patrick continua : « Selon les volontés de l’empereur, il s’agit ici d’un duel d’honneur, à mort ! »
« Le choix des armes est le suivant :
Gianfranco Villania se présentera au combat armé d’une épée et d’un bouclier,
Léopold Paralamo sera muni d’une épée et d’un boulier à deux boules.
Armando Villania sera équipé d’un casque, de côtes de mailles, et d’un plastron cuirasse,
Léopold Paralamo, lui, a décidé de se vêtir légèrement. Il entrera dans l’arène torse nu et sans casque ! »
La clameur explosa, certains spectateurs se frappaient le front ou la poitrine en guise de désapprobation, d’autres pleuraient, mais de mon côté, ce choix de la légèreté était voulu. Ainsi vêtu, je me sentirais plus proche de Maître Rufus, et je ne serai entravé par aucun ustensile nuisible à ma liberté de mouvement. Dans l’action, aucun casque ne viendrait me barrer le moindre espace de vision disponible. C’était un peu plus risqué, mais le risque restait raisonnable. Quant aux armes, Gianfranco disposant lui-aussi du métal des marchands, je gardais l’épée offerte par Monié.
Après les explications de Patrick, le gouverneur de Rome, Armadé, prit la parole et dit d’une voix forte :
« Je déclare le combat ouvert, que le meilleur vive ! »
Chacun d’un côté de l’enceinte, nous pénétrions sur la piste ! Une clameur assourdissante montait des gradins. Moi-même comme mon adversaire ne pûmes nous empêcher de regarder cette multitude de spectateurs comme fous, lançant des fleurs, des vêtements, et même quelques pierres en direction de Gianfranco !
Puis, lorsque nous avancions l’un vers l’autre, la clameur s’organisa, et elle donnait : « LEOPOLD, … LEOPOLD… LEOPOLD, … LEOPOLD… LEOPOLD, … LEOPOLD… LEOPOLD, … LEOPOLD… », ça n’arrêtait pas, jusqu’au premier contact, à partir duquel un silence total s’installa dans le public, un silence inquiet, de mort ! C’était très impressionnant. Les seules choses que nous entendions encore étaient les portes voix au sommet des murs qui commentaient la partie pour le public à l’extérieur de l’arène, dans les rues.
Au commencement, je restais prudent, mon boulier était toujours accroché à ma ceinture, et je me contentais de parer les coups d’épée de Gianfranco. Ils étaient puissants, extrêmement rapides et précis ! Après quelques coups, je décidais de changer de jeu. Au lieu de simplement parer ses coups avec mon épée, je commençais une gymnastique d’esquive. Après un de ses coups, je réussi à écarter un instant son épée sur sa droite. L’instant fut suffisant pour me permettre d’exécuter une pirouette arrière en écartant d’un pied son bouclier, et lui décochant un coup au visage avec mon autre pied. Son casque recula et il s’ouvrit légèrement la lèvre. Je retombais sur mes mains en arrière en me propulsant immédiatement debout à l’aide de mes bras, avant même qu’il eut rajusté son casque. Une grande acclamation monta du public, puis les choses sérieuses reprirent.
Gianfranco se dévoila enfin, lui aussi adopta une gymnastique extrêmement mobile, changeante, tournoyante, pour frapper sans cesse, que ce soit avec son épée pour écarter la mienne suivie d’un coup de bouclier, ou même de coups avec ses pieds. Il parvint à me faire reculer, et pendant mon pas en arrière, m’administra un coup de bouclier dans les tibias. La douleur me fit grimacer un peu, mais je pris conscience à ce moment qu’il fallait que je sois encore plus mobile que je ne l’avais jamais été. Il modifiait souvent ses frappes, parfois en revers, d’autres fois en piqué, d’autres fois d’en haut, en pendule, et même du bas. Inutile de faire un tableau, il connaissait toutes les frappes, toutes les techniques. Mes pirouettes pouvaient l’énerver un peu, mais il était trop attentif pour se laisser surprendre. Au contraire, après mon coup de pied au visage, il devint encore plus prudent dans sa défense, et je ne pouvais lui porter aucun coup sérieux. Je ne fis aucune erreur, mon épée me protégeait à chacun de ses assauts, mais je ne pouvais pas l’atteindre sans qu’il lâche son bouclier. Alors je décidais de me saisir de ma seconde arme à ma ceinture, mon boulier métallique sertis de dizaines de pointes.
Contre un champion de l’envergure de Gianfranco, je ne pouvais pas compter sur une erreur de sa part, je décidais donc de lui arracher son bouclier des mains par la force. A chacun de ses assauts, tout en me mettant à l’abri avec mon épée, j’assénais de formidables coups de boules dans son bouclier pour tenter de le lui arracher du bras.
Jamais un combat n’avait été autant rapide dans les passes d’armes, les assauts et les parades, chaque position entraînant de multiples affrontements de lames. Parfois, les pointes de mes boulets pénétraient dans le fer du bouclier, mais même si le bougre devait avoir son avant bras et sa main ensanglantés par les pointes traversant le métal, il ne lâchait pas prise. Au contraire, lors d’une passe technique, il réussit à faire glisser son épée sur la mienne pour ficher sa pointe dans mon avant bras droit. J’avais repéré sa manœuvre, et pu retirer mon bras avant que sa lame ne s’enfonce trop. Le sang coulait un peu du dessus de mon bras, mais les muscles n’étaient pas affaiblis par la blessure, je décidais de garder mon épée dans ma main droite.
A chaque touche, la foule poussait de grands « HAAAA », et « HOOO », nous rappelant l’enjeu du duel.
Mais il était dit qu’un combat d’une telle intensité ne durerait pas longtemps : Quelques passes plus tard, alors que j’avais exécuté quelques gymnastiques qui ne me permirent pas de le toucher, il réussit à me porter un méchant coup au visage lors de l’un de mes assauts. Alors que je désirais un peu imprudemment en finir au plus tôt, je tentais d’attaquer sur deux fronts : lui retirer son bouclier de défense d’un gigantesque coup de boulier, et le blesser simultanément sur l’autre flan avec l’épée. Pour frapper des deux côtés en même temps, j’avais dû découvrir mes défenses durant un temps minime, prêt à reculer au moindre danger. C’était sous-estimer la rapidité du bonhomme, et il sut mettre à profit cette petite erreur d’impatience de ma part, et, rapide comme l’éclair, il pointa son épée droit vers mon visage. Sa pointe eu le temps de traverser ma joue pour venir se ficher dans mon palais. Cependant, elle n’alla pas plus loin et il n’eut pas loisir de poursuivre son offensive, car en même temps que son épée pénétrait dans ma joue, je visais la mienne juste au dessous de son plastron cuirasse, en croisant mon attaque avec le boulier pour finalement lui perforer le bas-ventre à droite, ce qui le fit reculer. Je sentais ma joue pendre mollement sur mon menton, crachais quelques dents, tandis que le sang suintait abondamment sur mon torse nu. Toutefois, ma joue déchirée et ma bouche ensanglantée ne signifiaient qu’une certaine perte de sang sans aucune incidence sur mon jeu. J’avais peut-être l’air plus touché que Gianfranco, mais je savais que mon coup avait fait mouche. Ma lame avait facilement pénétré d’une main dans son bassin, touchant peut-être même un organe. Quoiqu’il en soit, à ceux qui ne connaissent pas ce phénomène, je peux leur assurer qu’une perforation de la hanche est sans doute une des pires conditions pour continuer un duel. La douleur, puissante, est accompagnée d’une incapacité à courir ou se mouvoir correctement sur ses jambes, ce qui était de nature à déstabiliser le meilleur tacticien.
Il recula d’ailleurs pour prendre le temps d’intervertir ses armes. Son côté droit n’était plus propice à de grands étirements, et trop instable pour continuer à porter des coups dangereux de sa main droite. Curieusement, malgré la douleur qu’avait dû provoquer mon coup, son visage restait impassible, comme si la souffrance n’entrait pas en ligne de compte dans le combat, et qu’il n’y avait que l’incapacité physique de son côté droit qui le gênait... Il balança son bouclier à droite tandis que sa main gauche se saisit de l’épée. Je découvris ainsi l’état de son avant-bras gauche, lacéré par les pointes du boulier. Là-aussi, il n’avait jamais marqué le moindre signe de souffrance, tout ce qui semblait lui importer, était que ses muscles fonctionnent encore correctement. Quant à moi, ma joue était découpée jusqu’à la bouche, quelques dents avaient giclé sous la pointe de sa lame, et mon palais saignait bien, ce qui me faisait cracher pas mal de sang en même temps que celui suintant de ma joue. C’était très impressionnant pour les spectateurs. Ils étaient tous en émoi, car ils n’avaient pas vu le coup que Gianfranco avait encaissé dans sa hanche, et pensaient sûrement que j’étais le seul touché dans cet échange de coups.
Je vis une petite flaque de sang se former sous son pied droit, et à partir de ce moment, il était clair dans ma tête que j’avais gagné. Dès lors, je pouvais tournoyer autour de lui, le taquiner par derrière ou me déporter sur les côtés, il ne pouvait plus être en mesure de suivre un rythme de mouvements rapides, devenu incapable de courir, de sauter, ou de faire des rotations accélérées. Il pouvait cependant continuer des corps à corps traditionnels, mais je n’en fis rien, car je voulais une fin spectaculaire même si plus risquée, un dernier assaut digne de Rufus et de cette foule gigantesque retenant son souffle !
Mes capacités de combat n’étaient en rien diminuées, car même si cela faisait mal, ce n’était pas avec la bouche que je me battais.
J’étais si content d’avoir pu l’atteindre pareillement que j’en profitais même pour faire un tour de piste face au public, sous leurs gradins, en criant : « Ictoia ! Ictoia !.... ICTOOOIA ! » Je n’arrivais plus à prononcer les « V » en raison de ma joue déchirée, ni les « R » à cause de mon palais lacéré. Le public comprit bien que j’hurlais « Victoria », mais ne compris pas pourquoi. Ils voyaient Armando, qui paraissait calme, planté au milieu de l’arène, sans grand mal à part une série d’écorchures sur les muscles de son avant-bras gauche ; et d’un autre côté, ils me voyaient passer devant eux avec ma joue pendante, mon torse maculé de mon sang, et ils restaient inquiets ! Alors, je leur demandais leurs encouragements pour notre face à face final ! Lorsqu’ils comprirent ce que je voulais, ils recommencèrent à crier : « Léopold, … Léopold, … Léopold, … » sans grand enthousiasme au début, mais en leur faisant signe avec mes bras d’élever le son, ils reprirent confiance et commencèrent à hurler à plein poumons, comme au début du duel : « LEOPOLD, … LEOPOLD… LEOPOLD, … LEOPOLD… LEOPOLD, … LEOPOLD… LEOPOLD, … LEOPOLD… »
En passant vers le porche d’où je fis mon entrée, je vis Sabrine et mes enfants qui regardaient le spectacle depuis le bord de la piste, sous le portique, et je dis à ma femme : « V’ai gagné Fabvine, vegavde la fin, favouve fe moment… ». Mais de me voir ainsi ensanglanté, Sabrine cacha son visage dans ses mains, une petite larmichette s’échappant de ses yeux. Elle n’avait sans doute pas compris ce que je tentais de lui dire et se fiait trop aux apparences.
Alors, tout en courant sous les tribunes en remerciant les spectateurs de la main pour leurs encouragements, j’esquissais le plan d’une attaque si possible spectaculaire et avec le moins de danger possible pour moi, mais, porté par la foule, je décidais de m’en tenir au spectacle pur. Alors, je me retournais face à Gianfranco. J’étais en bord de piste, et lui toujours au milieu de la place. Sous les vivas de la foule qui hurlait mon nom à n’en plus finir, je me sentais prêt pour un exercice de grande voltige !
En poussant mon cri de guerre qui trancha jusque dans les hurlements du public, j’entamais une des courses les plus rapides de ma vie sur la cible. Arrivé à 5 mètres de l’ennemi, je fis un saut à la mode Rufus, pour me retrouver à l’horizontale à 2 mètres de haut, épée pointée vers lui, et le boulier en arrière, prêt à frapper. Gianfranco, même s’il disposait encore de la force nécessaire pour m’infliger la mort, savait lui aussi que la partie se terminerait dans ce choc. Ces derniers échanges se déroulèrent en une seconde : En l’air, je voyais où il allait chercher à frapper : de bas en haut, dans mon torse. Toujours en plein saut, par une rotation rapide de mon épée, je réussi à détourner un peu la sienne qui manqua mon torse, mais vint se ficher dans mon épaule gauche. Ceci me provoqua un mal de chien, mais n’empêcha pas mon mouvement de boulier de continuer. Ce faisant, en atterrissant sur lui, je le poussais en arrière avec mon bras droit, et alors qu’il était en train de tomber à la renverse sous le coup du choc, mon boulier, en plein élan et avec une force inouïe, s’écrasa sur sa tête. Son casque fut éjecté 10 mètres plus loin, sa tête se détacha presque de son corps, et j’entendis son crâne craquer sous la puissance du coup et des pointes. Je m’écroulais sur lui, à moitié mort moi aussi. Tout cela se déroula à une telle vitesse que le public ne comprit pas exactement nos échanges de lames.
Je restais un moment couché sur lui, tant le mal était intense… La foule restait silencieuse, attendant de savoir ce qu’il en était. Ce n’est que lorsque j’entendis les portes voix sur les enceintes aviser la foule extérieure que nous étions peut-être les deux morts, que je me relevais, l’épée de Gianfranco toujours fichée entre mon bras et mon épaule gauche, en hurlant à nouveau « ICTOIA », en pointant mon épée vers le ciel !
Alors ce fut le délire le plus absolu, les spectateurs étaient comme devenus hystériques, je leur avais offert le spectacle qu’ils attendaient et même plus, et les « LEOPOLD » recommencèrent en cadence, de plus en plus rapide.
Barnabé se précipita, et m’indiqua de ne surtout pas retirer l’épée fixée entre les articulations de mon épaule, je risquais une grosse hémorragie si une artère avait été sectionnée. Pour l’instant, la lame empêchait le sang de gicler. Puis, il tenta d’arrêter l’hémorragie de mon visage, tandis que je demandais à Guérart, le Dauphin de Gianfranco lors de la finale du grand tournoi, de me rejoindre au centre de l’arène. Son vainqueur, raide mort, gisait dans la poussière de la piste. Sa tête ne ressemblait plus à rien, certaines parties de son crâne étaient étalées à 5 mètres à la ronde. Marco Fallacio arriva à cheval, attacha les pieds du vaincu, et le traîna ainsi hors de l’arène derrière sa monture, sous les huées du public.
Malgré mes blessures et l’idée que je ne pourrais peut-être plus jamais user de mon bras gauche comme auparavant, j’étais heureux de ce duel. Ce fut la dernière personne que je tuais, après 5 ans de pacifisme. En outre, malgré mon pouvoir de commandement, j’étais très fier d’être devenu non seulement le champion alpin, mais de tout l’empire. A vrai dire, lorsque je regardais la finale, j’étais presque tenté de jouter contre le vainqueur, car la possibilité d’une défaite semblait réelle comme jamais elle ne put l’être. J’avais vaincu, et malgré mes blessures, j’étais totalement fier d’avoir brillé d’une telle façon devant mon armée, même si ce combat ne devait jamais être considéré comme un duel de champions, mais un combat d’honneur.
Guerart arriva au milieu du grand cirque, à mes côtés, et plantant mon épée dans le sol, je saisis sa main pour la lever vers le ciel en le déclarant champion de tous les champions des armées, nommé sur-le-champ commandant en chef des Prétorians, sous l’autorité du roi du Latium et du gouverneur de Rome. La foule l’acclama comme il se devait.
Après ce sacre symbolique du plus valeureux de tous mes combattants, je suivis Barnabé pour me faire recoudre et soigner. Nos guérisseuses de clans disposaient d’une vieille médecine traditionnelle, tandis que Barnabé disposait de la connaissance. Durant 500 ans, ses ancêtres avaient accumulés des connaissances bien plus pointues que nos traditions, et l’anatomie semblait ne plus avoir de secret pour lui. Beaucoup moins démonstratif que les guérisseuses, ne pratiquant pas d’incantations et autres cérémonials, il avait une vision presque mathématique de la médecine. Il savait expliquer ce qu’il faisait et pourquoi il le faisait, et ses explications rationnelles étaient bien plus compréhensibles que le charabia des guérisseuses. Après avoir entendu les discours de Paul, je dirais que Barnabé guéri scientifiquement et efficacement !
Ma blessure à l’épaule était la plus grave. L’érudit pensait que je recouvrerais une partie des capacités de mon bras gauche, peut-être suffisamment pour continuer le tir, mais sûrement plus assez pour les maniements complexes et techniques avec des armes de poing lourdes. Ma joue était coupée depuis la molaire du haut, et ouverte jusqu’à la bouche. La pointe de l’épée avait en outre râpé tout le haut de mon palais, et ce n’était pas beau à voir. Barnabé me recousu d’une main experte à l’intérieur comme à l’extérieur, et une semaine plus tard, on en parlait déjà plus. Il ne restait qu’une belle cicatrice, la plus prestigieuse, qui aurait aussi son histoire à raconter...
Pendant que Barnabé effectuait son œuvre de médecine, Marco vint me voir pour causer un peu de ce duel hors du commun, Sabrine le suivait, mais c’est Marco qui parla le premier :
Parfait Léopold, je ne peux rien dire d’autre que : Par-fait ! Tous les guerriers savent maintenant que tu es la gloire de l’empire, le dieu des duels, le Maître de tout et de tous ! Et cette dernière attaque bon sang, … je n’aurais pas osé, mais en prenant un risque pareil, tu as rajouté un spectacle flamboyant à une victoire déjà acquise lors du précédent accrochage. C’est Rufus qui doit être fier de toi, s’il te voit de là où il est.
Sabrine prit alors la parole, et dans un sourire un peu désabusé, continua : - Comme je l’avais prévu et comme vient de le dire Marco, … tu es maintenant un dieu. Que vais-je bien pouvoir faire de toi ? …N’attendant pas de réponse, elle continua : « Bon, à part ça, tu ne souffres pas trop ? »
Je lui fis comprendre que la douleur était tout à fait acceptable en comparaison du résultat du combat, mais visiblement, ce détail ne l’intéressait pas tellement, c’était plutôt mon nouveau statut de quasi divinité qui l’inquiétait, mais je la rassurais encore comme je pus.
Après ces joutes, Marco sélectionna encore 75 bons prétorians qui intégrèrent son unité des milles, car elle avait subi quelques pertes sur l’île de Sicilia. Cette nouvelle division reçu les plus puissantes montures connues dans l’empire. Quant à Paskale, il mena une propagande si active auprès des 20'000 gagnants qu’il réussit à débaucher presque la moitié de ceux qui pouvaient prétendre au grade de prétorians pour le suivre dans l’armée Romaine. Il se borna à promettre aux guerriers qu’il n’y aurait pas de marche forcée grâce à notre nouveau système de téléportation, qu’ils auraient droit à des batailles et à du sang, et qu’ils pourraient revenir fréquemment à Rome toujours grâce à la téléportation. En gros, il leur promis une vie nettement plus trépidante et sanglante que la monotonie qu’allaient affronter les prétorians en se faisant gardiens de basiliques…
C’est ainsi qu’une série du troisième pourcent devinrent des prétorians, et que la moitié des premier et second pourcent furent engagés dans l’armée romaine de Paskale, pour le coup, très satisfait…
Après ces différentes sélections, d’autres jeux furent organisés pour dégager les guerriers faisant preuve de talent dans des disciplines particulières. Cette sélection nous permis de reformer les bataillons d’archets, lanciers, arbalestriers, cavaliers, infanterie, ingénieurs en catapultes... Le plus clair de notre temps était occupé à organiser des armées équilibrées, chacune devant être dotée de spécialistes dans chaque domaine du combat. Quelques jours après les derniers jeux, je rassemblais tous mes guerriers sur la grande place afin de bien clarifier le rôle de chacun. Nous commencions par remercier le Dieu romain du bon déroulement de ces splendides joutes, et lui demandions de s’occuper de l’âme des quelques 2’000 guerriers ayant tout de même trépassé sous de mauvais coups.
Du haut des marches, celles que j’avais gravi deux fois sous les haies d’honneur romaines, je m’adressais aux nouveaux habitants de Rome en souhaitant qu’ils s’y sentent le mieux possible, et que jamais ils n’oublient ce que leur offre cette cité. Puis, en ce soir du 22 février de l’an 5, j’attaquais dans le vif du sujet. Barnabé transcrivit ce discours sur papier à mesure que je le prononçais.
“Guerriers,
Vous faites tous partie de l’immense armée impériale de Rome, c’est pourquoi le privilège d’habiter la cité éternelle vous revient. Mais même si vous avez cet avantage considérable, dites-vous bien que c’est le seul. Rome ne vous appartient pas pour autant, car la cité, construite par la dynastie des papes, m’a été confiée par le pontife en personne. Il l’a mise sous ma garde. En échange, j’ai juré de veiller sur cette ville pour que jamais le chaos n’y pénètre ! D’autre part, si nous ne voulons pas vivre enfermé comme la civilisation des papes, mais au contraire faire rayonner cette ville sur le monde, nous devrons être une cité ouverte. Dans ce but, et pour ne pas y laisser pénétrer le chaos, c’est le monde extérieur qu’il faudra civiliser. Les lois des clans n’auront pas lieu dans Rome et le conseil des 260 guerriers ayant découvert et permis notre accession à la ville de la légende n’ont plus de preuves à donner à quiconque, ni de comptes à rendre à personne, si ce n’est à moi et au Pontife en personne : que cela soit dit,… et écrit ! Ces 260 pères du nouveau monde méritent tous votre respect et allégeance, par le simple fait que vous soyez ici aujourd’hui. Nous nous portons garant de la protection de Rome envers la civilisation des papes, et il ne saurait être question qu’un nouveau champion venu prenne la responsabilité de la ville. Gianfranco, LE MISERABLE PRETENTIEUX qui se croyait plus fort que Rome, en a fait les frais. Que cet exemple reste gravé dans vos mémoires à jamais ! La destinée du monde passe par votre fidélité et votre dévouement, mais c’est à nous qu’il a été donné de diriger cette destinée. Que cela soit clair pour tous.”
“Je m’adresse maintenant aux armées régulières impériales. Vous êtes venues jusqu’ici en me faisant confiance. Chacun d’entre vous obtient ainsi le droit de s’installer dans une résidence de Rome et d’y faire venir sa famille. En échange, vous participerez aux campagnes d’extension, ce qui vous éloignera de Rome souvent. Toutefois, dès qu’un de vos fils sera en mesure de vous remplacer au sein de l’armée, vous pourrez bénéficier d’une retraite dorée en ces murs. Les généraux veilleront à ce que les campagnes ne s’étalent pas indéfiniment, et ce, pour ne pas vous empêcher d’avoir une descendance digne de ce nom. Lorsque vous rentrerez dans Rome, vous ne serez plus des combattants mais des sujets romains. Vos armes vous seront confisquées à l’intérieur de ces enceintes.”
“Je m’adresse maintenant à vous, guerriers de l’armée romaine sous le commandement du roi Paskale. Vous êtes la fleur de nos armées et vous intégrerez la première armée Alpine qui se forma voilà près de cinq ans déjà, et qui vécu le périple jusqu’au bout. Votre rôle sera de régler les problèmes domestiques de l’empire là où ils apparaîtront. En ville, vous pourrez prêter main forte aux Prétorians si jugé nécessaire par le gouverneur de la cité. Votre base et votre demeure deviennent dès ce jour Rome, pour vous et vos familles. Vous avez le privilège de pouvoir choisir votre maison avant les autres, à l’exception des palais. Vous faites dorénavant partie de l’armée romaine.”
“Quant aux Prétorians vous serez les seules forces armées dans la cité, et je vous demanderais de prendre vos quartiers dans les palais que nous occupons déjà dans les alentours de la grande Basilique qui s’égrènent jusqu’au fleuve. Ils sont si étendus et disposent chacun de tant d’habitations différentes que vous pouvez tous vous y loger très confortablement avec vos familles. Ainsi, la force principale de la cité sera rapidement accessible et regroupée en cas d’urgence. Vous êtes le bras armé de Rome contre le peuple même de la cité. Vous pourriez vous retrouver à devoir combattre contre des camarades qui appartiennent à l’armée dans laquelle vous avez servis jusqu’ici. Vous n’êtes sous les ordres d’aucun général, et n’obéirez à aucun des pères fondateurs. Paul a mit sa ville entre mes mains et Guérart, promu récemment nouveau commandant de votre troupe, remplacera mon bras blessé pour veiller sur la cité et le bon maintient de ses habitants. Lui-même recevra ses ordres directement du gouverneur de Rome, voire du roi du Latium si le gouverneur s’en retrouve indisposé.”
“Quant à l’unité des mille, elle reste à l’entière disposition du roi et seigneur Marco Fallacio, pour n’importe quelle mission, dans Rome, dans l’empire, et même au dehors si besoin en est. Vous n’appartenez ni à l’armée, ni aux Prétorians, et vous n’aurez aucun rôle précis. Vos missions se dessineront au fil du temps et des événements, que se soit dans la cité ou n’importe où dans le monde. Vous logerez également dans les palais alentours de la basilique.”
“Un dernier avertissement que je vous transmet : Le Pape est ici, lui ou ses hommes. Ils sont certainement ici à nous observer mais restent invisibles pour nous. Vous ne comprenez pas le sens de mes paroles, mais cette lune écoulée dans cette ville vous aura appris que ces romains disposent d’une science qui défie les limites de la matière et du visible. Pour que vous vous rendiez compte de la véracité de mes dires, vous aurez loisir de voler et de devenir invisibles aux yeux des autres. Les Prétorians et l’armée romaine sont donc invités à entrer dans la basilique. Demain, une autre division pourra essayer ce phénomène aérien. Les romains sont capables de tout, et disposent d’armes capables de nous anéantir sans même avoir besoin de combattre. Après cette aventure, vous comprendrez que nous sommes tous, autant que nous sommes, observés par les croyants du crucifié. Ils sont là et nous observent....”
Guerriers, je vous salue, et vous souhaite le meilleur avenir possible dans la ville Eternelle !
J’avais fait installer une porte mobile dans l’aile de la cathédrale et j’invitais tous les Prétorians et l’armée romaine à me suivre. J’étais encadré de mes 103 champions. Quelques uns restèrent du côté de la basilique pour sécuriser ceux qui allaient disparaître par la porte, tandis que d’autres les accueillaient au somment de la croix. Sur le chemin menant au bord de la croix, d’autres donnaient les consignes : Se mettre quatre à quatre en se tenant la main. Moi-même, je les faisais entrer par 4 dans le cercle. Mais c’était un véritable défilé. A peine un groupe disparaissait qu’un autre entrait dans le cercle pour y disparaître et ainsi de suite. Un flot continu de milliers de guerriers passait sans s’arrêter devant moi, et des centaines de bulles devaient être en train de voler dans tout Rome !
Les hommes n’arrêtaient pas de défiler. Même en pressant le pas, il fallut plus de deux heures pour arriver au dernier. Environ cinquante mille guerriers flottaient ainsi sur Rome dans des milliers de bulles...
Mais à peine avaient-ils tous disparût, voilà que les premiers partis commencèrent déjà à réapparaître au milieu du cercle. J’indiquais au premier groupe de se diriger à nouveau au travers de la porte, mais à peine eurent-ils mis le pied hors du cercle qu’un deuxième groupe apparût immédiatement derrière. Le flot humain recommença mais à l’envers cette fois-ci. Il fallut le reste de la journée pour que chacun termine son vol.
De retour dans la basilique, je chargeais les Prétorians de veiller à ce que chaque guerrier de toutes les troupes présentes dans Rome puisse bénéficier de ce dernier souvenir avant de repartir en campagne. Les Prétorians seraient chargés de surveiller la porte et donner à tous les explications sur la marche à suivre pour expérimenter l’aventure aérienne.
Malgré leur expression un peu béate, presque absurde après un tel voyage, ils semblaient quand même avoir compris leur première mission.
Quant aux différentes divisions armées, j’étais pressé de pouvoir les remettre en campagne. En effet, dans le but de fidéliser l’armée, nous avions la chance de pouvoir offrir à chaque homme une habitation. Mes contingents restés en poste dans diverses régions seraient relevés prochainement. Ils auraient eux aussi loisir de pouvoir choisir leur demeure dans la cité. En tout, l’armée devait avoisiner le million de guerriers, un nombre capable d’écraser n’importe qui sans difficulté. Selon le décompte de Barnabé, ce devrait être à peu près ça. Quoique invraisemblable, la ville de Rome avait les capacités d’accueillir et de nourrir un bon million de familles ! Toutes les maisons disposaient de caves fraîches, et il était aisé de conserver la nourriture durant toute une saison. D’ailleurs, en ce début d’année, toutes les denrées entreposées dans ces caves étaient encore fraîches.
La nourriture ne manquait pas à Rome, les anciens habitants nous avaient laissé ce qu’il fallait pour subvenir à nos besoins immédiats, à nous ensuite de faire fructifier leurs champs et gouverner le bétail. C’était d’ailleurs assez drôle de voir tous mes guerriers se transformer en paysans pour s’occuper des affaires agricoles. Ils n’en étaient toutefois pas tellement incommodés, puisqu’en principe, chacun d’entre eux avait appris ce métier jusqu’à l’âge de 14 ans, avant d’être promu guerrier à plein temps. En piochant dans leurs souvenirs de ce temps-là, ils se débrouillaient pas si mal.
Mais, … si la nourriture n’était pas vraiment un problème dans la cité, elle en a toujours été un pour les chefs, et même pour les chefs de clans du Chaos. Un jeune champion ne pouvait jamais affronter directement un vieux chef pour précipiter sa chute et prendre les commandes du clan. S’il faisait ça, il était déclaré ipso-facto traître au clan, et banni parmi les parias. Par contre, les champions pouvaient être tentés de raccourcir la vie d’un chef en l’empoisonnant avec le concours d’une guérisseuse, car elles, connaissaient les vertus des plantes, des bonnes comme des mauvaises. Ainsi, lors des banquets dans les clans, les chefs faisaient généralement goûter leurs plats aux champions du clan qui auraient pu prétendre le remplacer lors d’un tournoi de succession. Cela ne valait que pour les occasions de banquets villageois ou autres, car lors des repas en famille, c’était sa femme qui préparait les repas, et la galanterie traditionnelle voulait que l’homme laisse toujours la première bouchée à la femme. Ainsi, les risques d’empoisonnement étaient pratiquement exclus.
A Rome, c’était plus compliqué. Les repas des sénateurs, gouverneurs et rois étaient préparés par de bonnes cuisinières (des filles de guerriers pour la plupart) que je ne connaissais pas. Il y avait un risque dans la chaîne de préparation jusqu’à la consommation. Des cheffes de cuisine furent donc nommées, et leur travail était de sélectionner les aliments, les apporter en cuisine, puis de superviser la préparation, l’acheminement sur les tables, et finalement goûter les plats avant nous. Les risques étaient ainsi limités, mais de toute façon, la moitié du temps, je ne mangeais pas au palais. Je laissais les sénateurs avec le gouverneur à leurs discussions, d’un ennui mortel pour moi, et nous partions à cheval avec Victorio explorer la ville et ses mystères. Nous n’utilisions que peu les portes de téléportation, car chaque ruelle recélait une nouvelle trouvaille que nous prenions plaisir à observer, commenter, et lire si elle comportait des inscriptions, mais ça, c’est Victorio qui s’en chargeait. Après plus d’un an dans les campagnes italiennes, il était devenu parfaitement bilingue et traduisait sans peine l’italophone en francophone ; moi-même, je me débrouillais pas mal aussi.
De plus, j’obéissais en ce sens au voeu de Sabrine qui souhaitait démythifier mon image, et en ce sens, ces balades en ville étaient bénéfiques car je pouvais être en contact avec la population, contact impossible si je restais cloîtré derrière les murailles des palais du Vatican. C’est à ces occasions que je pouvais voir à quoi ressemblaient les hommes ordinaires qui m’obéissaient. Ma vie durant, je n’avais fréquenté que des géants du Chaos :
Maître Rufus et son humble et discrète silhouette à l’efficacité fulgurante
Maître Marco et son orgueilleuse carapace d’or flamboyante, fils de Dieu !
Mon père, celui par qui tout à pu se faire : L’alliance de nos clans, ses capacités diplomatiques et de gouvernance du clan, son efficacité militaire dans la région, celui sans qui Marco ne m’aurait pas choisit…
Le grand marchand Monié, un des hommes grâce à qui les populations du Chaos croyaient que ce dernier n’est pas complètement chaotique
Les guerriers du marchand que j’ai côtoyé durant deux ans et qui sont la crème des guerriers du Chaos, le rêve de tout guerrier un tant soit peu doué dans son art.
Les 260 champions qui m’ont suivi dans l’épopée, les plus fameux guerriers sur une population alpine d’environ 180'000 habitants.
Tous les chefs de clans et de marchés que je soumettais sur mon passage, eux aussi, les meilleurs guerriers de leurs territoires
Et enfin, une toute brève fréquentation avec Gianfranco Villania, le champion suprême du million de guerrier que formait mon armée.
… Depuis l’âge de 8 ans, voilà les seuls rapports humains que j’entretenais dans le Chaos : qu’avec des géants de ce monde-là. Je n’avais jamais vraiment eu l’occasion de connaître le petit peuple, les gens ordinaires, même au sein de mon armée : Je donnais des ordres à mes généraux, et ce sont eux qui les faisaient appliquer plus bas.
A Rome, la compagnie de ces grands guerriers m’intéressait moins, car il n’y avait rien à combattre dans nos murs. Alors, en même temps que je découvrais la ville, je cherchais à connaître l’ordinaire de guerriers qui ne pouvaient prétendre à aucun titre ni distinction, mais qui avaient cru en moi, acceptant de quitter leur clan et tout ce qu’ils possédaient, de me donner jusqu’à leur vie s’il l’avait fallut, et qui avaient finalement reçu Rome sans même mener bataille. C’est dans cet état d’esprit que nous déambulions dans la ville avec Victorio.
Il faut bien avouer tout de même qu’à chaque fois que nous pénétrions une rue ou une avenue, les habitants se passaient le mot de proche en proche, et toute la population de la rue sortait sur son jardin ou sa terrasse pour saluer. En général, ils commençaient par de grands « Gloire à Léopold », mais je leur faisais aussitôt signe de se calmer et de respecter la quiétude de la ville. Alors ils se contentaient de nous regarder passer, certains tendaient leurs deux mains vers nous en psalmodiant une bénédiction, mais tous, sans exception, mettaient genou à terre en signe d’humilité, et d’aucuns, lorsque j’arrivais à leur hauteur, me lançaient quand même un discret : « Gloire à l’empereur, longue vie à toi Léopold ». Ces hommes et ces femmes étaient animés par le respect, et je percevais qu’ils étaient honorés de ma visite dans leur quartier. Mais je sentais bel et bien que l’inquiétude de Sabrine avait quelques fondements. Si les hommes ne peuvent pas voir Dieu, le Dieu romain ou les dieux du Chaos, ils sont assez vite tentés de se fabriquer une idole à adorer à la place du vrai Dieu. Et en l’occurrence, lorsque, avançant dans une avenue, je voyais tous ces hommes et ces femmes se mettre à genou à mon approche, je percevais tout à fait ce phénomène. J’en étais flatté, certes, mais un peu inquiet tout de même.
Les gens qui liront cette histoire dans quelques décennies pourraient sans doute penser que c’est exagéré, qu’un empereur n’est qu’un empereur, mais il faut essayer de se mettre à la place des gens de l’époque dans laquelle nous vivons, l’époque charnière entre le Chaos et la civilisation. J’incarnais finalement ce changement de monde, et non seulement le changement du monde, mais le changement du mode de vie pour chaque guerrier et leurs familles. La plupart des habitants de Rome, pour ne pas dire tous, ont quitté de sombres baraques de bois pour venir habiter des demeures de pierre somptueuses équipées de toutes sortes de commodités et de technique scientifique. Les générations futures n’en auront plus conscience, ils trouveront cela normal, mais cette génération-ci en était parfaitement consciente et savait à qui elle le devait. Je n’étais donc pas seulement un empereur du monde, mais aussi celui par qui les bienfaits arrivaient, et en plus de tout cela, … il y avait eu la cerise sur le gâteau : Gianfranco… ! Je pense donc effectivement que les empereurs qui me succéderont ne profiteront sans doute plus de ce respect et de cette admiration sans faille de leur peuple.
Ainsi, je faisais le pari de la simplicité : Quand nous avions faim, je m’arrêtais auprès d’une maison au hasard, et demandait si la maîtresse des lieus aurait l’amabilité de nous faire cuire un petit quelque chose. Nous étions toujours les bienvenus, et accueillis avec la plus grande déférence, tandis que les gamins courraient bien vite par la porte de derrière quérir du renfort auprès de voisines, qui accouraient avec moult vivres pour apaiser notre estomac. Nous aurions pu emprunter une porte de téléportation pour nous retrouver en un instant au palais et manger avec les autres, mais j’aimais ces moments privilégiés avec mon humble petit peuple.
A chaque fois que je pénétrais une demeure ainsi, je provoquais un drôle d’effet sur ses habitants. Déjà à l’époque où il n’y avait à Rome que des guerriers, leurs familles n’étant pas encore arrivées des clans, je m’arrêtais auprès de groupes d’hommes qui partageaient leur repas, et ils étaient vivement impressionnés que « le géant à l’épée de feu » se joigne à eux spontanément avec son fils pour manger. Mais maintenant que Rome grouillait de familles, et après l’épisode « Gianfranco dans l’arène », c’était comme si un être irréel, un mythe, pénétrait dans leur maison, et mes hôtes étaient la plupart du temps comme tétanisé. Moi-même, j’étais un peu confus de l’effet que je provoquais, et m’employais immédiatement à décrisper l’atmosphère.
Tandis que la femme fuyait généralement en cuisine si mon irruption ne la faisait pas s’évanouir d’émotion sur place, l’homme de la maison restait auprès de nous, totalement traumatisé par ma visite. Je réclamais toujours une cruche de vin, et invitais le pater familias à s’asseoir pour trinquer avec moi. Après les salutations et présentations, je débutais la conversation en demandant à mon hôte depuis quand et de quel lieu il avait rejoint notre armée, et ensuite, j’avais l’art de mettre à l’aise les gens en leur remémorant certains épisodes de notre formidable aventure jusqu’à Rome. Je leur parlais aussi un peu de ma première entrée dans Rome, du Souverain Pontife Paul, et souvent, lorsque les gens se sentaient un peu plus en confiance, ils osaient leur première question qui était presque toujours celle-ci : « Seigneur, d’où te vient ton art du combat ? ». Je leur informais alors de Maître Rufus et de son éducation, en passant bien sûr sous silence sa marque de paria. Après quelques verres, l’ambiance se détendait, et de la gêne, il ne restait plus dans leur regard que de l’admiration, mélangée avec la crainte que leur femme puisse avoir raté la cuisson du repas… !
Lors de ces arrêts repas surprises, et même si les femmes savaient que mon estomac n’avait pas la réputation d’être patient, c’était à chaque fois de magnifiques plats qui nous étaient servis. Bien que je n’aie pas la moindre crainte d’être empoisonné par de si braves gens, la femme goûtait face à moi et sans préavis, tous les plats comme de coutume, et ceci fait, nous mangions ensemble avec toute la famille. Je racontais quelques tracasseries de palais en leur demandant leur avis sur tel ou tel problème à régler, puis, je m’enquérais sur leur vie, s’ils se sentaient à l’aise dans la Grande Ville, du grade et de la position du mari dans l’armée, sous quel commandant il officiait, et quelle était sa spécialité. Ils m’informaient alors de leur situation, me posaient quelques questions, et l’ambiance finissait toujours par être cordiale. A la fin, je n’étais plus le « géant à l’épée de feu », « Léopold le dragon », ou encore « Le dieu des guerres », ou quelque autre surnom magnifique qu’on inventait sur mon compte et que l’on craignait en admirant. Non, après une heure ou deux passées avec ces humbles habitants de Rome, j’arrivais en général à démythifier mon personnage, je n’étais plus un dieu qu’on apercevait de loin, je redevenais simplement Léopold, le grand chef de guerre, aimable et bon vivant, juste un homme qui aime bien manger et bien boire, qui discute volontiers, et qui fait trembler les murs par ses rires tonitruants.
Lorsque je voyais que mon hôte avait un fils d’une douzaine à une quinzaine d’année, je reprenais mon sérieux pour causer de choses importantes, à savoir : dans quel régiment et dans quelle discipline il comptait continuer sa formation. Car à Rome, même si les jeunes devenaient guerriers à 14 ans, ils étaient incorporés dans des armées de formation jusqu’à leurs 17 ans, âge auquel ils partiraient effectuer leur première campagne dans l’armée régulière. Les jeunes hommes m’informaient alors de leurs intentions et de leurs domaines de prédilection, et je les encourageais à persévérer dans leurs études du combat et de la guerre. Parfois, je demandais à les voir jouter sur la terrasse contre Victorio, qui arrivait à ses 11 ans. Même si jeune, il n’était pas rare qu’il mette à mal, ou gagne carrément des adversaires bien plus âgés que lui, car je le faisais travailler sans cesse les exercices de Rufus, et le mettait souvent à l’épreuve dans des combats. Victorio n’atteignait sans doute pas les capacités que j’avais à son âge en duel pur, mais ses connaissances dans les stratégies de combats étaient sans doute supérieures aux miennes dans ma jeunesse.
Lorsque nous quittions ces auberges d’un jour en remerciant, on pouvait voir derrière nous tous les voisins de la rue s’engouffrer dans la maison d’accueil, sans doute pour venir aux nouvelles. Mon peuple pouvait ainsi me voir arpenter leurs rues et maisons, nous donnions bonne impression, ils étaient très heureux de nos visites, et, en plus de craindre et obéir à un grand Seigneur tout-puissant et inaccessible, ils commençaient à m’apprécier comme homme. Quant à moi et Victorio, pratiquement inséparables depuis notre départ de la vallée Alpine, nous avions à chaque fois la panse bien pleine, et c’est ce qui comptait.
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Un matin, alors que j’étais à peine éveillé, une apparition se produisit dans ma chambre : Un homme très soigné, d’une soixantaine d’années, paré d’un vêtement noir parfaitement taillé sur lequel était accroché une petite croix argentée à hauteur de poitrine, se tenait là debout, en face de moi. Je sautais hors du lit et demandait immédiatement à l’intrus de s’identifier. Sa réponse me glaça les sangs :
« Salut à toi, Léopold Paralamo, empereur du nord. Je suis venu te faire mes hommages et te mander les félicitations des peuples du sud pour ton accession au trône de Pierre. Quant à moi, je suis Octave 1er … et dernier, patron de l’hémisphère sud »…
J’en restais bouche bée, et murmurait dans ma pensée « … Octave…, l’homme le plus puissant de la terre… »
Malgré que je n’eus pas ouvert la bouche ni prononcé un mot intelligible l’homme répondit : « A ce qu’on dit, oui, c’est vrai ! »
Je dévisageais alors mon interlocuteur de la tête aux pieds sans un mot. Le bonhomme ne paraissait pas du tout avoir ses 600 et quelques années comme me l’avait dit le pontife, il n’était pas jeune, mais pas gâteux non plus. Même s’il n’était pas aussi grand que moi, il devait presque atteindre les 2 mètres de hauteur, ce qui lui conférait une stature très respectable ; il était coiffé d’une belle chevelure argentée, les traits de son visage étaient durs sans être disgracieux, mais ce qui frappait le plus était son regard. Un regard noir, sans fond, tel un abîme. Ses yeux ne reflétaient rien, rien du tout : Ni méchanceté ni bonté ; ni cruauté ni compassion ; ni haine ni amour ; ni égoïsme ni générosité ; ni curiosité, ni intérêt, ni même enjouement de sa surprise et du petit effet qu’il produisit en m’annonçant son nom, son regard n’exprimait absolument rien, il était mort. Tout le reste de sa personne était soignée, très bien habillée et chaussée de noir, ce qui soulignait très bien l’expression de son regard… Sa voix imposait le respect, elle était grave, calme, professorale et orgueilleuse. L’homme, très sûr de lui, savait ce qu’il disait, et il n’était nullement impressionné de se retrouver en face de moi qui physiquement, aurait pu le briser d’un seul bras.
Mais tout à coup, j’eus comme un doute, quelque chose clochait, ce type n’était pas réel, il n’y avait personne dans la pièce ! Ce que mes yeux voyaient n’était pas réel !
A peine eu-je pensé ceci que l’homme répondit encore comme si j’avais émit mes doutes à haute voix : « Bien vu Léopold : ma chair et mes os sont toujours au sud. Ce que tu vois ici n’est qu’un hologramme de ma personne, une image transportée dans l’espace. Passe ta main à travers moi, tu verras qu’il n’y a que de l’air. »
Je passais ma main à travers l’image et effectivement, Octave n’était pas dans la pièce, ou en tout cas, il n’était pas solide.
- Je peux me matérialiser dans cette pièce, continua-t-il calmement, mais ma présence réelle à Rome alertera les services de renseignements de Sa Sainteté le Pape, et je gage que ce bon vieux Paul se pointera en personne dans les minutes qui suivront ! Tu veux une réunion au sommet ?
- Je ne veux rien, je ne t’ai même pas invité à ce que je sache !?
- Je sais, mais je voulais saluer personnellement mon rival, d’où ma présence !
- Rival ? Rivalité sur quoi ?
- Comment ? Paul XII ne t’as pas informé des règles de notre petit pari ?
- Je ne comprends rien à ce que tu me dis ! Il y a un pari entre nous ? Ou entre toi et le pape ? Qu’es-ce que c’est encore que ces histoires ?
- Mais quel petit cachotier ce Paul ! Fait sortir ta femme de cette chambre, j’arrive en chair et en os, elle n’a point besoin de me voir !
Je réveillais alors Sabrine en lui demandant de sortir de la chambre et de ne pas y revenir avant que je le lui dise. Etonnée par mon comportement, elle tenta d’en savoir d’avantage, mais je ne lui dis rien et elle finit par obéir. Elle sortit de la chambre en traversant l’image d’Octave sans le voir, et referma la porte derrière elle. Immédiatement après, un grand éclair ébloui toute la pièce, et Octave se retrouva véritablement en face de moi. « Ouahouuuu, s’exclama-t-il, quel pied, ces transferts nucléaires font toujours autant d’effet ! » Puis, jovial, il me tendit la main en disant : « Salut Léo, c’est un plaisir que de rencontrer un gars de ta trempe ». A peine eu-je serré sa main que j’eus l’impression d’exploser dans une lumière intense, avant d’imploser immédiatement après pour me recomposer, … au sommet d’une immense montagne recouverte de glaces et de roches… !? A côté de moi, Octave retirait sa main de la mienne en me demandant : « Alors, ça t’as plu ? » Dans ses yeux noir, il restait une lueur de cet éclair aveuglant qui nous avait entouré, et il rajouta enjoué : « Le transfert nucléaire, ça t’as plu, non ? »
Oui, c’est une sensation très spéciale, répondis-je, mais on est où là ???
Au sommet de l’Everest, la plus haute montagne de la terre, une zone neutre qu’on a emménagée avec le pape pour nos rencontres. Je ne pouvais pas prendre le risque de rester à Rome en personne, il aurait pu en profiter pour me nuire. Ici il ne peut rien contre moi, et je ne peux rien contre lui, c’est un endroit protégé pour nos rencontres au sommet… Le plus haut sommet du monde pour les 2 patrons du monde, enfin, maintenant on est 3 avec toi. Qu’en dis-tu de la vue ?
La vue était époustouflante, on dominait tous les autres massifs de montagnes, notre vision s’étendait sur des lieues et des lieues. J’admirais ce panorama surprenant et dû bien avouer à Octave que c’était un des lieux les plus majestueux que j’avais pu contempler de toute ma vie. Il me demanda si je voulais expérimenter cet endroit sans protection, mais il n’attendit même pas ma réponse pour passer à l’acte : Au lieu de l’ambiance calme et tempérée de l’instant d’avant, tout à coup, le vent se mit à souffler violemment sur nous, le froid pénétrait mes vêtements, je luttais pour tenir debout sur cette neige, sans compter qu’au lieu de respirer normalement, je commençais à haleter comme un chien qui a trop couru ! Il y avait bel et bien du vent, mais je n’avais plus assez d’air, je respirais de plus en plus vite, me congelait les poumons, pensait que j’allais mourir, et je voyais Octave rire à gorge déployée de ma situation ! Il cria haut et fort à mon endroit : « C’est ça l’Everest fiston ! Wouahouuu, regarde cette bourrasque », et un tourbillon de neige passa entre nous, les éléments étaient déchaînés, c’était l’endroit le plus inhospitalier que j’ai connu. Alors, Octave fit cesser les éléments, tout redevint calme, l’air était à nouveau respirable, le froid et le vent avaient disparût. Il m’informa qu’il avait enlevé pour un moment l’écran qui nous protégeait des éléments naturels pour me faire connaître les conditions réelles au sommet du monde.
Tout à coup, le Pontife Paul XII apparût sur la montagne en arrivant par une porte de téléportation installée entre deux rochers.
Salut à toi, successeur de Pierre, lui lança Octave avec respect en faisant une révérence polie, te voilà enfin. Comme tu ne m’as pas invité à venir présenter mes respects à ton poulain, je me suis permis de prendre l’initiative. Tu ne m’en veux pas j’espère ?
Bonjour Octave, répondit le pape visiblement contrarié, pourquoi veux-tu le mêler à nos histoires ? Il a déjà un Chaos à organiser, crois-tu qu’il a vraiment besoin de s’inquiéter encore de toi par-dessus le marché ?
Rhooo comme tu y vas, rétorqua le patron du sud, je voulais justement lui dire le contraire : Le féliciter pour sa nomination d’empereur du nord, et lui dire de ne pas s’inquiéter de moi, je lui laisserais tout le temps dont il a besoin pour mener sa tâche à bien. Ce qui me chagrine un peu, c’est qu’il semblerait que tu ais oublié de l’informer des termes de notre pari !
Il n’y a pas de pari Octave, et tu le sais très bien, renchérit le pape.
Merde Paul, s’énerva l’empereur du sud, il y a soit le pari, soit la guerre ! Et s’il y a la guerre, je vous écraserais tous comme une guigne ! Misérables petites choses que vous êtes, tu n’as pas encore compris que tu n’as pas le choix ? Ton seul choix c’est le pari, sans ça, ce sera la guerre !
Ce sera la guerre Octave, et tu le sais tout aussi bien que moi. Ton pari n’est qu’un paravent à la guerre, et pari gagné ou perdu, la guerre éclatera ! Ton pari n’est pas un choix, il n’est que le fruit de ton délire mégalomaniaque. Et retire cette croix de ta veste, tu fais honte à ce symbole.
Octave bouillait intérieurement, il semblait prêt à éclater dans une colère monstre, alors je m’interposais : « Et si vous m’expliquez en quoi consiste ce fameux pari ? ». Alors que je m’approchais du puissant empereur, ce dernier tendit la main et sans même me toucher, il me projeta dix mètres plus loin dans la neige. Puis il éclata à l’encontre du Pontife :
Ce symbole est autant le mien que le tien, dit-il en parlant de sa croix, je connais la bible par cœur, je connais toutes les encycliques de tes prédécesseurs par cœur, je triomphe dans les mystères de la théologie et de la philosophie, je connais bien mieux que toi toute l’histoire du christianisme, j’ai personnellement évangélisé deux milliards d’humains au sud pendant que tu te contentais de prêcher à l’intérieur de ta muraille,… pour finir par donner la sainte ville éternelle à un demeuré de barbare analphabète, et sans même le baptiser ! On a le même Dieu, on croit au même Seigneur, la seule chose qui nous sépare est la manière, alors ne vient pas me faire la morale sur ma foi !
Paul regarda Octave avec pitié mais ne répondit pas. De mon côté, je faisais un rapide calcul mental, l’empereur du sud venait de parler de deux milliards de sujets…, j’en avais 19 ou 20 millions dans tout l’empire…, le rapport de force était démesuré ! Au lieu d’une défense digne des accusations dont le pape avait fait l’objet, ce dernier se contenta de répondre :
Je suis le vicaire du Christ ici-bas Octave. Tu as le pouvoir terrestre, tandis que je tiens le pouvoir du Ciel entre mes mains, et tu ne peux rien contre cela.
Alors, étonnement, l’homme le plus puissant de la terre parût mal à l’aise, il regarda par terre, réfléchit, et rétorqua sans malice mais avec énervement :
Je le sais Paul, je sais bien tout ça, mais j’enrage que tu ne daignes pas reconnaître le mérite de mon action !
…soudainement, Octave mis genou à terre et parla humblement : « …et j’implore ta bénédiction papale sur mon œuvre et sur ma vie. »
Tu sais à quelle condition je peux te l’accorder, répondit le pape visiblement touché par le sort d’Octave. Es-tu prêt à renoncer à ton statut de Dieu vivant pour obtenir le pardon de tes péchés et ma bénédiction ? Es-tu prêt à revenir sous l’autorité du pape et à respecter le vœu d’obéissance à son égard que tu as prononcé il y a bien des années ?
Octave resta encore un moment agenouillé dans la neige, semblant hésiter un instant, comme si un élan du cœur voulait accepter sans conditions ce que le pontife venait de dire, mais comme si l’esprit s’y opposait de toute sa force. Finalement, c’est l’analyse intellectuelle qui l’emporta sur l’élan du cœur, et l’empereur du sud se releva d’un bond, aussi fier et grandiose qu’au début de l’entretient. Après cet instant d’humilité, il reprit sa posture de grand Seigneur et menaça : « Alors puisque tu refuses de bénir mon œuvre pour l’humanité, ce sera la guerre ! »
Je sais, répondit simplement Paul.
Mais avant la guerre, je vais laisser Léopold s’organiser, je veux voir lequel de nous deux à eu raison.
Ça aussi je le sais, rétorqua encore le Pontife.
En réponse, Octave éructa d’un air moqueur : « Bien sûr, tu sais tout, mais ce que tu ne sais pas, c’est que tu as des rats dans tes rangs ! Des romains furieux contre ta décision de céder Rome à ce vulgaire barbare, des romains que tu ne contrôles plus, et qui n’attendent qu’une bonne occasion pour lui faucher le trône. Gianfranco Villania faisait partie de leur plan, c’était un romain rompus aux disciplines de combats, dopé à mort, rendu insensible à la douleur, et tu as de la chance que Léopold a triomphé de lui, sinon il serait devenu empereur sans même que tu saches qu’un de tes anciens fidèles s’installait sur le trône ! Réveille toi un peu Paul, tes hommes sont dans la ville, ils ont des armes, et pas des arbalestres ou autres épées, … de vraies armes ! Pour l’instant, le danger qui guète ton poulain ne vient pas de moi, mais de tes propres rangs.
Là, ça commençait à m’intéresser, et je pouvais voir que le pontife lui-même était ébranlé par la nouvelle, il ne pu que dire : « Mais…, comment le sais-tu ? »
Parce que je m’informe moi, répondit Octave avec dédain ! Le sort de Rome me préoccupe au moins autant que toi, et si Léopold veut un coup de main pour dératiser l’ensemble, je l’aiderais. Et toi, que comptes-tu faire ?
Je ne peux pas utiliser tes méthodes, elles sont contraires à notre éthique, se lamenta le pape.
Eh voilà, tu as la puissance du ciel, j’ai celle de la terre, et ta puissance ne sert à rien pour protéger ton empereur, contrairement à la mienne ! Et ne me fait pas croire que ce n’est qu’un problème éthique, c’est aussi technique !
Je pris alors part à la conversation : « Dites donc, si Octave a une solution, étique, technique ou pas, moi ça m’intéresse. »
Hé ben voyons fiston, à ton service, il suffit de demander, le bon vieil Octave est toujours là pour dépanner les copains, dit-il en me frappant sur l’épaule, avant de disparaître dans un éclair.
Quelques secondes plus tard, il réapparaissait dans un nouvel éclair, avec une sorte de boitier métallique en main. Il s’adressa à moi : « Voilà, tu déposes ce boitier dans Rome, en hauteur de préférence, tu presses sur ce bouton et tu verras plusieurs antènes en forme de paraboles en sortir. 24 heures plus tard, tous les dissidents à la décision du pape de te confier Rome seront détruits. » Puis il s’adressa au pape : « Fait évacuer tous tes pions fidèles de la ville éternelle si tu ne veux pas qu’ils subissent le même sort que les rebelles à ton autorité ! »
Avant d’accepter, prudent, je demandais quel était le prix de ce service, question auquel Octave répondit : « Entre empereurs, si on ne peut plus s’entraider gratuitement de temps à autres, où irait le monde ?! C’est cadeau fiston, tu n’as qu’à t’asseoir et regarder tomber les cafards ! Allez, salut et bonne chance à toi, au revoir Paul ».
Octave disparût dans un nouvel éclair et nous nous retrouvions seuls avec le pontife au sommet de cette montagne. J’en profitais pour l’interroger :
Il me semble que tu me dois quelques explications Seigneur Paul. C’est quoi ce pari ?
Le pape soupira, mais résigné, il entreprit d’éclaircir ma lanterne :
Octave a quitté Rome car il était d’avis que notre mission dans le Chaos était de civiliser le monde, quitte à utiliser la force et la violence s’il le fallait. Mon prédécesseur et tous les papes qui l’ont succédé n’étaient pas d’accord avec lui. Notre mission n’était pas de nous arroger un pouvoir temporel et total sur le monde, mais d’accompagner sa sortie du Chaos en aidant celui qui le ferait : toi-même en l’occurrence. Octave a fait le pari qu’il réussirait mieux que nous avec sa méthode... Il a prit en charge le sud du globe sans que nous puissions intervenir, et il a créé une civilisation. Maintenant, il attend de voir si nous réussiront autant bien que lui, et selon les termes de son pari, s’il réussit moins bien que nous, il nous cède le pouvoir sur le sud ; tandis que s’il réussit mieux que nous, c’est à nous qu’il reviendra de lui céder le pouvoir sur le nord. Mais c’est un pari à sens unique, nous n’avons jamais accepté ce marché, et même si Octave perd à son propre jeu, il sera trop orgueilleux pour l’admettre, et fera la guerre contre le nord. La finalité de l’histoire, c’est la guerre, rien d’autre. Ce qui se passe maintenant, c’est une attente d’avant guerre. Octave est curieux, il veut voir si nous réussiront et comment nous réussiront à transformer le Chaos en civilisation, il veut comparer son action à la nôtre.
Bon admettons, répondis-je, mais visiblement, certains romains ont renié le principe et t’ont trahis ? Ils ont fait sécession et menacent mon trône avec des armes incroyables ?
Après ton premier passage à Rome, nous avons décidé que si tu réussissais à fédérer un vaste territoire sous ton autorité, nous te lèguerons la ville pour aider l’humanité à sortir du Chaos. A cette annonce, une série d’hommes et de femmes ont quitté la ville, sans pour autant rejoindre Octave. Ils ont dû profiter du passage de tes armées pour s’enrôler volontairement et revenir dans la ville au sein de tes troupes. Je pense qu’ils ont bien vite compris qu’un coup d’état armé contre toi était impossible, compte tenu de ta popularité et de notre protection, mais te vaincre sur ton terrain, avec vos armes, en duel, était une manœuvre à tenter pour créer la division et finalement prendre le pouvoir sur la ville, sans que nous sachions qu’il puisse s’agir d’un des nôtres ayant trahi.
Vous pratiquez des arts martiaux dans votre civilisation ?
Oui, nous avons d’excellentes écoles d’arts martiaux.
Et ce Gianfranco connaissait tout, les arts martiaux, le maniement de l’épée, Maître Rufus ?
Eh bien…, oui. Maître Rufus a été le déclencheur de notre stratégie. Nous pensions d’abord qu’il serait lui-même capable de faire ce que tu as fait, mais après son bannissement de Pari et sa marque de paria, il était devenu inapte à cette tâche de fédérateur. Nous lui avons alors donné mission d’éduquer un homme pour qu’il puisse en commander des multitudes et vaincre le Chaos. Il a essayé avec Marco, mais Marco n’avait aucun appui politique et ne pouvait pas fédérer des peuples entiers à cette fin. Nous avons donc donné mission à Marco de trouver un enfant. Un enfant prodigieux dans l’art du combat, et un enfant bien né, afin que son père soit assez puissant politiquement pour unir des clans et des marchés. Tout le monde à Rome avait connaissance de cela, y compris ce Gianfranco…
Bon, admettons, mais c’est quoi « dopé » ?
Comment dire, … c’est une préparation scientifique de…, non, pour faire simple on va dire qu’on est capable de mettre au point des potions magiques qui décuplent la concentration, la force, la rapidité, la vivacité des réflexes d’un individu…, et comme le suggérait Octave, il a aussi pu être rendu insensible à la douleur, c'est-à-dire que ses terminaisons nerveuses ne transmettaient plus l’information de la douleur au cerveau, …donc s’il avait mal, il ne s’en rendait pas compte.
Mais c’est de la triche !
Oui, c’est ça.
Bon, de toute façon, potion magique ou pas, il a eu son compte. De quoi dois-je encore m’attendre de la part de vos dissidents ?
Il est aussi possible qu’avant de partir, ils aient caché des armes…
Eh ben…, me voilà rassuré ! Et quelle solution tu envisages pour débusquer les traîtres ?
Le pontife eu l’air embarrassé : - C’est difficile, mais je ne pense pas qu’ils puissent user de leurs armes contre toi, ils savent que nous te protégeons, et que s’ils arrivaient à prendre le pouvoir sur la ville par ce genre de moyens, nous interviendront pour les arrêter.
Ça c’est une hypothèse !, m’indignais-je. En réalité, si l’un d’entre eux pète les plombs, il pourrait me détruire à distance. Et ce risque n’entre pas dans ma sphère de tolérance, alors quels moyens avez-vous pour mettre à l’écart ces traîtres MAINTENANT !???
Eh bien nous n’en avons pas. Contrairement au royaume d’Octave, nos hommes sont libres et nous ne contrôlons pas leurs pensées…
Donc la seule solution pour éradiquer la vermine, c’est la machine à Octave ?! C’est quoi cette machine d’ailleurs ?
D’après moi, c’est un scanneur de masses. Nous ne sommes pas capables de fabriquer de telles machines, mais Octave l’est, lui. A mon avis, si tu installes cet appareil comme il te l’a dit, il va fouiller dans les cerveaux, dans les pensées et souvenirs des 5 millions d’habitants de Rome, et détecter les gens qui ne pensent pas comme les hommes du Chaos, les gens qui pensent comme nous, qui ont les souvenirs qu’ont les anciens romains. Il ne s’occupera pas de ceux qui réfléchissent comme toi et qui ont les souvenir du Chaos, mais uniquement des cerveaux civilisés. Ceci fait, il détruira tous les hommes issus de notre civilisation et qui habitent dans le périmètre de Rome.
Comment ?
Je ne sais pas, il peut leur envoyer des ondes, faire bouillir leur matière grise, envoyer des décharges électriques qui provoqueraient des crises cardiaques,… je ne sais pas comment cette machine agira, mais je sais qu’Octave a dit la vérité : Tous nos dissidents seront détruit en 24 heures !
Eh bien c’est au poil ! On organisera la chose ainsi. …mais pourquoi diable Octave voudrait-il m’aider ?
Parce que comme je te l’ai déjà dit, il est curieux, il veut vraiment que tu réussisses à créer une civilisation, il veut comparer, et enfin, il voudra faire une guerre d’une ampleur qui n’a encore jamais existé dans toute l’histoire de l’ancien et du nouveau monde. Pour nous, Octave représente l’antéchrist de l’Apocalypse, personne ne pourra lui résister : ni moi, ni tous les savants romains réunis, aucun homme, aucun royaume, aucune puissance, seul le Christ lui-même sera en mesure de provoquer la chute d’Octave.
Il peut attaquer quand bon lui semble ?
Pas tout à fait. Nous avons un bouclier de défense aérien sur l’hémisphère nord, tu ne le vois pas, mais nous sommes protégés. Nous améliorons sans cesse nos défenses, nous avons la maîtrise de l’espace, des satellites tournent autour de la terre et abattent toutes les bulles du sud qui tentent de s’approcher de trop prêt du nord, mais Octave trouvera la solution, car à lui tout seul, il est plus fort et plus intelligent que tous nos savants. C’est d’ailleurs lui qui a inventé nos bulles de transports, la téléportation, et l’ionisation de l’air, ce qui nous permet d’illuminer la nuit sans avoir recours à des projecteurs ou des lampes.
Eh bien, c’est un drôle d’avenir que tu me dessines-là. M’enfin, je ne vais pas réfléchir pour dans 100 ans, ce qui me préoccupe aujourd’hui, c’est la menace directe que vos dissidents représentent. Je m’en vais donc mettre cette machine en place dans Rome.
Je ne peux malheureusement pas t’interdire de lutter contre tes ennemis, je peux juste t’empêcher de tuer des prisonniers désarmés. Fais donc ce que tu juges être le plus juste, tu ne méritais pas cette menace, c’est de notre faute et je m’en excuse. Je vais donc te laisser et après mon départ, je règlerais ta destination d’arrivée dans les palais du Vatican, cette porte te mènera chez toi.
Vous ne vous déplacez jamais comme Octave, dans de grands éclairs ?
Nous n’en sommes pas capable, c’est une de ses toutes nouvelles inventions, il n’a plus besoin de portes pour se rendre où il le souhaite, me dépondit le pontife avant de disparaître au travers de la porte.
A mon tour, je quittais la plus haute montagne du monde pour me retrouver dans mes appartements de Rome.
Immédiatement, j’ordonnais à la porte la destination du sommet de la grande croix, et c’est là que j’actionnais la machine d’Octave. Je la laissais en place jusqu’au lendemain après-midi, et ayant dépassé les 24 heures, je retournais la chercher, sans savoir encore les effets qu’elle avait pu produire.
Ce n’est que lorsque je retournais dans le palais qu’Octave apparût dans un grand éclair par devant moi, se saisit de la boite, appuya sur un bouton, et déclara satisfait :
898 rats débusqués, tu peux désormais dormir tranquille, … qu’est-ce qu’on dit à tonton Octave ?
Heuuu, eh bien merci pour le service, répondis-je bêtement, avant de demander : Ils sont tous mort ?
Noooonnnn, bien sûr que non, je ne suis pas un barbare, disons qu’ils ont juste perdu l’esprit, leurs corps sont toujours vivants, mais ce ne sont plus que des zombies inoffensifs et désorientés. Lorsque vous rencontrerez ces êtres déambulant dans Rome et qui ne savent même plus comment ils s’appellent, renvoyez-les à l’expéditeur par la porte des parias, je suis sûr que le pontife se fera un plaisir de les nourrir. Quant à leurs esprits, ils sont désormais tous dans cette boite, j’en ai besoin car je mène quelques expériences intéressantes chez moi. Tu veux leur dire adieux ?, me demanda Octave d’un air enjoué en ouvrant une partie de la boite.
Je regardais à l’intérieur et je vis quelque chose de tout à fait prodigieux : Il y avait une sorte de siphon brumeux qui tournait sans cesse, et de ces volutes tourbillonnantes, il en sortait des espèces de cris plaintifs.
Dis quelque chose, me chuchota Octave à l’oreille, ils t’entendent et te voient tous.
Je me penchais sur l’ouverture et leur lançais : « Alors, bande de fous, après la correction de Gianfranco vous voilà bien avancés maintenant dans cette boite ! Vous croyiez réellement que la traitrise pouvait payer ? Insensés, je vous laisse entre les mains d’Octave.
J’entendis des protestations, des supplications, des plaintes sortir de la boite mais Octave la referma d’un coup sec en me disant : « J’en prendrais bien soin. Allez Léopold, sans façons, ça a été un réel plaisir de pouvoir te rendre ce petit coup de main. Je m’éclipse avant de mettre en émoi tout le staff d’espionnage du pape. Adieu, on ne se reverra sans doute pas. »
Octave disparût comme il était apparût, et ainsi qu’il l’avait prédit, je ne l’ai plus jamais revu.
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En quelques semaines à Rome, nous découvrions tout de même quelques livres. Toutefois, il ne s’agissait nullement d’ouvrages ayant trait à l’histoire. Non, les documents étaient tous comme les livres de la marina que Sérafino découvrit. Plusieurs ouvrages traitaient d’architecture, de moyens de construire de grands oeuvres, croquis et démonstrations mathématiques à l’appui, dans différents styles : ponts, oléoducs d’irrigation, palais et demeures, et même basiliques ! Ces livres nous fournissaient des indications scientifiques sur les charges physiques possibles et impossibles pour de telles constructions. Si les romains voulaient nous inciter à rebâtir le monde, ils n’auraient pas agis différemment. Il y avait aussi beaucoup d’autres indications techniques, comme le feuilletage et le plaquage de l’or. Avec 4 onces, et d’après cette technique, les romains arrivaient à recouvrir une surface de 30 pas sur 30 ! L’or ne devenait alors qu’une fine pellicule, mais pouvait étinceler sur de grandes surfaces.
Nous découvrions aussi dans une énorme salle en sous-sol, les réserves d’or de Rome ! Des milliers, que dis-je, des dizaines de milliers de barres d’or, toutes d’un poids honorable de quarante onces pures. Ces barres étaient marquées de blasons et d’inscriptions des anciens propriétaires. Il y avait l’inscription de la National Réserve of U.S.A., Fort Knox, BNS of Switzerland, UBS, CITY of London, et bien d’autres encore. Sans doute les fameuses réserves des banques centrales dont Paul avait fait mention.
Je mis ce lieu sous haute protection, en admettant tout de même que si les pontifes nous avaient laissé les instructions pour le feuilletage et l’usage qu’on pouvait faire de cet or, nous pouvions espérer voir de futurs bâtisseurs en faire emploi. Cependant, je me rappelais le point de vue de Paul : D’après lui, l’or fut la source de nombreux crimes, raison pour laquelle leur civilisation écuma les villes et villages durant la grande peste pour récupérer tout ce qui était récupérable. Nous devrions donc utiliser les richesses de ce trésor avec discrétion, uniquement pour l’ornement des futures demeures de Dieu, que j’espérais faire construire le plus tôt possible à travers l’empire. Le calendrier des papes semble bien indiquer qu’aucune dynastie royale de l’ancien monde n’était parvenue à se maintenir durant les deux millénaires qui suivirent la naissance du Christ, sauf celle des papes. Non contente de s’être maintenue durant toute l’ancienne ère, leur dynastie défia et traversa le Chaos sans coup férir. Leur Dieu devait certainement y être pour quelque chose là-dedans, et si je pouvais attirer Sa sympathie sur ma lignée en lui construisant des basiliques, Il pourrait m’être d’un précieux secours.
Nous découvrions également une salle dans un grand palais rond. L’inscription sur le fronton d’entrée indiquait : “Création artistique”. Ce palais ne présente que peu d’oeuvres d’art, mais explique ce qui semble être la base technique de la création artistique. Pour les peintures on y enseignait les “perspectives” et autres techniques de création ; pour la musique, il était fait mention de gammes, de clefs ; pour la sculpture, les techniques de découpes, finissage etc. Il n’y avait que peu d’oeuvres a proprement dites, mais des exemples pour tout. Cette salle pouvait aider de futurs apprentis à s’initier aux techniques de l’art pour ensuite se mettre à créer d’eux-mêmes. Partout dans Rome, nous avons sous nos yeux tous les chefs-d’oeuvres de milliers d’années d’histoire. Ce palais nous apprenait comment des réalisations aussi parfaites furent possibles. J’espérais que mon nouveau monde s’en inspire et donnais des instructions en ce sens :
- Chaque famille romaine devait donner le plus robuste de leur fils à l’armée, tandis que les autres seraient libres de suivre des enseignements pour devenir de futurs bâtisseurs ou artistes. Je souhaitais en effet faire construire des villes romaines provinciales un peu partout dans l’empire, il fallait que la beauté de Rome contamine le Chaos extérieur déjà en voie d’organisation, et pour cela, nous aurions besoin de bâtisseurs.
Toutes ces explications n’étaient visiblement que ce que les romains avaient bien voulut nous montrer. Nous fîmes cependant une découverte fortuite, quelque chose que les papes ne souhaitaient certainement pas nous offrir. Sur la grande muraille, dans un canal d’évacuation des eaux de pluie, un Prétorian trouva une canne argentée...! Exactement comme celle que le pontife avait utilisé pour signer mon torse. Ce fut une trouvaille tout à fait phénoménale mais elle ne fit pas beaucoup de bruit. A peine une douzaine de Prétorians connurent l’épisode, et ils reçurent l’ordre de ne rien divulguer.
J’avais entre les mains l’arme suprême des romains. La tige était creuse et légèrement recourbée à l’extrémité, presque comme une canne. D’ailleurs, la première fois que le cardinal Bardoso m’aborda sur la place de la basilique, il utilisait ça comme une canne pour marcher. Sans doute une précaution lors de la première rencontre avec le grand barbare que je suis... Je m’ouvris de cette découverte à Armadé, Victorio, Barnabé, Marco, et quelques autres pères. Après délibération, nous décidions de ne pas en faire usage. Ce n’était pas tout à fait mon idée de départ, ni celle de Rino et Victorio, mais Armadé et Barnabé surent nous convaincre que dans les conditions dont nous avions découvert cette canne, cela voulait certainement dire que le pape ne voulait justement pas nous donner ces armes. Armadé était en outre certain que nous étions continuellement entourés d’espions romains en bulle, et qu’il fallait aussi voir la chose sous cet angle. Toutefois, nous quittions quand même la ville pour tester la puissance de cet engin, car nous ne voulions pas attirer les regards là-dessus en ville. La canne disposait d’un petit poussoir, et je devinais qu’il s’agissait là du principe pour déclencher le feu. Je me saisis alors de la canne et pressais sur le bouton en visant un arbre. Une boule de feu en sortit et l’arbre explosa pour se consumer en un instant. Ensuite, je cherchais des bêtes pour en évaluer l’effet. Je touchais une antilope, mais au lieu de la spectaculaire boule de feu, il n’en sortit qu’un rai bleu très court mais puissant, puisque l’animal s’écroula au moment même du tir, foudroyé. L’antilope n’avait pas explosé, c’est comme si elle n’avait même pas été touchée. Elle ne saignait pas, n’avait ni trou ni cicatrice, rien, simplement morte sur le coup... Les oiseaux pareils, ainsi que toutes les autres bêtes.
Nous galopions ensuite vers un hameau en amont du fleuve. De loin, je pressais le poussoir en visant la porte d’enceinte, et à nouveau, c’est une boule de feu qui en sortit pour détruire entièrement la porte et une partie de l’enceinte. Les villageois ne savaient pas ce qui leur arrivait car nous étions cachés, à couvert. Mais ils ne furent pas blessés. Il y avait un mirador d’où un homme cherchait à comprendre l’origine du feu. Je le visais, et cette fois-ci, c’est une fine ligne de feu qui en sorti pour toucher et brûler un peu le guetteur, sans explosion ! Comme si ces armes voyaient elles-mêmes leurs cibles, et après avoir analysé leurs natures, décidaient du dosage de la puissance...! Ainsi, l’arme ne tuait pas les hommes, tuait les bêtes sans dégâts, et détruisait les choses à grand fracas... Celui qui disposait d’une telle arme pouvait pratiquement s’autoproclamer maître du monde tant elle était différente des nôtres. Mis à part le prodige, il était évident que de conserver une telle arme était extrêmement dangereux. N’importe qui pouvait la tenir et donc la voler, pour bien entendu l’utiliser...
D’un commun accord, nous décidions de passer sous secret l’existence de cette arme, et de la cacher. Les seules personnes ayant eu connaissance de la cachette étaient moi-même, Armadé, et celui qui devait me succéder : Victorio. Mes armées étaient capables de vaincre le monde entier sans cela, et de toute façon, il n’y avait qu’une seule canne. Intéressant, mais je jugeais cette arme plus dangereuse que bénéfique pour notre autorité. Sans compter que si le pape apprenait que j’en faisais un usage irraisonné, il viendrait certainement me la reprendre. Avec mon père et mon fils, nous cachions donc cette canne de feu dans les tréfonds de la basilique, dans le tombeau d’un pape. C’était à eux, je la leur rendais.
Un autre problème se présenta bientôt : Nous n’avions pas un seul esclave dans la ville, et il fallait remédier à cette situation sans pour autant les prendre au hasard. Des messagers arrivaient avec diverses nouvelles d’un peu partout. En fait, dans chaque garnison provinciale, j’avais mon propre messager officiel qui faisait partie de la hiérarchie. Ils étaient sensés me tenir au courant des divers problèmes qu’ils pouvaient rencontrer avec les clans de leur région. Barnabé, d’une prudence astucieuse, m’avait recommandé de nommer un deuxième messager, non officiel celui-là, se trouvant au bas de la hiérarchie, comme simple guerrier. Ses supérieurs ne devaient rien savoir à son sujet. Son rôle serait de venir me rendre compte des agissements de leur propre état major, et de la véracité des rapportages officiels. Ces messagers de l’ombre jouaient un rôle dangereux. S’ils se faisaient démasquer par les officiers, ils avaient peu de chance de rester vivant. Cependant, je m’aperçus par la suite qu’ils ne furent pas inutiles, on pourrait dire qu’il s’agissait-là de contre-espionnage…
Aux dernières nouvelles, l’endroit idéal pour la pêche aux esclaves était les territoires germaniques au-delà du fleuve Rhin. C’était des terres que Paskale avait soumis même pas une année auparavant, lorsque je conquérais le sud de l’Italie. D’après mon messager officiel, les germaniques appliquaient si bien ma consigne de rapprochement et de collaboration entre les clans qu’ils étaient tout simplement en train de former une armée ensemble ! Les grands meneurs se trouvaient être les seigneurs des grands marchés de Friborg en Brisgo, Offenbourg, et Stuttgart, au-delà de Bâle. Entre ces trois villes, une multitude de clans participaient également à la formation d’une imposante force militaire. Toutefois, ils ne faisaient montre d’aucun signe d’agressivité envers nos garnisons. Ils respectaient aussi mes injonctions, à savoir : Arrêter les kidnappings, enfermer les parias, rétablir les voies de communications... Apparemment, nous ne pouvions rien leur reprocher, mais leur entente militaire pouvait être une phase de préparation pour une offensive prochaine contre nos postes provinciaux… ? Bien sûr, ce n’était pour l’instant qu’une hypothèse.
A part là, je ne voyais pas trop où je pouvais espérer faire des esclaves. Tous nous avaient vus passer avec des dizaines ou des centaines de milliers de guerriers, et aucun clan ne semblait vouloir prendre le risque de me contrarier. Par contre, c’était plutôt mes messagers de l’ombre qui m’apportaient les pires nouvelles : Il y avait plus d’exactions, de viols et de crapuleries commis par mes propres états major que par les chefs tribaux ! En clair, certaines de mes garnisons de campagne abusaient franchement de leur pouvoir pour tyranniser les peuples soumis, ils étaient pires que les anciennes autorités de ces clans et marchés !!! Barnabé se chargeait de consigner les rapportages de tous ces messagers, et je me promettais d’accueillir personnellement ces soldats lorsqu’ils seraient relevés et arriveront à Rome.
Nous informions nos guerriers qui s’en allaient relever les postes provinciaux que toutes dérives de comportement seraient sévèrement sanctionnées, d’autant plus s’il s’agissait d’officiers.
Nous nous rendions aussi compte qu’il était dangereux de laisser des clans et des marchés constituer des armées parallèles. Nous devions déjà intervenir chez les germains, et Rino eu l’idée de créer des sortes d’escouades locales avec les hommes des clans, n’appartenant pas à l’armée romaine mais faisant office de gardiens de l’ordre. Armadé affina encore la stratégie : Il fallait donner à ces gardiens de l’ordre une indépendance totale vis à vis des chefs de clans. Leur mission serait de faire appliquer nos prérogatives et poursuive les coupables d’infractions pour les mener en jugement. Etant indépendants de l’autorité des chefs de clans, ils auraient même la possibilité d’arrêter des chefs où seigneurs s’ils transgressaient nos lois. Ces gardiens de l’ordre ne seraient contrôlés que par nos militaires des postes régionaux, eux même contrôlés par un messager secret, toujours sélectionné par Barnabé, qui avait suffisamment de finesse pour détecter à chaque fois l’homme de la situation. Cette structure nous permettait de diviser les pouvoirs, les chefs devant tout à coup se plier aux préceptes que les gardiens de l’ordre devraient défendre partout. Eux-mêmes devaient également respecter nos lois et ne pas abuser de leur pouvoir sous peine d’être dénoncé par un chef ou l’autre, et démasqués par nos militaires, qui eux, devaient aussi se méfier de mes propres espions au sein même de leurs troupes...
C’était tordu, mais il en résultait une telle division et méfiance envers les différentes formes de pouvoir qu’il leur serait presque impossible de s’unir pour un projet d’envergure contre les autorités suprêmes romaines. La structure pyramidale mise en place nous permettait d’avoir des informations directes de chaque étage de la pyramide, et tout arrivait au sommet, à Rome. Vu le nombre de nouvelles peu reluisantes des agissements de mes troupes sur sol conquis, il fut décrété que la corruption des officiers de province serait assimilée à une trahison. Les traîtres étant par définition irrécupérables, j’optais pour un châtiment exemplaire des coupables. Ayant trahis l’esprit de la loi, et donc Rome, ils seraient tout simplement déclarés traîtres et rejetés en tant que parias par la porte qui leur était dédiée, tandis que leurs propres familles, qui habitaient déjà la cité, devaient être délogées de leurs habitations pour devenir nos premiers esclaves…
Barnabé trouva l’idée intéressante, mais s’opposa à cette première condamnation. Selon lui, nos garnisons en poste actuellement dans nos provinces étaient loin de Rome et privées de communications avec nous. Les soldats et officiers restés en place n’avaient même pas eu loisir de voir la ville de la légende pour laquelle ils s’étaient engagés à nos côtés. Sans connaître nos nouvelles lois, ils ne pouvaient pas les appliquer, et donc, ils ne pouvaient pas trahir l’esprit de Rome sans en avoir eu connaissance. Il proposa de châtier correctement les coupables d’exactions, mais de leur épargner la sentence qui les relèguerait au rang de paria. Par contre, il ne voyait pas d’inconvénient à ce que les nouvelles garnisons qui allaient bientôt relever les premières soient soumises à ce nouveau décret instituant la trahison de l’esprit de la loi et de Rome, car eux, connaissaient dorénavant ces lois.
Grâce à Barnabé et à sa sagesse, ces premiers coupables ne subirent pas le bannissement par la porte des parias, et leurs familles échappèrent à l’humiliation de l’esclavage, car je revins sur ma décision brutale pour préférer une bonne punition accompagnée d’une mise à pied des indélicats.
Les Nendars appréciaient beaucoup mon père comme chef du clan. Armadé inspirait la sympathie, il était spirituel, diplomate, fort et fin stratège autant en politique qu’en combat. On peut dire qu’il était aimé par ses sujets. Mais je me souvenais aussi d’une petite leçon d’autorité de Maître Rufus : “Si tu veux être respecté, mieux vaut être craint qu’aimé par ton peuple. L’amour est beaucoup plus volatile que la crainte.” Je n’étais peut-être pas un homme inspirant automatiquement la sympathie, sauf peut-être à de rares champions de guerre que je côtoyais depuis des années. A part eux, et plus encore depuis que j’ai réglé son compte à Gianfranco, je n’inspirais que de l’admiration et de la crainte à presque tous mes guerriers et officiers, rarement de l’amour… Même parmi mes 103 compagnons de la première heure survivants, il y en avait encore certains qui évitaient mon regard. En les voyants ainsi, j’avais à chaque fois l’impression qu’ils avaient quelque chose à se reprocher !
Par contre, grâce à mes balades amicales dans les rues et mes repas dans les maisons romaines, les habitants commençaient à avoir une excellente opinion de moi-même, bien qu’ils puissent continuer à me craindre, car la pitié ne rentrait jamais en ligne de compte dans mes jugements. Mais pour ceux qui n’avaient rien à se reprocher, je passais pour être un chef près de ses sujets, et je crois bien que pour finir, mon peuple m’aima, ce qui n’enlevait heureusement rien à mon autorité.
Finalement, après presque trois mois à Rome, tous ces problèmes de discipline et de politique commençaient franchement à m’emmerder, et je décidais de partir avec Paskale dans la région germanique à problème, tout en espérant que les guerriers ripostent ou rejettent toute autorité romaine. Un tel affrontement me permettrait d’engranger d’un seul coup suffisamment d’esclaves pour le tout Rome. Car en cas de reddition dès notre arrivée, nous repartirions les mains vides...
En tant que gouverneur de Rome, Armadé resterait sur place durant mon absence. Cependant, nous préparions encore longuement les campagnes des 16 divisions armées de Rino, qui allaient prochainement étendre l’empire. Quatre divisions marcheraient vers le nord, quatre autres devaient soumettre les territoires de l’ouest des Alpes tandis que les huit autres, quatre devaient prendre la direction du nord-est, et les trois divisions restantes marcheraient au sud-est. Nos programmes de campagne étaient établis sur la base des cartes de l’empire romain, qui avaient été recopiées pour chaque général. Chacun avait donc une idée du territoire à conquérir. Tous les généraux avaient reçus une série de portes mobiles, qui leur permettraient de rejoindre Rome en un instant, ainsi que d’y envoyer leurs esclaves, parias, et autres nuisibles. De plus, pour éviter de marcher à travers l’empire avec des centaines de milliers de guerriers qui épuiseraient les réserves de nourritures des clans et marché sur notre chemin, l’armée romaine de Paskale avait reçu pour mission d’aller disperser des centaines de portes de téléportation dans nos postes provinciaux. Ainsi, nous pouvions rapidement relever nos garnisons provinciales sans leur faire perdre de temps en déplacement, nous évitions que nos légions affament les clans et marchés sur leur passage, et nous évitions aussi à nos armées régulières de longues marches d’approche à pied, car elles arriveraient d’un coup dans les camps aux frontières de l’empire, donc quasiment directement sur le lieu des conquêtes à entreprendre.
D’autre part, l’ordre de nous emmener les parias prisonniers avait circulé et je vis arriver les premières hordes, dûment encadrées par nos bataillons. Les premiers arrivés étaient un groupe d’une soixantaine de personnes. Ils furent conduit jusqu’au sommet des marches de la basilique, mais avant qu’ils n’y posent un pied à l’intérieur, je leur ordonnais de se mettre à genou et de continuer à avancer ainsi. Je ne comprenais d’ailleurs pas comment Paul pouvait admettre de tels défilés de maléfiques dans le grand lieu saint. Malgré le manque d’esclaves à Rome, nous n’avions jamais envisagé d’utiliser les parias. C’était d’ailleurs inimaginable pour la santé de notre esprit. Cependant, Paul ne voyait pas d’inconvénient à ce que ces êtres traversent et souillent toute la basilique pour se rendre jusqu’à la porte fixe de la crypte... J’avais toutefois été prévoyant car la consigne était qu’aucun paria ne pose jamais un pied dans le lieu saint. Raison pour laquelle le rituel de la dernière marche des parias à genou devint partie intégrante du protocole de leur disparition dans la porte.
Pour terminer ce premier séjour à Rome avant notre nouveau départ en campagne, j’avais aussi enjoint à Barnabé, outre sa mission de vice-gouverneur de la cité, de résumer le récit du Grand Chaos tel qu’il était décrit dans l’ancien calendrier romain. Il me l’avait lu en entier, et nous avions tous beaucoup discuté du sujet. Il me semble utile d’énoncer la petite histoire pour la bonne compréhension de tous. Merci de joindre ton texte à ce bouquin :
Notice des événements survenus durant le Grand Chaos, par Barnabé, scribe.
Les éléments déclencheurs du petit et Grand Chaos ayant déjà été évoqués, je me bornerai à résumer les phases du Chaos.
Partant des informations lacunaires de ce calendrier, il est tout de même possible d’envisager l’évolution générale du monde.
Il semblerait que durant des milliers d’années, l’homme n’a cessé d’évoluer dans la maîtrise de la technique et des sciences. Cependant, à en croire la conversation de Paul avec Léopold, il en ressortait qu’il n’en a pas été de même en sagesse. Les enseignements de ce médecin, Hippocrate, avaient été promulgués déjà bien avant la naissance du Christ-Dieu. Et cependant, la lecture de ce calendrier ne porte pas à penser que la sagesse de l’humanité progressa de concert avec la technique scientifique... Au contraire, la discipline technique atteignit sont apogée au cours du 20ème siècle. C’est précisément au cours de ce siècle que l’humanité échafaudait les plans la conduisant à sa propre perte, aidée justement par sa grande maîtrise de la science. A cette époque, on y lit des choses les plus étranges. Et plus ce siècle avançait, plus la cascade de phénoménales découvertes s’accélérait. Les humains avaient-ils été dépassés par leurs propres créations jusqu’à ne plus se comprendre eux-mêmes?
Toujours est-il que cette fulminante progression dans l’art des connaissances perturba suffisamment leur esprit pour que durant ce même siècle, sa sagesse de jugement recula elle aussi à une vitesse phénoménale. Comme si les hommes du vingtième siècle avaient préparé le chaos pour le mettre en oeuvre le siècle suivant. Tout cela de père en fils, dans une entente cordiale... Comme si le scénario avait été écrit à l’avance...?
2’015 sonna la fin d’un monde construit durant des millénaires. Les catastrophes et épidémies décrites jusqu’en 2’030 ont aidé à la fission définitive de l’ancien monde. Les hommes souffrirent tant durant cette période qu’il n’existait plus aucune complicité avec les générations précédentes. Le pape de l’époque avait même laissé une notice sur la page de l’année 2'027 :
“La prophétie était juste : Aujourd’hui, les jeunes déterrent leurs ancêtres, les exposent à la vindicte populaire et aux insultes contre les dépouilles des saccageurs. Les charognards s’occupent de faire disparaître les restes.”
Cependant, la deuxième génération suivant le petit chaos, vers les années 2’040, sembla réapprendre à vivre avec la terre et les ressources qu’elle lui offrait. La situation s’améliora sans cesse durant encore 40 ans, ce qui incita les pontifes successifs de cette époque à l’optimisme. Enfin, le grand basculement dans le chaos total en 2’080 emporta toute forme de bonne résolution de quelque pape que ce soit. Les hommes, qui avaient réapprit à besogner le sol, se retrouvèrent alors avec une terre empoisonnée, n’offrant que des vivres empoisonnées.
Dix ans après le début du véritable Grand Chaos, le pontife Nicolas X écrivit ses impressions en des termes les plus pessimistes. Pour lui, la fin de l’humanité semblait avoir sonné, ce qu’il nommait apocalypse. A la fin du 21ème siècle, les romains estimèrent que les trois-quarts de la population mondiale avait disparût. En vingt ans, le peuple de Rome lui-même fut décimé aux deux tiers par la peste nucléaire.
Le 22ème siècle fut lui entièrement marqué par la grande maladie qui ravagea toute cette période. Année après année, les commentaires n’évoluaient plus, ils reflétaient tous le même désapoitemment devant ce qu’était en train de devenir l’être humain, autant dans son corps que dans son esprit. Toutes notions d’instruction ou d’éducation avaient totalement disparût. Dans les ravages de ce monde à l’agonie, l’exploit suprême était d’arriver à survivre à tous ces maux. La mort était devenue une proche parente de tout un chacun, tant et si bien qu’elle était entrée dans les moeurs de presque tous les villages de la planète. Non seulement, les hommes étaient décimés par la peste nucléaire, mais les mises à mort n’avaient jamais été aussi nombreuses. Tout enfant né déformé par cette peste était immédiatement mis à mort pour éviter la prolifération de tels êtres... L’esprit semblait ne plus être présent et les hommes n’étaient mus plus que par l’instinct de survie de l’espèce. Toute autre forme de considération ne leur venait plus à l’esprit. Survivre était devenu la seule préoccupation de l’humanité. Même si les guerres semblaient avoir cessé, l’humanité subissait une épreuve jamais endurée dans toute l’histoire de l’espèce.
Cependant, en 2’098, un grand savant romain, nommé Paolo Narbona, et sanctifié par la suite pour avoir sauvé Rome, découvrit le remède permettant à l’organisme humain de résister à la radioactivité. L’humanité ne périrait pas. C’est juste avant l’invention de ce traitement que la population de Rome fut la plus faible avec seulement un demi million de survivant sur les 7 millions initiaux. Le pape Jules VI décida alors de la fabrication massive de ce remède pour le distribuer aux populations extra-muros.
Ce fut chose faite en 2’105, où de nombreux navires purent être affrétés afin de porter ce remède aux quatre coins du monde. Ceci, afin de préserver des hommes au moins dans certaines régions. Toutefois, comme ils n’avaient pas suffisamment de remèdes pour tous, ils durent se cantonner à quelques villes et villages disséminés sur divers continents. Deux ans plus tard, alors qu’une nouvelle vague de navires fut affrétés pour apporter la prolongation des traitements, les romains s’aperçurent que tous les villages qui avaient reçu le remède avaient été rayés de la carte. Les clans alentours avaient réunis tous leurs guerriers valides et déclenché des guerres pour s’emparer de cette médecine. Le traitement n’étant d’aucun effet sans prise régulière, même si les agresseurs avaient pu le voler, il ne leur était d’aucune utilité. L’opération fut un fiasco total car ce traitement n’avait servi à personne, et les bénéficiaires initiaux avaient tous été tués. La seule chose qu’apporta ce remède en dehors de Rome fut la guerre ! Il fut ainsi décidé en octobre 2’108 de ne distribuer la médecine qu’aux peuplades de certaines îles isolées, n’ayant pas de contact avec le reste du monde.
A cette même époque, un phénomène cruel mais certainement vital pour l’espèce fut observé en dehors des murs de Rome. Après une génération de souffrances et de mort sous la grande peste, soit au début du 22ème siècle, les romains constatèrent un profond changement dans l’attitude de certaines sociétés. Les populations furent si durement touchées, que certains clans optèrent pour un remède génétique à cette peste. Il n’y avait pratiquement plus de guerre, et donc presque plus de guerriers, mais les clans commençaient à sélectionner des mâles reproducteurs. Une génération plus tard, le monde entier adoptait cette même tactique, à savoir : Seul quelques mâles du clan, les plus robustes et les plus endurants, recevaient le droit d’accoupler les femelles. Cinq ou six mâles étaient sélectionnés, et eux seuls avaient le pouvoir de reproduction. Ainsi, leurs progénitures devaient avoir plus de chances de naître en bonne constitution. Les hommes non retenus pour la procréation avaient une vie bien triste. Sans enfants, sans famille, leur seul droit était celui de travailler pour nourrir le clan. Au cas ou l’un d’eux s’avisait d’accoupler une femme, il était immédiatement mis à mort par les autorités du clan, composées uniquement de reproducteurs. Ils avaient tous les droits, c’était sur eux et leur force que comptait chaque région pour survivre à la grande peste. Cette forme de procréation débuta mondialement vers les années 2’120, pour disparaître lorsque la grande peste fut éteinte, aux alentours de l’an 2’500. A la fin du 22ème siècle, les romains estimaient que la population mondiale avait chuté bien au dessous du milliard d’individus, contre 7 avant le grand chaos…
L’agonie se poursuivit durant tout le 23ème siècle, tandis que les savants romains s’échinaient à tenter de trouver une solution globale pour guérir le monde, malheureusement sans succès.
En 2’300, la population mondiale fut pronostiquée à 250 millions d’individus, comme au temps du Christ, mentionne la notice...
Cependant, c’est durant cette période qu’un phénomène nouveau survint chez certains individus hors des murs. Certains organismes semblaient résister à la radioactivité, ce mal qui jusqu’alors, tuait. Ces humains étaient devenus radioactifs, mais la substance n’agissait plus sur leur santé. Il ne s’agissait pour l’instant que de rares cas d’individus isolés, mais cette tendance à la résistance à la maladie par l’homme se confirma dans les générations suivantes.
Au milieu du 24ème siècle, la population mondiale toucha le plancher au dessous duquel elle ne descendit plus jamais. Les romains l’estimaient entre 40 et 60 millions d’humains, dont 4 à Rome...
Au 25ème siècle, même si la terre était encore empoisonnée, rares étaient les êtres vivants succombant encore à ce poison. Les populations commencèrent à croître, s’organiser à nouveau, et finalement, recommencer à faire la guerre...
Toutefois, l’agonie des romains avait cessé 300 ans avant celle du reste du monde, et du peu qu’il en restait, les humains étaient tous retournés à un stade de barbarie instinctive que le pape Joseph décrit comme étant devenue animale, avec peut-être l’organisation en plus. En 2’423, il décida de reciviliser l’humanité. Des troupes de prêtres romains furent envoyées dans le monde, mais à nouveau, ils ne furent pas acceptés. Les romains bénéficiaient d’armes incomparables par rapport à celles utilisées par les tribus sortant de la grande peste. Cependant, ils se refusaient d’en faire usage, et ne servaient qu’à l’escorte du prêtre au cas où une tribu l’attaquait.
Malgré les années d’efforts des prêtres pour aborder pacifiquement ces tribus, ils ne parvinrent pas à se faire accepter dans les clans. En 2’434, le pontife Marc III se retrouva devant un choix :
- Soit il civilisait le monde par la force,
- Soit il y renonçait en attendant que les hommes redeviennent un peu plus humains pour envisager une quelconque éducation.
Marc III s’inquiétait par écrit de la sorte: “Comme si les romains n’appartiennent plus à la même race que nos frères de l’extérieur, il ne subsiste entre nous plus aucune notion commune. Nous pouvons communiquer, mais nous ne nous comprenons plus. Le seul langage ayant subsisté dans le monde étant celui de la force, Rome saura se rappeler de ses errements commis dans l’ancien moyen âge. Elle se refusera à bâtir une quelconque nouvelle civilisation dans la violence et le sang.”
Le pontife prononça cette règle comme étant intemporelle. Une sorte de loi qui veut qu’aucun de ses successeurs ne puisse y déroger !
Le monde s’organisa dans des structures claniques, chaque tribu vivant en quasi autarcie. En 2’612, les observateurs romains constatèrent la formation d’une grande armée au nord du continent. Les premières observations faisaient état d’au moins 8’000 guerriers nordiques, tous montés. L’année suivante, leur nombre avait triplé. Toutefois, il ne s’agissait nullement d’individus ayant pour vocation de recréer un monde digne. Non, il s’agissait plutôt d’une armée de bandits semant la terreur et la désolation sur leur passage. Des pillards passant de ville en ville, en y séjournant suffisamment pour violer et humilier les femmes, torturer et tuer leurs hommes. L’année suivante, cette armée avait encore doublé et écumait le sud de la nation qu’ils nommaient Espagne.
Le pontife Philippe II fit alors affréter 62 navires et décida de lancer ses troupes au secours des populations martyrisées, en capturant l’armée indigne. Etant donné la différence de technique entre les romains et ces individus, ils n’eurent pas trop de peine à faire prisonnier la majorité des malfaiteurs. Durant l’affrontement, les bandits subirent quelques pertes mais furent suffisamment impressionnés par les armes romaines. Après avoir compris que toute résistance était futile, ils déposèrent les armes. Presque quarante milles brigands furent fait prisonniers, embarqué à bord des navires et mis aux fers jusqu’à Rome.
Une fois sur place, Philippe II leur ordonna la construction de la grande croix sous le contrôle des architectes romains. Cette contribution pouvait peut-être aider au salut de leur âme. Les guerriers prisonniers travaillèrent jusqu’à la fin de leur vie à la construction de la croix, puis le peuple de Rome se chargea de la terminer. La gigantesque construction débuta ainsi en 2’613 pour ne se terminer qu’en 2’710, soit cent ans de labeur de milliers d’hommes !
A cette époque, l’humanité s’était remise de ses grands fléaux et les hommes commençaient à s’autoriser à rêver.
A la fin du 28ème siècle, la note faisait mention de clans et structures hiérarchiques organisées, la puissance de combat désignant le chef, qui lui, se faisait un devoir d’étendre son territoire. La plupart du temps, les hommes étaient donc occupés aux cultures ou à la guerre contre quelques clans voisins. Cependant, les individus se remettaient à rêver et les légendes fascinaient de plus en plus les hommes. Ils oubliaient la grande peste nucléaire pour essayer de comprendre ce qu’était le monde d’avant. Les villes et villages avaient changé de lieu pour se repositionner dans des postes stratégiques plus intéressants. Les anciennes villes étant devenues de vraies réserves de matériaux, elles furent de plus en plus décapitées, à mesure que la population augmentait dans les nouveaux clans.
Depuis cette date, il est fait mention de formations de juridictions. Les romains semblaient s’intéresser de près à la constitution de nouvelles civilisations. Ils sillonnaient les mers et observaient les mouvements humains dans des terres lointaines. Il fallut trois cents ans à nouveau pour que la population se développe suffisamment afin que des échanges puissent véritablement commencer.
Car la population mondiale avait chuté à un point tel que des régions entières furent totalement dépeuplées, des villes et villages étant devenus fantômes. Parfois, plusieurs villages se réunissaient dans un seul pour atteindre tout de même le nombre d’une petite tribu. Les hommes s’étaient réunis non par amour mais par instinct de survie qui dominait toute pensée de ce temps. A la fin de la grande peste, il fallait des jours de marche pour aller d’un village habité à un autre. La terre était comme vide d’humains. Trois cents ans plus tard, la population avait quadruplé, et l’homme reprenait gentiment à nouveau l’ascendant sur la création.
Les romains notèrent un semblant de début de civilisation dans un lieu en extrême orient déjà en 2’800. Une juridiction de la taille d’un royaume, gouvernée par un guerrier suprême surnommé “le Grand Guerrier” par son peuple. Cet homme, qui avait rassemblé une multitude de clans, gouverna durant toute sa vie. Le pape de l’époque, Dominique le Grand, envoya des appuis secrets, des missionnaires de l’ombre pour soutenir et guider dans de bonnes voies le Grand Guerrier et cette nouvelle civilisation.
Malheureusement, lors de la mort du guerrier, rien n’alla plus et les disputes de succession divisèrent le royaume jusqu’à ce que chaque chef se replie à nouveau sur son clan. Cette première civilisation d’après le Grand Chaos dura en tout 34 ans, la durée de règne du guerrier suprême...
Ensuite, il est fait mention de telles juridictions naissantes et s’évanouissant au gré du charisme de certains champions. Malheureusement, les lois des clans n’étaient pas particulièrement propices à créer des civilisations durables. Certaines perduraient une ou deux générations, rarement plus. Les nouvelles juridictions qui pouvaient se créer éclataient aussi vite que leur construction, malgré les conseils des romains qui se mettaient secrètement au service des commandants.
L’année 2'853 semblait faire mention d’une véritable tragédie pour le peuple de Rome. Mais la note à ce sujet était lacunaire et peu précise, elle indiquait simplement : « Octave, le plus grand génie que la terre et l’humanité aient connu, en désaccord avec le pape, quitte Rome le 12 janvier, suivit de 20'000 de ses admirateurs. 2’953 est déclaré deuil romain et humain. Durant toute cette année, chaque habitant de Rome priera un chapelet par jour pour Octave et ses fidèles. Sa disparition de notre cité est un drame non seulement pour Rome, mais pour l’humanité tout entière ! »
En 3’005, une grande juridiction s’était créée dans toute la partie de l’Europe du nord. Elle dura 65 ans, mais s’éteignit pour les mêmes raisons que les autres: le partage du pouvoir et les rébellions des chefs tribaux.
A force de guerres qui faisaient et défaisaient des unions, l’homme adopta petit à petit une attitude moins agressive, se contentant de collaborations. Le Chaos devint organisé dans une structure de clans et marchés assurant les approvisionnements commerciaux de base. Les lois des clans n’étaient que de simples lois basiques et ne différeraient pas beaucoup d’une région à l’autre. Ainsi, en lieu et place de véritables juridictions, le chaos se muait en une civilisation globalement identique partout. Très divisée dans l’exercice des pouvoirs, tous morcelés en petits territoires, elle était néanmoins organisée dans sa capacité à collaborer occasionnellement avec son ennemi potentiel.
Le monde resta ainsi morcelé durant plus de trois cents ans. Beaucoup semblaient s’être satisfait de cet état de fait, mais pas tous. Les légendes circulaient et fascinaient. Beaucoup d’anciens commençaient à se poser les bonnes questions sur le monde d’avant, et les réponses devaient se trouver dans les légendes... Certains clans envoyèrent des troupes vérifier l’existence de la Grande Ville. Ils étaient reçus, mais jusqu’à notre arrivée, il semble que personne avant Léopold n’ait réussi à unir autant de monde autour d’une même cause. Son but était bien entendu la prise de Rome, mais il savait les responsabilités qu’il en adviendrait une fois qu’il aurait la ville. Léopold disait que Rome n’était que le siège éternel du monde, le territoire de Rome étant le monde. Il s’agissait d’une tâche bien plus ardue que de régner sur la cité, il fallait rebâtir le monde à partir de ce siège...
En résumé, voilà où en était le calendrier de l’époque du Grand Chaos. Il y a beaucoup d’annotations dans les années du 21ème siècle. Puis, des informations générales de temps en temps durant la grande peste et la société telle qu’elle s’organisa plus tard. Jusque sous l’année 3’412, date à laquelle Léopold pénétra pour la première fois dans la cité. Mais avant cela, aucun fait majeur qui fut de nature à renverser le Chaos. La suite étant déjà écrite dans les pages précédentes du présent ouvrage, je m’en tiendrai donc là pour ce résumé. Rajoutons également que les romains estiment de nos jours la population de l’hémisphère nord du monde dans une marge allant de 700 à 800 millions d’individus, soit environ 10 fois moins nombreuse encore qu’avant le Chaos. Il faut bien entendu rajouter à cela les 2 milliards de sujets qu’Octave prétend avoir au sud…
A dire aussi que les siècles d’avant le chaos ne nous apportent pas de réponses satisfaisantes aux nombreuses questions demeurant en suspens au sujet des anciens hommes. L’an 67 fait mention de la crucifixion de Saint Pierre par l’empereur Néron. L’an 313 indique l’acceptation de la religion chrétienne comme religion de l’empereur Constantin. La mise à sac de Rome de 455 est également mentionnée, ainsi que le fracassement des empires par Attila. Charlemagne apparaît à Rome en l’an 800. Puis la conversion en l’an 1’000 de Saint Etienne, roi Hongrois descendant du peuple d’Attila, qui apporta le message du Christ à son royaume. D’autres noms apparaissent encore plus tard, comme un certain Christophe Collomb qui semble avoir découvert un territoire assez important se nommant Amérique. Plus tard encore, il y eu une révolution chez le peuple francophone, et le nouvel empereur lutta contre l’église et contre Dieu en tentant de détruire l’état pontifical. Napoléon arriva néanmoins à pénétrer dans Rome pour capturer et déporter en France le pontife Pie VI. Le petit empereur ne réussit pas à détruire l’église mais fini exilé quelques années plus tard...
Aucune information claire n’apparaissait sur leurs méthodes scientifiques. Tout au plus, quelques noms de savants étaient mentionnés comme Einstein, Newton, Galilée, mais cela ne nous aidait pas à comprendre. La seule chose qui semble claire, c’est qu’avant le Chaos, les papes ne disposaient pas de moyens supérieurs aux autres nations. Malgré tout, il semble que ce soit la seule dynastie sur terre à s’être maintenue durant les deux milles ans précédant le chaos. Toutes les autres formes de pouvoirs apparaissaient pour disparaître quelques dizaines ou quelques centaines d’années plus tard, sous des coups d’état, ou des révolutions populaires.
Barnabé
Le 23 mars de l’an 5, trois mois après notre entrée dans la ville de la légende, je quittais Rome. Armadé resta en poste comme gouverneur de la cité, tandis que la ville se vidait de tous ses guerriers, repartant en campagne. Ne restait dans les enceintes que les Prétorians dirigés par Guérart sous les ordres d’Armadé et du roi Patrick ; et les familles des guerriers. Marco, Paskale, et moi-même à la tête de la troupe des mille, de l’armée romaine de 30'000 hommes montés et de mon escouade personnelle, partions chez les germains, tandis que mes autres armées faisaient route vers leurs différents lieus de conquêtes. Nous ne souhaitions plus acquérir de nouveaux guerriers, mais simplement étendre notre juridiction sur le reste du monde. L’immensité de mon armée nous permettait de ne plus quérir des guerriers de nouveaux clans. Pourquoi faire de toute façon ? Nous avions Rome !
Notre mission particulière était de faire le ménage chez les germaniques. D’après mes renseignements, les germaniques avaient sans doute réussi à former une armée coalisée de plus de 50'000 hommes. Pour ne prendre aucun risque, en sus de l’unité des milles et de l’armée de Paskale, 4 divisions entières de Rino devaient venir soit en renfort, soit pour nettoyer le champ de bataille après notre passage. Lorsque je dis « nettoyer », j’entends par là se saisir des esclaves et organiser leur voyage par une porte ainsi que leur arrivée à Rome. Ensuite, il était prévu que les 4 divisions de Rino poursuivraient leur chemin pour soumettre le reste du continent en direction du nord.
Paskale avait fait un travail phénoménal durant ces deux derniers mois en disséminant dans tout l’empire des portes de téléportation qui remplissaient déjà leur fonction : De nombreux parias étant acheminés par ce moyen à Rome. J’avais demandé à ce que des portes de réception soient installées en dehors des murailles, histoire de nous éviter de mauvaises surprises. Sur place, devant les portes d’arrivée, des bataillons de Prétorians prenaient en charge les indésirables pour les mener dans la porte fixe de la crypte où ils disparaissaient. Cela représentait des milliers et des milliers de prisonniers de tout l’empire qui passeraient par cette porte mystérieuse, débouchant sur l’inconnu le plus total et invérifiable.
Nous franchîmes la porte de Bâle avec Marco, tandis que Paskale se tenait prêt avec l’armée romaine de l’autre côté de la porte à Rome. Il ne devait pas intervenir tout de suite car nous devions laisser croire au peuple Germain que nous ne venions qu’en petit comité pour vérifier leur organisation. En effet, je craignais que s’ils nous voient arriver en force, ils n’obtempèrent à nos ordres, et nous n’aurions ainsi plus aucun motif pour leur déclarer la guerre et capturer des esclaves.
J’arrivais à Bâle par la porte installée dans cette ville amie avec Marco, mes 80 mercenaires et son unité des mille. De Bâle, nous avions déjà des informations précises sur les manoeuvres des villes du nord. Toute la région s’était alliée autant pour les échanges commerciaux qu’humains, ainsi que la construction d’infrastructures permettant des transports importants. Tout cela était fort bien mais c’était l’alliance militaire qui me préoccupait le plus. Nos hommes à Bâle voyaient plutôt là le signe du développement d’une vraie force pour combattre l’empire que de simples collaborations. Le seigneur de la ville était encore plus explicite : L’alliance du nord lui avait même proposé de joindre ses forces aux leurs, et ainsi, entrer dans une sorte de royaume indépendant... !?
D’après lui, les seigneurs des trois grandes villes du nord avaient débutés leurs tractations au lendemain même du passage de mes armées. Face à nous, seule l’union pouvait leur offrir l’autonomie régionale, même si elle ne serait plus clanique comme jusqu’alors. Cela avait provoqué un grand élan de collaboration, la plus fameuse étant l’union de toutes les petites armées de villages sous le commandement de trois seigneurs: Bushauser de Friborg en Brisgo, Alleihmer d’Offenbourg et Petinsach de Stuttgart.
Toutes les nouvelles entendues à Bâle m’incitaient donc à croire que les germains ne se contenteraient nullement de collaborations sociales et commerciales, mais bel et bien de défier l’empire !
L’information officielle que nous donnions au Seigneur de Bâle et à son conseil était la suivante : « Léopold Paralamo ainsi que Marco Fallacio, accompagnés des guerriers de nos unités, venaient voir les Seigneurs des trois villes du nord afin de leur faire entendre raison sur leur embryon d’armée : il ne pouvait exister dans l’empire d’autres armées que celles de Rome. » Je répandais cette information en faisant en sorte que la population le sache, histoire qu’elle arrive aux oreilles des espions germaniques qui ne manquaient sans doute pas dans la ville même de Bâle. Le but était que cette information soit connue des trois villes rebelles, et nous ne nous privions pas de la répéter. Même le seigneur de Bâle, fidèle à Rome, ne fut pas mis dans la confidence des importantes troupes de Pakale et Rino qui allaient arriver. Il n’arrêtait d’ailleurs pas de me mettre en garde pour tenter de me convaincre de ne pas aller au devant de ces villes avec si peu d’hommes.
Cependant, un camp romain était établi à côté de Friborg en Brisgo, et jusqu’ici, il ne souffrit d’aucune attaque ni menace de la part des nordiques. Je m’imaginais bien facilement que trois chefs germains commandant une armée censée protéger un aussi vaste territoire ne tenteraient même pas de résister contre deux cents milles hommes. Ainsi, si les armées de Paskale et Rino arrivaient en masse, et que les germains nous ouvraient les portes pour nous accueillir amicalement, ils n’auraient en aucune manière enfreins nos lois, et nous ne pourrions pas les punir pour une faute non commise… Ce qui ne les empêcherait pas de recommencer à comploter dès que nous serions loin. De plus, je tenais à ce que la justice soit appliquée partout dans le nouvel empire, et je ne pouvais pas prendre comme esclaves des hommes apparemment innocents. Il me fallait des esclaves coupables, mais je n’avais jusqu’ici aucun prétexte, d’où la décision de ne révéler à personne nos préparations guerrières cachées derrière la porte…
Ma stratégie était somme toute assez simple : Je venais en personne avec Marco et nos petites unités bien connues, mais pas assez puissantes contre de grosses coalitions. Mes adversaires m’ayant à leur portée, ils attaqueraient et j’aurai enfin mon prétexte. Je savais que cette stratégie comportait une partie de sacrifice, mais je le jugeais raisonnable…
Nous rejoignions donc notre garnison provinciale implantée près de Friborg en Brisgo. Leurs observations confirmaient les nouvelles, à savoir qu’une importante force militaire était déjà constituée sous le gouvernement des trois grandes villes, et que depuis mon arrivée à Bâle, il régnait une grande effervescence parmi les guerriers germains. Jusqu’ici, cette armée n’avait fait montre d’aucun signe d’hostilité, malgré des forces estimées à plusieurs dizaines de milliers de guerriers bien entraînés.
J’envoyais alors des messagers avec pour mission de convoquer les seigneurs de ces villes ainsi que leurs généraux dans notre camp régional. Comme prévu, les messagers furent tués, et les germains envoyèrent une puissante force armée contre notre petite garnison. Même si notre camp disposait d’une situation stratégique intéressante, il ne faisait aucun doute que cette armée nous anéantirait jusqu’au dernier. J’ordonnais alors le retrait général sur notre camp de Bâle. Comme je l’imaginais, l’unité des mille et mes mercenaires ne furent guère trop inquiétés car nos montures étaient les meilleures de l’empire, et malgré quelques pertes insignifiantes, nous leur échappions. Le sacrifice fut de fait les 1’500 guerriers de la garnison, dont à peine 300 disposaient de chevaux. Au lieu de faire prisonnier mes hommes qui avaient déposés leurs armes durant leur retraite, les belligérants les massacrèrent jusqu’au dernier, montrant bien ainsi leur hostilité envers nos nouvelles règles de la guerre.
Nous arrivions à Bâle, et les guerriers germains ne tentèrent ni de prendre la ville, ni même de pénétrer le territoire. Ils défendaient uniquement leur région en démontrant leurs ambitions d’autonomie envers Rome.
Je passais alors la porte pour m’entretenir avec Paskale et Rino.
Mes amis, leur dis-je, un vaste territoire germanique est entré officiellement en rébellion contre l’empire. Est-il possible qu’un territoire appartenant à ce dernier soit en dissidence contre Rome ?
Paskale se réjouissait déjà et éructa : « On va leur faire ravaler leur rébellion à coup d’épée dans la gorge, tu verras chef, ils deviendront doux comme des agneaux » !
Mais je corrigeais : « Non, aucun clan, aucun marché, aucune coalition dans l’empire n’est contre l’empire, de tels rebelles n’existent pas. Nous allons marcher sur ces territoires dissidents, j’ouvrirais des brèches dans les murailles pour toi Paskale, et tu tueras tout ce qui fait mine de vouloir se battre. Pendant que ton armée anéantira la rébellion, Marco et moi, avec nos unités respectives, nous brûlerons tous les villages. Paskale, lorsque tu auras vaincu un des trois grands marchés, tu y mets le feu. Il ne restera plus un seul hameau debout dans ces territoires. Rino, tu arrives avec tes 4 armées, et tu nettoies tout ce qu’il y a de vivant. Les enfants, les paysans, les vieux, les femmes seront déportés à Rome pour nous servir en tant qu’esclaves. Inutile de faire trop d’éclopés Paskale, ils ne nous servirons à rien si on ne peut pas en faire des esclaves. Rino, s’il y a des blessés inutiles, tu t’en débarrasse par la porte des parias. Lorsque nous aurons traversé ces territoires, il n’y aura plus une seule maison ni un seul homme, c’est un territoire vide, de cendres, que nous laisserons derrière nous, car les clans se rebellant contre Rome n’existent pas ! Cette coalition germanique croit encore qu’elle existe, mais ce n’est qu’une illusion. C’est clair pour vous deux ? »
Rino enchérit : « Sur mes 4 armées, j’ai 40'000 guerriers montés, ils peuvent suivre directement l’armée de Paskale pour lui venir en aide sans délai si la situation tourne en sa défaveur. Les 160'000 hommes à pied ratisseront les survivants. »
Paskale objecta qu’il préférait se débrouiller tout seul. Je lui fis tout de même remarquer qu’on estimait l’ennemi à plus de 50'000 guerriers, et qu’ils se battraient sur leur propre territoire. Mais la difficulté n’en était que plus excitante pour Paskale et il déclina l’offre de soutient immédiat proposé par Rino. Pour finir, je leur laissais s’organiser entre eux, en sachant bien, au vu de l’exaltation de Paskale, qu’il ne lâcherait aucune bataille à Rino.
Dès le lendemain à l’aube, nous entamions notre trot vers la ville de Friborg en Brisgo.
Les armées de Rino progressaient à l’arrière, tandis qu’après deux jours de trot, nous arrivions avec l’armée des 30'000 hommes montés de Paskale face à leurs premières lignes de résistances. Elles furent balayées en une matinée d’affrontements. Suite à cette victoire et une nouvelle journée de route, nous nous retrouvions devant l’enceinte du grand marché. Après avoir positionné des rangées d’archets à portée de tir tout autour des murailles, je m’équipais de ma tenue d’attaque pour tenter une avancée afin de percer la muraille à l’aide de Renaissance. Mes archets ne cessaient pas le tir et ma situation proche des murailles en était simplifiée. J’arrivais à ouvrir une brèche pour l’envahissement de la cité, mais ce fut les germains qui sortirent en grand nombre pour nous attaquer. C’était un piège. Des milliers de guerriers sortirent des enceintes tandis que d’autres masses militaires arrivaient on ne savait d’où par l’arrière, prenant l’armée de Paskale en tenaille.
Nous ne pouvions pas attaquer et devions nous contenter d’une défense sur deux fronts. Il me fallait faire des prisonniers pour avoir des informations plus précises sur l’origine d’une telle quantité de guerriers. Je lançais donc un message à l’intention de Marco, qui se chargea de fendre le flanc de l’armée germaine pour se retrouver derrière les positions des guerriers survenus du sud, tandis que j’allais le rejoindre au grand galop avec mes mercenaires en contournant leur cavalerie. En peu de temps, nous pûmes mettre la main sur quelques prisonniers. Trois d’entre eux supportèrent la torture jusqu’à la mort, tandis que le quatrième lâcha l’information qui nous était utile : tous les clans alentours avaient concentrés leurs forces armées dans les villes sous la direction des seigneurs. Tous les guerriers des villages régionaux étaient impliqués dans l’opération !
Je renvoyais l’information à Paskale, il allait devoir mener seul la guerre pendant qu’avec Marco, nous partions incendier tous les villages dépendant du marché, comme convenu. L’idée n’était pas de reprendre la stratégie utilisée jadis contre les clans de Berm pour diviser la coalition, mais si cela pouvait servir, tant mieux. En fait, notre objectif restait le même malgré la difficulté accrue : Réduire en cendre tout le territoire.
Durant tout l’après-midi, nous incendions 11 villages. Mon escouade était fabuleuse de dévouement. A l’approche d’une muraille ennemie, ils m’entouraient comme un bouclier vivant. Trois guerriers se tenaient debout sur leurs chevaux au grand galop entre moi-même et la muraille, boucliers levés ; 5 autres galopaient juste à côté de moi, tenant aussi leurs boucliers en l’air pour m’éviter toute flèche indésirable, et si un projectile arrivait tout de même à traverser cette muraille mouvante, j’étais encore protégé par une armure…
Nous fîmes prisonnier des paysans pour qu’ils nous indiquent l’emplacement des autres villages pendant la nuit, leur promettant que s’ils se montraient fidèles à Rome, ils auraient droit à un traitement de faveur lorsque le territoire serait anéanti. Ceci nous permis de brûler encore 17 villages durant la nuit.
Le lendemain, nous continuions notre travail de brulis jusqu’au soir, et ce n’est que vers 20 heures que nous terminions d’éradiquer tous les clans dépendant de Friborg en Brisgo, à savoir 42 villages.
Nous dormions un peu en cette deuxième nuit de guerre, mais dès l’aube, nous commencions déjà nos attaques des clans dépendants d’Offenburg. Nous ne nous attaquions pas à la ville pour ne pas risquer d’être retardé par des milliers de guerriers probablement planqués à l’intérieur, il fallait attendre que Paskale termine sa guerre contre les guerriers de Friborg afin qu’il puisse prendre en charge ceux d’Offenburg. Cependant, d’après ce que nous savions, la principale ligne de défense du territoire Germain se situait à Friborg. Si cette dernière tombait, les autres suivront plutôt facilement, car le gros des troupes germaines étaient postés au sud du territoire.
Nous arrêtions nos attaques à la tombée du jour, préférant attendre Paskale avant de poursuivre.
A l’aube du quatrième jour, un messager vint me donner des nouvelles de l’armée romaine. Le seigneur de Friborg en Brisgo leva drapeau blanc lorsqu’il apprit que 4 armées supplémentaires s’approchaient par le sud. Paskale s’en fut parlementer avec le seigneur de la ville en lui interdisant de capituler. Mais si ce dernier voulait bien continuer à se battre contre les 30'000 guerriers de Paskale pour voir qui l’emporterait, il était hors de question qu’il subisse une deuxième vague de 200'000 hommes qui arriveraient après la bataille. Selon mon messager, Paskale devint fou furieux de cette capitulation, et il fit promettre au seigneur de Friborg de continuer la guerre si les armées de Rino rebroussaient chemin. Paskale lui promis un statut particulier, une sorte de protectorat autonome dans l’empire, s’il arrivait à battre son armée romaine. Le seigneur accepta le marché, à savoir : Livrer une guerre exclusivement contre l’armée romaine de Paskale, et obtenir l’indépendance de la région s’il vainquait. Paskale envoya alors des messagers à Rino pour lui demander de retourner à Bâle, mais Rino refusa cette entorse à notre plan de bataille et continua son avancée.
Alors l’impensable se produisit : Paskale, ulcéré que Rino puisse lui priver d’une grande bataille, lança toutes ses troupes contre les armées de Rino ! L’armée romaine attaqua au soir du troisième jour la première armée de Rino, qui décida finalement de rebrousser chemin jusqu’à Bâle…
J’étais sidéré ! Qu’allait bien pouvoir inventer Rino pour réconforter les veuves et les orphelins de la perte de leur mari et père ? Ils ont été tués par Rome alors qu’ils obéissaient à un de ses rois : Rino !
Nous rebroussions nous aussi chemin pour voir où en était l’armée romaine dans leur guerre avec Fribord en Brisgo, et au milieu du jour, nous vîmes l’armée de Paskale arriver à notre rencontre. Je lui demandais des nouvelles et après un signe de Paskale, un de ses lieutenants jeta de son cheval un homme à mes pieds.
Le Seigneur de Friborg, me dit Paskale, rayonnant. A l’heure qu’il est, la ville n’existe plus.
Beaucoup de perte de ton côté, lui demandais-je ?
On n’a pas fait les comptes, mais à vue de nez, on déplore environ 6'000 morts, 3'000 invalides, et 5'000 blessés guérissables. Il nous reste un peu moins de 20'000 hommes en état de continuer la guerre, c’est suffisant pour attaquer Offenburg. D’après nos informations, ils disposent de 10'000 hommes à tout casser.
L’ennemi s’est battu jusqu’au bout ?
Ils ont levé le drapeau blanc une première fois à cause de Rino, mais ensuite ils se sont bien battus. Ils ont capitulé avec 5'000 hommes encore valides.
Paskale avait les traits tirés, il était plein du sang de ses victimes, mais il restait très enthousiaste et me conta un peu plus en détail la bataille : Au début, durant la première heure, ils ont essuyé de lourdes pertes, peut-être 3'000 hommes. L’ennemi était équipé de catapultes et de tout le matériel lourd de combat, ils attaquaient depuis la ville au nord et depuis une ligne au sud, la première heure fut un enfer pour l’armée romaine. Paskale concentra alors ses troupes à briser la ligne du sud, et dans les combats au corps à corps, l’enfer s’éclaircit un peu. Lorsque la ligne du sud tomba, la guerre devint plus loyale entre son armée et celle de la ville, qui disposait néanmoins encore de tout le matériel de guerre, mais avec un gros trou dans la muraille. C’est à peu prêt à cet instant que les messagers de Friborg apportèrent la nouvelle des innombrables troupes de Rino qui approchaient, et que le seigneur de la ville leva une première fois le drapeau blanc.
Il y eu un cesser le feu, et Paskale proposa à l’ennemi une guerre loyale, uniquement entre leurs armées respectives. Le seigneur exigea alors quelques garanties, notamment celle que les armées de Rino rebroussent chemin. Rino refusa d’obéir et Paskale dû le charger pour lui faire entendre raison. L’absence de l’armée romaine à Friborg permis à l’ennemi de se réorganiser, et le deuxième assaut sur la ville fut lui-aussi dévastateur pour notre armée.
Ça dépassait mon entendement, que deux armées impériales doivent s’entre-tuer était un non sens !
Beaucoup de pertes chez Rino lors de votre raid, lui demandais-je ?
Quelques centaines, il n’a pas trop tardé à faire marche arrière lorsqu’il comprit que mon intention de le faire reculer ne fléchirait pas.
Il a riposté à ton attaque, m’enquis-je ?
Non, il n’a pas osé aller jusque là, il s’est contenté de rappeler ses troupes et de retourner en arrière. Ça aurait été plus simple qu’il obéisse à mon messager, se désola Paskale.
Il va m’entendre cet abruti, m’emportais-je, si je l’avais sous la main maintenant, je ne sais pas ce que je lui ferais, mais pas du bien. Bon, eh bien bravo pour ta victoire, maintenant que tu es là, on va pouvoir passer à l’attaque contre Offenburg. Pense à renvoyer un messager à Rino pour lui dire de revenir ratisser les survivants.
C’est déjà fait, m’annonça Paskale.
J’ouvrais alors une brèche dans l’enceinte d’Offenburg, laissais Paskale mener la guerre, et reprenait avec Marco notre entreprise pyromane sur tous les clans avoisinant. Une flèche parvint à se faufiler entre les boucliers de mes mercenaires, puis traversa encore mon armure en passant entre la jointure du coude pour venir se ficher dans mon biceps gauche. Ce n’était pas grave, juste douloureux. Comme prévu, la guerre fut plus aisée ici pour Paskale, et en une journée, il avait terrassé l’ennemi. Nous laissions les survivants vaquer dans la lande pendant que leurs villes et villages étaient dévorés par le feu.
Le lendemain à l’aube, nous pressions le pas pour atteindre le marché de Stuttgart, mais ne nous l’atteignons qu’au milieu de la nuit.
Dans la nuit, les villages étaient facilement repérables grâce à leurs feux d’éclairage. Nous en incendions huit avant l’aube, qui se leva sur un brouillard de fumées s’étirant sur l’horizon.
Je mettais alors en mouvement notre unité des milles, accompagnée de l’armée romaine de Paskale, et nous marchions vers le marché de Stuttgart. Ils avaient bien entendu été informés du sort de Friborg en Brisgo ainsi que de celui d’Offenburg, et décidèrent de poser les armes. Nous trouvâmes les portes de la ville et des clans ouvertes, les guerriers désarmés. Le seigneur de Stuttgart m’offrit sa couronne à genou.
Les messagers qui arrivaient de la part de Rino faisaient état de la capture de plus de 60'000 esclaves mâles des clans de Friborg en Brisgo et d’Offenburg, alors je décidais de faire preuve de clémence avec les habitants de Stuttgart : je ne prenais que les autorités et leurs familles comme esclaves, tout en accordant l’armistice aux guerriers et leurs familles. Cependant, le seigneur de la ville, les chefs de clans et leurs familles, les conseils des anciens et leurs familles, le conseil des matrones et leurs familles, tous ceux qui avaient à faire de près ou de loin avec les anciennes autorités du marché et des clans alentours furent enchaînés pour déportation. Je laissais néanmoins la ville, les villages, les hommes et les femmes saufs, …et libres. La seule condition était qu’ils reforment de nouveaux gouvernements fidèles à l’empire. Paskale protesta un peu contre ma molesse, mais les nouvelles d’autres armées qui étendaient l’empire me parvenaient en indiquant de grosses prises d’esclaves là-aussi. Nous aurions ainsi notre quota, et j’étais décidé à montrer à ces Germains que Léopold pouvait bien être dur et sans pitié, en rasant purement et simplement des clans et marchés de la surface du globe, il n’en demeurait pas moins que je savais aussi être clément et miséricordieux avec ceux qui reconnaissaient leurs fautes et s’en repentaient.
A cette occasion, l’idée de participer personnellement au renouvellement des pouvoirs locaux me vint à l’esprit. Je choisirais moi-même le nouveau seigneur de Stuttgart et déclarais que le plus valeureux champion de n’importe quel clan rattaché à ce marché deviendrait le nouveau seigneur. Cinquante quatre clans gravitaient autour de cette ville, sans compter les 8 déjà brûlés, donc 54 champions en titre. Comme dans notre vallée, chaque année, ils organisaient un grand tournoi pour connaître le champion des champions du marché. J’ordonnais alors un duel contre les 4 meilleurs finalistes en date. Celui qui me battra sera déclaré chef du marché. Si aucun d’entre eux n’en venait à bout, j’avais autorité pour fixer la fin des joutes et aurait loisir de choisir celui que je considérais comme étant le meilleur.
Ce n’était pas des duels à mort, mais de simples joutes de succession. Mon bras gauche ne me faisait plus souffrir à la suite de la blessure de Gianfranco, il n’avait rien perdu en force, mais sa mobilité était considérablement réduite. Depuis cette blessure à l’épaule quatre mois auparavant, je m’étais rééduqué avec Rino, Paskale et quelques autres proches. Je maniais en fait les armes des deux mains et l’utilisation de l’épée par la main gauche était une discipline parfaitement assimilée depuis longtemps. Toutefois, depuis cette fameuse blessure, je ne pouvais plus lever mon bras complètement, ce qui réduisait les possibilités d’attaque à la lame. Je me contentais donc du bras gauche pour le bouclier et des armes de tirs comme l’arbalestre.
De plus, une flèche m’avait transpercé le même bras durant l’assaut contre un clan d’Offenburg. Je m’étais occupé de le faire désinfecter et bander juste avant l’aube, mais elle me faisait toujours souffrir. J’avais également plusieurs journées de chevauchées, d’affrontements et plusieurs nuits de veille derrière moi, j’étais fatigué, mais la difficulté m’intéressait vivement. Peut-être cette ancienne manie de ne combattre que contre quelqu’un susceptible de me battre...
Mais au fond, je crois que j’étais tout simplement curieux de voir si dans un état pareil, un de ces champions nordique pouvait me vaincre ? Je ne risquais rien, au mieux de gagner, au pire de perdre, et de donner aux habitant locaux l’image d’un empereur courageux et beau joueur. De toute façon, il fallait que je participe à la mise en place du nouveau gouvernement de cette ville, et il m’apparût plus élégant de le faire à la suite de joutes. Le peuple manifesta sa satisfaction, il était curieux de me voir à l’œuvre, car ma réputation m’avait précédée, et il ne tenait qu’à moi de défendre cette réputation sous leurs yeux.
Je laissais alors Renaissance, et Paskale me prêta son épée. Avec la blessure de la veille à mon bras gauche, j’arrivais à peine à tenir un bouclier. Mon premier adversaire était le dernier champion en titre du marché. Il déclina le bouclier pour un boulier. Le boulier pouvait être très dangereux s’il atteignait la cible, mais le guerrier qui s’en servait devait être totalement maître des techniques de manipulation de cette arme s’il ne voulait pas la perdre prématurément.
Il commença par une attaque de quelques coups techniques à l’épée, gardant le boulier derrière lui. Les passes d’armes étaient sincères et vigoureuses et je découvrais là un adversaire intéressant. Croyant trouver une ouverture, il usa précipitamment de son boulier. Dans son attaque quasi simultanée avec l’épée et le boulier, il concentra toute sa force sur ce dernier et j’écartais bien vite sa lame en reculant, évitais les boules, puis emmêlais mon épée dans les chaînes du boulier. Dès la première attaque, je lui avais déjà arraché cette arme des mains, et elle tomba parmi le public. Ne lui restait que l’épée. Je laissais moi aussi mon bouclier à terre car mon bras transpercé était encore trop douloureux. Le bouclier me gênait plus qu’il ne m’aidait. Nous nous retrouvions ainsi à armes égales, même si j’étais sans doute plus fatigué et souffrant que lui.
Je n’attaquais jamais, mais face aux multiples passes de mon adversaire, j’eus une impression sensationnelle. Mon épée, comme si elle faisait partie intégrante de mon bras, répondait mécaniquement à toutes tentatives de pénétration de la lame ennemie. Il pouvait être rapide, je n’avais qu’à regarder son corps et ses yeux, pour voir avant même le mouvement ce qu’il allait faire. Il pouvait être tactique, je parais à chaque fois instinctivement avec la précision d’une machine romaine. Il ne pouvait absolument rien faire qui puisse me nuire, je lisais son jeu comme Barnabé lit les signes. Quant à moi, je ne faisais aucun jeu. Un peu dans le brouillard après quelques pertes de sang et des nuits sans sommeil, je me contentais de répondre aux questions de son livre ouvert... Je pouvais le tuer quant je le désirais, car entre les pages de son jeu, je voyais ses erreurs comme si elles étaient soulignées. J’aurai pu les exploiter facilement mais je ne voulais pas le tuer, et la victoire en devenait plus difficile.
Mon unique idée était de me saisir du bouclier par terre, de l’envoyer avec toute la force qu’était encore capable mon bras gauche dans ses jambes pour qu’il chute, et enfin, l’assommer purement et simplement. Par une digne attaque, je le contraignis à reculer, puis me saisis du bouclier par terre, et alors qu’il revenait à la charge, je fis une rotation complète sur moi-même à grande vitesse, propulsais le bouclier de toutes mes forces dans ses tibias, et comme prévu… il chuta. Je l’assommais enfin avec le pommeau de mon épée... Enfantin !
Pour les trois suivants, je ne prétendais plus à gagner. Je les laissais essayer de me vaincre, mais le premier combat ayant été fade, j’étais las et n’avais plus l’intention de produire de grands efforts ou imagination pour triompher. Marco riait en suivant les mouvements, il se permettait de commenter : « Jolies parades Léopold, mais c’est quoi pour du boulot ? Allez mon vieux, un peu de gymnastique pour faire honneur au maître », mais je lui rétorquais que je n’en avais ni l’envie, ni le besoin, je me contentais d’assurer le service minimum, au détriment du spectacle peut-être, mais je restais efficace. Quant à mes adversaires, il ne restait que les premiers assauts et quelques passes tactiques qui m’intéressaient, mais leur jeu devenait vite ennuyeux. Après avoir observé l’adversaire et ses jeux, je laissais mon bras droit défendre toute ma personne, et comme d’instinct, il le faisait parfaitement. Lorsque j’en décidais, le combat était stoppé. Ils obtinrent chacun tout de même le temps qu’il leur aurait fallut pour me battre, mais non seulement, aucun n’en vint à bout, mais de plus, ils se retrouvaient dans une situation de victoire impossible. J’étais sidéré, étonné de moi, pareillement à une mécanique, mon corps était réglé au combat comme peut-être aucun autre. Même dans de si piteuses conditions, les réflexes au fond de moi ne m’abandonnèrent jamais, ils suppléèrent si bien la fatigue et ma douleur que je me permis de gifler en plein visage un de mes adversaires avec le plat de mon épée, tout en l’insultant pour son erreur : « Pauvre abruti ! Protège au moins ton visage si tu n’es pas foutu d’attaquer correctement ! »... Un observateur traduisit la remarque, et les spectateurs éclatèrent de rire tant le champion en question fut ridiculisé.
Après ces quatre duels, je décidais de l’homme qui m’avait fournit la meilleure impression, et le déclarais chef du marché. C’était peut-être la première fois qu’un homme devenait chef en perdant son duel, mais tous les germains se sont rendu compte que leurs meilleurs champions en pleine forme valaient moins qu’un empereur romain blessé, et c’est ce qui comptait. Le message était passé, leurs anciens chefs devenus esclaves, les nouveaux furent suffisamment subjugués par ma maîtrise des armes pour rendre allégeance de suite à mon autorité. Après ces combats, il devait être aux alentours de 10 heures du matin, et j’ordonnais qu’on nous rôtisse une vache sur la place et qu’on nous apporte du vin pour moi et mes compagnons, histoire de fêter nos victoires germaniques.
Après quelques cruches de vin, et alors que nous commencions tout juste à profiter de cette ivresse joyeuse, Rino se pointa dans la ville à la tête d’un petit bataillon d’une cinquantaine de guerriers. Ses armées étaient toujours entrain de parcourir les territoires dévastés à la recherche de nos nouveaux esclaves.
Il se dirigea droit vers moi en roulant des regards terribles à l’attention de Paskale, …s’il avait pu fumer de rage par les narines et les oreilles, on aurait eu droit au brouillard sur la ville… Il se contenait à grand peine et entreprit de me faire part de ses griefs à l’encontre du roi de l’armée romaine. Je lui laissais dire deux phrases avant de m’emporter dans une litanie de jurons que je ne reproduirais pas ici, et il fit silence. Alors, je lui déclamais tout de même l’objet de mon courroux : « Sacrebleu Rino, non mais t’as pété les plombs ou quoi ? On est où ici ? On est dans l’empire non ? Sur un territoire conquis depuis presqu’un an, pas vrai ? » Ce dernier acquiesca. « Alors, continuais-je, qui est le roi des guerres de l’empire ? C’est toi ? C’est Sérafino ? C’est Patrik ? Non, ce n’est ni toi ni eux mais Paskale ! Et lui seul est en droit de décider s’il y a lieu de mener une guerre, de la stratégie à entreprendre, et de faire appel à l’aide d’un autre roi tel que Marco, Patrik ou toi-même s’il le juge utile ! Paskale te demande de retirer tes troupes, tu retires tes troupes sans discuter son ordre, c’est clair ou bien il faut te l’expliquer autrement ? »
Oui mais nous avions décidé à Bâle que…, tenta-t-il de se justifier avant que je ne le coupe sèchement.
Ce que nous avions décidé à Bâle c’était que je lui ouvre des brèches dans les villes, qu’il mène la guerre comme bon lui semble, et que tu passerais nettoyer les territoires de ses habitants ensuite pour en faire des esclaves ! C’est tout ce que nous avions décidé à Bâle ! Tu as proposé ton aide, Paskale a décliné ton offre, point final. C’est quand même un comble qu’il doive lancer son armée contre les tiennes pour que tu comprennes enfin qui commande à l’intérieur des frontières de l’empire !? Et si Paskale se permettait d’aller s’amuser à guerroyer en dehors de l’empire pour te voler la vedette sur l’élargissement du territoire, il serait en tord et je te défendrais. Mais en l’occurrence, tu n’étais impliqué dans ce conflit qu’à titre d’aide technique pour capturer les survivants, précisais-je encore !
Oui mais avec notre retour en arrière, se justifia-t-il encore, les survivants auraient pu s’enfuir et nous échapper.
Alors là je n’en croyais pas mes oreilles : « Non mais tu débloques ou quoi, lui demandais-je ? T’as vu dans quel état on a laissé la région après notre passage ? Il ne reste que des cendres bordel de merde ! Tu crois vraiment qu’un clan ou un marché fidèle à Rome aurait donné asile à ces rebelles ? Ils les auraient capturés avant de nous les remettre, c’est une évidence. Alors arrête maintenant tes tentatives de justifications, tu n’en as aucune. Par ta faute, plusieurs centaines de femmes et d’enfants sont veuves et orphelins maintenant, et avant de partir vers une porte de téléportation aux frontières de l’empire que Pakale vous a gracieusement installé il y a quelques temps, tu rentres à Rome par cette porte-ci (on avait installé une porte mobile sur la place centrale de Stuttgart), et tu t’excuses auprès des veuves ! Ensuite, tu organiseras tes guerres d’extension, et Paskale ne viendra pas mettre son nez dans tes affaires. La discussion est close sur ce sujet. Combien d’esclaves tu as expédié à Rome ?
Mes armées ratissent encore les territoires, mais on doit être à plus de 120'000 maintenant, en comptant les femmes et les enfants.
Parfait, concluais-je, bon travail ! Et ah au fait, pendant que tu es à Rome, dit au gouverneur de nous préparer un triomphe sur l’avenue de la basilique, Paskale défilera avec toute l’armée romaine victorieuse, et je veux que le peuple soit là pour l’acclamer !
Rino l’avait sérieusement de travers, ça se voyait bien, mais toujours fidèle à la hiérarchie, il ne protesta pas, se contentant de demander : « Il vous organise ce défilé pour la fin d’après-midi ? »
Non, répondit Paskale, aujourd’hui on fête et on boit, demain en fin de matinée ça sera parfait, on aura la nuit pour dessaouler et nous présenter face au peuple frais et rasé.
Rino prit note et disparût par la porte.
Après la désignation du seigneur de Stuttgart, je laissais les guerriers décider de la succession pour les autorités de tous les clans rattachés au marché. Pendant que les champions organisaient de nouveaux tournois de successions pour notre plus grande distraction, nous terminions la vache. Les gouvernements de tous les clans de cette partie du monde furent changés. J’en profitais pour me remettre de mes efforts, boire à notre victoire, et faire soigner ce qui ne deviendra bientôt qu’une nouvelle cicatrice de souvenir.
A la suite de ces joutes et de la désignation des nouvelles autorités, qui avaient duré jusque tard dans la nuit, tous les nouveaux chefs de clans reconnurent leur appartenance et soumission à l’empire romain. Au matin, nous installions la porte de téléportation qui était provisoirement posée sur la place, directement dans la citadelle du marché de Stuttgart. En la franchissant, je me retrouvais directement par devant Rome, sous un soleil radieux. Les prétorians préposés à la garde de la porte de Rome m’accueillirent avec déférence, et je les informais qu’après le passage de toute l’armée romaine, ils allaient recevoir un joli paquet d’esclaves qu’il s’agissait d’encadrer correctement.
Toute l’armée romaine traversa alors la porte pour se présenter par devant Rome. La porte principale leur fut ouverte, et la foule se pressait sur tout le parcours pour acclamer nos guerriers. Toute l’armée défila sur leurs montures, tous les blessés incapables de monter ou de marcher étaient portés sur des civières, et ils eurent aussi droit à leur heure de gloire. Paskale ouvrait la marche, mais il avait mis sa petite touche d’originalité personnelle en s’installant sur un petit char, lui-même tiré par 6 seigneurs et chefs de clans vaincus, qu’il cravachait à l’envi. Derrière l’armée romaine, Marco et moi marchions avec nos unités. Ce fut un beau triomphe, le premier de la sorte à être organisé dans les murs de Rome depuis notre installation, et cela plût au peuple : Les victoires et la liesse.
Sur le soir, je retournais à Stuttgart par la porte, et ordonnais à tous nos prisonniers d’y entrer. Les anciens seigneurs, chefs, conseils et leurs familles de Stuttgart et de ses 54 clans alentours représentaient 2'700 esclaves supplémentaires de ceux qui allaient bientôt être envoyés par Rino. Notre petite intervention Germanique apporta ainsi plus de 60’000 mâles adultes pour nos besoins de main d’oeuvre à Rome, et en comptant les femmes et les enfants, nous devions avoisiner le chiffre de quelques 200'000 prisonniers. Ce n’était pas encore suffisant, mais avec nos campagnes d’agrandissement de l’empire qui débutaient un peu partout, je m’attendais à de futures arrivées massives d’esclaves.
Dans la foulée, et puisque les nouveaux chefs de Stuttgart semblaient bien décidés à se plier à notre juridiction, je demandais à la porte de changer sa destination d’atterrissage… Et là, comme pour celles installées à l’intérieur de Rome, la porte me répondit : « Léopold Paralamo, identification confirmée ! Empereur, vous pouvez choisir votre lieu d’arrivée » ! Je demandais alors de sortir au sommet de la grande croix, et lorsque la porte me confirma le changement de destination, j’entrais en enjoignant tous les nouveaux chefs de me suivre. Complètement éberlués, par le prodige, ils me firent confiance et s’engouffrèrent dans la porte.
Je leur fis découvrir Rome, depuis la croix et depuis les bulles. Ils en étaient époustouflés et deviendraient pour sûr de fidèles serviteurs de la cité.
Je profitais de ce succès diplomatique pour mettre en oeuvre mon système de gardiens de l’ordre. Ils furent choisis parmi les guerriers, qui quelques jours plus tôt étaient près à nous combattre. Barnabé avait pré-établi une hiérarchie dans leur organisation. Je les délivrais du devoir d’obéissance à leur chef pour qu’ils appliquent et fassent respecter les lois romaines à toute la population, y compris aux autorités. Comme prévu, les gardiens de l’ordre devinrent un organisme indépendant des prérogatives de leur clan, et en cas de tumulte, ils auraient l’appui de la nouvelle garnison romaine régionale, l’ancienne ayant été massacrée lors de mon premier passage à Fribourg en Brisgo.
Ceci fait, Rino et ses armées s’en furent aux confins de l’empire pour poursuivre leur campagne, tandis que je reprogrammais la porte pour une arrivée en dehors des enceintes romaines. Puis, je rentrais à Rome depuis cette même porte en ordonnant au nouveau seigneur de Stuttgart de veiller sur cette porte comme sur la prunelle de ses yeux !
Une fois à Rome, je laissais le soin aux sénateurs de gérer notre formidable lot de main d’œuvre, en leur demandant de les installer hors de murs de Rome, et de marquer chaque esclave au fer rouge sur le front, d’un signe de deux maillons qui se croisent, histoire de signifier leur appartenance prisonnière à l’empire. Cela limiterait sérieusement les risques de fuite, car sitôt identifiés par quelque clan que ce soit, les éventuels esclaves fugitifs seront immédiatement repris et rendu à Rome. Cependant, je donnais la charge à Barnabé de fixer leurs conditions de vie. Je tenais à ce que ces captifs aient droit à un minimum de dignité, et je savais que pour cela, je pouvais compter sur la bienveillance que le vice-gouverneur avait pour le genre humain.
Ceci fait, je fus invité par Sérafino sur un immense quatre mats romain qu’il avait apprit à manoeuvrer. Il ne fallait pas moins de deux cent matelots pour faire avancer ce navire, et malgré les vagues qui battaient la coque, nous ressentions à peine le roulis tant le navire était énorme. Pour chaque navire, Sérafino avait sélectionné deux capitaines, un principal et son second, qui tous avaient participé aux cours de Bartoloméo, le scribe ami de Barnabé. Il leur déchiffra tous les livres de marine et ils s’entraînèrent à mettre en pratique tous ces enseignements. Des équipages avaient également fait leurs premiers pas sur ces navires et d’ici peu, nous pourrions disposer d’une flotte phénoménale et opérationnelle. De la sorte, nous commencions sérieusement à étudier les premiers plans de mission de la flotte.
Nos réunions se déroulaient toujours dans l’hémicycle avec les 103 pères de l’empire présents à Rome ou leurs représentants s’ils étaient absents, plus Armadé, Marco et Barnabé.
Armadé avait pris quelques dispositions d’ordre, et durant mon absence, il ne cessa de voir arriver des colonnes de parias, traversant la basilique, pour disparaître dans leur pays d’accueil maudit. De plus, une grande quantité de femmes stériles nous étaient rendue en de bonnes dispositions pour la maternité.
Monié apparût à Rome durant mon absence et j’eus grand plaisir à le retrouver. Il souhaitait quelques richesses, mais je ne lui laissais emporter aucun joyau hors des murs. En lieu et place d’une récompense sous forme de trésor pour sa participation dans notre aventure, le grand marchand reçu un palais magnifique dans un grand parc de l’ouest de Rome, près de la mer.
Le conseil des pères devait maintenant statuer sur une éventuelle participation du marchand au pouvoir de l’empire. Il fut un élément important pour la réussite de notre épopée, et même s’il n’y avait pas participé personnellement, nos armes de marchand nous rappelaient sans cesse sa présence. Nous décidions donc que Monié aurait la tâche d’organiser tout le commerce romain, par mer et par terre, ce qu’il accepta avec enthousiasme. En guise de titre, je le sacrais roi du commerce impérial.
Nous parlions également des progrès de Sérafino et décidions d’entreprendre des découvertes. La première qui s’imposait d’emblée était de connaître les pays entourant la grande mer du sud. Sérafino reçu carte blanche pour organiser ces premières découvertes.
De notre côté, nous avions déjà reçu pas mal de commandants de garnisons de campagne ayant abusés de leurs prérogatives. Les suspects furent enfermés à leur arrivée, et nous devions débattre de leur cas au conseil. Le fait d’abuser de l’autorité romaine envers les autres était-il une trahison à l’esprit de la loi ? La réponse était oui. Toutefois, comme nous l’avait suggéré bien à propos Barnabé, nous avions établi l’esprit de cette loi alors que les commandants indélicats n’étaient pas à Rome et ne pouvaient donc pas la connaître..., et comme m’avait dit Paul la première fois que je fus devant lui, “Si tu ne connais pas nos lois, tu ne peux pas les respecter”. Je décidais donc d’être clément cette fois-ci en interprétant cela comme un simple abus de pouvoir de nos anciennes règles. Lorsque toutes les garnisons furent arrivées et les coupables séparés des innocents, j’organisais ce qu’on appela plus tard : « Le jour du grand châtiment ». Tous les responsables de crimes, viols, et autres exactions sur les populations des clans et des marchés furent réunis dans le Colisée pour recevoir le salaire de leurs forfaitures. Tous grades confondus, ils étaient 8'690 personnes.
Ils entraient dans le grand cirque par groupe de 500, escortés par des prétorians, pour y recevoir chacun trois douzaines de coup de fouet et une averse d’alcool sur le dos à la fin histoire de désinfecter... Le public venait observer pendant un moment ce triste spectacle, puis repartait, laissant la place à d’autres curieux. Il n’y avait rien d’intéressant à voir, pas l’ombre d’une joute ni d’un duel, il ne s’agissait que d’une monumentale punition qui se poursuivit tout au long de la journée et jusqu’aux dernières lueurs du jour. Quant à moi, j’assistais au châtiment jusqu’au bout, pour donner mon pardon aux groupes de 500 lorsqu’ils quittaient l’arène, le dos ensanglanté. Une fois pardonnés et ayant juré de modifier leur comportement, les coupables purent aller jouir de leur séjour à Rome au sein de leur famille, avant de réintégrer leur régiment pour de futures campagnes.
Politiquement parlant, je m’éloignais de plus en plus des pères sénateurs. Certains fils des guerriers morts durant l’épopée ayant atteint leur majorité siégeaient déjà au conseil, et sous la gouvernance d’Armadé, ils étaient à même de bien gérer la ville et l’empire. En fait, à part quelques fidèles que je considérais comme faisant partie de ma famille et qui avaient ma plus totale confiance, les autres me laissaient plutôt indifférents. Ceux qui avaient autorité pour parler en mon nom étaient Paskale, Armadé, Marco, et toi Barnabé. Je nourrissais aussi une affection particulière pour Monié, qui siégeait maintenant sur l’estrade des rois dans l’assemblée des pères sénateurs.
En définitive, le conseil se contentait d’émettre des propositions et autres suggestions, tandis que je détenais finalement un pouvoir sans partage sur eux-mêmes, et sur le reste du monde. Mes quelques fidèles suffisaient à faire respecter les lois que de plus en plus, j’élaborais seul ou en demandant conseil à l’un ou l’autre de ces proches, sans l’avis du conseil, qui ne faisait que prendre acte et avaliser mes décisions. Mes plus fidèles me côtoyaient encore journellement, tandis que les autres comprenaient qu’ils ne faisaient pratiquement plus partie du pouvoir décisionnel, se contentant de la gestion de l’empire. Personne ne contestait mes positions, sauf peut-être Armadé, qui pouvait me demander de mettre de l’eau dans mon vin, et toi, Barnabé. Vous disposiez tous deux des finesses intellectuelles dont je ne bénéficie peut-être pas. Les autres, hors de mon cercle d’amitié privilégié, me respectaient d’après la crainte ou l’admiration que je leur inspirais. Les pères les plus anciens n’avaient guère plus de 38 ans, sauf Monié et Armadé, et aucun n’était en mesure de me battre, même avec mon bras gauche diminué et mes multiples blessures. Cela était bon, car aucun d’entre eux n’avait l’idée incongrue d’abuser de son statut d’intouchable pour pervertir la loi. Je décidais alors de les faire juges de Rome et des affaires de l’empire qui pouvaient être portées jusqu’ici. En cas de mauvaise conduite de l’un des pères sénateur, je punirais sans état d’âme. Mon statut particulier n’était jamais discuté, et personne ne songeait à me faire une quelconque remarque quant à l’utilisation de mon pouvoir. C’était intéressant, mais je restais seul, entouré uniquement de mes amis les plus proches et de ma famille.
Depuis mon retour à Rome, je n’étais guère plus enthousiaste qu’auparavant aux longues réunions des pères sénateurs. Je préférais décider ce que j’avais à décider, parler peu, et quitter la salle du conseil au plus vite. Marco et Paskale n’étaient pas non plus très assidus à ces réunions, et nous nous retrouvions souvent ensemble. Depuis notre campagne en germanie, le tandem Marco-Léopold se transformait en trio avec Paskale.
Il me semble que ce n’est que depuis ce retour que je pris véritablement la mesure de ce que signifiait cette ville. Durant nos quelques jours en Germanie, tout ce que je vis ne fut qu’un pâle visage de l’humanité. Des villes et villages sales, désorganisés, mal construits, laids..., alors que Rome reflétait la plus haute forme de perfection des capacités humaines. Je repris mes balades habituelles dans les rues et les bâtiments de la cité, désormais presque vide de guerriers. L’impression que je ressentais était elle aussi étrange. Tout ce dont les humains avaient fait ici dépassait mon entendement. En lieu et place du splendide guerrier, je redevenais comme un enfant, émerveillé devant ces choses autrefois inimaginables et aujourd’hui sous ma responsabilité. Je pouvais être invincible par les armes, mais j’étais minuscule face à cet art. En général, peu de choses dans la vie m’impressionnaient, mais cette cité me subjuguait. Elle m’interrogeait aussi. Serais-je capable de recréer un monde à l’image de Rome ?
Depuis la découverte du palais des arts, où tout y était expliqué, une idée avait grandit en moi : le monde ressemblerait à Rome, d’une manière ou d’une autre. Deux semaines après mon retour de campagne, je réquisitionnais tous les scribes libres pour déchiffrer les plans et comprendre comment les romains avaient fait pour que de pareils édifices ne s’écroulent pas. Ils seraient chargés d’examiner les livres et constructions romaines, de relever les lois physiques qui font tenir ces masses, et d’enseigner cette science aux fils de nos guerriers qui ne seraient pas retenus dans l’armée. Les plus doués deviendront des maîtres constructeurs, pour s’en aller par la suite de part l’empire superviser les constructions que je me promettais d’entreprendre dans nos villes provinciales. Les villes romaines ne ressembleraient plus à celles du Grand Chaos.
Etant donné que nos garnisons de campagne et nos gardiens de l’ordre régionaux assuraient la sécurité et la paix de l’empire, les guerriers claniques n’avaient plus lieu d’exister. Les meilleurs combattants entreraient dans les forces des gardiens de l’ordre, les paysans resteraient paysans, et les guerriers traditionnels se convertiraient pour aider nos maîtres bâtisseurs à leurs constructions. Au lieu de faire la guerre et de détruire, ils bâtiront ! Ce statut devait être au moins autant considéré que celui du guerrier d’avant, car ce serait ces bâtisseurs qui changeront le visage du Chaos.
Chaque jour, en utilisant les portes de téléportation, j’allais voir mes armées sur le front du nord, de l’est et de l’ouest. Je passais quelques instants avec Rino ou d’autres généraux, m’informais de leur avancée et de la résistance des régions, donnais des avis ou prenais part de temps en temps à une attaque lorsque l’envie de me battre me submergeait. Nous recevions également un sacré flot de parias et d’esclaves de tous les coins de l’empire, qui arrivaient dûment escortés, au travers de notre porte extra-muros au nord de Rome. Le flot était parfois si important que les portes de départ se bloquaient en attendant que la porte d’arrivée se libère. Pour remédier à ces embouteillages, ce n’était plus une seule porte d’accueil mais dix, qui furent positionnées en dehors des murs. Les parias disparaissaient ensuite dans la crypte de la basilique, tandis que les esclaves étaient conduis sur leur lieu de labeur, en général dans les champs dans et hors de la ville. Pour surveiller ces esclaves, Armadé avait réquisitionné quelques milliers de guerriers faisant office de maîtres esclaves.
De plus, depuis le retour des garnisons de campagne qui furent relevées récemment par de nouvelles forces, et après la grande punition, je demandais à Armadé de faire vivre le grand cirque du Colisée. Je souhaitais qu’il soit utilisé tous les dimanches pour les tournois des jeunes et autres animations, afin que le peuple puisse se divertir et se retrouver. De mon côté, je promettais d’être présent dans l’arène régulièrement afin de dispenser mes compliments, conseils ou réprimandes aux jeunes guerriers, ainsi que jouter un peu avec ceux qui seront les plus remarqués. Cette annonce produit un bon effet sur la population de Rome et le spectacle fut au rendez-vous. Bien que je continuais mes petites promenades dans Rome avec Victorio et que je rencontrais toujours quelques familles, ces journées de divertissement me permettaient d’être en contact avec une grande partie du peuple.
En dehors de la ville, mes armées avançaient, étendaient l’empire sans moi, les voies de communications se sécurisaient, et le monde, comme la vie des hommes, changeaient chaque jour. Les villes sur le passage des armées tombaient à nos pieds les unes après les autres, et leurs chefs recevaient souvent l’autorisation d’utiliser une des portes réparties dans nos armées pour venir voir la cité et me rendre hommage. Je les accueillais avec bienveillance, les prétorians les guidaient pour un voyage en bulle et on les renvoyait chez eux. L’empire se vidait des parias qui disparaissaient tous par la porte sans retour dans la basilique. Les seules qui revenaient étaient les femmes infertiles qui nous étaient rendues guéries presque aussitôt ! Mais elles ne nous étaient d’aucune utilité pour obtenir des informations sur le pays des parias, car aucune ne voyaient rien durant leur bref passage de l’autre côté. Tout au plus, certaines gardaient le souvenir d’une grande lumière, avant de perdre connaissance, pour ne retrouver leurs esprits que face à une porte qu’on les poussait à franchir immédiatement.
Nos écoles d’artistes et de bâtisseurs étaient pleines de jeunes, ils apprenaient à lire, à écrire, à construire,… le monde se préparait activement à muer, et c’était encourageant pour la suite. Le souverain pontife avait bien souligné que l’art était l’expression visible de la supériorité de l’homme sur l’animal… Les animaux se battaient, et comme eux, je ne savais que me battre et faire la guerre. Je ne pouvais pas bâtir une nouvelle civilisation en partant uniquement du principe de la force. Ce mode de pensée avait toujours été appliqué dans le Grand Chaos. Au contraire, je devais innover et ne pas construire qu’une juridiction, mais aussi une nouvelle manière de voir la vie, et de récompenser la grandeur de l’esprit humain autant que la force. Néanmoins, tout ce que j’avais appris était à l’opposé d’une telle doctrine. Je voulais bien privilégier l’art et la culture, mais moi-même n’étais qu’un guerrier, célèbre peut-être, mais qu’un guerrier. Cela faisait partie des sentiments très mitigés que me laissait cette ville. D’un côté, j’étais heureux d’avoir Rome, d’être le premier guerrier à réveiller le chaos pour l’organiser. Mais d’un autre, du haut de sa splendeur, la ville me regardait comme un insecte. Rome reflétait tout ce dont j’étais incapable. En quelques sortes, lorsque j’étais ici, je ressentais comme une gêne personnelle, et, lorsque ce malaise persistait un peu trop, je fuyais la ville par une des portes pour me retrouver dans mon milieu naturel : un champ de bataille en quelque part dans le monde, en compagnie de mes armées.
L’idée de partir en exploration avec Sérafino et ses navires n’était pas non plus pour me déplaire. A vrai dire, l’exploration maritime à une telle échelle était une nouveauté totale pour nous. Nous n’avions aucune idée de ce que nous trouverions de l’autre côté des mers. Il y avait bien les cartes romaines, mais elles ne nous indiquaient rien quant aux peuplades vivant dans ces contrées.
A l’époque de cette première exploration, j’allais sur mes 27 ans et j’eus l’heureuse surprise de devenir père une nouvelle fois juste avant notre départ. C’était un troisième fils, et je le nommais Paul, en l’honneur de cette ville où il fut conçu peu de temps après l’arrivée de Sabrine. C’est sans doute le premier véritable Romain conçu et enfanté à Rome après notre prise de la ville. Ma satisfaction était donc totale et le petit Samuel, qui grandissait, manifestait son envie de partir en mer avec nous. Mais il était encore trop petit pour ce genre d’expédition, et tous mes espoirs étaient fondés sur Victorio qui embarquerait avec moi, et qui devait prendre les reines de l’empire à ma mort. Victorio était un extraordinaire petit guerrier de bientôt 12 ans, ayant déjà assimilé les grandes stratégies et manoeuvres de troupes durant nos campagnes. Il savait également lire et écrire les signes de Barnabé, et se montrait brillant autant dans sa capacité à combattre que dans son intelligence. Nous parlions souvent ensemble, et il savait déjà quelles seraient ses responsabilités plus tard : étendre l’empire sur le monde entier, le civiliser, et rester digne en attendant le retour du pape. Le seul handicap de Victorio était peut-être un léger manque de charisme, d’autorité, et de confiance en lui. Mais je ne m’en formalisais pas trop, car moi-même, à son âge, je ne vivais que de frustrations et du rejet de la part des enfants de mon âge qui me détestaient. Je n’avais non plus aucune autorité, ni même une grande confiance en moi, étant donné que je perdais tout le temps.
Armadé avait 47 ans, et à cet âge, on n’est jamais à l’abri d’un coup du sort. Ainsi, lors d’un tournoi dans les arènes du Colisée, je confirmais Barnabé dans son rôle de second gouverneur de Rome face au public, qui l’acclama comme tel. Ainsi, si père venait à décéder durant notre absence, le scribe reprendrait la gouvernance de la ville et nous étions certain d’y retrouver bon accueil à notre retour. De plus, cher Barnabé, tu as toujours fait preuve d’une grande sagesse, intelligence et pragmatisme. Je savais qu’en cas de disparition de mon père, la ville se retrouverait entre bonnes mains, car tu me semblais bien plus à l’aise dans ces nouvelles choses savantes, dans la gestion d’affaires que dans les conquêtes. Ce titre de second gouverneur était en outre un hommage visant à promouvoir la culture, l’apprentissage des signes, des choses de l’art et des sciences. Tout ce que tu avais fait, Barnabé, fut utile à l’élaboration de notre monde.
Cela me permettait de partir en exploration avec Sérafino, tout en étant sûr de voir les portes de ma ville ouvertes à mon retour, bien que nous embarquions toute une série de portes téléportatives. Nous pourrions de ce fait rejoindre n’importe quel lieu dans Rome, mais je préférais savoir le gouvernement fidèle et solide, secondé par leur bras armé, Guerart et tous ses prétorians.
Pour ce qui concernait Jo, je l’obligeais à faire partie de l’équipage d’un des bateaux. Je ne voulais pas d’histoires de famille dans Rome en mon absence. Cela me permettait également de l’avoir à l’oeil, car depuis sa répudiation, je pouvais logiquement douter de sa fidélité. Les nouvelles de mes troupes en campagne étaient bonnes, les victoires se succédaient, les gardiens de l’ordre commençaient à s’organiser, j’avais pris toutes les précautions, et je pouvais partir.
Sérafino était prêt avec 22 capitaines, 22 seconds, et 22 équipages de guerriers aguerris aux métiers de la marine. Cela représentait déjà une force de 3’500 guerriers-matelots. Bartoloméo, le scribe qui avait déchiffré les enseignements de marine à ces hommes, avait prit la surveillance d’un chantier visant à construire de nouveaux navires selon les plans romains.
Quant à Marco, compte tenu de son âge, 63 ans, je lui avais proposé une gentille retraite en quelque lieu qu’il désirait, se contentant d’un rôle de conseil pour les généraux sur les différents fronts, car il avait reçu autorité pour actionner, programmer et modifier les destinations de toutes les portes qu’il souhaitait. Comme je l’avais imaginé, il refusa net ma proposition, et opta pour la croisière en notre compagnie. En plus des 3'500 guerriers-matelots, il fit embarquer son unité des milles avec leurs mille chevaux dans les navires…
Sérafino fit larguer les amarres des 22 navires, et nous sortions du port le 14 juin de l’an 6. La première étape était de rejoindre un lieu que les cartes romaines nommaient “Grèce”. A l’aide de boussoles et autres moyens techniques que les romains avaient laissé comme matériel de navigation, nous décidions d’un lieu de rendez-vous au cas où nous nous perdions de vue en mer. Chaque capitaine disposait de copie des cartes romaines. L’aventure pouvait commencer.
La croisière se déroula calmement. Nous descendions tout au sud de la péninsule, passions entre l’île de Sicilia et l’Italie, et traversions la petite mer jusqu’à la Grèce. Nous vîmes là quelques tribus de territoires non encore soumis, terrorisés par notre flotte. Sérafino avait été d’avis de diviser la flotte en deux. Une dizaine de navires partiraient inspecter les territoires plus à l’ouest, vers ce qu’ils nommaient Espagne, et une autre dizaine partiraient inspecter les territoires de l’est comme la Grèce. Moi, j’étais d’avis de garder une force toujours supérieure à l’ennemi. Ce qui fut jusqu’ici une stratégie payante. La flotte entière avait donc pris la route de l’est et nous avions l’intention de longer les côtes afin de nous approvisionner régulièrement, et faire aussi quelques découvertes à l’intérieur des terres.
Une crique à l’ouest de la Grèce nous incita à jeter l’ancre. Des peuplades de villages et clans vivaient là, sur une terre généreuse et fertile, mais encore plongée dans le chaos. Ils furent impressionnés de notre arrivée et ne lancèrent pas l’assaut. J’envoyais un émissaire dans un clan, demandant à voir le chef du marché ou le seigneur d’une quelconque ville. On nous guida sur la ville de Patra.
Patra était un grand marché en bordure de mer et nos 22 magnifiques navires représentaient un déploiement de force maritime à même d’impressionner suffisamment le seigneur de Parta pour l’intimider. Mes hommes n’avaient pas l’autorisation d’entrer dans les murs de la ville, mais mon escorte personnelle pouvait m’accompagner. Cependant, lorsque Dyonisoski, le seigneur de la ville, apprit que mon escorte personnelle se composait de mille et quelques hommes, il refusa de me laisser entrer. J’inversais alors la proposition. Je l’invitais à monter sur mon navire amiral avec tous les hommes qu’il désirait, et il accepta.
Lorsqu’il fut face à moi, je tentais de lui expliquer avec qui il se trouvait : son futur souverain. La communication était toutefois difficile car nous parlions deux langues différentes, et ce n’est que par des signes que nous pouvions espérer communiquer. Il était visiblement intrigué par nos techniques de navigation, mais faisait mine d’être offusqué par ce que qu’il avait cru comprendre de ma part. Je l’emmenais alors dans ma cabine, où trônait une porte, et la traversais une fois pour revenir de suite face à Dyonisoski. Il fut stupéfait par ma disparition et réapparition, et lorsque je lui fis signe de la traverser en ma compagnie, il demanda tout de même à deux de ses guerriers de le suivre. Nous passions alors l’un après l’autre au travers du miroir pour nous retrouver sur le lieu d’atterrissage que je venais de programmer, à savoir : au sommet de la croix. Je montrais alors à ce chef ma cité, celle qui rayonnera bientôt jusque chez lui, et qu’il avait intérêt à être coopératif d’emblée. Enfin, j’entrais avec lui dans le cercle. Ses deux gardes nous virent disparaître, mais ils étaient déjà tout émotionnés par le passage de la porte. Ils entèrent eux aussi dans le cercle et disparurent. Après une visite de la ville, notre bulle fonça droit sur la ville de Patra. Nous vîmes mes 22 navires amarrés non loin du marché, à nos pieds. La bulle prit alors de l’altitude et se dirigea vers le nord. Nous voyons des clans et villages défiler au dessous de nous, et soudain, apparût une grande fumée au loin. Nous approchions de cet incendie. Un marché brûlait alors que des habitants étaient transformés en torches vivantes, d’autres sortaient par tous les moyens, se jeter dans les bras des mes armées de l’est, sous commandement de Francisco Valenti, un bon général de la deuxième heure. Nous nous trouvions à l’intérieur de la ville en feu. Les flammes tournoyaient autour de nous sans jamais entrer dans la bulle, ni la chauffer.
Ensuite, nous sortîmes pour voir mes armées récupérer les futurs esclaves. Mes hommes n’étaient pas bien loin de la Grèce, et Dyonisoski voyait bien qu’ils marchaient droit sur lui. Il connaissait ainsi le sort réservé aux résistants, et nous pouvions dorénavant traiter en de meilleures conditions. La bulle nous ramena ensuite au sommet de la croix de Rome. Les deux gardes revinrent directement après nous. Nous franchissions à nouveau la porte pour nous retrouver dans mon navire, à Patra. Le seigneur et ses gardes en étaient tout déboussolés, mais ils me semblaient maintenant mûrs pour comprendre que toute résistance à l’avancée de nos armées serait futile. Dyonisoski me donna alors des gages sur sa future collaboration, m’indiquant que mon général Francisco Valenti serait bien accueillit.
Je crus comprendre aussi qu’il souhaitait attirer mon attention sur un phénomène spécial, mais je ne pouvais rien comprendre de plus, sans une traduction digne de ce nom. Je programmais alors ma porte pour une destination vers le général Valenti, qu’on venait de voir depuis la bulle. En un instant, j’apparus sous la tente de commandement où sa porte était gardée, et un des garde alla chercher le général qui arriva aussitôt. Je l’informais que le Seigneur de Patra, plus au sud, l’accueillerait avec bienveillance, mais qu’il me fallait un interprète pour mieux communiquer avec ce Seigneur Grec. Valenti put me proposer un marchand du coin qui parlait italophone et grecophone. Nous retournions ensemble dans mon navire, et Dyonisoski m’informa alors que le phénomène spécial existait depuis environ un an et demi à l’ouest de sa ville. Lui-même n’avait jamais vérifié de visu cette anomalie, mais la rumeur disait qu’un territoire entier était devenu inaccessible, une sorte de barrière invisible repoussait tout être vivant tenté de pénétrer le domaine.
Nous devions donc découvrir de nous même ce territoire interdit, et laissions Patra et ses clans aux bons offices du général Valenti. Nous ne tentions pas de soumettre qui que se soit pour l’instant, notre mission était simplement de découvrir ce qui sera bientôt intégré à l’empire, ainsi que positionner des portes avec leurs gardes attitrés dans divers endroits du monde. Nous voguions toutes voiles dehors vers l’ouest. Après une journée de traversée, nous jetions l’ancre sur le soir face à un petit village côtier, qui nous ouvrit ses portes sans offrir de résistance. Nous avions eu de la chance d’avoir déniché cet interprète qui nous était d’une grande utilité pour comprendre ces peuplades, car le clan que nous abordions en savait long sur ce nouveau phénomène. La plupart d’entre eux n’étaient d’ailleurs pas originaire de ce lieu, mais d’autres clans issus d’une vallée de l’ouest, à un jour de marche d’ici.
Ils nous racontèrent qu’il y avait un an et demi, une sorte de manifestation de Dieu les repoussèrent de leur vallée. Quant à la forme que prenait cette manifestation de Dieu pour les repousser, ils ne surent répondre que par des propos insensés : une sorte de boule liquide sans liquide se forma un beau jour dans leur vallée. Au début elle était toute petite, de la taille d’un grand fromage, mais elle grandissait un peu plus chaque jour, devenant immense. Tous ceux qui s’aventurèrent à tenter d’entrer dans la boule ressortaient au pas de course. D’aucuns témoignaient que lorsqu’ils s’étaient aventurés dans ce liquide, ils commencèrent à suffoquer sans réussir à aller jusqu’en son centre. La boule n’avait pas cessé de grossir, elle englobait aujourd’hui des clans et villages entiers, faisant fuir tous les habitants à mesure de son étalement dans la vallée. Lorsqu’elle eu englobé toute la vallée, elle arrêta sa croissance. Les habitants construisirent alors de nouveaux villages, leur pays étant peu peuplé, ils n’eurent pas de peine à se réinstaller en dehors de leur vallée, la boule liquide interdisant tout accès à leur ancien clan. Ils racontaient que dans cette vallée, le marché principal se nommait Athèn, et comptait plus de 20’000 habitants, avant la fuite complète des Athéniens lors de l’avancée du phénomène. Personne ne savait ce qu’il y avait dans la boule, même si quelques intrépides s’y étaient aventurés, ils avaient eu tôt fait de ressortir suite à la de suffocation que le phénomène provoquait.
Nous consacrions la fin de la soirée à sortir nos chevaux des navires, et installions un campement sur la rive, face à notre flotte. Tous les marins de Sérafino restaient à bord, tandis que Victorio, Marco, l’interprète et Jo, accompagnés de nos unités, avaient mis pied à terre pour tenter de percer ce mystère dès le lendemain.
Au point du jour, après une nuit sans histoire, nous nous mettions en branle avec le chef du clan qui avait justement fuit ce marché d’Athèn engloutit par le phénomène. En début d’après-midi, alors que nous chevauchions en rase campagne en montant légèrement sur un relief du terrain, nous vîmes tout à coup surgir devant nous comme un monumental mur d’eau. Nous ne voyons pas la fameuse vallée au travers de cette bizarrerie, mais cette chose tout à fait surnaturelle engloutissait bel et bien un immense territoire. Cette énorme bulle d’eau était parcourue de petites vaguelettes sous l’effet du vent, et lorsque Victorio envoya une pierre au travers de la chose, des cercles concentriques apparurent autour du point d’impact, exactement comme si la pierre était tombée dans un lac.
Je plongeais alors ma main dans cette espèce de mur d’eau, mais n’en ressentis aucune humidité. Cependant, lorsque je tentais de faire pénétrer mon cheval au travers du phénomène, à peine avait-il mit le museau dans ce liquide sans eau qu’il fit marche arrière en poussant un grand hennissement. Je m’aventurais alors à pied dans cette muraille inconsistante. Une fois passée la façade de semblant d’eau, j’y trouvais une sorte de brume flottante, tout de même assez dissipée pour qu’on puisse y voir à une vingtaine de pas, mais la chose qui choquait immédiatement l’organisme, c’est qu’il n’y avait là plus d’air, on pouvait bien essayer de prendre une inspiration, rien ne venait, comme sous l’eau, la respiration y était tout simplement impossible ! Après cette inspection, j’en ressortis en faisant part à mes hommes de mes observations, à savoir que cet étrange liquide sans eau empêchait la respiration comme si l’on se noyait, mais sans se mouiller. Au bout d’un moment, lorsque la suffocation nous envahit, il faut en ressortir sous peine de mourir d’asphyxie. Je restais toutefois persuadé que cette bulle monumentale n’était pas vide d’air, et que ce vide n’était qu’une barrière de lisière pour empêcher les curieux d’aller voir ce qui se tramait au centre de la bulle. En somme, l’apparition de cette bizarrerie correspondait exactement à notre entrée dans Rome, ce qui me laissait à penser que la civilisation des papes y était pour quelque chose.
Je demandais alors s’il y avait un volontaire pour entamer un pas de course au travers de ce phénomène pour tenter de rejoindre l’autre côté, et revenir nous donner des informations. Jo se porta volontaire immédiatement, et sans attendre mon assentiment, il prit son élan pour disparaître dans la grande bulle à pleine course. Ma rancune contre lui s’était atténuée au fil du temps, je ne lui en voulais plus, au contraire, je regrettais parfois ma dureté à son encontre pour la simple perte d’un duel. Dans ces moments, je m’en voulais de l’avoir affublé d’un nom pareil « Jo Lesecond »…, je me souvenais que durant mon enfance, il fut un bon grand-frère et mon seul ami, et c’est bien grâce à son aide que je pus enlever Sabrine dans des conditions acceptables. Oui, du haut de mon invincibilité, je sentais que j’étais devenu dur et intraitable avec des proches qui montraient des faiblesses, mais mes regrets me prouvaient que j’avais encore un cœur, et là, ayant vu Jo disparaître avec autant d’entrain dans cette chose, je me disais que j’aurai grand-peine s’il ne revenait pas ! Il fallait que Jo revienne pour que puisse le réhabiliter un peu !
Après un moment qui paru bien long sans souffle, il ressortit du phénomène en reprenant une grosse respiration, comme si on lui avait maintenu la tête sous l’eau trop longtemps. Je descendis de mon cheval, tapota dans le dos en l’enjoignant de respirer à fond, et le remerciais pour l’effort, même si entre deux respirations, il arriva à haleter : « couru 60 enjambées, … rien vu, … ai fait demi-tour… ».
C’est ce moment que je choisis pour annoncer la vérité à mes unités d’élites. Je saisis Jo par l’épaule, saluais son courage, puis regardais Victorio en disant :
Fils, je te présente ton oncle, Jo,… puis, je tournais mon regard vers mes hommes en leur disant : - Guerriers, je vous présente mon frère aîné, Jo Paralamo. Les guerriers saluèrent en levant leur épée,… et enfin je regardais Jo les yeux dans les yeux en m’adressant à lui de la sorte : - Frangin, je te prie de bien vouloir excuser ma rudesse, et te remercie pour l’amitié que tu m’as portée tout au long de mon enfance !
Jo était plus petit que moi, je le serrais sur mon torse lui donnant l’accolade d’amitié dans le dos. Pendant ce temps, il me glissa la gorge nouée par l’émotion : « Petit frère, c’est bien toi le plus grand, j’ai failli et tu m’as rendu la monnaie de ma pièce, je t’ai toujours admiré et je n’ai jamais su comment me racheter à tes yeux, merci pour ton pardon ». Après avoir dit cela, je vis qu’il luttait contre une certaine émotion en réfrénant une poussée de larmes qui lui embuaient les yeux, alors je déclarais d’une voix forte :
A partir d’aujourd’hui, si j’en vois un qui lui manque de respect, je le tue sur-le-champs !
C’est Marco qui interrompit cette petite minute de sensibilité en proclamant :
Tout ceci est fort bien, mais on n’est pas ici pour assister à de grandes réconciliations familiales ! On est ici pour découvrir ce qu’il y a de l’autre côté de ce mur sans air ! Radic, prêt à accomplir ton devoir ?
Marco ne s’adressait pas à un homme de son unité des mille, mais directement à un de ses anciens mercenaires constituant dorénavant ma faction personnelle. Le dénommé Radic sortit des rangs et répondit simplement : « Toujours prêt Maître ! ». Puis, il descendit de cheval, s’approcha de la monture sur laquelle se trouvait Marco Fallacio, et lui parla ainsi : « Au cas où on ne se reverrait plus, sache Seigneur, que ce fut un immense honneur que de servir sous tes ordres ! » Radic baisa l’épée présentée par Marco qui lui dit juste : « Ce fut un plaisir de t’avoir à mon service, … va maintenant ! »
A part Marco et ses anciens mercenaires, personne ne savait vraiment ce que Radic allait faire, mais avant de s’élancer dans le mur sans air, il se tourna vers moi et me lança : « Gloire à toi chef, c’est avec fierté que j’ai œuvré à tes côtés ces dernières années ! » Je saluais, puis l’homme respira plusieurs fois bruyamment, avant de gonfler ses poumons d’air, et s’élancer au travers de cette sorte de bulle.
Après son départ, je demandais à Marco pourquoi une telle solennité avant cette tentative de Radic ? Le Seigneur de guerre me répondit : « Parce que Radic ne s’intéressera pas de savoir s’il aura assez d’air pour revenir, il accomplira sa mission en passant de l’autre côté,… ou il mourra. »
Alors l’attente, angoissée, commença…, et dura… dura… dura. Après un quart d’heure, l’affaire était claire : soit il était de l’autre côté, soit il était mort !
Après une bonne demi-heure, deux hommes sortirent de la muraille d’apparence liquide sur leur cheval. Ils traînaient derrière eux un brancard sur lequel Radic était étendu, sans connaissance. L’un des hommes nous dit alors : « Votre ami reprendra conscience dans quelques instants. Nous sommes désolés, mais vous ne pouvez pas pénétrer à l’intérieur de cette enceinte, ceci est une propriété privée ! ». Suite à quoi, ils firent demi-tour et pénétrèrent à l’intérieur de ce qui semblait toujours être un mur d’eau, avec leurs chevaux, qui ne semblaient nullement incommodés par le manque d’air !?
Notre guerrier était bel et bien vivant, et je connaissais maintenant en partie le secret de cette énigme : Les deux personnes nous ayant rapporté Radic étaient des gardes du pape, reconnaissables à leurs uniformes étranges fait de morceaux de tissus jaunes et bleus !
Je donnais l’information, en indiquant que nous ne chercherions plus dorénavant à pénétrer les mystères de la civilisation des Pontifes ; puis, Radic revint à lui. Il nous informa qu’il se souvenait avoir parcouru plus de 150 enjambées à pleine course pour finir par se retrouver de l’autre côté des brumes et du vide d’air. Il avait eu le temps d’observer la vallée avant de perdre étrangement connaissance. D’après lui, la vallée était une fourmilière d’hommes s’activant en tous sens, construisant sans doute une immense ville. C’est tout ce qu’il put distinguer, car ensuite, il s’endormit pour ne se réveiller qu’une fois de retour auprès de nous.
Ce genre de phénomène était donc une sorte de magie-scientifique romaine, et nous décidions de passer notre chemin.
De retour sur les navires, nous approchions de la vallée d’Athèn, mais la bulle de semblant d’eau envahissait aussi la mer. Nous étions tenus à distance des terres et ne pouvions jeter l’ancre. La muraille immatérielle s’arrêtait au sortir de l’anse que les villageois réfugiés de l’autre côté de la vallée nommaient “Pirée”. Nous pouvions contourner la boule, mais elle bouchait tout accès à la région entière...
Je savais que j’avais devant moi une région que jamais je ne pourrais soumettre à ma juridiction et c’était étrange. Il devait toujours y avoir un point faible, une brèche d’entrée comme le fleuve de Rome. Mais ici, il ne semblait y avoir aucun moyen ni d’entrer ni de sortir de cette boule… sauf peut-être par les cieux ? Les suppositions pouvaient me laisser penser que les romains du pape créèrent cet espace pour les parias,... “Un lieu où je ne les trouverais jamais et d’où ils ne pourront plus nous atteindre”, selon les termes du pape. Mais ce n’était qu’une supposition, car aucune vérification n’était possible!
Les peuplades de ce pays vivaient selon le même mode que nous, dans un système clanique. Toutefois, leur pays était peu peuplé et nous pouvions traverser de grandes étendues sans rencontrer âme qui vive. Nous reprenions donc la mer, toujours en direction de l’est. Nous croisions au large des côtes Grecques, pour déboucher, après quelques jours de navigation calme, sur un détroit qui rejoignait une autre mer au nord. Nous ne nous aventurions pas dans celle-ci mais continuions notre découverte des rivages de la grande mer.
Le 15ème jour de traversée, alors que nous faisions toujours route vers l’est, nous nous retrouvâmes sous une grosse tempête. Trois de nos navires firent naufrage. Trois cents membres d’équipage furent portés manquants tandis que nous récupérions les autres. Cela provoqua en moi une violente colère. Trois navires de perdu, et pas des moindres: deux trois mats et un des fleurons de notre flotte, un immense quatre mats. Je m’en prenais à Sérafino, lui reprochant le manque de préparation des capitaines. Pour la première fois depuis notre départ, nous avions à affronter quelques conditions climatiques plus difficiles, et il n’a fallut qu’une première nuit de tempête pour amputer ma flotte de trois navires ! C’était inadmissible et je menaçais immédiatement Sérafino de le juger personnellement, une fois de retour à Rome, si une telle débâcle se reproduisait avant la fin de notre périple. Cette première remontrance fit office d’avertissement.
J’avais bien entendu vu l’ampleur du grain, l’impossibilité de mouiller l’ancre, et nos navires déportés par la houle en pleine nuit. Je ne voyais pas ce que les capitaines pouvaient bien faire pour tenir à flot sur une telle mer. Mais je me disais que si les romains du pape avaient construits ces navires pour traverser les océans du globe, ce n’était pas en faisant du cabotage côtier qu’il fallait commencer à les perdre !
Devant mon courroux, Sérafino passa la journée à rassembler tous les navires dans une crique, où nous pûmes tous jeter l’ancre en côte à côte. Tous les capitaines, seconds et officiers furent convoqués sur le navire amiral.
Sérafino les accueillit avec des compliments pour leur sang froid ainsi que de s’en être sortis du grain. Cependant, parmi les quelques 400 naufragés que nous avions retrouvé au matin, dérivants sur des morceaux de bois ou en chaloupe pour certains, il y avait un capitaine et deux seconds, qui n’avaient pas péris. Ceux-là m’intéressaient vivement.
Mais c’est Sérafino qui les interrogea, utilisant des termes marins que je ne connaissais pas. Il était question du maniement du navire avant le naufrage. Je trouvais qu’il était bien trop poli avec ces espèces de pirates ! Mais après mon indignement et mes menaces de jugement en privé, je ne voulais pas brusquer le roi des mers en public. Je le laissais donc poursuivre son interrogatoire technique.
A la fin, il donna son verdict et c’est ce qui m’intéressait. En fait, le capitaine et un premier lieutenant furent déclarés coupables d’erreur de jugement. L’autre premier lieutenant semblait avoir agit justement, mais il mit en évidence la panique des membres d’équipages qui n’ont pas pu suivre correctement les ordres, ce qui les a mené au naufrage. Après interrogation d’un autre officier naufragé, Sérafino arriva à la même conclusion. Les ordres avaient été corrects, mais les marins, terrorisés par ce premier grain nocturne, avaient faillit à leur devoir d’obéissance. Il y avait 157 rescapés de ce navire, tous coupables de désobéissance. Sérafino donna alors sa sentence devant tous les autres officiers des navires saufs :
- Le Capitaine Mendolo et le premier lieutenant Fratilliano, qui ont fauté, recevront trois douzaines de coups de fouet et seront exclus de la flotte.
- Le premier lieutenant Gilbetter, qui n’avait pas su se faire obéir par ses subordonnées sera rétrogradé au sein de la marine, à un poste d’où il n’aura plus d’ordres à donner.
- Les 157 marins coupables de désobéissance recevront tous trois douzaines de coups de fouet et seront banni de la flotte. En attendant leur retour à Rome, ils occuperont des tâches de maintenance sans incidence sur la navigation.
Le jugement me convenait, mais Sérafino me laissa juger du sort que je leur réservais une fois à Rome. Encore tout fulminant de la perte de ces navires, j’étais bien tenté de répondre qu’ils passeraient tous par la porte des parias pour trahison. Mais je décidais de faire preuve de mansuétude pour les subalternes.
Les 157 marins étaient tous, avant d’être marins, d’excellents guerriers que Sérafino avait sélectionnés au préalable.
Je jugeais donc ainsi:
- Le capitaine Mendolo et le 1er lieutenant Fratilliano: déclarés coupables de trahison à la confiance que leur portait Rome. Ils prendraient dès ce jour le statut de parias et seront mis aux fers jusqu’à notre retour.
- Les 157 marins furent déclarés coupables de panique face à un élément naturel. Ils ne devront donc plus affronter cet élément et réintégreraient l’armée de terre en campagne.
- Le premier lieutenant Gilbeter avait fait preuve de bonne appréhension de la mer. Il continuerait dans la flotte, en subalterne, comme l’avait dit Sérafino, et cela me convenait tout à fait.
Tout le monde en fut soulagé et ils supportèrent leur punition avec bravoure. Sauf peut-être les deux nouveaux parias. Mais c’était un bon exemple pour les autres capitaines qui auraient la mauvaise idée de perdre un de mes navires, sans compter les trois cents matelots-guerriers disparût corps et biens.
Sérafino passa ensuite toute la journée à répéter avec tous les officiers les enseignements en cas d’urgence que Bartoloméo leur avait enseigné. Ils prirent bien conscience que leur situation les mettait à la tête d’un bien immense légué par le pape, et sous ma surveillance !
Le lendemain, nous reprîmes la mer. Le paysage ne variait pas beaucoup. Partout, il y avait des prés biens gras, des forêts, des plages, mais peu de villes. Ces territoires ne devraient pas être difficiles à conquérir. Nous nous arrêtions parfois pour chasser une bête ou l’autre. Ces terres regorgeaient de bêtes en tout genre. Entre les gazelles, gnous, girafes et zèbres, nous avions de bonnes chances d’attraper de quoi manger. Ces animaux n’existaient pas dans les Alpes, mais on en trouvait déjà à Tourini. Quant aux prédateurs, il m’arrivait à m’aventurer à chasser un lion ou autre tigres, pour le trophée ! Nous retardions un peu notre voyage par nos descentes à terre, mais cela nous donnait l’occasion de connaître ces nouvelles contrées et les gens qui l’habitaient. En fait, toute cette immense région semblait vraiment peu peuplée, et le territoire conquit par l’espèce animale. Ce ne fut plus le cas après une trentaine de jours de navigation.
Nous abordions tout à coup un lieu bien mieux organisé. Un port de pêcheur précédait une grande ville côtière et les clans aux alentours étaient nombreux. Il s’agissait de la ville de Damas, bien à l’est de la Grèce. Je reçus le magnifique seigneur de Damas sur mon vaisseau, mais nous ne trouvions aucun marchand qui parlait soit Italien, soit Grec, soit Français. La conversation fut donc limitée à quelques signes avec ce grand seigneur, qui avait véritablement un port et une stature de grand chef de région. Je lui fis comprendre que mon nom était Léopold Paralamo, tandis qu’il se prénommait quelque chose comme Cheik Assim ben Yousef. Je l’emmenais alors à travers la porte et lui montrais Rome du sommet de la croix avant de passer avec lui dans le cercle. Il eu quelques mouvements d’inquiétude au décollage de la bulle, mais je lui fis signe qu’il n’y avait aucun danger. Puis, lorsqu’il fut calmé et que la bulle descendait au dessus des palais, je lui indiquais que c’était ma ville, qu’elle s’appelait Rome, et que Rome et Damas seraient bientôt ensembles. Le seigneur était trop stupéfait du voyage pour répondre. Mais lorsque nous retournions dans le navire face à sa ville, son trouble cessa et il nous accueillit tous avec bienveillance.
Depuis Damas, la région était bien plus peuplée que celle visitée précédemment. Toutefois, nous étions arrivés au bout de la mer, là où elle vire vers le sud. Au 38ème jour, nous trouvions une grande ville qui s’appelait Tel Avif. Je fus reçu, mais la conversation resta très limitée. Le seigneur de cette ville, visiblement informé de notre arrivée par celui de Damas, manifesta son intention de nous montrer quelque chose. A trois jours de cheval au sud-est de son marché, il y avait à nouveau une sorte d’immense bulle d’eau qui était aussi grande que toute une région. C’était le même procédé que la demi-sphère qui recouvrait Athèn et le Pirée. D’apparence liquide mais sèche et irrespirable, impossible là-aussi d’y pénétrer sans suffoquer. Je tentais de savoir si ce phénomène était apparût il y a un peu plus d’un an, comme en Grèce. Mais le seigneur me fit comprendre que toutes les générations lui ayant précédé avaient toujours vu cette chose. C’était installé là depuis la nuit des temps, et toutes les légendes du Chaos mentionnent cette étrangeté.
Nous continuions alors notre route vers le sud, les paysages étaient toujours aussi verdoyants et les criques splendides, des villages de pêcheur égrenaient le littoral, et de nombreux clans vivaient à l’intérieur des terres. Il en fut de même jusqu’à une ville nommée Allessandria, à l’embouchure d’un immense fleuve, le Nil. Nous fîmes halte une semaine dans cette région. Le seigneur de la grande ville côtière voulait lui aussi me montrer un phénomène plus au sud. C’est ainsi qu’après quelques jours de canotage sur le Nil, nous arrivions en face d’immenses pyramides. Rien à voir avec les phénomènes précédents, mais véritablement d’un gigantisme à la romaine... Les habitants du lieu semblaient signaler qu’il s’agissait d’un vestige de l’ancienne civilisation, et je voulais bien le croire. La signification du pourquoi de telles constructions restait obscure. Pourquoi des pyramides ? Cependant, le fait était tout de même assez marquant pour être signalé. Toutes les villes de l’ancien monde avaient disparût, sauf Rome, et maintenant peut-être ces pyramides !
Nous quittions Allessandria pour suivre la côte en direction de l’ouest cette fois-ci. Mais tous ces territoires au sud de la grande mer n’étaient pour ainsi dire pas du tout habités. Derrière la plage, une immense jungle impénétrable s’étalait à perte de vue. Jamais l’ombre d’un feu ou de fumées, ces gigantesques territoires étaient déserts d’humains, voués aux bêtes sauvages. Nous ne rencontrions plus aucun village durant 15 jours de navigation, passant exactement à 200 lieues sous la pointe sud de l’Italie. Toutefois, arrivé vers une région un peu plus ondulée, nous aperçûmes, dans la végétation, quelques signes de vie humaine à l’approche d’une ville se nommant Sousse. Une petite bourgade en réalité, mais d’autres suivaient, jusqu’à un grand marché du nom d’Alger. Ces gens parlaient une langue incompréhensible, mais étrangement, certains savaient aussi s’exprimer en français ! Une lointaine tradition peut-être plus ancienne que le Grand Chaos, selon eux... En fait, Alger était la première ville d’importance après Allessandria et l’immense jungle inhabitée. D’ailleurs, au sud des côtes, il ne faisait pas bon s’aventurer dans la forêt. Elle était déclarée Tierra Incognita, et cela, même sur nos cartes romaines de l’époque. Personne ne vivait dans cette jungle.
Cela ne fut plus le cas un peu plus loin à l’ouest ou une grande chaîne de montagne, nommée Atlas, abritait de nombreux clans sous un climat nettement plus hospitalier. Après quelques observations, nous mettions cap au nord. Nous traversions un estuaire désigné par les autochtones sous le nom de Gibraltar. Derrière Gibraltar, la grande mer prenait fin et laissait place à un océan monumental. Nous ne nous aventurions pas dans cet océan et rejoignions nos territoires du nord. Une terre mentionnée comme étant auparavant l’Espagne sur les cartes Romaines. Depuis là, les régions étaient nettement plus peuplées, avec de nombreux marchés et clans. Ils vivaient encore comme nous avant la prise de Rome, dans le Grand Chaos. Après une longue remontée de l’Espagne, nous rencontrions une de nos armées de l’ouest.
Ils venaient de soumettre la ville de Bézié, un puissant marché. Le général Pouliard dirigeait une armée d’un peu plus de quarante mille hommes. Il en avait déjà laissé 8’000 dans des camps provinciaux derrière lui. En contact régulier par les portes qu’il possédait avec les deux autres armées évoluant plus à l’intérieur des terres, il me transmit de bonnes nouvelles : tout le territoire francophone était soumis. En cas de résistance de la part d’un marché, les trois armées se réunissaient pour faire face à l’adversaire sous un seul commandement. Ils avaient écrasé la résistance à Toulouze en brûlant la ville. Les prisonniers, gardés pour l’esclavage avaient été envoyés à Rome par la porte de retour. De bonnes affaires !
Les armées s’étaient séparées là pour soumettre chacun un territoire. En général, ils pouvaient négocier sans combattre. Les règles du jeu étaient simples, il y avait soumission à Rome ou affrontement. Ils m’informèrent que beaucoup de chefs, curieux, et se disant désireux de rendre hommage à leur nouveau souverain, avaient passé la porte pour voir Rome. Les armées étaient en effet autorisées à inviter les chefs et conseils des anciens à venir visiter la ville de la légende en emmenant avec eux leurs parias. Je faisais ainsi d’une pierre deux coups, car d’un côté, après avoir vu Rome, les chefs ne pouvaient pas s’imaginer un seul instant résister à une telle ville et d’un autre, nous nous débarrassions une bonne fois pour toute des parias qui empestaient nos routes.
Satisfaits de l’avancée de nos troupes, nous mîmes cap à l’est, et après quelques milles nautiques, passions au large de deux grandes îles. Ces îles étaient habitées, et néanmoins, pas encore soumises à Rome par les armées de terre. C’était donc notre travail, celui de notre marina. Notre arrivée en Corzse ne passa pas inaperçue. Sans signes d’hostilités trop voyants, le contact avec des chefs et seigneurs avait toujours été plus ou moins aisé. Ils étaient impressionnés par une flotte et des navires qu’ils n’imaginaient même pas en rêve. L’être humain, de nature tout de même curieuse, après avoir pris les précautions d’usage, cherchait à savoir de quoi il s’agissait. Et en règle générale, je n’avais pas trop de peine à les inviter sur mon vaisseau. Il en fut de même en Corze. Les chefs s’intéressèrent à la chose, mais n’étaient pas près de soumettre leurs territoires face à une force de 4’000 guerriers. Je les rassurais à ce propos en leur indiquant que je pouvais venir avec cent fois plus de troupes. Les négociations n’étaient pas gagnées d’office, et j’eus à user de Renaissance pour endormir le plus excité d’entre eux, mais cela ne fut que de nature à calmer un peu les autres. Ils n’acceptaient pas de se plier à une quelconque autorité à part la leur.
Je pensais alors que je devais user de la porte, et invitais ces vingt chefs de marchés Corze à passer au travers en m’accompagnant. A nouveau, la curiosité eu raison d’eux et ils me suivirent après quelques exclamations. A peine la porte franchie, ils se retrouvèrent sur la croix.
La bulle les emmena tous faire un tour du propriétaire. Ils en revinrent suffisamment fascinés pour accepter, après débats, mon invitation à une audience que je préparais avec tous les autres chefs du royaume Corze dans la ville, et bien sûr, je désirais que chacun y participe. L’information fut passée jusque dans tous les villages Corze, et c’est plus de 500 chefs de clans et marchés de l’île que nous embarquions, une semaine plus tard.
Sur notre route de retour, il y avait encore la grande île de Sardagne, tout près de la péninsule.
Mon succès diplomatique en Corze, sans passes d’armes ni un seul blessé, à part un chef endormi par Renaissance, me suggérait d’adopter la même tactique. Nous devions arriver qu’en simples observateurs, et laisser la curiosité faire le reste. Notre flotte était déjà quelque chose d’hors du commun, mais ce qu’ils découvraient à l’intérieur dépassait tout. Le seigneur Paul avait vu juste, ces portes de téléportation m’avaient effectivement évité une guerre en Corze, et sans doute bien d’autres dans notre entreprise d’agrandissement de l’empire.
Le scénario se répéta un peu à l’identique avec les Sardagnois. Ils furent tout de même vindicatifs à l’idée de soumettre leur autorité, mais la bulle avait pour effet de leur faire douter de leurs capacités militaires. Cela calmait les ardeurs de certains. Lorsqu’ils entendirent le chiffre d’une armée totale de plus d’un million de guerriers, ils doutèrent... J’embarquais ainsi plus de 1’200 chefs Sardagnois après un nouveau succès diplomatique. Le but du voyage était pour eux de se rendre compte s’ils préféraient accepter que des garnisons et lois romaines soient installées et appliquées chez eux, ou s’ils préféraient me déclarer la guerre.
Ils ne m’avaient pour l’instant rien promis, et de mon côté, j’avais engagé mon honneur de les ramener tous sains et sauf quelque soit leur décision. Les garnisons, ou les guerres seront mises en oeuvre après.
J’arrivais à Rome après huit mois de navigation et d’exploration des territoires bordant la grande mer du sud. Derrière le port, un millier d’esclaves germains travaillaient à la fabrication d’une vingtaine de navires sous les ordres du scribe Bartoloméo, qui accueillit notre arrivée avec enthousiasme. Je laissais Sérafino lui raconter notre aventure en ces eaux lointaines, tandis que de mon côté, j’emmenais tous les participants à l’aventure directement dans la basilique de Pierre. Mon unité des mille, les marins de Sérafino, ainsi que les 1700 chefs Corze et Sardagnois, entrions dans la basilique pour remercier le Dieu Romain d’avoir veillé sur nous lors du périple. Les chefs des îles s’émerveillaient des beautés de cette ville et de ses palais hors du commun.
J’appris qu’il y avait plus de 30’000 chefs et membres de conseils claniques de tout l’empire déjà présent dans la ville. Et il en arrivait encore de partout. Les jours suivants mon arrivée furent occupés à une succession d’audiences avec des chefs parlant maints langages. Pour chaque ethnie, j’avais besoin d’un traducteur différent. Parfois, pour certains groupes, il fallait deux interprètes, qui se relayaient les informations dans trois langues différentes !
J’avais ainsi le temps de bien spécifier ma politique, à savoir que j’avais pour ambition de changer le monde du chaos ! Des futurs constructeurs étaient sous les enseignements d’un scribe, bientôt ils sillonneront l’empire et changeront la face du monde. J’assurais la sécurité et l’ordre partout selon des règles simples mais civilisées. Je ne leur demandais aucun prix.
Ils prirent connaissance de l’ampleur de notre puissance militaire et n’avaient en fait que peu de choix. Notre véritable empire Romain s’étendait à tous les clans qui nous avaient fournit des guerriers avant la prise de Rome. C’est à dire, depuis le sud de l’île de Sicilia, jusqu’au nord, à Bâle et Zurik, en passant par Génévia et les villes francophones du Jura. Ces territoires furent déclarés terres romaines. Les autres territoires conquis étaient des régions rattachées à la juridiction de l’empire romain.
Nos règles bannissaient le meurtre ou les mises à mort pour favoriser le développement des voies de communication et l’épuration des bandits de grands chemins. Des tribunaux romains seraient installés dans les grandes régions, et l’injustice serait bannie de la face du monde ! Voilà le programme...
Les guerriers les plus vaillants devenaient les gardiens de l’ordre romain, les autres deviendraient des bâtisseurs ou aides bâtisseurs, et les chefs conserveraient leur statut sur leur clan. Chacun s’occupera de son territoire, en se mettant d’accord avec les autres pour des projets de création communs.
C’était de sérieuses réformes, mais à part les chefs des îles de Corze et Sardagne, tous les autres avaient vus le passage de mes armées ainsi que le sort réservé aux récalcitrants. Ils étaient donc plutôt enclins à accepter les règles du jeu.
Les chefs des îles étaient perplexes. Ils connaissaient la puissance de nos armées, mais avaient vu que nous n’avions que 19 navires pour l’instant, plus une vingtaine en construction. Peut-être se disaient-ils qu’ils pourraient résister depuis leur île ?
Toujours est-il qu’ils demandèrent à retourner chez eux pour en débattre avec les conseils des anciens plus longuement. Mais il n’en était pas question. S’ils voulaient partir, un navire les ramènerait chez eux, mais cela serait considéré comme une déclaration de guerre et un affront à l’autorité romaine. Je menaçais donc de mettre prochainement leurs deux îles à feu et à sang, et d’utiliser les survivants comme esclaves. Ils réfléchirent à deux fois, et acceptèrent finalement de se plier à mon autorité, ainsi que l’installation sur leurs îles de garnisons et cours romaines.
L’organisation de toutes les armées se faisait maintenant depuis Rome. Rino avait dressé son quartier général en dehors des murs, et c’est d’abord sous une simple tente qu’il administrait ses armées et coordonnait leurs avancées. Grâce aux portes, les généraux pouvaient venir le voir depuis n’importe quel coin de l’empire en un instant, et lui communiquer les nouvelles. Il pouvait déplacer des armées entières d’un point à l’autre du monde en quelques heures…
Ces portes valaient de l’or car elles étaient d’une efficacité et d’une aide sans pareille pour aider à l’agrandissement de l’empire. Elles étaient munies d’un système de sécurité, de sorte qu’au début, il n’y avait que moi qui pouvais leur commander des destinations. Les portes identifiaient ma voix, et peut-être même mon œil, car à chacun de mes ordres, une petite lueur bleue sortait du chambranle et pénétrait dans mon œil droit, sans m’incommoder pour autant. Ceci fait, un son sortait de la porte et disait « identification terminée, quels sont vos ordres ». A partir de ce moment, je pouvais donner autorité à n’importe qui pour qu’il puisse user à sa guise des portes. Rino reçu une grande partie des portes pour les disséminer un peu partout dans l’empire, il pouvait toutes les utiliser, et il avait lui-même donné l’autorisation aux généraux pour faire usage des portes qu’ils avaient emportées en campagne. Tous les ayants droit avait chacun été dûment identifié par la voix et par la petite lueur bleue, ils pouvaient se déplacer et déplacer leurs troupes à leur guise en dehors des murailles de Rome. Peu de gens avaient l’autorisation d’entrer directement dans Rome par une porte située à l’extérieur des murailles, car même si ces portes semblaient très fiables, nous ne voulions pas risquer une invasion directement au cœur de la Cité au cas où une porte défaillirait. Par contre, dans la ville, chaque habitant pouvait utiliser n’importe quel passage pour se rendre n’importe où, à l’intérieur des enceintes, bien entendu. Il était hors de question que des femmes s’ennuyant de leur homme atterrissent sur un champ de bataille pour perturber nos guerriers ! La population de Rome était autosuffisante en nourriture, elle consommait ce qu’elle produisait. Par contre, avec l’arrivée massive d’esclaves, nous avions pu fertiliser de vastes champs en dehors des murs, et ainsi, alimenter directement nos armées sur le front par le biais des portes, lorsque la production des territoires soumis était insuffisante pour nourrir nos hommes et les autochtones. Notre machine de guerre en devenait d’autant plus efficace qu’elle n’avait plus besoin de se soucier de l’intendance.
Rino avait ainsi installé une batterie de portes au nord de Rome, exclusivement réservées aux affaires militaires, et depuis sa tente, le roi de la guerre recevait ses généraux, se rendait sur les fronts en difficulté, et gérait les avancées de nos 16 armées. J’allais le trouver régulièrement, et il fournissait un bel effort de coordination entre toutes nos forces loin de Rome. Cependant, même s’il dormait au palais la nuit, je jugeais sa tente indigne de sa fonction. En tant que roi de la guerre, il était le roi le plus puissant de l’empire, et il lui fallait une demeure de roi pour recevoir ses officiers. Je décidais donc que les apprentis bâtisseurs devaient mettre en branle un projet de construction d’un palais royal en dehors des murs de Rome. Ce serait là leur première réalisation, et un peu de travaux pratiques ne pouvait qu’être une bonne chose pour leur formation.
Nos victoires militaires se succédaient ainsi à un rythme soutenu, les territoires tombaient sous la juridiction de l’empire les uns à la suite des autres. Les armées du nord-est venaient de prendre la grande ville de Moscow, et elles poursuivaient leurs avancées ; les armées du nord avaient atteint la ville de Copenhagen et d’apprêtaient à franchir la mer du nord pour conquérir la péninsule qu’on nommait « Scandinave » ; les armées du sud-est avaient conquis toute la Grèce à part le territoire d’Athèn, protégé par la mystérieuse bulle impénétrable, et poursuivaient à l’est ; les armées de l’ouest avaient conquis tout le territoire francophone et venaient de débuter l’invasion du territoire espagnophone, et c’est justement là qu’une sorte de verrue apparût dans l’empire, une épine dans le pied romain : Les clans de la chaîne de montage des Pyrénées avaient résistés à nos forces ! Rino avait laissé la 13ème armée dans les Pyrénées pour continuer le combat, tandis qu’une porte avait été acheminée vers la grande ville de Barcelonia, conquise, et c’est par là que la 10ème, la 11ème, et la 12ème armée pénétrèrent en terre espagnole pour l’envahissement de la péninsule dite « Ibérique ». Mais, … derrière ces trois armées, entre les francophones et les espagnophones, il y avait les Pyrénées, et dans les Pyrénées, la peuplade des Basques ! … des durs à cuire à ce qui se rapportait.
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Un beau jour, je fus stupéfait de voir à quel point ma femme avait investit son pouvoir d’impératrice. Sabrine était plutôt discrète, ne faisait que peu parler d’elle, mais elle observait, écoutait, s’informait de tout. Elle avait tissé des liens d’amitiés avec les femmes des pères sénateurs qui venaient souvent lui rendre leurs hommages et parler un peu avec elle de leurs soucis et chagrins. Elle était déjà intervenue à plusieurs reprises auprès de sénateurs indélicats pour leur adresser des admonestations concernant leur devoir d’honnêteté et de fidélité envers leur femme, et si certains s’étaient amendés, ce n’était pas le cas de tous, dont plusieurs qui ne tinrent aucun cas de ses remontrances. Mais cela, je ne le savais pas. Je voyais qu’elle était respectée et appréciée par les femmes des pères, mais sans plus.
Un peu après notre aventure maritime, elle m’adressa une convocation pour le mercredi de la même semaine dans le grand cirque du Collisée… ? Normalement, les divertissements du cirque se déroulaient le dimanche, et je fus étonné que Sabrine organise elle-même une représentation spéciale un autre jour,… ce n’était ni mon anniversaire, ni aucune autre fête à ma connaissance. Alors elle m’informa des problèmes de palais que je n’avais pas remarqué moi-même :
Mon cher mari, commença-t-elle, tu n’as rien remarqué de changé dans les palais depuis que nous habitons ici avec les autres pères sénateurs ?
Je ne voyais absolument pas de quoi elle voulait parler, alors je lui demandais de m’en dire plus.
Elle soupira, mais garda le sourire : « Oui, bien sûr, toi tu ne vois pas ces choses-là, car Dieu merci, tu ne t’y intéresses pas, … mais n’as-tu pas remarqué des filles, de très jolies jeunes femmes qui rôdent en permanence dans les couloirs et les salles ?
Maintenant que tu le dis, c’est vrai !, répliquais-je. Je m’étais d’ailleurs fait cette réflexion un moment, un truc du genre « mais d’où elles sortent toutes ces bonnes femmes ? », mais ça m’est vite sorti de la tête puisqu’il ne s’agissait que de filles paraissant bien inoffensives… Qui sont-elles ? Elles ont causé du trouble ?
Ce sont ce qu’on pourrait appeler des « courtisanes », des filles attirées par le pouvoir, les richesses et les honneurs, et elles courtisent les pères, qui se laissent très facilement séduire,… quant ce ne sont pas eux-mêmes qui vont les chercher dans Rome en usant de leur rang de héros pour les emmener dans leurs appartements !
Et les femmes des sénateurs, elles en disent quoi ?
Les femmes des sénateurs sont pour la plupart de braves paysannes, elles ont vu leurs maris partir avec toi pour l’épopée, mais au lieu de voir revenir leurs maris, elles ont vu revenir des héros, et considérés comme tels par toute la population.
Et alors ? Ce n’était pas le cas pour toi ?
C’était le cas pour moi-aussi, mais moi-même, à la différence des autres, savait que j’avais épousé un être spécial, je t’ai vu souffrir avec Rufus, j’ai vu Armadé échafauder des plans autour de ta personne, je savais que je n’épousais pas un simple guerrier. Je savais que tu étais destiné à devenir une sorte de grand chef ou de héro, … bien que pour finir, tu sois devenu un demi-dieu.
Oui bon, et alors ?
Alors ce que je veux dire, c’est que pour moi, tu es resté le même qu’avant, tu es le même être d’exception que j’ai toujours connu. Les autres femmes ont épousé de bons guerriers, et au lieu de rester de grands guerriers, ils ont été propulsé au rang de héros de la vallée Alpine, puis d’un empire, et certains ont pris la grosse tête, ils ont changés. Dans ces somptueux palais, leur brave petite paysanne ne leur suffit plus, ils veulent du plus beau, du plus jeune, du plus pimpant, et ils le trouvent facilement, au point de délaisser complètement leurs épouses. Lors de votre retour de Germanie, certains ont fait le tour des esclaves femmes pour choisir les plus belles comme esclaves de sexe. Ils les ont emmenées au palais, les ont vêtues de belles robes, et en ont fait une coure…
Le récit de Sabrine me stupéfiait et je me demandais comment tout cela ait pu se passer sous mes yeux sans que je ne remarque rien. Elle continua :
Ces courtisanes prennent de plus en plus d’assurance, et du haut de leur statut d’esclaves pour certaines, elles osent mépriser les femmes légitimes des sénateurs, reléguées au rang d’éleveuses d’enfants, et ne se gênent même pas d’aborder directement des pères en public en leur faisant des propositions.
Eh bien je n’y ai vu que du feu, à vrai dire, je ne m’occupe pas vraiment de ces problèmes domestiques, et puis je n’ai jamais eu droit à la moindre proposition…
Non, c’est vrai, tu es si étranger à ce genre de manigances qu’elles n’ont pas été jusqu’au culot de t’importuner avec ce genre de choses, même si j’ai remarqué bien des regards sur toi, que tu ne remarquais pas toi-même… Mais, tu auras bien remarqué toute une série de pères sénateurs qui se sont paré de beaux vêtements brodés, qui se parfument avec de l’essence de fleurs odorantes, qui sont toujours rasés de près. Ils n’ont plus grand-chose à voir avec toi toujours fichu de ton long pagne à capuche comme Rufus, ou encore les équipements rustiques de Marco ou Paskale. Eux ils ont intégré la civilisation, tandis que vous, vous vous contentez de tailler grossièrement vos barbes à coup de dague une fois par semaine, vous sentez encore le fauve, vous vivez et pensez toujours comme des barbares, eux ils ont complètement changés.
Oui, j’avais remarqué que certains semblaient prendre plaisir à se vêtir comme des seigneurs, je voyais ça avec dédain, mais après tout, ne sont-ils pas des seigneurs ? Alors s’ils se civilisent ainsi, tant mieux pour eux, mais ils exagèrent avec ces histoires de bonnes femmes et ça m’énerve, lui répondis-je, donne moi les noms des pères coupables de délaisser leurs femmes, je vais remédier à tout ça.
Et là Sabrine me laissa pantois en me déclarant :
J’ai déjà tout organisé, trois épouses m’ont demandé la permission de retourner dans leur village avec leurs enfants ou bien de laver leur honneur d’une manière ou d’une autre. Ces épouses, éhonteusement trompées et délaissées par des sénateurs qui ont été jusqu’à faire des batards à leurs esclaves de sexe recevront justice mercredi dans le cirque du colisée.
Et comment comptes-tu t’y prendre ?
Un guerrier a accepté de défendre l’honneur de ces femmes en se battant contre leurs maris, un après l’autre.
Donc comme ce sera des duels d’honneur, tu es entrain de me dire que des sénateurs devront défendre leur vie dans le colisée face à toute la populace ?
Oui, c’est ça !
Et quel est le guerrier qui a accepté de lutter contre trois de mes champions alpins ?
C’est un roi qui va combattre, j’ai demandé à Paskale, et il a accepté de bon cœur !
Paskale ??? Rien que ça ! Tu m’étonnes qu’il ait accepté ! C’est bien le premier qui savourera un massacre en duel dans le colisée sous les vivas de la foule. Bon, et alors c’est qui les trois pères qui vont avoir affaire à lui ?
Sébastos, qui a plusieurs maîtresses et qui en a mis deux enceintes.
Ce sera pas une grosse perte, c’est un con, lui répliquais-je, Paskale n’en fera qu’une bouchée. Et les autres ?
Pline et Gaspar, qui ont chassé leurs femmes de leurs appartements pour y installer leurs conquêtes.
J’acquiesçais puisque c’était des pères qui de toutes façons n’apportaient jamais grand-chose aux assemblées, mais un peu déçu tout de même que Sabrine ne m’ait pas demandé à moi-même de me charger de débarrasser ces nuisibles du palais, je le lui reprochais. Elle me répondit qu’en tant qu’Empereur, ce n’était pas à moi de m’impliquer dans ces duels d’honneurs de femmes… Je comprenais son point de vue, et j’étais sidéré de voir que ma petite femme ait organisé tout ça comme une grande jusqu’à mettre en branle toute une populace jusqu’au colisée pour voir trois sénateurs se faire étriper par un roi. Mais elle me dit qu’ils n’étaient pas encore au courant, que tous les sénateurs étaient convoqués au colisée mercredi, et que ces trois là seraient invités à descendre dans l’arène combattre, un après l’autre.
Il y avait beaucoup d’autres pères impliqués dans ces affaires de mœurs, mais seules trois femmes avaient formellement demandé à Sabrine de rétablir leur honneur publiquement, c’est pourquoi il n’y aurait que ces trois d’appelé dans l’arène.
Le mercredi suivant, le colisée se remplit de spectateurs sans savoir ce qui allait se passer. Les sénateurs, autant dans le flou que la populace, venaient par obéissance à la convocation de l’impératrice, mais personne à part Paskale, moi-même et les trois femmes bafouées ne savaient rien du motif de cette invitation faite par Sabrine.
Les trois femmes des sénateurs étaient sous les arcades en bordure de piste, de sorte que le public ne puisse les voir. Paskale était seul, au milieu de l’arène, il faisait tournoyer ses deux épées en haranguant le public qui s’installait : « Aujourd’hui, pas de démonstrations ni de jeux, foi de Paskale, vous aurez droit à du sang », disait-il entre autres choses.
Lorsque le cirque fut rempli et que tous les sénateurs furent installés, Sabrine prit la parole pour exposer à peu prêt les mêmes récriminations qu’elle m’en avait fait part deux jours auparavant. Elle indiqua que plusieurs épouses (sans en indiquer le nombre) s’en était remises à elle pour laver leur honneur, et qu’elle avait mandaté son Altesse Paskale pour s’en charger.
Marco était à côté de moi, stupéfait de voir Sabrine dans le rôle de grande prêtresse du cirque, mais plutôt satisfait de voir que quelqu’un s’intéressait à ce genre de détails, et à mesure qu’elle avançait dans son récit, je ne pouvais m’empêcher de lui dire : « T’as vu comme elle a pris les choses en main, y va y avoir du sang mon pauvre ami, regarde un peu comme Paskale s’impatiente, il trépigne comme un taureau ! » … « Eh Marco, vise un peu la tribune des sénateurs, y’en a qui ont la bougeotte… ils doivent avoir des sueurs froides en voyant Paskale aussi excité ». Marco commençait à se détendre sur son fauteuil, un petit sourire au coin des lèvres, content de la bonne surprise concoctée par notre impératrice bien aimée.
Sabrine termina son discours par : « Dès ce soir, je chasserais toutes les courtisanes des palais et restaurerait les droits et respect qui est dû aux épouses des pères ! Et maintenant, les femmes des sénateurs qui ont demandé réparation vont obtenir ce qu’elles ont demandé par la main de son Altesse Paskale ! »
Elle fut interrompue par un tonnerre de cris de joie et d’encouragements qui tombait sur mon guerrier terrible au centre de l’arène, tandis que les sénateurs se tassaient un peu plus sur leurs sièges, sans pouvoir s’éclipser en douce, car une lignée de prétorians s’étaient installé derrière eux, armes au poing.
Après quoi, Sabrine annonça : « Que la première épouse s’avance avec les armes de son mari ».
Et Miralva s’avança dans l’arène, portant les armes de Sébastos qui devint blême. Sabrine rajouta : « Sénateur Sébastos, je vous ordonne de descendre de votre tribune et d’aller défendre votre honneur, si vous en avez encore ! »
Sébastos se leva mais ne semblait pas disposé à obéir. Au contraire, il justifia son attitude et ses actes en disant qu’il était loin d’être le seul dans ce cas, qu’il y en avait plein d’autres qui vivaient comme lui…, mais Sabrine ne lui laissa pas le temps de se justifier, elle rétorqua d’un ton sec : « Sénateur, vous plaiderez votre cause devant Paskale, pas devant moi. Quand aux autres, leur tour viendra si leur femme l’en a décidé ainsi ! » Après quoi, elle fit un signe de la main à Guérart, qui donna un ordre aux prétorians derrière Sébastos. Poussé en avant par les guerriers, ce dernier descendit dans l’arène.
Il prit les armes que lui tendait sa femme en la traitant de traitresse ou quelque chose comme ça, et puis il tenta de rappeler à Paskale qu’il était un ami, qu’ils avaient vécu plein d’aventures ensembles, qu’il lui avait même offert un lièvre qu’il avait chassé lors de la première épopée…, mais Paskale éclata : « Maintenant si tu ne te bas pas, je te tue tout de suite, bordel ! »
Sébastos se en mit position de combat, mais Paskale était si excité qu’il lui trancha une jambe déjà lors du premier assaut. Le gaillard tomba à terre gémissant tel un goret, et le roi parut désarçonné face à une mise à mort après un si bref combat. Il regarda le public en lui criant : « Qu’es-ce que j’en fais ? » Le public hurla la sentence « à mort » en baissant le pouce pour bien exprimer sa volonté. Alors Paskale regarda Sabrine, qui fit comme le public en baissant le pouce, alors il trancha la tête de Sébastos d’un coup prompt.
Ensuite, la deuxième femme entra dans l’arène avec les armes de Pline, et le scénario se répéta, mais avec un peu plus d’organisation. Paskale avait eu son premier mort, il était moins impatient et fournit un combat un peu plus spectaculaire en le faisant durer un peu plus. La sentence de mort se répéta par la voix du public, tout heureux de pouvoir participer à la décision de vie et de mort avec l’impératrice.
La tribune des sénateurs faisait peine à voir, les pauvres tremblaient à l’idée qu’ils seraient les prochains à passer entre les mains de Paskale, mais tout s’arrêta après le duel contre Gaspar qui fut tué loyalement durant le combat.
Le spectacle, discours inclus, dura un peu plus d’une heure, et je crois que tous les romains présents apprécièrent de voir que même les sénateurs n’étaient pas à l’abri de la justice des armes. Quant aux sénateurs, ils avaient tous bien compris ces exemples, et je gage que le soir même, ils présentèrent leurs excuses à leurs épouses bafouées qui avaient été assez bonnes pour ne pas demander justice. Quant à Sabrine, dès ce jour, elle acquit une véritable stature de pouvoir impérial. Elle était à l’origine de la chute de trois pères, et par ce fait ils la respectèrent et la craignirent par la suite, tandis que les femmes avaient trouvé en elle un véritable soutient à leur détresse.
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Après quelques mois de combats dans les montagnes des Pyrénées, Rino se résolut à demander secours à Marco Fallacio et son unité des milles. La 13ème armée était à l’agonie, sur les 50'000 guerriers qui la composaient au départ, 23'000 avaient péris dans ces montagnes, sans compter 13'000 blessés, rapatrié à Rome par une porte.
Marco, Rino et moi-même décidâmes d’aller visiter le général Bertone, commandant en chef de la 13ème armée, ou du moins ce qu’il en restait. En un saut de porte, nous nous retrouvions dans son camp des Pyrénées. J’avais déjà vu ces monts un peu au nord du grand marché de Barcellonia lors de notre virée maritime avec Sérafino. Nous tentâmes de comprendre ce qu’il se passait réellement avec ces maudits basques.
Le général Bertone nous indiqua que depuis la ville de Bézié, toute proche des montagnes des Pyrénées, ses hommes avaient d’abord dû traverser une jungle humide, marécageuse et si malsaine, qu’avant même de commencer les combats avec les Basques, des milliers d’hommes tombèrent malades, et une partie en mourût. Cette jungle agressait non seulement la santé des chevaux, mais aussi celle des guerriers. Il leur fallut plus de cinq jours pour couvrir la distance séparant Bézié de Perpinian, qui n’était en fait qu’un petit marché de pécheurs en lisière de jungle. Perpinian se soumis rapidement face à la 13ème armée. Une partie de l’armée commençaient déjà à être souffrants après ces quelques jours marécageux, malgré l’absence de combats. La jungle humide portait toutes sortes de fléaux, comme la dysenterie qui frappait violement la santé des hommes, et une foule de maladies inconnues. Il y avait encore des plaies qui, faute de pouvoir cicatriser, purulaient, complètement infectées, ce qui occasionnait de sérieuses fièvres. Cette région de plaine avait été une vraie peste pour les guerriers, et il était heureux qu’ils n’y soient restés que cinq jours.
Après Perpinian, l’armée se lança à l’assaut de la chaîne de montagne, et dès qu’ils eurent pris un peu d’altitude, ils sortirent de l’enfer vert des marécages de la plaine. La jungle cédait sa place à une forêt d’altitude plus éparse, clairsemée de prairies, et le climat devenait plus sain. A flan de coteau, ils trouvèrent un clan qui refusa la reddition, et malgré les conditions des nos guerriers, ils vainquirent facilement et passèrent le clan par le feu avant de nous envoyer les 6'000 survivant à Rome, qui arrivèrent par la porte des esclaves.
Puis, Bertone et ses hommes trouvèrent sur leur chemin les Basques ! Il m’informa que l’ennemi disposait de positions imprenables, au sommet de montagnes interdisant tout assaut réglementaire. J’écoutais les déboires de ce général, et je voyais en face de moi un homme usé par cinq mois de luttes contre les clans Pyrénéens. Après plusieurs assauts, et plusieurs milliers de morts, sachant que trois armées supplémentaires arrivaient du nord, il ordonna à une escouade valide d’emmener une porte au sud des montagnes, en longeant la mer pour éviter les Basques. Ils parvinrent à installer une porte juste au sud des montagnes, ce qui permis aux trois armées d’entrer dans le territoire espagnophone sans avoir à traverser la terrible jungle du nord.
Ceci fait, il resta avec son armée pour tenter de mater ces Basques. Bertone me conseilla d’ailleurs de laisser ces clans à leur sort et de concentrer nos forces dans la péninsule Ibérique du sud. Je n’acquiescais pas à sa proposition, mais la comprenais, vu que cette 13ème armée semblait bien avoir bien tout tenté et tout souffert pour venir à bout de ce peuple, qu’ils considéraient maintenant comme invincible. Mais avant de capituler, je devais voir par moi-même ces clans fortifiés pour me faire une idée de la puissance ennemie. Nous laissions donc passer la nuit pour entreprendre une reconnaissance dès le lendemain avec mon escorte personnelle.
A l’aube, nous quittions le campement avec Victorio, Marco, Rino, le général Bertone et mes hommes d’élite. Après le passage d’un col, nous nous retrouvions sur un replat, surplombé par une véritable forteresse située au sommet d’une montagne, qu’on pourrait presque qualifier de pic rocheux. L’enceinte de protection épousait le tour du sommet de la montagne, tandis que la citadelle, sur le pic sommital, donnait l’impression de prolonger naturellement le terrain. C’était effectivement une ville impossible à conquérir !
On pouvait toutefois apercevoir que mes hommes s’étaient véritablement démenés pour prendre d’assaut ce fortin. Des centaines, peut-être des milliers de cadavres pourrissant jonchaient le sol, certains criblés de flèches, d’autres écrasés par des rochers ou autres troncs que l’ennemi avait projeté depuis le fort. Les morts étaient si nombreux que les survivants ne prirent même pas la peine de les enterrer, et ils constituaient maintenant la nourriture des charognards du coin. La puanteur de la décomposition était insoutenable, mais nos chevaux continuaient à avancer, marchant sur les cadavres. Nous vîmes quelques mouvements sur les murailles adverses, ainsi que des préparatifs d’attaques imminentes, ce qui nous fit reculer quelque peu pour nous mettre à l’abri d’éventuels tirs.
Malgré tous les macchabées de nos rangs jonchant le sol, qui trahissaient de violents affrontements, la muraille des montagnards n’avait même pas été entamée, et la question de l’opportunité de soumettre ces villes fut soulevée par mon fils, Victorio. Sa réflexion consistait à penser qu’il était inutile de perdre encore des divisions entières pour quelques milliers d’esclaves supplémentaires. Il n’avait peut-être pas tout tort le petit bougre, mais sur un plan logique uniquement. Je le soupçonnais en outre d’être encore trop jeune pour supporter émotionnellement le paysage qui nous entourait : Des monceaux d’os et de tissus brunis par le sang séché, des chairs dépecées par les bêtes sauvages, une puanteur innommable, et la peste qui ne devait pas être bien loin, bref, un paysage pas vraiment fait pour un enfant. Toutefois, je me fis fort de lui expliquer la raison de la prise obligatoire de ces fortins de montagne. Il n’y avait rien de pire pour l’empire que de baisser les bras devant un éventuel résistant borné. Ceci n’était de nature qu’à encourager d’autres chefs à nous résister, ce qui n’augurait rien de bon pour le futur. Il fallait que chaque région sache clairement que là où les troupes de l’empire passent, il ne reste que des clans soumis où brûlés ! Peu importait les pertes, il fallait asseoir la juridiction romaine partout, y compris dans les recoins les plus isolés de l’empire. L’enfant raisonnait logiquement, mais il ne pouvait pas encore comprendre tous les enjeux politiques que pouvait induire une telle reddition.
Je le rassurais cependant en lui indiquant que je n’avais pas l’intention de sacrifier encore plus de bataillons pour ces clans de montagnards. Bertone m’indiqua que tous leurs principaux marchés étaient bâtis de la sorte : Au sommet des montagnes, fortifiés à même le rocher, imprenables. Tout ce que mes troupes purent détruire furent les postes avancés en moyenne montagne. Aucune des villes-forteresse ne fut un tant soit peu inquiétée par leurs attaques. Toutefois, mes hommes gardaient encore les voies d’accès qui leur permettait d’entrer et sortir de leurs fortins. Chaque forteresse disposait tout de même d’une route pour le transport de marchandises. Ces Basques vivaient au sommet des montagnes, tandis que leurs champs, cultures et pâturages s’étalaient plus bas. A l’arrivée de mes armées, voici un peu plus de 5 mois, ils venaient de terminer leurs récoltes, ce qui signifiait qu’ils disposaient de réserves importantes à l’intérieur des citadelles. Ils n’eurent pas le temps d’emporter le bétail, et ce dernier revint à mes troupes. Elles avaient cependant de plus en plus de peine à tenir leurs sièges, car nos pertes due aux maladies et aux tentatives d’assaut avaient tant réduit nos forces qu’elles n’étaient plus en mesure de résister à certaines sorties organisées des Basques.
Le général Bertone considérait d’ailleurs ces basques comme de véritables paranoïaques ! Non seulement, ils avaient de la nourriture en suffisance dans leurs fortins, mais ils étaient surarmés : Derrière chaque murs, ils avaient des catapultes, et des munitions en nombre phénoménal. Et même s’ils venaient à manquer d’alcool pour leurs balles enflammées, ils pouvaient creuser la montagne sur laquelle ils étaient perchés pour tailler des pierres de jet…
Durant notre retour au campement, je réfléchissais à haute voix pour que Victorio prenne de la graine : Il était impossible de continuer un siège dans de telles conditions. Il fallait en finir au plus vite car nous n’avions pas l’intention de rester encore des mois en ces lieux. Une telle option n’était même pas envisageable. Pour en finir, il était également inutile et suicidaire de vouloir lancer des assauts en règle. Seule une action commando comme je l’avais pratiqué contre certaines villes rebelles pouvait en venir à bout rapidement. Toutefois, il n’était pas question d’utiliser le cheval pour grimper la parois rocheuse jusqu’aux enceintes. Il n’était ni question d’escalader cette montagne avec mon unité d’élite sous le feu de l’ennemi. Nous serions tous tués avant même d’avoir atteint la muraille. Non, il fallait ruser, y aller de nuit, même si c’était risqué.
Autour de cette première ville, il ne nous restait plus beaucoup de troupes, à peine suffisantes pour garder les passages. Lors de notre apparition, les adversaires n’observèrent qu’un petit détachement d’hommes montés qui vérifiaient les positions, pour repartir aussitôt.
Je remerciais le général Bertone pour sa bravoure, son courage et sa ténacité, et le renvoyait à Rome avec tous ses hommes encore en vie par la porte, en leur octroyant deux mois de repos bien mérité. J’envoyais aussi un messager auprès de Paskale pour qu’il vienne tout de suite avec son armée romaine, et une heure plus tard, il était auprès de nous.
Nous tînmes un conseil de guerre avec Marco Fallacio et Paskale, et décidions d’attaquer cette nuit même. Le général Bertone, qui avait renvoyé ses hommes à Rome mais qui insistait pour rester afin de voir notre stratégie, fut tenu à l’écart de la réunion. Il était bien trop pessimiste et alarmiste et ne nous était d’aucune utilité pour établir un plan d’attaque constructif. Notre plan d’invasion de la ville fortifiée était déjà prêt dans la soirée.
Les divisions de Paskale avaient pour ordre de se positionner de nuit devant la montagne-forteresse, hors de vue des Basques. Leur mission était de garder le chemin du fortin, et faire prisonnier tout individu qui tenterait de fuir, pendant que nous prendrions d’assaut leur forteresse avec mon escouade impériale et l’unité des milles de Marco. Les 30'000 hommes de Paskale ne devraient avancer en direction du fort que tard dans la nuit.
Une fois les accès bouchés et bien gardés, en ayant fait attention de ne pas nous faire repérer, nous attendions la nuit noire pour commencer notre opération. Victorio allait déjà sur ses 12 ans, et ses progrès dans l’art du combat m’incitèrent à l’intégrer à l’unité pour lui apprendre comment mener à bien une opération punitive sans sacrifier de bataillon. Il resta donc à mes côtés, et dans le noir d’une nuit sans lune, nous nous mettions en route avec Marco et ses hommes.
Nous n’étions pas pressés dans notre avancée, et ce, pour deux raisons. La première étant de faire le moins de bruit possible pour maintenir l’effet de surprise. La deuxième était que je ne souhaitais entrer dans la ville qu’à la fin de la nuit, deux ou trois heures avant l’aube, au moment ou les ennemis avaient le plus de chances d’être dans un profond sommeil. Le paysage était d’encre, nous ne nous guidions que par rapport aux quelques feux qui brûlaient sur les murailles de la ville-forteresse.
La consigne était de n’avancer qu’à une vitesse d’escargot, assurer chaque pas avant de lever l’autre jambe. Nous avions aussi proscrit les cotes de mailles et entouré nos armes de petits draps pour éviter les bruits métalliques, tandis que nos bouches et nos nez étaient recouverts d’une bande de tissus épais pour éviter la peste lorsque nous marcherions sur les cadavres au bas de la montagne. C’est d’ailleurs la première chose que nous eûmes à affronter : l’immonde replat où des centaines de cadavres pourrissaient, et il n’était pas rare que nos pieds s’enfonçaient dans l’un ou l’autre. Toutefois, même si on marchait parfois dans une cage thoracique en y craquant quelques côtes, il n’y avait aucun risque que les gardes ennemis nous entendent d’aussi loin. Au fond de la pente qui se prolongeait jusqu’aux enceintes, c’est d’abord sur des monceaux de corps entassés que nous devions grimper. Mes troupes avaient certainement tenté des assauts massifs sur le fortin, et une fois touchés ou tués, les corps roulèrent jusqu’au bas de la pente. Ceci avait occasionné une sorte de barrage de chairs à l’extrémité du replat. Mais jusque là, nous étions tranquille, les guetteurs ne pouvaient ni nous voir ni nous entendre, ce ne fut qu’après le replat que la situation devint plus délicate.
Nous devions effectuer une escalade silencieuse dans le noir sans faire rouler la moindre pierre ni provoquer un seul bruit. L’escalade en soit n’était pas difficile, et à vrai dire, nous aurions pu monter cette pente debout. Mais chacun avait ordre de marcher à quatre pattes, et de chaque fois toucher le terrain sur lequel il allait poser un pied, ou une main, pour prévenir toute chute de pierre. Le plus dur se trouvait être l’avancée à tâtons dans le noir, en se veillant toujours à ne pas attirer l’attention des quelques vigiles qu’on apercevait sur les murailles. Je savais que je pouvais compter sur la discipline et l’agilité de mes hommes comme sur les milles fidèles de Marco, et effectivement, cette montée nocturne en rampant se déroula sans accroc. Nous atteignions sans encombre le pied de la muraille trois ou quatre heures après notre départ.
Une fois sur le lieu, je tirais Renaissance du fourreau, mais pas question de l’utiliser pour faire tomber un pan de la muraille, nous serions ensevelis dessous. Je ne serrais donc qu’un petit peu ma poigne pour découper pierre par pierre un passage au pied de l’enceinte. La lame entrait dans la roche comme dans du beurre, et cela ne produisait pas le moindre bruit, si bien que les gardes se trouvant juste au dessus de nous ne se doutèrent de rien d’anormal. Mes hommes s’occupaient de saisir chaque pierre que je détachais de l’enceinte, et les posaient en lieu sûr. Ils évitaient ainsi que les bouts de murailles ne dévalent la pente à grand fracas. Ainsi, patiemment, le tunnel au pied de l’enceinte prenait forme. Après trois heures d’un découpage de précision, nous avions un passage qui permettait à mes troupes de pénétrer la cité. Notre tunnel débouchait à l’intérieur d’une maison d’habitation, et pour preuve de notre délicatesse, j’ajouterais encore que les gens dormant dans la pièce d’à côté ne furent même pas éveillé par notre chantier. Je les endormis toutefois encore un peu mieux par un coup de Renaissance sur chaque habitant. Nous avions donc déjà une maison qui nous servait de couvert et de base pour l’investissement de la cité.
Les archets et arbalestriers d’élite avaient pour mission de pénétrer la ville en premier, et de neutraliser les murailles extérieures ainsi que la porte d’entrée du clan. Personne ne devait sortir de ces murs. Mon escouade impériale de 80 guerriers me suivait pour conquérir la citadelle, tandis que les autres avaient pour mission de se déployer par groupes de vingt dans toute la cité. Ils devaient toutefois attendre que les tireurs neutralisent toutes les forces sur les murailles pour se déployer, et rester le plus discret possible. Les arbalestiers arpentaient déjà la ville un à un, passant dans l’ombre des feux sur les murailles. Lorsque chacun tint en joue un guetteur différent, ils ouvrirent le tir. Une flèche pour chaque guetteur. Durant ce temps, je traversais déjà la ville avec mes combattants, et nous n’entendîmes que quelques râles étranglés des hommes abattus, ainsi que leur masse tomber des murailles. Pas de quoi inquiéter les dormeurs. Il y avait certainement encore des guetteurs à l’intérieur ou sur le toit de la citadelle, mais d’après mon expérience personnelle, sans nouvelles menaces et à une heure pareille, ils devaient dormir.
Lorsque les guerriers sur les murailles furent abattus, le mouvement de mes troupes se dispersant en ville commença à être perceptible dans la nuit. Mes hommes s’infiltraient par centaines dans la cité et se positionnaient à tous les postes les plus stratégiques, apparemment sans rencontrer la moindre résistance. Nous forcions toutefois nous aussi le pas, et arrivions devant la citadelle au moment même ou quelqu’un sonnait l’alarme. Trop tard, les murailles étaient prises, la porte d’entrée sous contrôle, et moi-même ne fis plus dans le détail pour percer une brèche dans le mur fortifié de la citadelle. En trois coups de lame, un passage suffisamment grand fut ouvert pour permettre à mon bataillon d’envahir la citadelle. Les matrones, les anciens et leurs familles, furent neutralisés immédiatement, tandis que des guerriers Basques bloquaient le 4ème étage, celle du chef. J’entrepris alors de lacérer des pans entiers de plafond à l’aide de Renaissance, et après l’écroulement presque complet du quatrième étage, un de mes hommes put mettre en joue Levalloi, chef de ce clan. Il l’abattit d’une flèche en plein coeur, et le chef tomba à nos pieds, sans vie. Les quelques guerriers restant dans la citadelle posèrent les armes et se rendirent.
Nous sortions ensuite de l’édifice, pour nous retrouver face aux habitants qui cherchaient justement à s’y réfugier. Lorsqu’ils nous virent sortir en tenant en joue leurs conseils, je me saisis de la dépouille de Levalloi, la leva à deux mains par dessus ma tête, et lançais le chef désarticulé aux pieds de la populace. Prise de panique, elle s’enfuit cette fois-ci dans l’autre sens, vers la porte principale du marché. Désemparés, ils s’agitaient maintenant dans tous les sens. Pour les calmer, j’ordonnais aux arbalestriers de tirer dans la foule. A l’aide d’un porte voix, j’indiquais à la population que les tirs ne cesseront que lorsqu’ils se seront tus. La discipline ne tarda pas à revenir, tandis que l’armée romaine de Paskale avait déjà pénétré dans la ville par la grande porte. Il avait été averti que la voie était libre par le tir de trois flèches enflammées, et son armée s’était précipitée dans le marché. La ville comptait environ 12’000 habitants, et peut-être deux mille guerriers.
Les hommes de Paskale avaient emporté une porte de téléportation, et au levé du jour, il ne restait plus un seul basque dans ce foutu village, ils étaient déjà tous à Rome, grossissant les rangs de nos esclaves.
Nous pûmes fêter dignement cette belle et propre victoire. Des milliers de mes hommes avaient laissés leur vie pour tenter de prendre cette ville ces derniers mois, tandis que notre incursion nocturne n’occasionna que 5 morts parmi mon unité d’élite et celle de Marco, plus 13 autres blessés par des flèches perdues. Aucun mort dans l’armée romaine de Pascalle, qui était arrivé, il est vrai, un peu après la tempête… Bref, un succès total et magistral, certainement ma plus belle opération. Victorio en était tout éberlué, lui qui encore la veille me conseillait de laisser ces clans à leur sort pour nous concentrer sur l’invasion du pays espagnophone. Il soupesait son erreur, tout en sachant que sans Renaissance, la prise du fortin eut été impossible sans un siège long, pénible et ravageur de vies.
La tentation de brûler cette ville était grande. L’incendie se verrait à des lieues à la ronde et impressionnerait bien des marchés rebelles. Mais entre les désirs et les nécessités, il y avait un gouffre. De fait, ces forteresses bâties au sommet des montagnes disposaient d’un rayon d’observation immense. Les enceintes ne possédaient pas de miradors, car depuis les tours de gardes sur les murailles, nous pouvions déjà surveiller un vaste territoire. Ces villes nous seraient très utiles pour contrôler les échanges et passages des cols pyrénéens, et si nous avions besoin de ces lieus stratégiques, il aurait été absurde de les détruire pour les rebâtir ensuite.
Notre tactique impliquait cependant le renouvellement de notre opération d’attaque pour chaque marché de montagne, et notre offensive ne faisait que commencer. Par contre, la méthode avait l’avantage qu’à chaque nouvelle attaque, nous bénéficions d’un total effet de surprise. Sans incendies ni mouvements de troupes exceptionnels sur les cols, les marchés successifs ne voyaient ni ne sentaient le danger venir. De plus, l’isolement que les sièges infligeaient à ces peuples ne leur permettait pas de savoir ce qu’il se passait d’un marché à l’autre. Tour à tour, nous prîmes les 23 villes-forteresses des Pyrénées en 59 jours, pour contrôler finalement la totalité des points stratégiques de cette chaîne de montagne.
Chaque invasion ne se passa pas aussi bien que celle menée contre le premier marché. Plus vite l’alarme était sonnée dans les villes, plus ardu était le combat. Le pire se produisit contre le marché de Brella, le septième conquis. Les indigènes sonnèrent l’alarme alors que notre tunnel d’entrée n’était pas encore terminé, et qu’aucun de mes hommes ne se trouvait dans la ville. L’incident vint du fait que plusieurs pierres se détachèrent en même temps de la muraille pour dévaler la pente en contrebas, ce qui attira l’attention du guetteur présent sur le tour de garde.
Dès que j’entendis le guetteur sonner l’alarme, je criais à mes hommes de se tenir le long du mur, de décrocher leurs boucliers du dos, où ils l’avaient attaché pendant l’ascension, et de le tenir sur leur tête. Après quoi, je serrais Renaissance dans ma main, et elle s’agrandit à grande vitesse dans le mur d’enceinte. Rapidement, je lui fis faire quelques cercles concentriques, et les pierres dévalèrent dans la pente. Le tunnel était fait !
Sur les murailles, quelques gardes avaient accourût et ils décochaient des séries de tirs en contrebas, sans vraiment savoir où ils tiraient compte tenu de la nuit. Dans la ville, les guerriers devaient à peine être entrain de se réveiller, ils n’avaient pas eu le temps de faire chauffer de l’huile pour nous la verser dessus, ni d’apporter des pierres ou quelque autre projectile que ce soit. Ne restait que ces gardes sur la muraille, et les quelques flèches qui nous atteignaient étaient pour la plupart détournées par les boucliers que nous tenions au-dessus de nous.
Dès que le tunnel fut fait, nous nous engouffrions dans la ville. Marco criait ses ordres : « Dans la ville, nous formons les bataillons, l’ennemi n’est pas encore organisé, nous prendrons quartiers par quartiers jusqu’aux portes d’entrées, sans affolement, sans précipitation ! Léopold et ton escouade, vous restez avec nous, on ne prend pas la citadelle pour l’instant ! »
Une fois dans les enceintes, nous fûmes surpris de ne pas rencontrer de résistance immédiatement… Les Basques pouvaient peut-être s’attendre qu’à l’aide de grappins, nous essayeront d’escalader leur muraille, mais ils n’avaient tout simplement pas imaginé que nous pourrions percer un tunnel dans leur enceinte. Ils pensaient de toute façon à une attaque frontale, sans doute depuis la route. La population de Brella, fraîchement tirée du lit, courrait se mettre à l’abri dans la citadelle, tandis que les guerriers faisaient marche vers la porte de leur marché et prenaient position sur le mur d’enceinte.
Une première partie de la ville, désertée par les guerriers ennemis, tomba rapidement sous notre contrôle. Tous les habitants qui n’avaient pas fui furent tués, le quartier était nôtre. Le danger principal, pour nous, étaient les archets et arbalestriers Basques postés sur la muraille. Nous avancions ainsi en restant à couvert, tout en tirant sur eux à chaque occasion. Rapidement, nous nous rendîmes compte que nous ne pourrions pas accéder à la porte d’entrée, car les guerriers ennemis y fourmillaient, tant sur la muraille au-dessus des portes que sur la place à l’arrière, où ils préparaient déjà leurs catapultes, enflammaient leurs balles de munitions, faisaient bouillir de l’huile. Nous étions coupé de l’armée romaine de Paskale, et ne pouvions plus compter sur lui.
J’ordonnais alors à tout le monde de faire volte face, et de remonter les ruelles en courant jusqu’à la place de la citadelle, afin d’attaquer ce bâtiment pendant que les guerriers Basques vers les portes de la ville commençaient à comprendre qu’une force d’une importance honorable était déjà dans leurs murs ! A l’approche de la citadelle, les guerriers postés à l’intérieur nous envoyèrent une véritable pluie de flèches. Victorio resta en retrait avec une douzaine de mes gardes, tandis que nous foncions avec Marco et nos hommes à l’assaut du bâtiment.
Durant cette attaque, je fus touché à deux reprises. Une première flèche vint se planter dans mon flan, un peu plus bas que les côtes, mais elle ne traversa que les chairs et les muscles. Une deuxième, plus douloureuse, se ficha sur l’avant de ma cuisse. Mais le pire était à venir : Alors que nous étions à peine à une centaine de pas de la citadelle, Marco fut touché par une flèche qui lui transperça le cou. Elle était entrée par l’arrière, avait passé juste à droite de sa colonne vertébrale, et juste à gauche de son artère carotide, pour ressortir en avant, à droite de sa pomme d’Adam. Marco se retourna, vit l’homme qui avait tiré depuis le toit d’une maison de l’autre côté de la place centrale, il banda son arc, et d’un tir violent et précis, tua son bourreau, qui tomba du toit. Voyant cela, ma rage explosa, et malgré deux flèches dans mon corps, je poussais mon cri de guerre avec une telle violence que mes hommes se galvanisèrent pour l’assaut de la citadelle. La moitié de mon escouade courrait devant moi, boucliers levés à bout de bras pour me protéger, et malgré la flèche dans ma cuisse, j’entamais une course digne d’un pur sang arabe ! Mon poing était si serré sur Renaissance qu’elle était plus grande que jamais. Je tranchais les murs du fortin, et un premier pan s’écroula, mais dans ma fureur, je continuais à courir autour de la citadelle en découpant en biais ses fondations de toute ma force. Dans un vacarme étourdissant et un brouillard de poussière, le bâtiment de 6 étages fini par s’écrouler complètement, ensevelissant du même coup toute la population qui s’était réfugiée à l’intérieur.
Les Basques, qui avaient maintenant déserté la porte d’entrée du clan pour revenir vers la citadelle marquèrent un temps d’arrêt : leur bastion le plus fortifié venait de s’écrouler comme un château de sable. Je dépêchais immédiatement mon escouade d’élite avec pour mission de contourner les forces Basques qui montaient à notre rencontre et rejoindre la porte d’entrée du clan pour de l’ouvrir à l’armée de Paskale.
Quant à l’unité des mille, elle avait repris ses positions en bataillons de 50, sous la direction de Marco, qui arrivait encore à hurler ses ordres, en crachant pas mal de sang, sa flèche toujours fichée dans le cou. Je le regardais un instant, mais détournais bien vite le regard pour le concentrer sur l’ennemi. Rien que de voir Marco ainsi, j’avais eu une poussée de larmes, mes yeux s’étaient embués, car je savais que mon ami, mon mentor, le grand Seigneur légendaire de la guerre, livrerait ici sur cette place, sa dernière bataille !
Les troupes basques arrivaient maintenant de l’autre côté de la place de la citadelle. Marco ordonna une première salve de flèches, et une série de basques s’écroulèrent, tandis que les autres reculèrent pour se cacher derrière les maisons en bordure de la place. Nous ne voyons que par les jeux d’ombres et lumières que procuraient les feux allumés sur les remparts et dans les carrefours, mais c’était suffisant pour abattre ceux qui représentaient un réel danger pour nous : Les guerriers en poste sur les murailles. Avec des tirs venant de l’intérieur de la ville, ils n’avaient aucune protection, aucun mur pour s’abriter derrière. Nous nous débarrassions bien vite de cette menace. Après la destruction de leur citadelle, après avoir vu la précision diabolique de nos tireurs, et après avoir entendu un grand tumulte auprès de la porte principale de leur ville qui venait de s’ouvrir, un homme pénétra sur la place, levant haut un drapeau blanc. Au même moment, je vis en aval, vers la porte d’entrée du clan, s’élever les trois flèches enflammées signalant à Paskale et son armée que le passage était ouvert.
Je m’approchais alors de Marco et lui dis : « - On va pas en rester là l’ami ? ». Marco cracha un peu de sang, décocha une flèche sur le porteur du drapeau blanc qui s’écroula au milieu de la place, et répondit en souriant : « Sonne la charge Léopold, tu me dois bien un beau massacre pour ma mort ? On y va comme au bon vieux temps, dans le vif du sujet ! »
« On se battra dos à dos Marco, on ne se quitte pas, vu ? » lui dis-je.
Il acquiesça et rajouta simplement : « Ce fut un honneur de combattre avec toi Léopold. Allons-y ! »
Sur ce, j’ordonnais aux milles de charger à travers la place : « Pas de quartiers, pas de prisonniers, on offre un massacre à Marco pour ses adieux ! » Après quoi, je poussais encore une fois mon cri de guerre, et nos bataillons fondirent à travers la place et à travers les flèches ennemies. Certains des nôtres furent tués en traversant la place, mais une fois dans les ruelles face aux guerriers Basques, le massacre commença. Marco tuait aussi bien avec son épée qu’avec des coups de bouclier dont il ne se servait même plus pour se protéger, mais pour frapper. Moi je restais dans son dos, et endormait avec Renaissance tout ce qui s’approchait, dans l’autre main, je tenais mon arbalestre chargée et pointée en haut. Je jetais toujours un coup d’œil sur les toits et aux fenêtres des maisons au cas où un basque chercherait à nous nuire depuis là, et je n’eus pas tort, puisque j’en abattis cinq de cette manière. Après quelques minutes de combats dantesques, les troupes de Paskale arrivèrent et terminèrent le travail avant de mettre le feu à toutes les maisons du clan. Quelques hommes encore valides sortirent des maisons en feu, dont le chef de Brella, ou en tout cas, celui que les survivants reconnaissaient comme tel ! Ainsi, ce fameux chef, qui avait causé tant de mal à nos armées lorsqu’il ne risquait rien, protégé par sa forteresse, s’était caché pendant toute la bataille depuis qu’il eut envoyé l’émissaire au drapeau blanc…, courageux mais pas téméraire le vieux bougre !
Après avoir tué une bonne dizaine de ces fichus basques, Marco défaillit, et je le portais jusque sur la place, éloigné des flammes des maisons en feu. Son plus fidèle lieutenant, Barbertin, le soutint d’un côté tandis que le seigneur mythique passa un bras sur mon épaule afin de mourir debout.
Les survivants de l’unité des mille et de mon escouade se réunirent face à lui, les cavaliers de l’armée romaine restant un peu plus en retrait, tandis que Paskale fendit les unités d’élite sur son cheval en portant le chef de Brella au collet, qu’il lança à terre, aux pieds de Marco. Marco le regarda presque avec pitié, et je précisais au vieux chef : « Tu es là, face au plus grand Seigneur de guerre de notre empire, et c’est ton clan qui lui apporte la mort. Je compte jusqu’à 20 pour te laisser le temps de quitter ta ville ».
Le chef commença à s’excuser, mais au bout d’un moment, je lui dis : « Il te reste 15 secondes, … 12, 11… », et là, il commença à courir du plus vite que ses jambes le lui permettaient. Nos hommes s’écartèrent pour lui laisser le passage, et le chef dévala la rue centrale pour atteindre les portes du clan. Je demandais au lieutenant Barbertin de soutenir Marco, me saisis de son arc, le bandais, et terminais de compter d’une voix forte « 3, … 2, … 1 »,… alors je décochais la flèche, et je vis le vieux chef s’écrouler dans la rue.
Mon attention se reporta alors sur Marco qui donnait des signes de plus en plus évident de mort imminente, il n’avait pas vu et me demanda : « Tu l’as eu ? », je répondis que non, je l’avais touché mais qu’il bougeait encore : « Qu’on me ramène ici le vieux chef ! hurlais-je ». Après ma réponse, il lâcha : « joli tir quand même, pas évident de nuit ». Je lui répondis simplement que Maître Rufus ne se contenta pas que de nous apprendre à manier des bâtons d’aluminium, et Marco me fit un clin d’œil d’approbation… Paskale ramena le chef une seconde fois, la flèche plantée dans sa cuisse, mais je ne me préoccupais plus de lui, j’étais tout absorbé par l’agonie de Marco, qui porta ses yeux une dernière fois sur ses hommes. Il les remercia pour les batailles mémorables qu’ils avaient partagé avec lui, rendit hommage à la mémoire des guerriers qui avaient périt pour lui offrir cette dernière bataille, et conclut par : « Et maintenant : Gloire à Léopold ! ».
Je corrigeais en criant « Gloire à Marco Fallacio », et tous les hommes reprirent : « Gloire à Marco Fallacio, gloire à Marco Fallacio, … », mêmes les hommes de Paskale étaient descendu de leurs chevaux et criaient les louanges de ce champion hors normes. Puis, le grand guerrier ferma les yeux, expira, et mourut.
J’étais comme en état de choc. Durant un moment, je restais planté là, serrant fort la dépouille de Marco dans mes bras, sa tête sur mon torse, il n’y avait plus un bruit dans la ville à part le crépitement des flammes, tous les hommes avaient mis genou à terre, le visage grave et peiné. Après ces quelques instants de torpeur, je passais ma main sous ses genoux et portait son corps en me dirigeant vers la porte que les hommes de l’armée Romaine avaient installé au milieu de la place du village en feu. Paskale m’apostropha une dernière fois : « Que fais-je du vieux chef ? » Je lui répondis de briser ses tibias avant de me l’emmener à Rome a travers la porte, ainsi, il ne marcherait plus qu’à genoux. « Et les autres survivants », me demanda encore Paskale ? Juste avant de franchir la porte, je lui indiquais : « Tu as assez d’imagination pour régler seul ce problème, retrouve moi dans la basilique lorsque tout sera terminé… »
Je ne sais et n’ait jamais voulut savoir ce que Paskale avait fait des survivants, je sais que toi, Barnabé, tu le sais, et que tu désapprouves totalement. En fait, tout le monde sait de quelle genre d’imagination ce sacré barbare a usé pour en finir avec ce village, il y a même un nom qui existe aujourd’hui pour désigner cela, c’est : « La méthode Paskale »… Je suis le seul à ne pas savoir en quoi elle consiste, je n’ai jamais voulut en entendre parler, je n’ai jamais voulut regretter quoique ce soit concernant ce village maudit, la seule chose qui m’importait de savoir, c’est que cela fut efficace.
Sitôt la porte passée, je me retrouvais sous les portes de la place de la basilique de Pierre. Il faisait encore nuit, l’aube ne s’était pas encore levée, et la place était déserte. Je la traversais seul avec la dépouille du grand Seigneur dans mes bras. De l’autre côté de la place, je gravis les marches de la basilique, y pénétrait, traversait tout l’édifice illuminé en demandant aux saints que les statues monumentales représentaient de prier pour mon ami, le déposait devant le trône de Pierre, et ensuite, à genou devant le corps de mon meilleur ami, je m’effondrais en larmes.
Je ne me souviens pas d’avoir pleuré une fois dans ma vie, mais là, il s’agissait d’une fontaine de larmes silencieuse. Tout le respect, la vénération, … l’amour (?) que j’éprouvais pour cette immense figure du chaos ressortait par mes yeux. Il n’y avait pas de sanglot, pas de cris ni de couinement, juste une fontaine de larmes qui débordaient de mon cœur et de mon âme.
Après un moment ainsi, je retirais le casque de Marco, et pour la première fois, je vis son visage en entier. Mais ce visage secret le restera pour tous, même pour les lecteurs de ce récit. Rufus avait la marque des parias sur le front, mais personne ne saura jamais si Marco l’avait ou pas, il était de toute façon, comme Rufus, au-dessus de ce genre de statut. Je déposais un baisé d’adieu sur sa joue, et lui remis son casque d’or. Ensuite, je restais longtemps là, tout simplement, à offrir le corps et l’âme de ce grand homme au Dieu romain, lui demandant de l’accueillir en Son Paradis avec les honneurs qu’il mérite. Mais la fontaine de larme ne cessa pas, je restais complètement bouleversé par la disparition d’un tel ami et mentor.
Puis, alors que l’aube commençait à percer aux travers des vitraux de la basilique, Paskale arriva et s’agenouilla à côté de moi. Il vit mon désarroi et me demanda juste : « ça va aller ? ». Mais non, ça n’allait pas, je lui répondis : « Tu vois mon ami, j’ai une famille de sang, et une famille de guerre et de combat. Rufus, celui qui m’a tout apprit était mon grand-père et il n’est plus, Marco était dans cette famille comme mon père et il est mort, je me sens orphelin, seul… » Et alors, Paskale me souffla doucement : « Et moi je t’enviais ce père, mais ton amitié compensa cette envie. Si tu le veux bien, accepte moi comme ton frère d’adoption, ton frère d’arme, de guerre et de combat. …on ne sera pas seuls. »
A travers mon regard embué, je regardais Paskale avec reconnaissance, et lui répondis : « Après Rufus et Marco, tous deux morts, il ne reste que toi dans ce monde qui peut prétendre à ce lien de parenté de guerre avec moi. Oui, je veux bien t’adopter comme frère mon ami ! » Nous nous donnions l’accolade, puis nous entendions des bruits de pas s’approcher. Je tournais la tête et je vis des gens s’avancer dans la basilique, alors je demandais à Paskale de les chasser jusqu’à midi. Je ne voulais pas que mes hommes ou des pères me voient dans un état pareil, et je souhaitais rester encore un moment dans cet état de recueillement. Paskale les mit tous à la porte et demanda aux prétorians de garder le parvis de la basilique afin que personne ne puisse approcher jusqu’à ce que j’en sorte. Suite à quoi, il revint vers moi, et nous restions côte à côte à genou devant la dépouille du grand guerrier.
Je laissais mes souvenirs remonter, je me remémorais ma première rencontre avec Marco à 7 ans, notre seconde rencontre à Génévia 15 ans plus tard, nos batailles et combats commun, je lui rendis hommage dans mon cœur, et je retrouvais gentiment mes esprits, ma lucidité, pour finir par me résigner face à sa perte.
Alors je me levais et nous entreprîmes de sortir du lieu saint avec Paskale. En marchant, je lui demandais ce qu’il avait fait du vieux chef de Brella, et il m’informa qu’il avait donné l’ordre à ses hommes de le mettre en cage devant la basilique pour l’exposer à la vindicte populaire. Lorsque nous sortions de la basilique, aux alentours de midi, la place de Pierre était noire de monde, la nouvelle avait déjà fait le tour de la ville, et tous se pressaient pour saluer une dernière fois le grand Seigneur. Au premier rang, toutes les autorités, depuis mon père Armadé jusqu’au plus insignifiant descendant des champions de la première heure en passant par Rino et tous les autres rois. Toute la ville était là, attendant l’ouverture des portes.
Au sommet des marches, quelques hommes de Paskale gardaient la cage où était enfermé le chef de Brella. Je m’approchais de lui, le regardait au travers des barreaux, et, en lui désignant la foule innombrable, je lui dis : « Regarde la valeur de l’homme que les tiens ont fait périr, ton crime est inqualifiable ! Si au moins tu t’étais battu loyalement, tu pourrais être traité avec respect ; mais maintenant, il va falloir affronter le regard de tous ceux qui vont pénétrer dans ce temple pour rendre honneur au grand Seigneur. Après, tu disparaîtras dans une contrée où l’on expédie toutes les vermines de ton engeance. Et crois-moi, il aurait mieux valut pour toi être mort que d’aller vivre là-bas ! » Le vieux chef semblait sous le choc non seulement de cette foule, mais de l’énormité de la ville, il prenait conscience de son crime, de sa couardise, de sa lâcheté. Il aurait pu mourir avec honneur au combat, mais il vivra désormais dans le déshonneur. J’ordonnais aux guerriers de Paskale de veiller à ce qu’il reste en vie, et ne soit pas agressé par les gens qui pénétreront dans la basilique.
De mon côté, je fis soigner les plaies des deux flèches reçues avant l’aube dans cette ville de Brella. Barnabé s’occupa des soins comme d’habitude et je n’en gardais aucune séquelle à part les cicatrices.
La dépouille de Marco fut exposée dans la basilique de Saint Pierre et offerte au Dieu Romain par une sorte de rituel que tu prononças, Barnabé. D’ailleurs, je t’en remercie encore maintenant, ta cérémonie fut remarquable, quelle pompe et quelle émotion tu as fais ressortir de ce moment, cela resta inoubliable.
De mon côté, privé de Marco, je me sentais comme amputé de l’un de mes membres. Cela faisait longtemps que mon père n’osait plus me réprimander à la mode Marco ou Rufus, quant à Rino, depuis notre duel de Tourbillon, il ne m’a plus jamais tenu tête. Je combattais souvent contre le chef des Prétorians, le champion de toutes les armées romaines, Guérart, pour nous entraîner mutuellement. Mais même lui, qui pouvait me mettre parfois en difficulté, n’avait pas le charisme ni l’aura d’un Marco Fallacio. En guise de consolation, il me restait encore Paskale le fougueux, l’intrépide, un des seuls qui osait encore faire quelques entorses à mes règles, sachant d’avance ma bienveillance à son égard. Mais maintenant, cette bienveillance était encore étendue à une sorte de lien de parenté. Je dois bien l’avouer, je l’aimais bien cette brute, mais je ne l’admirais pas comme je pouvais admirer mes maîtres. Paskale n’était qu’un barbare comme moi, mais qui avait su rester plus barbare que moi…
Ainsi, je m’en retrouvais triste et comme abandonné, conscient d’être l’un des derniers des géants du Chaos, une race en voie de disparition, une race de terreurs, de guerriers purs sucre, de ce genre d’hommes qui ne savent rien faire d’autre que la guerre. Et, bien que Renaissance m’avait civilisé de force, le sang qui coulait dans mes veines était celui d’un tueur, d’un massacreur de parias, un sang pierreux qui sortait d’un cœur de pierre ! Lorsque notre génération aura passé, plus aucun homme ne sera comme nous l’avons été. Victorio savait lire et écrire…, il appartenait déjà au monde de la civilisation !
Je décrétais trois jours de deuil dans tout Rome, personne n’avait le droit de travailler, de fêter, ou de rire pendant ces trois jours. Je voulais une ville silencieuse et triste, comme moi !
Durant ces trois jours, je compris que je ne pouvais plus appliquer la même tactique contre les clans Basques. Depuis la prise de Berm, jamais Marco ne me déçu, et après tous ces combats que nous avions mené ensemble, il connaissait mes méthodes et mes besoins. Même si j’étais aux commandes d’une armée régulière et qu’il ne pouvait ni me voir ni m’entendre de son poste, il savait d’expérience ce que j’attendais de l’unité d’élite qu’il commandait. Il fut toujours au rendez-vous, au bon endroit, au bon moment, et une telle complicité ne se trouvait pas en recrutant un nouveau champion, si bon qu’il puisse être. Avec Marco, nous nous comprenions sans nous parler, il savait tenir ses troupes lorsqu’il le fallait ; ou les gonfler de rage et de férocité lorsque la situation s’imposait. En m’enlevant le commandant de ma plus prestigieuse unité, les Basques ne s’imaginaient même pas le mal qu’ils me faisaient, c’eut été moins grave de m’arracher un bras ! Comme mon épée faisait partie de mon corps lors des combats en corps à corps ou en duel, l’unité des mille était un membre à part entière de ma personne sur les champs de bataille. Marco était l’intermédiaire qui insufflait ma volonté à cette élite en toutes circonstances. J’étais bien entendu furieux de cette perte, même si je savais que cela participait aux risques du métier, mais après presque huit ans de combats en commun, c’était aussi un grand vide au sein de mon potentiel stratégique qui m’affectait.
A part le Seigneur Marco, nous eûmes à décompter de nombreuses pertes au sein de l’unité des milles, la plus exposée au danger. En tout, ce ne fut pas moins de 220 de mes fidèles qui tombèrent en combattant le clan de Brella. Il fallut donc recruter de nouveaux champions pour doter la fameuse unité de nouvelles forces.
Je n’eus toutefois pas à me plaindre de la qualité des éléments de remplacement et décidais de les garder définitivement dans l’unité d’élite. Marco avait accordé sa confiance à Barbertin pour le seconder au commandement de cette unité, alors je nommais Barbertin commandant de l’unité des mille.
Le village de Brella avait été purement et simplement effacé de la surface du monde. Après l’entrée de Paskale dans la fortification, il ne lui fallut qu’une demi-heure pour bouter le feu aux habitations et à tout ce qui s’y trouvait. L’affaire fut rondement menée et l’incendie fut phénoménal, car même si la muraille et la forteresse de Brella étaient en pierre, toutes les maisons étaient construites en bois. Dans cette nuit finissante, l’image que renvoyait cette ville-forteresse pouvait avoisiner celle d’une gigantesque bougie. Tout le sommet de la montagne brûlait, les flammes léchaient les étoiles, et cette montagne de feu devait se voir de loin, de très loin, de bien des marchés. Ainsi, tous les Basques dans les clans avoisinant pouvaient mesurer l’ampleur de ma vengeance, et le sort réservé à ceux qui s’élèveraient encore contre Rome.
Après l’incendie de Brella, Paskale avait laissé 1000 hommes de garde dans les 7 villes conquises, mais tous les sièges des autres villes furent levés durant les trois jours de deuil. Ainsi, les Basques pouvaient tout à loisir visiter les 7 clans vides de leurs occupants, et se rendre compte qu’on ne lutte pas contre Rome.
Avant de repartir dans les Pyrénées pour conquérir les autres villes-forteresse, je décidais d’un changement de méthode. Sans Marco à mes côtés, je ne pouvais pas risquer des pénétrations aussi disciplinées dans les fortins. J’optais alors pour des attaques frontales, contre leurs portes d’entrées, directement. Pour cela, les métallurgistes romains fabriquèrent des plaques d’aluminium de 5 mètres de long et 1,5 mètres de hauteur, avec des poignées à l’arrière pour les maintenir. Les plaques étaient assez épaisses pour contrer les flèches et les javelots, et l’aluminium était un métal assez léger pour le porter en avançant. Une dizaine d’hommes pouvaient se protéger derrière chaque plaque, et ceci me semblait être une stratégie plus rapide que celle du percement de tunnels au fond des fortifications. Nous attaquerions avant l’aube par les routes d’accès de ces clans.
Ainsi munis, nous retournions dans les Pyrénées avec Barbertin, nouveau chef de l’unité des mille, ainsi que Pascalle et son armée romaine. J’étais caché derrière la première plaque métallique, et mon travail était celui de briser les portes d’entrée des clans à l’aide de Renaissance, secondé par 8 vagues de boucliers d’aluminium, derrière lesquelles se cachaient une centaine de tireurs d’élite, sensés abattre tous les guerriers qui pourraient nous voir arriver depuis les murailles. Notre heure d’attaque était à chaque fois 2 ou 3 heures avant le levé du soleil, ce qui limitait le nombre de vigiles encore vigilants… Sitôt la porte découpée à l’aide de Renaissance, les 8 plaques l’aluminium et la centaine de guerriers qui les portaient se rangeaient sur les côtés de la route d’accès, et nous laissions Paskale et sa cavalerie romaine faire son oeuvre.
Nous essuyâmes des tirs, mais leurs armes n’avaient pas été prévues contre de tels boucliers, ils n’avaient jamais eu le temps de charger leur catapultes de pierrailles, c’est ainsi que nous mettions à bas les dernières villes Basques.
Un événement se produisit toutefois après la 18ème ville-forteresse : Pour atteindre la ville suivante, notre armée dû redescendre dans la jungle marécageuse de la plaine, car nos chevaux n’étaient pas en mesure de franchir un éperon rocheux qui séparait la chaîne de montagne en deux. Là, nous vîmes enfin ce que les troupes du général Bertone avaient eu à subir avant d’arriver dans ces montagnes : un biotope d’insectes, de serpents et de pourriture moisissant dans une eau saumâtre d’un marécage qui atteignait les flancs des chevaux, attaqués sans cesse par toutes sortes de bestioles volantes…, un vrai calvaire !
Après deux jours de pataugeage dans ces terres insalubres, nous remontions à l’assaut des montagnes, et conquîmes tous les marchés restants jusqu’au grand océan de l’Ouest.
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Un an plus tard, après un peu plus de deux ans de campagne, Rino m’annonça le retour des 16 armées impériales avec d’excellentes nouvelles : Des victoires à l’est, à l’ouest, au nord, et au sud !
Durant ce temps, il y avait sans cesse eu des chefs de multiples horizons qui étaient venu se présenter dans la cité romaine, afin de se rendre compte de visu de ce qu’est la ville éternelle de la légende. Mes armées avaient pour la plupart de bonnes nouvelles.
Je décidais alors d’organiser un triomphe romain pour notre million de guerriers de retour au bercail. Les armées entreraient par la grande porte du nord de la ville et se rendraient jusqu’au palais de l’hémicycle, où les sénateurs attendaient les commandants. Des trompettistes furent installés sur tous les toits bordant l’avenue, et sous les trompettes et les vivas de la foule, Rino ouvrit la marche. C’était extraordinaire, le peuple était hystérique, les femmes retrouvaient leurs hommes reçus héroïquement après 2 ans d’absence, les enfants retrouvaient leur père, et les autorités recevaient les hommes qui avaient au moins triplé la taille l’empire, de Rome, qui était maintenant plus qu’une simple ville, même grandiose, mais redevenait réellement le cœur du monde, l’ambiance était délirante.
Les portes voix sur les murailles annonçaient l’arrivée des armées :
Les quatre armées de l’ouest avaient soumit tout le territoire francophone et espagnophone jusqu’au grand océan de l’ouest, la péninsule « Ibérique » était romaine ! Les hommes du général Bertone, au nombre de 8'000, étaient de la partie, car après leur repos de 2 mois à Rome, ils étaient repartit prêter main forte aux armées de l’ouest.
Les quatre armées du nord entrèrent dans la ville, victorieuses de la totalité des territoires germaniques et scandinaves. Ils avaient soumis de vastes territoires plus à l’est du continent en redescendant, et accumulant les victoires. Les armées du nord formèrent un cortège extraordinaire. C’était plus de 180’000 guerriers victorieux qui paradaient dans la ville éternelle.
Vint ensuite le défilé de mes armées chargées de conquérir le nord-est du continent, elles avaient pris Moscow, et tous les marché jusqu’à celui de Mourmansk, très au nord-est.
Puis, les armées du sud-est paradèrent mollement, celles-là même que je visitais en bulle avec le seigneur Grec Dionioski. Elles formaient un piteux régiment d’à peine quarante mille hommes à bout de forces. De fait, elles s’étaient fait battre aux portes de Damas. Ces armées conquirent la Grèce avec panache, ainsi que de grandes villes et territoires de l’est de l’Europe, marchèrent sur les terres dépeuplées au-delà du Bosphore, ces terres vides d’humains que nous rencontrions lors de notre navigation. Cependant, arrivées aux portes d’un grand territoire bien plus peuplé, elles se heurtèrent à de puissantes alliances de clans orchestrées par le cheik Asim ben Yousef, le même que j’avais accueillit sur mon navire et à qui je permis un tour en bulle ! Le seigneur de Damas avait donc anticipé mes manoeuvres de conquête en s’alliant à de nombreux clans et marchés, dont celui de Tel Avif.
Rino arriva au portes du palais du sénat, gravit les marches, et je lui remis le sceptre de la victoire. Les 16 généraux suivaient et chacun fut coiffé d’une couronne de lauriers. Paskale reçu Rino au sommet des marches amicalement, il participait à sa joie en lui disant qu’à son retour de Germanie, il avait éprouvé la même fierté ainsi acclamé par toute la population. J’étais heureux de voir que mes deux rois semblaient réconciliés.
Les troupes de l’est furent elles-aussi acclamées, car malgré leur défaite à Damas, elles n’avaient pas démérité en étendant l’empire encore plus loin que ce que l’avaient fait les armées de ouest. Restait néanmoins qu’elles étaient en piteux état. Quatre armées de cinquante mille hommes réduites à quarante mille rescapés, plus une trentaine de mille autres restés dans des garnisons régionales sur les territoires soumis! Cela représentait tout de même une perte sèche de près de cent trente mille hommes !
D’autant que nous ayons pu en juger par notre voyage marin, ces peuplades au-delà du Bosphore étaient différentes de nous. Etaient-elles tout simplement plus avancées dans leur chaos ? Avaient-elles déjà des coopérations étroites entre leurs clans ? Sans doute ! N’en demeurait pas moins qu’il fallait bien leur montrer, tôt où tard, qui commande en ce bas-monde !
Mais pour l’instant, mon empire englobait déjà tout ce que les romains nommaient « Europe », et en moins de 10 ans de règne, s’il vous plait ! C’était si immense, que même si je pérégrinais durant toute ma vie, je ne pense pas qu’elle puisse être assez longue pour visiter tous les clans et marchés sous ma juridiction d’alors... De l’Espagne à la Scandinavie, de la Scandinavie aux territoires de l’est, ces mêmes territoires dont les descendants sont peut-être ceux du grand guerrier Attila, les hongrois me semble-t-il. Et depuis les Hongrois, jusqu’aux Grecs et aux territoires Turcs. Tous les habitants de ce continent étaient sensés dorénavant obéir à Rome ! D’ailleurs, je n’avais qu’à regarder le défiler continu de chefs de tous horizons défiler dans la ville chaque jour pour me faire une petite idée de l’étendue de notre juridiction.
Lorsque j’appris la défaite des armées de l’est face aux forces de Damas, ma première idée fut de demander aux chefs présents plus d’hommes pour envahir et soumettre ces sauvages. Mais mon cher Barnabé, qui toujours veillait à mettre un peu de réflexion dans mes ardeurs, m’incita à décliner tous nouveaux soldats romains choisis hors de Rome. Barnabé eu la bonne intuition de m’assurer d’abord d’un contrôle total sur toute l’Europe avant de disperser des troupes plus loin. L’empire était encore tout jeune, et il devait s’organiser avant de vouloir encore s’agrandir. Les suggestions de mon scribe furent bienvenues et en tant que vice gouverneur de Rome, il avait loisir d’organiser avec mon père tout ce beau monde. Moi-même et les pères sénateurs veillions à la relève de l’armée qui semblaient assurée par les enfants de nos guerriers. En un peu plus de deux ans de campagne, mes troupes avaient tout de même fait de l’excellent travail. Ils m’avaient ramenés plus d’esclaves qu’il n’en était nécessaire pour tout Rome, avaient établis des garnisons régionales un peu partout qui collaboraient avec les autorités locales. J’avais vent d’insoumissions de-ci de-là, mais après l’envoi de l’armée romaine des 30’000 guerriers montés de Paskale, tout finissait très vite par se calmer.
Nous devions cependant prévoir une attaque d’envergure contre les territoires du sud-est. Les premiers fils des guerriers romains atteignaient pour la plupart l’âge de porter les armes dans nos forces militaires. Cependant, pour ne laisser aucune chance à ce cheik de Damas, il me fallait envoyer une force marine pour prendre ses territoires sur deux flancs. Je fis doubler les esclaves du chantier naval pour construire encore plus de navires, tandis que de nouveaux équipages étaient formés. Cette invasion n’était toutefois pas urgente. Comme me l’avais suggéré Barnabé, il était plus sage de m’assurer un contrôle total à l’intérieur des frontières de l’empire, plutôt que de l’agrandir indéfiniment sans une organisation digne de ce nom.
Je nous donnais donc un délai de deux ans pour sécuriser tous les territoires Européens. Mes soldats, de retour de campagne, applaudirent à cette initiative. Ils auraient ainsi le temps de vivre à Rome avec leurs familles, avant de repartir pour de nouvelles conquêtes.
Dans la théorie, tout le continent était soumis, mais il restait encore quelques poches de résistance. Au nord de la Gaule par exemple, on m’avait rapporté qu’un petit village continuait à résister encore et toujours à mes forces, aidés qu’ils seraient par une potion magique !...
Il y avait encore le fameux phénomène Grec, la boule liquide qui recouvrait toute une vallée et qu’aucun de mes guerriers n’arriva à pénétrer à part Radic. Mais il fallait me faire une raison, ce genre de territoire dissimulé échapperai pour toujours à la juridiction de l’empire. Quelle que soit la stratégie utilisée, cette boule étrange était imprenable. Je ne m’en formalisais toutefois pas trop. L’empire était déjà bien assez vaste, et je ne jugeais pas opportun de lancer des troupes dans des aventures suicidaires pour une simple vallée, qui plus est, gardée par les hommes de Paul XII. Je me devais cependant de positionner quelques troupes autour de cette boule au cas où il se passerait quelque chose d’inhabituel. Car, même si personne ne pouvait pénétrer dans cette antimatière sans air, des hommes pouvaient en sortir facilement…, en tout cas les gardes du pape ! Les informations les plus précises font mention de l’apparition de la boule à Athèn lors de la 10ème lune de l’année même où je faisais entrer mes armées dans Rome. De fait, l’apparition correspondait à la fin du mois d’octobre de l’an 4, alors que le pontife me laissa les clefs de la cité le 22 novembre...
Tout avait été prémédité par le pape déjà avant mon arrivée devant les murs, car j’étais tout à fait convaincu que cette boule était une nouvelle manoeuvre des scientifiques à Paul. Mais si ces coïncidences me permettaient d’expliquer le phénomène Grec, il en était tout autrement pour le même phénomène au sud-est de Tel Avif et à l’est de Beiroute. La boule était identique à celle des Grecs. Ces phénomènes donnaient l’impression d’un immense lac bombé s’étendant sur des régions entières. On pouvait y pénétrer sans se mouiller. Il n’y avait plus d’air, malgré une sorte de brouillard qui empêchait toute visibilité. La grosse différence, c’est que l’apparition de cette deuxième boule ne coïncidait avec aucune date me concernant. Son apparition en Palestine, il y tant de générations, fait déjà partie des légendes locales. Si cela était un prodige scientifique romain, il y avait fort à parier que les pontifes d’autrefois étaient spécialement intéressés par cette région. Ils devaient d’ailleurs encore l’être aujourd’hui, puisqu’ils maintenaient leur sorte de bouclier inconsistant. Le mystère quant à ces boules demeurait donc entier. Nous n’étions même pas certains que les terres sous ces bulles étaient habitées par un peuple. Mais connaissant les capacités romaines, il y avait fort à parier que c’était le cas. Barnabé, bien que n’ayant pas vu ces gigantesques étrangetés, avait toujours quelque imagination à revendre. Lorsque nous sommes venus la toute première fois à Rome, la cité n’était pas protégée par ce bouclier. Il en tirait donc deux conclusions :
- Soit les romains sont totalement étrangers à cette science, ne sont pour rien dans l’apparition de ces boules, et les deux soldats habillés comme les guerriers de Paul ne sont que des imitateurs. Dans ce cas, il était judicieux de faire surveiller le pourtour de ces phénomènes.
- Soit les romains contrôlent effectivement ces territoires en Grèce et Palestine. Dans ce cas, pourquoi Rome n’était-elle pas protégée de la même manière ? Peut-être tout simplement parce que Rome est la seule ville éternelle, la seule ayant traversé le chaos. Les anciens habitants d’Athèn réfugiés au dehors de la vallée témoignaient d’ailleurs que leur ville était un marché issu du chaos, les ruines de l’ancienne ville étant plus bas dans la plaine. L’ancienne Athèn n’avait pas traversé le chaos, contrairement à Rome. Pourquoi les romains auraient choisi cette vallée au moment ou ils s’apprêtaient à me livrer leur ville ? D’autant plus qu’ils disposaient déjà de tout un territoire en Palestine. Ce dernier paraissait plus explicable, d’après Barnabé. Quoi qu’il y ait eu sous cette boule, même si le chaos avait tout dévasté, les romains étaient attachés d’une manière ou d’une autre à ce lieu depuis toujours. Contrairement à la boule Grecque qui semblait n’avoir été conçue qu’en fonction de notre installation à Rome. Les légendes Palestiniennes parlent d’une ville qui se nommait Jérusalemnia, et qui fut engloutie la première lors de l’agrandissement, lent mais progressif de leur boule, il y a des générations et des générations. Le raisonnement de Barnabé me semblait correct et ce fut celui que je retins. Nous ne pouvions expliquer ce que signifiait Jérusalemnia pour les romains, mais ce devait certainement être un lieu symbolique. Tandis que la vallée Grecque avait plus sûrement été engloutie pour y caser nos parias. En un lieu d’où ils ne pourront plus revenir... Nous ne nous tracassions donc pas trop à ce sujet, pour ne nous occuper que des problèmes sur lesquels nous avions réellement une emprise.
Certains de mes messagers de l’ombre me livraient quelques soucis. Il m’était rapporté que dans quelques endroits de l’empire, mes états major vivaient carrément dans les citadelles de puissants marchés. Ils avaient relégué les seigneurs, chefs et anciens, au statut de simples garants de l’ordre, … des laquais ! Ceci était contraire à l’esprit de la loi. Je m’en voyais bien attristé d’apprendre que mes hommes continuaient à abuser de leur autorité pour quelques commodités personnelles, alors que Rino, Monarque des guerres impériales, avait vécu plus de deux ans sous une tente, hors des murs de Rome, et cela, de sa propre initiative pour éviter que ses généraux et messagers aient à pénétrer dans la ville pour le voir ! Je décidais donc de punir exemplairement cette fois-ci. J’ordonnai que tous les chefs lésés ainsi que les états-majors incriminés soient emmenés à Rome pour se soumettre à ma justice. 45 de mes hommes s’étaient emparés de la citadelle du marché de Gènova, ville côtière au nord de la péninsule. Le seigneur de la ville, sa famille et les anciens s’étaient vu dépossédés de tout pouvoir, tandis que mes hommes régentaient à leur guise toute la région. Après avoir écouté brièvement les deux parties au conflit, je déclarais parias mes 45 hommes, coupables de trahison contre l’esprit de la loi de Rome. C’est à genou à travers la basilique, que nous les voyions disparaître, laissant leurs armes et leur statut derrière eux, tandis que leurs familles devenaient des esclaves de Rome pour une génération.
Ce jugement fit l’effet d’un tremblement de terre dans toute la population de la cité. Jamais jusqu’ici, guerrier n’avait été traité pareillement pour une simple affaire d’abus de pouvoir. Mais abuser du pouvoir que j’octroyais à mes guerriers était une injustice, et comme l’avais dit Paul, un monde bâti sur l’injustice ne pouvait que s’écrouler. Voilà sa conclusion après 3’500 ans de règne des papes. Ces derniers avaient vu des empires, des royaumes, des mondes, se faire et se défaire, et ils savaient certainement de quoi ils parlaient...
Alors, si même mes propres forces romaines apportaient l’injustice dans le monde, mon empire serait voué à la disparition ! Et je n’y tenais pas du tout. Il fallut que je redonne une audience sur la place de Pierre à toute la ville. J’expliquais en ces termes mon jugement et sa sévérité. “Les habitants de Rome ne sont plus des barbares ! Il y a la loi et des règles que nous tentons d’apporter au monde pour rétablir des structures saines. Si les guerriers romains, qui devraient êtres des exemples auxquels les populations sauvages puissent s’identifier pour comprendre l’esprit de notre nouvelle civilisation, sont des voyous, ils n’ont plus rien à faire ni à Rome ni au sein de ses forces armées ! Ces hommes trahissent non seulement ma confiance, mais aussi celle que Paul a mit en moi. Mon torse, toujours marqué par le signe de la croix, me rappelle chaque jour que Dieu fait l’engagement et la promesse que j’ai faite au pontife pour qu’il me cède sa ville. J’exige donc de tous les sujets romains qu’ils montrent au monde la voie de la sagesse qui imprègne notre justice !”
Ces quelques paroles ne venaient pas de mon cœur, mais de mon esprit et de ce que Renaissance m’avait insufflé. Je fus surpris par mes propres paroles, et je crois que c’est à ce moment que je compris que ce n’était plus moi-même qui parlais, mais un autre… Moi, j’étais un homme d’un autre temps, et la devise que mon cœur acceptait avait toujours été « Vae Vicktis » (malheur aux vaincus), mais là, je m’entendais causer comme un homme civilisé, un homme hors Chaos, tentant d’inculquer à ses compatriotes du Chaos une règle supérieure que celle de la loi du plus fort. Je dû me faire violence pour accepter ça, mais je ne pouvais que constater que j’avais bel et bien prononcé cette sentence à l’encontre de mes fidèles hommes du chaos qui avaient la même philosophie que moi, … au fond du cœur !
Mais au fond, … encore, je savais que je n’étais pas seulement destiné à vaincre le chaos, je savais que je ne devais pas me contenter d’assurer le patrimoine de la cité, j’imaginais ma mission comme étant celle de changer la face du monde, de le construire à l’image de Rome, civilisé et magnifique, avec ou contre mon gré.
J’avais d’ailleurs personnellement hâte d’envoyer mes constructeurs de part l’empire. Plusieurs scribes étaient attachés à l’enseignement de plus de 2’000 apprentis constructeurs. Ils apprenaient les techniques de fabrications romaines. Les scribes pensaient que d’ici un à deux ans, les apprentis seraient prêts à ordonner la réalisation de belles oeuvres. Le conseil des pères sénateurs avait donné son avis sur la question de ces nouvelles constructions dans l’empire. Nos postes régionaux étaient devenus de véritables camps, à l’image de villages. Construits le plus souvent sur les cendres des marchés récalcitrants que nous avions dû brûler lors de nos campagnes, ces camps étaient dispersés à travers tout l’empire. En tout, il y avait certainement plus de 300’000 guerriers dans ces garnisons régionales. Le sort de nos garnisons provinciales fut résolut de la manière suivante par le conseil des pères : Les constructeurs partiraient ordonner des édifications à l’endroit même de nos camps provinciaux. Les soldats des clans et marchés qui ne seront pas retenus pour entrer dans les forces des gardiens de l’ordre, seraient pris comme aides bâtisseurs et apprentis maîtres-bâtisseurs pour les plus doués. L’idée était de créer des images de Rome dans le monde. A mesure des constructions, les camps prendront de plus en plus l’aspect de sortes de petites villes aux palais et bâtiments extraordinaires pour les hommes du chaos. Des petites Romes, de simples reflets seraient déjà enthousiasmants pour les populations locales. Si nous arrivions à ceci, les chefs des villes et marchés nous emboîteraient certainement le pas et la face du monde sera alors changée...
Je n’avais eu qu’une objection au projet des pères tel que présenté. Une sorte de petite querelle divisa l’assemblée sur la première construction à entreprendre dans nos camps. Certains étaient d’avis de construire les palais des états-majors et des cours de justice romaine, tandis que d’autres voyaient la construction d’immenses citadelles.
A ce moment, alors que chacun expliquait l’avantage d’un bâtiment sur l’autre, je déchirais ma chemise. Tous firent silence et observèrent la croix gravée en ma chair. Je leur indiquais donc que le premier bâtiment qui serait construit dans chaque camp romain serait une basilique ! Certains se contentèrent de se racler la gorge, mais Rino ne put s’empêcher de protester. D’après lui, ces basiliques n’étaient d’aucune utilité pour l’instant à des guerriers en poste dans l’empire. Il fallait construire d’abord des choses utiles à la structure de notre civilisation.
J’étais d’accord avec lui sur la logique, mais intransigeant sur ma volonté et le lui dis : « Tous les mondes fondés sur la logique, l’ancien empire romain comme tous les autres à sa suite, se sont effondrés. La seule civilisation qui ait survécu, fut une civilisation fondée sur l’illogisme, sur un Dieu… crucifié en plus ! Elle seule, de part tout le monde connu, survécu au chaos et c’est là que l’illogisme rejoint l’utile : Je veux un empire qui dure ! Alors si je dois utiliser mes premiers bâtisseurs à la construction d’édifices inutiles sur l’instant, je le ferais, et je compte bien que le Dieu romain nous en soit gré ! Ce que les peuplades barbares verront en premier lieu seront des basiliques. Inutiles pour l’homme, peut-être, mais utiles pour le Dieu romain. Ce Dieu a préservé la dynastie des papes ! Grâce à cette initiative, peut-être daignera-il bénir la mienne, et mon nouveau monde par la même occasion ! Nous devons faire de ce Dieu notre principal allié. S’Il a été une valeur aussi sûre pour les papes, il n’y a aucune raison de penser qu’Il me tournerait le dos. De plus, même si les basiliques sont inutiles pour le confort de mes hommes, c’est justement par ce genre d’oeuvres inutiles que l’esprit de Rome se distinguera de l’esprit barbare : Dans l’art et dans la beauté du geste inutile... »
Ces constructions risquant de durer des dizaines d’années, j’admettais par contre tout à fait que durant le chantier de l’édifice de Dieu, le maître constructeur ordonne d’autres chantiers. Mais je tenais à ce que nos premiers coups de pioches soient pour ce Dieu, dont Paul m’avait mis sous la protection. Rino ne protesta plus et il en fut donc décidé ainsi, mais les apprentis bâtisseurs n’étaient pas encore tout à fait prêts pour de telles oeuvres.
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Durant les jours qui suivirent, il arriva encore à Rome des états major renégat de toutes sortes de régions. En tout, ce fut 897 de mes guerriers et officiers que je déclarais parias, et le même nombre de familles qui devinrent esclaves. Maintenant que la nouvelle s’était répandue dans mes armées, j’imaginais que mes hommes adopteraient le comportement adéquat.
Victorio allait vers sa majorité. Ses cours de lecture et d’écriture avaient été interrompus durant notre voyage maritime, mais depuis notre retour, il suivait à nouveau les enseignements de Barnabé. Malgré ses 12 ans, Victorio était déjà un sévère adversaire pour ceux qui passaient leur tournoi des 14 ans. Et tout aussi important que cela, Victorio était le premier guerrier issu du chaos connaissant la science des chiffres et des lettres. Barnabé et ses amis scribes venaient d’une sorte de petit clan, qu’on aurait pu confondre avec une tribu de parias. Au fond d’une gorge, à l’abri du chaos, ils perpétuaient leur science au fil des générations. Sans nous, ces hommes étaient condamnés à vivre savamment, mais reclus. Nous leur apportions le moyen d’étendre leur savoir, car sans nos guerriers, ils n’auraient pas été bien loin. Toutefois, même si c’était moi qui leur apportais leur nouveau prestige au sein du monde, j’étais bien conscient qu’eux pouvaient également m’apporter beaucoup dans la construction de ma nouvelle société. Il n’y a qu’à voir Bartoloméo le scribe, qui dirigeait le chantier naval en ordonnant l’édification de plus de 40 nouveaux navires ! D’autres scribes expliquaient des plans et des dessins à des apprentis bâtisseurs, tandis que ceux qui restaient enseignaient leur savoir aux enfants des pères ainsi qu’à bien d’autres. Barnabé, quant à lui, s’occupait de la science de mon fils, de protocoler les décisions des pères sénateurs, et de jouer son rôle de vice gouverneur pour soulager un peu Armadé.
De mon côté, j’étais pour tous « le géant à l’épée de feu », et les nouveaux romains faisaient révérence à peine me voyaient-ils arriver au coin d’une rue. Je ne savais pas trop comment vivaient les anciens empereurs romains, mais je voyais la solitude qu’apportait un tel poste... Je m’en accommodais en entrant au hasard dans des maisons pour causer et manger avec telle ou telle famille anonyme, comme je le faisais depuis toujours. Les habitants s’en trouvaient très honorés de passer une heure ou deux avec moi, et je m’attirais toujours leur sympathie. Quoi qu’il en soit, le grade d’empereur me plaisait bien. Le pouvoir de décider de l’avenir du monde était une sensation assez gratifiante, même si le revers devait être la solitude. De toute manière, j’étais habitué à cela depuis enfant, et l’amour que les autres me portaient n’avait jamais été le principal de mes soucis. Pour l’instant, mon grand projet était de faire plier l’échine du Cheik Assim ben Yousef, seigneur de Damas, qui avait mis en déroute plus de 100’000 de mes hommes. Une fois cette région soumise, il n’y aurait pratiquement plus aucun obstacle sérieux pour notre progression à l’est et au sud de la grande mer.
Durant notre voyage maritime avec Sérafino, nous avions pu constater que les portes de ces villes orientales étaient ouvertes. Ils laissaient entrer bien plus facilement les visiteurs que chez nous. Dans nos contrées, pour pénétrer une ville en dehors des trois jours de marché, il fallait soit être marchand, soit chef de clan, avec une bonne raison de réunion. Ayant observé la relative facilité d’échanges humains à Damas, nous pouvions penser en toute logique que ces peuplades étaient bien plus liées que nous durant le chaos. Mieux organisées que les autres, elles surent mettre en perdition trois de mes armées. Il me fallait donc une victoire éclatante et une soumission sans condition de cette région afin d’affirmer l’invincibilité des armées romaines. Je ne précipitais cependant pas le mouvement, histoire de mettre toutes les chances de notre côté.
En attendant la campagne de Damas, nous eûmes une guerre civile à mater. Le marché de Vienne avait commencé une guerre contre celui de Bratislaval. Les protagonistes n’avaient pas cru utile de nous demander l’autorisation pour entreprendre les hostilités, ceci, au mépris de nos nouvelles prérogatives. J’envoyais Paskale pour mettre fin à ces hostilités. Une fois les belligérants matés, les chefs et conseils des deux villes, ainsi que leurs familles, devaient êtres déportés à Rome. Quant aux populations, Paskale avait loisir de juger de leur sort sur place, avec une restriction toutefois : Pas de génocide ! Son expédition fut un succès total, et il nous emmena encore quelques milliers d’esclaves.
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Les apprentis constructeurs étaient maintenant prêts à bâtir. Sur les deux mille apprentis, les scribes enseignants choisirent les mille meilleurs qui devinrent maîtres constructeurs, tandis que l’autre moitié était destinée à les seconder en devenant chef de chantier et commandeur des bâtisseurs non aguerris. Ils formaient donc à chaque fois des équipes de deux et pouvaient maintenant partir mettre à exécution leurs études. Je voulais en premier lieu que huit équipes rejoignent les Alpes. Les premiers chantiers seraient la construction de basiliques de taille raisonnable dans tous les marchés valaisois, ainsi que celui d’Aoste et Domodosolia. Les 992 autres équipes débuteraient des chantiers dans nos camps régionaux.
Le monde se préparait à une grande mue. Dans ces reflets de Rome à travers les régions, les clans et tribus du Chaos comprendront enfin ce que veut dire le terme de “civilisation”. J’étais satisfait de la manière dont l’empire s’organisait. Tout allait très rapidement, et année après année, le monde se modifiait en s’améliorant. Toutefois, si tout allait vite, rien n’était fait dans la précipitation. C’était justement la préparation qui nous permettait d’avancer rapidement dans l’anéantissement du Chaos.
Tout se déroulait donc le plus harmonieusement possible, en attendant notre grande expédition sur Damas. Armadé présidait le conseil des pères sénateurs, Barnabé suggérait, Rino participait avec sérieux aux réunions, Paskale terrorisait l’hémicycle, les pères réclamaient, et moi, j’envoyais Victorio me remplacer aux séances. Ces discutions étaient devenues maintenant insupportables pour moi. Pour dire la vérité, je n’étais qu’un guerrier, et ces bavardages politiques me faisaient royalement chier, alors j’allais me fondre parmi la population romaine, ou bien je réquisitionnais Paskale et nous allions avec l’armée Romaine et l’unité des milles faire un tour hors de l’empire en utilisant une porte en bordure de celui-ci, histoire de guerroyer un peu avec de nouvelles peuplades. Rino était au courant de nos échappées sanglantes, mais il n’y voyait pas de mal, du moment que toutes ses armées étaient en repos à Rome. Pour ce qui était de la politique, je déléguais mon pouvoir de décision à mon fils. Déjà à treize ans, il siégeait à l’assemblée des sénateurs et pouvait décider seul contre l’unanimité des pères de la première génération, car il parlait en mon nom. Armadé pouvait bloquer ses décisions, mais c’était souvent de connivence avec son grand-père qu’il légiférait.
Je dû intervenir une ultime fois en voyant une décision du conseil des matrones. La grande majorité des habitants de Rome étaient de jeunes guerriers, et leurs femmes n’avaient pas encore atteint la sagesse. La cheffe des matrones n’avait que 38 ans et 12 enfants. Nous avions permis l’établissement de ce conseil lors de notre entrée dans la cité, et 25 femmes siégeaient pour régler à leur guise toutes les affaires féminines. Ces jeunes matrones n’étaient pas à la hauteur de leur tâche, tandis que Rome leur offrait une vie bien plus agréable que la campagne. Elles semblèrent se laisser aller à la vie facile, allant même jusqu’à revendiquer de nouveaux droits. Toutefois, si nous voulions bien débattre du droit des femmes, leur conseil fit une grave erreur en donnant raison à une jeune épouse contre son homme. Mettant en avant des problèmes de santé, elle demanda à être épargnée du devoir de grossesse !!??! Et vous voulez savoir la meilleure ? - Le conseil des matrones lui donna raison...!?! Leur décision était si stupide qu’elle me mit hors de moi. Je pouvais bien admettre que la femme en question soit d’une santé trop précaire pour une nouvelle maternité, mais s’éviter des grossesses n’était de nature qu’à prolonger sa vie au détriment de la descendance, ce qui se trouvait être inadmissible : “Qu’elle soit engrossée sur le champ, éructais-je, et qu’elle périsse si tel est son destin ! Son mari aura au moins le loisir de choisir une nouvelle femme en meilleure santé !” Les matrones me prirent à contre-pied, arguant que ma loi assurant la liberté, l’obligation faite à une femme de procréer restreignait sa liberté. … Et puis quoi encore ? ! Ces matrones jugeaient donc que la liberté de l’homme à disposer d’une descendance ne devait pas se faire au détriment de la liberté des femmes à vivre ?!?... Il avait toujours été admis qu’un guerrier meure au combat, qu’un paysan trépasse sous l’effort, et que la femme meure en donnant la vie. Il n’en ira pas différemment à Rome !
Les matrones romaines commençaient donc à interpréter la loi d’une manière tout à fait révolutionnaire. Je misais sur une politique d’expansion, autant de territoires, que du peuple de Rome. Ce sont nos descendants qui s’en iront apporter la civilisation au monde, en bâtissant des monuments et des cités nouvelles. Je tenais ainsi à ce qu’ils soient nombreux, et une telle décision contrecarrait tous mes plans. Bref, après trois ans dans la cité, les femmes m’énervèrent suffisamment pour me décider à dissoudre par décret l’autorité de ce conseil. Le conseil des jeunes matrones fut supprimé.
En remplacement, je prévoyais une manoeuvre stratégique. Le plus ancien des pères, à part Monié et Armadé, était Marcelo. Il avait participé à la grande épopée en tant que champion du marché de Domodosolia, alors qu’il avait déjà 32 ans. Il n’avait jamais spécialement brillé au combat, mais en tant que doyen des champions, il bénéficiait de la sympathie de bien des pères. Ses paroles étaient sages, et à lui seul, il arrivait parfois à regrouper une majorité des sénateurs derrière ses opinions. Arrivé à la quarantaine, il était en mesure d’exercer une sorte de contre pouvoir dans l’assemblée. Marcelo bénéficiait de l’impunité accordée aux pères, et n’avait pas pour habitude de se laisser intimider. Je me la jouais donc diplomate en nommant sa femme, Angélina, 39 ans et 9 enfants, juge unique des affaires féminines. Dans ma décision de dissoudre le conseil des matrones, j’avais hésité à donner le pouvoir de jugement sur les femmes au conseil des pères. Cependant, il m’apparût stratégique de nommer Angélina juge unique, et ainsi gagner l’appui total de Marcello dans nos décisions. Sabrine, Impératrice, reconnue et respectée comme telle, contrôlerait Angélina…
Au poste où se trouvait alors Angelina, elle entra dans le cercle des quelques personnes qui proposent et décident de l’avenir de l’empire au conseil restreint de mes fidèles. Ainsi, en gratifiant sa femme, je m’attribuais une vassalité parfaite de la part de Marcelo. Du fait de son statut, et de l’intimité des discutions privées que nous tenions entre nous, elle devint une fidèle conseillère sur les affaires féminines, et après consultation, elle décrétait les règles. Non seulement, j’avais gagné le doyen des champions à mes idées, mais en même temps, cela nous permettait de dicter notre idée de la politique féminine à sa femme. Elle s’engagea à rééduquer ces romaines nouveau genre qui, en souhaitant prendre l’ascendant en refusant une progéniture à un guerrier sous prétexte de la santé de la femme, firent reculer la cause des femmes... La décision du conseil des matrones fut une nouveauté éphémère dans les lois féminines de l’après Chaos, mais une première bien malheureuse pour le sexe faible en général. Cette politique féminine ne valait cependant qu’à l’intérieur de Rome, et si ma méthode d’éducation ne plaisait pas, je les laissais libre de quitter la ville. Le dressage thérapeutique des femmes n’était de toute façon autorisé que si la femme faisait des histoires à la procréation de la descendance de son homme.
La gent féminine était bien gentille, mais devait sans cesse être encadrée pour ne pas déraper vers des penchants pernicieux pour l’humanité. Surtout qu’il s’agissait là du pouvoir, et du pouvoir en général. Le jour où les femmes contrôleront la procréation, elles contrôleront le pouvoir. Paul m’avait laissé entendre qu’à la fin de l’ancien monde, des femmes, même infécondes, occupaient des postes décisionnels. Bien que le pontife ne pu m’indiquer la raison qui provoqua le Chaos, je pensais bien qu’avec des femmes gâtées au pouvoir, les pauvres bougres n’avaient vraiment eu aucune chance d’éviter la catastrophe. Dans mon monde, j’apprendrais à chacun à rester à sa place, que cela plaise ou non.
J’avais également pu voir un relâchement des hommes rentrés de campagne. Ils furent donc tous astreints à l’entretien militaire pour eux-mêmes et l’éducation militaire de leurs deux fils qu’ils jugeaient les plus robustes. Je préférais qu’ils en sélectionnent deux par famille au départ, dans le cas où un n’arriverait pas à maturité. Les garçons les moins forts de la famille suivaient des cours de bâtisseurs ou s’essayaient à l’art. A cela venait s’ajouter les cours de lecture et d’écriture. Dès que nous aurions suffisamment d’hommes instruits pour enseigner, je désirais également étendre cette instruction aux filles. Barnabé m’assura que l’intelligence féminine était largement suffisante pour apprendre ce genre de choses. Ainsi le monde irait en s’organisant autour de toutes les futures villes romaines. Je ne souhaitais pas que toute notre descendance reste dans nos enceintes, mais qu’elle s’étende sur la terre dans de futures villes qui refléteront la grandeur de cette nouvelle civilisation.
La dissolution du conseil des matrones fut ma dernière décision politique. Car après cela, je fus tout entier accaparé par la préparation de mes plans de guerre contre les insoumis qui avaient détruits nos armées de l’est vers Damas.
En attendant le moment venu, je participais encore à deux campagnes. Une première visait à remettre de l’ordre dans les territoires d’Espagne du sud. Avec l’armée romaine de Paskale et notre unité d’élite, nous mations l’insurrection. Malgré une victoire totale sur les protagonistes au conflit, c’est là que je fus atteint par la maladie qui devait causer ma mort, progressivement. Ensuite, ce fut une campagne d’extension sur les terres du nord-est de l’empire que nous menions avec Paskale pour nous occuper. Je commençais là à ressentir les premiers effets de la maladie. Après avoir tout de même soumis les terres au-delà du Marché de Sanct Pétersurg et Mourmansk, nous revînmes victorieux de cette échappée vers les pays du froid. Les frontières de l’empire s’étaient encore étendues, et nous eûmes droit à un nouveau triomphe romain, dont la population était friande.
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Actuellement, je dispose de plus d’une centaine de navires et équipages en état de naviguer. Mes troupes terrestres sont déjà parties pour la guerre de Damas. C’est à ce moment, alors que je voulais encore disputer une ultime grande bataille, que la mort choisit de m’emporter. Victorio a aujourd’hui atteint sa majorité et plus d’une cinquantaine d’orphelins siègent au conseil des pères. La relève de la deuxième génération commence à peine à s’organiser tandis que je vais bientôt trépasser. Et de quelle mort ! J’ai été atteint par la piqûre d’un insecte voici deux ans, durant la campagne Ibérique. Ma mort ne serait donc pas le fait de glorieuses passes d’armes, mais d’une simple et insignifiante mouche... Ironie de l’histoire?
En effet, une mouche m’a transmis la maladie du sommeil. Chaque jour est plus insupportable que le précédent. Je m’engourdis pendant le jour, et m’endort même parfois de façon impromptue. Mes fidèles ont de plus en plus de peine à me réveiller. Je sais pertinemment que personne ne réchappe de la maladie du sommeil, et qu’il en serait de même pour moi.
Moi, Léopold Paralamo, grand guerrier du Chaos, le fameux géant à l’épée de feu, vaincu par une mouche... ? Quelle moralité peut-on tirer d’une pareille mort ? C’est ridicule, mais pas plus que celle de mon prédécesseur, Attila. J’ai moi-même la chance d’avoir quelques mois de sursis par rapport au “Fléau de Dieu”, comme disait Paul, mais mon sort est scellé. Impitoyable, mais certain. Barnabé n’y peut rien, quant aux guérisseuses, elles n’ont jamais su soigner la maladie du sommeil.
Durant la dernière réunion des pères, j’ai sacré Victorio nouvel empereur des territoires romains. Armadé reste gouverneur, mon fils empereur, et moi-même, je resterai jusqu’à ma mort le père honorifique de l’empire. Ce grade ne voulait rien dire, mais les pères comprenaient le sens caché de cette formule : Jusqu’à ma mort, personne d’autre que moi ne déciderait du sort de Rome.
En cette fin d’ouvrage, je peux bien avouer une faiblesse Barnabé, non ? (Note de Barnabé : Je prie Léopold d’être franc et d’oser dire ce qui semble le perturber). Non mon cher scribe, je ne suis pas perturbé, juste terrorisé. A certains moment, l’angoisse me tord les tripes, je regarde Victorio, Pakale ou Armadé, j’ai envie de vider mon sac, m’apitoyer un peu sur mon sort auprès d’eux, mais je me retiens toujours au dernier moment, je ne peux pas apparaître faible, même, … et surtout devant mes plus proches amis. Toi tu es plus « sensible », peut-être peux-tu comprendre, même si j’en doute. C’est une angoisse qui monte en moi, j’aurai envie de crier mon désespoir, ma douleur, ma peine, mais tout reste étouffé dans mon… cœur ? Je ne me suis jamais plaint d’une quelconque douleur physique, mais celle-ci est d’ordre moral, et je n’ai pas l’habitude de ça. En fait, j’ai une peur bleue de cette mort qui m’attend au bout de cette maladie. Parfois, je revois l’image de l’expression de cette femme paria que je tenais au bout de mon épée, et je l’envie. Elle est morte par le fer, au bout d’une lame. Je n’ai jamais eu peur de la mort lors de mes combats et duels, mais celle-ci me terrifie, elle me laisse trop de temps, trop de temps pour penser à elle, à la mort, et je ne supporte pas que cette maladie me rappelle sans cesse mon destin. Et puis, Léopold Paralamo qui meurt de maladie, c’est quand même le comble, … quelle ironie ! C’est tellement déroutant, que je pourrais prendre une dague et me la planter en plein cœur pour éviter cette fin. Mais Léopold Paralamo qui meurt d’une maladie ou d’un suicide, c’est de toute façon une honte ! Merde à la fin, je ne me plains pas de mourir à trente ans, mais je mérite mieux comme mort ! Tu entends ça Barnabé, je MERITE une autre mort que ça, putain ! Il y a plein de petits guerriers minables sans grades ni talents qui meurent sur le champ d’honneur, et moi, … ahhhh oui, moi, le maître de la guerre et des combats, oui, tu peux retranscrire tel quel, je ne vais pas jouer au faux modeste à cette heure, prend note : Moi, le plus fameux guerrier du Chaos, celui qui a vaincu le chaos, je devrais m’accommoder d’une mort digne d’un esclave ou d’un paysan ??? Où est la justice de Dieu dans tout ça ? Pfffff, je ne comprends rien à ce Dieu crucifié, mais il aurait pu avoir un minimum d’égards en m’offrant une mort digne de moi. Voilà, c’est triste, mais c’est dit.
Un autre jour, Léopold sembla accepter son destin :
Chaque jour que Dieu fait, je reste des heures et des journées entières dans la basilique. Je sens la mort s’approcher et je demande au dieu romain de me révéler ses desseins pour le futur, mais je m’endors souvent assis. Ce Dieu reste imperturbablement muet et invisible. C’est décourageant, une petite phrase gravée aux pieds de la statue se rapportant à un certain Thomas dit: “Heureux ceux qui croient sans avoir vu”. J’essaye donc de croire ce qu’il faut pour être accepté dans ce paradis. Je n’ai de toute manière rien de mieux à faire. A trente ans, cette mort indigne m’emportera, mais j’analyse tout de même ma vie comme ayant été bonne et loyale. J’attends juste mon arrivée dans le paradis de ce fameux Christ, lequel s’approche chaque jour davantage. Cependant, lorsque la flotte sera parée au départ, je m’embarquerais tout de même pour voir cette dernière bataille à Damas.
7 décembre de l’an 9
La flotte de Sérafino part aujourd’hui pour la guerre de Damas. Je m’embarque sur le navire amiral, j’ai espoir de vivre assez longtemps jusqu’à la guerre. Dans deux ou trois semaines, j’espère pouvoir vivre ma dernière conquête.
24 décembre de l’an 9
Mes troupes à pied sont déjà de l’autre côté du territoire Turc grâce à l’aide des portes, prêt à entamer les hostilités. En ce jour, je convoque tous les généraux sur mon navire. Ils arrivent tous par la porte installée sur le pont, et je donne l’ordre de l’attaque terrestre. Nous devons arriver un peu plus tard qu’eux sur Damas, peut-être demain, ou après-demain. Rino commande les armées et stratégies terrestres, Paskale et son armée romaine sont en appui, Victorio est au côté de Paskale, tout se passera bien, j’en suis certain. Armadé, Patrik, Sabrine, Aurore, Samuel et le petit dernier Paul sont restés à Rome.
Et voilà mon cher Barnabé, j’espère que tu as bien retranscrit toute cette histoire… ça t’as plut ?
L’histoire n’est pas terminée Léopold, … tu n’es pas encore mort !
C’est tout comme…
Je pense que si le pape veut te guérir, il en a les moyens. Tu ne fais pas appel à lui ? Il y a sûrement un espion en bulle pas loin d’ici.
Les choses se passent comme elles doivent se passer, j’ai déjà eu droit à mon traitement de faveur lorsqu’il m’a remis la ville, je ne veux pas abuser de sa bonté, et finalement, si tel est mon destin, personne ne le changera. J’ai fait ce que j’avais à faire, j’ai préparé correctement ma succession, et, même si je sais déjà que ce sera la merde dans l’empire pour Victorio, j’ai bon espoir qu’il vienne à bout des rébellions et trahisons qui ne manqueront pas une fois que je ne serai plus.
On fera en sorte que les sujets respectent Victorio comme ils t’ont respecté toi-même.
Tu sais très bien que c’est impossible, en tout cas pas tout de suite, il devra faire ses preuves, il est encore bien jeune.
Léopold, lui dis-je doucement, j’ai un secret sur mon compte, tu veux savoir qui je suis ?
Léopold sourit et me rétorqua aimablement : - « Mon cher Barnabé, je suis peut-être inculte et illettré, mais pas tout à fait idiot. Je ne sais pas exactement quel est ton rang dans ta civilisation d’origine, mais je sais d’où tu viens, et cela me suffit. Tu m’as rendu d’énormes services pour l’organisation de ce nouveau monde, et je t’en suis reconnaissant pour ça. Le Pontife Paul peut être fier de toi, en tout cas moi je le suis. Garde ton secret, je n’ai pas besoin d’en savoir plus. Merci l’ami. »
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27 décembre de l’an 9
J’arrive à l’instant vers les territoires de Damas, et je dicte à mesure mes sentiments à Barnabé, dont je prie de ne pas retranscrire mes délires. Mes troupes terrestres sont déjà en train de faire plier les guerriers Damasiens qui battent en retraite. Mes équipages marins bloquent la retraite de l’ennemi vers sa ville. Notre débarquement massif par la mer fournit un effet suffisant pour que l’ennemi se rende compte de l’inutilité du combat, déjà perdu… non, pas avant que j’arrive ! Barnabé, envoie des messagers, nous ne devons pas gagner, pas encore…, le grand cheik, … un grand combat… pour le grand cheik, il mérite mieux qu’une capitulation…, envoie des émissaires, fait cesser la guerre.
Note de Barnabé : Les messagers affluaient par la porte installée sur notre navire avec d’excellentes nouvelles. Bien que le cheik Assim Ben Youssef semblait avoir réussi à réunir la plus puissante coalition que nous n’ayons eu à combattre dans le monde du chaos, nos armées étaient entrain de gagner la guerre. Cependant, loin de réjouir notre empereur, ces victoires le perturbaient à un point tel qu’il m’ordonna subitement d’envoyer des messagers auprès de tous nos généraux pour faire cesser les combats. Tenir l’ennemi en respect était suffisant jusqu’à notre arrivée maritime, il ne fallait surtout pas infliger à ce cheik, que Léopold respectait, l’humiliation d’une capitulation…, et lorsqu’il disait ça, il n’avait pas l’air de délirer. C’est bien ce qui m’inquiète dans cette attitude, j’ai peur de comprendre ce que Léopold a derrière la tête, et si c’est bel et bien ce que je pense, demain sera son dernier jour en ce bas monde.
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28 décembre de l’an 9, à l’aube:
Mon cher Barnabé, voici le jour de mon destin. Grâce à ce jour, les générations futures ne se souviendront pas d’un empereur mort par l’arme d’un insecte, et ce soir, le monde du Chaos sera engloutit avec moi. Je serai avec mes amis Marco et Rufus, et je vous regarderais bâtir votre nouveau monde depuis l’au-delà. Passe la porte mon ami, et ramène moi Armadé, Sabrine et mes enfants pour que je leur fasse mes adieux.
Note de Barnabé : - Je traversais la porte installée sur le navire, réveillait Armadé, puis Sabrine, car à Rome, il faisait encore nuit, je leur indiquais que Léopold voulait leur dire adieu. Sabrine réveilla les enfants et tous me suivirent au travers d’une porte pour arriver sur le pont du navire. Léopold attendait sur un grand fauteuil à la poupe du bateau, en nage et luttant contre la fièvre. Sabrine se jeta au cou de son mari, l’embrassa, pleura en tentant de conjurer le sort, disant à Léopold qu’il n’allait pas mourir maintenant, que c’était trop tôt, qu’il était assez fort pour survivre jusqu’à ce qu’on trouve un remède, mais Léopold lui rétorqua qu’il avait décidé de se faire tuer aujourd’hui, et qu’elle ne devait pas l’empêcher de marcher au-devant de son destin. Léopold s’excusa auprès de sa femme, reconnaissant qu’il n’avait pas été un mari très attentif à elle, un père qui n’a été capable d’éduquer correctement qu’un seul enfant sur 4, puis il l’embrassa, et détacha la main que Sabrine agrippait à son bras. Il embrassa Aurore, qui versa aussi une petite larme, et lui enjoignit de bien obéir à sa mère, puis il donna l’accolade à Samuel en lui disant de toujours rester fidèle et obéir à son grand frère Victorio. Enfin, il remercia Armadé pour son soutient et la vie qu’il lui a permis de vivre. Armadé lui dit la fierté qu’il éprouvait, mais ne voulait pas entendre parler d’une mort aujourd’hui même, il était partisan de faire appel au pape pour le guérir, mais Léopold ne répondit rien, il se saisit du bras d’Armadé pour se hisser debout, et dit :
Laissez-moi débarquer maintenant, et accompagnez-moi auprès du grand cheik.
Note de Barnabé : Etant donné que Léopold a fait cesser la guerre la veille, les armées ennemies ont pu se retrancher derrière les remparts de Damas durant la nuit. Nos troupes sont en position de siège, et Sérafino dirige derrière nous ses marins-guerriers vers la ville. Damas est encerclée par nos armées infinies, tandis que Léopold s’approche de la ville à la tête du cortège formé par sa famille et sa garde impériale. Il vacille parfois sur son cheval, mais deux guerriers sont montés à ses côtés et le retiennent de tomber.
Arrivé aux abords de la ville, il demande à être rejoint par tous ses rois et généraux, les 94 champions de la première heure encore en vie, ainsi que Victorio et Paskale, qui arrivent du front par une porte de téléportation à l’instant. Maintenant que tous ses proches et fidèles sont à ses côtés, il fait écarter ses armées du pourtour de la ville et demande à être reçu avec son comité par l’autorité.
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Trois heures après le levé du soleil:
Dans un grondement, les lourdes portes de Damas s’ouvrent, et c’est le cheik Assim ben Yousef en personne qui se dirige vers Léopold pour l’accueillir en ses murs... Ainsi, trois ans après leur première rencontre, le cheik a son pire cauchemar face à lui. Mais notre empereur ne ressemble plus guère qu’à un pâle cauchemar, perturbé par la maladie, titubant dans ses vertiges, et n’assurant plus son élocution. Un interprète que nos armées de terre trouvèrent auparavant se présente, et Léopold demande à son meilleur ennemi l’honneur de se battre contre lui en duel. Ben Yousef semble avoir de la peine à comprendre ce qui l’incite à le faire dans cet état, car nos armées ont déjà écrasé une bonne partie des troupes damasiennes, et celles qui restent sont piégées dans la ville...
C’est alors comme une faveur que Léopold demande ce duel au cheik. Ce dernier comprend maintenant son état, et accepte le combat,… comme un service. Un duel à mort, une passe d’arme qui tuera notre ami, le duel qui lui apportera une mort de guerrier, et non celle d’une mouche...
En entendant cela, Victorio poussa un cri du cœur, et se précipita vers son père en le suppliant de renoncer à ce combat, mais Léopold se pencha vers lui, et lui dit : « Fils, aujourd’hui c’est mon jour, mais c’est aussi le tien, dans une heure, tu seras empereur. Ne pleure pas s’il te plait, et accorde moi le droit de choisir cette mort. Quant à toi, une fois que je serai mort, appuie toi sur Paskale, tout le monde à peur de lui et il m’est fidèle au-delà de tout ce que tu peux imaginer, nous sommes comme qui dirait… frères, et Guérart lui est totalement soumis avec ma permission. Souvient toi bien de cela, lorsque je serai mort, Paskale sera ton plus fidèle allié, plus précieux que ton grand-père, que Rino, Barnabé et tous les pères sénateurs réunis. Prend soin de Paskale et tu règneras tranquillement ».
Victorio accepta la décision de Léopold à regret, mais blêmi à un point tel que j’eu soucis qu’il ne perde connaissance.
Ceci fait, Léopold demande à Paskale d’approcher et nous confia :
Ecoutez mes amis, il s’agit ici de mes dernières volontés:
- « Paskale, après ce combat, lorsque je serais mort, tu seras l’un des derniers purs et durs du Chaos. Tu n’es pas corrompu par la politique, tu fuis au moins autant que moi le conseil des pères, et avec toi, la loi passe par la lame de l’épée. Tout le monde comprend encore bien mieux cette loi que celles écrites au conseil, alors je te confie une dernière mission et Barnabé en est témoin, écrit ça scribe : Victorio doit régner sur Rome et le monde, à tout prix ! S’il faut pour cela massacrer la moitié de l’empire, fait massacrer la moitié de l’empire, je sais que je peux compter sur toi, mon plus terrible et meilleur ami. S’il faut massacrer le conseil des pères, adresse-toi à Guerart, et fait les tous passer par les armes. Paskale, je te confie le règne de Victorio, tu seras son bras armé, Guérart le sait déjà et il mettra ses troupes à ta disposition dans Rome si tu en as besoin. Après ce duel, je souhaite que tous ceux qui m’ont suivit suivent Victorio. Qu’il soit le plus fort ou non n’y changera rien. Voyez-moi à travers lui, je l’ai formé pour cette fonction depuis enfant, tandis que toi Barnabé, tu l’as formé dans les arts de l’esprit, et il lui revient de construire la nouvelle civilisation. J’aimais le chaos, j’étais fait pour le chaos et,… Victorio a été fabriqué pour ce nouveau monde. Je vais maintenant vous laisser mes amis, et m’en aller choisir mes armes vers mon fils.
Je m’en vais en étant fier d’avoir vaincu le monde du Chaos,… de toutes façons, il fallait que l’un détruise l’autre, et c’est tout aussi bien de sombrer ensemble, je n’avais pas tellement l’intention de lui survivre, c’est ainsi que cela devait être. Je laisse le soin à ma descendance et à mes fidèles d’apporter la civilisation au monde.
Note de Barnabé : Paskale semblait ébranlé comme jamais je ne l’ai vu. Il parla encore un peu en privé avec Léopold, j’arrivais même à distinguer une larme perlant sur la joue du terrible guerrier, mais Léopold lui serra le bras en le secouant un peu, sans doute lui demanda-t-il de rester aussi fort qu’il l’a toujours été. Puis après un moment, Paskale donna l’accolade à Léopold et ils se séparèrent.
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Le 28 décembre de l’an 9, Léopold entrait dans Damas en état de semi-somnolence, soutenu par deux de ses proches. Sa santé se trouvait si dégradée qu’il délirait par moments. Mais il continuait d’avancer, vacillant et tremblant de fièvre, en se dirigeant vers le cheik ben Yousef. Ce dernier ne fit montre d’aucune ironie, car il comprit que l’homme le plus puissant du monde acceptait une mort glorieuse de sa propre main. Il fut d’ailleurs très fier d’avoir été choisi pour le dernier duel de l’empereur, et considérait cela comme un honneur.
Alors que Ben Yousef était prêt, au centre de la place de combat, Léopold sembla soudain saisi d’un nouveau souffle, comme s’il émergeait d’un trop long sommeil. Il écarta ses hommes de soutient sans ménagement, se saisit de son épée de marchand (Ben Youssef disposait également du métal des marchands), de son bouclier, et s’avança, l’oeil fixé sur l’adversaire, mais la démarche toujours chancelante.
Toute l’assemblée retenait son souffle. Les guerriers de Damas et les amis de Léopold formaient un immense cercle autour de la place pour admirer notre champion suprême une dernière fois. Même dans l’état où se trouvait notre empereur, chacun semblait croire qu’avec ou sans Renaissance, il était invincible. Il avait triomphé dans toutes les situations, les duels les plus acharnés face aux meilleurs de l’empire. Il assuma aisément des duels en Germanie alors qu’il se trouvait en piteux état. Malgré ses blessures, il en imposa à chaque champion germain. Ainsi, même si les guerriers voyaient leur empereur tituber au centre de la place, ils croyaient encore à une victoire, alors que lui-même voulait vivre là sa dernière heure. Léopold se battit cependant jusqu’à la fin sans se laisser abattre, comme un agneau. Il avait dit qu’il appartenait à la race des loups, non des agneaux...
Notre ami fut touché dès le premier assaut du seigneur de Damas. Il fut surpris par le mouvement incongru du Cheik, qui transperça l’avant bras gauche impérial avec son sabre. Léopold poussa une sorte de rugissement nerveux, secoua sa tête violement deux ou trois fois, lâcha son bouclier du bras transpercé, frappa plusieurs fois violemment son épée contre son torse, et se ressaisit dans les passes suivantes, comme si cette perforation du bras l’avait rappelé à la réalité : il était en combat ! Il n’était plus un lion malade, mais un lion blessé…
C’est alors que notre empereur nous donna une leçon des plus extraordinaires, tous les spectateurs présents virent ce qu’était l’héroïsme. La lame de Ben Yousef n’approchait plus à moins de deux pas du corps de Léopold. Stoïque, ce dernier restait campé sur ses jambes, son corps pratiquement statique. Sans gymnastique, il disposait encore de ses réflexes de défense, et maintenait parfaitement son périmètre de sécurité autour de lui. S’il bougeait, c’était pour tituber juste, évitant la lame ennemie, ne la quittant jamais des yeux, même lorsque parfois, ils se fermaient. L’adversaire ne faisait preuve d’aucune retenue dans ses assauts, et je gage que peu de nos guerriers, même bien portants, auraient pu tenir tête à Ben Yousef. A partir du moment où Léopold saisit les techniques de jeu de l’adversaire, il ne se contenta plus uniquement d’esquives, mais se permit même de lancer de véritables attaques. L’une d’elle toucha douloureusement l’épaule de l’ennemi, qui dû lui aussi lâcher son bouclier. Ils se retrouvèrent à un coup partout.
Le combat dura et le temps jouait en défaveur de Léopold. Mis à part son état de santé des plus inquiétant, la perte de sang due à sa blessure au bras finirait par le faire tomber. Son visage se crispait de douleur parfois, mais il continuait la joute. Le sang suintait abondamment de son bras, la transpiration due à la fièvre et à la chaleur ruisselait sur son visage, mais il maîtrisait si bien sa défense que l’adversaire n’arrivait jamais à l’atteindre malgré tous ses efforts. Son épée prolongeant son bras, elle ressemblait à un véritable bouclier extrêmement mobile, et à part son bras et sa lame, il restait lui-même imperturbable. Cet incroyable combat dura plus d’un quart d’heure, ce qui est énorme compte tenu de l’état de notre ami. La fin était toutefois prévisible : la perte de sang, la fièvre et la maladie auraient raison de lui, même si Ben Yousef ne lui portait pas le coup fatal.
Profitant cependant d’un étourdissement passager de notre empereur, le seigneur de Damas le toucha une seconde fois. Son sabre transperça Léopold, en plein ventre. Le sabre s’était fichu dans son ventre pour en ressortir dans le bas du dos, à droite. Ce coup était mortel, Léopold esquissa une grimace de douleur qui ne dura que l’instant ou le sabre était dans son corps, car dès que le cheik le retira, notre empereur manifesta une violente réaction dont nous ne le croyons plus capable. Il lui suffit de quatre mouvements de lame pour ôter le sabre des mains de l’adversaire. Puis, dans un tourné dont il avait le secret, Léopold décrivit un grand arc de cercle avec son épée. La lame fondit comme un éclair sur l’épaule du cheik. Comme pour son premier tournoi face à Fédérit, il aurait dû lui trancher la tête. Cependant, dans un réflexe d’une précision inexplicable vu son état, la lame s’arrêta à un poil de l’artère carotidienne du cheik désarmé. L’instant d’après, on entendit le bruit du sabre de Ben Yousef qui retombait sur le sol. Léopold l’avait projeté en l’air et sa rotation suivante fut si fulgurante que le sabre ne toucha terre qu’après la défaite du cheik. C’était une victoire éclatante, certainement la plus belle de Léopold. Il laissa la vie sauve au seigneur de Damas. Puis, dans un grand rire tonitruant suivit d’une quinte de toux qui lui fit cracher un peu de sang, il planta son épée dans la terre, devant Ben Yousef. Aucun doute sur l’issue de ce combat incroyable n’était permis : Léopold avait triomphé une nouvelle fois, tout en accordant grâce à son vaincu.
Toutefois, le sang s’échappant de son bras et la perforation des organes vitaux de son ventre lui apporterait la mort, et il le savait. Il demanda au seigneur de Damas de le soutenir car il souhaitait mourir debout. Ses dernières forces avaient été usées lors de son ultime attaque.
Ben Yousef le soutint, et Léopold le remercia pour ce duel, ainsi que pour la belle mort que ce seigneur lui offrait. Ce dernier tenait dans ses bras notre empereur agonisant.
Léopold eu droit à sa mort de guerrier.
Dès l’instant où le sabre du seigneur de Damas traversa de part en part notre empereur, plus un mot ne monta de la foule. Pas un applaudissement après sa victoire, pas un cri, aucun enthousiasme, juste la tristesse et le respect dans un silence de mort.
Victorio accourût vers son père dès la fin du combat, mais un vieillard habillé de blanc apparût prodigieusement et de manière impromptue au milieu de la place !
Je m’approchais moi aussi du corps ensanglanté du plus grand homme que le monde ait porté après le Chaos, de mon ami. Il ne me vit cependant pas, tant il était obnubilé par la mystérieuse apparition de l’homme vêtu de blanc. Cet étrange vieillard se trouvait être le pontife Paul XII ! Le pape remercia Léopold pour son oeuvre, se saisit de Renaissance et la donna à Victorio. Lorsque Léopold vit que son fils pouvait dorénavant tenir l’épée de feu, qui crépitait vigoureusement dans les mains du jeune homme, il remercia Paul, et, dans un dernier râle, il lui demanda : « Alors, Seigneur Paul, t’as apprécié le combat ? Est-ce que je fus à la hauteur de ta confiance ?» Le pontife opina de la tête et lui donna alors ce qu’il appela “les derniers sacrements”, et notre empereur mourut dans les bras de son ultime adversaire, le seigneur de Damas, cheik Assim ben Yousef.
Il était un peu moins de quatre heures après le levé du soleil.
Le pontife pointa alors sa canne argentée en direction de Victorio. Une ligne de feu en sorti, et le torse tout entier du nouvel empereur fut marqué d’une croix: “En guise de bénédiction, et pour que jamais, tu ne perdes la mémoire”, rajouta le pape, avant de disparaître tout aussi prodigieusement qu’il était apparût. La douleur de la brûlure fit choir Victorio à terre. Tous les guerriers romains, ayant compris que leur empereur n’était plus, s’agenouillèrent à sa suite, certains d’avoir perdu un être fondamental dans l’organisation de l’empire.
Le cheik Assim ben Yousef déposa le corps de Léopold à terre et s’agenouilla lui-aussi devant sa dépouille. Il avait saisit l’importance de son geste. Il comprenait que Léopold était un guerrier de nature, et qu’il lui avait offert l’honneur de mettre un terme à ses souffrances. Assim rendit hommage à l’empereur à voix haute, afin que son peuple puisse l’entendre, et tous les guerriers Damasiens mirent genou à terre à leur tour. Personne n’osait bouger le premier, et ce fut Victorio, qui, après avoir accusé le coup de la souffrance de la brûlure, se relevait, face à la dépouille ensanglantée de son père.
Léopold Paralamo, le dernier dinosaure du Chaos, était mort...
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La mort de mon maître me bouleversa. A peine l’annonce de sa mort rendue publique à Rome, que l’empire tremblait déjà sur ses bases. Léopold était dur mais juste, ce fut réellement un grand homme. Ayant vécu en dehors de tout schéma de société traditionnelle, comme il se plaisait à le dire, il reconstruisit un monde. Sa bravoure était admirée par tous ses hommes, sa simple vue inspirait respect et crainte à tous. Il était mystifié comme un dieu à travers tout le monde connu. Cependant, sa jeune mort ne signifiait pas la fin de l’empire. Il avait été assez intelligent pour organiser sa succession, et la nouvelle civilisation ne fut pas en danger. D’un autre côté, il demeurera dans les anales comme le guerrier le plus vaillant, prêt à relever tous les défis sans jamais laisser apparaître la moindre crainte. La seule chose qu’il ne pouvait admettre était qu’une mouche soit capable de le tuer. Alors qu’il tenait à peine debout tant il était fiévreux, je ne m’opposais même pas à ce dernier combat. Il savait que ce duel lui apporterait la mort, Assim ben Yousef le remarqua lui-même, car il changea de politique après la mort de l’empereur. Agenouillé devant le géant terrassé, ben Yousef restait hagard. Ensuite, il soumit tous ses territoires à l’empire, en hommage à Léopold. Il promit en outre à son fils, Victorio, de l’aider dans sa progression vers les territoires palestiniens. Ainsi, Léopold avait gagné son dernier combat, car malgré son trépas, sa noblesse d’esprit gagna ben Yousef à notre cause, et il resta un de nos plus fidèle allié.
Le seigneur de Damas offrit d’embaumer l’empereur selon une de leur technique, qui devait, d’après lui, nous permettre de le conserver sans les affres de la décomposition. Le corps de Léopold était marqué de 119 cicatrices de tous genres, sans compter l’immense croix gravée sur son torse. Son visage était lacéré d’une dizaine de cicatrices, la plus importante étant celle de Gianfranco Villania. Chacune ayant une histoire ou un haut fait d’arme à raconter, cette dépouille était sans doute la plus belle, la plus marquée par la vie, et nous acception l’offre d’embaumement de Ben Yousef. Après les trois jours que nécessita cette intervention, Victorio décida de rentrer à Rome, tandis que nos armées, secondées par celles du cheik, reçurent pour mission de soumettre les territoires à l’est et au sud de la grande mer.
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Voilà donc le récit de la vie et de la mort du premier empereur de l’après Grand Chaos. Si sa durée de règne fut brève, il n’en demeure pas moins que je souhaite rendre hommage moi aussi à ce grand homme, qui fut mon ami durant plus de neuf ans, en dépit de toutes nos différences.
Moi, Barnabé, ait eu l’honneur d’écrire la première biographie de l’après Chaos. Je sais qu’aucun homme capable de lire cette histoire ne pourra s’identifier au héros. C’est normal, personne d’autre que lui n’aurait pu faire ce qu’il a fait, ni être ce qu’il fut. Armadé était l’homme qui avait pensé l’après Chaos, mais Léopold fut l’homme qui terrassa le chaos sur son passage. Son coeur de pierre pouvait bien être dur, son esprit était simple et généreux pour ceux qui admettaient de sortir du Chaos, impitoyable pour ceux qui souhaitaient y rester. De gré ou de force, il tira l’humanité de sa longue nuit, et cela, nous ne le devions qu’à lui. Il reçu Rome, nous y vivons, et cela aussi n’est dû qu’à lui. Après quelques remises en places, la discipline régnait en Europe, grâce à lui aussi. Des bâtisseurs sillonnent actuellement l’empire pour créer des reflets de Rome à travers le continent, encore grâce à lui. Armadé eut des idées de création, Victorio agrandira certainement l’empire que son père a créé, mais seul Léopold créa. Sans lui, le monde baignerait toujours dans le Chaos.
Léopold était une sorte de géant mesurant plus de 5 coudées de hauteur. Très exactement de 2 mètres et 8 centimètres, selon les unités du système métrique romain. Imposant par sa taille et sa force, il n’en était pas moins intelligent que moi. Son illettrisme ne le gêna jamais dans ses campagnes, mais il était patent qu’il souffrait de son inculture à Rome. Sur n’importe quel champ de bataille, dans n’importe quel duel, il était supérieur à tout ce que nous connaissions jusqu’alors. Je pouvais toutefois percevoir sa faiblesse lorsqu’il déambulait dans la cité. Dans Rome, Léopold était mal à l’aise, sûr de n’être qu’un insignifiant personnage à côté de la grandeur de la civilisation des pontifes. Il ne séjourna d’ailleurs pas plus de quatre mois d’affilée à Rome, sautant sur tous les prétextes pour repartir endosser son statut de guerrier suprême dès qu’un semblant de tumulte agitait une région de l’empire. Paradoxalement, à chaque fois qu’il était loin de la cité, il se retrouvait irrémédiablement attiré vers la ville et ses beautés, faisant grand usage des portes de téléportation, qui ne le quittaient plus, et revenait à chaque fois dans la ville avec bonheur. Mais il ne pouvait y demeurer trop longtemps, cette ville était la seule chose capable de vraiment mettre à l’épreuve notre empereur.
Si sa stature en imposait à tous, son apparence n’était pas non plus de nature à pousser à la plaisanterie le premier venu. Son visage balafré de maintes cicatrices forçait le respect ou la crainte de tous ses sujets. Ses longs cheveux blonds, attachés ou en bataille faisaient penser aux grands guerriers du nord, ses yeux d’un bleu profond, comme le ciel après l’orage, sondaient et intimidaient l’interlocuteur, et personne n’osa jamais lui tenir tête. Tous ses guerriers, sur n’importe quel champ de bataille, l’appelaient « chef », et cela, du simple troufion jusqu’aux plus grands généraux. Léopold souhaitait qu’il en soit ainsi pour les combattants. A Rome, les habitants ne savaient par quel adjectif le nommer. Ils commencèrent avec des “Monseigneur”, “Sérénissime”, “Sa Majesté”, et ce genre de titres grandiloquents qui ne seyaient pas du tout ni à son apparence, ni à son tempérament. Léopold ne s’était jamais vu comme un Monseigneur ou une Majesté, sa personne n’était en fait qu’une pure construction guerrière, et tout en lui rappelait le guerrier. Pour finir, tous avaient adopté le terme de “Guerrier suprême”, y compris les pères.
Je sentais bien que maintenant, pour préserver l’empire, nous devrons tous êtres unis autour de Victorio. Tant que l’ombre de Léopold planait sur l’armée, aucun des pères ne se serait permis de contester une décision de son fils ; quant à l’idée de trahir Léopold, elle était si incongrue que je gage que personne n’a jamais même imaginé une chose pareille. Mais maintenant que Léopold n’est plus, Victorio ne tient sa légitimité que d’une succession sans tournois. Indéniablement, celui qui donna toute la légitimité à la fonction impériale du jeune homme, fut sa reconnaissance comme tel par le souverain pontife. Le pape était perçu parmi la population romaine comme une sorte de mythe qui pouvait venir les punir n’importe quand s’ils ne se tenaient pas correctement. Imaginez l’effet que produisit son apparition au milieu de la place du tournoi de Damas pour remettre les attributs du pouvoir à Victorio !...
Paul XII avait tracé, béni, et transmis Renaissance à Victorio, telle était la volonté du pontife. La bénédiction du pape, la croix gravée à même la chair, et l’épée de feu constituaient depuis le début du règne de Léopold les attributs du pouvoir romain. Ces attributs l’aideraient à faire respecter son autorité, car je gage que certains des pères eux-mêmes, n’en ont pas encore fini avec la loi du plus fort. Et contrairement à Léopold, du haut de ses 15 ans, Victorio n’est pas encore le plus fort.
D’un autre côté, le jeune homme a toujours combattu aux côtés de Marco, Rino, Paskale, Patrik, Sérafino, depuis sa plus tendre jeunesse. Ces cinq champions ayant été placés au sommet de la hiérarchie des pères par Léopold, je ne doutais pas de leur fidélité envers son fils, qu’ils considéraient un peu comme de leur famille. Le gouverneur de Rome étant son grand-père, le jeune homme bénéficie tout de même d’une solide représentation au conseil.
Victorio étant de la même trempe que son père, il ne fait aucun doute qu’il guerroiera avec bravoure. Il pense d’ailleurs déjà à reprendre la mer avec Sérafino, à la tête de toute la flotte, pour de nouvelles conquêtes.
Je vais maintenant clore ma modeste contribution à l’histoire de la fin du Chaos pour transmettre ce recueil au nouvel empereur, qui aura loisir de continuer seul l’histoire de cette renaissance et de cette nouvelle dynastie. Victorio en est aujourd’hui capable, mon enseignement ayant fait de lui le premier lettré de toute l’armée impériale.
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Moi, Victorio Paralamo, remercie Barnabé d’avoir pris note de toute cette histoire, contée par mon père. Je souhaite aussi rendre témoignage à mon père. Aujourd’hui, à a peine 15 ans, j’hérite d’une succession vertigineuse, et je prie le Dieu romain de me donner la force pour poursuivre l’oeuvre de père.
Je suis né dans le chaos, j’ai voyagé jusqu’à l’âge de 4 ans sur les chariots, entourés des troupes marchandes de Monié. J’ai ensuite vu mon père terrasser tous les champions lors du formidable tournoi de Tourbillon, juste avant l’an zéro. Ce tournoi est sans doute mon premier grand souvenir, et l’émotion que me procura mon père à cette occasion restera à jamais gravée dans ma mémoire. J’avais à peine 4 ans, et je me souviens de ces 8 combats hors du commun, ainsi que de la fierté que je ressenti ce jour là.
J’ai ensuite vu partir Léopold dans le grand sud, à travers l’inconnu le plus opaque, chercher une légende, et en revenir triomphalement avec Renaissance. Je l’ai ensuite suivit dans toutes ses campagnes, et j’ai vu le monde sortir du Chaos là où père passait.
Je l’ai vu entrer dans Rome, et nous ouvrir les portes le lendemain. Aujourd’hui, et pour la première fois depuis la nuit des temps, un homme est connu dans une multitude de territoires. Le nom de Léopold Paralamo est connu de Gibraltar jusqu’à Sanct Petersburg, et d’Oslo jusqu’à Damas. Dans tous les territoires où il passa, il fut vu et admiré, craint et respecté de tous, tandis que ceux qui ne l’avaient jamais vu connaissaient néanmoins son nom, et en avaient fait un mythe. Le mythe du guerrier suprême, du guerrier à l’épée de feu, de l’homme invincible. Léopold ne laissa pas mentir le mythe jusqu’à son dernier souffle, où il remporta un ultime combat avant de trépasser.
Même si père n’a pas changé le monde physiquement, car aucune grande construction n’est encore hors de terre actuellement, il l’a toutefois changé profondément dans la vie de tous les habitants de l’empire. Léopold était un guerrier né, et il n’a jamais cessé de combattre sa vie durant. Même s’il était interdit de tournois dans sa jeunesse, il a toujours combattu avec les meilleurs. Lorsqu’il gagna les meilleurs, il devint le plus grand chef militaire jamais vu ni entendu de mémoire de légende. Alors qu’enfant, me tenant hors de porté des flèches Bermoises, je le vis parer une flèche avec sa cuisse pour épargner sa monture, je sus que c’était là le plus grand guerrier existant dans ce bas monde. Personne n’aurait pu être capable d’une telle maîtrise, d’une telle précision, sur un cheval lancé à plein galop devant la muraille ! Dans la même journée, il livra encore une bataille à Brienze, et poursuivit jusqu’à Interlak ! Qui d’autre que lui aurait pu parcourir encore 10 lieues avec une flèche dans la cuisse ?... Ses hommes l’admiraient et le respectaient. En tenant en son pouvoir une armée qui représente une population innombrable, et après avoir reçu Rome, il avait le destin de l’humanité entre ses seules mains.
Ses armées ratissaient les parias sur leur passage pour les confier aux marchés, afin qu’ils ne représentent plus de dangers en liberté hors des clans. Les chefs devaient organiser à leur tour des ratissages plus fouillés pour sécuriser au maximum tous les territoires. Une fois les parias parqués en lieu sûrs, peu à peu, les portes des clans et marchés s’ouvrirent plus facilement. Les échanges de marchandise et des projets communs virent le jour. Du fait des échanges plus fréquents, l’équilibre hommes-femmes entre les clans se fit pacifiquement, sans kidnappings, devenus hors la loi. C’était étonnant de la part d’un homme qui avait lui-même kidnappé sa femme. C’est après son retour de la première épopée qu’il fut changé. Il avait vu un monde parfait et magnifique, et sa vision de la civilisation du chaos changea. Désormais, il avait un but. La puissance et les appuis qu’il disposait après son retour victorieux de Rome l’aidèrent à atteindre ce but, qui était de changer la face du monde. Il disposait en plus de l’intelligence pour savoir ce qui serait bon et mauvais pour préserver l’équilibre d’une telle juridiction. Il imposa des règles comme l’abolition de la peine de mort, la mise hors la loi des kidnappings, qui n’étaient bons qu’à envenimer les relations de voisinages, et donc entraver sa vision du nouveau monde. Tout ce qui était propice à semer la discorde entre les clans devait être sanctionné par les chefs ou nos unités de campagne. Il ne renia jamais vraiment la loi du plus fort, et tenait à ce que les anciens chefs gardent leurs postes. Il leur demandait cependant de voir les choses sous un nouvel angle. Unis, nous pourrions faire de grandes choses, et peut-être de grandes oeuvres. Divisés, il ne restait que le chaos.
Il savait qu’en exigeant uniquement d’améliorer les voies de communications, de sécuriser les déplacements, et en favorisant des projets communs, ceci changerai déjà la manière de penser des gens. Tout à coup, l’humanité voyait plus loin que son clan et son marché, elle voyait jusqu’à la Grande Ville de la légende qu’il tenait là, au bout de son épée ! Renaissance devint l’épée qui ouvrit les yeux de l’humanité. Des guerriers sur son passage se joignirent à lui pour conquérir la ville de la légende, et le monde retint son souffle. Depuis, tous les chefs de clans d’Europe viennent constater de visu ce dont ils ont espéré voir un jour. Ils repartent de Rome transformés, interloqués... Ils savent tout à coup pourquoi leur civilisation est nommée Grand Chaos ! C’est certain, Léopold ne changea pas seulement les donnes du pouvoir, mais de plus, il rendit meilleur l’humanité. Il la sortit de sa longue nuit en lui montrant la lumière. Malgré son coeur de pierre, comme le lui avait dit le pontife, en homme de principe, il civilisa le monde.
Je ne sais pas s’il connût l’amour. Je n’aurai jamais su dire s’il m’aimait ? Il a toujours été très dur avec moi, allant même parfois jusqu’à m’infliger de méchantes blessures en combat lorsqu’il jugeait mes progressions insuffisantes, m’accusant de me laisser aller. Il savait que je ne serai jamais aussi puissant que lui, et pour ma succession, il alla jusqu’à abolir la loi du plus fort chez les pères. Leurs fils deviendraient pères de l’empire sans combats !
Je viens de terminer la lecture de ce recueil qu’il a bien voulut me laisser en héritage, et à la lecture de ces pages, elles laissent suggérer que père m’aimait. Du moins, de ses trois fils, je suis le seul qu’il a véritablement connu. Mais même si l’amour constituait pour lui une notion tout à fait abstraite, il avait le respect, les principes, la puissance et l’intelligence pour changer ce monde, et il le fit.
Depuis ce jour incroyable du 28 décembre de l’an 9, la peine est grande en mon coeur. Non seulement j’aimais mon père, mais de plus, j’admirais le guerrier Léopold. Il fut l’exemple que je tenterai dorénavant de suivre dans ma vie.
Le 12 janvier de l’an de grâce 10
Victorio Paralamo
La fin du Chaos
Lorsque nous ramenions le corps de père à Rome, la ville cessa de respirer durant plusieurs jours. Les gens restaient silencieux, exécutaient leurs tâches quotidiennes sans passion, et la population entière de la ville vint et revint en pèlerinage dans la basilique de Pierre pour voir le corps de Léopold et lui rendre hommage.
C’était un flot continu qui défilait dans le lieu saint sur une bonne semaine, jour et nuit. Il y avait les militaires, les chefs grands et petits, mais aussi les enfants et les femmes. Après quelques jours, sur conseil de Barnabé, je fis interdire les dépôts de gerbes de fleurs : Les pollens dans la basilique en devenaient vraiment irritants, et les rues et jardins de la ville se vidaient si vite de leurs fleurs qu’on craignit qu’il n’en reste plus une seule en terre !
Pendant les obsèques et les hommages qui s’éternisaient, Paskale apparaissait comme durement éprouvé par la perte de mon père. Il avait teint ses vêtements et accessoires de protection en noir, son casque, son bouclier, son plastron cuirasse, … il n’y avait plus que la lame de son épée qui étincelait sur lui. A certains moments, il me semblait encore plus affecté que moi-même ou Armadé, fils et père du défunt. Il restait à la droite du cercueil de verre où gisait la dépouille de père, il ne voyait pas la foule de pèlerins défiler, son regard, noir lui-aussi, se perdait au loin, hagard, désespéré…
J’avais bien entendu lu dans le récit de Barnabé ce que Léopold et lui avaient partagé à la suite de la mort de Marco, et je savais qu’il souffrait autant de la mort de père que père souffrit de la mort de Marco. Un soir, je lui demandais de m’accompagner pour une balade dans les jardins du Vatican. Il avait l’air si déstabilisé qu’il fallait que je lui parle, que je le rassure de mon soutient inconditionnel, mais rien n’y faisait. Paskale, le guerrier le plus féroce et brutal de toutes nos armées, était anéanti, et il faisait peine à voir. Il me répondit piteusement :
« C’est bien gentil de m’offrir ta confiance patron, mais rien ne remplacera Léopold sur cette terre. Ton père, pour moi, c’était Dieu ! Rien à cirer du crucifié romain qui n’a rien trouvé de mieux que l’Amour pour régenter le monde, on a bien vu où ça a mené l’ancien monde ! Rien à battre du pape et de ses bonnes manières ; Léopold et moi, nous étions le feu et le sang : Lui, il était le feu avec son épée flamboyante et ses incendies ; moi j’étais le sang qu’il ne pouvait pas faire couler à cause de son épée empoisonnée de morale. »
« Ton grand-père est un diplomate, toi tu es un enfant du Chaos contaminé par les enseignements de Barnabé, Rino est devenu un administrateur de la guerre, Patrik se contente d’obéir, et Barnabé les bons conseils n’est qu’un freluquet qui peine à couper une tranche de viande séchée avec une dague. »
« A la droite de Léopold, je pouvais faire quelques entorses à ses règles, et même s’il me réprimandait pour la forme, je voyais bien qu’au fond de lui, il m’approuvait et qu’il aurait agit de même s’il n’y avait pas Renaissance. Dieu, … Léopold, était magnanime avec la fureur. On formait un trio avec Marco, puis un duo avec ton père, et maintenant…, plus rien ne sera jamais comme avant, tout fout le camp, les amis, le chaos, le vieux monde, et c’est difficilement supportable pour moi. »
Face à son désappointement, je tentais de le rassurer comme je pouvais : - Léopold aussi aimait le Chaos, mais il a fait son devoir, il l’a détruit.
Ouais…, n’empêche que lorsque ton père se retrouvait un peu déboussolé par ce nouveau monde, il n’avait qu’à me regarder pour se rassurer ! Et moi, je regarde où ?
Guérart ne fait-il pas l’affaire ?
Guérart a beau être un grand guerrier, si je lui dis d’arrêter de pisser, il arrête de pisser ! C’est comme Patrik, il obéi, et comme Rino, ils écoutent le conseil des pères puis organisent leurs troupes en fonction des désirs de ces Messieurs, rien d’autre, répliqua Paskale.
Paskale avait raison, le monde que Léopold avait laissé derrière lui était organisé, chaque personne avait un rôle et s’y tenait, que ce soit mon grand-père Armadé, Rino, ou n’importe quel autre père, tous avaient leur champ d’action, une mission, qu’elle soit législative, guerrière, ou diplomatique, et chacun était discipliné dans son œuvre. Déjà dans le monde du Chaos, Paskale ne passait pas pour être un commode, alors dans notre nouvelle civilisation…, je vous laisse imaginer la crainte qu’il inspirait jusqu’aux plus prestigieux commandants. Et finalement, il se retrouvait seul, perdu sans son dernier ami, mon père. Entouré comme je l’étais par autant de guerriers que de lettrés, et qui tous, m’apportaient de nouvelles connaissances et amitiés, j’en arrivais à plaindre ce grand barbare de Paskale, je comprenais sa situation.
J’aimerais mourir comme mon maître et mon ami, de la main du plus fameux guerrier, Guérart, dans la grande arène du Colisée, lâcha-t-il, avant de chasser cette pensée par un : - Non, je ne veux pas d’une copie organisée, il faut que je meure dans la fureur de la guerre.
Pris d’un sentiment de pitié pour ce guerrier indomptable, je lui proposais de me décharger d’un poids : - Paskale, mon père t’as demandé de veiller à ce que l’empire me reste fidèle et obéisse à mon autorité comme il l’a fait pour lui-même, t’acquitteras-tu de ta tâche ?
Je mourrais pour respecter les dernières volontés de Léopold, lâcha-t-il fièrement.
C’est à ce moment que je fis sans doute ma première et une des plus grosses erreurs de mon règne d’empereur : Je donnais autorité à Paskale pour faire respecter la loyauté des clans et marchés du monde, en redirigeant vers lui-même tous mes espions placés au sein de nos garnisons de campagne. Désormais, s’il y avait du grabuge dans l’empire, Paskale serait le premier informé, à sa charge de rétablir l’ordre.
Je ne voulais pas laisser un guerrier pareil sous la coupe du conseil. Par respect pour ce que fut père, je ne voulais pas transformer un des derniers barbares emblématique du chaos en simple exécutant. En tant que roi du monde connu, il me jura de régler tous les problèmes survenant dans les clans soumis, afin que la loyauté du monde pour Rome et l’empereur soit la même que du vivant de Léopold. Paskale accepta immédiatement ma proposition à une seule condition, c’est que notre affaire reste entre lui et moi : Il ne voulait surtout pas que Barnabé vienne fouiner dans ses affaires, car il détestait le scribe et ne lui accordait pas une once de confiance : « Un manipulateur et un espion à la solde du pape », qu’il disait…, et il avait sans doute ses raisons pour le croire. J’acceptais cette condition sans problème.
A ce moment précis, je pensais m’être débarrassé d’une épine du pied : Avec Paskale, je n’aurais pas à m’occuper des problèmes d’insurrection en dehors des murs de Rome. Il s’occupait du maintien de la discipline dans l’empire, tandis que les pères et moi-même nous occupions des garnisons de campagne et leurs tribunaux, des constructions à travers le monde, de politiques et législations, d’organisation.
Léopold savait qu’une partie des chefs en place auraient de la peine à accepter l’autorité d’un jeune homme de 15 ans, et je craignais aussi les réactions du monde à l’extérieur des murs de la ville, … jusqu’à ce que je donne les pleins pouvoir à Paskale dans ce domaine. Ceci fait, j’étais plus tranquille, si tranquille que durant des semaines, je ne me préoccupais plus de ça au profit des projets que nous mettions en place avec les architectes et bâtisseurs, réunions du conseil, comptes rendus de découvertes maritimes avec Sérafino, rapports des victoires du Seigneur de Damas sur la Palestine et en Egypt, bref, de moult choses plus intéressantes que des insurrections.
Durant cette période, une des découvertes de Sérafino au sud de la grande mer me laissa pantois : Dans les grandes forêts qui s’étendent d’Alger à Allessandria, les habitants disposaient du remède pour guérir de la maladie du sommeil… Ils le fabriquaient à l’aide d’une plante qui pousse sur certains grands arbres de leur jungle. Nos marins trouvèrent ce qui aurait dû sauver Léopold à peine 35 jours après sa mort. Et…, sans le duel de Damas, avec la force vitale qu’il réussit à démontrer lors de ce duel, nul doute qu’il aurait pu agoniser sur une période encore plus longue que ces 35 jours, et ainsi être guéri de ce mal. De fait, si mon père avait laissé faire leur travail à ses armées, elles auraient vaincu le Cheik Ben Youssef sans lui, et il serait encore vivant à l’heure qu’il est.
Avoir à disposition un tel remède était une bonne chose en soit, mais j’accueilli la nouvelle plutôt fraichement, … amèrement. Barnabé me rassura sur le fait que Léopold avait choisi sa mort, et qu’il ne voulait pas de ce remède. Lui-même avait fait la proposition d’en appeler au pape pour qu’il le guérisse, mais père avait refusé, il préférait mourir avec le Chaos plutôt que de vivre dans notre nouveau monde.
Ainsi donc, notre toute jeune et belle civilisation tuait ! Pas directement, mais insidieusement, de grandes personnalités du Chaos préféraient la mort à notre nouveau monde, et Léopold, qui avait contribué autant à la destruction du Chaos qu’à la construction de cette civilisation en était la première victime…
Environ un mois après la mort de père, le sénateur Lionel vint me voir pour m’avertir qu’il avait été approché par un de ses pairs qui allait proposer ma mise sous tutelle lors de la prochaine cession. Lionel avait fait semblant d’être intéressé sans donner une réponse claire à la proposition, et il m’informa de cette démarche, qui, sans être une vraie trahison, était déjà une manœuvre visant à réduire mon autorité. D’après lui, je pouvais compter sur l’appui inconditionnel de tous les rois, mais une frange du sénat voulait une mesure de contrôle sur mon pouvoir jusqu’à un âge plus mûr.
C’était inquiétant, et même si je pouvais compter sur Patrick, Rino, Sérafino, Armadé et Barnabé, il manquait celui à qui Léopold avait donné toute sa confiance pour me soutenir dans ce nouveau règne : Paskale, qui n’avait plus réapparût ni à Rome, ni au conseil, depuis que je lui avais donné carte blanche pour rétablir l’ordre et la soumission de tout l’empire à mon autorité. J’envoyais donc un messager chercher Paskale, et quelques heures plus tard, en utilisant les portes de téléportation, il arriva face à moi, souriant et de bonne humeur. Je lui demandais des nouvelles de nos régions, et il m’informa qu’il maîtrisait parfaitement la situation, sans s’étaler dans les détails. Je lui demandais alors comme un service d’assister à mes côtés à la cession du conseil le lendemain, en l’informant de l’éventuelle menace qui pouvait apparaître durant celle-ci. Il accepta, et le lendemain, il siégeait à la droite de mon trône.
Durant le conseil, Rodolfo se leva et introduit sa requête en ces termes : « Chers amis, plusieurs sénateurs jugent qu’il serait utile au nouvel empereur d’être assisté dans ces décisions par un conseil de tutelle de guerriers et sénateurs expérimentés, jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge auquel Léopold fut nommé empereur, à savoir l’âge de la sagesse, vers 25 ans. Il nous semble qu’à 15 ans, c’est trop de responsabilités pour la santé de Victorio que de porter un empire pareil sur ces seules épaules. C’est pourquoi, moi-même ainsi que d’autres sénateurs, nous nous proposons gracieusement pour alléger son fardeau. Je soumets cette question au vote, que les pères qui sont d’accord d’aider l’empereur en ce sens se lèvent ».
Après quelques hésitations, une trentaine de pères se levèrent, et avant même qu’Armadé, Barnabé ou Rino aient eu le temps de dire quoique ce soit, une dague traversa l’hémicycle comme un rais de lumière et se planta dans la gorge de Rodolfo, l’instigateur de cette proposition. Après quoi, Paskale se leva et s’exclama : « Eh bien, je préfère quand tu te tais, crétin ! ». Rodolfo retira la dague de sa gorge et son sang gicla sur l’assemblée devant lui. Quelques secondes plus tard, il s’écroula, mort. La stupeur était totale dans l’assemblée, mais Barnabé était scandalisé, il rompit le silence en éructant : « Paskale ! Nous sommes ici entre gens qui débattent sérieusement. Je n’approuve pas la proposition de Rodolfo, mais il avait le droit de s’exprimer. Son idée n’aurait jamais été approuvée par l’assemblée des pères, il est inutile de s’entre-tuer dans ce lieu de débats civilisés ! »
Mais Paskale s’emporta : « Mais tais-toi donc le scribe ! L’idée de ce misérable n’était pas de dialoguer, c’était ni plus ni moins de retirer la dignité impériale à Victorio. J’ai reçu le pouvoir de la part de Léopold pour tuer tous ceux qui mépriseront l’autorité de l’empereur, et Rodolfo n’a pas seulement manqué de respect, il a méprisé l’empereur en doutant de ses capacités à régner. Il a mérité la mort, comme tous ceux qui se sont levé pour approuver son ignoble projet criminel et qui vont se faire occire maintenant. » Après quoi, Paskale cria : « Guérart ! » Et le chef des prétorians, suivit d’une partie de ses troupes, pénétrèrent dans l’hémicycle. Alors Paskale ordonna aux pères présents de désigner aux prétorians tous les pères qui s’étaient levés pour approuver la proposition de Rodolfo, afin qu’ils soient passés par le fil de l’épée.
Mon grand-père et gouverneur de Rome s’y opposa, et en tant que chef des prétorians, ordonna à Guérart de retirer ses hommes en armes de la salle, Barnabé, vice-gouverneur, n’en croyait pas ses yeux, et m’interpella en me demandant de faire cesser cette folie tout de suite, mais je laissais faire Paskale. Il s’ensuivit un grand grabuge dans l’hémicycle, mais les prétorians avaient condamné les portes, et personne ne pouvait sortir. Armadé hurla une nouvelle fois l’ordre à Guérart de se retirer sur le champ avec ses hommes, mais ce dernier répondit calmement :
« Je suis désolé gouverneur, mais j’ai reçu des instructions très claires de la part de Léopold avant qu’il ne meure, et en cas de trouble autour du règne de Victorio, mon seul maître est le roi Paskale, je ne peux ni t’obéir ni obéir à Patrick, mes deux supérieurs légitimes habituellement. Je demande donc à Paskale s’il maintient son ordre ? »
Paskale était furieux, peut-être plus contre mon grand-père que contre Barnabé, mais il n’osa pas menacer Armadé directement, alors il hurla en brandissant son épée : « Nom de Dieu Barnabé, si tu essayes d’influencer l’empereur pour accepter cet affront, je te tue sur place, alors ta gueule ! Maintenant, que tous ceux qui sont restés assis durant la proposition de Rodolfo se retirent à droite de la salle, et que ceux qui sont levé se retirent à gauche. Si j’en vois un qui essaie de tricher, je fais tuer tout le monde ! »
Un mouvement se fit dans la salle dans un brouharah incroyable, certains pères frappaient et poussaient d’autres qui voulaient se mettre à droite alors qu’ils s’étaient levés, et pour finir, la séparation se fit. 28 sénateurs restèrent à gauche, implorant et criant leur bonne volonté, que s’ils avaient accepté la proposition de Rodolfo, c’était uniquement dans le but de m’aider…
Barnabé me demanda de trancher pour savoir s’ils méritaient la mort, mais il reçu un formidable coup de poing de Paskale qui s’était rapproché de lui, et il fini à terre, inconscient. Moi-même, je ne savais plus du tout comment réagir, complètement dépassé et perturbé par le déroulement de cette assemblée, et Paskale donna l’ordre d’exécution à Guérart qui fit trucider sans attendre la trentaine de pères jugés nuisibles par Paskale. Tout se passa très vite, les mises à mort durèrent moins d’une minute.
Après quoi, Paskale ordonna à Guérart de retirer les corps de la salle immédiatement, et demanda un sceau d’eau à un prétorian, qui le lui apporta. Il lança l’eau au visage de Barnabé, qui reprit ses esprits, et lui indiqua de reprendre sa place pour continuer les débats. Lorsque Barnabé fut assis, il n’y avait déjà plus aucun cadavre dans l’hémicycle, juste l’odeur acre du sang qui flottait encore dans l’air.
Alors Paskale, calmé, prit la parole pour dire : « Désolé pour ce petit intermède, maintenant que le calme est revenu, poursuivons les débats. On m’a dit qu’il était question de définir une destination pour la flotte de Sérafino, et il semblerait que les armées impériales de Rino soient bloquées au nord du continent, sans moyens pour atteindre convenablement l’île de Grande Bretagne. Je propose donc que Sérafino dirige une partie de sa flotte au Nord des Gaules pour permettre à une première vague de guerriers de passer la mer et installer des portes de téléportation sur l’île afin de commencer l’invasion de la Grande Bretagne. Qui est pour ? »
Nous étions tous sous le choc. Il ne s’était pas passé plus de dix minutes entre le lancement de la dague de Paskale sur Rodolfo et le débarras des 28 corps hors de la salle, c’était comme si une tornade avait balayé l’hémicycle, d’habitude si tranquille, avant de s’en aller, laissant la désolation derrière elle,... et voilà que Paskale pose tranquillement une question stratégique à l’assemblée, comme si rien ne s’était passé.
D’instinct, tous les pères se levèrent tel un seul homme pour approuver la proposition de Paskale, qu’ils n’avaient sans doute même pas écoutée, compte tenu de l’état de choc dans lequel on se trouvait. Même les rois et Barnabé, l’œil poché, se levèrent. Il n’y a qu’Armadé qui interrompit la torpeur dans laquelle était plongé le conseil des pères pour revenir sur ce qui s’était passé :
Paskale, ce que tu as fait est difficilement acceptable ! Tu te prends pour qui pour agir ainsi ?
Le barbare, sûr de son bon droit, répondit comme une évidence : « Mais, je suis l’ange gardien de l’empire, j’ai été mandaté par Léopold pour cela et je fais mon boulot. Pourquoi Léopold a-t-il demandé cela à moi et non pas à un autre ? Je pense que notre ami scribe va pouvoir répondre à cette question. Barnabé, qu’a dit Léopold concernant le conseil des pères ? »
Barnabé se tenait la tête, encore sonné par le coup qu’il avait reçu, mais récita d’une voix monocorde : « Léopold a dit à Paskale : Mon plus terrible et meilleur ami, Victorio doit régner, à tout prix. S’il faut pour cela massacrer la totalité du conseil des pères, fait les tous passer par les armes, adresse toi à Guérart, il est déjà au courant et mettra toutes ses forces à ta disposition, pourvu que Victorio règne... »
Réjouit, Paskale rajouta : - « Alors ? Qu’avez-vous à répondre à ça ? Est-ce que vous remettez en doute la capacité de jugement de Léopold ? Il m’a choisi moi, parce que la bande de mollassons que vous êtes seraient encore entrain de discuter de la proposition de Rodolfo, tandis qu’avec moi, le problème est déjà réglé, et j’espère définitivement. Et encore, je vous ferais remarquer que je n’ai pas massacré le conseil, mais seulement 29 types sur 260 ! Vous êtes encore bien assez pour vous chamailler dans vos grandes discussions. Sur ce, je ne vais pas vous embêter plus longtemps, vous pouvez poursuivre vos débats, quant à moi, je constate que la discipline est revenue dans ce conseil, alors je retourne m’occuper de celle de l’empire. De rien Victorio, et s’il y a encore des contestataires, je reste à ta disposition. Au revoir braves gens. »
Et le guerrier s’en alla en sifflotant, tout content d’avoir pu apporter sa touche de fureur et de sang au sein même du pouvoir romain. Désormais, il était clair que Paskale était un roi à part dans l’empire. Il ne rendait de compte à personne, et ne prenait conseil chez personne…
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Quelques mois après la mort de Léopold, Barnabé fit irruption dans mes appartements pour m’informer d’un grave problème. Mais avant d’en venir au fait, il fit avancer un grand homme d’âge mûr, portant couronne d’or, en me le présenta comme étant le Seigneur de Pari.
L’homme s’avança vers moi, tomba à genou à mes pieds, me saisit la main, et supplia : « Empereur, si tu as autorité sur l’Ange Noir de l’empire, je t’en conjure, fait lui savoir que je suis ton serviteur et non ton adversaire ! Si nous avons fortifié une zone autour de notre région, ce n’est pas contre toi, mais contre lui. Et rappelle-lui que c’est Léopold lui-même qui nous a offert un territoire d’auto-gouvernance. Ton père avait remarqué que toute la région parisienne était bien administrée, et il m’a laissé le soin d’organiser notre propre juridiction en amitié avec l’empire. Nous ne sommes pas indépendant de Rome, nous sommes juste autonomes dans l’administration de notre justice et de nos lois. Dis-le à l’Ange Noir je t’en conjure, et dis-lui que nous sommes prêt à renoncer à ces faveurs s’il le désire. »
…???
Interloqué, je répondis : - Oui, je sais que la région de Pari a un statut spécial dans l’empire, mais qui diable est donc cet ange noir ?
Justement, c’est le diable, répondit le vieux Seigneur en tremblant.
Barnabé rajouta : - C’est Paskale.
… Paskale… ? Depuis son intervention remarquée dans l’hémycicle, je ne l’avais quasiment plus revu. Ni entendu parler de quelconques révoltes dans l’empire. Enthousiasmé par mille projets, ce grand barbare m’était pour ainsi dire sorti de l’esprit.
Je pris le parti d’en rire : - N’aie crainte Seigneur, ton fameux ange noir est un ami. Je lui ai donné autorité pour régler les problèmes de discipline dans l’empire, il est un peu brutal certes, mais il est loyal et de bonne volonté. Je lui parlerai de toi et de Pari, il ne vous inquiètera pas.
Je crains que ce ne soit pas aussi simple, dit Barnabé, sévère.
Quoi ? Paskale a dérapé un peu ? Et alors, c’était prévisible ! On ne va pas en faire tout un plat ou quoi ? Paskale restera toujours le phénomène qu’il a été jusqu’ici et on va pas le changer pour ménager les susceptibilités des nouveaux civilisés, m’énervais-je un peu !
Barnabé se forçait visiblement à rester calme, il bouillonnait intérieurement et je lisais dans ses yeux qu’il m’en voulait… beaucoup ! Mais au lieu de crier comme son corps le lui commandait, il arriva à dire avec une certaine retenue : « En moins de 5 mois, Paskale et ses sbires ont rayé de la carte de l’empire 8 grandes villes : Moscow, Brusselle, Barcelonia, Porto, Hambourg, Lion, Zagrèbe et Budapest. En moins de 5 mois, Paskale et ses sbires ont pulvérisés environ 300 clans rattachés à ces grandes villes. En moins de 5 mois, Paskale et ses sbires ont exterminé près d’un demi-million d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards. En moins de 5 mois, Paskale et ses sbires ont violé toutes les femmes et les jeunes filles de ces villes et villages avant de les tuer. Oui, … je pense que Paskale a dérapé un peu, … mais comme c’était prévisible, … on ne va pas en faire tout un plat, n’est-ce pas Victorio ?
Je restais interloqué, tandis que le Seigneur de Pari disait : « C’est l’Ange Noir de l’empire, après les tueries, il y a tellement de sang sur ses cuirasses noires qu’elles deviennent rouge, l’Ange Noir devient alors le diable rouge, arrête-le empereur si c’est en ton pouvoir ! Il est entrain de finir de détruire Lion et va venir détruire Pari ! »
C’est pas possible, répondis-je, en sachant au fond de moi-même que c’était possible…
Sans trop réfléchir, je me levais et demandais au Seigneur de Pari de venir avec moi. Barnabé nous emboita le pas, et je me dirigeais vers la porte de téléportation la plus proche : « Destination Lion, commandement de l’armée romaine de Paskale » ordonnais-je à la porte.
La porte nous mena droit au but, et nous passâmes du soleil de Rome à une fine bruine froide qui sévissait dans la région française. Un paysage de fin du monde s’offrait à nous : Derrière ses murailles ébréchées, la ville n’était que cendres, et les fumeroles montaient dans la pluie pour se mélanger aux nuages bas. Il n’y avait plus de combats, juste des cris étouffés au loin, vers les murailles de la ville. Nous étions dans la tente du commandement de Paskale où se situait sa porte qui nous avait réceptionnés, et des gémissements venaient de derrière un rideau. Je demandais aux deux gardes auprès de la porte de quoi il s’agissait, et ils tirèrent le rideau, découvrant 3 filles nues, attachées ensemble, le dos strié de marques de fouet, grelottantes à même le sol. Une quatrième fille, étendue dans la boue quelques pas plus loin, était morte, un poignard toujours flanqué en pleine poitrine : « Les trois filles, c’est le dessert de son Altesse Paskale », m’informa un des gardes, il le consommera après l’extermination du peuple de cette ville. La morte s’est suicidée dès qu’elle a eu les mains libres, elle préférait mourir plutôt que de servir l’Ange Noir, qu’elle disait. Paskale nous a fait attacher et fouetter les trois autres en punition du suicide de celle-là. »
ET IL EST OÙ SON ALTESSE PASKALE ? Hurlais-je.
Les gardes haussèrent les épaules, désignèrent les fumées sur la ville et dirent juste : « Par là-bas »…
Je m’approchais alors des trois jeunes filles avec ma dague. Elles se tassèrent en demandant grâce mais je les rassurais tout de suite : « Je ne vais pas vous faire de mal, je vais couper vos liens et vous emmener à Rome où vous y serez soignées et bien traitées. Ne vous inquiétez plus de l’Ange Noir, il m’obéira, il ne vous fera plus de mal. Puis, je me tournais vers Barnabé : « Passe la porte et appelle des matrones pour les accueillir. » Je délivrais les captives et passait avec elles la porte. Lorsqu’elles furent prises en charge par des servantes de mon palais, je retournais immédiatement à Lion…, où en enfer, c’est égal. Barnabé revint avec moi, et en sortant de la tente de commandement, j’assiste encore à une scène infernale : Sur un foyer entretenu par un soldat, il y avait le corps d’un homme empalé sur une barre de fer, et qui rôtissait sur le feu. Choqué, je demandais qu’est-ce que c’était que ce bordel, et le cuisinier lâcha un : « Le dîner de son Altesse Paskale… »
Je demandais aux gardes qu’on nous donne immédiatement des chevaux pour aller à la rencontre de Paskale. Mais avant même que les montures ne soient là, voilà que « l’être » surgit des brumes humides. Paskale ? L’Ange Noir ? Le diable rouge ?... l’être s’avançait sur son cheval d’un noir d’encre suintant de sang, lui-même pareil à sa monture. Dans ce décor, surmonté de son casque à multiples cornes noires, avançant nonchalamment suivit d’une horde de démons pareils à lui, et derrière eux, une trentaine de pauvres hères, enchainés par le cou, qui les suivaient tirés par les chaînes… oui, son Altesse Paskale faisait frissonner. Le Seigneur de Pari s’était d’ailleurs posté derrière moi et devant la porte, prêt à sauter au travers si son pire cauchemar me tuait.
Dès que Paskale me reconnut, il entama un trot rapide, un large sourire fendit son visage noirci, et il ouvrit grand les bras en sautant de sa monture. Il était prêt à me serrer contre lui lorsqu’il recula d’un pas : « Désolé patron, je dégouline et tu es si bien habillé, mais attend un peu que je me débarrasse de mes frusques pour te prendre sur mon cœur. Se dirigeant droit vers la tente, il cria : « Gardes, apportez du vin à l’empereur et offrez-lui un siège pendant que je fais un brin de toilette, espèces de bons à rien ! »
La bonne humeur de Paskale m’énerva encore plus : « Ce n’est pas une visite amicale, je n’ai ni envie de vin ni que tu ne me donnes l’accolade ! »
Intrigué, l’homme jeta un regard suspicieux à Barnabé, puis s’inquiéta : « Qu’es-ce qu’il y a chef ? Un marché te cause du tracas ? Une région se rebelle contre Rome ? Dis-le et je fais lever le camp pour m’en occuper sur le champ ! »
Personne ne se rebelle bordel, criais-je, mais j’apprends que tu as rasé 8 villes, 300 clans, et exterminé près d’un demi-million de personnes, femmes et enfants compris, et en moins de 5 mois sans que j’en sache rien ! Qu’es-ce que c’est que ce foutoir ? Même dans le Chaos on n’avait jamais vu ça ! Non mais regarde derrière toi, c’est quoi ça ? C’est l’enfer, y’a pas d’autres mots pour désigner ce que je vois ici.
Des saloperies de rebelles, s’indigna Paskale, ils ont eu leur compte. Il me manque juste un village à raser à une lieue à peine d’ici et tu n’entendras plus jamais parler des conspirateurs de cette région !
Mais je n’ai JAMAIS entendu parler des conspirateurs de cette région, ni de ceux de Moscow, ni de ceux de Porto, Brusselle, Barcelonia et je ne sais plus qui encore !
Grâce à moi, rétorqua-t-il fièrement ! Si je n’avais pas sévit, c’était des pans entier de l’empire qui seraient tombés en dissidence.
Bon Dieu Paskale, on cause d’enfants, de femmes, de viols massifs suivit de meurtres systématiques sur ces femmes. On t’appelle l’Ange Noir de l’empire ou le Diable rouge, essaye de me rassurer un peu, aide-moi à te soutenir, implorais-je.
« C’est moi qui te soutien, me répondit-il fièrement. Toutes ces villes ont refusé l’autorité d’un gamin à peine pubère, comme ils disaient, et leur discours contre toi et contre Rome contaminait les campagnes alentours, puis d’autres marchés et d’autres villes, qui voulaient déjà se libérer de l’empire ! »
« J’ai fait des exemples, oui, mais après la ruine de Porto et l’extermination de son peuple, Lisboa est entrée dans le rang et plus aucun de ses habitants ne s’est permis la moindre critique à ton égard. Idem pour les autres villes : Une fois les villes détruites, les habitants massacrés, les femmes violées et tuées, plus aucun clan des environs n’a osé le moindre commentaire sur ton jeune âge ou ton inaptitude à régner. D’ailleurs regarde mes trente témoins. »
« C’est moi qui te soutien ! Sans moi, la révolte et la subversion aurait fait basculer la moitié de l’empire dans l’anarchie, et compte tenu de l’ampleur des commentaires qui se répandaient à peine quelques jours après la mort de Léopold, Rino ne serait pas entrain d’agrandir l’empire jusqu’à Bagdad, mais à l’heure qu’il est, ses troupes seraient entrain d’essayer de reconquérir des territoires que ton père avait déjà soumis. »
« Que disent les gens de moi ? Es-ce qu’ils parlent de moi comme d’un traître ? – Non, ils disent : L’Ange Noir de l’Empire ! Je suis l’ange protecteur de l’empire, tous les clans l’ont compris, et tous te respectent aujourd’hui grâce à moi. Je vois Barnabé à tes côtés et j’imagine facilement qu’il t’a fait un cours de morale, mais est-ce qu’il travaille pour toi ou pour le pape ? Ce que je fais, je le fais pour toi, mais lui, il le fait pour qui ? »
… Merde…, j’étais coincé. Léopold aurait sans doute réprimandé et laissé coulé tant que Renaissance ne bronchait pas, mais là il avait vraiment dépassé toutes les limites, et il y en avait une qui me semblait particulièrement condamnable, je le lui dis : - Les enfants ?
Il me répondit : - C’est les familles de mon armée, leurs femmes qui ont adopté les nourrissons à Rome, ils sont bien portant et recevront une éducation correcte.
Je m’énervais : - Ne te fous pas de moi, j’ai des informations qui me disent que les enfants sont passés au fil de l’épée !
Il corrigea : - Seulement les enfants de plus de 3 ans, ceux qui risquent de se souvenir… Si on les laissait en vie, on en ferait une génération entière de futur terroristes, rebelles et mutins contre l’empire, le risque était trop grand, j’ai préféré l’éviter.
…Admettons, alors : - Et les viols bon sang, même dans le chaos on ne le faisait pas !
Réponse : - Qu’est-ce que ça peut foutre ? De toute façon, on les tue toutes, alors comme les conditions de travail ne sont déjà pas faciles, je me suis permis cette petite entorse au règlement.
Il avait réponse à tout le bougre, mais tout de même, je lui montrais le cadavre entrain de rôtir sur le feu et lui dit : - « Et ça Paskale, mais qu’est-ce que c’est ça ??? J’ai voyagé avec mon père sur les navires de Sérafino, on a vu un paquet de peuples différents, mais je n’ai jamais vu ça ! »
Alors, il me prit par l’épaule amicalement en s’éloignant un peu de sa troupe de démons, et me dit : « Ca, c’est, c’est juste une mise en scène pour impressionner la galerie. Tu vois les trente types qui sont enchainés derrière mes lieutenants ? C’est des témoins. A chaque ville que je démolis, je garde une trentaine de prisonniers en vie, et ils assistent à tout ce qu’on fait. Ils nous voient massacrer les populations, violer les femmes et manger les ennemis, et lorsque tout est détruit et que tous sont morts, je relâche mes trente témoins en leur donnant mission d’aller dire aux villes et villages alentours comment sont traités ceux qui se moquent de l’empereur. Et leurs témoignages sont si terrifiants que tous les marchés rentrent dans le rang, glorifient ton nom et te vénèrent en ne tolérant plus aucune remarque désobligeante à ton égard. Ces témoins sont de précieux alliés pour que ton honneur reste sauf ! »
Barnabé, voyant que j’étais prêt à m’accommoder d’un Ange Noir, d’un bras pour les basses besognes de l’empire, dit calmement : - Victorio, tu SAIS que tu ne peux pas laisser faire ça !
Paskale rétorqua un sec : - Ta gueule le scribe, quand j’aurai besoin de tes lumières, je te sonnerais. Et puis, en attendant que vous vous mettiez d’accord sur vos problèmes de morale, j’ai un dernier village à dévaster dans les parages, je vous laisse à vos palabres.
Il sauta sur son cheval et s’apprêta à prendre la direction de l’ouest.
Mais Barnabé avait raison, je ne pouvais pas laisser faire ça. Je me saisis de mon arbalestre et la pointa sur la nuque de Paskale en criant : « NON ! Tu rentres à Rome avec moi. »
Paskale se retourna, grimaça, réfléchit un instant et répondit : « Il était une fois un homme, … un homme qui tutoyait les dieux, et cet homme m’a dit : - Victorio doit régner, et s’il faut massacrer la moitié de l’empire pour que son autorité soit respectée, massacre la moitié de l’empire ! Cet homme était mon ami, il était ton père, et j’obéi à ses dernières volontés. …Je suis loin d’avoir massacré la moitié de l’empire, j’ai encore de la marge, alors si tu veux me tuer, tue moi, et tu verras si tu seras mieux servi pas le scribe. »
Paskale se retourna et reprit son trot. Je ne savais plus quoi faire, je ne pouvais pas le laisser faire, mais je ne pouvais pas le tuer, c’était un grand Seigneur du Chaos, comme mon père, un ami, … un protecteur… ? Je sautais sur un cheval et le rejoignis. Durant la trotte jusqu’à ce village déjà mangé par le feu, je tentais de lui faire entendre raison, de venir à Rome avec moi, pour parler de ses stratégies avec Rino ou d’autres pères qu’il pouvait encore écouter. Mais non, il était loin des palais proprets de Rome, loin des discussions de sénateurs, il était complètement plongé dans son monde de fureur et de sang, dans son univers, qu’il ne quittera qu’une fois mort. Je vivais un réel moment de tragédie qui atteint son sommet lorsque nous arrivions en face de ce village qui n’existait déjà plus. Les guerriers étaient déjà tués, et toute la population se trouvait encerclée par l’armée qui n’attendait que leur chef pour qu’il donne l’ordre du massacre, ou bien qu’il choisisse quelques filles avant de commencer le génocide.
A son arrivée, une longue plainte monta de cette foule de femmes, d’enfants, de paysans et de vieux, et au milieu de la plainte collective, on percevait les mots « ange… diable…rouge…noir ». La panique se lisait sur leurs visages, la terreur dans leurs yeux, l’enfer était face à eux.
Pour donner le coup d’envoi du massacre, Paskale donna un grand coup d’éperon dans les flancs de son cheval qui se cabra, il dégaina ses deux épées, les fit tournoyer dans ses mains, puis le cheval fondit sur la foule désarmée. En trois enjambées, il avait déjà tranché deux têtes et égorgé un vieillard. Je criais à ses hommes de rester en place, épée au fourreau, et galopais par devant de lui. Il stoppa sa monture, je lui faisais face, Renaissance serrée en main pointant et crépitant à vingt coudées au-dessus de nous, prêt à m’en servir pour l’endormir, mais le guerrier terrible restait à distance.
Sous la pluie qui tombait maintenant à verse, son armée et la foule qui nous entouraient faisaient silence en reculant, stupéfaits de voir l’Empereur à l’épée de feu et l’Ange Noir face à face. Alors, un fait nouveau survint, sous la pluie et dans cette grisaille, on voyait crépiter non seulement mon épée de feu, mais aussi des formes rondes au-dessus de nous, ainsi que deux silhouettes bleutées qui étincelaient par moment sous les gouttes de pluie de part et d’autre du guerrier terrible. On ne voyait pas réellement ces formes rondes dans l’air ou humaines autour de Paskale, mais on les percevait par intervalles, juste des silouhettes, comme si l’invisibilité devenait visible une fraction de seconde de temps en temps. Aucun doute n’était permis, des bulles flottaient au-dessus de nous, et deux hommes étaient entrain de parler à l’Ange noir, qui semblait écouter tantôt à droite, tantôt à gauche. L’heure semblait donc si grave que des espions romains nous entouraient pour voir l’événement.
Tout à coup, d’un geste vif et franc, Paskale frappa ses deux épées de chaque côtés, traversant les deux formes humaines qui se tenaient là en criant : « Taisez-vous, je n’ai pas besoin de vos propositions, allez tous au diable ! »
Les formes disparurent immédiatement tandis que des bulles continuaient à crépiter au-dessus de nous.
Paskale me toisa, puis me dit d’un air désolé : « C’est dans ma nature Victorio, je suis comme ça, tu ne peux pas m’en empêcher ! »
Je te l’ordonne pourtant mon ami. Range tes armes et viens avec moi à Rome, lui dis-je sur un ton que je voulais autoritaire…
Il resta un petit moment sans rien dire, semblant réfléchir avec gravité. Puis il me regarda, il n’était plus hargneux, ni énervé, il parla simplement d’une voix forte de manière à ce que ses hommes puissent l’entendre, mais sans détourner son regard du mien : « Dégainez vos épées guerriers ! »
A son ordre, on entendit la grande et rapide plainte stridente des épées glisser de leurs fourreaux.
Je contre-ordonnais : « Epées aux fourreaux ! »
Mais Paskale, tout en me regardant d’un air affligé, cria : « Personne ne bouge ! » Sans même regarder ses hommes, il rajouta alors à mon intention : « Je n’ai pas entendu le son des épées retourner dans leurs fourreaux. Tous ces hommes, tous ces guerriers m’obéissent et me sont complètement dévoués. Tu as devant toi, mon cher Victorio, une armée que tu ne contrôles pas, et que tu ne pourrais même pas contrôler si je leur ordonnais de t’obéir. Tu te retrouves face à une armée de bêtes devenues féroces, même contre toi. Mais Victorio, n’oublie pas la promesse que j’ai faite à ton père, ton autorité doit prévaloir partout, sur tout le monde connu, sur tous les sujets de l’empire, et je respecterais cette promesse. Je suis de ton côté Victorio, rentre maintenant à Rome je vais m’occuper de mon armée. Laisse Barnabé avec moi, il inscrira une grande page de ton nouveau monde. Prend ces villageois à Rome avec toi, fait installer demain matin une porte dans l’arène du colisée, et convoque le peuple de Rome pour qu’il assiste à ta plus grande gloire. Fait moi confiance chef, demain, tous les peuples trembleront devant toi. »
Paskale avait parlé sans animosité, sans autoritarisme, presque avec lassitude. Je ne comprenais pas où il voulait en venir, et je tentais encore de le convaincre de venir avec moi à Rome, mais il s’écria cette fois-ci avec violence : « PARS Victorio, si tu veux vivre, pars ! »
Je quittais alors cet endroit maudit, laissant Barnabé derrière moi aux côtés de Pascale, espérant pouvoir encore lui faire confiance après ces dernières paroles qui semblaient sincères. Mais comment, après un tel affront, après avoir vu des guerriers de l’empire me désobéir ouvertement sur un contrordre de Paskale, comment croire que mon règne puisse être respecté dans de telles conditions ? Toute la nuit, j’appréhendais le lendemain, qu’allait-il se passer dans l’arène du colisée ? Le colisée avait vu de belles batailles, mais jamais 30'000 hommes en arme en son centre. Était-ce seulement possible de loger 30'000 hommes, même debout et serrés, dans cet endroit ?
Le lendemain, le colisée était plein, et j’arrivais très matinalement pour voir ce qui pouvait bien se passer avec l’armée romaine au grand complet là au milieu. Guérart et ses prétorians entouraient complètement l’enceinte, et la porte trônait dans le sable de l’arène. Vers 10 heures, Paskale passa la porte sur son cheval noir. Quel effet cet homme pouvait produire à lui tout seul, c’était comme si le diable apparaissait avec tous ses attributs dans le monde réel. L’ange noir de l’empire me regarda dans ma loge, s’inclina respectueusement, et Barnabé sortit de la porte. Paskale l’attrapa au collet, le souleva de terre, lança son cheval en pleine course vers le mur de l’enceinte, et jeta le scribe dans les gradins. Barnabé se releva et monta jusqu’à ma tribune. Je l’interrogeais sur les intentions du grand barbare, mais Barnabé semblait en état de choc, il ne put qu’articuler : « Si Paskale arrive à faire l’horrible chose qu’il envisage, tu n’auras plus jamais à craindre pour ton trône »…
Pendant que l’armée Romaine entrait en flot continu dans l’arène, Paskale faisait des allées et venues sur son cheval, toisant le public, avant de lever ses deux épées pour demander le silence. Ceci fait, et alors que ses hommes continuaient à affluer par la porte, il entama un discours qui resta ensuite dans les mémoires :
« Peuple de Rome, je te salue, je suis Paskale de Bâtia, surnommé aussi l’Ange Noir de l’Empire, voire le Diable Rouge. A l’heure qu’il est, presque toutes les villes et bourgades de l’empire connaissent mon nom, ma réputation, et la terreur que sème mon armée dans les villes manquant de respect envers l’empereur. »
« J’ai fait une promesse à mon chef et ami Léopold le jour de sa mort, celle de faire respecter l’autorité de Victorio, fusse-t-il nécessaire pour cela de massacrer la moitié de l’empire. Je n’ai PAS massacré la moitié de l’empire, mais partout où je suis passé, plus personne ne restait ensuite pour ricaner sur le jeune âge de l’empereur ni sur son inexpérience du combat. Tous ceux qui l’ont fait sont mort, et tous ceux qui ont écouté ces ricanements sans agir ni intervenir pour défendre l’honneur de l’empereur sont morts aussi. Grâce à moi, grâce à mes hommes, et grâce aux châtiments sans aucune pitié réservés aux comploteurs et autres orgueilleux, plus personne aujourd’hui ne parle de Victorio en mal, plus personne ne remet en doute ni son pouvoir, ni sa capacité à régner. Non, plus personne, … sauf mes hommes et moi-même. »
« Hier, sur un champ de ruines face à quelques pauvres bougres, notre empereur a contré un de mes ordres, et mes hommes ont préférés m’obéir à moi plutôt qu’à lui ! Notre armée, la très célèbre armée Romaine, la meilleure de tout l’empire, est devenue une armée sauvage sans foi, sans loi, sans égard pour les anciens commandements que proféra le grand Seigneur Léopold, notre maître et notre guide vers cette ville. Nous avons foulé au pied ses préceptes de lois de la guerre, nous avons tué femmes, enfants et vieillards, non sans cruauté. Pire, alors que nous pouvions rejoindre nos femmes ici-même à Rome en un instant par une de ces portes de téléportation, nous préférions humilier les femmes des villes pillées, saccagées et brûlées en les violant systématiquement avant de les tuer. »
« Ces dérives ne sont pas la mise en œuvre de mes ordres, elles sont venues naturellement. D’abord le fait de quelques soldats indisciplinés que je ne jugeais pas utile de réprimander, ces pratiques prirent de l’ampleur sans que je ne trouve à y redire, et petit à petit, à mesure que nous avancions dans la cruauté et les ténèbres, elles contaminèrent la majorité de mes troupes pour finalement se généraliser. Nos actes progressaient dans la bestialité au point que nous ne jouissions plus que pour et par le mal. »
« Hier encore, Victorio pensait nous faire revenir à la raison, nous ramener à Rome et nous infliger un cours de discipline guerrière. Le pauvre n’a pas compris qu’il était trop tard pour cela, il n’a pas compris que nous ne sommes pas une armée du nouveau monde à la sauce de celles de Rino ou de Patrick, que nous ne sommes pas plus une armée du chaos, nous sommes devenus une armée de l’enfer, et rares sont parmi mes hommes ceux qui ne se sont pas corrompus en enfreignant les règles de la guerre de Léopold ».
« Nous n’avons pas trahi Rome puisque nous la protégions ! Nous avons à peine trahi l’esprit de la loi de Rome tel que voulu par Léopold, et encore…, c’était contre des coupables, donc Léopold lui-même aurait peut-être fermé les yeux sur ces agissements. TOUT CECI n’est pas grave ! Nos massacres étaient prévus par Léopold lui-même, le feu et le sang étaient légitimes, tandis que les viols ne sont qu’un détail, et toute notre cruauté ne mérite guère plus qu’une légère réprimande de la part de l’empereur. »
« Non, rien de ce que nous avons fait n’est grave en soi. Mais hier, alors que je faisais face à Victorio, cet empereur que Léopold souhaitait voir régner, celui-là pour lequel nous avions mandat de massacrer la moitié de l’empire pour faire respecter son autorité, a ordonné quelque chose à mes hommes. J’ai contré son ordre, et je n’ai même pas eu besoin de regarder mes hommes pour savoir à qui allait leur loyauté. L’autorité de Victorio n’était respectée ni par moi, ni par mes hommes, et c’est précisément ça qui est grave dans l’affaire qui nous préoccupe ! Nous avons détruit des villes et commis des génocides pour moins que cela ! Le jour de sa mort, Léopold m’avait dit : « Paskale, il faut que Victorio règne à tout prix, s’il faut massacrer la moitié de l’empire pour que son autorité soit respectée, fait massacrer la moitié de l’empire ». Tous mes hommes m’ont fait la même promesse, celle de massacrer sans pitié tous ceux qui te manqueraient de respect. Et nous avons effectivement tué sans répit tous ceux qui ont tenté de défier le pouvoir de l’empereur, il ne reste plus que nous pour oser le faire. »
Alors Paskale se tourna vers moi et poursuivit : « Je tiendrais ma promesse, et tous mes hommes tiendront leur promesse par respect pour le grand Seigneur que fut ton père. Maintenant Victorio, prend de la graine et observe comment tu dois traiter tes ennemis. »
Paskale fit faire un demi-tour à son cheval pour faire face à son armée au complet sur la place, et ordonna : « Pour la plus grande gloire de l’empereur, guerriers, dégainez armes ! »
Un rapide sifflement de lames se fit entendre, puis Paskale cria : « Mort à tous ceux qui ont osé braver les ordres de l’empereur, visez le cœur ! »
Et là, une chose inouïe survint dans la stupeur la plus générale : Toute l’armée de Paskale se suicida en même temps dans une attitude digne d’un mouvement de troupe. Pas un cri, pas un râle, juste deux gestes : la main gauche qui écartait le plastron cuirasse, la main droite qui portait un coup d’épée en plein cœur, et les hommes s’affalant à terre dans une quasi synchronisation.
Bon Dieu, quel pouvoir était celui de Paskale pour en arriver à faire accepter un ordre pareil à autant de guerriers. Il fit un tour sur les corps avec son cheval en jetant un œil pour voir si tout le monde était bel et bien mort, puis, l’Ange noir… de la mort m’apostropha une dernière fois, sereinement, et presque en souriant : « Eh bien, il me semble que la franche rigolade est finie … Mais bah, je ne regrette rien, ces quelques années aux côtés de Léopold le Grand valent bien une vie de plaisirs. Je vais te laisser organiser ton nouveau monde de diplomates et d’intellectuels avec le scribe, et je vais à mon tour tenir la promesse faite à ton paternel. Adieu fiston, bonne chance pour la suite, et fait attention à toi ! »
Mais de perdre Paskale après avoir perdu Marco, puis mon père, en était trop. Alors n’écoutant que mon cœur alors que Paskale dans un très beau mouvement, faisait tournoyer ses deux épées avec l’intention de se les ficher dans le torse, je dévalais la tribune en criant ma détresse, j’en appelais même au pape pour lui empêcher de commettre l’irréparable, je criais aux Prétorians de lui tirer des flèches dans les bras, mais il était trop tard. Avec grande dextérité, le terrible guerrier planta simultanément ses deux épées dans son torse, passant sous son plastron cuirasse, de bas en haut. On entendit juste un grand « OUCH », et un instant plus tard, en tombant de son cheval, il cria vers le ciel : « Pousse toi un peu et fais place Léopold, j’arrive ! »
Le « Diable rouge » gisait sur les corps de ses guerriers dans la boue rougie par le sang de milliers d’hommes, les deux épées plantées en X dans son ventre, tandis que je trébuchais sur plusieurs cadavres avant d’arriver jusqu’à lui, un filet de sang suintait de sa bouche, il voulut encore me dire quelque chose, mais ses paroles se perdirent dans un râle. Tout à coup, deux personnes vêtue d’une chemise blanche apparurent de chaque côté de Paskale, lui arrachèrent son plastron cuirasse, appliquèrent sur son ventre une espèce de machine qui projetait des rayons, et retirèrent doucement les épées fichées en lui. L’un des hommes demanda à l’autre s’il allait pouvoir le « ravoir », et l’autre lui répondit que les tissus du cœur étaient entrain d’être reconstitués. Je leur demandais si Paskale allait guérir, mais l’un des hommes répondit : « Pour l’instant il est mort, on verra dans quelques minutes si on peut le faire revenir ». Les espèces de rayons lumineux parcouraient le torse de Paskale de long en large à grande vitesse, le sang s’arrêta de couler, il coagula sur les plaies qui commençaient déjà à cicatriser et se fermer doucement, mais il ne respirait toujours pas. Tout à coup, une lumière rapide et aveuglante comme un éclair sortit de la machine. Paskale convulsa avant de prendre une grande aspiration, puis il ouvrit les yeux, sans doute stupéfait de ne pas être mort. Alors, l’un des hommes dit : « C’est bon, on y va ». A peine eu-t-il prononcé ces paroles qu’ils disparurent de ma vue en même temps que Paskale et leur machine à cicatriser de l’intérieur comme de l’extérieur…
Ainsi, Paskale n’était pas mort, … ou plus…, mais il n’était plus parmi nous. Ce fameux guerrier était vivant en quelque part, et de le savoir me soulagea un peu.
Notre nouvelle civilisation venait de tuer un grand nombre de barbares, ainsi que le plus prestigieux d’entre eux.
Je me relevais et hurlait au peuple dans les gradins : « Tous à genou devant l’armée romaine ! Tous à genou devant cette armée fidèle jusqu’à la mort ! Qui m’aime autant que lui, qu’eux ? Lequel d’entre vous donnerait sa propre vie pour que mon autorité reste sauve ? Toi Barnabé ? Vous les villageois que j’ai sauvé hier ? Et toi, peuple de Rome ? Et vous, les rois de l’empire ? »
Personne ne dit mot, le colisée ne résonnait pas des vivas et autre applaudissement que donnaient lieu ses autres spectacles, mêlé à l’odeur acre du sang qui imbibait l’arène, le silence n’était entrecoupé que par quelques cris de vautours qui avaient senti la mort. Et moi j’étais le plus malheureux et le plus glorieux des empereurs. Y avait-il seulement eu une fois dans l’histoire de toute l’humanité, des dizaines de milliers de guerriers donnant leur vie de leur plein gré pour montrer que l’autorité d’un homme vaut mieux la vie de milliers d’entre eux ?
Pour moi, pour tous les rois, pour tout le peuple de Rome, cette journée resta gravée à jamais comme une immense cicatrice qui symbolisait dans le temps l’avant, et l’après. L’avant c’était les résidus du monde barbare, et l’après c’était la civilisation, une civilisation suffisamment cruelle pour exiger l’anéantissement de l’ancien monde, et par le suicide pour les plus réfractaires.
Je n’ai jamais vraiment saisit toute la symbolique de ce jour là, mais les notes de Barnabé m’éclairèrent comme elles purent. L’événement est assez important pour que je les transcrive sans réserve dans ce manuscrit.
Notre de Barnabé, scribe : Après le départ de Victorio avec les villageois promis au massacre par Paskale, je reste auprès de celui qui me déteste tant. Curieusement, il ne se montre pas vindicatif à mon encontre, mais plutôt bienveillant sans toutefois être gentil, mais je n’en attends de toute façon pas autant de la part de cet homme.
Dès le départ de Victorio, Paskale envoie ses émissaires pour rassembler son armée autour de lui, et une heure plus tard, ce n’est pas moins de 27'000 hommes qui l’entourent. Il leur parle franchement, leur annonce la fin prochaine de l’armée, la destruction pure et simple de toute l’armée Romaine, … pour l’exemple, pour que tous les peuples sachent que la volonté de Léopold est au-dessus de toutes vies.
Cet homme, fou à lier, leur annonce leur propre suicide pour le lendemain. Ceux qui veulent partir pour sauver leur vie pourront le faire, mais devront s’exiler en dehors des frontières de l’empire. Paskale ayant accès à toutes les portes de téléportation, il ordonnera le départ des déserteurs vers une porte située à l’autre bout du monde, une porte n’appartenant pas à l’empire, mais au pape en personne. Ce dernier lui a promis d’assurer l’exil des déserteurs sur une terre lointaine et inhabitée. Mais il explique que ceux qui donneront leur vie volontairement pour la gloire de l’empereur deviendront des immortels, leurs noms seront gravés sur un mémorial placé à l’entrée du colisée. Paskale me donne l’ordre de transmettre cette volonté à l’empereur, et il en sera ainsi.
Ensuite, l’Ange Noir explique la discussion qu’il a eu avec les deux êtres invisibles qui se tenaient à ses côtés lorsqu’il faisait face à Victorio, sous la pluie. A sa gauche se situait le pape Paul XII qui le conjurait de rester fidèle à l’empire, que s’il ne pouvait pas respecter Victorio, qu’il respecte au moins les dernières volontés de son père, Léopold, qui l’observe en ce moment même depuis les cieux. A sa droite se trouvait Octave, le pape du sud, qui lui fit cette proposition : « J’ai plus de 2 milliards de sujets au sud, rejoint moi et je ferais de toi l’empereur du sud, j’ai besoin d’un homme comme toi, tu domineras et modèleras le sud de toute la terre à ta manière, je te laisserais libre de tous tes choix et actions, tu deviendras le maître d’un monde 10 fois plus grand que cet empire… »
Paskale rejeta ces deux propositions, il ne pouvait pas vivre sous la tutelle d’un empereur comme Victorio ni sous les ordres d’un quelconque conseil de sages, et il ne pouvait pas plus trahir Léopold en s’alliant avec le sud. C’est à ce moment qu’il comprit que sa seule alternative, pour lui, comme pour tous ses hommes, était la mort. Et autant qu’elle serve à quelque chose à l’empire, il eu alors cette idée d’un grand sacrifice public dans les enceinte du colisée pour la plus grande gloire de l’empereur.
Ses hommes, d’abord pétrifié par son discours, commencent à réaliser leur situation : Cette armée allait disparaître le lendemain, elle pouvait disparaître par la fuite lâche dans l’exil, ou disparaître dans l’honneur du sacrifice pour l’exemple face à la terre entière, et cette seconde option faisait de chaque combattant un immortel, un martyre pour la cause de l’empereur.
Chacun pouvait choisir sa fin : Obscure dans un exil lointain sur une terre inconnue, ou en pleine lumière, au centre de Rome.
A l’heure qu’il est, minuit, les rangs se resserrent autour de Paskale, de plus en plus de guerriers se déclarent prêt à être eux-mêmes les acteurs de leur propre fin, et plus les rangs augmentent autour de Paskale, moins il y a d’indécis. Personne n’a, jusqu’ici, choisit la voie de l’exil, ce qui est difficilement imaginable pour des gens civilisés comme moi, mais plus facile à comprendre pour des hommes qui affrontent la mort jour après jour. Au fond d’eux-mêmes, ces hommes ont déjà acceptés de mourir. Chaque matin, en se levant, ils ne peuvent pas dire s’ils se recoucheront le soir, ces guerriers vivent avec la mort à leur côté continuellement, c’est soit eux qui l’infligent, soit un ennemi qui la leur donne. La seule différence qu’il y a dans le cas de cette nuit d’interrogation est le concept de la mort : Ils ne la recevront pas d’autrui, ils seront eux-mêmes les propres artisans de leur trépas, et ça, c’est nouveau. Mais fondamentalement, la peur de la mort n’est pas un obstacle pour eux.
A la fin de la nuit, personne n’a choisi l’exil, mais il reste tout de même une frange de l’armée qui fait valoir un problème de morale à s’ôter la vie de leur propre main. Ces hommes demandent à ce que d’autres guerriers le fassent à leur place. Paskale accepte de prendre en considération ces requêtes, et indique à tous ceux qui ne sont pas prêt au suicide de se choisir un guerrier dans le groupe partant pour la mort, pour leur porter le coup fatal avant de le faire sur eux-mêmes.
C’est ainsi que la nuit se termine…, tous les hommes que je vois en ce moment seront mort ce matin, dans quelques heures, en plein Rome et devant la foule.
Au moment de passer la porte qui nous conduira au centre du colisée, Paskale me dit : « Tu diras à Victorio que je l’ai connu et aimé plus que mes propres fils ».
Le
Grand Chaos
Tome I
Préface de Barnabé, scribe.
Moi, Barnabé, témoin privilégié de la chute du Chaos et de la naissance d’une civilisation, tient à apporter mon témoignage sur ce que fut le monde, sur ce qu’il est en train de devenir, et par qui tout cela fut.
En un jour pas si lointain, les jeunes, les adultes, et même les vieux demanderont :
Qu’es-ce qu’était le Grand Chaos ?
Voici la raison et l’objectif de cet ouvrage : répondre à cette question, pour toutes les générations futures, et afin que personne n’oublie cette tranche de l’histoire de notre humanité.
En introduction, disons que le Chaos se résume à une société mue par une violence revendiquée et acceptée comme un droit inhérent à chaque personne, avec toutefois quelques codes de conduite. On peut même aller jusqu’à dire que Le Chaos était d’une certaine manière discipliné. Quelques règles de bases, qui comprenaient des aspects moraux et une certaine logique dictaient la loi. La loi, quant à elle, permettait l’expression de la violence, quasiment sans limites, même si certains garde-fous indispensables pour la survie des clans étaient respectés.
Mon introduction sur le monde du Chaos serait toutefois incomplète si j’oubliais d’y inclure les plus grandes figures de cette société, trois hommes, les produits les plus purs issus d’un tel univers :
1) En premier lieu, celui dont personne n’oubliera jamais le nom, déjà reconnu comme une sorte de dieu vivant : Léopold Paralamo. A lui tout seul, Léopold incarne le monde ancien, celui du Chaos, et le monde nouveau, celui de la civilisation naissante. Il est sans aucun doute la créature la plus puissante que le Chaos ait engendré.
2) Le Seigneur Marco Fallacio, qui était déjà un Seigneur de guerre quasiment mythique alors que Léopold n’était qu’un enfant. Il joua ensuite un rôle certain dans ce qu’est devenu Léopold, et pour finir, il apporta une grande contribution aux côtés Léopold dans leur entreprise de destruction du Chaos.
3) Maître Rufus. Un homme dont presque personne ne connaît ni le nom ni l’existence. Discret, évitant les coups d’éclats, passant inaperçu dans les foules, Maître Rufus n’en est pas moins demeuré l’Eminence grise, sans doute l’un des meilleurs tacticiens de combat, ayant pratiquement élevé et éduqué Léopold dans l’art de la guerre à lui tout seul.
De ces trois personnes, seul Léopold est aujourd’hui encore en vie, bien que cette dernière ne tienne plus qu’à un fil. Son agonie se prolonge de jour en jour, mais il lui reste encore toute sa tête. Il est ainsi urgent que j’écrive cette histoire, afin qu’il puisse lui-même y apporter ses commentaires, ses réflexions et corrections.
D’après mon diagnostic, Léopold sera mort dans un mois, voire deux au maximum. Il le sait et n’est pas troublé par ce prochain événement, comme il le dit lui-même : « Si je suis une personnification de ce qu’était le Chaos, je n’ai pas l’ambition lui survivre. Le Chaos était mon monde et je m’y sentais à l’aise. Je l’ai détruit consciencieusement mais je n’y éprouve pourtant aucun remords, j’ai juste fait ce qu’il fallait que je fasse. Ce nouveau monde n’est pas mon monde, c’est un monde qui m’est étranger, un monde où je n’y ai plus ma place. Qu’il soit profitable aux générations futures, et ma vie n’aura pas été vaine. Aujourd’hui, je peux dire : Mission accomplie ! »
Même si sa vie fut brève, son nom résonne dans tous les clans et bourgs du monde connu, tandis que sa devise reste gravée dans toutes les mémoires : « La brutalité est l’apanage des forts, la cruauté est l’apanage des faibles ! », qu’il complétait souvent par « et que vivent les forts ! »
Léopold…, le nom le plus respecté et le plus craint de la terre.
Voilà l’homme qu’il faut connaître pour comprendre le monde du Chaos, et c’est lui-même qui va vous conter sa vie pendant qu’il en est encore temps.
Introduction,
par Léopold Paralamo
Maintenant que j’ai mis la main sur un homme qui sait reproduire les messages sur du parchemin, j’en profite pour lui faire part de mes mémoires avant que la mort ne m’emporte. Ainsi, cette histoire ne s’envolera pas comme les récits, qui deviennent au fil des générations, des légendes...
J’aime à boire quelques verres de vin en racontant mes expériences à Barnabé, qui n’est ni un marchand, ni un guerrier, ni un cultivateur, mais un scribe, le premier du genre que j’ai rencontré, et qui m’a accompagné depuis ce temps. Il sait reproduire tous mes dires sous la dictée, et est capable de redire mot pour mot les paroles qu’on aurait pu prononcer des années auparavant. Cette technique de conservation de la parole s’appelle « écriture ». Un bon scribe doit non seulement savoir écrire des paroles vocales, mais il lui faut aussi être capable de vocaliser les paroles écrites sur ses parchemins de papier. Bref, tout un art d’une complexité semblant à la portée de peu d’intelligences humaines. Barnabé m’informe qu’il n’en est rien, mais j’ai éprouvé d’atroces migraines lorsqu’il tenta de m’enseigner sa science.
Ces choses intellectuelles n’étaient de toute manière pas à l’ordre du jour dans le monde du Chaos, c’était plutôt la force qui se trouvait à la place d’honneur. J’ai donc peu d’érudition dans la manière de raconter mon histoire, mais les souvenirs y sont.
Le scribe m’incite à livrer mon histoire personnelle sur son support de parchemin. Je sais déjà que ma vie et mes combats sont contés dans les chaumières du monde, je deviendrais sans nul doute une nouvelle légende dans quelques temps. Cela me plaît et me suffit. Toutefois, selon Barnabé, il vaudrait mieux que ma vie soit écrite plutôt que contée. Ainsi, d’après lui, mon message ne subira aucune déformation au fil des générations qui s’égrèneront à ma suite, contrairement aux légendes...
J’accepte donc de lui dicter mes aventures et péripéties, ainsi que répondre à ses questions, dans ce qui deviendra la première et unique “biographie” (comme le dit le scribe), écrite dans ce bas monde.
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Présentation du monde du Chaos
Barnabé, scribe : - Léopold, peux-tu nous expliquer ce qu’était le Chaos, ta jeunesse, les activités qui s’y passaient, l’organisation politique de ce monde qui est en train de disparaître ?
Oui, je suis né dans le monde du Chaos, et je crois être une belle espèce de cet univers : ma vie durant, j’ai pratiqué l’art des combats et de la guerre. Mais, pour la bonne compréhension du récit, je crois qu’il serait intéressant de commencer par raconter un peu mon enfance au contact du Grand Chaos, car les futures générations ne le connaîtront plus. Apportes moi une cruche de vin Barnabé, et écoute un peu l’histoire avant de l’écrire. Ainsi, tu pourras y mettre les formes nécessaires pour qu’elle soit compréhensible aux civilisés qui la liront plus tard.
Je naquis dans la vallée Alpine qui s’étend du lac de Lémano jusqu’à la source du Rôôn, notre fleuve.
Note de Barnabé, scribe : A peine ai-je commencé à relire mes écrits à Léopold qu’il éructe « C’est quoi ces conneries de « Je naquis » ???, je naquis rien du tout, je suis né dans cette vallée, bordel ! », … j’explique donc à Léopold que j’ai traduis le verbe dans un temps plus propice à la bonne fluidité du texte… Il a maintenant compris et me fait confiance pour la suite de l’écriture. … Reprenons :
Je naquis dans la vallée Alpine qui s’étend du lac de Lémano jusqu’à la source du Rôôn, notre fleuve. Notre vallée se compose de six villes principales faisant chacune office de marché : Maurice, Bâtia, Tourbillon, Sièrs, Vièschp et Brilg. La vallée est large et profonde, convient bien aux cultures, mais peut subir de grosses inondations à la suite des crues du fleuve durant la saison des pluies. Parfois, durant l’hiver, nos sommets se couvrent d’une fine couche de neige, mais il est rare qu’elle descende déranger nos pâturages et villages de montagne. Les légendes disent qu’autrefois, il neigeait jusqu’en plaine, et que des neiges éternelles recouvraient nos hautes vallées latérales…? A dire vrai, je me souviens de la dernière fois où la neige est descendue jusqu’à notre clan de Nendar, c’était l’hiver de mes 9 ans. Nous bénéficions donc d’un bon climat durant toute l’année. Les pluies, même hors saison, n’étaient pas rares, et nos torrents et autres affluents ne se retrouvaient pratiquement jamais à sec. Les anciens nous content encore la dernière grande sécheresse qui ravagea le pays au temps de leurs grands-parents. Elle sévit dans la vallée environ un siècle avant ma naissance. On raconte qu’il ne plut que quatre fois en trois ans. En ce temps, les hommes purent voir le Rôôn à sec ! Depuis, nous n’avions plus vécu pareils phénomènes, et rares étaient les années où nous perdions une partie des récoltes en raison du manque d’irrigation. L’été était chaud, mais restait humide et acceptable pour les cultures. Les habitants de plaine pouvaient d’ailleurs tout récolter et moissonner avant les grandes crues d’automne. Nos conditions de vie demeuraient ainsi tout à fait acceptables.
En montagne, à l’emplacement des villages, nous n’avions pas de crues à redouter. Chaque automne, lors des grandes pluies, il y avait toujours quelques glissements de terrain et éboulements, mais à l’origine, les clans furent judicieusement positionnés. Les ancêtres qui décidèrent la construction des villages tinrent compte de deux facteurs : Le lieu du clan devait être sécurisé contre les événements naturels, ainsi que judicieusement positionné d’un point de vue stratégique. Les villes et villages de l’ancien monde se situaient dans des endroits qu’aucun stratège de notre temps n’aurait eu idée de bâtir. C’était d’ailleurs dans ces ruines que nous nous approvisionnions en matériaux comme le fer, le verre, et autres éléments plus étranges que l’ancienne civilisation utilisait. Les légendes disent que dans l’ancien monde, les hommes savaient maîtriser la nature et vivaient en paix. Nous ne trouvions d’ailleurs aucune ruine d’enceinte autour de quelque ville ou village que se soit. De nos jours, aucun clan n’aurait l’idée de s’installer sans dresser d’abord une enceinte de protection.
Tout le monde savait bien qu’avant nous, une ancienne civilisation avait existé, nous l’appelions « l’Ancien monde ». Des ruines, envahies par la végétation, subsistaient ça et là. Le plus étonnant étaient les ruines des villes inondées chaque année lors des pluies. Nous ne comprenions pas comment avait fait l’ancienne civilisation pour maîtriser les masses d’eau que draine le Rôôn en crue. Ils avaient certainement dû domestiquer le fleuve, car leurs populations occupaient la plaine entière durant toute l’année. Sans une maîtrise totale de la nature, personne n’aurait pu habiter aux emplacements de ces ruines, sous peine d’être noyé ou emporté par des coulées de boue.
Les légendes voulaient que dans l’ancien monde, tous les hommes soient des savants, des espèces de demi-dieux. On racontait que l’homme était capable de faire le tour du monde, de voler dans les airs, et même de traverser le grand néant jusqu’à la lune. Ils disposaient de carrosses dix fois plus rapides que nos plus beaux attelages, mais sans aucun attelage !... Ils maîtrisaient les alliages des métaux les plus subtils. Aucune découverte de l’ancienne civilisation ne semblait connaître les limites du possible et de l’impossible. La seule chose qui nous paraissait impossible, c’est que des hommes aussi savants aient pu disparaître. Certaines légendes soutenaient qu’ils avaient abandonné la planète pour une autre plus clémente, dans le grand néant, et étaient partis s’y installer définitivement. Toutefois, une autre légende, plus crédible, expliquait que les anciens hommes étaient devenus si savants qu’ils voulurent tuer les dieux pour prendre leurs places. Les dieux auraient alors puni les hommes en envoyant des fléaux et le malheur sur terre. Un malheur si phénoménal et si terrible que malgré toute leur science, les hommes-dieux n’y purent rien. Suite à ces ravages, l’humanité tout entière entra alors dans le Grand Chaos. Notre civilisation était dénommée ainsi, mais de fait, notre monde nous semblait bien structuré et nullement chaotique, avec des clans, des marchés, des chefs, des parias et des esclaves. Le terme de Grand Chaos date sans doute de la nuit des temps, mais nous ne savons pas depuis combien de temps. Le Grand Chaos, ou la Longue Nuit, c’est selon, a tout emporté, même le temps...
Ceci dit, la plupart de nos trouvailles dans les ruines des anciens villages restaient pour nous incompréhensibles. L’ancienne civilisation disposait de formidables machines dont on ne peut même pas deviner l’utilité. Néanmoins, pour nous, tout était utile, car nous trouvions là toutes sortes de matériaux, alliages et machines possibles et imaginables, que nous fondions afin de les remodeler selon nos besoins.
En réalité, malgré toutes nos trouvailles, nous ne savions rien de l’ancienne humanité. Quelle était leur politique ? Comment géraient-ils leur système commercial ? Comment vivaient-ils ? S’ils vivaient en paix et qu’ils disposaient de machines fantastiques qui faisaient leurs cultures et récoltes à leur place, comment géraient-ils leur temps libre ? Que faisaient-ils de leurs journées s’ils ne pratiquaient ni la guerre, ni l’agriculture ? Sont-ils nos ancêtres ou sont-ils partis conquérir de nouveaux mondes, abandonnant la sous race que nous sommes à notre sort ? Dans notre monde, il n’y avait pas vraiment de savants. Des hommes intelligents, diplomates et talentueux oui, mais pas de savants, ils n’existaient tout simplement plus. Le premier que j’ai vu c’est toi, Barnabé !
Mon scribe est en effet le premier homme que je rencontrai à savoir déchiffrer et comprendre les signes de l’Ancien monde. Aujourd’hui, nous savons qu’il s’agit de chiffres et de lettres, mais dans ma jeunesse, nous appelions ça « les signes de l’Ancien monde ». Nous trouvions parfois des gravures sur pierre ou sur fer, mais personne n’était capable de déchiffrer ces signes. Le mystère restait entier.
Enfin, il y avait une dernière légende fabuleuse : celle de la Grande Ville mythique. La légende raconte qu’une ville de l’ancien monde a survécu au Grand Chaos. La ville mythique est une cité immense regorgeant de toutes les plus belles richesses de la terre. Là se trouverait toutes les promesses, toutes les réponses aux autres légendes. Là était l’exception et l’explication de l’évolution du monde, de la survenue du Grand Chaos, et tout simplement la réponse à la simple question de savoir : « Qui sommes nous ? ».
Toutes les légendes étaient contées au passé, seule la Grande Ville était racontée au présent, c’était LA légende qui fascinait. Toutefois, tous ceux partis chercher cette ville ne sont jamais revenus. L’histoire situe la grande ville au sud, mais nous ne connaissions ni la distance ni l’endroit. Des Alpes jusque là, nous devrions pénétrer dans une terre qu’on nomme la Péninsule. C’est, dit-on, une longue langue de terre qui s’étend entre deux mers. Il y avait cependant une multitude de territoires à traverser pour mener à bien une telle expédition. Sans compter les parias et les bandits de grand chemin, les clans n’étaient pas non plus réputés pour leur hospitalité. Il y avait des jungles à traverser, des gorges, des fleuves. Ceux qui partaient chercher la grande ville étaient plutôt des illuminés. Parfois, il s’agissait tout de même de groupes de gens obsédés par cette légende, qui s’armaient pour entreprendre une expédition de suicide collectif...
En ce temps-là, nous ne savions pas beaucoup plus que ça sur l’ancien monde, mais cela ne constituait de toute façon pas le principal de nos soucis. Nous avions en effet assez à faire dans nos propres territoires.
A chaque lune, durant trois jours, se tenait le grand marché à la ville. Notre clan dépendait du marché de Tourbillon et nous nous y approvisionnions régulièrement en troquant nos biens de production contre ceux de la plaine ou d’ailleurs.
Concernant la nourriture, nous étions relativement bien organisés. Le café, très apprécié de toutes les populations, poussait en haute montagne, tandis que le sucre qui va avec, venait d’habitude des plantations de betteraves du coteau. La canne à sucre, qui est le fin du fin en matière de douceurs avec le cacao, n’arrivait pas à maturité dans notre climat alpin, un peu trop rigoureux pour ces plantes. Toutefois, les marchés d’Aoste et de Domodosolia, situés dans les contreforts sud des Alpes, proposaient ces denrées qui étaient largement cultivées dans la vaste plaine au sud des montagnes. Certains commerçants en emmenaient parfois jusque dans notre vallée.
Les producteurs de vin avaient planté leurs vignes sur les pans de coteau d’altitude les plus ensoleillés. Nous n’avions donc pas de vignes car notre territoire se situait sur la face nord de la montagne, et il manquait de soleil pour cette culture. Par contre, nous avions la chance de disposer de nombreuses têtes de bétail. Nous mangions de la viande sans nous priver et pouvions troquer le cuir, la laine et les fromages au marché. Pour la fabrication de vêtements plus légers, il nous fallait du coton dont toutes les plantations étaient en plaine. Les clans de basse altitude fournissaient le gros des épices, tandis que le sel était importé dans la vallée. Des mines se trouvaient au bord du lac de Lémano, et les convois distribuaient la précieuse marchandise dans tous les marchés de la vallée. D’importantes escortes armées accompagnaient les délégations se rendant au marché, car les biens transportés attisaient toujours la convoitise de quelques troupes infâmes.
Lorsque les délégations des clans se rendaient au marché, elles étaient désarmées aux portes des enceintes de Tourbillon, les guerriers de la ville assurant le maintien de l’ordre dans le lieu. Les chefs de clans profitaient de l’occasion des jours de marché pour se rencontrer, régler ou envenimer leurs conflits. Pour tirer au clair leurs différents, les chefs s’affrontaient parfois en duel, directement sur la place centrale de la ville, à la plus grande joie de la populace. Les combats de chefs étaient toujours très impressionnants et appréciés, car tous devinrent chefs après avoir combattu et vaincu les meilleurs guerriers de leur clan. D’autres fois, les chefs en conflit faisaient sortir leurs hommes de la ville pour entamer de petites guerres éclairs à l’extérieur, qui faisaient le plaisir des spectateurs se massant sur la muraille pour encourager l’un ou l’autre camp. Le but du jeu consistait à massacrer tous les guerriers adverses, avant d’humilier le chef perdant, qui avait alors le choix entre capituler ou mourir.
Tourbillon était une ville de plaine, disposant d’une belle muraille de pierre abritant une population d’environ 6’000 individus. Les ruelles y étaient étroites mais les maisons bien bâties. Toutefois, les villes n’étaient aucunement des chefs lieus. Elles ne disposaient d’aucun pouvoir politique sur les clans gravitant autour, et ne servaient que de place de marchandage. Notre village, Nendar, était construit en altitude, sur un promontoire surplombant la plaine. Nous nous protégions avec une grande enceinte doublée faite de troncs de mélèzes entiers plantés à même le sol. Tout autour du village, une distance d’un jet de flèche avait été déboisée. Huit miradors s’élevaient au dessus des enceintes, et des guetteurs se relayaient perpétuellement dans ces postes de surveillance. Nos maisons étaient plutôt construites en bois qu’en pierre, contrairement au marché. Nous n’avions qu’un seul grand bâtiment entièrement bâti en pierre, il s’agissait de la citadelle, mais chaque village disposait également de tels ouvrages.
Les citadelles constituaient le dernier refuge en cas d’envahissement du clan. Elles étaient presque un village dans le village. Notre citadelle, située au centre de la bourgade, était aussi entourée d’une imposante muraille, mais en gros blocs de pierre, contrairement aux enceintes de bois autour du village. Au bas de la muraille, un fossé avait été creusé et nous ne pouvions accéder au bâtiment que par le pont-levis. Notre citadelle comptait six étages et faisait office d’habitation pour les chefs et les différents conseils du clan. Nous engrangions une grande partie de nos récoltes au dernier étage, tandis qu’au-dessous se trouvait la demeure du chef et de sa famille. Un étage plus bas logeait le conseil des anciens et leurs familles, puis il s’y trouvait encore au-dessous le conseil des matrones. Les deux étages du bas étaient réservés aux banquets et autres réjouissances en tant de paix, mais pouvaient accueillir toute la population du clan si des ennemis parvenaient à pénétrer à l’intérieur du village. Auquel cas, le pont-levis était remonté, et les assaillants avaient peu de chances de vaincre les défenses de cette bâtisse. L’ennemi ne pouvait que faire le siège.
Conquérir une citadelle requérait d’instruments de combat autres que des flèches ou des béliers. Elles ne disposaient pas de grandes fenêtres mais plutôt de meurtrières, et il était pratiquement impossible de bouter le feu à ces constructions de pierre. Le toit était soigneusement recouvert d’ardoises, et les flèches enflammées pouvaient l’atteindre sans dégâts. La vie de tous les jours se déroulait ainsi autour de ces forteresses, dans le village qui s’étendait au bas, jusqu’aux limites des enceintes de troncs. Les logis du clan entouraient la place du village où se déroulaient toutes les activités communautaires, marchandages, tournois et jeux.
En termes de défense du territoire, notre village surpassait la ville. Non seulement, notre clan était extrêmement bien situé et défendu, mais de plus, sur toutes les voies d’accès, nous avions des hameaux. Même si ces hameaux ne disposaient pas de citadelles, ils étaient aussi dûment fortifiés et protégés par de solides enceintes de bois. Ils faisaient ainsi office de postes avancés. Nous en avions une demi-douzaine sur le coteau, et en cas d’attaque, l’alerte était répercutée immédiatement jusqu’au village par le son des cors d’alarme. Même si notre clan ne comptait que 4’500 âmes, notre puissance militaire équivalait au moins celle de Tourbillon. Notre politique avait toujours misé sur un contrôle strict du territoire, et nous avions en permanence plusieurs centaines de guerriers en patrouille aux quatre coins de notre montagne. Nous payions ainsi un lourd tribu en forces armées, car les guerriers n’étant pas cultivateurs, cela augmentait le travail des paysans. Toutefois, ils cultivaient en sécurité et ils ne se plaignaient pas. Les femmes appréciaient également cette politique, car elles pouvaient sortir du village à leur guise sans trop craindre d’être kidnappées.
Le conseil des matrones avait d’ailleurs remarqué cela, et elles durcirent leurs règles envers leurs congénères. Puisque les hommes se dévouaient pour sécuriser entièrement le territoire, et ainsi donner une plus grande liberté et aisance de mouvement aux femmes, elles devaient apporter aide et assistance aux cultivateurs. Finalement, tout le monde y trouvait son compte et personne n’envisageait de changer de système sur ce point. Les femmes étaient rassurées, les cultivateurs aussi, et ils recevaient en plus une aide bienvenue. Les guerriers étaient satisfaits de leur statut, et leur nombre faisant la puissance du clan, ce dernier était respecté par les autres. De la sorte, le chef disposait d’un poids politique plus important lors des réunions au marché, et pouvait plus facilement imposer ses solutions aux adversaires. Ainsi, tout était parfait pour chacun.
Armadé, mon père, devint chef du clan à vingt ans, l’année de ma naissance. Chaque fois qu’un vieux chef mourrait, un grand tournoi s’organisait, et tous les guerriers du clan pouvaient tenter leur chance. Le vainqueur du tournoi était déclaré nouveau chef jusqu’à sa mort. Armadé était un homme d’une grande intelligence, mais sans doute pas le plus robuste. Par contre, il maniait les armes avec une agilité hors du commun, et disposait à chaque fois de mille stratégies pour vaincre, par tous les moyens. D’ailleurs, ce ne fut pas par la force qu’il remporta la finale, mais grâce à une poutrelle de bois dont il avait sectionné les amarres. Elle s’abattit avec force fracas sur le crâne du malheureux dauphin, qui fini assommé. Le combat fut déclaré loyal et père devint chef de Nendar. De toute façon, il n’y avait aucune règle à respecter durant les joutes et tournois. Les seules interdictions étant de demander l’aide d’un comparse, ou de toucher le cheval s’il s’agissait de combats montés.
Le chef disposait ensuite d’une autorité totale sur son clan et décidait de la politique à mener. Une autre frange du pouvoir était le conseil des anciens. Ce conseil se composait des douze plus anciens guerriers du clan. Leur tâche consistait à seconder le chef dans ses décisions, lui faire part de leur expérience et apporter les conseils utiles. Les anciens pouvaient bloquer une décision politique si l’unanimité d’entre eux votait contre l’avis du chef, ce qui était rarement le cas. Ce conseil était chargé de juger les villageois indisciplinés, le chef se contentant d’approuver la sentence où, dans des cas exceptionnels, de gracier le coupable. Dans la théorie, le conseil des anciens devait aussi juger les femmes, mais les matrones les avaient déclarés inaptes à faire appliquer les règles au sexe faible.
Il faut comprendre que durant le Grand Chaos, environ un accouchement sur six se terminait par le décès de la mère. Ainsi, toute la puissance d’un clan se construisait autour de la fertilité des femmes. Un enfant sur deux n’arrivant pas à l’âge adulte, une baisse de la natalité signifiait toujours une future perte de puissance du clan. Ainsi, lorsque la proportion hommes-femmes n’était plus équilibrée, nous organisions des expéditions de capture dans les territoires voisins. Cependant, les femmes bénéficiaient de toute notre attention, car chacune d’entre elles était précieuse. Les règles à ce sujet étaient d’ailleurs les plus dures : Le fait de lever la main contre une femme pouvait encore passer pour un mouvement d’humeur possible à corriger, et les indélicats recevaient leur punition sur la place publique au vu du village tout entier. Par contre, celui qui avait vraiment blessé une femme n’était même plus châtié, les juges le déclaraient paria. Sous les huées de la plèbe, le malheureux n’avait plus qu’à quitter le village, banni à vie. Condamné à errer sans terres ni ressources, il ne tardait pas à se joindre aux groupuscules de parias hors clans.
Ainsi était la loi.
Les femmes bénéficiaient d’un respect tel que même durant les enlèvements, nous n’avions pas le droit de molester celles que nous emportions. Nous pouvions les maîtriser fermement, mais jamais les battre, ce qui n’était pas leur cas. Parfois elles luttaient dur, frappant, griffant ou nous mordant dans les avants bras jusqu’aux os alors que nous galopions pour rejoindre notre territoire. Elles pouvaient donc se défendre à loisir tandis que la riposte nous était interdite.
A vrai dire, nous ne voyons pas directement les défauts de la gente féminine, car elle représentait d’abord la promesse de la pérennité du clan, et ensuite seulement, un vrai être humain capable de fautes. Les matrones sont des anciennes ayant survécu à toutes leurs grossesses. Elles avaient déclaré les guerriers incapables de juger les femmes, et prirent elles-mêmes les choses en main. Les lois qu’elles établissaient pour leurs semblables étaient d’ailleurs bien plus dures que les nôtres. En gros, tout ce que nous demandions aux femmes était de nous faire de solides bébés, tandis que les matrones exigeaient d’elles beaucoup plus. C’était la troisième forme de pouvoir du clan, qui s’occupait de toutes les affaires féminines.
Nous n’avions pas de cellules de détention, et chez les deux sexes, il y avait des jugements impliquant des punitions publiques, de la plus légère à la plus lourde, la peine de mort. Le chef utilisait souvent son droit de grâce envers les femmes condamnées, et rarement, pour ne pas dire jamais, envers les coupables masculins.
Il existait néanmoins des gens qui n’étaient pas jugés. Considérés comme maléfiques, aucun bourreau ni guerrier n’aurait jamais levé la main sur l’un d’eux, de peur que la malédiction retombe sur le clan. Ces êtres étaient déclarés parias, et bannis des villes et villages. Avant d’être bannis, on les marquait au fer rouge sur le front. Il s’agissait juste de provoquer un signe indélébile, visible au premier regard, afin que chaque clan puisse l’identifier immédiatement.
Les parias étaient considérés comme des irrécupérables, qu’on peut facilement classer en 4 catégories :
Les femmes qui n’enfantaient pas ! Leur homme avait beau l’accoupler, son sein restait stérile et infécond. Nous ne savions pas pourquoi certaines étaient prises par cette malédiction, mais dès le mal identifié, elles étaient mises en quarantaine avant de quitter définitivement le territoire, de peur qu’elles ne contaminent les autres. Ce genre de malédiction semblait frapper au hasard dans la population sans que les guérisseuses ne puissent rien pour les désenvoûter. Celles soupçonnées d’infertilité étaient cependant dûment contrôlées avant le bannissement. Nous ne prenions pas le risque de laisser partir dans la nature de futures mères si c’était leur homme qui se trouvait stérilisé par la malédiction. Ainsi, le conseil des matrones avait jugé opportun de laisser les femmes suspectes trois lunes à l’épreuve d’un homme dont on connaissait la puissance de procréation. Si après ce temps elles se retrouvaient enceintes, la preuve était faite que la malédiction pesait sur l’homme. C’était alors lui qui devenait paria et quittait le clan.
Rarement, nous voyions aussi des comportements masculins infernaux : Des hommes s’accouplant avec d’autres hommes ! Ceux-là étaient aussi irrécupérables, incapables de comprendre qu’un homme est d’une inutilité totale pour porter la vie en son sein ! Ils étaient donc bannis. Nous avions aussi eu connaissance de femmes agissant de même, et refusant les hommes... Inutiles également, et donc chassées du clan. Plus immonde mais encore plus rares étaient ceux qui s’accouplaient avec des enfants !? Ils pouvaient blesser des futures mères, et quittaient le village sous la vindicte populaire.
Ceux qui blessaient les femmes de manière à les rendre impropre à la procréation étaient également bannis. Mais généralement, les hommes n’allaient pas jusque là dans la brutalité, il ne s’agissait le plus souvent que de mouvements d’humeurs, et la femme s’en sortait avec un oeil boursouflé ou une joue enfoncée. L’homme était cependant si sévèrement châtié, que rares étaient ceux qui recommençaient de sitôt.
Les traîtres n’étaient pas non plus jugés, mais bannis, car celui qui trahi une fois recommence toujours...
On peut donc dire que la catégorie des parias ne concernait que les individus mettant en danger la pérennité du clan, soit en trahissant, soit en n’ayant pas les moyens de participer à son développement humain.
Le conseil des anciens ne jugeait de fait que les infractions moindres. Les criminels occupant le haut du pavé de la hiérarchie des délits, ils étaient normalement mis à mort à l’occasion de festivités villageoises, bien que certaines circonstances puissent donner droit à la grâce du chef. Les autres manquements aux règles étaient sanctionnés par des châtiments correspondant à la faute, un des plus durement puni était le viol sans le consentement de la lésée. En général, le violeur s’en sortait avec le dos quadrillé et lacéré sous les coups du fouet, puis aspergé d’alcool pur ; d’un côté pour désinfecter, mais d’un autre côté aussi pour qu’il sente bien passer la morsure finale de la punition.
Les anciens pouvaient déclarer esclave un individu ou toute une famille de notre propre clan, notamment et surtout celles des traîtres. La loi voulait que pour prévenir la trahison, le châtiment devait être des plus exemplaire et collectif ! Les traîtres quittaient leur clan avec la marque des parias sur le front, tandis que leur femme et enfants devenaient esclaves. Cela donnait à réfléchir avant de trahir...
Les esclaves étaient aussi des hommes d’autres villages fais prisonniers. Les parias ne servaient bien entendu jamais d’esclaves à cause de la malédiction. Ils formaient des groupes assez peu organisés qui erraient par les territoires de la vallée. Ils subsistaient en bandes allant d’une douzaine à une vingtaine d’individus, pour ne s’unir que lors des transports au marché. A ces occasions, ils s’attaquaient habituellement aux caravanes de marchandises des clans les moins bien protégés. Ce n’est d’ailleurs qu’en cas d’attaque de leur part que nous pouvions les tuer sans craindre que la malédiction ne s’abatte sur nous.
Nous savions tous que ces parias aspiraient à former de nouveaux clans selon leurs règles infernales. Toutefois, pour tous les chefs traditionnels, il était hors de question de voir naître une telle union de parias. Personne ne cèderait une once de territoire à de tels êtres. Si nous découvrions une de leur culture à terme, nous ne la prenions pas mais la brûlions et laissions le champ en jachère durant 4 ans pour le libérer du maléfice. A peine essayaient-ils de monter une palissade de protection que le lendemain, il n’en restait que des cendres. Ils n’avaient donc pas beaucoup d’autres solutions que nous voler pour survivre.
Il y avait une autre affaire qui n’était pas jugée car considérée comme privée, l’adultère. En cas d’adultère, les femmes n’étaient pas inquiétées, mais l’homme lésé pouvait obtenir réparation en demandant un duel à mort au fornicateur, ce dernier étant obligé d’accepter, sous peine de sanction publique infligée par le conseil des anciens. Si le cocu était guerrier, il se chargeait lui-même du duel, mais s’il était paysan, il pouvait demander à son guerrier attitré de mener le combat pour lui. Chaque paysan avait un guerrier attitré : Le paysan lui confiait ses enfants pour leur éducation militaire, tandis que le guerrier lui prêtait les siens 3 jours par semaine pour l’aide et l’apprentissage des métiers de la culture et de l’élevage. Ainsi, si un combattant forniquait avec la femme d’un paysan, ce dernier pouvait laver son honneur dans un duel par procuration, via l’entremise de son guerrier. Ces combats à mort se déroulaient en général sur la place du village, pour le divertissement des spectateurs, qui encourageaient l’un ou l’autre…
Du côté de nos religions, elles variaient selon les chefs au pouvoir. Il y avait en effet deux tendances qui s’affrontaient régulièrement, l’une et l’autre trouvaient preneur parmi les populations :
Le culte des esprits de la nature était une croyance plus concrète. Cette doctrine voulait que chaque élément soit mû par un esprit particulier. Ils croyaient que la montagne était investie d’un esprit plutôt vengeur et belliqueux, ainsi le respectaient-ils particulièrement. Certaines légendes parlaient de montagnes se jetant sur des villages entiers pour les engloutir à jamais... Il y avait aussi l’esprit de la forêt, pacifique et calme ; l’esprit des champs, généreux ; l’esprit du fleuve qui varie d’humeur au gré des saisons. Ensuite, il y avait les grands esprits comme celui du vent, qui voyage constamment ; celui de la pluie qui abreuve le sol et les champs, mais qui peut aussi être colérique ; celui du tonnerre et de la foudre, impétueux et sans scrupules. Enfin, il y avait les esprits des astres qui modifiaient l’humeur de la nature et même celle des humains, en particulier l’esprit lunaire. Celui du soleil était le plus important. Il représentait l’esprit de vie, c’était grâce à lui que tous les autres pouvaient subsister. Les adeptes de ces croyances vénéraient particulièrement le soleil comme étant le père fondateur de la terre.
Une autre religion voulait qu’il n’y ait aucun esprit de cette nature, mais un immense Esprit qui embrassait toute la création, de la terre et de tous les astres. Cet Esprit était l’Architecte et le Créateur de l’univers, il était le père de tous les dieux. Il était présent avant l’univers, il était là et le resterai après la fin du monde. Le Dieu tout puissant était la croyance la plus répandue chez nous. C’est lui qui réglait tout sur terre et dans les cieux. Nous n’avions cependant pas le droit de le prier directement, car nous étions trop insignifiants à ses yeux pour oser le déranger. Nous ne pouvions le louer ou le remercier qu’en lui sacrifiant une bête ou quelques récoltes afin d’attirer Sa sympathie sur notre clan. Les seuls dieux que nous pouvions invoquer directement étaient les dieux mineurs, fils du Tout puissant, comme celui de la guerre, de l’amour, de la fertilité, des guérisons, etc. Et selon la croyance populaire, ce Dieu Tout Puissant avait un fils vivant en chair et en os sur cette terre ! Mais là, il ne s’agissait plus de croyance, c’était concret et réel. Tous les hommes de plus de 30 ans de notre clan l’avaient vu, il était venu en personne 25 ans auparavant à Tourbillon. Celui qu’on nommait le fils de Dieu s’appelait en réalité Marco Fallacio, dit aussi « Le Magnifique », « Roi des guerres », « Seigneur des duels », « Terreur des parias », « Divin guerrier », « Le Dieu au casque d’or », ou encore plus simplement « Le Maître ». Bien sûr, nous doutions qu’il s’agisse là d’un réel fils du Dieu Tout Puissant, mais s’il devait en exister un sur la surface de la terre, c’était bel et bien lui qui pouvait prétendre être ce fils, car Marco Fallacio était la perfection incarnée.
Armadé, mon père, adhérait plutôt à la croyance du Dieu Tout Puissant, car elle expliquait bien plus de choses que les esprits naturels. Le Dieu Père de tous les dieux avait créé l’univers, le monde, la nature, les bêtes et l’homme. Mon père voyait mal comment les esprits naturels pouvaient expliquer leur propre création ainsi que la nôtre sans l’intervention de l’Architecte Tout Puissant. Cette croyance me convenait aussi mieux que l’autre.
Cependant, même si le chef pouvait décréter la religion officielle de son clan, il avait généralement suffisamment de jugeote pour laisser chacun continuer à croire en ce qu’il voulait. De toute façon, il valait mieux essayer d’éviter les affrontements domestiques, car nous avions assez à faire avec l’extérieur.
Les guérisseuses invoquaient sans arrêts les dieux et les esprits de la nature. Mais leurs psalmodies restaient totalement incompréhensibles aux non-initiés, et ne nous donnaient ainsi aucune indication sur leurs prières. On pouvait bien se demander si elles invoquaient la religion officielle, nous ne savions jamais la réponse. Toutefois, nous leur laissions appliquer cette science à leur guise, car les guérisseuses nous étaient d’une grande utilité. Elles connaissaient les vertus curatives de toutes les plantes et aidaient bien des malades à vaincre leurs maux. Chaque clan et marché comptaient plusieurs guérisseuses qui se transmettaient leur savoir de génération en génération.
Le point faible de notre monde était les voies de communications. De notre village de Nendar, deux chemins praticables avec des chars à boeufs ou autres charrettes rejoignaient la plaine. Cependant, durant la saison des pluies, les éboulements venaient couper ces « routes » à plusieurs endroits, mais même par temps sec, il n’était jamais très prudent de les emprunter sans escorte armée. De la sorte, il y avait très peu de mouvements, et les voyageurs individuels étaient inexistants. Il n’y avait qu’une poignée d’hommes de notre clan à avoir vu le grand lac de Lémano, situé pourtant à peine à une quinzaine de lieues de Tourbillon.
Les plus grands voyageurs étaient les marchands, toujours entourés de leur armée personnelle. Appréciés de tous les clans, c’était eux qui nous enseignaient sur le monde lointain. Grâce à eux, nous connaissions les noms et les capacités de villes aussi lointaines que Génévia, à l’autre bout du grand lac, ou Tourini et Milani, dans le grand sud. Aucun d’entre eux n’avait vu la grande ville de La légende, mais ils pouvaient nous confirmer que cette légende existait bel et bien partout. Ces courageux commerçants bénéficiaient de tout notre respect et attention. Dans quelque ville ou village qu’ils s’arrêtaient, ils étaient toujours traités en hôtes de marque et invités à partager la demeure du chef dans la citadelle. Leur venue provoquait à chaque fois une fête réunissant tout le clan. Ils en profitaient pour nous proposer leurs marchandises en l’étalant au vu de tous, et les marchandages et trocs allaient bon train. Les commerçants étaient les seuls à pouvoir proposer des richesses introuvables dans nos montagnes, comme les métaux précieux. L’argent était chèrement payé par les jeunes hommes dont la femme était enceinte, quant à l’or, métal pratiquement introuvable sur terre, il n’était destiné qu’aux chefs. Quelques paillettes d’or valaient déjà une vache ou trois cochons. La quantité d’or nécessaire à la confection d’une modeste bague, signe distinctif des chefs, pouvait valoir une demi-douzaine de têtes de bétail.
Les commerçants nous racontaient que les chefs des grandes villes s’octroyant le titre de « Seigneur » devaient se faire confectionner une couronne d’or. Nous avions appris récemment par l’un d’eux que le nouveau seigneur de Génévia céda un troupeau de quatre-vingt vaches. Cette quantité lui permettait de se forger une fine couronne. Mais même modeste, elle suffisait au titre de Seigneur.
Les marchands se promenaient ainsi parfois avec plusieurs centaines de têtes de bétail, toujours escortés par des dizaines de guerriers. Ces bêtes nourrissaient et payaient ses hommes d’armes, et il lui en restait suffisamment pour acquérir de nouvelles pépites auprès des chercheurs et autres fournisseurs de matériaux divers. Les commerçants au long cours menaient une vie très spéciale mais infiniment intéressante. Ils n’appartenaient à aucun clan et c’était bien les seuls êtres vivant hors clans respectables. Les autres n’étaient que des bandits et parias sans foi ni loi. Ils voyageaient avec toute leur famille, ainsi que celles de leur armée personnelle, et dormaient au gré des villes et villages sur leur route. En plus d’être commerçants, ils devaient aussi être chefs militaires de plusieurs dizaines de guerriers triés sur le volet, car il leur fallait lutter contre toute la racaille qui convoitait les marchandises transportées. Ces guerriers étaient aussi les seuls autorisés à massacrer les parias, car n’appartenant à aucun village, la malédiction ne pouvait pas retomber sur un clan inexistant...
Voilà le monde tel qu’il était à ma naissance, celui du Grand Chaos. Divisé en de multiples clans défendant leur petit territoire. Le monde de chaque individu se réduisait à son village, et à la ville du marché trois jours à chaque lune. Seuls les marchands étaient accueillit partout comme des seigneurs, et connaissaient de vastes territoires du monde. Mais eux aussi avaient des limites et des frontières. Un marchand parlant notre langue restait limité à sa frontière linguistique, et les commerçants trop étrangers étaient en général douteux, vite considérés comme des espions. Les échanges entre frontières se faisaient par des négociants. Aoste et Domodossolia étaient de grandes plaques de distribution de cacao, de sucre et alcool de canne, comme d’autres produits non propices aux climats plus rigoureux du nord. Seuls quelques négociants originaires de notre vallée avaient accès à ces plaques de distribution. Ces hommes devaient êtres au-dessus de tout soupçon et restaient neutres. Ils chargeaient d’immenses convois, passaient les Alpes par un des cols, traversaient la vallée, et déchargeaient de grandes quantités de marchandise auprès d’autres plaques de distribution, comme la ville de Friborg, qui est une ville francophone du nord, où les négociants germaniques venaient échanger leurs produits du nord contre ceux du sud. Le commerçant faisait alors le voyage inverse. Une vie passionnante faite de multiples rencontres et de paysages sans cesse changeants. Les rares commerçants ayant accès aux diverses plaques de distribution parlaient souvent les trois langues : italophone, francophone et germanophone. Les marchands locaux s’approvisionnaient souvent au passage des grands convois en quantité plus raisonnable, et écumaient les campagnes, troquant leurs marchandises dans toutes les villes et villages. Aucun d’entre eux n’avait vu ou connu un marchand ayant voyagé assez loin pour voir la ville mythique de la légende...
Ainsi, le monde des marchands s’arrêtait lui-aussi en deçà de la Grande Ville. Nous ne savions que peu de choses à ce sujet.
Il y avait toutefois une histoire qui n’était pas encore une légende mais qui ne tardera pas à le devenir: Celle du grand guerrier. Ce fameux guerrier vivait dans notre vallée 6 générations avant ma naissance. Certains anciens du village avaient des parents qui ont vu ce guerrier à l’oeuvre dans leur prime jeunesse. Ils se rappelaient de lui à travers leurs yeux émerveillés d’enfants. Le fameux guerrier vécu à Bâtia et Tourbillon, une centaine d’années avant ma naissance. A ce qu’on dit, ce seul homme était une armée à lui tout seul. Il maîtrisait parfaitement chacune des disciplines du combat. Dans les tournois, on raconte qu’il ne se battait jamais contre un seul adversaire, car il pouvait écraser plus d’une douzaine de guerriers à lui tout seul. Le chiffre est certainement exagéré, car au fil des histoires, on rajoutait toujours un ou deux adversaires supplémentaires pour grossir le mythe. Ce qui est toutefois certain, c’est que cet homme avait voyagé de part le monde, traversant des territoires lointains et hostiles, et que jamais personne ne réussi à provoquer sa chute. La dernière fois que les gens l’ont vu, ce fut lorsqu’il passa le col de Barnard pour aller plein sud tenter de trouver la Grande Ville. Après son départ, plus personne n’entendit parler de lui. Comme tous les autres, le grand guerrier ne revint jamais de cette expédition.
Certains hommes de notre époque, qui ne supportaient plus ce monde recroquevillé sur lui-même, prenaient les armes pour tenter eux aussi de découvrir la Grande Ville. Parfois en groupe, mais parfois seuls aussi. Jamais aucune expédition n’en revint de mémoire de légende ! La seule énigme de ce temps était celle de l’armée du Maître, le roi des guerres : Marco Fallacio. On disait, … les gens disaient, … que Marco Fallacio et son armée avaient atteint la Grande Ville et en étaient revenus. Mais personne ne connaissait le détail de l’histoire ni même sa véracité, car le Maître lui-même n’avait jamais rien dit à ce sujet.
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Ma vie au clan
Avant ma naissance, mon père était un jeune guerrier comme tant d’autres dans ce monde divisé mais simple, avec ses simples règles. A l’âge de quatorze ans, un grand tournoi oppose tous les jeunes du clan. C’est à cette occasion que sont sélectionnés les futurs guerriers. Le conseil des anciens, de concert avec le chef, établit des quotas de nouvelles recrues selon la politique de sécurité du clan. Par exemple, lors du tournoi auquel participa Armadé, il y avait 98 jeunes qui arrivaient à leur majorité, soit… quatorze ans. Cette année, le conseil décida qu’il fallait sélectionner les 42 meilleurs pour en faire de nouveaux guerriers. Armadé termina 3ème et fut tout naturellement retenu. Il reçu son sacre de guerrier ainsi que son épée ce jour-là. Les 53 perdants reçurent un matériel neuf de paysan: Racloir, fourche, rateliers...
Même si les guerriers devaient faire beaucoup d’efforts pour se maintenir en force, leur vie était tout de même plus intéressante et enviable que celle des paysans, dépendant d’eux pour leur sécurité. D’ailleurs, la première activité que tous les enfants mâles devaient apprendre, était le maniement des armes. Vers l’âge de trois ans, les cultivateurs confiaient l’éducation de leurs fils à un guerrier. Les guerriers se nourrissaient de ce que produisaient les paysans, ils les protégeaient et leur donnaient la possibilité d’inscrire leur descendance dans une lignée de guerriers. Nous avions d’ailleurs vu des fils de paysans devenir de grands chefs. Dans le monde du Chaos, tous naissaient égaux, sauf les fils de parias qui devaient attendre une génération pour pouvoir prendre part aux joutes. Les parias n’avaient généralement pas de progéniture, mais les traîtres devenant eux aussi parias, ils laissaient parfois une famille au clan. Cependant, une génération passée, leurs petits-fils recouvraient tous leurs droits et dignité. La vie des garçons était donc principalement axée autour de l’éducation au maniement des armes, même si à partir de 5 ans, chaque enfant devait consacrer trois jours par semaine à l’aide aux cultivateurs, le reste étant occupé par les entraînements. Ainsi, au tournoi des 14 ans, les perdants connaissaient déjà les champs et le bétail pour débuter leur nouvelle vie. A cet âge, il était admis que le jeune soit adulte et devait en assumer le rôle. Les gagnants cessaient à cet âge toute activité de paysannerie pour faire partie des forces armées du clan, nourris par les cultivateurs comme il se doit.
Une année après ce tournoi, père avait terminé de construire sa maison. Il prit sous son aile Lucie, la femme qu’il avait toujours aimé. Après que le conseil des anciens eut procédé à l’union, elle vint habiter à la maison. Armadé connaissait Lucie depuis l’enfance, et ils s’appréciaient mutuellement. A peine installé, il l’engrossa, et à 15 ans, ma mère mit au monde une fille qui ne passa pas l’hiver, atteinte de la grande toux (une pneumonie me dit Barnabé). Deux ans plus tard, ils eurent un fils qui fit leur fierté, Jo. Après la mort de l’ancien chef, Armadé gagna le grand tournoi de succession, ce qui le propulsa chef du clan, et ils s’installèrent dans la demeure réservée au chef, au 5ème étage de la citadelle. Un peu plus tard, je naissais dans la famille du chef des Nendars, mais ma naissance fut une tragédie pour père. Il n’avait pas enlevé Lucie et il nourrissait un véritable amour pour elle, comme il aimait tant à le dire. Elle s’apprêtait à me donner la vie lorsque elle commença à saigner abondamment (le scribe me dit que cela s’appelle une hémorragie). Mère perdit connaissance avant que je ne sois sorti de son sein. Elle ne pouvait plus pousser, la guérisseuse du clan n’y pouvait plus rien, alors père dû agir. Il devait sauver au moins une vie. Il ouvrit le ventre de ma mère avec son poignard pour m’en extraire, et mère mourut un instant après, sans un mot, inconsciente. Ce fut douloureux pour lui et il disait parfois: “J’ai tué mon amour”. Son amertume était telle qu’il ne voulut pas remplacer sa femme chérie par une autre, et il se consacra dès lors entièrement à notre éducation militaire ainsi qu’à son rôle de chef de clan.
J’étais un grand bébé, ce qui explique peut-être le malheur de ma naissance. Armadé me disait parfois : “Elle t’a donné tout ce qu’elle avait, elle s’est vidée de sa vie pour te la transmettre. Soit digne d’elle fils !” Oui, il devait vraiment beaucoup aimer ma mère.
Je grandis à Nendar, clan des plus respecté dans la région. Hormis la demi-douzaine de hameaux fortifiés dont nous disposions, le total de nos force militaires actives s’élevaient tout de même à une armée de presque mille guerriers, tous en état de combattre n’importe quand. La ville de Tourbillon elle-même ne devait pas être beaucoup plus armée, et semblait bien moins protégée que nos villages de montagne.
Notre village et celui de Savièz étaient réputés pour être les plus puissants du marché, et le poids politique des deux chefs n’en était que plus important. Cependant, les collaborations entre clans se limitaient à quelques droits de passages, possession de sources, ou autres dilemmes de territoires.
De mon côté, depuis tout petit, père m’avait accroché des bracelets de plomb aux poignets et aux chevilles, « pour me renforcer », comme il disait. Plus je grandissais et plus il rajoutait du plomb. Il y avait tout de même quelques exceptions à l’astreinte paysanne pour les fils de chefs et ceux du conseil des anciens : nous étions dispensé des corvées de paysannerie que les fils de guerriers et de cultivateurs devaient s’acquitter trois jour par semaine jusqu‘à leur majorité. Notre temps était ainsi entièrement consacré à l’éducation militaire. C’était un avantage, car il était rare qu’un fils de chef devienne cultivateur après le tournoi des 14 ans.
De grand bébé, je devins un petit garçon vraiment fort. J’ai dû commencer le tir à l’arbalestre alors que je savais à peine marcher ! On me mit un glaive dans les mains un rien plus tard. Armadé nous éduqua, mon frère et moi, au maniement des armes depuis notre plus tendre enfance, mais je n’ai pas grands souvenirs de ces trois ou quatre premières années de vie. Tout ce que je sais est ce que mon père m’a conté. A savoir que j’étais un sacré petit phénomène guerrier. De la sorte, lors des entraînements, il était toujours plus dur et exigeant avec moi.
Notre vie n’était donc pas très facile depuis tout petit, mais l’enfance était tout de même un âge d’or. Les distractions étaient rares, il n’y avait que les trois jours de marché à chaque lune qui rythmaient notre vie. De temps en temps, la venue dans notre clan d’un marchand égayait le quotidien. Ils évitaient les villages de montagne durant la saison des pluies à cause des éboulements sur les chemins, mais durant le reste de l’année, on pouvait compter sur au moins quatre visites annuelles. Ces marchands logeaient avec nous dans la citadelle, étalaient leurs richesses devant notre famille, ils avaient de tout, et étant de la famille du chef, j’étais privilégié pour apprécier de plus près tous ces trésors. Le commerçant disait le nom des pierres précieuses qui scintillaient sous mes yeux. La pierre la plus dure de toutes, le diamant, mais aussi les pierres de couleur, émeraudes, saphirs, rubis,... des noms étranges et fascinants. Toutes ces pierres avaient appartenu en un jour lointain à quelqu’un de l’Ancien monde qui la portait sur lui, ou sur elle ? Les bagues, colliers, et tous ces bijoux avaient été fabriqués par l’ancienne civilisation comme objets d’apparats. Ils avaient traversé le Grand Chaos, et nous les portions à notre tour. Je me souviens qu’enfant, je restais parfois longtemps à regarder ces pierres et à m’imaginer ce qu’elles avaient bien pu voir. Si ces pierres pouvaient parler, que pourraient-elles me raconter ? A défaut d’apprendre à parler aux pierres, je m’imaginais l’Ancien monde en regardant ces bijoux.
Les marchands m’aimaient bien. Lorsqu’ils apprenaient mon âge et voyaient ma stature, certains disaient que dans le futur, ils seraient bien tentés de me prendre à leur service. C’était très gratifiant. Faire partie de l’armée personnelle d’un marchand était le plus grand honneur qu’un guerrier puisse attendre. Les troupes marchandes n’étaient composées que de la crème des plus valeureux combattants. Leur organisation, leur matériel, leurs montures (les meilleures du pays), en faisait des escouades d’une efficacité abominable. Ces chevaux étaient peut-être la seule chose dont les marchands ne se séparaient jamais, même contre de l’or. De plus, leurs armes étaient conçues dans un alliage si précieux que jamais, ils ne dévoilaient leurs composantes. Une sorte d’acier inoxydable, incapable de briser. C’était tout simplement “les armes des marchands”. Ils se transmettaient le secret de cet acier de père en fils, et nous ne savions rien de ce métal. Où trouvaient-ils les composantes, comment dosaient-ils leurs alliages ? Tout cela, même les guerriers du marchand ignoraient. Toutefois, la totalité de leur équipement était fait de cet acier secret. Leurs cotes de mailles résistaient à tout, et elles ne rouillaient jamais, contrairement aux nôtres.
Les anciens racontaient qu’à une certaine époque durant le Chaos, des clans avaient commencé à s’équiper d’armures complètes. Cependant, cette technique nous semblait maintenant nuisible au combat. Ces armures offraient bien une protection supplémentaire, mais elles supprimaient l’agilité, la rapidité et finalement, l’efficacité du guerrier. Si on ajoutait à cela l’état de quasi suffocation qu’éprouvait l’homme sous un pareil équipement, ce devait être une catastrophe. Dans notre époque, le gros souci des guerriers était leurs cotes de mailles, car ils devaient sans cesse les réparer. C’était les matrones qui faisaient ces tenues pour les guerriers. Chacun en recevait une neuve à leur sélection des 14 ans, avec l’épée et l’équipement du guerrier. Mais ensuite, à tout bien compter, nous devions refaire une tenue de côtes de mailles nous même, tous les 3 ans environ. Pas de cela avec le matériel des marchands, leur acier étant absolument inoxydable !
Notre épée était offerte par le clan. Même si elles étaient toutes faites dans un très bon acier, trempé, elles pouvaient se briser. Rien de comparable non plus avec l’acier des troupes de marchands. Lors de leurs visites, outre les jolies pierreries, c’était bel et bien leurs armes qui fascinaient. Des épées étincelantes comme de l’argent, tranchantes comme les lames à raser, incassables... Porter de telles armes était le rêve de tous les combattants, mais peu d’entre eux étaient assez doués pour prétendre entrer au service d’une armée marchande.
Les commerçants, quant à eux, trouvaient leurs trésors chez les fouilleurs d’anciennes villes en ruines, mais aussi de mines. Les fouilleurs négociaient leurs trouvailles contre du bétail ou autres denrées. Ainsi, les marchands étaient souvent les plus informés de ce qu’avait pu être l’Ancien monde. Suivant ce qui se découvrait dans les ruines, ils en déduisaient ceci ou cela. Et je vous assure que lorsqu’un marchand parlait, tout le monde écoutait. Mais nous savions d’expérience que les engins ou autres machines surgissant de l’ancienne civilisation ne nous apportaient que ce dont nous voulions bien comprendre. Etant incapables de faire fonctionner ces machines dotées de mécanismes complexes, nous ne pouvions qu’imaginer et fabuler sur leur véritable utilité dans l’Ancien monde.
Lorsque nous étions enfants, j’allais parfois avec Jo sur les ruines de ce que nous considérions comme l’ancien village de Nendar. Des coulées de boue lui sont passées dessus, mais des chercheurs de tous temps ont creusés des galeries dans la terre. Dans cet exercice, seul trouve celui qui creuse. Chaque pièce creusée était nettoyée de tout ce qui pouvait avoir une quelconque valeur. En plus de creuser, il fallait donc aussi de la chance pour arriver sur un endroit valable. Mais avant la chance, il fallait creuser, alors nous creusions. Nous trouvions parfois des babioles, mais jamais vraiment des choses de valeur. La seule fois où nous fûmes fiers de nous, c’est lorsque nous trouvions une mallette métallique grise, sous une dalle. Elle était au sec et semblait avoir parfaitement résisté à l’épreuve du temps. Nous ne pouvions pas l’ouvrir. A côté des taquets qui auraient dû provoquer l’ouverture, il y avait des signes. Quatre sortes de petites roulettes sur lesquelles étaient inscrits des signes, les fameux chiffres de Barnabé ! Nous pensions à une espèce de code secret. En la secouant, nous nous aperçûmes qu’elle contenait des choses. Tout excité de notre trouvaille, je voulais fracturer la mallette sur-le-champ. Mais le conseil des anciens n’aurait pas apprécié, et Jo trouva plus sage de l’emmener au village. J’avais alors six ans et Jo en avait huit.
Au village, le conseil des anciens se réunit avec mon père dans la citadelle. Après avoir vainement tenté de trouver le mécanisme d’ouverture, ils décidèrent de fracturer les serrures. Ils nous laissèrent toutefois l’honneur de les briser avec pour consigne de ne pas abîmer la mallette, qui était encore belle, malgré toutes ces années... Avec mon frère, nous ouvrions ce mystérieux petit coffret tout à fait remarquable. Hermétiquement fermé, son contenu était resté intact. A l’intérieur, nous trouvions une sorte de plus petite mallette encore, noire celle-là, et trop fine pour pouvoir contenir quelque chose. Contrairement à la mallette grise, le mécanisme d’ouverture de celle-ci fut trouvé assez facilement. Malheureusement, à l’intérieur, il n’y avait aucune place pour y loger quoi que ce soit, mais nous trouvions une multitude de petits boutons sur une face, tandis que l’autre était plate et noire. Sur chaque bouton de la grande face, des tas de signes de l’Ancien monde (les chiffres et les lettres de Barnabé), étaient alignés sur plusieurs colonnes... Les lettres sur cette tablette de boutons étaient les mêmes que ceux que nous trouvions parfois, à la différence que dans cette boite, les boutons étaient séparés les uns des autres. Nous finîmes par croire que cette boite était une machine à fabriquer les signes. D’ailleurs, cette explication était la plus plausible, car à côté de cette machine, il y avait des parchemins écrits avec ces signes. C’était la première fois que nous voyions ces signes sur du parchemin, et cela changea notre croyance à propos d’une légende de l’ancien monde.
En effet, certains prétendaient que les hommes de l’Ancien monde n’écrivaient ces signes que sur des supports indestructibles. Nous pensions que ces signes étaient des références à leurs dieux, et que de ce fait, les anciens ne pouvaient pas écrire sur des supports périssables, car les dieux étaient éternels. Une légende disait que ce fut à cause de l’orgueil des hommes et à la désobéissance des anciens à leurs dieux qu’ils furent punis. Avaient-ils enfreint cette règle ou une autre ? Ce n’était pas très clair.
Notre trouvaille montrait néanmoins que les humains avaient écrit sur des supports périssables et avaient même inventé des machines pour le faire. De plus, il y avait dans la mallette grise un tas de feuilles fines, comme entassées et pliées sur elles-mêmes, en deux. Le tout constituait une suite pages reliées les unes aux autres, et le document comportait 88 pages d’excellente qualité, en couleur ! Nous ne savions pas ce que c’était, mais les feuilles de fin parchemin avaient remarquablement résisté au temps. Certaines pages se brisaient tant elles étaient sèches et anciennes, mais l’ensemble de la brochure était plutôt bien conservée. A l’intérieur, nous découvrions de nombreuses images collées au parchemin. Cependant, ces images n’étaient pas vraiment collées mais faisaient partie du parchemin, qui semble en fait être le fruit d’une savante préparation à base de bois et de colle. Du papier, comme l’affirme mon scribe, dont il en fait lui-même grand usage. Sur ces feuilles, ce n’était pas des peintures ou autres créations de l’esprit, mais des sortes de représentation de choses et de gens bien réels.
Cette découverte fut d’ailleurs suffisamment importante pour que les anciens examinent la chose durant des semaines. Des images représentaient des hommes barbus, agitant des sortes de bâtons métalliques noirs, comme s’il s’agissait d’armes ! Une autre montrait une troupe rasée de près, qui aurait pu être des guerriers casqués, très disciplinés, devant un commandant qui lui, portait un couvre chef à visière. C’était tout de même étrange, car pas un de ces hommes qui semblaient être des guerriers, n’était correctement armé, pas plus que celui qui pouvait être leur commandant. A peine exhibaient-ils la même sorte de bâton un peu volumineux en métal noir, comme les barbus des images précédentes ! Ils posaient bien devant une sorte de grande machine, mais vu leurs armes ridicules, nous avancions un peu plus dans notre conviction que ces humains étaient des couards et des pacifiques.
Cette armée bon enfant, alignée au quart de pouce, ressemblait plutôt à une parade pour une tradition folklorique qu’à de véritables guerriers prêts à la guerre.
Cette trouvaille nous faisait progresser un peu sur la compréhension du monde d’avant le Grand Chaos : Un monde magique, riche et merveilleux, mais certainement ennuyeux car pacifique... Toutefois, le mystère de la disparition de ce monde s’épaississait d’autant plus. Qu’est-ce qui avait bien pu leur arriver ? Là était toute la question. La machine à l’arrière plan de l’image était une sorte de véhicule à trois jeux de roues. Un en avant et les deux autres derrière. Elle était montée haut sur pied, et les ailes triangulaires nous autorisaient à penser qu’il s’agissait là bel et bien de l’un de ces fameux véhicules volant des légendes. Cette image était une sorte de preuve de la véracité de la légende prétendant que les anciens hommes savaient voler. Quoi qu’il en soit, nous voyions mal ce qu’un véhicule volant pouvait bien avoir à faire dans une guerre, à part peut-être quelques reconnaissances des troupes ennemies.
Ce qui était paradoxal, c’est que quelques feuilles plus loin, nous pouvions observer une pleine page représentant une sorte de ville fumante. Une ville ravagée par je ne sais quelle puissance, une ville immense, comme il n’en existe plus de nos jours, entièrement détruite. Ne restait ça et là que quelques étages de ce qui pouvait être des sortes de citadelles. D’autres images nous montraient ce dont avaient été capables les anciens hommes, car on découvrait dans cette brochure des constructions intactes et tout à fait grandioses.
La pleine page représentant cette ville ravagée par la destruction laissait supposer à une vengeance divine. A voir l’image des soldats de l’époque, nous imaginions mal que de telles armées ridicules puissent mettre à sac pareillement une ville immense. Ce devait donc être les dieux qui provoquèrent la chute de l’ancien monde.
Une autre image confirmait d’ailleurs la nature divine de ce châtiment. On pouvait y distinguer une sorte de champignon lumineux,… mais attention, un champignon qui atteignait les nuages. Son tronc n’était qu’une immense volute de fumée, surmonté par une gigantesque boule de feu s’élevant dans le ciel, au milieu des nuages. Si cette image était la véritable copie de ce qui fut sur terre, on devinait que les dieux s’étaient véritablement déchaînés sur nos pacifiques et savants ancêtres. Cependant, jusqu’à ma rencontre avec le scribe qui me permit de déchiffrer les signes de cette “brochure”, nous ne pouvions que faire des suppositions.
Jusqu’à l’âge de sept ans, je fus heureux dans ma condition d’apprenti guerrier. Lorsque j’eu 5 ans, je commençais à battre mon aîné dans une série de disciplines. Il avait pourtant deux ans de plus que moi. A 6 ans, j’étais à égalité dans les combats, et à 7 ans, je prenais pratiquement toujours l’avantage, sauf dans le maniement de la hache, encore trop lourde pour moi.
En ces temps, quelque chose de tout à fait extraordinaire survint dans la vallée. Au début ce n’était qu’une rumeur, mais elle suffisait à galvaniser l’ensemble des guerriers du pays. C’est mon père qui la rapporta à l’occasion d’un retour du marché, où il avait été convoqué pour préparer une attaque contre le clan de San Léonardo, qui menaçait de faire sécession d’avec le marché de Tourbillon pour se rallier à celui de Sièrs. A Tourbillon, un marchand de passage racontait qu’il avait eu vent que le fils de Dieu en personne se trouvait en ce moment même dans la ville de Brilg, et qu’il allait sans doute descendre le long de la vallée pour rejoindre un territoire au-delà de Génévia.
La nouvelle était suffisante pour mettre en effervescence toute la vallée. Marco Fallacio, le Seigneur de la guerre, considéré par tous comme étant le fils de Dieu, le guerrier devenu une légende de son vivant, le meilleur combattant des Alpes, sans doute le seul homme ici-bas ayant visité la Grande Ville de la légende, l’homme le plus riche du monde, présent dans notre vallée avec son armée d’élite au grand complet,… imaginez seulement l’émotion que cette nouvelle provoqua !
Je me souviens de l’excitation qui régnait à Nendar, tous les guerriers rassemblaient leurs affaires et quelques vivres pour partir de suite aux alentours de la ville de Tourbillon. Personne ne voulait rater son arrivée, et tous allaient camper à la belle étoile autour des enceintes du marché en attendant la venue du Maître. Sur place, nous nous entraînions et joutions jusqu’à tard dans la nuit, l’annonce de son arrivée nous donnait courage et entrain, car bientôt, nous aurions peut-être la chance de combattre sous le regard du plus prestigieux seigneur de guerre connu en ce bas monde. Le lendemain du lancement de la rumeur, la plaine autour des murailles du marché était noire de monde, tous les clans avaient afflués vers la ville. C’était impressionnant, il devait y avoir des dizaines de milliers de guerriers réunis non pas pour une grande guerre de clans, mais pacifiquement.
Il faut dire que Marco Fallacio était un phénomène à part. Il n’était pas marchand, mais voyageait pourtant comme un marchand avec son armée composée d’environ 80 mercenaires, les meilleurs guerriers du Chaos. Sa subsistance et celle de son armée étaient assurées par les clans qui avaient l’honneur de le recevoir. Si le Maître décidait de s’arrêter dans un clan, il n’avait qu’à s’asseoir, et à chaque fois, un vrai festin lui était servi. Tout ce que les clans lui demandaient en échange était d’accepter de juger les combats que les villageois organisaient à l’occasion de sa venue. Durant les festivités, il observait les duels, critiquait les maladresses, et tuait de temps en temps un mauvais perdant en lançant sa dague depuis la table du banquet, sans se lever ! A la fin des tournois, il choisissait parfois un homme pour l’intégrer dans son armée personnelle, lorsqu’il en avait besoin. C’était seulement dans ce genre d’occasion que les guerriers des clans pouvaient espérer entrer dans l’armée légendaire de Marco Fallacio. Lui-même était déjà un mythe au-delà de toutes les frontières, personne n’ignorait son nom, mais personne ne connaissait vraiment son visage, toujours caché par son casque d’or, qui lui recouvrait le front, le nez et les joues. Ceux qui l’avaient vu ne connaissaient de lui que ses yeux, sa bouche et son menton. Ainsi, même lorsqu’il était présent au milieu des gens, il restait entouré d’une part de mystère.
Le travail de Marco dans le Chaos ? Parfois, des clans lui demandaient son aide contre une ville ou un village ennemi, et pour de l’or ou de l’argent, il détruisait ou soumettait le clan en question à l’esclavage, mais ces guerres n’étaient qu’un à-côté, …un gros à côté tout de même, qui lui permis de devenir l’homme le plus riche de la terre. Cependant, ces batailles n’étaient qu’un travail, pas sa vocation. Lui-même se disait en mission pour Dieu, et cette mission était de trouver un enfant. Si les chefs de clans qui l’accueillaient lui demandaient d’assister à des tournois de guerriers contre le gîte et la subsistance, il demandait toujours en retour de voir les combats entre les meilleurs enfants de la région. A chaque fois, il repartait déçu et jamais, semble-t-il, il n’avait trouvé l’enfant qu’il cherchait.
Pour les peuples de la vallée, le fait de savoir Marco Fallacio à Brilg, voulait dire que le roi de la guerre était déjà parmi nous ! Moi-même, j’étais subjugué, car mon père et les anciens utilisaient toujours son exemple pour me faire travailler plus consciencieusement mes exercices : « Si tu veux pouvoir un jour te battre aux côtés du Seigneur Marco, faudra travailler plus que ça », qu’ils me disaient !
Deux jours après la rumeur, un cortège de cors annonçaient son passage auprès du clan de San Léonardo, il serait là dans moins d’une heure, tout le monde se taisait, cherchait à repérer l’avancée de son armée au loin.
Puis il arriva, monté sur un splendide cheval d’un noir luisant, marchant au pas, à la tête de ses quelques dizaines de mercenaires. La foule se fendit avec révérence pour leur laisser un passage jusqu’à la porte d’entrée du marché. Le silence était total, personne ne disait un mot, nous n’entendions que le son des sabots de leurs montures claquer sur le pavé, ainsi que les cliquetis de leurs armes brillantes comme de l’argent, qui réfléchissaient des rais de soleil sur les visages des villageois. Les spectateurs qui se trouvaient à proximité du passage de l’armée mythique avaient mis genou à terre, tandis que les autres, plus éloignés du passage, regardaient debout, sans même oser chuchoter un son. Marco Fallacio, la légende, avançait nonchalamment sous un soleil de plomb, et étincelait sous une carapace d’or. Son casque à pointes avait la couleur de l’or, son plastron cuirasse pareil, ses cuissardes pareil.
Arrivé au milieu de la foule, il fit halte, et cria d’une voix puissante :
Salut à toi, Tourbillon !
En réponse à cette salutation, nous entendîmes un roulement de tonnerre de cris de bienvenue venant des enceintes de la ville. Puis, le chef de Tourbillon demanda le silence à la ville, et cria depuis les enceintes : « Bienvenue à toi, Seigneur des seigneurs, roi des guerres ! Durant ton séjour, ma ville sera TA ville ! »
Puis, le Maître nous regarda, tout autour de lui, et cria :
Salut à vous, clans de Tourbillon !
Et là, une rumeur assourdissante monta au-dessus de la foule que nous formions. Au début, le grondement était inarticulé, chacun criait simplement son émotion, puis, une discipline dans le tonnerre de sons se forma pour donner des retentissants et successifs : « Gloire à Marco Fallacio ; gloire à Marco Fallacio… »
Alors, le Maître pointa son épée vers le ciel, remercia de la main pour l’accueil, et repris sa marche pour pénétrer dans la ville.
Jo et moi accompagnions notre père qui, sitôt entré dans les enceintes du marché, exigea de pouvoir faire ses hommages au grand seigneur. Armadé avait les moyens de se permettre d’exiger, même face au chef de Tourbillon, car ce dernier ne pouvait pas avoir un clan aussi puissant que le notre contre lui. Ainsi, nous pûmes approcher du Maître, et mon père vanta mes qualités de petit combattant à 7 ans à peine, lui demandant s’il acceptait d’observer un combat entre mon frère et moi. Sans dire un mot, Marco fit un signe de la tête pour signifier son accord. Terrifié à l’idée de décevoir cette légende vivante, impressionné par sa présence, je tremblais un peu lorsque je me mis en position face à Jo, muni de mon épée et d’un bouclier. Dès le combat commencé, mon trouble me quitta et j’offris ce jour-là tout ce dont j’étais capable de faire, utilisant tous les coups techniques que j’avais déjà appris, pour finalement remporter la victoire. Nous fûmes fiers d’avoir pu lui offrir un beau combat d’enfants, tant et si bien qu’au terme de celui-ci, alors que le Maître restait d’habitude assis pour émettre ses critiques, il se leva !
Toute la population fit silence, et Marco frappa une fois dans ses mains, puis une deuxième, et enfin, c’est tous ses hommes, attablés autour du festin, qui se levèrent pour applaudir. J’étais confus, fier de ma prestation, mais gêné d’être applaudi par de si illustres guerriers. Le seigneur de guerre me donna alors un ordre qui me glaça le sang : « Tue le ! »
Mon regard croisa celui de Jo, effrayé, et j’hurlais : « NON ! Jamais ! »
Le maître grimaça un peu en entendant ma réponse, avant d’ordonner une seconde fois sur un ton ferme et brutal : « TUE LE ! »
Je ne répondis pas à son ordre. Après un si beau et si propre combat, je sentais la fureur monter en moi, et toute cette colère était dirigée directement contre le seigneur des guerres, celui qui me demandait de tuer mon frère. Dans un élan de rage, je saisis ma dague à la ceinture et la lançait dans la direction de Marco. Il para le projectile avec un plat de table, tandis que, bouillonnant, je lui rétorquais en criant : « Viens me tuer toi-même si tu oses ! Salopard !!! »
Etonnamment, Marco eu l’air satisfait de ma réponse et il esquissa même un sourire. Sans plus attendre, il se dirigea vers moi, tira son épée du fourreau et dit d’un ton sérieux mais amical : « Frappe pour tuer gamin, on ne joue plus, on combat ! ».
C’est alors que mon père s’interposa entre le Maître et moi, éructant qu’il faudrait d’abord lui passer sur le corps avant de toucher à l’un de mes cheveux. D’un geste violent, Armadé frappa de haut en bas, et au lieu de parer le coup, Marco se déporta à la vitesse de l’éclair pour éviter la lame. Armadé n’eut même pas le temps de se repositionner que l’épée du Maître écrasa celle de père par terre. En même temps, le grand seigneur lâchait son bouclier pour asséner un monumental crochet du gauche dans la mâchoire de mon paternel, qui fut projeté en arrière par la violence du coup. L’accrochage fut si bref qu’il se termina avant même que Marco eu fini sa phrase, car durant l’échange, lors de l’esquive il dit « Je », puis lorsqu’il arracha l’épée de la main de père il dit « tue », et lors de son monumental coup de poing il termina par « qui je veux ! ».
Les clans de Tourbillon connaissaient les capacités en duel de mon père, et à 27 ans à cette époque, il était au plus haut de sa forme. Un duel gagné contre lui avec une fulgurance pareille trahissait la puissance phénoménale du dieu des guerres. Tout le monde avait bien compris que le Maître aurait pu le tuer encore plus rapidement s’il en avait eu envie, car en duel, il est souvent plus facile de frapper pour tuer que de frapper pour estourdir, et comme l’avait dit le grand seigneur durant l’affrontement, … il tue qui il veut ! Un de ses mercenaires vint tenir mon père en respect, Armadé ne pouvait plus rien pour me protéger.
Lorsque Marco tourna son regard vers moi, une chape de plomb s’abattit sur Tourbillon. Le lourd silence qui pesait sur la ville était à peine troublé par les pleurs étouffés de quelques femmes, persuadées que le magnifique guerrier si vénéré s’était transformé en monstre implacable prêt à tuer l’enfant que j’étais. Tous les hommes se retrouvaient troublés, oscillant entre l’admiration pour son duel contre Armadé et le dégoût pour le duel à venir… Le chef de Savièz fendit courageusement le silence en criant depuis la muraille qu’il interdisait ce duel à mort contre un enfant, mais avant même qu’il eu fini de parler, une flèche tirée par un des mercenaires du Maître lui transperça le cou. Le vieux chef se tût, vacilla un moment, et hagard, tomba de la muraille. Le son sourd de son corps s’écrasant dans la rue épaissit encore la lourdeur de l’atmosphère.
Le chef de Tourbillon n’osa pas s’opposer à l’affreux duel inéquitable ; il savait que Marco pouvait mettre à sac et incendier sa ville sur le champ s’il décidait de déchainer les enfers. D’ailleurs, immédiatement après l’intervention du défunt Savièzois, sans que le Maître n’eut à dire un mot, toute son armée s’était positionnée en formation d’attaque, arbalestres chargées et pointées sur les gardes aux alentours dans une main, épée au poing dans l’autre, chevaux prêt à bondir. Tout le monde pressentait quelque chose de terrible, la nervosité s’emparait même des chevaux qui hennissaient en piaffant sur le pavé. C’était quelque chose de complètement fou, incroyable, même dans le monde du Chaos : Un guerrier aguerri ne peut pas affronter un enfant dans une passe d’arme mortelle. Seul le fils de Dieu se donnait ce droit, se donnait le droit d’être détesté après avoir été vénéré, se donnait le droit d’être haït et poursuivit, car s’il venait à me tuer, nul doute que cette histoire fera le tour du monde connu. Mais, dans cette ambiance intolérable, j’avais conscience que c’était moi-même qui avait défié le Maître. Il m’aurait suffit de prendre mes jambes à mon cou, de courir avec Jo, loin de la présence du grand seigneur, et aucun homme des clans de Tourbillon ne nous auraient empêché de fuir un ordre pareil « Tue-le, … tue ton frère ! ». Il nous aurait été facile de disparaître dans la foule, mais au lieu de ça, du haut de mes 7 ans, j’ai défié un homme qui s’est débarrassé de père en deux coups !
Au milieu de toute cette tension, seul le Maître avait l’air détendu et presque jovial, il était dans son élément, la guerre était à portée d’épée, elle pouvait éclater à chaque instant, ses 80 hommes au milieu de dizaines de milliers d’autres…, et moi en face de lui. C’était la première fois de mon existence que je voyais la mort devant moi, et ce jour-là, elle s’appelait Marco Fallacio !
Il s’avança encore un peu, toucha ma lame avec la sienne pour saluer, me sourit, et le duel commença. J’attaquais directement de toutes mes forces, et en un coup, il m’arracha l’épée des mains, elle virevolta en l’air avant de retomber à ses pieds. Il la ramassa par la lame et me la tendit avec ce conseil : « n’attaque jamais franchement en premier, taquine, défend et soit patient, l’adversaire baissera sa garde et tu déploieras à ce moment toute ta force pour la victoire ». Il s’ensuivit une belle joute entre le Maître et moi, tandis que toute la ville respectait un silence religieux, entrecoupé de quelques cris demandant grâce… Durant les passes, Marco me grondait s’il voyait que je commettais des erreurs, entamait des mouvements de lame qui auraient dû me tuer, mais à la fin de l’action, il frappait avec le plat de l’épée pour me punir de mes mauvaises postures. Ça faisait un mal de chien, mais même lorsqu’il me claquait en plein visage, j’essayais de ne pas larmoyer pour maintenir mes yeux secs et lucides afin de continuer le combat. Il me semblait que c’était le jeu : tant que je n’étais pas mort, je devais combattre, peu importait la douleur ! Parfois, il me prodiguait des conseils dans les situations difficiles, et plusieurs fois, il interpella un dénommé Lucius, son chef d’escouade. Je sentais le Maître heureux comme il est rare d’être heureux, plein de bonheur et de gratitude, il criait : « Lucius, regarde ça, mais regarde bon sang ! ».
Lucius, qui tenait en respect le chef de Tourbillon avec son arbalestre rétorqua : - Je te regarde d’un œil chef, belle passe !
Marco : - Pas moi idiot, regarde le petit ! Mais regarde le bon Dieu !
On continuait la joute, et le Maître était de plus en plus ravi. A ce moment, je compris qu’il n’y aurait pas de mort à la clef du combat, et que j’étais en train de vivre ma plus grande leçon d’arme. « Lucius, il a 7 ans ! Il a 7 ans ce petit bougre, qu’est-ce que tu dis de ça ? », lançait Marco. Lorsque je réussissais de beaux coups, il riait, m’encourageait, frappait son épée sur son bouclier pour m’inciter à y aller plus franchement encore, et depuis que je compris que je ne risquais plus la mort, libéré de cette crainte, je pouvais donner toute la mesure de mon talent.
Lucius baissa son arbalestre et l’armée du Maître fit comme lui, l’ambiance se détendit, et les encouragements commencèrent ! Le grand guerrier virevoltait dans tous les sens, il faisait lui-aussi une démonstration d’agilité et de combat extraordinaire, en frappant toujours de manière à ne pas blesser. Après une bonne demi-heure de combat passionné, il détruisit mes capacités d’attaque en faisant voler à nouveau mon épée en un coup, réduit à néant mes défenses en brisant mon bouclier d’un second coup, et m’empoigna pour me lever de terre au bout de son bras. Le bonheur se lisait dans ses yeux, il me donna une petite gifle amicale en guise de félicitation, me reposa sur le sol, et demanda à la foule de m’applaudir, ce qu’elle fit sans attendre, soulagée de voir que Marco le Magnifique ne s’était pas transformé en Marco le monstrueux !
Il s’adressa à nouveau à son commandant d’escouade : - « Lucius, qu’en penses-tu ? ». Le dénommé Lucius répondit : « Je pense qu’on vient de voir quelque chose d’étonnant pour ce qui est de l’enfant ! Quelle est la position sociale du père ? »
Mon père, la joue enflée par le coup de poing, indiqua qu’il était chef de clan. Marco lui présenta ses excuses pour son geste, tout en indiquant qu’il avait fait attention à ne pas lui casser la mâchoire, et Armadé accepta ses excuses. Mais Lucius voulait encore connaître la position du clan dans le marché, était-ce un clan important et respecté, ou un clan de seconde zone ? En apprenant que nous comptions parmi les deux plus puissants clans de Tourbillon, Marco afficha une mine totalement satisfaite. Il posa ses yeux sur moi, les joues rougies par les claques d’épée qu’il m’avait infligé, mais tout à coup, son visage radieux de l’instant d’avant se détendit, son regard me transperça puis se perdit au lointain, dans le vague. Las, le Maître se laissa choir sur une chaise, des frissons le traversaient de temps en temps et secouaient sa grande carcasse, on aurait dit que le grand seigneur était vidé de sa force, son visage n’avait plus aucune expression, son regard était perdu au fond de ses pensées.
Après un moment ainsi, où tous les spectateurs se demandaient ce qu’il se passait, moi y compris, il revint à lui, et presque en chuchotant, il demanda gravement à son chef d’escouade : « Tu crois que ça y’est ? »
Lucius s’accroupit face à lui, posa ses deux mains sur les épaules du Maître et dit tout aussi doucement : - Je ne sais pas si ça y’est chef, mais tout ce que je sais, c’est qu’il s’agit là d’une affaire pour Maître Rufus. Il faut absolument qu’il voie ça.
Marco acquiesça : - Maître Rufus ne sera pas déçu. A cet âge, le petit a encore un joli potentiel de développement.
Lucius émis alors ce qui pouvait paraître comme une critique, mais de la manière dont il le dit, avec le sourire et enthousiasme, ça ressemblait plutôt à un bon point : - Et tu as vu, il n’a pas tué malgré ton ordre !
Le grand seigneur conclut en répondant : - Il a même fait mieux que ça, il m’a défié sans trembler, c’est la première fois que les choses se passent ainsi. Maître Rufus se chargera de son éducation, j’en suis certain.
Puis, Marco sembla reprendre le contrôle sur lui-même, il se leva d’un bond, s’avança seul au milieu de la place, regarda vers le ciel, frappa par trois fois son épée contre son bouclier au-dessus de lui et cria : « DIEU ! C’est terminé ! J’ai trouvé l’enfant, fait-en ce que tu veux maintenant, ma mission est accomplie ! Je retourne à mes guerres ! »
Le grand seigneur resta un moment les yeux rivés au ciel, il attendait une réponse qui ne venait pas. Au bout d’un moment, il perdit patience et éructa violement, l’épée pointée au ciel : « RHAaaaaaaa, ça fait 40 ans que je cherche, j’ai droit à une réponse bordel de merde ! Est-ce l’enfant ? Si c’est lui, fait moi un signe Seigneur ! »
Il se passa encore un instant, et tout à coup, sous un ciel d’un bleu profond, un éclair surgi de nulle part frappa le sol aux pieds du Maître. Directement après, une immense voix venant du ciel résonna dans toute la ville : « Seuls toi et Rufus savent si c’est l’enfant ! Si tu crois qu’il l’est, tu es libre et peux vaquer à tes occupations. Et arrête de m’appeler « Dieu » espèce de fou, tu sais qu’il n’en est rien. Merci pour tout Marco, et adieu. »
Toute la populace avait mis genou à terre en voyant et en entendant ce prodige, comme sonnée par tant d’émotions : D’abord l’arrivée du fils de Dieu dans la ville, ensuite son duel exprès face à Armadé, puis la mort de l’ancien vénérable chef Savièzois suivit d’un duel inique avec un risque de guerre totale dans la cité, et enfin, la voix de Dieu qui prétendait ne pas l’être…, c’était plus qu’il n’en fallait pour déstabiliser le brutal peuple du Chaos.
Mais le plus sonné dans l’histoire était encore le grand seigneur de guerre, Marco Fallacio, qui, après avoir entendu La Voix, s’était écroulé à genou, les bras pendant à même le sol, les larmes ruisselant en silence jusqu’à terre. Le Maître semblait épuisé, atteint dans son âme et son corps. Lucius et un autre de ses mercenaires vinrent le relever, et le soutinrent jusque dans une maison en bordure de la place. Un moment plus tard, Lucius apparût sur le palier et demanda à mon père et moi d’entrer dans la demeure.
Marco se tenait assis au bord d’un lit et me regarda de ses yeux rougis : - La plupart des guerriers meurent avant 40 ans. Moi, j’ai passé 40 années à te chercher, alors ne me déçois pas gamin, et fait TOUT ce que Maître Rufus te dira de faire, c’est le meilleur éducateur que je connaisse.
… - Mais, qui est Maître Rufus ?, osais-je demander après cette altercade entre le grand seigneur et celui qu’il appelait Dieu.
- Maître Rufus est mon Maître, celui qui m’a tout appris, répondit Marco. Je vais lui dire de venir te voir dans ton clan, entraîne toi bien petit, fais lui bonne impression, et il acceptera de te prendre comme apprenti. Il n’a de toute façon pas le choix, puisque je t’ai trouvé et choisi. Ma mission était de te trouver, la mission de Maître Rufus est de te former.
- Et qui est celui que tu nommes Dieu, demandais-je encore ?
- C’est le Seigneur de la Grande Ville des légendes.
- Tu as donc vraiment été jusqu’à la cité de la légende ?
- J’y ai été il y a 40 ans avec mon armée de l’époque, ils sont tous morts maintenant.
- Et pourquoi ce Seigneur veut mon fils, s’enquit Armadé ?
- Je ne peux pas répondre à cette question. Maître Rufus pourra sans doute te mettre dans la confidence, mais l’enfant ne doit rien savoir.
Je lui demandais encore de nous expliquer la ville de la légende, mais il refusa de parler, il nous indiqua juste qu’il était très fatigué et que nous devions retourner à notre clan. Le Maître me saisit solennellement par les épaules, m’embrassa, et me salua : « Au revoir gamin, reste en vie, je tâcherai d’en faire autant, et on se retrouvera dans une quinzaine d’années si Dieu le veut, et… il le veut ! »
Je remerciais, mais sans trop savoir ce qui se passait exactement. J’avais conscience que le seigneur Marco avait été impressionné par mon jeu, mais de là à faire la connaissance de son propre Maître, … c’était de toute façon déjà incroyable que Marco Fallacio lui-même ait un Maître plus grand que lui, et c’était surréaliste qu’une telle personne puisse s’intéresser à moi. Je pensais être dans une sorte de rêve duquel je me réveillerai tantôt.
Le Maître n’en dit pas plus. De toute façon, il était de notoriété publique que Marco Fallacio ne parlait jamais de la Grande Ville et là, il semblait déjà regretter d’en avoir trop dit. Cependant, une chose étonnante était le temps : Si le grand seigneur y était allé 40 ans auparavant, il devait au moins en avoir 60 en ce moment, et cela ne collait pas. Il ne pouvait pas avoir un âge pareil et se battre comme il le faisait, … et il pouvait encore moins avoir un maître encore en vie. En partant, sur le seuil de la porte, mon père osa encore cette dernière question : « Quel est le secret de ta jeunesse ? ». En s’allongeant sur le lit, le seigneur de guerre répondit évasivement « …cadeau du Dieu de la ville légendaire…, au revoir ».
Puis, le rêve s’éteignit. Nous laissions Tourbillon derrière nous et retournions ensemble dans notre clan de Nendar. Tout était redevenu à nouveau comme avant…
Pendant les temps qui suivirent, j’appliquais les conseils de Marco en m’entraînant sans cesse, du matin au soir, espérant chaque jour l’arrivée de ce mystérieux Maître Rufus. Les jours passaient, les semaines, puis les mois, mais rien ni personne ne venait de la part du grand guerrier. Ce n’est qu’un an plus tard, alors que j’avais perdu tout espoir de rencontrer un jour ce maître de guerre, qu’un homme arriva aux portes de notre clan.
Le vigile n’avait pas ouvert les portes, car l’homme ressemblait plus à un paria qu’à un guerrier. Il portait une longue cape de bure ceint à la taille par une corde, et son capuchon lui recouvrait la tête et la moitié du visage. Il tenait un bâton métallique à la main, tandis qu’une superbe épée était accrochée sur le flanc de sa monture. C’était d’ailleurs les seules choses remarquables chez cet homme : Son épée,… et son cheval, impressionnant de part son port et sa stature, une monture comme il est rare d’en voir, même parmi les armées de marchands. Le vigile demanda à un ancien du clan, Joaquim, s’il pouvait laisser entrer l’étranger se présentant sous le nom de « Maître Rufus ».
Joaquim donna l’alerte afin que le conseil des anciens et le chef s’approchent, puis, lorsque le comité d’accueil fut complet, il ordonna l’ouverture des portes. La rumeur enfla immédiatement dans tout le clan, et je sentis mon cœur battre de plus en plus fort. Je courrais vers la porte d’enceinte pour voir ce maître des maîtres dont la visite m’était destinée. Je restais cependant à distance, laissant le conseil des anciens, le chef, et quelques guerriers d’élites accueillir le vieil homme qui se présenta comme étant le propre entraîneur du légendaire Marco Fallacio.
Toutefois, cette affirmation était totalement insuffisante pour que la confiance s’établisse. Toute la ville de Tourbillon avait entendu qu’un prétendu Maître Rufus devait venir me voir, et la rumeur avait même dépassé les frontières du marché, n’importe quel imposteur pouvait se prétendre tel. D’ailleurs, celui qui se présentait comme étant Maître Rufus ne payait pas de mine. A part son épée et son cheval, lui-même semblait insignifiant, vieux, assez grand, de corpulence plutôt svelte. Sa capuche nous laissait voir le bas de son visage, orné d’une petite barbe grise mais bien taillée, son nez fin mais cassé, et on devinait à peine les yeux, masqués par l’ombre de son vêtement. Quant à son front, il restait invisible, et c’est cela qui contrariait beaucoup les anciens et mon père, qui dû intervenir : - « Je te salue étranger, je suis Armadé Paralamo, chef de ce clan. Maintenant, mets bas ta capuche si tu recherches notre confiance », lui ordonna-t-il.
Le vieil homme s’exécuta et l’effroi gagna toute l’assemblée : - PARIA ! L’homme avait le signe des parias gravé sur son front, signe rendu encore plus visible par l’absence totale de cheveux sur son crâne !
A la vue de la marque des parias, les quelques gardes d’élites présents avaient imité mon père, qui venait de dégainer son épée du fourreau : - « Qui que tu sois, dit mon père avec autorité, ressort de ce clan sans mouvement brusques, et tu vivras ! »
Le vigile rouvrit les portes, mais Rufus ne bougea pas, se contentant de répondre avec calme : « Je ne partirais pas sans avoir vu l’enfant ! Marco se trompe rarement dans ses jugements, et il ne m’a pas fait faire tout ce chemin pour que je reparte sans avoir vu combattre l’enfant ! »
C’en était trop, père ordonna à Vincent, champion du clan du moment, de chasser le paria, et de le tuer s’il n’obtempérait pas ! Vincent s’avança vers le vieil homme qui ne chercha même pas à atteindre son épée, toujours accrochée au flanc de son cheval. Il restait planté là, sa main tenant simplement son bâton métallique cylindrique, appuyé au sol, à la verticale. Vincent donna une dernière sommation, le priant de partir s’il tenait à la vie et, comme l’homme ne réagissait toujours pas, il leva son épée pour frapper. A ce moment, quelque chose d’incroyable se produisit : Rufus esquissa un mouvement si rapide que nos yeux eurent de la peine à suivre le geste et comprendre ce qu’il avait réellement fait. Tout ce que nous avions vu, c’est le sommet du bâton métallique frapper d’un coup sec le front de Vincent, qui s’écroula à terre, sans connaissance. Avant même que Vincent ait touché terre, l’homme avait déjà repris sa posture paisible et répéta : « Montrez-moi l’enfant ! »
Trois de nos meilleurs guerriers s’avancèrent alors au devant de l’individu, épée au poing, mais là aussi, dans une succession de mouvements tous plus rapides et précis les uns que les autres, Rufus désarma d’un coup sec de bâton deux des guerriers, en cassant le pouce de l’un et en démettant l’épaule de l’autre. Puis, prenant un peu d’élan contre le troisième qui avait reculé de quelques pas, il utilisa son bâton comme d’un levier pour son corps, s’envola à 4 ou 5 coudées au-dessus du sol, et dans une contorsion extraordinaire, frappa des pieds joints de toute sa force dans la tête du troisième guerrier, qui bascula en arrière, le nez cassé sous la violence du coup. Rufus retomba les deux pieds sur terre, repris en un instant sa posture initiale, et redit : « L’enfant je vous prie ! »
La stupeur était totale au sein du conseil des anciens et de mon père. Ce vieux paria venait de vaincre, sans démontrer le moindre effort, quatre des meilleurs guerriers de notre clan, les uns à la suite des autres. Ils comprenaient qu’ils n’avaient pas affaire à un paria ordinaire, et face à leur stupéfaction, je pris la décision de me manifester. J’avais attendu si longtemps ce maître, que je ne souhaitais pas qu’il reparte sans m’avoir vu. Je m’avançais alors au devant de Rufus en lui disant que j’étais l’enfant qu’il cherchait.
Père restait inquiet, et avant d’accepter de confier mon éducation à un inconnu, qui plus est un paria, il lui demanda de prouver encore une fois sa valeur, mais face a lui, Armadé, le chef, qui avait gagné son titre seulement quelques années auparavant, et qui pouvait encore être considéré comme le meilleur guerrier du clan. Maître Rufus accepta sans rechigner, et Armadé saisit son épée pour entamer le combat.
Mais là, une nouvelle surprise attendait tous les spectateurs, qui devaient se compter par centaines, une bonne partie du village ayant afflué après la rumeur de la présence d’un paria dans le clan : - Non seulement le dénommé Rufus ne crut pas utile de saisir son épée, mais en plus, il laissa tomber son bâton, pour se présenter face à mon père à mains nues !
Devant un tacticien de l’envergure d’Armadé, c’était du suicide, mais c’est ainsi qu’il s’avança vers père. Ce dernier décida alors de lui couper une jambe, mais par un nouveau mouvement incroyable, une sorte de pirouette aérienne, Rufus esquiva en lui mettant un coup de pied au visage pendant sa voltige ! Ensuite, Armadé frappa verticalement en entamant un mouvement de pendule avec son épée, mais le vieil individu esquiva encore une fois par une sorte de plongeon tout à fait indescriptible, qui se termina par une espèce de tourné boulé rampant entre les jambes de père, pour finir par se relever d’un bond dans son dos en lui assénant un violent coup de poing dans les reins. Armadé, champion du clan de Nendar, se cabra sous la douleur, et Maître Rufus, toujours derrière lui, passa son bras autour du cou du chef, prêt à l’étrangler. Père lâcha son épée, leva ses mains en signe de forfait, et comprit que Rufus, tout paria qu’il soit, était effectivement un maître des combats, envoyé par Marco Fallacio en personne.
Tout le monde retenait son souffle, car sans conteste, nous venions de voir à l’œuvre un être exceptionnel, une sommité âgée qui s’était joué des plus valeureux guerriers du clan avec une arme dérisoire, et même sans arme du tout. Ce qui impressionnait le plus, étaient ses postures avant le mouvement. Il restait immobile, raide, tous les muscles de son corps tendus à l’extrême, jusqu’à ceux des phalanges de ses doigts. Juste avant l’attaque, la tension semblait telle qu’on aurait pu croire que ses os se briseraient d’eux mêmes. Puis le mouvement survenait, pour dire la vérité : le mouvement éclatait, dans l’ordre, dans la direction, et dans la puissance exacte que Rufus souhaitait lui donner. C’était comme si l’énergie qui tendait son corps tout entier se libérait d’un seul coup, en un instant, dans une précision et une rapidité tout simplement diabolique.
Lorsque père reprit ses esprits, il osa la question que tout le monde souhaitait poser : « Mais, … quel est cet art ? »
Maître Rufus répondit à Armadé en me regardant : « Toi, tu ne le sauras jamais, mais lui le saura, si je le juge apte à suivre mes enseignements ». Sur cette réponse, il décrocha son épée de son cheval, et m’apostropha par un simple : « En garde, gamin ! »
Je tirais mon glaive du fourreau, sans aucun espoir de gagner, mais néanmoins fermement décidé de lui montrer ce dont j’étais capable. J’attaquais alors par un coup technique difficile et qui aurait dû être efficace, que père m’avait enseigné. En un seul et unique mouvement de lame d’une vélocité et précision effroyable, Maître Rufus fit glisser sa pointe sur mon pommeau, et la ficha dans la paume de ma main jusqu’à l’os, ce qui provoqua une douleur telle que je dû changer mon glaive de main, qui passa de la droite à la gauche. Ma main droite saignait abondamment, je grimaçais un peu, mais je m’étais mis en position pour continuer le duel de la main gauche. Le maître eu l’air satisfait, car dans un sourire d’approbation qui traversa son visage, il lâcha un simple « bravo p’tit gars, bien réagit »... Il planta alors son épée dans le sol, se saisit de son bâton métallique, et se tint immobile, le bâton pointé dans ma direction.
J’attaquais une seconde fois en frappant de toutes mes forces par un coup de revers, de bas en haut, afin d’écarter son arme sur son flanc droit, histoire de provoquer une petite ouverture qui m’aurait permis d’avancer pour lui porter une réelle estocade. Mais mon glaive d’écrasa sur le bâton sans que ce dernier n’oscille de la moindre des manières. Mon coup manqué, je vis le bout du bâton foncer sur moi, et puis le choc ! Un choc terrible sur mon épaule gauche qui me fit lâcher mon glaive. Je sentis les ossements de mon épaule bouger, et immédiatement, une douleur atroce qui me fit hurler de mal ! Les larmes perlaient sur mes joues, mais je me retenais pour ne pas geindre. Je restais bras ballants, le bras gauche flottant dans une incroyable douleur, tandis que la main droite ruisselait de sang. En deux coups, le Maître m’avait ôté tous mes moyens d’attaque et de défense.
Le vieil homme s’approcha alors de moi, saisit mon bras gauche, et d’un mouvement sec qui provoqua une nouvelle fois une terrible douleur, le remis en place. Ceci fait, le mal disparût. Ensuite, il me dit qu’il allait s’occuper de la plaie de ma paume droite et indiqua qu’il me prendrait comme apprenti : « Huit ans et pas un pleur, tu as le cran qu’il faut pour devenir un grand guerrier. Dorénavant, je m’occuperais de ton éducation ! », conclu-t-il.
Par la suite, Maître Rufus m’informa que le test, douloureux, qu’il m’avait fait subir n’était que l’entaille de ma main droite. Si j’avais abandonné à ce moment pour pleurnicher sur ma blessure, il serait reparti ; mais comme je n’ai ni pleurniché ni abandonné la partie pour contrebalancer mon glaive dans ma main gauche, sa décision de devenir mon Maître fut prise à ce moment. Il m’indiqua que le déboîtement de mon épaule gauche n’était qu’un bonus, et que ma réaction le surpris en bien : Un gros cri de douleur, mais pas de pleurnicheries !
Après ce test, le Maître remis sa capuche sur son front marqué du signe des parias, et apostropha mon père ainsi que le conseil des anciens en disant d’une mine soucieuse : « - Je crois que vous êtes face à un sérieux problème dans votre communauté, tous, autant que vous êtes ! Si le chef m’y autorise, je m’établirais et vivrais ici, jusqu’à ce que mon élève soit devenu un vrai guerrier. Si quelqu’un d’un village voisin apprenait que vous hébergez un paria, c’est toute la réputation, la respectabilité, et l’honneur de votre clan qui sera bafouée. Les autres clans s’uniront pour vous faire la guerre, et il ne restera plus de Nendar qu’un tas de cendres. Je pense, chef Armadé, que si tu acceptes de m’héberger, tu devrais t’assurer du silence de tes sujets, et prendre les mesures nécessaires pour que ce secret ne dépasse jamais cette enceinte ! »
Cela n’allait bien entendu pas de soi, car un paria ne pouvait pas vivre dans un clan, et maître Rufus, tout Maître qu’il était, avait été marqué du signe des parias… Une grande discussion s’ensuivit entre les anciens et mon père pour savoir si oui ou non, notre clan pouvait prendre le risque de s’attirer la malédiction des parias en hébergeant un être tel que Rufus. C’est finalement mon père qui coupa court à toute cette polémique, en déclarant qu’un paria qui se battait de pareille manière ne pouvait être qu’un innocent déclaré paria à tort par son clan d’origine.
Armadé était non seulement un bon tacticien, mais aussi un excellent diplomate. Il comprenait les raisons pour lesquelles il était utile de déclarer des gens « parias », mais il était peu superstitieux, et ne faisait finalement que semblant de croire à la fameuse malédiction, dans le seul but de réconforter le peuple sur ses croyances, n’ayant pas lui-même les arguments pour démontrer la fausseté desdites malédictions.
Par contre, pour le secret, Armadé souleva un nouveau problème. Il parla à maître Rufus en ces termes : « - Tu n’es pas tombé sur notre clan par hasard n’est-ce pas ? Pour trouver le village de Nendar, tu as dû te renseigner dans la vallée, non ? Et personne ne renseigne personne avant d’avoir vu son front ! Il y a donc nécessairement des gens qui sont déjà au courant qu’un paria a recherché l’emplacement de notre clan !? »
Maître Rufus fut franc : « - Exact, j’ai croisé une patrouille de 4 cavaliers aux environs du marché de Tourbillon, j’en ai profité pour leur demander mon chemin, et ils m’ont effectivement demandé de retirer ma capuche. Je l’ai enlevée, ils ont vu que j’étais un paria, j’en ai tué trois et ait demandé les renseignements utiles à celui resté en vie. Lorsque j’eus obtenu les informations nécessaires pour vous rejoindre, j’ai tué l’informateur. Personne, aucun témoin extérieur ne sait que je suis là ! »
Père eu l’air satisfait de l’explication, et il offrit à Rufus de vivre dans le second étage de la citadelle. Ainsi, je pouvais vivre au sein de ma famille, elle-même logée dans la citadelle, et auprès de celui qui devint dès ce jour mon Maître, trois étages plus bas.
On sonna la cloche, ce qui signifiait le rassemblement immédiat du village tout entier sur la place centrale. Les anciens, père, et même le conseil des matrones s’étaient consultés pour savoir comment faire garder un secret pareil à toute la population. Les contacts entre clans étaient rares, voire inexistants, mais il restait les trois jours de marché à chaque lune, où une maladresse d’un membre du clan pouvait nous trahir. Les deux conseils et le chef prirent donc des dispositions pour punir ceux qui pourraient avoir tendance à parler un peu trop : « Ceux qui dévoileront la présence de Maître Rufus en nos enceintes deviendra coupable de haute trahison à l’encontre du clan, il sera chassé en tant que paria, et toute sa famille, ascendance comme descendance, soumise à l’esclavage le plus dur qui n’ait jamais été pratiqué ! »
Ensuite, chaque habitant de Nendar dû jurer un serment qui se résumait en deux phrases : « Nous savons que Rufus, Maître du Seigneur Marco Fallacio, et envoyé par lui dans notre clan, a été déclaré paria à tort. Nous savons qu’il n’est pas plus paria que nous-mêmes, et nous jurons de ne jamais ébruiter cette affaire plus loin que nos enceintes, ainsi que de nous taire tout à fait si des marchands, une délégation, ou un chef étranger se trouverait dans notre village ! »
Toutefois, même avec ce serment, beaucoup de questions entouraient Rufus. Tous avaient vu ce vieillard corriger les plus terribles guerriers du clan, mais personne ne savait ni d’où il venait, ni quel était son art du combat, ni pourquoi il était marqué du signe des parias ! Rufus étant un homme d’une discrétion à toute épreuve, peu bavard, personne n’eut finalement les réponses à ces questions à part moi, et, … mon père.
Aujourd’hui je peux le dire car il n’est plus : Pour ce qui se rapportait à sa marque de paria, il appelait cela : « La malédiction de la Grande Ville de la légende » ! Dans sa jeunesse, il vécu dans la cité de Pari, une immense ville très loin au Nord-ouest des Alpes, une ville à la mesure de ce que sont les marchés de Tourini ou Milani, plus au sud et mieux connus de nos populations. Il se faisait remarquer à Pari comme une sorte de génie des tournois, en raison de ses manières très spéciales de combattre, et, en attendant la mort de l’ancien Seigneur de la cité pour participer au tournoi de succession, il décida d’aller vérifier l’existence de la Grande Ville de la légende. Il y est allé, y est revenu, et ses récits furent si fascinants que de nombreux hommes se mirent à sa suite pour qu’il les guide vers cette ville fantastique. Voyant cela, le Seigneur de Pari l’accusa de complot et trahison, arguant que par ses mensonges éhontés, il ne cherchait qu’à exciter les foules, afin de lever une armée pour prendre le pouvoir sur le marché et la région. Il fut condamné par le chef et le conseil des anciens de Pari, et en tant que traître, banni de la cité sur le champ, devenu dès cet instant un paria. Sa femme, ses deux fils et sa fille furent déclarés esclaves. Voilà ce qu’il appelait « la malédiction de la Grande Ville ».
Même vis-à-vis de moi et de mon père, Rufus refusa toujours de nous donner des détails sur la Cité mythique, se bornant à dire que toute notre imagination multipliée par 100 n’était rien par rapport à ce qu’est réellement cette cité. Il avait eu un plan pour Marco Fallacio, qui découvrit lui aussi la Grande Ville, mais ce plan échoua ; il avait dorénavant un nouveau plan pour moi, et cette fois, il était certain d’avoir compris la manière de parvenir à ses fins. Père l’interrogea tout de même sur ce que signifiait « arriver à ses fins », et Maître Rufus donna cette réponse : « L’important n’est pas tant de découvrir la Grande Ville, l’important n’est pas non plus d’arriver à y entrer et la visiter, l’important n’est guère plus de rencontrer le Seigneur de la Grande Ville pour obtenir réponse à quelques unes de nos questions. Non, l’important est de mériter la confiance du Seigneur de cette ville. A ce moment précis, au moment où ce Seigneur accordera sa confiance à un homme du Chaos, le monde du Chaos tout entier changera ! C’est la seule chose qui importe dans toute cette histoire : la confiance du Seigneur de la ville légendaire. Je ne l’ai pas reçue, j’ai espéré que Marco obtienne cette confiance mais il a échoué, et maintenant, je sais que Léopold pourra l’obtenir, mais il aura besoin de mon aide, et encore plus de ton aide, Armadé ! Si nous parvenons à avoir la confiance du Seigneur de la Grande Ville, le monde entier changera de visage. »
Ça restait énigmatique, mais Rufus ne disait rien de plus à propos de la Grande Ville, se bornant à me répéter : « Tout ce que tu as à faire c’est de m’obéir et ne pas poser trop de questions à ce sujet…, à chaque jour suffit sa peine » !
Enfin, si Rufus n’était pas très bavard avec moi, je le soupçonnais de partager des projets beaucoup plus détaillés avec mon père Armadé. Ils passaient de nombreuses soirées ensemble, et discutaient souvent jusque tard dans la nuit, mais je n’étais pas dans la confidence des chefs.
Je lui demandais alors quelle était cette discipline de combat qu’il pratiquait, mais il m’informa qu’il ne s’agissait pas d’une discipline de combat, mais d’exercices de souplesse, de concentration, de symbiose entre l’esprit et le corps…, il nommait cela de l’Art Martial …? En guise d’explication, il me dit simplement : « Vous êtes beaucoup trop rigides. Vos muscles vous empêchent de bouger comme vous le devriez. A cause de cela, vous ne pourrez jamais être les meilleurs. Pour ton père, c’est trop tard, mais toi tu es dans le bon âge. Si tu es aussi doué que ce que m’a laissé entendre le seigneur Marco, je ferai de toi un grand champion ». A la suite de cela, il m’ordonna d’ôter tous les bracelets de plombs qu’on m’avait mis aux poignets et aux chevilles « pour me renforcer »…, Rufus considérait cela comme nuisible au développement musculaire ainsi qu’à la souplesse des jeunes.
C’est finalement à ce moment, dans ma huitième année, que ma vie se détériora. Alors que mon frère était déjà remarqué lors des tournois d’enfants dans sa catégorie d’âge, père m’interdit toutes nouvelles joutes. Je ne pouvais plus me battre en tournoi ou en duel ni contre mon frère, ni contre aucun autre enfant ! Je me souviens bien de cette catastrophe personnelle, c’était un soir dans la citadelle, après les entraînements et le dîner. Père m’emmena à l’étage inférieur, où vivait le conseil des anciens. Apparemment, ils s’attendaient à notre visite car ils s’étaient déjà réunit dans la salle des jugements.
Là, sans doute à la suite des conseils de maître Rufus, Armadé demanda aux anciens de m’écarter définitivement de tous les tournois. Y compris celui des 14 ans. Je ne serai ni cultivateur… ni guerrier... !?
L’ancien Nicola, qui connaissait bien ma force et mes capacités, demanda à père ce qu’il comptait faire de moi. Il répondit qu’avec l’aide de maître Rufus, il allait en faire une créature spéciale, d’un autre genre. Les anciens étaient étonnés car j’étais arrivé premier, lors du tournoi de ma catégorie, et avec une bonne marge sur mon plus proche rival. Ils savaient que j’étais déjà un petit génie du combat, et demandèrent à père s’il ne voulait pas plutôt me faire passer à une catégorie supérieure. Armadé estima qu’il n’en était nul besoin. Je ne combattrais plus, sauf contre lui-même, Rufus, ainsi que des guerriers de sa connaissance ! Les anciens prirent acte de cette décision, et père me renvoya à l’étage. Restant seul avec les sages, certainement expliqua-t-il plus clairement sa position, mais il ne voulut pas me la communiquer.
Ce qui changea radicalement à cette époque fut aussi mon style d’éducation. Lorsque je n’étais pas occupé avec maître Rufus, père me prenait partout avec lui, comme un véritable guerrier. Il m’expliquait tous les pourquoi de ses gestes, manoeuvres de troupes, organisation de ses hommes et régiments. Il passait ainsi beaucoup de temps à mon éducation en stratégies militaire, utilité des différentes armes collectives ou individuelles dans diverses situations, et de toutes les stratégies, de leurs avantages et inconvénients.
J’avais le droit de me battre contre lui et quelques guerriers triés sur le volet. Je perdais évidemment à chaque fois. La doctrine de Maître Rufus disait que chacun, même Marco Fallacio, avait un point faible. Tout homme, toute armée, toute ville ou village avait un point faible. Le fait de me battre contre beaucoup plus fort que moi me révélait sans cesse de nouveaux points faibles que je devais à chaque fois corriger. Ce fut une période plutôt triste pour moi car jamais, je n’avais la satisfaction d’une victoire. C’était impossible et terriblement frustrant.
Si père était aussi dur avec moi, c’est sans doute sous les conseils de maître Rufus, car la discipline de ce dernier était tout simplement tyrannique. Rufus m’enseignait bien sûr le maniement des armes, mais il était encore plus pointilleux sur les exercices d’assouplissement de mon corps. Chaque jour, il m’imposait des exercices que je jugeais complètement inutile pour le combat, mais que lui trouvait indispensable. Lorsque je n’apportais pas satisfaction par ma souplesse, il me punissait, parfois en me laissant accroché des nuits entières au plafond de la citadelle, histoire de me détendre, disait-il ! C’était tout bonnement atroce, j’étais encore petit, j’avais envie de pleurer, mais je n’en avais pas le droit. Si je pleurais, Rufus devenait encore plus impitoyable.
Je n’apprenais pas seulement les tactiques et autres astuces, mais plein de choses bizarres que personne n’apprend : des exercices de souplesse, de voltige, d’acrobatie, d’équilibre. Cette “gymnastique” comme il disait, consistait par exemple à me tenir debout, sur un cheval au galop, et à sauter sur un épouvantail, épée en avant et à pleine vitesse. Le but était de toucher l’épouvantail au cœur et d’abandonner là mon épée, de retomber ensuite sans mal dans une grande culbute, durant laquelle je devais encore toucher une cible avec ma dague alors que je tournais sur moi-même, emporté par la vélocité du cheval. Je devais aussi apprendre la voltige en portant des coups de précision sans qu’aucun de mes membres ne touche terre. Il me fallait également faire des sauts à plongeons en utilisant la seule propulsion de mes jambes, ainsi que des sauts à levier en utilisant la fameuse canne dont Rufus ne se séparait jamais. C’était une canne d’un métal très léger que lui-même nommait aluminium. Lorsque j’étais en l’air, je devais savoir frapper à l’endroit indiqué sur une cible mouvante ou un épouvantail. J’ai encore appris à marcher sur les mains, puis à me tenir la tête en bas sur une seule main en me battant épée au poing avec l’autre, tout en gardant l’équilibre ! Je devais aussi être capable de reculer face à un adversaire sans faire un pas en arrière mais en faisant un tour sur moi-même en l’air, en virevoltant pour atterrir droit sur mes deux pieds, toujours face à l’adversaire… Rufus appelait cela un saut périlleux arrière… Mais je devais aussi être capable de faire ce même saut en avant… Et puis, il y avait encore les contorsions, les exercices musculaires, les tirs à l’arbalestre, à l’arc, les jets de dagues et d’étoiles, la rapidité, la précision, la concentration, la maîtrise de mon corps en toutes circonstances, même nu en plein hiver dans le froid de la nuit… Pour le dire franchement, la vie avec Maître Rufus était un vrai calvaire, faite d’épuisements, de souffrances, de bosses et de plaies…
Cependant, je progressais, je gagnais en puissance et en efficacité, mais je continuais à perdre. Je n’avais ainsi jamais une confiance importante en mes capacités face aux adversaires qui m’étaient proposés. Armadé trouva que c’était excellent pour moi, ne jamais partir en croyant que la victoire était acquise. Cela aurait pu être le cas si je combattais dans une catégorie appropriée à mon âge, mais de cela, il n’en était pas question ! Je regardais avec envie les tournois, mais toujours comme spectateur, et c’était rageant de voir tous les défauts et faiblesses des combattants sans pouvoir me mêler aux joutes.
Finalement, j’étais une sorte d’enfant guerrier à part, éduqué par le meilleur maître, Rufus ; et par un des meilleurs stratèges, mon père, d’une manière dont aucun enfant ne l’était. Et même si je ne voyais pas l’utilité de la moitié de leurs exercices, j’obéissais.
A plusieurs reprises, je m’étais plaint à père des traitements tyranniques de mon maître, mais Armadé ne pouvait, ou ne voulait rien faire qui puisse perturber l’éducation de Rufus. Toutefois, ce dernier dû percevoir que j’étais malheureux, que mon visage s’était renfrogné, que mon humeur était obscure et que cela déteignait sur mon caractère. Je continuais à faire tout ce qu’il me demandait de faire, mais le cœur n’y était plus, les gestes devenaient mécaniques, instinctifs, la rage avait disparût, il ne restait que l’obéissance et la soumission, rien d’autre.
Constatant sans doute cela, le maître devint plus intime avec moi ; il n’était pas plus laxiste sur mon éducation, mais il arrivait fréquemment que nous quittions le village la nuit avec des vivres. Nous arpentions alors la montagne dans l’obscurité, trouvions une clairière ou un dégagement agréable, allumions un feu et combattions autour des flammes. Mais la nuit, il ne s’agissait pas de combats rudes, techniques ou instructifs, nous laissions libre court à notre instinct, à notre imagination, nous recherchions la beauté des gestes, nous riions de nos erreurs. Car même Rufus, détendu en ces moments, pouvait se ramasser comme un bleu à la suite de quelques manques de concentration, ou lorsqu’il tentait de reproduire des mouvements qu’il maîtrisait dans sa jeunesse mais qui devenaient très difficile du haut de ses 78 ans. Il n’y avait pas de vainqueur ni de vaincu, il n’y avait que la beauté du combat qui comptait. Puis, vers le milieu de la nuit, nous grillions quelques tranches de viande sur le brasier, buvions un peu de vin, et discutions non plus de maître à élève, mais d’ami à ami. Et cela était très agréable, car Rufus ne parlait presque jamais, sauf avec mon père, ou alors pour me donner des ordres et émettre des critiques. Après 4 ans dans notre clan, je pense que plus de la moitié du village ne connaissaient même pas le timbre de sa voix. A la suite du repas de minuit, nous nous allongions sur l’herbe pour digérer, et Rufus m’expliquait la voûte céleste.
Il nommait des étoiles, des constellations, décrivait les phases de la lune, me désignait des planètes qui ont des parcours différents que ceux des étoiles, m’expliquait comment m’orienter à l’aide des astres nocturnes, et me disais que depuis la grande Ville Légendaire, les gens voyaient les mêmes étoiles que nous au même moment. Il me parlait aussi de son ancien élève Marco, me racontait des anecdotes, des souffrances qu’il avait lui aussi enduré avant de devenir le grand seigneur de guerre que nous connaissions. Bref, Rufus bavardait amicalement avec moi et cela adoucis un peu ma situation.
Cette nouvelle proximité affective avec le maître fut profitable à mon humeur et à ma motivation. Rufus me tranquillisait sur le calvaire que je subissais, m’informant que pour l’instant, ma vie était faite de frustrations et de souffrances, mais que la récompense de ces moments difficiles sonnerait un jour, et que cette récompense sera à la mesure des souffrances endurées, et la dépasserait même de beaucoup.
A l’âge de mes 12 ans, Maître Rufus demanda à Armadé de s’engager dans une grande guerre des clans du marché. Il m’avoua plus tard que tout avait été calculé à la suite des circonstances favorables qui s’offraient à nous. Les fameuses circonstances, c’étaient les clans de Savièz et de Conté qui nous l’offrirent. Tout avait ainsi commencé avec les fulminants Savièzois, qui se vengèrent d’une attaque des Contésois contre leurs femmes. Comme je l’ai déjà dit, le clan de Savièz avec ses hameaux dépendants était très puissant. Leur village était aussi extrêmement bien situé.
Une nuit, des guerriers Contésois contournèrent un petit hameau appartenant à Savièz, un peu plus bas sur le coteau. Au matin, alors que les gens ouvraient les portes pour s’en aller aux champs, les guerriers Contésois, dissimulés aux abords de l’enceinte durant la nuit, attaquèrent. Pour kidnapper une vingtaine de femmes, ils durent exterminer tous les hommes du hameau. Ils purent prendre la fuite avant l’arrivée du gros des troupes descendant du village. Cependant, le jeune Alphonse Héritio, tout frais promu chef des Savièzois à la suite de l’ancien vieux chef tué par un homme de Marco lors de mon duel avec lui, ne l’entendait pas de cette oreille.
Il était habituel d’avoir affaire à des kidnappings de filles. J’ai moi-même enlevé par la suite celle qui devint ma femme, et commandé des expéditions de kidnapping. C’était une pratique courante et bien connue de tous dans le monde du Chaos. Raison pour laquelle il était utile de disposer de nos hameaux fortifiés, qui nous permettaient de surveiller le plus vaste domaine possible. Normalement, les enlèvements se faisaient lorsque les femmes étaient aux champs avec les cultivateurs. Les paysans ne résistaient pas trop. Ils savaient que tout signe de résistance équivalait à la mort. Il y avait parfois quelques combats lorsque des guerriers surveillaient de près les cultures au moment des récoltes, ou lors de patrouilles de surveillance.
La guerre des clans avait donc débuté par une razzia de femmes chez les Savièsois, ainsi que quelques dizaines de morts. Héritio tenait à sa vengeance, et dans sa fureur, fondit avec tous ses guerriers sur les Contésois. Il déclencha une vraie guerre de clan. Il y eu 5 jours d’affrontements meurtriers. Héritio perdit beaucoup d’hommes en tentant d’enfoncer la porte d’enceinte du village de Conté. Une fois à l’intérieur, pour venir à bout de la citadelle, les guerriers Savièzois l’avait enfumée. Lorsque les Contésois furent sur le point de suffoquer, ils sortirent pour se rendre. Il y eu alors ce que l’on appela dans la vallée « le grand massacre ». Héritio, le fameux chef de Savièz avait perdu la moitié de ses guerriers, mais il anéantit quasiment toute la population mâle de Conté, près de 2'000 hommes. A la fin de cette horrible journée de massacre, ne restait de Conté que les femmes et les filles, gardées pour la reproduction, ainsi que de très jeunes enfants et quelques vieux paysans pris comme esclaves. Tout ce qui pouvait ressembler de prêt ou de loin à un guerrier fut exterminé.
Savièz avait ainsi englouti le territoire entier de Conté. Héritio tenait la montagne depuis la plaine avec deux villages fortifiés et une dizaine de hameaux dispersés sur toutes les voies d’accès à sa forteresse. Avec les femmes qu’il disposait maintenant, nul doute que son clan allait devenir d’ici à une vingtaine d’année le plus puissant de toute la vallée alpine, et ceci était de fait inadmissible pour la majorité des clans de Tourbillon. Ce phénomène inquiéta d’abord et plus particulièrement leurs voisins directs, qui firent alliance pour vaincre les Savièsois sur leur propre terrain. Entreprise fort périlleuse, même si ces derniers avaient perdus beaucoup d’hommes à Conté.
Les Blecs, les Darboués et les Ayentois s’unirent pour marcher de concert sur Savièz. Mais pour prendre le village fortifié d’Héritio, il fallait déjà passer par trois postes avancés, s’engouffrer dans des couloirs assassins où les dispositifs d’avalanches de pierres marchaient en plein. Une fois au bas de la colline, sur laquelle était construit le village même de Savièz, une zone d’une distance d’un jet de flèche était déboisée. Les troupes seraient à découvert pendant que les Savièsois laisseraient rouler leurs tas de troncs et se donneraient à coeur joie au lancer des balles enflammées depuis leurs catapultes... A supposer que les assaillants arrivent à forcer l’entrée du village, ils devaient encore prendre la citadelle... Bref, l’entreprise se révélait de toute manière catastrophique en termes de pertes humaines. Prendre le clan de Savièz était comme s’attaquer au nôtre, cela ne pouvait finir que par une hécatombe. L’alliance pouvait tirer parti de sa supériorité numérique, mais leurs chances de vaincre paraissaient ridicules, d’autant plus qu’ils avaient l’intention d’indexer Savièz et non de la brûler.
En plaine aussi, les Chamosars s’unissaient avec les Morgiens et les Vétrosois pour reprendre Conté aux Savièsois. Héritio se retrouvait avec six clans sur le dos, et s’il semblait évident que Conté tomberait, c’était loin d’être le cas pour Savièz.
Le chef de Tourbillon décida alors de s’en mêler et envoya une bonne partie de ses troupes à Savièz, ainsi que quelques bataillons à Conté. C’est dans ces conditions, alors que l’alliance faisait une sorte de siège à Savièz en attendant les guerriers de Tourbillon, que père fit une alliance éclair avec les Hérensars, sous les conseils de maître Rufus, restant dans l’ombre, comme de coutume.
Le clan d’Hérens était un clan tout à fait particulier. Ils n’avaient pas vraiment de villages fortifiés, leur val était leur forteresse. Quelques bons archets et arbalestriers bien placés pouvaient boucher un passage. C’était d’ailleurs avec eux qu’avaient lieu la plupart de nos conflits, ils étaient nos voisins directs. Les Hérensars n’étaient pas des conquérants, mais s’il fallait lutter, ils étaient comme leurs vaches noires rompues à la lutte : des durs ! Pacifiques avec les autres, ils étaient capables du pire si des intrus venaient leur spolier une source, un bisse, où des femmes. Dans la vallée d’Hérens, on peut dire qu’une quinzaine d’hameaux libres vivaient en paix entre eux. La situation géographique de leur vallée était peu propice à la culture, mais certainement très avantageuse au niveau du prix de la sécurité. En effet, à Hérens, tous les hommes étaient à moitié guerriers et à moitié cultivateurs. Il n’y avait que certains combattants particulièrement doués qui n’étaient que guerriers. C’était eux qui surveillaient en permanence les frontières de leur val. C’était aussi eux qui pouvaient donner l’alerte.
Une fois que les cors retentissaient, il suffisait de très peu de temps pour que les cutivateurs-paysans-guerriers troquent leur pioche contre un glaive, un arc, ou une lance. Etant totalement dévoués à leur val, ils ne se préoccupaient pas de leur propre sort, et si leur vie pouvait sauver leur territoire, ils n’hésitaient jamais à la donner au combat. Toutefois, les Hérensars ayant l’habitude de suer très dur pour se nourrir, ils connaissaient la valeur des choses, et mon père savait qu’il pouvait en profiter.
Voyant Tourbillon pratiquement vidée de ses guerriers, alors que son chef ne se doutait à aucun instant qu’un clan oserait s’attaquer à la ville elle-même, nous tentions de faire main basse sur le marché. Si les Hérensars n’étaient pas des conquérants, ils savaient le profit qu’ils pourraient tirer en contrôlant le marché de Tourbillon. Ils ne furent donc pas difficiles à convaincre, et nos deux clans marchèrent à l’unisson sous le commandement militaire d’Armadé contre la ville, en rasant tous les postes avancés. Cependant, arrivés devant la grande muraille, sans catapultes, nous ne pouvions qu’envoyer des volées de flèches en tentant de nous protéger de celles des archets sur les murailles. Pendant que les guerriers de Tourbillon en campagne à Savièz et Conté faisaient demi-tour pour venir protéger leur ville, père conclu encore une alliance avec les Aproziens et Veysonnars, deux petits clans proche du nôtre.
Les soldats Tourbillonnois revinrent bien vite, mais des postes s’étaient déjà formés en prévision de leur arrivée. Ils ne pouvaient plus approcher de leur ville, mais nous étions pris en tenaille sans possibilité de retraite. Père élargit encore l’alliance en y intégrant les léonardiens, ce qui nous donnait un itinéraire de repli en cas de coup dur. Ils eurent tous la promesse d’une parité des bénéfices du pillage du marché en cas de victoire.
Le chef de Tourbillon dû lui aussi quérir du renfort, et s’allia aux Morgiens et autres clans déjà aventurés dans leur conflit contre Savièz. Père conclut encore à son tour de nouvelles collaborations, et pour finir, la frénésie prit peu à peu presque tous les clans qui envoyaient des troupes, sans trop savoir pourquoi. Tous préparaient leurs positions en vue d’un immense combat, en ordonnant déjà des séries de tirs. Des alliances avec l’un ou l’autre chef étaient encore tentées ici ou là, alors que la guerre était déjà déclarée, chacun cherchant le meilleur profit pour son clan.
Lorsque la situation était prête à exploser, Armadé s’en fut parlementer avec le chef de Tourbillon. Pour finir, tous les chefs présents furent invités à entrer dans la ville. Armadé avait proposé un retour à la normale, en faisant plier le maître de Savièz, Héritio. Somme toute, juste le fait d’humilier le chef de Tourbillon et Héritio dans la foulée, constituait déjà un fait important pour mon père. Les Savièsois vaincus, père deviendrait alors le plus puissant chef du marché. Toutefois, bien que cette promotion politique pouvait être heureuse pour lui, il pensait aussi à autre chose, car il avait pris conscience d’un autre phénomène, qui était le but de maître Rufus : Avoir réussi à attrouper toutes les forces de tous les clans du marché autour de la ville constituait une armée unique de mémoire d’homme ! De ce qu’il me rapporta, du haut de la citadelle de Tourbillon, ils purent tous voir un océan de puissance guerrière à leurs pieds. Il n’importait plus de voir qui était contre qui, mais de pouvoir observer l’ensemble, près de quinze mille hommes en armes, prêt au combat. C’était gigantesque ! Armadé le leur fit bien remarquer, les invitant à réfléchir de ce qu’ils seraient capables dans l’union, de quelle puissance nous disposerions. Il exposa certaines idées qui plurent à la majorité, et les chefs, après avoir écoutés ses plans, se déclarèrent satisfaits de l’issue des tractations.
Suivis de leurs armées, tous prirent la direction de Savièz. Presque tous les clans avaient déjà essuyés des pertes, et Armadé eu simplement l’idée d’arrêter la guerre en remettant les Savièsois au pas. Comme tous les clans avaient accepté, il restait à aller apprendre les bonnes manières à Héritio. Ce dernier, voyant la marée guerrière monter vers lui, accepta de négocier.
Au final, les Savièsois se retirèrent de Conté avec l’obligation de protéger le village jusqu’au moment où les enfants seraient en âge de porter les armes. Obligation leur était donnée aussi d’accoupler toutes les Contèsoises qui leur en faisaient la demande, et ce, sans droit de paternité sur les futurs enfants. D’un autre côté, tous les clans s’engagèrent à ne pas enlever les Contèsoises tant que ce clan n’ait retrouvé sa puissance normale.
Il y eu aussi un jurement de tous. C’est Armadé qui en fit la proposition et cela faisait partie du plan de maître Rufus. Tous les chefs jurèrent de ne plus indexer de villages entiers, et qu’en cas d’attaque sur notre territoire par des clans appartenant à un autre marché, nous nous unirions pour protéger nos frontières. C’était le premier pas, et il ne fut pas des moindres, dans le début d’une sorte d’union entre nos clans.
Depuis cet épisode, il régna un ordre relatif. Les kidnapings n’avaient pas cessés, les affrontements non plus, mais il n’y avait plus eu d’attaques d’envergure contre des villages entiers.
Au niveau de ma situation personnelle, je devais finalement mettre en sourdine mon talent, et cela, à la place de mon aîné, qui avait toutes les chances de gagner si je ne montrais pas mes capacités en tournoi. Rufus avait d’autres projets pour moi, et mon père était en train d’agir diplomatiquement pour mon avenir, qu’il disait...
Jo grandissait, et il reçu son épée de guerrier à ses quatorze ans, en même temps que moi… ! A douze ans à peine, père m’intégra dans les forces régulières de Nendar, sans même un seul duel pour prouver ma valeur. Armadé, ainsi que les meilleurs guerriers du clan, assistés du conseil des anciens, m’offrirent le statut de guerrier. Ceux qui venaient de gagner leur épée ne m’aimaient pas, ne savaient même pas ce que j’avais fait de si spécial à part avoir fait bonne impression au seigneur Marco des années auparavant. Cependant, ils m’avaient vu combattre contre les meilleurs commandants, et devaient savoir que j’étais déjà à un autre niveau qu’eux. Certainement jaloux, ils me tinrent à l’écart des jeunesses militaires. Lorsque je les vis lors du grand tournoi, j’étais certain de pouvoir tous les battre. Jo avait été très remarqué à cette occasion, accomplissant un sans-faute jusqu’à la finale, qu’il perdit toutefois sur une dommageable maladresse. C’était idiot mais cela lui coûta la première place.
Maintenant que je suis à l’article de la mort, je veux rendre hommage à Jo, mon frère et mon seul ami que j’ai si maltraité et humilié par la suite. Alors que tous les jeunes guerriers me détestaient, il resta toujours bon et serviable avec moi. Son amitié pour moi lui valut d’être mal-aimé par les jeunes guerriers, et malgré tout, il me resta toujours fidèle, préférant être moqué par les autres plutôt que de s’éloigner de moi. Il a été, et est encore toujours reconnaissant de lui avoir laissé la vie contre l’ordre du Seigneur Marco. J’avais risqué ma vie pour ne pas prendre la sienne, et il n’oublia jamais cela. Merci grand-frère, car sans toi, il m’eut été difficile de vivre toutes ces années de brimades et de corrections !
Peu après l’obtention de son statut de guerrier, Jo s’était uni avec une fille qu’il connaissait bien et ils s’appréciaient mutuellement. Quant à moi, comme je n’avais jamais vraiment appartenu à un cercle ou à un autre (guerriers ou cultivateurs), que je n’avais aucun ami et que je ne connaissais pas le sexe faible, il m’apparut plus simple d’enlever une fille d’un autre village que de m’adonner à des jeux de séduction avec celles du clan. Ainsi, à 14 ans, je demandais à père la permission d’aller enlever une fille. Il me l’accorda mais me rappela les règles de conduite à respecter.
Il me prêta sa plus belle monture et me fit grâce d’un quart d’once d’or. Combien de fois ai-je vu revenir au village de jeunes prétendants dont les muscles du bras avaient été carrément arrachés par les crocs de la demoiselle furieuse... Il était donc important de faire bonne impression dès la première rencontre pour éviter que la kidnappée ne se débatte trop, d’où le magnifique cheval. Quant au quart d’once d’or, c’était pratiquement un présent pour une douzaine d’enfants. D’habitude, quelques pesées d’argent faisaient l’affaire, mais père me privait de tant de choses qu’il ne fut pas pingre là-dessus. Cette dette de l’homme envers la femme était une règle universelle, c’était « le prix des enfants ». Si la femme mourrait en ayant enfanté pour son homme, le cadeau était remis aux parents de la défunte, tandis que le père gardait l’enfant. A chaque naissance, l’homme devait offrir un nouveau présent. Les femmes ayant survécu à toutes leurs grossesses gardent ces bijoux ciselés autour de leur cou, assemblés par une chaînette. La cheffe des matrones de notre clan disposait de 18 figurines d’argent sur un splendide collier !
Je partais donc enlever ma future femme tout en ayant demandé à Jo de venir en renfort pour éventuellement couvrir ma retraite. D’habitude, je ne craignais jamais de sortir seul du clan, et même s’il devait y avoir affrontement, j’allais au devant de l’adversaire sans trembler. Toutefois, si je devais fuir avec des guerriers sur les talons et une jeune fille se tortillant sur le cheval, je préférais un renfort de confiance.
Comme nous essayons d’éviter de trop froisser nos voisins Hérensars, je portais mon choix sur le petit village de Morges. Morges était construit sur une colline à une demi-lieue à peine de Tourbillon. C’était un clan sous tutelle presque totale du grand marché, comme le clan de Veysonne pour nous. Ils étaient pratiquement sous protectorat de Tourbillon, et les Morgiens devenaient en majorité des cultivateurs. Tôt le matin, nous étions en poste pour guetter la sortie des enceintes morgiennes. Nous avions laissé nos chevaux dans un bois discret au bas d’une falaise, un peu plus loin. Au levé du soleil, les grandes portes s’ouvrirent et une longue population de paysans, paysannes, cultivateurs et guerriers sortirent, pour se disperser dans les champs au bas de la colline. Nous étions cachés sous un rocher en contrebas du chemin, à une distance qui me permettait de bien voir pour faire mon choix. Un à un, les soldats passèrent en premier pour assurer la route. Ensuite, le défilé commença.
Il fallait d’abord faire attention de ne pas choisir une femme déjà prise. Pour cela, nous devions nous baser sur les colliers. A chaque sorties, elles le portaient d’ailleurs assez ostensiblement, et même si le bijou était trop petit, elles s’arrangeaient pour que le collier, lui, soit bien visible. Cela leur assurait une protection contre les rapts, mais pas contre les parias et les voyous... Quant elles n’avaient pas de collier, il fallait encore regarder si elles n’étaient pas enceintes. Malgré toutes ces restrictions d’usage, j’en repérais une correspondant à mes critères principaux : Elle dégageait une impression de robustesse toute paysanne, grande pour son jeune âge, ses cheveux blonds soigneusement attachés, et paraissait pouvoir faire une très bonne mère. D’un père comme moi et une mère comme elle, nos enfants deviendront assurément de solides guerriers. Ceci dicta mon choix sur cette fille.
Au pied de leur colline, une fois dans la grande plaine, les paysans se dispersèrent dans divers champs tandis que les guerriers entamaient des tours de garde. Il n’y avait cependant qu’une vingtaine d’hommes montés patrouillant sur le territoire. Une dizaine de petits bataillons comprenant trois ou quatre guerriers à pied restaient dans les champs auprès des paysans.
Quand les derniers Morgiens quittèrent le sentier, nous arpentions un point de vue au dessus d’un promontoire rocheux pour observer de loin la progression des groupes de paysans dans les différents champs. Je repérais celui de ma jeune choisie et arrivais à situer le lieu de leur labeur ; puis, nous retournions discrètement récupérer nos montures. Les guerriers à cheval s’étaient divisés en 4 groupes de 5 individus et ils représentaient nos principaux adversaires. A 16 ans et 14 ans, Jo et moi n’étions pas encore de taille à lutter contre 5 hommes mûrs, nous nous tenions donc à couvert le plus longtemps possible, sans cesse aux aguets, arbalestre chargée et bandée, nous nous apprêtions à faire usage de nos armes à tout instant.
Lorsque nous fûmes à proximité du lieu, encore sous couvert de la végétation, nous vîmes l’immense zone déboisée où oeuvraient ces braves gens. Tout en restant à distance, nous repérions les trois gardes surveillant le champ. Ils s’étaient assis à l’ombre d’un cerisier et nous tournaient le dos. Nous décidions alors d’un plan d’attaque : Nous partirions au grand galop dans leur direction et devions les estourdir avant qu’ils ne puissent donner l’alarme. Cela signifiait tout de même de devoir sacrifier un garde sur les trois car nous n’arriverions pas à estourdir trois hommes à la fois !
Nous engagions alors notre galop, l’arbalestre bloquée sur le garde du milieu. Dès qu’ils comprirent l’attaque et se retournèrent, le guerrier reçu deux flèches en pleine poitrine, Jo et moi avions chacun fait mouche. Avant que les deux autres n’aient eu le temps de nous fixer avec leurs armes, nous étions déjà à leur hauteur et les assommions d’un coup de boulier en plein crâne. La force du coup ajouté à la vitesse des chevaux les mit hors d’état de nuire. Les paysans avaient cessé leur besogne et hésitaient à crier. Sans presser l’allure, nous passions au milieu d’eux, et tandis qu’ils restaient silencieux, je me dirigeais tout droit vers celle que je voulais. Une fois près d’elle, je descendis de ma monture malgré les remontrances de Jo. Mais avant même que je ne puisse engager la conversation avec elle, son père, un bon paysan, compris que j’allais la lui prendre. Il fit mine de vouloir venir m’enfourcher mais je fus plus rapide. Avant qu’il n’arrive jusqu’à moi, mon arbalestre était déjà pointée sur son visage. Il hésita, et c’est sa fille qui lui demanda de laisser faire les choses. Il baissa sa fourche et je l’invitais à s’approcher amicalement.
Devant le père, j’engageais la conversation avec la fille. N’étant pas très diplomate, je me bornais à lui expliquer qu’elle pouvait se défendre mais que je l’enlèverais quoi qu’il arrive. Dans le cas d’une pareille résistance, Jo abattrait son père tandis que je me chargerais de la maîtriser.
Ce fut un peu cru mais au moins les choses furent claires pour chacun tout de suite. Après quoi, j’informais le père de mes origines ainsi que ma situation. Je lui montrais surtout le quart d’once d’or qu’elle ou lui auraient droit après la naissance de mon premier.
D’apprendre ainsi que sa fille appartiendrait à l’une des plus puissantes familles du marché, voilà que le père me faisait maintenant ses hommages en vantant les qualités culinaires et besogneuses de ma promise ! Une capture si bien arrangée qu’on aurait pu croire à un vrai mariage d’amour... Même la jeune fille souriait, avant de pleurer un peu dans les bras de son père, car bon prince, je lui laissais même le temps de faire ses adieux.
Devant le franc succès de la conclusion du contrat, je promis encore qu’à chaque solstice, quatre fois par année, je lui permettrais de se rendre au marché. Elle pourrait donc revoir ses proches parents morgiens à ces occasions. Tout le monde se déclara très satisfait et l’enlèvement pu avoir lieu sans heurs. Sabrine, c’est son nom, grimpa sur mon cheval, et nous nous dirigions vers la montagne sans rencontrer de patrouilles montées. Le fait que personne n’ait donné l’alarme n’y fut pas pour rien et je me félicitais de cet enlèvement digne d’un vrai petit stratège. Et même, contre toutes attentes, d’un vrai diplomate : Il n’y eu qu’un seul guerrier tué dans l’affaire.
Nous nous unissions définitivement juste avant ma 15ème année. C’était le chef du conseil des anciens qui procédait aux unifications. A cet âge, j’étais déjà le guerrier à la réputation obscure du clan. Personne ne m’avait vu en tournoi, mais lors d’accrochages, les guerriers connaissaient mon potentiel. Alors que les autres portaient des plombs jusqu’à leur tournoi des quatorze ans, je ne les portais plus depuis déjà 6 ans, et pourtant, ma musculature n’était pas moindre que la leur, elle était au contraire plutôt athlétique. Beaucoup de guerriers étaient très musclés mais cependant, comme l’avait prédit Rufus, ils y perdaient en agilité. Les nombreux exercices d’étirements, de voltige et de gymnastique auxquels m’avait astreint le grand maître me maintinrent dans une agilité redoutable. Ma taille atteignait déjà celle d’un bon guerrier adulte, et ma croissance n’était pas encore terminée.
Un an plus tard, Sabrine me donna un premier fils. L’accouchement fut difficile car l’enfant était de grande taille et je craignis même qu’elle ne succombe. Je ne l’avais en fait que peu connue, bien que je l’appréciais comme femme. Mes entraînements, le temps que je passais dans les forces armées, avec mon père et avec maître Rufus, sans compter les nuits d’escapades du clan avec ce dernier, me tenaient éloigné la plupart du temps de mon foyer. Je respectais Sabrine, mais c’était plus par devoir que par envie que je l’avais prise. A cette époque, je me souciais principalement de mes progressions dans l’art du combat, mais j’arrivais cependant à mes 15 ans, et il était normal que je prenne femme. Le contraire aurait pu paraître suspect. Elle voyait sa famille à chaque solstice, comme promis. Ils étaient bons et amicaux, et je permettais même à ma femme de leur offrir tantôt une chèvre, tantôt un cochon ou quelque autre présent qu’elle souhaitait.
Cependant, juste avant d’enfanter, elle donnait l’impression de vouloir tourner de l’oeil, et je découvris que j’étais vraiment attaché à elle. Elle était souriante, attentionnée, mignonne, bonne cuisinière comme me l’avais vanté fort à propos son père lors de l’enlèvement, et de plus, affectueuse, ce qui adoucissait les souffrances dues à mon éducation. Elle semblait heureuse de sa nouvelle vie à la citadelle, et s’était préparée à accueillir avec beaucoup de joie cet enfant. Je pressentais qu’elle ferait en outre une bonne mère et sa perte m’aurait été pénible.
Heureusement, elle survécu et se remis de cet accouchement douloureux. L’enfant était lui aussi un guerrier né, il en avait la taille et le tempérament, alors je le nommais : Victorio.
Au fil du temps, j’étais aussi passé maître dans la plus dure des disciplines : le parage des flèches. Depuis qu’il fut mon Maître, Rufus m’avait entraîné à arrêter ses flèches avec mon bouclier. Au tout début, il ne me tirait jamais vraiment dessus, mais un peu sur le côté, à moi de contrer la flèche. Les tirs étaient lents et fortement bombés. Mais petit à petit que j’acquérais de l’assurance, les tirs devenaient plus rapides et directs. Cependant, ce genre d’exercice était plus ou moins inutile en situation de combat. Lorsqu’on est engagé dans une lutte, on n’a pas le temps de suivre toute la trajectoire d’une flèche. Il faut être capable de la détecter au dernier moment. Ceci exige d’être non seulement très rapide, mais aussi extrêmement agile. Il était cependant très rare qu’un guerrier en arrive là. Vu mes progrès et mon assurance de plus en plus ténue, Rufus pensa que je pourrai être capable de maîtriser une telle discipline. Je devais alors fermer les yeux, et les ouvrir seulement à son ordre. Au début, je les ouvrais alors que la flèche était encore loin, puis, de plus en plus proche. Après cela, Rufus engagea les meilleurs archets de mon père pour m’offrir plusieurs trajectoires différentes en même temps. Je fus blessé à plusieurs reprises (même si le bout des flèches était arrondi), mais mes progrès étaient encourageants. Ce fut en fait la dernière discipline que je maîtrisais après toutes les autres, vers mes 17 ans. Des tirs en séries, de cinq archets différents... Pour en arriver là, j’eu droit à de mémorables cicatrices.
A cet âge, j’étais le guerrier le plus fameux de Nendar. Et même si je ne me produisais jamais dans des tournois publics, je commençais à gagner de plus en plus souvent mes anciens adversaires. Les premières victoires furent magnifiques. Tout à coup, je compris que je pouvais tout de même gagner, après avoir toujours perdu ! Père, d’entente avec Rufus, réduisait le cercle de mes prétendants à mesure que je battais l’un où l’autre. Avant même 17 ans, il ne restait plus que deux guerriers à pouvoir encore me tenir en échec tantôt : Mon père, et maître Rufus, et ils gagnaient de moins en moins souvent… Lors de ma première victoire contre Maître Rufus, je me sentis très gêné, un peu comme si je l’avais insulté. Il me rassura car de son côté, il savourait ma victoire comme si ça avait été la sienne, ne tarissant pas d’éloges et de compliments à mon endroit.
Dès lors, je ne me battais plus que contre eux, qui avaient de plus en plus de peine à me tenir tête. Armadé ne cachait cependant pas sa fierté pour Jo, qui, à 19 ans, comptait parmi les meilleurs guerriers officiels de Nendar. Mais lorsque j’invoquais ceci pour pouvoir m’entraîner avec mon frère, en arguant à père que lui n’était plus tout jeune (il avait tout de même 37 ans), il refusait systématiquement. Armadé pouvait me battre par certaines ruses, et il arrivait encore que je perde le combat. Mais il devenait plus lent, plus prévisible, … moins bon ! Quant à Rufus, il était vraiment très vieux, 82 ans, ce qui constituait un âge canonique dans la société du chaos ! En réalité, s’il avait bel et bien 82 ans d’existence, il en avait bien moins réellement… comme pour Marco je suppose : « …cadeau du Dieu de la ville légendaire… ».
Malgré mes victoires, mon éducation ne molli pas pour autant : Désormais, je ne devais plus me battre contre père ou Rufus, je devais combattre les deux à la fois ! Après mon anniversaire des 17 ans, mes conditions d’entrainement étaient devenues de la folie pure et simple, Rufus innovait sans cesse dans la difficulté : Par exemple, il pouvait attacher mon pied avec une corde de trois coudées de longueur à un pieu pour limiter mon champ d’action, le Maître et mon père attaquaient chacun de leur côté, tandis que 3 gosses réquisitionnés par Armadé me molestaient, l’un en me claquant des coups de fouet, l’autre en me lançant des pierres, et un troisième en m’expédiant des poignées de sable…
Lorsque le soir, je rentrais en souffrance au foyer, ensanglanté d’une manière quelconque et épuisé, il arrivait que Sabrine pleure à ma place. Elle m’aimait vraiment de tout son coeur et détestait cordialement Maître Rufus. Elle ne comprenait pas quel tort j’avais pu causer pour mériter pareils châtiments, et c’est encore moi qui devait la consoler. Lorsqu’elle comprenait enfin que j’acceptais ma condition aussi longtemps que mon Maître le jugerait utile, elle finissait par se calmer et m’entourait de tendresse et d’attention. Rufus m’offrait la rudesse et la souffrance, Sabrine m’offrait l’affection et la tendresse, et moi, je les aimais tous les deux. Parfois, après le dîner, lorsque je me détendais de mes courbatures du jour en buvant quelques verres de vin, avachi dans mon siège, elle restait en face de moi à me regarder de ses grands yeux bleus embués de larmes, pour lâcher au bout d’un moment la même interrogation pensive : « … Ohhh Léopold, je sais qui tu es et je t’aime comme ça, mais qu’es-ce qu’ils veulent bien faire de toi ? … Tous les autres guerriers terminent leur éducation à 14 ans et ils sont moins bons que tu ne l’étais à cet âge, pourquoi toutes ces souffrances encore aujourd’hui ? Tu ne participes à aucun tournoi, tu ne deviendras jamais chef de clan, qu’es-ce qu’ils te veulent à la fin ??? »
Mais elle connaissait très bien la réponse à cette question : « Tout ce que je sais, c’est que Rufus s’est déjà occupé de l’éducation d’un enfant, et tu dis vrai, cet enfant n’est pas devenu chef de clan, il est devenu Marco Fallacio. »
Mais Rufus ne veut pas d’un deuxième Marco Fallacio, il veut plus ! … s’énervait-elle. Léopold, dans cette histoire, soit tu mourras et je te perdrais ; soit tu vivras et tu deviendras une espèce de monstre sacré vénéré comme un dieu, et je te perdrais. Dans tous les cas, je te perdrais. Dois-je accepter que Rufus dispose non seulement de ta vie, mais de la mienne aussi ?
Je la tranquillisais en lui assurant de ma fidélité indéfectible à son amour, et en toute sincérité, elle savait au fond d’elle que les femmes ne m’intéressaient pas. Sabrine, la mère de mes enfants, était seule importante pour moi ; ni les conquêtes, ni la gloire que ces dernières pourraient m’apporter, ne risquaient d’avoir de l’influence sur les effets que procurent les roucoulades féminines à l’endroit de ma personnalité. Sabrine jouait à se faire peur en imaginant des dangers invraissemblables. Je ne la rassurais qu’à moitié, puisque je l’informais que la seule véritable menace pour notre couple était ma mort précoce ; car finalement, après 10 ans d’entrainement tyrannique, de souffrances, de plaies et de cicatrices, je devais devenir le meilleur, … ou mourir ! Plus je devenais fort, et plus j’acceptais de repousser mes limites dans la difficulté et la souffrance pour m’améliorer encore. A ce stade de mon développement, je ne pouvais plus accepter une place de second, je serais soit le champion des champions, soit mort. Mais de toute façon, tout le monde meurt un jour ou l’autre…
A cette époque, je dépassais d’une tête la majorité des gens, j’étais devenu un petit géant. Rufus pensait que j’avais atteint le maximum de mon perfectionnement personnel en clan, et il voulait aussi que je m’émancipe de lui, que je fasse mes preuves loin de son regard et de ses conseils. Avec mon père, ils décidèrent de m’envoyer avec toute ma petite famille trouver un marchand Valaisois du nom de Robert Monié, car Rufus ne voulais pas que j’intègre l’armée du seigneur Marco Fallacio, quelles que soient mes capacités !
Je traversais alors tout le pays jusqu’au marché de Brilg pour me présenter au grand marchand. Monié était dépositaire d’une permission dans la plaque de distribution de Domodosolia, et pouvait pénétrer au sud des Alpes.
Les marchands acceptaient généralement dans leur armée tous les guerriers surmontant une série d’épreuves de leur invention. Il suffisait de les passer pour entrer dans leur armée marchande, qui constituait d’habitude le sommet de la hiérarchie des guerriers.
En l’occurrence, les règles de Monié étaient les suivantes : Il désignait six de ses guerriers. Il fallait gagner en duel contre au moins trois d’entre eux. Le marchand ne choisissait pas les plus faibles, mais de toutes manières, tous ses guerriers étaient déjà les meilleurs qui soient. J’en battis cinq. Ensuite, Il m’emmena avec une escorte dans un lieu qu’il savait occupé par des parias. Nous en trouvâmes un groupe d’une quinzaine, dont une dizaine d’hommes. Je devais les affronter seul et les exterminer. Les marchands ayant le droit de tuer les parias, j’eu cette autorisation pour la première fois, sans craindre la malédiction. J’en vins à bout mais l’un d’eux m’infligea une méchante blessure à l’avant bras droit.
Ensuite, il y avait des épreuves physiques, d’endurance à l’effort et à la douleur, que je surmontait très facilement.
En fin de compte, je remportais brillamment mon examen d’entrée. Monié me fit forger une épée bien plus grande que la moyenne, effilée comme une lame de rasoir mais robuste, du meilleur alliage, celui des marchands... De recevoir ces armes était une vraie consécration. Et de servir dans l’armée marchande me donnait l’occasion de me frotter à toute la faune de voyous, parias et brigands de grands chemins hors clans.
Monié m’intégra dans sa société, et ce fut un grand jour pour moi et ma famille. Victorio n’avait que deux ans et déjà il tirait à l’arbalestre. Sabrine fit connaissance avec les autres femmes des guerriers-marchands. Notre vie ne serait dorénavant plus qu’un grand voyage, dormant chaque nuit dans un autre clan.
Monié était un riche commerçant, transportant de grosses quantités de biens entres les plaques de distribution de Domodosolia et Friborg. Nous transportions des céréales, du sucre, cacao et sel, de l’or, argent et pierres précieuses, ainsi qu’une foule d’autres biens alimentaires. Nous voyageons, et jamais nous n’avions de toit nous appartenant pour dormir. Au passage du marchand, les portes des villes et villages s’ouvraient comme par miracle. Monié et son escorte rapprochée logeaient dans les citadelles tandis que les habitants nous invitaient, rien que pour admirer nos armes. Deux cents excellents guerriers équipés des meilleures montures et matériaux gardaient les marchandises transportées par plus de mille mulets. Chaque guerrier ayant une femme et quelques enfants, ce n’était donc pas moins de sept cents personnes qui accompagnaient le grand marchand dans ses pérégrinations. Cette période me fut d’un grand bénéfice, car Monié faisait preuve de grande inventivité dans ses stratégies. Cependant, mon maître et mon père me manquaient…
Lors de mon arrivée fracassante et la victoire sur cinq guerriers, les meilleurs hommes de l’armée voulurent m’affronter. Il s’avéra que dans toute l’armée du marchand, seuls 3 étaient capables de me tenir tête. Monié me prit immédiatement dans son escorte rapprochée et je décidais de garder la ligne d’éducation que Rufus et mon père avait tracé. Désormais, je ne me battrais plus en duel que contre ceux qui pouvaient encore me vaincre. Je n’avais que 17 ans et disposais de mon plein potentiel de puissance bien que je continuais encore ma croissance. Cependant, je manquais sans doute encore un peu d’expérience, de patience dans les duels, et cela ne s’acquérait qu’en affrontant régulièrement meilleur que soit.
A peine six mois plus tard, je ne combattais plus que contre un seul adversaire. C’était une très belle époque. Ce fut la première fois que je passais les Alpes pour atteindre la Péninsule. Une fois dans la ville Italophone, nous entamions de nombreux voyages d’un côté à l’autre du col. Les marchandises devaient êtres chargées à dos de mulet car il n’y avait guère de bons chemins pour les charrettes dans les hauteurs. En général, il nous fallait cinq voyages pour tout emmener à Brilg, au nord des Alpes. Une fois la marchandise dans le marché valaisois, elle était chargée sur d’immenses charrettes, de véritables trains roulants, et menées dans les territoires du nord, par la vallée.
Avant même mes 19 ans, plus personne n’était de taille à tenir un duel contre moi. Plus aucun d’entre eux ne faisait l’affaire, je joutais contre deux ou trois guerriers marchand en même temps, mais sans les souffrances infligées autrefois par Rufus. Monié reconnut mes capacités stratégiques lors de plusieurs attaques, et était prêt à me donner le commandement de son armée.
Sabrine enfanta à nouveau, mais d’une fille cette fois-ci. Je lui laissais donc le choix de son appellation. Elle la nomma Aurore et il en fut ainsi. Dieu merci, l’accouchement se passa mieux cette fois et je n’eu pas à craindre pour sa vie.
Alors que nous passions par Tourbillon, nous eûmes droit à la visite d’Armadé. Il voulait me parler, ainsi qu’à Monié, et nous prit à l’écart. Il avait décidé d’envoyer une expédition vérifier l’existence de la Grande Ville de la légende !... Suicidaire, pensa Monié, mais c’était mal connaître père, et c’était ne point connaître du tout Rufus, qui ne pensait qu’à ça depuis qu’il prit en charge mon éducation…
J’avais souvent vu partir Armadé sans qu’il accepte ma présence. Il s’en allait plusieurs jours avec une bonne escorte en m’informant qu’il partait en voyage diplomatique. Un jour, il m’avoua presque son grand projet. Alors que nous buvions ensemble le soir après quelques exercices, il me raconta comment il eu peur de voir une guerre fratricide alors que je commençais à vaincre mon aîné, pourquoi il déclencha ce début de guerre des clans : Pour unir les clans (ce qui était surtout l’idée de maître Rufus) ! Ainsi, tout à coup, dans la plaine de Tourbillon, on vit la force que pouvait représenter une armée composée de tous ces clans. C’est ce que père montra du haut de la citadelle à tous les chefs réunis : La plus grande armée jamais vue de mémoire d’ancien. Un grand pas fut franchit par un jurement commun, du jamais vu dans le Chaos !
Ensuite, père n’avait jamais cessé de tisser des liens avec d’autres clans, et même d’autres marchés. Il avait un poids militaire suffisant pour que les chefs le considèrent un peu comme le maître à penser de la région de Tourbillon. Il avait humilié le chef du marché en l’obligeant à quérir du renfort pour protéger sa ville, et c’était grâce à lui qu’Héritio avait plié. Les Savièsois ayant vu leur puissance baisser de part leurs nombreuses pertes, Nendar prit de l’importance. Son aura personnelle ajoutée à son intelligence et à sa puissance militaire faisait d’Armadé l’homme incontournable du marché. Et il fut respecté comme tel. Après le fameux début de guerre des clans, il s’attela à changer les mentalités : Il trouva un nom pour tous les habitants de la vallée alpine qu’il nomma les Valaisois. Ce n’était qu’un nom, mais en désignant ainsi tous les habitants de la vallée, ceci fit grandir l’impression que nous appartenions tous à un même peuple. Les combats entre clans se raréfiaient et duraient moins longtemps. Le plus souvent, Armadé imposait une solution diplomatique, menaçant de lancer ses propres guerriers pour faire cesser les combats, voire même de faire appel à l’armée du Seigneur Marco si les belligérants n’obtempéraient pas. Il fut donc de plus en plus écouté, et peu de clans prenaient le risque de contester son autorité.
Il partit même en expédition au sud des Alpes dans les territoires de la Péninsule. Il passa les cols de Barnar et de Simplon, visita les chefs aostien et domodosoliens, Viniacci et Garibaldi. Ces derniers contrôlaient de vastes domaines dans les remparts sud des Alpes et avaient un accès direct à la Péninsule.
Cependant, il ne m’expliqua jamais vraiment ce qu’il faisait durant ces voyages, jusqu’à ce jour devant Monié. Il nous informa alors clairement de tout ce qu’il avait mit sur pied durant ses nombreuses missions diplomatiques : Tous les clans avaient accepté de mettre à disposition un homme, leur champion, pour la plus importante expédition sérieuse de mémoire de légende : Aller vérifier l’existence de la Grande Ville mythique. Pour arriver à un tel résultat, il lui fallut des années de négociations, de visites dans différents marchés pour sans cesse tenter d’apaiser les rancunes, faire état des clans qui acceptaient de relever le défi, et gagner les autres à sa cause. Plus le nombre des adhérents augmentait, et plus nombreux étaient ceux qui ne voulaient pas rater pareille occasion de se joindre à une expédition qui avait peut-être une petite chance de réussir. Les derniers réfractaires furent plus ou moins forcés diplomatiquement d’accepter.
Au final, Armadé Paralamo réussit à unir pour un projet commun tous les clans valaisois, plus ceux des marchés péninsulaires d’Aoste et Domodossolia. La seule chose que nous savions, et que même Vinniacci, le chef d’Aoste a pu lui aussi confirmer, c’est que partout, la légende dit que La Ville est au sud. Nous passerions donc les Alpes et ferions route vers le sud avec une magnifique mini-armée. Elle représentait 173 champions valaisois et 87 champions des clans italophones, qui marcheraient en direction de La Légende.
Vinniacci nous avait bien mis en garde contre tous les dangers que représentait le fait de traverser les territoires de la péninsule qui s’étend au sud des Alpes. Au début, tous les chefs avaient crû en une expédition suicidaire, impossible, et qui n’avait peut-être tout simplement jamais été imaginée par un homme sain d’esprit. Mais père réussit à les convaincre de n’envoyer qu’un seul homme, leur champion. Si l’expédition échouait, les clans n’en seraient pas incommodés. Les champions ne sont jamais irremplaçables, et il ne s’agira jamais que d’un seul homme par clan. Cependant, si l’expédition aboutissait ?
Petit à petit, les chefs pensaient que si Armadé était capable de réunir plus de 200 des meilleurs guerriers qui soient, avec de bonnes montures, bien armés, tous maniant aussi bien l’arbalestre que la lance, le glaive ou la hache, le projet avait une chance de réussir... Doucement, les chefs commencèrent à y croire.
Après avoir convaincu les valaisois, Armadé s’en alla en petite délégation faire état à Vinniacci et Garibaldi des forces disposées à entreprendre l’expédition. Lorsque ceux-ci apprirent qu’il avait réussi à coaliser un pareil bataillon, ils en parlèrent avec les chefs des clans gravitant autour de leurs marchés. Ils ne pouvaient pas se permettre de laisser passer une telle occasion d’avoir au moins une chance de connaître le fin mot de cette Légende. Si une expédition vers la grande ville avait une chance de réussir, c’était bien la notre. Car enfin, si une pareille force montée ne revenait pas, ceci voulait dire qu’il serait vain de continuer à rêver pouvoir trouver un jour la Grande Ville légendaire.
Oui, de l’avis de tous, nous avions une chance. Et même si elle était infime, cela valait la peine. Sous l’influence de maître Rufus, Père vivait avec la persuasion qu’une telle découverte changerait le monde du Grand Chaos que nous connaissions. Mais pour savoir, il fallait aller voir...
Armadé en vint enfin au but de cet entretient avec Monié, car il tenait à ce que le marchand participe lui aussi au bon déroulement de cette aventure. Cependant, il ne désirait pas d’hommes de son armée, mais son métal. Il requit de fabriquer plus de deux cent équipements complets dans le métal des commerçants. Cette contribution du grand marchand serait dûment récompensée si nous trouvions la ville mythique, ou des richesses.
Quant à moi, père souhaitait que je dirige cette expédition. Mais pour ce faire, il fallait que je gagne un tournoi, prévu à Tourbillon à la prochaine lune. Les autres chefs arguaient que leur champion ne se laisserait jamais commander par un homme qui n’a pas prouvé sa supériorité au combat. Ceci tombait d’ailleurs sous le sens. Les chefs des clans de Tourbillon avaient fait moins d’histoires car ils me voyaient parfois au marché. Même s’ils ne m’avaient jamais vu combattre, ils connaissaient ma stature et l’origine de mes éducateurs : Armadé, … et le maître de Marco Fallacio, qu’ils n’avaient jamais vu. Cependant, pour avoir une chance de diriger l’expédition, le champion du marché de Tourbillon se porta lui aussi candidat. Le vainqueur commanderait l’expédition, c’était la loi des clans. En fin d’année, un grand tournoi était toujours organisé au marché. Les champions de chaque clan joutaient pour déterminer une sorte de champion des champions de tous les clans du marché. Je n’avais donc pas à combattre les 260 guerriers, mais uniquement les champions des 6 marchés valaisois, plus ceux d’Aoste et Domodossolia. Un tournoi tout au sommet réunissant les 8 meilleurs guerriers alpins.
Après quelques discutions de détail, Monié accepta de fournir les armes tandis que j’étais déjà impatient de me retrouver au combat. Je fis donc mes adieux au grand marchand le jour même. Dès les premiers jours à son service, Monié m’avait prit dans son escorte rapprochée, et nous avions l’un pour l’autre un grand respect. Il me fit don de mon matériel militaire, de même que la monture qu’il avait mit à ma disposition.
Je rentrais ainsi à Nendar sans même avoir servi deux années complètes dans l’armée marchande. Victorio avait maintenant 4 ans et je passais de plus en plus de temps à son éducation militaire. Il récitait d’ailleurs des bottes et tactiques avec honneur. Après Aurore, Sabrine engendra à nouveau. Elle mit au monde un fils. Petit, chétif, il naquit prématurément et ne passa même pas sa première nuit.
Durant les quelques jours précédant le grand tournoi, Armadé et Rufus m’informèrent des règles impératives à respecter pour participer à cette expédition au bout du monde :
Premièrement, il fallait à tout prix gagner le tournoi des champions. La défaite n’était même pas envisageable. Je devais commander cette expédition et ma participation à cette aventure était conditionnée à ma victoire à Tourbillon. Une deuxième place en finale ne valait rien, elle ferait exploser tout le projet pour lequel Rufus avait sacrifié plus d’une dizaine d’année d’éducation, et pour lequel père avait sacrifié des années de vie en visites et discussions diplomatiques.
Deuxièmement, il faudrait chercher la ville mythique jusqu’à sa découverte. Lorsque ce serait chose faite, je devais déceler les points faibles de la ville pour en rendre compte à mon retour d’après mon père, mais principalement gagner la confiance du seigneur de cette ville d’après maître Rufus, ce qui signifiait que je devrais le rencontrer...
Père me dit qu’il ne suffirait pas d’être le découvreur de la ville de la légende, mais toujours tenir tête à mes troupes, devenir un grand chef militaire. Alors seulement, de grandes choses seraient possibles, comme de changer le monde... (et maître Rufus approuvait !)
Armadé m’informa également qu’il avait fait exprès de demander très peu aux différents chefs (un seul homme), afin de ne pas devoir leur être trop redevable en cas de réussite ou d’échec de la mission.
Le matin de la nouvelle lune, le jour du combat, Rufus me prit à partie avant notre départ pour le marché, et d’un ton grave, il m’informa réellement de la situation : « Léopold mon cher disciple, aujourd’hui tu vas jouer ta destinée, celle pour laquelle tu es né, celle pour laquelle je t’ai préparé, celle pour laquelle Marco a consacré 40 ans de vie, celle pour laquelle ton père a œuvré ces 10 dernières années. Je n’irais pas voir le tournoi, mais je serais là, en toi. C’est maintenant que tu dois faire usage de tout ce que je t’ai appris, et tu vaincras. Va maintenant, ce n’est pas un tournoi qui t’attend, c’est ton destin. Força victoria Léopold, c’est ton heure, montre leur enfin qui tu es ! »
Je promis à Rufus de ne pas le décevoir, et après un au-revoir, nous descendions en famille au marché de Tourbillon. Victorio verrait son père se battre contre les meilleurs champions des Alpes, et pour rien au monde, je ne voulais qu’il rate cet exemple. Père tenait sa monture à mon côté en me donnant encore quelques conseils, que je n’écoutais plus. Cette matinée d’hiver était radieuse, l’air était doux, la rosée suintait des fougères et autres plantes, il flottait dans l’air quelque chose de doux et de terrible.
Je ne pressentais aucune peur de mes adversaires et savais que je pouvais tous les vaincre. Plus aucun guerrier marchand n’était capable de m’affronter, et après avoir perdu tant de combats durant mes nombreuses années de formation, voilà presque un an que je n’avais plus jamais été mis en échec. Les clans disposaient tous d’excellents champions, car ils ne se mettaient pas tous au service des marchands. Par exemple, si le chef de leur clan était âgé et malade, ils attendaient son décès pour avoir la chance de remporter le combat qui les propulserait chef du clan à leur tour. Si leur chef était encore en pleine santé, ils décidaient habituellement de combattre aux côtés des marchands. Il n’était donc pas faux de dire que les huit combattants étaient de véritables champions alpins de premier ordre.
Toutefois, j’avais trop perdu pour perdre encore, et même si je pouvais bien admettre que moi aussi je disposais d’un point faible, je ne voyais pas comment on pouvait me battre. Je ne craignais donc pas du tout les combats, mais une erreur de ma part. L’erreur, l’infime erreur qui fait basculer toute la partie, voilà ma seule peur. Car sans erreur, je peux dire un peu présomptueusement que je ne voyais pas comment faire pour perdre... Je serais cependant si concentré que je me voyais mal commettre des erreurs dans un tournoi pareil. Ce fut donc le coeur serein que je pénétrais dans les enceintes de Tourbillon.
A l’intérieur de la ville, c’était l’effervescence. La foule se pressait vers les champions, et surtout vers moi en raison de mon équipement marchand.
Le conseil des anciens donna le signal du commencement des joutes au milieu du jour. Tout devait être terminé sur le soir.
C’était magnifique, je me battais contre de vrais champions, dans un tournoi superbe ! Je retardais même la victoire tant j’étais heureux de combattre en duel, me contentant de taquiner et de me faire plaisir. Je pouvais enfin montrer à tous ce dont je valais, dans la première apparition publique de ma vie. J’arrivais ainsi en finale contre le champion du marché de Brilg, Rino, un homme très robuste venant du clan de Lotchent. Ils étaient tous très puissants et habiles, mais après quelques instants de face à face, je comprenais leur jeu, je sentais leurs faiblesses défensives et ils devenaient prévisibles. Rufus m’avait souvent dit que l’observation est la première règle au combat. Ne jamais attaquer, fermer ses défenses et laisser l’adversaire se découvrir. Tous ces guerriers connaissaient bien entendu les multiples tactiques de combat rapproché et savaient aussi toutes ces règles. Je ne voudrais pas trop faire mon éloge personnel, mais comme ce fut mon premier combat en duel lors d’un tournoi, je ne vais tout de même pas me priver de garder en mémoire écrite ces quelques souvenirs de bonheur :
J’avais commencé par me battre contre le champion de mon propre marché. Fédérit venait du clan de Veysonne, qui se situait juste à côté du notre. Veysonne était bien moins puissant que Nendar, et beaucoup de nos guerriers ne cachaient pas leur envie de l’envahir. Cependant, Armadé tenait la promesse qu’il avait lui-même proposé : Plus d’attaque de clans entiers ! Cette ancienne promesse faisait grincer les nouveaux guerriers, qui ne se sentaient pas concernés. Nendar s’était pratiquement uni à Veysonne, les deux chefs ayant fait quelques pactes. De fait, aujourd’hui, même si Veysonne garde son armée et son semblant d’autonomie, nous avions vassalisé ce clan. Son chef savait que nos guerriers n’attendaient qu’un faux pas de sa part pour l’écarter définitivement de ses fonctions. Il obéissait ainsi à Armadé tout en négociant à chaque fois une légère compensation à présenter à son clan. Père me disait que c’était de la politique : être capable d’obéir tout en laissant croire au peuple qu’on continue à gouverner le destin de son clan... Très compliqué, vous vous en rendez compte. Mais je me perds dans mes histoires…
Barnabé, où en étais-je ? ... ah oui, à mon combat contre le champion du marché qui venait du clan de Veysonne, c’est ça !
Donc, je connaissais l’individu. Je l’avais vu combattre deux fois lors du grand tournoi d’automne à Tourbillon, et plusieurs fois lors de tournois inter-clans entre Nendar, Veysonne, et Apro. Il était rapide et fort comme un boeuf, mais c’était une brute de premier ordre. Il ne laissait pas la moindre chance aux plus jeunes qui arrivaient dans le circuit des tournois, et je l’ai vu en massacrer plus d’un à mort. Il restait toutefois loyal, et si un adversaire avouait sa défaite, il cessait le combat. Mais il frappait en général de sorte que l’adversaire n’ait pas le temps de s’avouer vaincu. Sa jouissance était la mise à mort et je détestais ce genre de type. Père disait qu’une mise à mort en tournoi était l’aveu d’un demi-échec : C’est ce qu’on fait lorsqu’on est à cours d’idée. Fédérit semblait donc toujours à cours d’idées. Ce type était un puissant, tous ses coups étaient une explosion de force, bien qu’il puisse aussi montrer des coups techniques difficiles. Je connaissais cependant trop bien le lascar pour perdre. Il n’était pas prévu de tuer lors de ce tournoi, car nous participerions tous à la même expédition. Mais je décidais de l’humilier, voire de le liquider s’il n’implorait pas la fin du combat.
Avant de commencer le duel, je lançais toutes mes armes à terre, mon bouclier, mes cotes de mailles, mon casque, mon épée... Ce n’est que légèrement vêtu, armé de mon simple bâton d’aluminium que Rufus m’avait fabriqué, que je me mettais en position de l’autre côté de la place. Fédérit poussa un grand rire rauque lorsqu’il comprit que j’étais prêt à me battre ainsi. Il s’avança sans précipitation, sûr de la victoire. A moi de le pousser dans une de ses colères dont il était sujet lorsque tout ne se passait pas comme prévu. « Alors mon petit Fédérit, es-tu prêt à te prendre une raclée par un type armé d’un seul bâton ? Je vais t’humilier mon cochon, tu demanderas grâce à genou, et tu mordras la poussière ! »… Bref, je l’encourageais à s’énerver avec ce genre de gentillesses, et tout à coup, il éclata. Il n’avait pas jugé bon de prendre son bouclier au vu de mon arme, et se jeta sur moi en furie, épée levée et hache sur le côté, prêt à frapper. C’était exactement comme cela que je l’aimais : furieux. Ses coups gagnaient alors en puissance, mais sa fureur estompait sa précision. Je fis mine de vouloir parer avec mon bâton, mais en dernier lieu, j’esquivais en me plaquant puis en roulant au sol hors de sa portée. Je glissais alors la perche entre ses jambes et lui fit perdre l’équilibre. Une première fois, il mordit la poussière. Il se releva immédiatement plus combatif que jamais et je fis mine de fuir.
En cela j’avais un avantage sur mes adversaires. Ils avaient tous certainement reçu le meilleur enseignement possible dans leur apprentissage du combat, toutefois, mes éducateurs m’enseignèrent quelque chose de plus encore : L’environnement ! Ne pas seulement tenir compte de l’adversaire, mais aussi du terrain dans lequel on se trouve. Que ce soit à la guerre ou en duel, toujours se servir de l’environnement. En duel, cela pouvait être l’escalier d’une maison, ou tout autre endroit dans lequel il était possible de mettre en difficulté l’adversaire. C’était d’ailleurs grâce à cet environnement que mon propre père, Armadé, devint chef de clan : grâce à une poutre, et sans connaître Rufus à cette époque !
Je fuyais Férérit doucement, à reculons. Il changea alors de tactique, et au lieu de se ruer comme un fauve, il feignit la prudence. Lorsqu’il lança l’assaut, je fis à nouveau le même mouvement pour parer le coup, mais il était déjà prêt à me frapper à terre si je plongeais. Au lieu de parer, en dernier lieu, aussi rapide que maître Rufus à sa grande époque, je pointais la perche droit sur lui alors qu’il était en pleine attaque, donc à découvert. Il reçut un coup formidable qui dû lui casser le nez et quelques dents. Alors que les larmes lui embuaient les yeux grâce au coup du nez, j’en profitais pour démettre son bras gauche par un coup sec sur l’épaule.
Il pouvait encore être dangereux, mais avec un seul bras valide, ses défenses étaient quasi nulles pendant l’attaque, faiblesse je mettais à profit à chaque fois dans une riposte différente. C’était aussi un enseignement important, être le plus imprévisible possible, changer souvent de jeu, voire en jouer deux différents à la fois. Plus il mordait la poussière et plus sa fureur aveuglait son jeu, tant et si bien qu’après quatre chutes, il ne me paraissait déjà plus mentalement apte à combattre. Je sautais, je tournais, et je pouvais utiliser totalement tous les exercices d’agilité que j’avais appris durant de nombreuses années, la fameuse gymnastique de Rufus. J’étais insaisissable, j’en profitais pour me faufiler comme une anguille entre ses armes, et à chaque fois, il recevait un coup de bâton. Il avait déjà perdu toutes ses dents de devant, cassé son nez et quelques côtes lorsque je l’envoyais à terre une énième fois.
Je le laissais se relever mais décidais de lui régler son compte. J’attendais toujours qu’il avoue sa défaite, et sous mes invectives et mes coups répétés, je le conjurais de demander l’arrêt du combat. Cependant, c’était trop lui demander. L’humiliation d’un forfait était pour lui pire que la mort. Fédérit respectait la vie de ses adversaires lorsqu’ils demandaient le forfait, mais il ne manquait jamais de les traiter de cloportes, sans aucun honneur du combat. Il se retrouvait aujourd’hui dans la situation inverse. Je lui disais que je ne l’assommerais pas pour vaincre, et que ce serait le forfait ou la mort. Il ne put s’avouer vaincu. Alors, dans un mouvement tactique bien facile vu le délabrement du gaillard, je lui cassais le poignet qui tenait l’épée d’un coup de bâton, et m’emparais de l’épée qu’il venait de lâcher. Il arriva encore à saisir sa hache à la ceinture, mais j’avais déjà entamé ma rotation avec son épée qui passa entre ses épaules et sa tête, avant d’aller se planter dans les cottes de mailles de son bras levé avec la hache. Son regard abruti se figea, sa tête tomba en premier et roula vers un groupe de gosses qui me la retournèrent d’un coup de pied. Son corps d’athlète tomba juste après, toujours avec sa propre épée fichée dans son bras.
Une grande clameur retentit, j’étais devenu le nouveau champion de Tourbillon en décapitant mon adversaire avec sa propre arme ! Avant même les autres combats, c’était déjà la gloire, et je me portais encore comme une fleur. Les champions des autres marchés me regardaient aussi d’un air moins décontracté.
Pour les duels suivants, je pris mes armes car je ne connaissais pas mes adversaires. Toutefois, d’aucuns protestèrent car je disposais d’armes de marchands, ce qui impliquait un avantage certain. Le conseil des anciens de Tourbillon jugea immédiatement que je devais combattre à armes égales, pour plus d’équité dans les duels à venir. Père me prêta son équipement, et j’étais bien résolu à faire honneur à l’épée qui lui avait permis de devenir chef de clan.
Je vaincu mes adversaires suivants en les éliminant tous de manière civilisée, sans coups d’éclat ni grosses effusions de sang. Fédérit fut peut-être un bon exemple pour les autres, mais même si tous étaient de grands champions, j’avais un jeu différent, un jeu qu’ils ne connaissaient et ne comprenaient pas. La force était certes un avantage, et j’étais devenu un vrai géant. Mais l’agilité et la technique étaient aussi des ingrédients indispensables à un champion. Je crois qu’il faut avoir connu Rufus pour comprendre cela. Rufus était une sommité autant dans son esprit que dans l’art de la guerre. Ce sont ses multiples connaissances et toutes ces années d’enseignement qui firent de moi ce que j’étais en train de devenir, le champion incontestable des Alpes. Mon finaliste m’infligea tout de même une vilaine blessure à la jambe gauche, son épée ayant pénétré jusqu’à l’os, sans toutefois le briser. C’était de ma faute, la seule erreur que je commettais lors de ce tournoi : L’impatience ! Impatient d’être acclamé champion des champions, je tentais de forcer la victoire en négligeant ma défense… Malgré cette blessure, je vins à bout du combat au coup suivant pour remporter le tournoi.
Quant à mes adversaires, ils furent certes tous un peu amochés, mais je n’avais blessé personne sérieusement. J’eu droit à un mort, Fédérit, trois forfaits et quatre victoires par éstourdissement, dont le finaliste qui fut assommé après m’avoir blessé de la sorte. Les guérisseuses s’occupèrent de ma blessure, et je ne pus me déplacer qu’à l’aide d’une béquille durant deux semaines.
En remportant la finale, j’obtenais ainsi un pouvoir total sur le plus fameux bataillon jamais réuni, un pouvoir supérieur que celui d’un chef sur son clan. J’allais commander la plus extraordinaire exploration que bien peu d’hommes avaient réussit à mener à bien, une “épopée” me dit Barnabé.
Le départ de l’expédition fut programmé pour la prochaine lune. Ce délai laisserait le temps nécessaire à Monié pour terminer la confection des armes.
Le jour dit, tous les champions valaisois se réunirent dans la ville de Bâtia. Je laissais Sabrine enceinte, avec Victorio et la petite Aurore, m’en allant dans une aventure dont je ne savais si je reviendrais un jour. Jo m’assura qu’au cas où je n’en réchapperais pas, il prendrait soin des miens. Rufus ne me donna aucune indication sérieuse sur la Grande Ville, il me dit simplement que je n’avais qu’à demander la direction aux villages que je rencontrerai, car cette légende existait partout. Il me souhaita bonne chance, me demanda de saluer le Seigneur de la Grande Ville de sa part, et m’annonça sa mort prochaine… ! La nouvelle me troubla profondément, mais Rufus me demanda de ne pas m’en inquiéter, que c’était dans les règles du jeu : « Mon rôle était d’éduquer l’enfant que Marco me présenterait. J’ai vécu pour cela, je t’ai appris tout ce qu’il est possible d’apprendre, je n’ai aujourd’hui plus de raison d’être, ma mission est achevée. Je quitterais ce monde l’esprit en paix, peut-être le Seigneur de la Grande Ville m’offrira encore le plaisir d’assister à ton retour, mais quoi qu’il en soit, je suis prêt à mourir. Adieu disciple, reste en vie, et revient !..., même si tu préfèrerais rester là-bas. » Je remerciais mon maître en lui jurant de ne pas le décevoir, je le serrais fort sur mon cœur pour la première et peut-être la dernière fois, l’émotion me fit presque verser une larme, alors je partis sans me retourner.
Nous traversions les Alpes pour rejoindre le clan aostien. Là, 87 champions se joignirent à nous, ainsi qu’un commerçant qui parlait ma langue et celle du sud des Alpes. Je souhaitais alors rester quelques semaines à Aoste avec mes 260 champions, histoire de les connaître un peu, mettre sur pied des tactiques et statégies, nous entraîner ensemble, ainsi que me rendre compte des capacités de chacun. Ma blessure me faisait encore souffrir, bien que l’auteur, Rino, soit venu me présenter des excuses.
Rino était un des meilleurs de mes champions et il n’y avait aucune rancune entre nous. Ce fut je pense un combat rare, un vrai spectacle pour tous ceux qui l’ont vu. Avant même le combat, Rino me rendit hommage en disant « Je te salue Léopold, choisi par le Seigneur Marco. J’ai moi-même jouté en face du Maître lorsque j’avais 9 ans, quand il est passé dans la vallée. Il n’a pas daigné m’accorder sa confiance après avoir obéi à son ordre de tuer mon adversaire. Maintenant, montre-moi que le Grand Seigneur ne s’est pas trompé, montre moi de quoi tu es capable ! »
Puis le combat commença, et au cours de celui-ci, Rino avait pris un avantage tactique en grimpant sur le toit d’une maison. Durant tout le temps où je me trouvais en contrebas, je ne pouvais rien contre lui. Ce n’est que lorsque j’arrivais à l’atteindre, que dans de splendides échanges d’armes, la plèbe eu droit à un tout grand spectacle technique de part et d’autre. Nous luttions en équilibre sur le faîte d’un toit, et c’est à cette occasion d’ailleurs qu’il me porta ce coup à la cuisse. Dans une dernière attaque déguisée, je réussis à le faire perdre l’équilibre à l’aide de mon bouclier. Il alla s’écraser 10 coudées plus bas, assommé,… mais il s’en était bien remis. Ces 6 semaines d’organisation de l’expédition à Aoste permirent à ma blessure de mieux cicatriser, ainsi qu’à distinguer les champions qui avaient de bonnes aptitudes stratégiques et de commandement.
Je pus ainsi diviser mon armée d’élite en 5 régiments, comportant chacun 52 guerriers.
Les 5 commandants de ces minis-armées étaient :
Commandant du premier régiment : Rino, mon Dauphin de tournoi. Il n’était pas le meilleur seulement parce qu’il était le plus fort, mais aussi parce qu’après notre finale, sa loyauté alla de soit ! Il avait perdu, et il avait immédiatement reconnu son rang. Pour moi, Rino était prêt à donner sa vie sans la moindre hésitation, la fidélité transpirait de lui, c’était un guerrier de premier ordre.
Patrick, quatrième du tournoi des champions de Tourbillon. Champion du marché de Bâtia, il était inventif mais respectait l’autorité et il savait lui-même se faire respecter.
Marcello, champion du marché d’Aoste, et 6ème au tournoi de Toubillon. Avec ses 35 ans, il était le doyen des champions, avait de l’expérience stratégique et pratique. Dans son clan, il était commandant de l’armée sous l’autorité du chef.
Paskale, troisième du tournoi de Tourbillon, une véritable furie, champion du marché de Maurice. Paskale était sans conteste le guerrier le plus extravagant de tous, le seul qui faisait mentir ma devise : « La brutalité est l’apanage des fort, la cruauté est l’apanage des faibles ». Il était un phénomène de puissance, une bête de combat capable de s’amuser comme un gosse de la souffrance de son adversaire, brutal et cruel à la fois, sachant soulever l’indignation générale à chacune de ses provocations, il était sans conteste un guerrier à part. Il avait mal réagit et n’avait pas encore tout à fait accepté sa défaite face à Rino, en demi-finale, car il faut dire que lors de ce tournoi de Tourbillon, Paskale était malade, transpirant comme un bœuf et fiévreux. Ça avait été un exploit de terminer troisième, mais il n’en était pas satisfait. C’était un sanguin, un impulsif, une force de la nature, un homme qui ne savait même pas ce que la pitié voulait dire. Il avait néanmoins de bonnes idées de stratégie, et un sens inné de l’esprit de survie. Je savais que je prenais un risque de le nommer commandant, mais je savais aussi que j’en prendrai un plus grand en ne le laissant qu’à un grade inférieur. Il était toutefois averti qu’en cas de désobéissance, il serait exécuté sans état d’âme. Il accepta sa nouvelle fonction et promis de lui faire honneur.
Sérafino, champion du clan de Valdresia, près du marché de Domodossolia. Il n’avait pas participé au tournoi des champions car il n’était pas encore le meilleur de tous les clans de Domodossollia. Il était cependant le plus jeune de toute l’expédition, et du haut de ses 17 ans, il était déjà champion de son petit clan. Sérafino manquait d’expérience et n’était peut-être pas le meilleur stratège, mais je nourrissais une espèce d’amitié pour lui. Il avait tellement soif d’apprendre, soif de prouver toujours et encore sa valeur, et semblait d’une loyauté à toute épreuve. Je le nommais ainsi commandant du cinquième régiment, tout en sachant qu’il ne se retrouverait pas dépourvu aux commandes, car je resterais moi-même dans ce régiment pour l’épauler.
Après avoir formé ces 5 régiments, je les divisais chacun en 5 bataillons d’une dizaine d’hommes sous le commandement de lieutenants, eux-mêmes nommés par les commandants de régiments.
Moi-même, j’avais le grade de Chef, et ce serait dorénavant avec cet état major qui comprenait mes 5 commandants que toutes les décisions seraient prises.
Avant le départ, Vinniacci me prévint d’éviter la ville de Tourini, qui comptait plus de 20’000 habitants et de nombreux postes avancés pour surveiller leur territoire.
Nous disposions tous des meilleures montures, et notre nombre nous permettait d’avancer rapidement tout en faisant face relativement facilement aux embuscades de brigands le long du chemin. Après Aoste, un paysage totalement plat et inondé de végétation s’offrait à nous. C’était le début de ce qu’on nommait la Péninsule, une immense langue de terre qui s’avance entre deux mers, à ce que nous savions. Il était facile d’éviter les villes et villages car il nous suffisait de grimper à un arbre pour situer les fumées indiquant l’emplacement des localités. Par contre, le terrain, recouvert de forêts immenses, était propice aux embuscades. Avec la force dont nous disposions, je ne craignais pas tant les parias, car même s’ils étaient farouches, chez nous ils ne montraient jamais une importante puissance de frappe. Nous massacrions simplement ces êtres qui se trouvaient sur notre route, tout en étant persuadés que nous étions assez loin de notre clan pour que la malédiction ne parvienne jusqu’à lui.
A part ceux-là, je ne m’en prenais qu’aux plus petits hameaux lorsque nous devions quémander de la nourriture. Devant mon bataillon, je demandais au chef du hameau de lancer de la pitance par dessus la palissade, et de m’indiquer la direction de la Grande Ville. Je lui promettais que nous ne voulions rien de plus, et que s’il obtempérait, nous passerions notre chemin. Cas contraire, je menaçais d’incendier le hameau. La menace était généralement prise au sérieux, car les petits chefs ne pouvaient pas ignorer une armée de plus de 250 cavaliers armés comme des marchands. Les hommes d’Aoste parlaient une langue que ces gens semblaient comprendre. Nous n’étions pas gourmant, juste quelques vivres afin de pouvoir poursuivre campagne, et à chaque fois, ils lancèrent quelques sacs par dessus leur palissade, et tout se passa bien au niveau de l’approvisionnement. Nous voyagions loin de Tourini.
Notre première véritable mésaventure arriva plus tard. Cinq jours après notre départ d’Aoste, quelqu’un nous donna une réponse différente que le sud. De derrière la palissade, on nous indiqua de poursuivre jusqu’à la mer et d’en suivre la rive en direction de l’est. L’information n’était pas certaine, mais cela faisait partie de leur légende...
Je demandais à être reçu avec l’homme qui parlait leur langue et la mienne. On m’ouvrit la porte et je pénétrais le village avec mon interprète. Le chef du clan s’enquit de notre voyage et nous l’informions de nos intentions. Quant à lui, il nous conta leur légende : Il parait qu’il y a très longtemps, un géant de leur village, bien plus grand que moi, avait fait la route dans sa jeunesse. Il était fort comme un boeuf et né sous une bonne étoile. Il avait réussit à voir la Grande Ville et en revenir vivant. C’était cette route, suivre la mer, mais personne ne savait de quant datait cette histoire. C’était donc aussi devenu une légende... Par contre, leur chef nous déconseilla fortement de traverser un territoire qui se trouvait justement être sur notre route, à quelques heures au sud. Peuplé de parias rassemblés là en grand nombre, il s’agissait selon ses dires, d’une forêt dont personne ne ressortait vivant. D’après lui, il valait mieux perdre deux jours en détours plutôt que de s’aventurer dans cette région. Mais il n’en était pas question.
Nous réprimes donc la route et j’ordonnais le campement un peu avant de nous aventurer dans la fameuse zone infestée.
Dans ma confiance totale aux capacités de mes champions, je les informais même que le lendemain, nous aurions du paria à bouffer, et en quantité suffisante pour qu’on en fasse tous une indigestion. Tout le monde se déclara satisfait et rien ne perturba notre nuit.
Tôt le lendemain, j’organisais notre progression. Nous avancerions tous en ligne, les 5 régiments étant volontairement divisés afin de couvrir un vaste territoire sans jamais risquer de nous retrouver tous dans un même piège. Si un régiment était attaqué, il devait sonner du cor. Alors, chacun entamerai une course non pas en direction du son, mais droit en avant. Puis, dans un mouvement de cercle, tourner pour revenir vers le son à rebours.
Nous entamions un trot silencieux dans cette immense forêt, et restions sans cesse aux aguets. C’est au milieu de la matinée qu’un cor sonna sur ma droite. Je fis signe à mes voisins d’avancer tout en resserrant les rangs. Deux hommes furent envoyés pour rabattre les deux bataillons à notre gauche. Nous entamions alors le retour sur la cible, ou le piège. Alors que nous étions en plein galop, un bataillon de parias tenta de s’interposer. Je criais aux guerriers galopants à ma gauche de s’occuper d’eux pendant que je continuais avec les autres pour savoir ce que signifiait l’alarme du cor.
Sur les lieus, la lutte faisait rage entre le gros de la troupe des parias et un de nos régiments. Ce devait effectivement être un piège, et une cinquantaine de mes hommes s’y étaient laissés prendre. Il y avait des assaillants dans les arbres, à cheval, partout. Les parias étaient au moins dix fois plus nombreux que Paskale et ses hommes. J’ordonnais à toutes mes troupes de faire demi tour pour aller prêter main forte à nos compagnons affrontant l’autre bataillon de parias, moins nombreux et moins organisé, tandis que je restais en embuscade pour observer les manœuvres de mon commandant en péril. En réalité, bien que Paskale était sur la défensive, il n’était nullement en péril. A ce que je voyais depuis le bosquet qui me servait de protection visuelle pour ne pas être repéré, il avait formé une véritable carapace autour de son bataillon. Disposé en cercle, il avait fait descendre une série d’hommes de leurs chevaux, et ces derniers protégeaient le bas du régiment par une rangée de boucliers à même le sol. Plus haut, une seconde rangée de boucliers protégeait les flancs des chevaux et les cuisses des cavaliers, puis une autre lignée de boucliers s’empilaient sur les deux premières rangées pour la protections des têtes, et enfin, toute la zone de repli stratégique était encore fermée par un toit de boucliers pour parer aux flèches et autres ustensiles lancés depuis les arbres.
L’image que ce bataillon offrait était celle d’un animal qui aurait pu être le fruit du croisement entre une tortue et un porc-épic, car si les boucliers formaient la carapace, tous les interstices étaient hérissés de pointes de lances dépassant d’à peine une coudée. Si un ou plusieurs parias s’avisaient de s’approcher trop prêt pour attaquer avec des armes de poing, une série de lances faisaient un mouvement d’aller-retour pour transpercer l’imprudent. Outre cette magnifique défense, Paskale poussait encore le culot jusqu’à organiser des attaques, et par intervalles réguliers, on pouvait voir des séries de flèches jaillir de la carapace en direction des parias. Spectaculaire ! A 10 contre 1 et sur leur propre terrain, les parias se retrouvaient bien en peine pour faire plier mon petit régiment.
Le gros de nos troupes eut vite fait d’anéantir les quelques dizaines de parias qui restaient en retrait et nous rejoint rapidement. Au lieu d’encercler les parias qui molestaient le bataillon de Paskale, nous avancions d’une ligne vers eux. A mon signal, nous vidions nos arbalestres. L’ordre était d’abattre dans un premier temps tous ceux qui se trouvaient dans les arbres. Beaucoup tombèrent déjà lors de ce tir, et les proportions devinrent soudain moins démesurées. Nous rechargions alors que les troupes de parias s’élançaient déjà vers nous, et après un second tir, nous accrochions nos arbalestres à la ceinture pour nous saisir des lances, qui ne restèrent qu’un instant entre nos mains : Viser, et lancer pour tuer. Après ces trois salves de tirs, le bouclier dans une main et l’épée dans l’autre, nous fondions sur l’ennemi au galop, certains de la victoire. Ce fut un véritable massacre, à un point tel qu’après un moment, celui qui semblait être le chef des parias demanda l’arrêt des combats en agitant un vêtement blanc. Dans un premier temps, je refusais leur capitulation et criait à tous mes hommes : « Pas de prisonniers,… aucun prisonnier…, je ne veux que des morts ! ». Toutefois, sur la fin, lorsqu’il ne restait plus qu’une centaine de parias qui ne se battaient quasiment plus, car mes hommes ne se contentaient pas de les tuer mais devenaient cruels envers ceux qui tentaient encore de résister, je fis cesser le jeu de massacre :
- « Les parias ont peut-être un refuge fortifié, lançais-je, gardez ceux qui restent en vie, ils pourraient nous être utile pour pénétrer dans leur tanière ! »
Nous comptions au final 412 parias morts, plus les 86 du plus petit bataillon, et 105 rescapés fais prisonniers jusqu’à la découverte de leur cache. Ce fut aussi une journée noire pour nous. 38 de mes hommes avaient péri sous les coups de l’adversaire, sans compter les blessés plus ou moins graves. Un peu plus loin dans la forêt, nous trouvions leur refuge : Un véritable village fortifié, comme s’il s’agissait d’un clan, incroyable !
J’ordonnais à une trentaine d’hommes de faire le tour du village, afin de surveiller que personne ne puisse fuir en escaladant la palissade par derrière. Tous les autres se postèrent devant la porte d’enceinte, à distance de tir. Je fis aligner nos 105 prisonniers face aux enceintes de leur village, et parlait ainsi à l’intention de ceux restés à l’intérieur du clan, tout en avançant avec mon cheval derrière la ligne des prisonniers :
« PARIAS ! Voilà ce qui reste de vos hommes de combat (à ce moment de mon discours, je tuais un prisonnier au hasard d’un coup d’épée dans la nuque). Ouvrez les portes et sortez les mains bien visibles au dessus de votre tête (à ce moment, je tuais un second prisonnier de la même manière) ! A partir de maintenant, chaque fois que mon cheval fera un pas, un prisonnier supplémentaire mourra (je tuais un troisième homme).
Mon cheval fit un pas, et je tuais un quatrième paria. Ma monture continua d’avancer derrière le rang de prisonniers, et un cinquième tomba. J’entendis alors une voix féminine crier depuis le village :
« Es-ce que vous nous garantissez la vie si nous nous rendons ? »
Pendant la question, j’avais tué un sixième paria et répondis :
« Je garantis la vie sauve à tous les innocents ! Et un septième homme tomba…
Mon cheval fit un nouveau pas, et le huitième paria mourut. Puis… les portes s’ouvrirent, comme par enchantement, et des centaines de femmes en sortirent, ainsi que des vieillards et encore quelques jeunes hommes qui n’avaient pas participés à l’embuscade. J’ordonnais alors :
Toutes les femmes à gauche, tous les hommes à droite !
Ceci fait, mes guerriers à cheval encerclèrent les deux groupes et vérifièrent si les prisonniers volontaires étaient bien désarmés, ce qui était le cas. Je demandais au bataillon de Paskale de terminer le massacre de tous les prisonniers ayant participé à l’embuscade, tandis qu’avec Rino et quelques uns de ses hommes, nous entrions dans les enceintes pour voir à quoi ressemblait un village maudit.
C’était tout à fait étonnant, ces parias avaient un vrai village, assez banal ; plutôt correctement protégé, mais sans citadelle, ce qui était un peu normal dans cette plaine de forêt sans beaucoup de grandes pierres pour bâtir ce genre d’édifice. Il y avait pourtant un bâtiment un peu plus grand que les autres au milieu du village, arborant une croix sur son toit. Rino s’en fut l’inspecter.
Un instant plus tard, j’entendis Rino m’appeler depuis l’intérieur du fameux édifice. J’y entrais avec mon cheval, et le spectacle qui s’offrit à moi était tout à fait incroyable. Dans cette grande maison pleine de bancs, avec une petite table au sommet et une nouvelle grande croix sur le mur du fond, je trouvais une cinquantaine de gamins, et un homme habillé d’une grande robe blanche. L’homme n’avait pas le signe des parias sur son front… Mais ce qui était phénoménal, c’était de voir des enfants chez des parias !??? - Illogique ! Je me disais que ce groupe de paria, mieux organisé que les autres petits groupes qui gravitent dans nos vallées, avait sans doute réussi à enlever des enfants dans les villages voisins pour leurs aises personnels. Rien que d’y penser, j’en avais la nausée, mais je me proposais de sauver tous ces enfants de cet enfer. Je demandais à Rino de rester pour veiller sur les enfants, j’empoignais l’homme habillé en robe blanche au collet en le traînant au trot jusque dehors, pour le lancer aux pieds de Patrik en lui enjoignant de surveiller spécialement cet individu exempt du signe des parias !
Suite à cela, notre interprète demanda aux femmes présentes dans quel clan elles avaient volé les enfants. Une des femmes répondit qu’ils étaient leurs enfants. Je lui décochais une flèche en pleine poitrine, et exigeait des autres la vérité. Elles disaient toutes la même chose, alors j’ordonnais que toutes celles n’étant pas marquée du signe des parias sortent du groupe.
Aucune n’en sortit ! Toutes étaient de véritables parias, et il était impossible que des clans aient déclaré « paria » des femmes capables d’enfanter.
Je demandais également aux hommes et aux vieillards qui n’étaient pas marqué du signe de sortir du rang, aucun n’en sortit !
Patrick m’interpella : « Ils sont tous coupables, il n’y a ici que des parias bel et bien estampillé comme tel. Je les estime à environ 400 femmes et presque 200 hommes, malades ou vieux, qu’es-ce qu’on fait ? »
J’étais songeur, mais je répondis quand même : « Hier soir, lorsque je plaisantais en vous disant que nous allions aujourd’hui bouffer du paria jusqu’à en avoir une indigestion, je ne pensais pas que ce serait à ce point… »
Je réfléchissais encore un instant avant de trancher, dégoûté de cette décision contre ma conscience : « Tuez les tous ! »
Paskale, dans son indécence habituelle, me demanda encore si les hommes avaient l’autorisation d’abuser des femmes parias avant de les tuer, mais je répondis par la négative. Je ne voulais ni qu’ils se corrompent avec ces femmes maudites, ni qu’ils les violentent physiquement ou les brutalisent trop. Les achever était suffisant.
Et le grand massacre commença. Je regardais faire avec un sentiment étrange. D’un côté, j’étais fier de débarrasser cette forêt de ces parias, et d’un autre, j’éprouvais un certain dégoût de voir mourir autant de femmes. Normalement, ça aurait dû être une horreur, mais dans ces conditions, je ne savais plus : Ma conscience me disait que c’était mal, mon intelligence me disait que c’était une très bonne chose… J’étais ainsi en proie à un sentiment confus, pas sûr de moi ni de mon action.
Pendant le massacre, certaines se mirent à genou, criant et implorant notre clémence, ce qui avait le don de m’irriter encore plus dans mon problème de conscience. J’avançais alors sur ma monture par devant celle qui semblait commander aux autres, ou du moins, celle qui criait plus fort que ses congénères pour me supplier d’épargner les survivantes. Lorsque je perçais son cou en enfonçant mon épée dans sa gorge, le son cessa. Je la soulevais de terre à la pointe de mon épée pour la regarder face à face, je cherchais dans ses yeux quelque malice ou envoûtement, j’avais besoin de voir le mal écrit en elle, et pas seulement par une marque fabriquée sur son front. Elle ne pouvait plus respirer mais vivait encore, son regard croisa le mien, et je n’y trouvais que la peur que j’inspirais… Pas une once de sorcellerie, même à l’article de la mort, pas de haine ni de maléfice, qu’un regard de terreur et d’angoisse. Bien loin de me tranquilliser l’esprit, ce regard de panique et de supplication ne fit que confirmer ce que me criait ma conscience : Ce que je fais est mal ! Mais… pouvais-je faire autrement ? Il était beaucoup trop tard pour changer les choses, il était déjà trop tard depuis que nous avions pénétré dans cette forêt. Tous les évènements qui survinrent lors de notre progression sur ce territoire obéissaient à une suite logique : Embuscade, piège, contre-attaque, victoire et destruction totale de l’ennemi…, je ne pouvais plus rien y changer. La gorge de la paria toujours flanquée au sommet de mon épée, ses pieds gigotant à deux coudées du sol, je ne pus que m’excuser en abrégeant ses souffrances, me contentant d’un laconique : « désolé »… Puis, d’un coup sec, je propulsais mon épée en avant pour lui briser la nuque,… alors elle se tut à jamais.
Le massacre fut réglé sans cruauté excessive et les blessées eurent droit à leur coup de grâce. Une multitude de cadavres jonchaient le sol, et de toute la tribu de parias, il n’en restait plus qu’un seul en vie, l’homme retrouvé dans le bâtiment surmonté d’une croix. Il s’agissait du seul être du clan à ne pas être marqué du signe des parias. Il pouvait être un de leur prisonnier, comme les enfants, et son habillement détonnait par rapport à la mode du Chaos : Il était flanqué d’une grande robe blanche bizarre, qui lui avait sans doute été imposée par les parias afin de mieux se moquer de lui. Par contre, son attitude aussi était bizarre : Durant le massacre, au lieu d’en profiter pour se venger sur ses ravisseurs, il se tint à genou sur le sol, semblant prier vers le ciel… ? Remerciait-il les dieux pour avoir été libéré, ou priait-il pour les parias ? Il fallait que l’interprète l’interroge pour savoir s’il était avec ou contre les parias.
L’homme répondit qu’il était prêtre, … une sorte de druide à ce que j’ai pu comprendre, et il disait venir de la Grande Ville de la Légende apporter la bonne nouvelle aux plus pauvres d’entre les pauvres du Chaos : Les parias !
C’était intriguant, il disait venir de la grande ville et porter une bonne nouvelle ? Mais quelle bonne nouvelle ???
Sa réponse me fit bien rire : En gros, sa bonne nouvelle se résumait à dire que Dieu était venu sur terre en prenant la condition humaine, en chair et en os, et qu’il avait donné sa vie pour la rédemption de nos péchés, y compris ceux des parias. A la fin, alors qu’il n’avait fait que du bien autour de lui sa vie durant, les hommes se saisirent de lui, le fouettèrent, l’affublèrent d’une couronne d’épine en se moquant de sa royauté divine, et terminèrent en le crucifiant jusqu’à ce que mort s’ensuive. Et sur la croix, ce dieu mourût en pardonnant à ses bourreaux ??!
Paskale s’esclaffa encore plus que moi, qui, la surprise passée, ne pus m’empêcher de rugir :
Un dieu qui se laisse crucifier par des hommes comme le dernier des idiots, comme un misérable petit agneau qu’on égorge ??? NON MAIS TU TE FOUS DE MA GUEULE OU QUOI !??? ça c’est ce que j’appelle : « un dieu de PARIAS ! Un dieu de pacotille qui ne peut convenir qu’aux faibles et aux lâches ! Cet imposteur cherche à nous embrouiller avec ses balivernes en nous faisant croire qu’il vient de la grande ville ! Tuez-moi ce type, il ne vaut pas mieux que les parias ! »
Paskale, jamais en manque d’imagination, eut l’idée de le fouetter, de lui fabriquer une couronne d’épine et de le crucifier, histoire de faire honneur à son dieu, mais Patrik lui répéta ma devise : « La brutalité est l’apanage des forts, la cruauté est celui des faibles…, et que vivent les forts ! ». Après avoir parlé ainsi, d’un geste vif et précis, Patrik transperça le cœur du druide avec sa lance !
Sur ce coup, je ne pus que donner raison à Patrik en m’énervant un peu : « Mais nom de dieu Paskale, t’as beau être doué, t’es quand même un sacré tordu : On pourrait abuser un peu des femmes parias avant de les tuer ? … on crucifie le druide pour s’amuser ? Merde à la fin ! Alors comme divertissement, déshabille le druide, fouette-le, flanque lui une couronne d’épine sur le crâne, et crucifie-le bordel de merde ! »
Paskale ne bougea pas, se contentant de répondre en ronchonnant : « Là c’est plus drôle du tout, c’est nul, il est déjà mort ! »
Alors je mis les points sur les « i » : « C’est justement pour ça que je t’ordonne de le faire ! Martyrise le cadavre comme je te l’ai indiqué, et tu te rendras compte ensuite que tout ce qui t’amuse réellement, c’est la souffrance des gens ! Tu es extrêmement doué et ça a été un réel plaisir de t’observer à l’œuvre contre ces centaines de parias lorsque tu ne pouvais compter que sur ta petite unité. Là tu fais des merveilles, il y a de la noblesse, du courage et de la dignité dans la difficulté, mais toutes ces belles valeurs s’envolent lorsque tu tiens quelqu’un à ta merci. Là, tu deviens un petit vicieux pervers, et je déteste ça ! Alors fait ce que je dis, c’est un ordre que tu peux considérer comme une punition éducative ! »
Paskale pesta, et de mauvaise grâce entreprit de déshabiller le cadavre du shaman pour lui administrer ses tortures posthumes…
Ne restait de vivant dans ce clan de malheur que les gosses. Nous leur indiquions le chemin du clan qui nous avait avertit de la présence de ces parias et leur demandions de s’y rendre, en expliquant à son chef leur libération par notre troupe. Là-bas, ils recevraient certainement gîte et assistance.
Les enfants pleuraient lorsqu’ils virent les amas de morts devant la porte, d’aucuns criaient même « Mamma ! »… Les pauvres, ils avaient été enlevés depuis tellement longtemps qu’ils croyaient réellement que ces parias puissent être leurs parents ! Paskale, grognon, en train de fouetter son cadavre dans son coin, ne put s’empêcher de lancer un scandaleux : « Les enfants du diable, … passez-les tous par les armes ! », mais nous ne l’écoutions plus. Certains enfants voulurent s’attarder, mais nous les chassions. Ce n’était pas un spectacle pour eux.
Une fois les enfants partis, nous mettions le feu au village maudit. Sur nos montures, nous regardions placidement ce clan entier dévoré par les flammes, finalement assez satisfaits d’avoir rendu un tel service à la région, ainsi qu’une vengeance digne à nos champions tombés au combat.
Pendant que les flammes rasaient tout ce qui restait de ce clan et que Paskale terminait de crucifier son mort, nous nous remîmes en route pour organiser notre campement un peu plus loin, car la nuit tombait déjà. Ce fut une drôle de journée, on avait bel et bien débarrassé la forêt de cette peste, mais à quel prix !? De mes 260 champions, il ne m’en restait plus que 222, dont une bonne quinzaine en piteux état. Quelques uns, blessés assez cruellement, ne passèrent d’ailleurs pas la nuit.
Je pris conscience que j’avais beau avoir les meilleurs guerriers et montures qui soient, nous n’étions pas invulnérables. Depuis, je me montrais plus prudent quant à nos itinéraires. Notre objectif était de vérifier la légende, pas de nettoyer la planète !
Après avoir passé l’immense plaine des forêts, des plissements du sol apparurent. La direction qu’on nous indiquait était toujours la même: Au sud ! Cependant, le terrain devenait de plus en plus accidenté.
Nous essuyâmes encore des pertes alors que nous passions au fond d’une gorge. L’adversaire, tout au sommet, nous molestait en provoquant des chutes de pierres. Toute riposte était rendue impossible par les falaises des deux côtés, et nous n’avions d’autre choix que de nous hâter de sortir de ce piège. Nous perdîmes une vingtaine d’hommes dans ces gorges, et plusieurs autres furent blessés par des flèches ou des pierres. Nous ne nous aventurions toutefois pas à aller punir les coupables, et poursuivions notre chemin.
Trois jours plus tard, du sommet d’un col, nous apercevions la mer... Des masses d’eaux s’étendant à l’infini, c’était bien ça : la mer ! Suivre la mer... Je ne pensais pas qu’il puisse y avoir autant d’eau sur terre, et nous étions tous subjugués par ce paysage nautique illimité.
Nous évitions toutefois les bourgs de pêcheurs et longions la côte un peu en retrait. Le terrain devenait moins propice aux embuscades, le relief était de moins en moins prononcé, et la végétation plus éparse. Nous ne risquions donc qu’une attaque rangée. Mon principal souci fut donc de ménager au maximum nos montures lorsque nous étions hors de danger afin qu’elles puissent offrir leur meilleur rendement en cas d’attaque. Cette stratégie se révéla payante lorsque nous fûmes pris en chasse par les guerriers de Spézia, une grande ville côtière. Nos montures étaient toujours bien nourries, habituées à l’endurance, et notre cadence ne les fatiguait que peu. C’est sans doute grâce à cela que nous échappions aux forces de Spézia. Quelques hommes furent tout de même abattus par des tirs arrière, mais nos adversaires abandonnèrent après 2 lieues de poursuite effrénée. Nous n’étions pas en campagne de conquête et évitions de perdre trop d’hommes en combat si la possibilité d’échapper à l’adversaire s’offrait à nous.
Arrivés aux abords de la ville de Livornio, 91 de mes champions avaient été tués où étaient morts des suites de leurs blessures. Des 260 guerriers partis, il m’en restait encore 169 indemnes, plus l’interprète. J’avais toutefois bon espoir car plus nous avancions, moins la Grande Ville était légendaire. Les habitants que nous interrogions ne parlaient plus d’elle comme d’une légende, mais comme d’une véritable ville. D’aucuns s’aventuraient même à nous indiquer le nombre de jours qu’il nous restait : encore 6 jours si vous n’êtes pas confrontés à trop d’incidents !
Durant ce voyage, je vis aussi que tous ceux que nous interrogions étaient gentils et affables, car nous ne nous arrêtions qu’auprès des plus humbles villages, et ils avaient peur. Par contre, lorsqu’on passait sur les terres de certains clans plus puissants, la situation était à chaque fois prête à exploser. Parfois ils nous fléchaient depuis l’intérieur de leur enceinte, mais nous gardions une distance raisonnable. Parfois ils nous prenaient carrément en chasse, pour laisser tomber lorsque nous quittions leur territoire. C’était uniquement la puissance qui commandait le tempérament des hommes. S’ils se sentaient vulnérables, ils étaient courtois et pacifiques. S’ils étaient plus forts, ils attaquaient. Je me demandais alors quelle serait la réaction des guerriers de la Grande Ville.
Il nous tardait cependant de voir de nos yeux la légende et forcions un peu l’allure. Deux embuscades plus tard, qui nous avaient encore enlevées une demi-douzaine d’hommes, nous voyons de très loin, certainement une dizaine de lieues, un pic qui pointait droit vers le ciel. Ce pic était tout sauf naturel, et nous pressentions qu’il pouvait appartenir à la Grande Ville. Il était toutefois plus à l’intérieur des terres que nous avait laissé entendre l’ancien du village d’avant la mer. Nous quittions donc la côte pour nous aventurer en direction de cette étrange montagne.
Après quelques cavalcades, le spectacle de ce pic fut encore plus étrange. Un peu plus bas que son sommet, deux branches s’élançaient à l’horizontal, flottant dans l’air, sans aucune assise!...
A mesure de l’avancement, nous nous rendions compte qu’il ne s’agissait nullement d’une montagne, mais d’une croix, avec un crucifié comme on en découvre parfois dans d’anciennes ruines, mais monumental. C’était d’autant plus intéressant que l’espèce de druide des parias portait lui aussi une de ces croix autour de son cou. Lorsque nous fûmes assez près, nous montions sur un relief pour observer l’intérieur des enceintes. Le spectacle qui s’offrit à nous bouleversait tous les concepts que nous avions de notre civilisation, nommée Grand Chaos, ou Longue Nuit sans qu’on en sache pourquoi. A cette époque, personne ne connaissait autre chose que le Grand Chaos. De la sorte, étant habitués à vivre ainsi, il nous semblait que nos sociétés n’étaient nullement chaotiques. De fait, le nom de “grand chaos”, qui désigne notre civilisation, n’est qu’une appellation sans intérêt pour quiconque n’a pas vu la Grande Ville. Nous avions bien découvert des tracés de routes, des ruines en pleine campagne, ainsi que des ruines de villes sans murailles. Cela nous renforçait dans notre impression que les hommes vivaient en paix dans l’ancien monde, mais nous n’avions jamais eu la moindre idée de ce qu’il fut, à part les légendes.
Aujourd’hui, nous avions sous nos yeux ce que fut certainement l’ancien monde. La ville était entourée d’une muraille dont aucun chef n’aurait idée de construire. Cette muraille, entièrement construite en blocs de pierre, ridiculisait toutes les enceintes que j’avais connu jusqu’ici. Elle était au moins 5 fois plus haute que les meilleures murailles, et d’une longueur qu’il était impossible de définir, car nous n’en voyons pas la fin.
A l’intérieur, nous pouvions observer des palais dont absolument personne ne serait capable d’en ordonner l’édification. Des centaines de palais qui défient l’imagination, tout à fait gigantesques, et dont les toits étaient recouverts d’or. Au milieu de la ville, se dressait l’inimaginable croix, aussi haute que les nuages, et encore plus surprenant, la statue du crucifié. Le crucifié ne ressemblait pas à celui qu’on trouvait parfois dans les vieilles ruines des anciens villages de chez nous, où il apparaissait plutôt comme un pauvre hère agonisant.
Non, là, sur cette croix gigantesque, il portait tous les attributs d’un roi crucifié, surmonté d’une immense couronne d’or et vêtu d’habits d’apparats des plus riches. Cette statue à elle seule défiait l’imagination de part sa grandeur. Il faut avoir vu cette oeuvre pour le croire. La plus haute coupole de ce qui semblait être le palais principal était ridiculisée par la croix, au moins 5 fois plus haute. Le palais en question donnait sur une place ronde aux proportions tout à fait phénoménales.
Nous restions là, hébétés pendant une bonne heure à observer ce dont pourquoi nous avions pris tous ces risques. La cité mythique de la légende s’étendait là, à nos pieds, remplissant totalement notre champ de vision. Elle dépassait en tous points nos idées les plus extravagantes. Impossible de dénombrer la population de la cité. Les plus grandes villes que nous avions croisées en chemin pouvaient avoisiner les 20’000 habitants, mais c’était absolument incomparable. Il y avait une multitude de maisons entre les palais, avec chacune un bout de verdure, et nous ne voyions même pas l’autre bout de la ville tant elle était étendue. A ce que nous pouvions distinguer, des gens circulaient dans des carrosses sur de belles routes. Maître Rufus avait dit un jour : « Toute votre imagination multipliée par 100 reste ridicule par rapport à ce qu’est la Ville de la légende »…, et il avait raison !
Notre armée de champions, qui soudain paraissait minable, s’approchait de la muraille avec la consigne de rester en dehors de portée des flèches. Si les hommes de la Grande Ville se décidaient à attaquer, nous les verrions venir et pouvions peut-être leur échapper en fuyant au galop.
Tandis que nous étions bien au dehors des murs, les branches de la croix paraissaient venir jusqu’à la verticale au dessus de nous. Ces hommes avaient construit une croix de la taille d’une montagne ! Etourdissant !
Nous distinguions quelques hommes sur la muraille. Ils nous regardaient sans marquer de signes d’hostilité ou d’agitation. L’enceinte semblait infinie. En fait, elle entourait la ville proprement dite et se terminait dans la mer, abritant un port formidable. Entre deux, il y avait des champs, des bêtes, et tout cela, à l’intérieur des murs s’il vous plait! A l’est, un fleuve pénétrait sous la muraille, tandis que deux bras avaient été déviés artificiellement pour remplir les fossés creusés au bas des murs extérieurs. Ainsi, nous ne pouvions même pas approcher.
Un siège contre une telle ville serait une absurdité. Ils avaient de l’eau en quantité, des pâturages et des champs bien irrigués, ainsi que du poisson à profusion grâce à leur port protégé. Dans de telles circonstances, c’était les assaillants, et non les assiégés qui mourraient de faim. Il semblait que tout était prévu pour que ces gens n’aient besoin de sortir des murs en aucune occasion. Ils avaient tout à l’intérieur ! Tout cela était complètement surréaliste : Une muraille longue de plusieurs lieues, abritant une ville dont tous les palais semblaient être construits en or !...
Le premier jour, nous n’eûmes pas le temps de faire le tour de l’enceinte tant elle était longue. Nous installions notre campement un peu en amont de la Grande Ville et, alors que le crépuscule gagnait doucement sur le jour, la ville s’illumina ! Tout s’illumina et on entendit des centaines de cloches sonner d’un bout à l’autre de la cité. Nous étions bien situés, et de notre position, nous avions vue sur quelques routes. Elles étaient baignées de lumière douce et il y avait une grande circulation de calèches, cavaliers et gens à pieds, à ce que nous pouvions distinguer. Les gens se dirigeaient tous vers les palais recouvert d’or, et y pénétraient. Comme si les cloches avaient sonné un rassemblement, mais pour parler de quoi ? De notre sort ?
Les illuminations n’avaient rien de comparable aux flambeaux placés dans nos villages. Non, cette lumière était blanche mais douce. Elle flottait ainsi dans chaque rue. En tous cas, ils voyaient certainement autant qu’en plein jour, avec une sorte de lumière tout de même moins agressive. La croix aussi s’illumina jusqu’en son sommet, comme si la croix et la sculpture du crucifié étaient devenus lumière ! Elle montait infiniment vers les cieux, perçant les ténèbres de la nuit... C’était plus que prodigieux, miraculeux ! Mais tout ce que nous avions vu durant cette journée était invraisemblable. L’or qui recouvrait toutes les coupoles des palais ! Cela aussi est inexplicable. L’or est un métal pratiquement inexistant sur terre. Au marché, quelques paillettes d’or valaient déjà le prix d’un cochon. Les chefs de clans avaient pour habitude de se faire couler une bague en or avec une petite gravure de leur blason et les plus grands seigneurs osaient aller jusqu’à se faire une couronne pour fasciner leur population, mais ça valait une véritable fortune, des troupeaux entiers. L’or était un métal si beau mais si rare que nous n’aurions jamais imaginé l’utiliser pour autre chose qu’une parure personnelle. Mais non, ici dans la Grande Ville, l’or avait été utilisé même pour des constructions, et jusqu’à ce jour, je n’avais jamais imaginé que la terre ait pu offrir autant d’or que cela.
Mes hommes pensaient que si un dieu habitait sur cette terre, c’est bien là le seul endroit où il aurait jugé digne de demeurer. Moi, je ne croyais pas à ce dieu si facilement. Les hommes que nous voyons sur ces murs n’étaient pas des dieus ou des géants, mais bien des hommes. D’où venaient-ils, comment avaient-ils fait pour s’approprier la ville ? Là était mon problème : Comment avaient fait ces hommes pour s’emparer d’une telle cité ? La ville devait avoir un point faible, et c’était à moi de le découvrir. D’autre part, ce seigneur crucifié !? Que cela signifiait-il ? J’avais l’intuition que ce roi devait certainement être l’ancien seigneur de la Grande Ville. Lorsque les hommes que nous voyons sur les murailles où leurs ancêtres avaient réussi à prendre la ville, ils crucifièrent certainement l’ancien seigneur. En montrant aussi ostensiblement sa statue, cela sonnait comme un avertissement à ceux qui seraient tentés de s’en prendre à leur cité.
Mais cette explication n’était pas tout à fait suffisante, car nous avions trouvé des sculptures du crucifié dans les ruines de nos anciennes villes. Rino pensait que l’individu crucifié avait effectivement existé, et qu’il s’était prit pour un dieu. Il avait peut-être même régné sur la grande ville, mais il fut battu par les nouveaux occupants de la ville, et crucifié ! D’après lui, le druide (ou prêtre comme il se nommait) des parias, était sans doute un ancien sympathisant de ce seigneur, et il avait dû fuir la ville après la mort de ce prétendu « dieu ». Ceci fait, les vainqueurs durent soumettre à l’esclavage les partisans politiques de cet ancien seigneur-dieu, afin de leur faire construire cette croix avec la représentation du faux dieu, en guise d’avertissement à tous ceux qui seraient tenté de croire encore en lui.
Dans tous les cas de figures et d’hypothèses, nous pensions que cette monumentale statue ne constituait qu’un avertissement à tous ceux qui pourraient être tentés de croire à ce dieu-roi de pacotille, et l’avertissement était on ne peut plus clair : La mort en croix pour ceux qui se réclameraient de ce dieu de parias ! Et moi dans tout ça ? D’après le seigneur Marco, d’après maître Rufus, je devais obtenir la confiance du roi de cette ville, du crucificateur ! Aucun risque que je vénère un jour ou l’autre ce dieu de parias, et de ce côté, le crucificateur pouvait être tranquille, je n’avais nullement l’intention de m’abaisser à croire à un dieu pareil. Mais comment obtenir la confiance du roi de cette ville ? Comment le trouver et lui faire savoir qui je suis ? La ville est si grande, … j’avais beau réfléchir, je restais dans l’expectative ; tout à coup, il m’apparût qu’il fut sans doute plus simple et moins risqué de découvrir la ville de la légende que de trouver son roi au milieu de celle-ci !
Je restais seul avec mes interrogations tandis que mes commandants sécurisaient notre campement en organisant de grosses équipes de veille afin que tour à tour, nous puissions dormir un peu. Toutes ces cloches, tous ces rassemblements aux palais nous donnaient l’impression que le peuple de la grande ville avait pu comploter pour nous surprendre durant la nuit. Et si les guerriers de cette ville voulaient notre peau, nous n’avions plus qu’à compter sur la rapidité de nos montures. Etrangement presque, la nuit se passa sans aucun heur.
Tôt le lendemain, nous reprîmes la route afin de trouver un passage nous permettant de traverser le fleuve, car certains champions ne savaient pas nager. Il nous fallut remonter son cours jusqu’à un village de pêcheur. Là, je fis pression pour que leur chef nous autorise à user de ses barques pour traverser. Arrivé de l’autre côté avec nos montures, nous prenions le chemin inverse jusqu’à la ville mythique. A nouveau, nous longeâmes les murailles jusqu’à la mer. Tout était parfaitement homogène, les murs ne présentaient aucun point faible. Et même si on était tenté d’attaquer par la mer, une muraille derrière le bourg portuaire bouchait l’accès à la large vallée qui menait à la cité !
Il m’apparut que le seul moyen de pénétrer dans cette ville était de le faire à la nage, par le fleuve qui pénétrait sous les murailles à l’est de la ville. Mais il se faisait déjà tard, nous avions usé une journée entière pour longer les murailles depuis l’est jusqu’à la mer. Nous montions ainsi un campement en bord de mer, assez loin des murs de la grande ville.
Le lendemain, nous reprîmes notre chemin en sens inverse, en laissant la mer derrière nous. Sur le soir, alors que nous avions atteint l’extrême est de la muraille, je décidais de dresser un campement bien en vue des vigiles de la ville, en guise de leurre, pour le déserter la nuit tombée. Il y avait toujours quelques personnes sur les murailles, mais elles avaient plutôt l’air de se promener. Lorsqu’il fit suffisamment noir pour qu’ils ne puissent plus nous distinguer, nous cachions nos chevaux dans un bois en retrait, et approchions du fleuve à pied. L’opération consistait à m’attacher à une corde et plonger. La muraille ne s’arrêtait pas au fleuve, elle le surplombait entièrement à fleur d’eau. Il fallait donc plonger et retenir son souffle jusqu’arrivé de l’autre côté. Je me promettais de faire une discrète reconnaissance de la ville et me laisser remorquer par la corde à contre-courant pour en ressortir.
Il faisait noir et nous ne fîmes pas un bruit. J’étais certain que personne ne nous avait vu. Alors je plongeais. La première heureuse surprise, si l’on puis dire, c’est que ces gens n’avaient pas installé de barreaux sous l’eau. Il y avait donc effectivement un accès, ridicule, mais un point faible tout de même. Après peut-être la distance d’une vingtaine de brasses, je vis une sorte de lueur et je sus que j’étais passé,... j’étais de l’autre côté, dans la Grande Ville de la légende ! Prudemment, je mettais la tête hors de l’eau pour reprendre mon souffle. Assez loin du bord, je ne sentais nullement le danger et restais prudent. A peine eu-je pris une respiration, voilà que tout à coup, le noir, le noir total, je perdis connaissance.
Lorsque je revins à moi, j’évaluais la hauteur du fin croissant de lune et m’aperçus que je n’étais pas resté trop longtemps sans connaissances. On ne m’avait pas assommé, je n’avais ni bosse ni maux de tête. C’était juste comme si je me réveillais après un vrai sommeil du juste. J’étais assis sur un banc, au centre d’une immense place ronde, certainement celle que nous avions repéré le premier jour. Elle était entourée de plusieurs rangées de colonnades monumentales. Devant moi, un palais qui défie l’imagination s’élevait vers le ciel. Sa façade était inondée d’une lumière agréable et absolument magique. Une lumière sans aucune source ! Pas de flamme, pas d’endroit plus lumineux qu’un autre, une illumination tout à fait parfaite et homogène de la façade de l’édifice, comme si l’édifice lui-même irradiait la lumière... Sur cette façade gigantesque trônait treize statues. Tout était construit en pierre, sauf le toit dont j’apercevais la coupole depuis la place, qui lui, était recouvert d’or. Derrière moi, une immense avenue où flottait une douce clarté, se prolongeait jusqu’au coeur de la ville, derrière le fleuve. Cette étrange clarté flottait aussi au dessus de la place, au dessus de moi... l’air était lumineux !
Un homme, plutôt âgé et tout de rouge vêtu, qui se tenait un peu à l’écart du banc, ne portant pas d’armes à part une canne métallique dont il se servait pour marcher, s’approcha de moi et engagea la conversation. Comme je n’y comprenais rien, je tentais une communication gestuelle tout en prononçant les paroles qui sont les miennes. Son air plus ou moins détaché de l’instant d’avant devint soudain vivement intéressé. Alors, fait incroyable, le même homme me parla dans ma propre langue. Certains marchands d’Aoste ou de chez nous parlaient ces deux langues puisqu’ils passaient parfois le col. Mais ici, si loin de chez nous, c’était incroyable !
- Je te souhaite la bienvenue, étranger. Puis-je savoir d’où viennent tous ces valeureux guerriers ? Commença-t-il.
- Des Alpes, au delà de Tourini, répondis-je, non sans étonnement.
- D’après ton idiome français, je dirai du nord des Alpes ?, rétorqua l’homme en rouge.
- Moi oui, repris-je, mais certains de mes hommes parlent votre langue et sont du sud des Alpes...
- Formidable, une alliance ! s’enthousiasma-t-il. De quels marchés est composée votre coalition ?
- Aoste, Domodosolia, et tous les marchés de la grande vallée au nord d’Aoste, après le col de Barnar. Mais ce sont de petites villes, tu ne peux pas les connaître.
- Au contraire, nous connaissons tout de même le visage de notre région ! Tu parles de la vallée où est sise la ville de Tourbillon ?
- Oui, exactement, mais comment peux-tu savoir ?
- Nous savons, c’est tout ! Et tu es ?
- Léopold Paralamo, champion des clans Alpins, fils de chef et commandant de cette expédition.
- Je t’en félicite, et c’est tout à fait remarquable. Cela fait fort longtemps que nous n’avions plus vu une expédition venir d’aussi loin. Crois moi, l’évènement est largement suffisant pour déranger le souverain de la cité. Je m’en vais donc le prévenir, et te prie de patienter quelque peu. Désires-tu attendre dans une pièce intérieure ?
- Non, merci, je vais profiter de ces instants pour apprécier le spectacle...
- A ton aise, je te laisse à ton observation, conclu l’homme, de façon tout à fait courtoise.
L’homme s’en alla et je restais seul au milieu de cette place gigantesque, ébahi par l’impensable : J’allais rencontrer le souverain de la ville de la légende, l’heure de vérité approchait, il fallait que je lui fasse bonne impression pour obtenir la confiance qu’il n’a accordé ni à Rufus, ni à Marco…
Je distinguais des gardes habillés étrangement en poste sur les grandes marches qui menaient au palais, mais à part eux, la place était déserte.
Après un instant, je vis un jeune homme qui s’avançait dans ma direction. Il poussait une sorte de chariot. Arrivé à ma hauteur, il en ouvrit une porte, en sortit une carafe de boisson chaude ainsi que de belles pièces de viande agréablement cuites. Ensuite, il ouvrit le tiroir du fond et en sortit des vêtements secs, de la meilleure facture qui soient.
Il dit simplement:
Sur ordre de Son Eminence Bardoso, l’homme avec qui tu as parlé tout à l’heure.
Il s’inclina légèrement, et à peine eu-je le temps de remercier qu’il s’en allait déjà... S’il y avait au moins quelque chose qui était clair, c’est que ces gens-là avaient le sens de l’hospitalité. Ils ne nous attaquèrent pas lorsque nous contournions la ville, et prenaient soin de leurs visiteurs ! J’étais certain que la nourriture n’avait pas été empoisonnée. S’ils désiraient me tuer, ils auraient pu le faire à n’importe quel moment, et je ne savais toujours pas comment ils avaient fait pour repérer mon entrée sous-marine. En tout cas, ma visite semblait suffisamment importante pour réveiller le Seigneur de la cité mythique !
Après un certain temps, que j’avais mis à profit pour manger et me parer de ces vêtements seigneuriaux, la garde entama un mouvement. Une énorme porte s’ouvrit sur la face du palais et une puissante lumière en jaillit. Je m’avançais en direction de la lumière, et l’Eminence Bardoso sortit du palais. Il descendit les grands escaliers, suivit de la garde vêtue de bouts de tissus bleu et jaunes assemblés tout à fait étonnamment. Il m’invita alors à le suivre, et nous montions l’escalier sous l’oeil de la soldatesque qui formait comme une haie d’honneur de chaque côté, hallebardes levées. Je m’adressais alors à l’Eminence :
- En quel honneur, la haie ?
- En ton honneur, me répondit-il ! Ce fut un exploit tout de même honorable d’arriver jusqu’ici après un si long voyage, non ?
- Eh bien ! Vous savez accueillir, vous !
- Merci.
Nous arrivions alors sous un immense porche, où se trouvaient d’autres hommes vêtus de rouge. Certains faisaient un signe étrange dans ma direction, … comme s’ils dessinaient une croix avec leurs doigts, ce qui ne manquait pas de m’inquiéter peu, venant de ce peuple de crucificateurs…, mais tout à coup, je vis l’intérieur du palais !!!
Savez-vous Barnabé qu’il est impossible de décrire ce que j’ai vu dans ce palais ?
(Note de Barnabé, scribe: Léopold me parlait souvent du palais du seigneur de la cité mythique. Dans une confusion de gigantisme qui lui donnait le vertige, il semblait y avoir plus de richesses et d’or dans ce seul palais que toutes les richesses qu’il pensait que la terre entière contenait.)
“Non Barnabé, je ne peux pas vous expliquez cela. Imaginez un palais d’une beauté parfaite. Eh bien vous êtes encore loin du compte. Là-bas, il n’y a pas que des richesses de choses de valeurs, mais aussi des richesses de beautés et d’une finesse qu’aucune main humaine de notre monde n’aurait été capable d’exécuter : Un étalage de raffinements. De la pierre ou du bois qui ne sont peut-être pas si précieux, ils arrivaient à les transformer de manière à les rendre unique. Ils sont si délicatement travaillés et ouvragés qu’on ne croirait tout simplement pas que telles choses puissent avoir été faites par l’homme!”
Je pénétrais alors dans ce palais, totalement hébété, et tout à coup, un des hommes en rouge dit d’une voix forte :
- A genou dans la maison de Dieu !
Là-dessus, un garde me donna un coup sec derrière les genoux avec le manche de sa hallebarde, ce qui me fit choir à terre. J’observais alors les éminences en rouge qui entraient dans le palais, et m’aperçus qu’elles aussi, faisaient un signe de génuflexion avant de poursuivre leur marche vers le centre de l’édifice. L’Eminence Bardoso jeta un regard dur au soldat, et m’indiqua de me lever pour le suivre.
J’entamais alors la marche la plus incroyable de ma vie. Sous des masses d’or, de pierres de grande valeur, de statues qu’on dirait vivantes, dans un bâtiment dont la pièce principale mesure des centaines de pas de long et de haut... Inimaginable ! Et cette lumière... La nuit était totale à l’extérieur, il n’y avait ni torches ni aucune autre source de lumière, mais la lumière était partout, elle habitait là ! J’avançais vers le trône du puissant Seigneur de la Grande Ville Légendaire ! Celui que même les habitants de la Cité appellent Dieu en s’agenouillant devant lui. Vêtu de blanc, il trônait au centre de l’édifice. De loin, je distinguais une couronne blanche en forme de flèche pointant vers le ciel. Je demandais alors à mon Eminence si c’était vraiment Dieu ?
- Non, me répondit-il sans hésitation. C’est le palais, qu’on nomme basilique, qui est la demeure de Dieu. Le souverain pontife est le représentant de Dieu sur terre, mais humain comme toi et moi.
Lorsque nous fument à une trentaine de pas du trône, nous nous arrêtions à nouveau.
Le grand souverain me signa avec deux doigts depuis sa place, comme les hommes en rouge, … décidément, la crucifiction semblait être une idée fixe chez eux ! Puis, il prit la parole :
- Léopold Paralamo si mes informations sont exactes ? Je te souhaite la bienvenue à Rome.
- Rome ?
- C’est ainsi que se nomme cette ville depuis toujours. Quant à moi, je suis Paul XII, souverain pontife de l’Eglise du Dieu vivant, ainsi que gardien du Saint Siège.
Je n’ai rien compris à son histoire d’église et de sièges, mais j’avais au moins appris le nom de la ville et celui de son chef.
- Très honoré, repris-je tout de même, mais qu’ai je fais pour mériter ta bienveillance ?
- Pour l’instant, rien. Mais nous n’avons jamais l’occasion de recevoir des visites de coalitions entières venant d’aussi lointaines contrées. Peut-on me dire à quant remonte la dernière visite coalisée du nord des Alpes ?
Un homme, vêtu d’une robe noire cette fois, et qui restait toujours deux pas derrière le Grand Seigneur Paul, répondit :
- Voilà 104 ans, une expédition de 78 guerriers étaient venus de la ville de Salzbourg et des clans alentours.
Le pontife reprit:
- Tu vois, personne ici présent n’a jamais vu des hommes coalisés venir d’aussi loin. Il y a 104 ans, personne n’était né. Ceux qui viennent ici ne sont en général que de pauvres hères qui arrivent épuisés, et ne font pas de tels trajets.
- Mais c’est faux, m’exclamais-je dépité à l’idée que Rufus ait pu me mentir ! Je connais des hommes qui sont venu il y a moins de temps que ça, dont un qui est venu avec son armée !
- Oui, acquiesça le Souverain, mais je te parle de coalitions et d’alliances, pas de bandes de guerriers ! Ta coalition de guerriers provenant de plusieurs marchés et de nombreux clans n’a rien à voir avec une équipe de mercenaires. Tout cela pour vérifier un rêve ? Exceptionnel ! Mais je doute que tu sois parvenu à former cette coalition, tu me sembles bien jeune.
- A vrai dire, c’est mon père, chef des Nendars, sous l’influence de maître Rufus, qui organisa cette expédition.
- … Rufus, cela me dit quelque chose…, ah oui, sacré Rufus, n’a-t-il pas à voir avec le fameux seigneur de guerre Marco Fallacio ?
- C’est exact, Rufus était son maître, et il vous transmet ses humbles salutations.
- Merci, c’est bien gentil à lui, … mais… ton père doit être un homme bien sage pour être arrivé à former une pareille coalition dans votre monde chaotique ! Pourquoi a-t-il confié le commandement de l’expédition à son fils ?
- Père souhaitait que je commande cette épopée, mais les autres clans n’ont pas accepté sans combats. Tous mes guerriers sont en effet les champions de leur clan. Nous avons donc dû en découdre d’abord entre nous pour connaître le vainqueur, qui devint le chef de l’expédition.
- Et grâce à l’enseignement de ce bon vieux Rufus, tu as triomphé de tous ? Ta capacité au combat est donc phénoménale, au vu de la brutalité qui sévit dans vos sociétés ?
- Souhaites-tu me mettre à l’épreuve ? J’accepte un défi contre tes trois meilleurs guerriers en même temps, lui dis-je, pour essayer de conquérir sa confiance.
Le pontife, amusé, rit de bon coeur, avant de rétorquer, jovial : - Je t’aime bien mon petit, et je pense que tu battrais peut-être mes cinq meilleurs soldats, inutile donc de me prouver quoi que ce soit. Mais,... pourquoi une telle expédition ?
- C’est de la reconnaissance, nous voulions savoir si la Grande Ville existait vraiment.
- Ah oui ? Mais pourtant, Rufus ainsi que Marco pouvaient répondre à cette question, la Grande Ville existe bel et bien ! Et de toutes façons, que cela va-t-il changer, que tu l’aies vue toi aussi ? Tu penses que ceci changera quelque chose au monde du Chaos ?
- Nous souhaitions simplement trouver des réponses à toutes ces légendes de l’ancien monde, et nous voulions voir ce à quoi pouvait ressembler une ville survivante du Chaos.
- Eh bien, moi je n’y crois pas une seconde ! Pour réunir une telle coalition, ton père a certainement dû entreprendre des efforts sur plusieurs années. S’il a été capable d’une telle diplomatie dans autant de clans, il est aussi capable d’élaborer un projet. Car il a un atout de poids : Toi, son propre fils, champion des champions capable de commander les guerriers d’une multitude de clans ! Je pense qu’il attend de toi que tu mènes son projet à terme. Pour cela, il fallait que tu prennes le commandement de cette expédition, que tu réussisses, et qu’on ne parle plus que de toi dans la toute ta vallée. Une fois que tu auras acquis ce prestige, il souhaite certainement poursuivre son entreprise. Tu ne vas tout de même pas rentrer dans ton clan, donner l’information et en rester là ?
- Nous n’avons pour l’instant prévu aucune suite à cette expédition, mais tu ne penses pas que je vais en rester là ? Et puis, comment connais-tu les projets de mon père ?
- Je ne les connais pas. Simple déduction ! Je n’imagine pas qu’un homme qui ait réussit à former pareilles alliances dans votre Chaos, envoie son fils dans une expédition aussi risquée juste pour vérifier et trouver des réponses qu’il a déjà sous la main ! Et puis, un homme qui a côtoyé aussi longtemps maître Rufus a de toute façon une idée derrière la tête. Il a une vision, mais ne pourra la mettre en oeuvre que si tu rentres vivant.
- Pour te dire la vérité, mon père et maître Rufus ont effectivement une vision, celle de l’union, qu’ils élaborent depuis bien longtemps. Et il s’avérait que seule la Grande Ville pouvait nous réunir.
- Le contraire m’aurait étonné, et sache que j’apprécie ta réponse sincère. Dis-moi Léopold, le monde d’aujourd’hui est-il à ton goût ?
- Pourquoi cette question ?
- Je veux dire, la société dans laquelle tu vis est-elle à ton goût ?
- Après avoir vu ce que je vois maintenant, je doute que le monde que j’ai connu jusqu’à ce jour continue à être à mon goût !
- Merci, tu parles sans détours et j’aime cela. Tu rêves d’un monde plus grand que celui de vos marchés ? Tu rêves de conquêtes. Me tromperais-je ?
- C’est exact, tu es implacable !
- Je connais un peu vos lois et la nature humaine, et je crois que si tu es devenu le champion de plusieurs marchés, tu ne souhaiteras pas rester toute ta vie l’homme qui a découvert la cité mythique. Ton rêve le plus fou n’est-il d’ailleurs pas de conquérir Rome un jour ?
- Je suis loin de là...
- C’est un fait ! Mais voilà tout de même trois jours que ta troupe inspecte notre enceinte à la recherche d’une possible brèche. Tu peux être un conquérant Léopold, et si tu étais plus sage, peut-être pourrais-tu rebâtir un monde. Mais pour lancer les ponts d’une nouvelle civilisation, encore faut-il être vertueux, tandis que pour conquérir Rome, il te faudra bien plus qu’une coalition de quelques marchés ! Tu devras être digne de la confiance que tes hommes te porteront. Es-tu un homme vertueux ? Respectes-tu scrupuleusement la loi ?
- Nous n’avons certainement pas les mêmes lois que chez vous.
- Certes, mais sans connaître nos lois, tu ne peux pas les respecter. Je te demande donc si tu respectes les lois des clans ?
- Celles-là oui, et scrupuleusement comme tu dis. Je suis chef militaire, il est de mon devoir d’avoir une attitude sérieuse par rapport à nos lois !
- C’est tout à ton honneur, et… je te connais mieux que tu ne le penses.
- Rome est effectivement une ville tout à fait splendide et d’un attrait certain pour un conquérant. Mais d’un autre côté, je n’ai pas envie de finir comme l’ancien seigneur de la cité.
- Comment cela ?
- Le roi que vous avez crucifié pardi ! Vous en exhibez la statue bien haut d’ailleurs.
- Tu as raison,… j’ai crucifié ce roi, mais toi aussi tu l’as crucifié, comme tous les hommes vivant dans ce bas monde.
- Je ne comprends pas ?
- Ce roi est Dieu. Il est venu sur terre il y a bien longtemps. Il a passé sa vie à faire le bien, guérir les hommes de toutes sortes de peines et souffrances, rappelé des morts à la vie. Ce crucifié a créé le monde, Il y est venu pour aider les hommes à y vivre convenablement et fraternellement. Les hommes l’ont cependant rejeté et crucifié. En mourant sur la croix, Il prit tous les péchés des hommes sur lui, et pardonna à ses bourreaux ainsi qu’à nous tous. Car nous sommes ses véritables bourreaux : Chaque fois que nous nous laissons aller au mal, c’est un peu comme si on le remettait sur Sa croix. Le symbole de la croix nous rappelle l’Amour qu’Il a pour les hommes, car Il l’avait dit Lui-même, « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ».
- C’est pittoresque, mais un dieu ne peut pas mourir, surtout s’il a créé le monde, c’est idiot !
- Lorsqu’il est venu sur terre, il est né comme n’importe quel enfant. Il a connu la condition humaine et ses souffrances jusqu’à la fin. Cependant, trois jours après Sa mort, comme ultime preuve de Sa nature divine, Il ressuscita. Il a vaincu la mort.
- Et Il est où maintenant ?
- Quarante jours après Sa résurrection, Son corps fut emporté dans les Cieux. Là où se trouve Son royaume. En s’élevant, Il nous laissa toutefois un dernier message : « Je suis avec vous tous, tous les jours, et jusqu’à la fin du monde ». Ainsi, aujourd’hui tu ne Le vois plus, mais Il demeure dans chacun de nos coeurs, et ces basiliques sont les lieux Saints où l’on se réunit pour Le prier. Il est là, Il entend et voit tout, Il te connaît mieux que toi même. Il espère que ta vie soit bonne afin de pouvoir t’accueillir dans Son royaume lorsque la mort aura eu raison de ton corps.
- Incroyable histoire, mais intéressant…, quoique, je l’ai déjà entendue il n’y a pas si longtemps de la bouche d’une sorte de druide, habillé en robe, comme toi. On ne l’a pas trop prit au sérieux d’ailleurs…, un dieu crucifié par les hommes, ça me semblait loufoque comme idée.
- C’est ainsi que cela fut. Quant à moi, je crois en toi, en tes capacités, en ta vertu, même si elle est encore loin de ce qu’on pourrait appeler morale. C’est pourquoi j’ai décidé de te faire don d’un objet tout à fait particulier.
Le souverain se leva alors de son trône pour s’approcher de moi. Un jeune homme arriva en portant un coussin sur lequel était présentée une épée. Faite d’un même acier, du pommeau au bout de la lame, sa simplicité lui donnait une apparence de robustesse à toute épreuve. Sa sobriété la rendait belle, encore plus belle que les épées ciselées de façon complexe.
Elle est pour toi Léopold, et uniquement pour toi. Prend-là.
Je saisis alors l’épée et au même instant, une sorte de force bleutée entoura toute la lame. C’était prodigieux, comme si une pure énergie courrait le long de la lame, crépitant même parfois en de minuscules étincelles.
- Qu’est-ce que cela ?
- C’est l’arme noble des guerriers, mais celle-là est puissante, et elle respecte nos lois. Cette épée, baptisée “Renaissance”, obéit à certaines règles fondamentales que Dieu nous a légué. Elle sera tienne tant que tu respecteras ses préceptes. Je souhaite que tu puisses t’en montrer digne. Dépose-là à l’intérieur du fourreau. C’est maintenant ton épée, personne d’autre que toi ne pourra la tenir entre ses mains.
- C’est de la sorcellerie ou quoi !?
- Non, c’est juste scientifique. D’ailleurs, c’est une pièce unique. Un concentré de technologies qui a demandé un travail époustouflant à nos savants. Mais il ne servirait à rien de t’en expliquer le fonctionnement, car tu n’y comprendrais pas un traître mot. Moi-même je m’y perds. Quoi qu’il en soit, si tu peux rester vertueux dans ce que tu entreprendras, je n’aurai pas à regretter l’offre que je t’ai faite.
- Je te remercie, mais pourquoi tant d’attentions ?
- Parce que nous attendons désespérément un homme ayant la force et le courage de lutter contre le Chaos, et le vaincre. Rufus espérait que tu obtiennes ma confiance ! Par ce don, je t’accorde la confiance qui n’a été donnée ni à Rufus, ni à Marco !
- Merci, mais pourquoi moi et pas eux ?
- Pour tout un tas de raisons qui nous regardent, moi et mes prédécesseurs. Au lieu de ça, nous leur avons confié une mission à chacun, et je constate aujourd’hui qu’ils ont réussi. Marco a abouti dans sa quête lorsqu’il t’a trouvé lors de son passage à Tourbillon, et Rufus s’est bien débrouillé dans ton éducation.
- L’éclair aux pieds de Marco et la grande voix à Tourbillon, c’était toi ?
- Oui, répondit le souverain, puis, amusé, il rajouta : - Marco avait hurlé assez fort son dépit pour qu’on l’entende jusqu’à Rome…
- Je ne te crois pas !
- Tu as raison, m’enfin, j’ai eu pitié de lui, il voulait un signe, alors on lui a donné un signe… Ne m’en demande pas plus à ce sujet, on a tous nos petits secrets, non ?
- Bon d’accord, vous arrivez à produire des éclairs et à causer depuis le ciel, je ne demande pas d’explications. Mais une autre chose me tarabuste, tu dis que vous attendez désespérément un homme ayant la force de lutter contre le Chaos, mais c’est fou…, un homme ne peut pas lutter contre le Grand Chaos !?
- Tu le penses maintenant, espérons que tu t’aperçoives un jour de ta méprise.
- Alors pourquoi ne luttez-vous pas vous-même contre le Chaos ? N’êtes vous pas mieux équipés que moi pour un boulot pareil ?
- Notre histoire est compliquée. Vous êtes des enfants, encore des bébés, tandis que nous sommes des vieux dinosaures d’une civilisation engloutie. Nous traînons derrière nous une histoire dont vous n’avez même pas idée, tandis que vous venez de naître. Tu as la fraîcheur et l’impétuosité, nous avons la sagesse et la connaissance. Les hommes du Chaos ne comprendraient pas notre langage, tandis que toi, ils te comprennent. Tu n’as pas des milliers d’années de décalage de civilisation avec ce monde. Nous mêmes, vivons dans un autre monde, encore incompréhensible pour vos peuplades.
- Je ne comprends pas bien ce que tu me dis, mais je veux bien y croire. Seigneur Paul, j’avais des questions sur le monde d’avant le Chaos... mais ici, j’ai tout oublié, cette demeure m’empêche de réfléchir, tout cela, tout cet or... D’ailleurs, où avez-vous bien pu trouver autant d’or?
- Dans le monde entier. L’or fut la cause de nombreux crimes. Pendant que vous étiez dans votre Chaos, nous avons débarrassé le monde de son or. L’or du monde est là où il sied qu’il soit : à Rome, et il orne les demeures de Dieu. Nous avions aussi reçu de grosses quantités d’or de la part des banques centrales des nations lorsqu’elles ont périclité et que s’est installé le Chaos.
- Des banques centrales ? Je n’y comprends rien, votre dynastie existait déjà dans l’ancien monde ? Comment est né le Grand Chaos ?
- Il se pourrait bien que nous existions déjà avant le Chaos. Quant à la source de celui-ci, c’est une histoire fort complexe, mais je peux te donner une piste qui a accompagné l’homme dans son déclin. L’esprit de l’homme était gravement malade. L’esprit est ce qui distingue l’homme de toutes les autres espèces. Les hommes peuvent se battre, trouver leur nourriture, se reproduire, construire un foyer. Mais cela, toutes les bêtes le font aussi, car chacune de ces activités ne dépendent pas de l’esprit. L’instinct de survie peut à lui seul résoudre ce genre de problèmes, et tu en es la preuve. Mais regarde le Chaos, et par opposition, observe ce qui t’entoure. Y vois-tu une quelconque utilité à disposer de tant de sculptures, de peintures, et d’oeuvres d’art ?
- A vrai dire, tout ce que je vois ici m’édifie et réjouit mon oeil, mais je doute que cela puisse être de quelque utilité que ce soit dans la vie courante.
- Tu as bien dit. Tout ce que tu vois ici ne sert à rien pour la survie de l’espèce humaine. Tout cela serait donc inutile, et c’est vrai pour le corps. L’art est inutile en soit, mais grâce à l’art, l’homme marque le pas visiblement sur toutes les autres espèces. La grandeur d’esprit de l’artiste ne se situe pas au niveau de nos nécessités vitales, elle produit de l’inutile. Cela, ta civilisation a encore de la peine à le comprendre. Toi, tu commences à saisir le sens de mes paroles car tu as bien dis que ces oeuvres réjouissaient ton oeil, preuve que malgré le Chaos, une petite flamme d’humanité est restée en l’homme. L’esprit est l’expression la plus haute de l’espèce humaine. Si l’esprit meurt, l’homme retourne au stade animal, menant une vie strictement concentrée sur ses besoins instinctifs et ses désirs primaires.
- C’est ce qu’il s’est passé ? L’homme n’a plus été capable de voir plus avant que cela malgré toutes les oeuvres qu’il avait sous les yeux ?
- Dans l’ancien monde, il y avait un proverbe qui disait que le rire est le propre de l’homme, cela pour signifier que les hommes ont des émotions qui leur sont propres. Vers la fin, certains prétendirent que les bêtes pouvaient rire, pleurer et avoir les mêmes émotions que le genre humain.
- C’est vrai ?
- Là n’est pas le problème, mais tout à coup, on faisait mentir le proverbe.
- Et qu’est-ce que les anciens hommes on alors trouvé de propre à eux ?
- « Le propre de l’homme pourrait se réduire grossièrement à trois choses. Des choses dont aucune autre espèce vivante n’est capable. »
« La première était bien sûr l’art, car d’essence inutile pour nos besoin et désirs instinctifs, primaires et fondamentaux, l’art est sensé dépasser les concepts matériels. Il aurait normalement dû être le propre de l’homme, mais l’esprit humain devint si fou que leur art ne ressemblait plus à rien. En l’an 1’910 de notre calendrier, un homme respectable fit peindre une oeuvre par un âne. Il ne comprenait pas les nouvelles formes picturales, et décida alors d’avoir l’opinion des spécialistes sur cette oeuvre. Il plaça simplement une toile vierge derrière la bête, qui la badigeonna avec sa queue trempée dans des pots de différentes couleurs. La toile fut inaugurée par les autorités, et les spécialistes de l’art s’enflammèrent pour saluer ce chef d’oeuvre... Sans savoir, bien sûr, que c’était en réalité l’expression artistique de la queue d’un âne... C’était un peu plus d’un siècle avant le début du Chaos. »
- C’est impossible, même moi je pense être capable de peindre mieux qu’un âne !
- Oui, c’est absurde, mais le monde d’alors était devenu absurde. L’art n’était ainsi plus le propre de l’homme ! Ou plutôt, il faudrait dire : Les hommes soutenus et applaudit par les autorités et autres spécialistes devinrent incapables d’art, tandis que les artistes encore sain d’esprit étaient ignorés et rejetés du monde des arts ! La décadence de l’esprit pouvait se remarquer dans toutes les formes artistiques, comme la « littérature » (je ne comprenais pas ce mot mais mon scribe me l’a expliqué plus tard), l’architecture, la sculpture, la musique, les comtes... Leur esprit était devenu fou.
- C’est incroyable ! Et alors, le propre de l’homme ?
- La paix. L’humain est la seule espèce détenant la capacité de résoudre des conflits par le dialogue, la conviction, et la sagesse du compromis acceptable, la diplomatie et le respect de soi. Nous sommes les seuls, non seulement capable de paix, mais aussi de créer la paix.
Sur le coup de ce genre d’explication, je m’emportais un peu en répondant au grand seigneur : - Et tu crois que je suis un type qui va promouvoir la paix ou quoi ? Si c’est ça que tu attends de moi, tu te trompes de cheval ! Les hommes sont fait pour la guerre et le combat viril bordel de merde ! Et tous ceux qui disent le contraire, tous les promoteurs de la paix ne sont pas pacifistes par conviction, mais par lâcheté et couardise ! Ceux qui aiment la paix ne l’aiment pas pour l’amour de la paix, ils l’aiment uniquement parce qu’ils sont faibles ; toutes les autres explications, c’est des conneries inventées par des pleutres pour rassurer leur conscience face à leur propre lâcheté, pas par des vrais hommes.
Paul XII sourit à mon indignation, et calma mon trouble en me donnant l’exemple d’un homme courageux et brave qui avait promu la paix :
- Calme toi Léopold et répond à cette question : Pour englober autant de clans dans un même et unique projet, ton père a sans doute dû passer des accords de non-agression et de défense mutuelle au sein des clans qui font partie de ta coalition, non ?
- Oui, notre région est plutôt calme depuis quelques années.
- Et ton père n’est ni un lâche ni un pleutre n’est-ce pas ?
- Manquerait plus que ça !
- Et voilà…, ton père, tout en étant sans doute un fameux guerrier, puisqu’il est chef de clan, a su promouvoir la paix dans votre région, sans avoir peur de faire la guerre si besoin l’est ! Ainsi, la paix, ou l’organisation de la paix, fait partie du propre de l’homme. Mais avant le Chaos, les plus grandes puissances du monde n’y croyaient plus, et préféraient la guerre. Les hommes avaient perdu cette capacité de paix, et elle ne faisait plus guère partie du propre de ces hommes là.
- Bon d’accord,…mais pourtant, j’ai retrouvé une reliure de feuilles manuscrites avec des images, dont une qui semble représenter des soldats pas bien méchants !
- Détrompe-toi, ils étaient puissants, et capable du pire.
- Mes images représentent aussi une immense colonne de fumée surmontée d’une sorte de boule de feu, qui elle, atteignait les nuages. N’est ce pas Dieu qui s’est vengé de la folie des hommes?
- Non, les hommes ont créé leur Chaos tous seuls. Dieu, quant à Lui, reste le dernier propre de l’homme. Nous sommes les seuls à être capable de foi, de croire en ce qui ne se voit ni ne se sent. Cela semble être un phénomène dont aucune autre espèce n’y verrait d’utilité. Dans un monde organisé, Dieu n’est pas une évidence, et n’apparaît pas utile à la survie de l’espèce de prime abord. Cependant, l’homme est le seul capable d’y croire. Mais qu’avaient fait nos ancêtres de cette capacité ? Les puissants détournèrent la foi pour utiliser les peuples à des fins qui n’avaient rien à voir avec le message de Dieu. Je pense que les humains de cette époque ne savaient tout simplement plus en quoi croire. Le monde était cruel, et si Dieu pouvait être utile à se donner du courage à la guerre, on l’utilisait ainsi.
- Ils ne croyaient plus en votre Dieu?
- Les disciples du Christ-Dieu étaient venus à Rome, ils ont été crucifiés, leurs adeptes donnés en pâture aux lions. Ils ont accepté l’arène aux lions pour ne pas renier le Christ, et nous transmettre leur message et leur foi. Lorsque les persécutions cessèrent, Rome rayonna et apporta le message du Christ à tous les royaumes de la terre. Grâce à la foi des premiers, une civilisation phénoménale fut créée. Puis, le coeur de l’homme s’est asséché, et Dieu devint un concept...
- Un quoi?
- Une sorte de formule. Mais pour répondre à ta question, je me demande moi-même quelle était la foi de nos ancêtres d’avant le Chaos. Elle était assurément en mauvais état. L’homme avait oublié Dieu pour ce qu’Il était, en le remplaçant par un concept utilitaire.
- Tu es un sacré philosophe en tout cas ! Mais c’est pas en devenant incapable d’art qu’on créé un Chaos!
- « Non, mais toutes ces oeuvres devenues fades et incompréhensibles, sans pour autant que l’homme ne s’en émeuve, nous donne déjà une idée sur leur degré de dérangement. Leur esprit était devenu fou et des hommes payaient même le prix fort pour acquérir de véritables laideurs. Après une longue maladie, les humains devinrent pires que les bêtes. Les animaux peuvent faire du mal, mais ils n’ont pas l’imagination nécessaire pour inventer un monde aussi atroce que celui bâti par nos ancêtres. L’homme s’étala alors dans l’abomination et la débauche, devenues des normes. Puis son esprit mourut pour ne subsister qu’à l’état de veille. Avec la puissance de feu des armes dont il disposaient, et compte tenu de l’état de leur désarroi, le Chaos ne pût que débuter... »
« Tu as sans doute de nombreuses questions, mais retiens déjà cet humble enseignement : Tend ton esprit vers les valeurs qui ont du sens, qui te paraissent belles et vertueuses. Eduque ton esprit pour élever un monde plus beau, plus humain. “Renaissance”, ta nouvelle épée, t’éduquera dans plus d’humanité pour qu’à ton tour tu essaimes les bases d’une renaissance des hommes dans une civilisation digne de s’appeler ainsi. Tu n’as pas tant besoin de connaître l’ancien monde pour en créer un nouveau. Nous allons donc nous quitter Léopold, et je t’accorde ma bénédiction. Séparons-nous amis, car je crains que notre prochaine rencontre soit moins amicale. »
A peine le souverain eu fini sa bénédiction au nom de toute une famille, père, fils et un troisième dont je ne me souviens plus du nom, que je perdis à nouveau connaissance.
Voilà maintenant des années que j’ai tenu cette conversation avec le souverain Paul XII, et, chose tout à fait étonnante, chacune de ses paroles me reviennent en mémoire encore plus facilement que celles d’une conversation que je viens d’avoir... C’est comme si ses phrases et ses mots étaient restés gravés durant toute ma vie dans un coin de mon esprit. Sauf le dernier de la famille de la bénédiction. Les romains avaient semble-il une technique tout à fait mystérieuse pour endormir les gens sans les assommer. Je suppose que j’étais en train de me faire endormir lorsque le pontife termina sa bénédiction...
Je me réveillais à l’aube, et je vis mes compagnons d’arme de l’autre côté du fleuve, attendant toujours les trois secousses que je devais donner à la corde pour le retour. Je les appelais et ils me reconnurent, malgré mes nouveaux vêtements. Je leur ordonnais alors de retourner jusqu’au village de pêcheurs en amont pour effectuer la traversée à l’aide des barques.
Ainsi, seul, les attendant au bord du fleuve, je tirais l’épée que m’avait offert le seigneur Paul, “Renaissance”! J’avais à peine eu le temps de la toucher la nuit, que je reçu l’ordre de la remettre au fourreau.
Je la saisis alors délicatement, et la lame recommença à crépiter de cette mystérieuse énergie bleue. Je la tins alors vigoureusement pour tenter quelques mouvements, mais la lame s’agrandit tout à coup. A peine avais-je séré le pommeau dans ma main que la lame tripla de longueur sans toutefois devenir plus lourde. Je crispais encore un peu plus ma main et Rennaissance grandit encore. Je m’aperçus que plus je la serrais, plus la lame s’allongeait. Au maximum de ma force, je dirai que la lame pouvait mesurer facilement une cinquantaine de pas !
C’était inouï : Le métal se déformait et s’effilait à mesure que je serrais mon arme. Et plus la poigne était ferme, plus il me semblait que l’énergie bleue s’excitait elle aussi. J’essayais un mouvement pour me rendre compte de la maniabilité de l’arme : Elle était aussi maniable qu’une épée de taille normale, alors qu’elle était devenue vingt fois plus longue. L’impression était comme si l’air s’écartait pour laisser passer la lame ! Je portais un coup sur un arbuste situé à trente pas de moi. La lame traversa l’arbuste sans que je m’aperçoive d’une résistance quelconque, et il fut coupé net à l’endroit du passage. J’essayais alors la même manoeuvre sur le tronc d’un grand arbre. A nouveau, la lame traversa le tronc comme si elle traversait du néant, et l’arbre s’abattit par terre, d’une pièce ! C’était formidable, je pouvais couper un arbre du simple fait de passer mon épée par là, sans forcer le moins du monde. Le tronc était sectionné net alors que je n’avais même pas l’impression d’avoir touché quelque chose. Pareillement lorsque je tentais de pourfendre un rocher... La lame traversait toutes les matières sans y rencontrer aucune sorte de résistance. Je tirais encore ma hache de ma ceinture et laissais l’épée passer à travers le métal. Tout doucement, sans forcer, la lame traversait le métal. Lorsque les deux bouts de la hache furent entièrement séparés, j’examinais l’état des morceaux. Le fer n’avait pas été fondu ni brisé, il avait tout simplement été coupé net à l’endroit du passage !
Lorsque mes hommes revinrent, je leur montrais Renaissance. Nous passâmes encore une journée entière et je leur racontais toute mon aventure. Je ne pus guère leur donner des détails sur la ville elle-même, car on m’avait mystérieusement endormi durant tout le trajet. J’avais toutefois des informations sur le monde d’avant le Chaos, sur ces hommes tout puissants qui ont réussi à créé le Chaos pour le léguer aux générations futures, à nous... Non, ils n’étaient ni partis sur une autre planète, ni été punis des dieux, ils avaient organisé eux-mêmes ce monde pour, en fin de compte, l’échanger contre le nôtre, … le Chaos!
Rino, mon fameux adversaire devenu un de mes plus proches et meilleur guerrier, voulut essayer Renaissance. A peine l’eut-il empoigné que la fameuse énergie bleue apparût, mais sur toute l’épée, y compris le pommeau. Rino poussa un cri, l’énergie bleue entourait toute sa main. Il dû lâcher prise pour que tout rentre dans l’ordre. Il n’était pas blessé mais je m’aperçus que le seigneur Paul avait dit vrai : J’étais le seul qui puisse me servir de cette épée magique. Paul avait dit scientifique, mais je ne comprenais pas la signification de ce mot. Pour nous tous, Renaissance a toujours été considérée comme une épée magique.
Le soir, nous dressions le campement au sommet de la colline d’où nous avions observé la Grande Ville pour la première fois, Rome, et qui n’est, à partir de cette date, plus une légende !
Nous passions la journée à parler de cette fabuleuse découverte et négligions l’approvisionnement. Je m’apprêtais à envoyer une partie des guerriers à la chasse pendant que d’autres allumeraient les feux et prépareraient le camp. Mais un fait nouveau se produisit : Le pont-levis devant la grande muraille s’abaissa, et on ouvrit les portes de la ville. Une grande charrette s’avança dans notre direction. Arrivé sur le lieu, le cochet, qui n’était autre que le jeune homme m’ayant servi la veille durant la nuit et qui parlait francophone, stoppa son attelage, composé de 4 magnifiques chevaux noirs. Il descendit de la charrette, et me salua :
- Je te transmets les salutations de Son Eminence Bardoso. Puisque vous avez décidé de passer encore une soirée dans la région, il m’a prié d’apporter un en-cas pour tes hommes. Je t’ai donc préparé quelques uns de nos produits. Ils sont dans la charrette. De plus, Son Eminence te fait don de ces bêtes. Tu apprécieras ce présent, ce sont des pur-sang arabes issus de la meilleure lignée qui soit. Vous pouvez laisser la charrette ici lorsque vous aurez terminé, nous la récupérerons plus tard.
- Eh bien...!, lui répondis-je, confus, tu transmettras mes respects à l’Eminence Bardoso, et nos remerciements.
Le jeune homme redescendit la colline à pied, entra dans la cité, et les portes se refermèrent derrière lui, ces portes qui cachaient encore tant de mystères.
C’était tout à fait incroyable, je n’avais jamais vu de chevaux pareils et il me les offrait ainsi ! Nous levions la toile sur la remorque de la charrette pour en examiner le contenu. Ce fut un soir de fête, Bardoso nous avait gaté. Il y avait toutes sortes de poissons, des viandes diverses, mais aussi de la nourriture que nous ne connaissions pas, mais finement apprêtée.
On alluma les feux pour une grande grillade. L’éminence n’avait pas oublié d’enjoindre une série de vins tout à fait délicats, dont on ne s’en privait pas. Les chevaux étaient si grandioses, que je n’avais pu résister à la tentation d’en essayer un tout de suite. Il était foudroyant. Ces bêtes dépassaient d’une tête nos traditionnels chevaux Aplins. Leur poil était court et pour ainsi dire, policé. Ils développaient une vivacité et une force dont les nôtres en étaient incapables. Après quelques galops, leur sueur faisait reluire leur pelage et on devinait alors tous les mouvements de leurs muscles sous le cuir. Noirs comme l’encre qu’utilise Barnabé, ils avaient également un port de grands seigneurs. Ces chevaux semblaient même savoir qu’ils étaient les meilleurs. Leurs manières orgueilleuses, voire capricieuses, trahissaient la pureté d’une race de vainqueurs. Nous avions les meilleurs chevaux de la région d’où nous venions, mais cette race les ridiculisait tous. C’était en tout cas un fameux présent.
Dès la nuit tombée, Rome s’illumina à nouveau, et les cloches retentirent un peu après. Alors, tous les habitants de la Grande Ville se rendirent dans ces basiliques prier leur Dieu crucifié. Alors que nous étions repus et un peu alcoolisés, une impression de communion dans l’apothéose d’une découverte de premier plan conférait à notre groupe une sorte d’union sacrée. Entre nous, plus aucune division depuis que je tenais l’épée magique. Même Paskale, champion des clans de Maurice, qui fit partie du tournoi pour décider du commandement de l’expédition, ne semblait plus porter aucun doute sur mon rôle de chef. Je combattis Paskale dans des duels amicaux sans jamais perdre, et à vrai dire, il était difficile de savoir s’il était supérieur ou non à Rino, ils avaient d’ailleurs joutés plusieurs fois ensemble et le vainqueur alternait sans cesse, avec toutefois un léger avantage pour Paskale ; quant à moi, je rencontrais autant de talent chez l’un que chez l’autre, bien que Paskale se montrait nettement plus flamboyant que Rino. Durant le trajet de l’aller, je voyais que Paskale avait du mal à accepter son rôle de subalterne, se permettant même à l’occasion de contester ouvertement certaines de mes décisions. Mais depuis ce matin, alors qu’il avait lui aussi essayé de saisir Renaissance sans y parvenir, toutes sortes de résistances à mon autorité semblaient s’être évaporées. Il était un puissant guerrier, et si de plus, je pouvais en faire un véritable ami, alors quel ami !
De nuit, sous la grande croix et à la clarté de la lune, nous avions même fait une course avec chacun des purs-sangs de l’Eminence. Rino, Patrick, Paskale et moi-même, côte à côte au grand galop par devant Rome,... des souvenirs inoubliables.
Terminant la soirée tous ensemble, finissant les bouteilles du bon vieux Bardoso, on admirait la ville en contrebas. Et nous eûmes à ce moment vraiment l’impression que tout commencerait avec nous, comme l’avait dit Paul, le souverain de la ville. Le nom de mon épée, notre petite armée de champions qui avaient réussi l’impossible épopée, c’était comme si notre groupe constituait le centre et le début de tout ce qui allait advenir. Voilà une éternité que personne n’avait pris la peine de s’unir comme nous l’avions fait pour réussir pareil périple. Il nous fallait une petite armée rapide et efficace, et nous avions formé la meilleure qui soit. En fin de compte, nous réussissions ce que tous croyaient impossible et suicidaire. Après quelques discutions, Patrick eut une idée que tout le monde approuva. Sa théorie était que maintenant, ce soit l’an zéro. Personne ne s’y retrouvait avec les dates. On disait : je suis né en l’an 20 de mon père..., mais pour s’y retrouver lorsqu’il y avait plusieurs personnes, ce n’était pas évident. Patrick Fabian a dit qu’en ce jour, nous vivions le premier jour de l’an zéro, et que nous tâcherons de faire comprendre ça dans nos vallées !
En effet, il fallait que tous comprennent qu’ensemble, nous pourrions vaincre le Chaos et créer un nouveau monde. Nous avions réussi l’impossible, pourquoi ne pourrions nous pas réussir plus encore ? Le Seigneur Paul semblait y croire, lui, et même m’encourager dans cette voie. Et comme il l’avait si bien deviné, mon rêve le plus fou était bien de prendre Rome, cette ville, à mes pieds, dont je voyais les lumières s’étendre infiniment dans ces rues superbes. Si je pouvais prendre Rome, ce serai là l’ultime bataille, car si j’avais cette ville, j’avais le monde. A l’époque, c’était encore de la musique d’un avenir lointain, et cette idée était vertigineuse. Quoi qu’il en advienne, si je triomphais un jour des romains, je m’étais juré de traiter dignement ce peuple courtois et bienveillant.
Enfin, cette nuit-là, ne parvenant pas à dormir, je montais sur un des purs-sangs noir que m’avait offert Bardoso, pour vaquer le long de la Grande Ville. Je lui fis mes adieux tout en sachant que j’y reviendrai.
Nous quittions le lieu légendaire à la première heure, le lendemain, 2ème jour de l’an zéro. Les toits d’or des palais de Rome étincelaient sous les rayons obliques du soleil naissant. Ce fut la dernière image, éblouissante, que j’eus de la Grande Ville.
Dans l’après-midi, nous rencontrions un petit groupe de parias pas bien méchants, mais je fus tout heureux de pouvoir essayer Renaissance sur un adversaire humain. Je la sortis de mon fourreau tandis que la quinzaine de pauvres hères se terraient dans un creux du terrain. La lame se mit à crépiter et en resserrant mon emprise, je la fis grandir jusqu’à atteindre les individus. Ils voyaient les étincelles crépiter et en étaient terrorisés. Alors d’un coup, je fis une rotation et la lame passa d’un trait à travers chacun d’eux.
Stupeur ! Après avoir été traversés par Renaissance, il n’y avait pas une goutte de sang. Je descendis de ma monture pour me rendre compte de ce nouveau phénomène. Les parias étaient tous tombés à terre, mais ils n’étaient nullement blessés, ils n’étaient même pas morts, simplement évanouis ! Cette lame, capable de pourfendre un rocher, avait traversé ces hommes de part en part sans les blesser. Je desserrais l’étreinte de ma main autour du pommeau afin que la lame reprenne des proportions normales. J’enfonçais alors l’épée dans le coeur d’un des hommes à terre. Bon sang, j’avais beau lui triturer les boyaux, c’était comme si la lame passait, mais sans rien provoquer. Je la ressortis du corps, il n’avait pas la moindre cicatrice, et l’individu n’était pas plus mort qu’avant.
Face à ce prodige, j’ordonnais alors à mes hommes de les tuer et d’en garder un pour voir le temps que dure l’évanouissement.
A peine avais-je fini de donner cet ordre que Renaissance me provoqua un grand malaise. Je regardais l’épée et la force bleue avait entouré ma main. J’étais prit de secousses convulsives et je dû lâcher l’épée. La force bleue s’éteignit et j’essayais de ressaisir mon arme à terre. Peine perdue, elle était intouchable sous peine de dures souffrances. Je pensais alors à ce que m’avait dit le seigneur Paul. Renaissance obéit à certains préceptes de base du Dieu romain, et j’avais reçu ces secousses juste après avoir demandé à mes hommes de liquider les parias. J’annulais alors mon ordre et demandais de ne tuer personne. Je me penchais, approchais ma main de Renaissance, la saisi, et elle me reconnut. Je pouvais à nouveau la tenir.
Il ne fallait donc pas tuer les parias, ce devait être une de leur règle. En fait, cette règle existe aussi chez nous, sauf pour se défendre, car à cause de la malédiction, nous ne pouvions pas les attaquer pour les exterminer. Nous laissions donc là ces parias et poursuivions notre route.
C’était tout à fait étrange, Renaissance était comme vivante. Elle entendait mes ordres en acceptant ou refusant. En l’occurrence, elle m’avait bien fait comprendre qu’on ne touche pas aux parias ! Comme l’avait dit Paul, cette épée était en train de m’éduquer...
Le lendemain, nous repérions des brigands qui s’enfuirent lorsqu’ils estimèrent nos forces. Nous les prenions en chasse, et cette fois-ci, j’avais bien l’intention de faire grand usage de mon épée. Une soixantaine de brigands de grand chemin, de voleurs de bétail et de chevaux, de pilleurs et de tueurs. Cette fois-ci, j’allais pouvoir les découper correctement !
Crois le si tu veux Barnabé, la même histoire qu’avec les parias se reproduisit : Renaissance passait à travers ces individus sans les trancher, et tous perdaient connaissance. Alors j’eus un doute. Je me suis dis que Renaissance était peut-être tout simplement incapable de trancher de la chair ! Pour vérifier, je donnais le même ordre à mes guerriers, de tous les tuer. Mais tout s’est répété de la même manière. Je dû lâcher l’épée jusqu’à ce que je retire mon ordre.
Le message était clair: L’épée n’était pas incapable de trancher la chair, mais elle n’acceptait pas de tuer.
J’en avais évanoui une bonne douzaine, et les autres criminels avaient été appréhendés par mes hommes. Ces malfaiteurs disposaient eux aussi de montures. Nous décidions alors de les prendre avec nous, désarmés, attachés et bien entourés.
Je me demandais alors si Renaissance n’était pas un cadeau empoisonné. Si je donnais l’ordre de tuer, elle ne m’acceptait plus. Lorsque nous avions poursuivit les brigands, mes hommes en tuèrent quelques uns dans le feu de l’action. Mais une fois qu’ils furent prisonniers, il n’était plus possible de les égorger ! Dans de telles conditions, je commençais à me demander si je ne devrais pas purement et simplement me débarrasser de cette épée. Une arme qui refuse de tuer ne peut-être qu’un cadeau empoisonné... Cependant, je décidais de la garder comme preuve, jusqu’à notre retour chez nous.
Nous n’eûmes pas beaucoup d’affrontements les jours qui suivirent, juste quelques provocations de la part de certaines localités. Par contre, le 12ème jour de l’an zéro, nous nous retrouvâmes face à face avec les forces de Spézia. Cette fois-ci, ils n’avaient pas attendus pour nous prendre en chasse. Ils furent sans nul doute informés de notre passage, et établirent une sorte d’immense ligne de front devant nous. Une cavalerie d’au moins cinq cent hommes, en ligne, bouchant l’horizon, ils ne bougeaient pas. Je ne savais pas s’ils comptaient attaquer où tout simplement ne pas nous laisser pénétrer sur leur territoire. Dans ce cas, une négociation pouvait certainement avoir lieu.
Je m’avançais seul, sur Arabe. C’était le nom que j’avais donné au meilleur de mes chevaux noir. Le jeune homme qui m’apporta ces bêtes parlait de purs-sangs arabes. Je comprenais les mots purs et sang, mais je ne saisissais pas ce que signifiait le mot « arabe ». Ce devait certainement être quelque chose de très bien puisque ces chevaux étaient magnifiques. J’avais donc décidé de donner ce nom à l’une de mes montures.
La négociation fut très courte. Bartoloméo, le chef de Spézia, accepta mes conditions. Je lui demandais un combat entre moi seul et ses dix meilleurs guerriers ensemble. Si je triomphais, Bartoloméo s’engageait à nous laisser passer notre chemin. Si je perdais, il y aurait affrontement. La bataille fut réglée en un instant : Les dix hommes formèrent un cercle autour de moi, boucliers et épées au poing, mais lorsqu’ils furent assez avancé, je sortis Rennaissance, qui les évanouis tous en une seule rotation. Les guerriers tombèrent comme des masses de leur monture et ce phénomène fit grand effet sur le seigneur de la ville. Il ordonna le regroupement de sa cavalerie et je lui confiais les brigands que nous avions capturés. Il fut sommé de les juger et nous laissions ces bandits entre leurs mains. Ils seraient certainement tous tués le jour même, mais au moins, l’ordre n’émanait pas de moi.
En définitive, le voyage du retour fut relativement calme. Nous fûmes attaqués à plusieurs reprises, mais soit nous avions la possibilité de fuir, soit l’adversaire se retrouvait suffisamment effrayé par Renaissance pour abréger les combats. Nous perdions tout de même une vingtaine d’hommes dans des affrontements. Par contre, un bataillon entier d’une cinquantaine de guerriers disparut d’un seul coup dans une coulée de terrain, juste avant d’atteindre Aoste. Ce fut tout de même plus d’une centaine de nos champions qui arrivèrent à bon port, dans la ville alpine italophone.
Nous passions la nuit à Aoste, et tous les habitants écoutaient avec avidité le récit de nos aventures. Une vingtaine de champions des clans italophone étaient encore vivants. Vinniacci, ainsi que tous les autres chefs de clans voulurent venir avec nous pour une grande rencontre à Tourbillon, avec tous les chefs des clans valaisois. Le lendemain, nous arrivâmes à Bâtia avec la délégation d’Aoste et de ses villages. On envoya des messagers aux quatre coins de la vallée pour une grande rencontre le surlendemain à Tourbillon. La vallée était en effervescence, on ne parlait plus que de nous. C’était le 26ème jour de l’an zéro.
A peine arrivé, je retrouvais toute ma famille déjà installée à Tourbillon en prévision de la fête à venir. Après 3 lunes d’absence, j’eu le plaisir de voir que Sabrine avait prit quelques rondeurs et que sa grossesse se poursuivait sans encombres. Victorio me sauta au cou, tandis qu’Aurore me fit un joli câlin. Mais lorsque je vis père, à peine m’eut-il félicité que je demandais :
Rufus ?
Mon père fit « non » de la tête. Je m’enquis alors de ses dernières paroles pour les conserver en mémoire, mais Armadé me répondit qu’il n’était pas mort à Nendar, qu’il ne l’avait pas vu dans ses derniers moments.
Il est parti mourir seul hors du clan comme une bête et tu l’as laissé faire ?, m’emportais-je.
Léopold, calme toi, maître Rufus est mort à Rome, et a été enterré auprès des siens…
??? Je ne comprenais plus rien, comment avait-il pu aller à Rome dans son état, et d’ailleurs, comment mon père connaissait-il le nom de la ville de la légende avant même notre retour ?
Rufus était à l’agonie, expliqua mon père, c’était un soir, 66 jours après votre départ. Nous pressentions qu’il ne passerait pas la nuit, alors je décidais de le veiller pour que le maître ne meure point seul. Vers le milieu de la nuit, nous eûmes une sorte d’apparition. Un vieil homme, tout de blanc vêtu, entra dans la chambre, et dès que Rufus le vit, il se tourna pour tomber du lit, puis s’accrocha à moi pour se mettre à genou. Lorsque le vieil homme en blanc fut proche de nous, le maître lui saisi la main, embrassa sa bague, puis il dit : « Tu n’es pas Jérôme III, le pontife qui nous a reçu, moi et Marco ? ». Alors l’homme donna son identité : « Non, Sa Sainteté Jérôme III est morte, je suis Paul XII son successeur. Maître Rufus, ton disciple Léopold est actuellement en train d’attendre sur un banc de la place Saint Pierre à Rome. Je vais le recevoir en audience dans quelques minutes, et si tu le souhaites, je peux t’emmener dans la basilique pour assister à notre rencontre. Tu pourras voir et entendre ton protégé depuis un balcon, mais il ne devra ni te voir ni t’entendre, veux-tu ? »
Maître Rufus laissa une larme perler sur sa joue, et hocha la tête pour donner son accord. Alors le dénommé Paul XII poursuivit :
Ensuite, tu pourras mourir dans notre Sainte ville éternelle, et être enterré auprès de ta femme et de ton fils aîné. Ton second fils et ta fille sont toujours en vie, tout comme tes petits-enfants et arrières petits-enfants que tu n’as point connu. Ils demeurent tous à Rome et connaissent l’histoire de l’illustre ancêtre que tu es. Ils t’attendent et veilleront sur toi lors de ton trépas. »
Rufus semblait alors complètement égaré, confus, et demanda comment cela se pouvait-il ? Le pontife répondit qu’après son bannissement de la ville de Pari et la mise en esclavage de toute sa famille, les romains enlevèrent les siens pour leur donner une demeure et une vie digne dans la Grande Ville. La famille du maître resta reconnaissante à Rufus pour son exploit leur vie durant, et ils prièrent tous les jours pour ce père et ce mari qu’ils n’avaient que peu connu, mais qui leur avait permis de vivre dans la ville légendaire. Alors Rufus remercia en bredouillant et arriva à articuler : « Merci Seigneur, emmène-moi maintenant auprès de mon disciple dans la basilique et auprès de ma descendance à Rome. Armadé, aide Léopold, dis-lui la joie et la fierté que j’ai eu à éduquer un si brillant guerrier, adieu. » A peine Rufus eu fini de parler que les deux hommes disparurent de ma vue, d’un seul coup, et je me retrouvais seul dans la chambre, … c’est tout.
Ainsi, maître Rufus était présent dans la basilique lorsque le Grand souverain m’accorda sa confiance ! Je pense que Rufus en fut très heureux, non seulement pour moi, mais aussi de pouvoir mourir auprès des siens pour être enseveli avec les membres de sa famille, j’étais soulagé.
Restait bien sûr des inconnues : Comment faisaient les romains pour se déplacer si vite ? Père me disait qu’aucune machine volante ne s’était posée dans le village lorsque Paul XII arriva, et que les vigiles n’avaient ni ouvert les portes du clan ni celles de la citadelle. Le pontife était apparût, et avait disparût avec Rufus…, pour réapparaître quelques instants plus tard dans la basilique alors que je mangeais un repas sur la grande place ? C’était juste impossible, mais que signifiait le mot impossible pour cette civilisation ?
Je ne perdais toutefois pas trop de temps à chercher des explications que je ne trouverais de toutes façons pas, et me joignis rapidement à la grande réunion qui rassemblait tous les chefs valaisois et péninsulaires à Tourbillon. Les jours après notre arrivée furent ponctués de nombreuses fêtes et réjouissances, durant lesquelles nombres de valaisois purent connaître les récits de nos aventures, tandis que les chefs s’informèrent de la suite du programme, si toutefois il y avait un programme. Les 103 champions qui avaient survécu à notre expédition participaient évidemment aux discutions.
Armadé avait bien senti que le moment était propice pour pousser l’union encore beaucoup plus loin, car tous étaient fascinés par notre aventure et Rome. Pour la première fois, ils comprenaient la grandeur du monde, et que le Chaos était partout, sauf là-bas, dans la Grande Ville. Et puis il y avait l’épée, Renaissance, qui fascinait les foules. Mes hommes étaient respectés comme des héros, ils avaient fait que la Grande Ville n’était plus une légende mais la réalité. Moi, j’étais celui qui en apportait la preuve avec Renaissance. Là-dessus, je décidais de profiter de notre nouvelle popularité pour en appeler à une sorte d’union guerrière qui marcherait sur le Grand Chaos, comme l’avait prévu le seigneur Paul. Vu les divisions qui régnaient dans le monde, si nous étions unis, nous pourrions vaincre tour à tour chaque marché et clan qui se trouveraient sur notre passage.
Les discutions commencèrent sur la manière, le commandement, ainsi que la taille des troupes que les clans voudraient bien céder, mais je coupais court à de tels débats. Le principal était que les divisions entre nos clans s’estompent pour un projet plus immense, mais prématuré. Je proposais d’organiser de grands tournois inters-clans de toute la vallée, ainsi qu’avec les clans d’Aoste et de Domo, pour mettre sur pied une première armée d’élite d’un millier d’hommes.
Il est vrai que j’avais eu le temps de penser un peu à tout cela durant notre voyage de retour. J’avais déjà ainsi une petite idée de la composition de cette armée que je désirais voir naître. Une troupe d’élite de 1’000 hommes ne représentait même pas 4 hommes par clan. D’aucuns protestèrent déjà, désirant joindre une force plus importante.
Armadé soutint ma position. Il concéda qu’il valait mieux préparer une troupe de réserve particulièrement entraînée dans des combats de groupe ou d’espionnage. Raison pour laquelle leur entraînement prendrait plus de temps. Durant ce temps, les clans auront tout loisir de discuter des troupes qu’ils mettront à disposition. Armadé fit remarquer que cet effort commun devrait être récompensé, et que cette nouvelle armée, quelle que soit sa taille finale, ne devrait jamais oublier ses origines. D’autre part, il nota que les marchés et les clans devaient revoir complètement leur politique de défense. Car si nos territoires étaient privés d’une partie de leurs guerriers, il était impératif de s’unir non seulement pour la constitution de cette armée de conquête, mais également pour redistribuer les forces militaires à l’intérieur de nos régions. Pour tout cela, il valait mieux se concentrer sur une légère force d’élite, et ainsi, les clans auraient le temps de réaménager le reste.
Le mot fut lancé, chaque clan de Maurice à Brilg, et de Bâtia à Aoste commencèrent par envoyer à Tourbillon leurs 10 meilleurs guerriers. Armadé avait instauré des règles aux tournois. « Pour être de bons soldats, les guerriers doivent êtres capables d’obéir à certaines règles », disait-il. Après de longues épreuves, je sélectionnais, avec l’aide de père, ceux qui font partie maintenant de ma garde d’élite. Les 103 champions qui avaient vus Rome et qui remarquaient la constitution de cette unité étaient enthousiasmés. Cette petite armée ne devait toutefois que servir de réserve. C’était une des règles stratégiques d’Armadé : Toujours garder une force importante sans que l’ennemi en ait conscience. Elle ne devait intervenir que si l’armée régulière faiblissait sur un flan, était taillée en brèche, ou autres mésaventures. Pour cela, il fallait que nos réservistes soient d’une grande efficacité. Si chacun avait toujours un point faible, cela voulait dire que nous en aurions aussi. Cette unité avait pour but de renforcer le point faible, où qu’il soit, et au moment où il se présentera. Cela impliquait un effet de surprise, une grande mobilité, et un maniement de toutes les armes de jets ou de combat. Et il est vrai que sur toute la population valaisoise et des vallées du sud des Alpes, cette unité regroupait les meilleurs guerriers de l’arc Alpin. Ils étaient tous capables de se battre contre plusieurs guerriers moyens à la fois. Ce bataillon devenait tout à fait redoutable.
Cependant, moi aussi, j’étais devenu redoutable et redouté de tous, et pas à cause de ma puissance ni de ma taille, ou de la réussite d’avoir mené à bien cette épopée, mais grâce à Renaissance. J’avais été très partagé à l’idée de garder l’épée. Elle m’avait secoué à plusieurs reprises durant lesquelles je n’avais plus pu la tenir avant d’avoir annulé mes ordres. L’épée limitait donc mon pouvoir de décision, mais elle me conférait une aura que même le champion du monde n’aurait pas discuté. J’étais le seul à pouvoir la tenir en main. Ni mon père, ni mon fils, ni aucun chef ne pouvait la saisir. C’était comme si l’épée reconnaissait son maître et personne d’autre. Tant que Renaissance me reconnaissait comme le maître, personne ne pouvait contester cet état de fait. Dans l’inconscient de tous, j’étais devenu LE grand chef des Alpes, et personne ne songea plus à discuter de cela. Ce fut Armadé qui me conjura de garder cette épée vivante et d’obéir à ses lois. Je préférais être respecté pour ma puissance et mon ingéniosité, mais ce fut Renaissance qui me rendit intouchable.
Depuis mon arrivée, je n’habitais pour ainsi dire plus à Nendar car nous avions établi un camp d’entraînement en plaine, entre Conté et Tourbillon. La centaine de champions revenus de Rome, qui était certainement encore meilleurs que ce bataillon d’élite, s’occupait activement de leur entraînement. Quant à moi, j’entrepris de grands voyages à travers les Alpes en essayant à chaque fois de gagner un maximum de guerriers à notre cause, mais en imposant tout de même un minimum. Armadé ne m’accompagnait pas, car il passait beaucoup de temps avec ma centaine de champions. Tous ceux qui avaient vus Rome étaient destinés à commander des troupes, et père les entraînait aux implications stratégiques du combat. Tandis qu’eux, entraînaient mes guerriers d’élite à obéir et à se battre.
Plus tard, environ 6 lunes après notre retour, les grands mouvements des chefs commencèrent à travers tout l’arc alpin. Armadé présidait les assemblées de chefs et il réinventa la politique régionale. Les enlèvements de femmes furent déclarés hors la loi. C’était une règle que Renaissance m’avait apprise. Cependant, pour père, cela découlait d’une réflexion simple : Pour protéger tous les territoires avec un nombre restreint de soldats, il fallait être uni. Et l’union impliquait l’abandon de nos attitudes les plus propices à faire éclater des conflits internes. Donc plus d’enlèvements, plus d’annexion de territoires, plus de vol de sources ou de canalisations d’irrigation. Dorénavant, tout se réglera diplomatiquement entre les clans alpins. Une telle politique fut acceptée par presque tous les clans, mais le gros problème résidait en l’élection du chef. En effet, si l’arc alpin s’unissait, il fallait une unité de commandement. Ce fut une sorte de problème insoluble. Jusqu’à ce jour, chaque chef avait une autorité presque totale sur son clan. Cependant, que deviendraient-ils si un pouvoir supérieur pouvait leur signifier des décisions contestées. Merlandin, le chef du marché de Sièrs, eut alors une idée à laquelle tous adhérèrent : Il proposa la constitution de ministères. Chaque chef continuerait à régner sur son propre clan, mais chacun d’eux devait nommer un négociateur à Tourbillon. Le ministère de ces négociateurs serait de préserver les intérêts de la région Alpine et de leur propre clan. Si des décisions importantes devaient être prises, les négociateurs voteraient et la majorité valait commandement pour tous. Les chefs avaient obligation de respecter ce genre de décision. A vrai dire, c’était une idée tout à fait révolutionnaire. Les chefs avaient toujours été des champions, et voilà que tout à coup, ils pouvaient imposer des négociateurs qui n’avaient à priori remportés aucun tournoi. Cette proposition fit un peu peur à certains, car cela allait contre nos anciennes lois, mais finalement, je pense que la majorité des chefs furent plutôt satisfaite de pouvoir choisir eux-mêmes leur négociateur. De plus, il fallait que ces attachés ministériels soient en permanence à Tourbillon, cela pour une plus grande efficacité et rapidité dans les situations urgentes.
Plus le temps passait, et plus je pressentais que le souverain Paul avait raison : Nous pouvions vaincre le Chaos ! Dans les limites des frontières régionales, nous étions en train de remplacer le Chaos par une organisation formidable. Je participais aux palabres des chefs, et voyais mes forces militaires s’amplifier et s’organiser. C’était extraordinaire ! Nous n’étions plus des valaisois, mais en intégrant les clans d’Aoste et de Domodosolia, nous devenions simplement les « alpins ». Le peuple alpin, voilà comment nous nous désignions nous-mêmes dans les discussions : Le peuple alpin est capable de cela, le peuple alpin serait d’accord d’une telle proposition, le peuple alpin n’acceptera jamais ceci, etc. Ce n’était plus ni les aostiens, ni les Mauriciens ou les Bâtiastres, c’était tout simplement le peuple alpin...
Mon fils aîné, Victorio, qui avait maintenant passé 5 ans, venait souvent voir nos entraînements. Il sentait que quelque chose se préparait et savait que son père en serait le chef. Je le pris donc avec moi pour vivre dans le camp, et le laissait libre des plombs, malgré la tradition qui voulait que chaque jeune porte les plombs jusqu’à 14 ans. Je restais ainsi fidèle à l’enseignement de Maître Rufus, et c’est une véritable torture d’exercices en tous genre que je faisais subir à Victorio, les mêmes que je dus subir moi-même.
Petit à petit, des troupes entières venaient se mettre sous le commandement de mes 103 champions. La population alpine pouvait compter peut-être 140’000 individus, et nous réussîmes à fédérer presque 20’000 guerriers sans toutefois trop affaiblir les clans.
Il est clair qu’avec de telles troupes massées en plaine, les clans alentours ne tarderaient pas à souffrir de la faim, car ils devaient nous nourrir. Cependant, avant d’aller battre campagne, il fallait sécuriser complètement le territoire. Chacun de mes 103 champions commandait un régiment d’environ 200 hommes. Nous répartîmes des secteurs à chaque régiment et nous nous promettions de nettoyer toute la racaille qui sévissait dans nos contrées. Les parias m’avaient attaqué lorsque je m’entraînais seul avec Rufus, c’est pourquoi j’avais pu les tuer. Cependant, lorsqu’ils se trouvaient face à un adversaire plus puissant, ils ne prenaient pas le risque de l’attaque, et sans attaque de leur part, ils n’avaient en général rien à craindre, à cause de la malédiction. Renaissance m’avait aussi appris qu’il était interdit de tuer qui que ce soit de sang froid. L’armée reçu donc la mission de capturer tous ceux qui se trouvaient hors clans : brigands, parias et autres indésirables. Pour les loger, j’avais fait construire un immense mur à l’entrée des gorges de Borgnes. Nous appelions ce lieu « le trou ». Tous les bandits furent mis au trou, sans aucun espoir de pouvoir en sortir. Il y avait des postes de surveillance dans les falaises au dessus du trou, ainsi qu’un grand poste d’observation au sommet de la muraille qui barrait l’accès aux gorges. De là, nous leur lancions chaque jour quelques nourritures.
Malgré les protestations des clans, j’avais ordonné qu’on les nourrisse, et il en fut ainsi. Même si la nourriture n’était pas de la première fraîcheur, ils avaient au moins à manger et nous n’avions pas tué !
Il fallut 8 lunes pour sécuriser totalement le territoire alpin. Nos défenses les plus massives étaient positionnées à Maurice pour ne laisser personne prendre la vallée. Des hommes étaient disposés aux abords de tous les cols débouchant sur notre vallée. A Aoste et Domodosolia, la coalition des clans leur permettait une surveillance totale des contreforts sud des Alpes. Tout était donc en place, et la région assez sûre pour que n’importe quelle femme puisse voyager sans grand risque. Un peu partout, on voyait des gens s’entraider pour améliorer routes et autres voies de communication entre clans et marchés. Toute la population commençait maintenant à comprendre pourquoi nous appelions notre civilisation “Grand Chaos”. Mais pour en arriver là, il fallut l’histoire de la Grande Ville et surtout Renaissance comme preuve quasi vivante de la véracité de tous nos dires.
Le 120ème jour de l’an 2, la totalité de mes forces armées étaient prêtes au départ. L’armée était constituée de la sorte : Les lieutenants dirigeaient chacun une vingtaine d’hommes. Dans un régiment d’environ 200 hommes, il y avait une dizaine de lieutenants qui obéissaient à un commandant. Les commandants étaient les champions qui avaient déjà réalisés « l’épopée ». Il y avait 98 commandants, car j’avais gardé 5 champions pour diriger des divisions de plus de 4’000 hommes. J’avais confié ce poste aux champions qui avaient spécialement brillé lors de notre ancienne expédition à Rome et qui m’avaient apporté entière satisfaction : Rino, Paskale, Patrick, Marcello le vieux loup, et le jeune Sérafino qui entrait à peine dans sa 20ème année et qui essayait chaque jour de se surpasser pour toujours montrer le meilleur de lui-même. Les 98 commandants étaient donc sous les ordres de mes 5 généraux.
Quant à moi, je dirigeais les stratégies des 5 divisions et établissais les plans avec mon état major restreint, composé des 5 généraux ; ou de mon état major élargi qui comprenait mes 103 champions. Par contre, l’unité d’élite des milles meilleurs hommes des Alpes n’était sous le commandement d’aucun général. Seul moi pouvais dicter leurs actions. Ils devaient rester en retrait, n’intervenant qu’en cas de force majeure. Durant deux ans, les lieutenants, commandants, généraux et moi-même avions appris à communiquer sans nous entendre ni nous voir. Père avait créé une sorte de langage militaire au moyen duquel nous pouvions donner des ordres à des bataillons invisibles car trop éloignés. Il s’agissait d’une communication à l’aide de flèches flamboyantes. Les flèches étaient allumées à l’alcool, et tirées de manière à ce que leur nombre représente l’ordre donné. Il y avait ainsi une douzaine de manoeuvres stratégiques que nous pouvions comprendre et faire exécuter sans nous voir.
L’unité d’élite des mille était un bataillon entièrement monté, et leurs chevaux avaient été sélectionnés. Pour les 20’000 autres guerriers, nous disposions d’environ 5’400 montures. Chacune des 5 divisions de 4’000 hommes pouvaient compter sur plus de mille guerriers montés. Nous avions également à remorquer une vingtaine de catapultes, et des charrettes chargées de tonneaux d’alcool.
Tous massés à Maurice, nous nous apprêtions à envahir le monde !
Aucun autre marché ne se doutait que nous allions entreprendre une conquête pareille. Nous pouvions donc espérer bénéficier d’un effet de surprise. Nos frontières alpines étaient restées étanches depuis notre arrivée. Personne n’était entré et personne n’était sortit de la vallée, même les marchands. Le secret de la Grande Ville avait été jalousement gardé. Nous nous chargions nous même d’aller chercher le sel et autres nécessités au marché de Monty, qui se trouve proche du lac de Lémano. En plus de l’effet de surprise, nous pouvions compter sur notre écrasante supériorité numérique face à des clans aussi divisés. Et même s’ils étaient capables de créer des alliances éclairs, leur désorganisation les perdrait.
Le doute de la victoire n’était donc pas permis face au monde tel qu’il se présentait à nous. Cependant, je n’imaginais à aucun instant me présenter devant Rome avec une armée pareille. Nous pouvions mettre Spézia ou Tourini à feu et à sang, mais pour Rome, il me faudrait infiniment plus de forces que ces 5 divisions. Armadé pensait pouvoir palier à ce problème et c’est son enseignement que moi-même ainsi que tous mes lieutenants, commandants et généraux, avions choisi d’adopter. Il se résumait à ceci :
L’heure n’était plus aux négociations avec d’autres chefs, mais à l’imposition. En toutes situations, il fallait arriver à démontrer la domination écrasante de notre puissance pour obtenir une reddition totale et si possible, sans combat. Nous n’étions pas en conquête de territoires, mais en conquête de guerriers. Le but n’était pas de montrer une hostilité terrible et une soif de sang, mais justement essayer de gagner les chefs à notre cause en leur promettant que le jour venu, Rome saurait être reconnaissante de leur soutient. Le but ultime et avoué était bien la conquête de la Grande Ville. Ainsi, au lieu de laisser la dévastation derrière nous, notre armée laisserait un message d’espoir dans cette longue nuit ténébreuse où était plongée l’humanité du Chaos.
Nous sortîmes enfin de notre vallée.
Nous connaissions déjà un bon bout de la région du lac de Lémano, et notre premier échauffement sera contre le marché de Monty. En milieu de matinée, le gros de notre cavalerie encerclait déjà la ville. Les régiments à pieds ne tardèrent pas non plus, quant à l’unité des mille, comme nous l’avions appelée, elle devait être encore dans la vallée. Nous ne la voyons pas, elle fermait la marche pour n’apparaître qu’en cas d’alerte.
Une bonne heure durant, nous encerclions Monty et je restais à savourer pleinement cette nouvelle vie de voyages et de conquêtes. Qu’il était plaisant de les voir s’agiter derrière leur enceinte !
Alors que les troupes à pied commençaient à arriver, des guerriers de Monty entrouvrirent la porte de la ville. Une ambassade de deux hommes en sortit, pour parlementer. Je tirais mon épée du fourreau et en serrait le pommeau. Elle s’agrandit d’une quinzaine de pas, et traversa de part en part un des ambassadeurs, qui s’écroula de son cheval. Puis, je m’adressais au guerrier encore en état :
- « Je ne suis pas venu avec une armée pareille pour négocier ! Va dire à ton chef que nous n’avons pas de mauvaises intentions. Dis lui que nous avons découvert la Grande Ville de la Légende et que j’ai besoin de guerriers pour la conquérir. C’est d’ailleurs le seigneur de la Grande Ville qui m’a offert cette épée. Si ton chef coopère sans conditions, je saurai m’en souvenir. Cas contraire, nous brûlerons la ville car comme tu vois, nous disposons de catapultes à cet effet. Et tu peux ramasser ton ami, il n’est pas mort et se réveillera dans trois heures. Tu vois que mes intentions ne sont pas hostiles. »
L’ambassadeur s’en retourna dans la ville et il ne se passa pas longtemps avant qu’on nous ouvre les portes. Une division complète de quatre mille hommes investit la ville en se bornant à sécuriser les rues. Je fus reçu par leur chef, et lui expliquais ainsi notre aventure et notre manoeuvre actuelle. Puis, j’exigeais qu’il participe à notre effort de guerre en mettant à ma disposition un contingent de guerriers. Ses guerriers se rassemblèrent au dehors de la ville et je pris la parole face à tous pour qu’ils comprennent l’enjeu de notre campagne. Après quoi, je demandais que les jeunes guerriers ambitieux et souhaitant se joindre volontairement à une telle aventure s’avancent. Je jouais bien sûr de grandes démonstrations avec Renaissance pour ajouter crédit à mes dires. A mon étonnement, je m’aperçu qu’il y avait suffisamment de volontaires pour que je n’ai pas besoin de les choisir de force. Et un guerrier motivé vaut souvent plus qu’un champion démotivé...
Je prenais alors la tête de deux divisions et m’engageais dans le val qui grimpe au sud de Monty. De nombreux clans vivaient dans ce val, mais contre une force pareille, ces clans préféraient la discussion à l’affrontement. Car en cas de résistance, il ne pouvait qu’y avoir affrontement au corps à corps. Nous étions décidés à incendier tous les clans rebelles, et en cas d’incendie, ils n’avaient d’autres choix que de sortir pour se battre hors enceintes. Ils n’étaient pas de taille à affronter un combat rangé contre de telles troupes, et j’invitais bien gentiment les chefs et les guerriers volontaires ou forcés à nous suivre. Lorsque j’arrivais à Monty avec les chefs des clans du val, je leur imposais une nouvelle politique ayant pour modèle celle de notre vallée. Sécuriser le territoire, enfermer les nuisibles, arrêter les kidnappings, ouvrir de nouvelles routes et collaborer, échanger plus intensément entre les clans. J’expliquais alors aux chefs comment vivent aujourd’hui les habitants de notre région et les exhortais d’en faire autant. Le lendemain, je quittais la région avec 1’500 guerriers et 400 chevaux de plus, tous répartis dans les 5 différentes divisions. Mes commandants se chargeaient d’enthousiasmer les nouveaux en étant proche d’eux pour leur expliquer notre épopée légendaire et leur donner plus de détails sur cette ville mythique. De plus, en les dispersant dans différentes divisions, nous avions peu de risque de rébellion.
Nous prenions ainsi tous les clans et marchés jusqu’au bord du lac de Lémano. Villenouvelle céda sans combattre. Un peu plus loin, il y avait un grand marché entre montagne et lac, perché sur un promontoire, très bien situé et protégé. Il s’agissait de la ville de Montrey, fière et puissante. Ils nous voyaient arriver de loin, et c’était une véritable marrée guerrière que j’avais derrière moi. Ils firent mine de ne pas en être intimidés et refusèrent la reddition. Pour brûler une ville comme Montrey, il fallait plus que quelques flèches.
Les flèches étaient plutôt une distraction pendant que nous hissions les catapultes sous le feu de l’ennemi. Cependant, lorsque les catapultes furent en place, la victoire était évidente. Nous avions une grosse réserve de munitions. Il s’agissait en fait de balles en tissus rembourrées de pierres et qui trempaient dans de l’alcool distillé jusqu’à la plus grande pureté. Nous placions alors les balles dans le creuset des catapultes, les enflammions, et elles volaient sur la ville. Lorsqu’elles touchaient, elles éclataient et le feu jaillissait en toutes directions.
Quand la ville fut en flammes, nous n’eûmes plus qu’à cueillir les habitants au sortir des portes. Nous avions subis quelques pertes lors de ce premier affrontement, mais la victoire était complète. Il ne resta bientôt de Montrey, puissant marché de plus de douze mille habitants, qu’un tas de cendres fumantes. Toute la population mâle, du plus petit bébé jusqu’aux plus vieux individus, fut faite prisonnière. Je laissais les femmes se réfugier dans les clans qui jusqu’alors les kidnappaient. Quant aux mâles, je pensais les offrir comme esclaves aux prochaines villes qui nous fourniront des montures. Ainsi, il n’y eu pas de massacres, à peine quelques centaines de morts, tués par les flèches où le feu. Renaissance n’avait pas bronché dans ma main durant tout le combat. Je pouvais donc tuer en guerroyant, mais pas exécuter les prisonniers : Une nouvelle loi de la guerre bien sympathique pour les perdants !
La stratégie du brûlis devait nous faire gagner beaucoup de temps. Nous n’essayions pas de conquérir les marchés et les clans, mais nous cherchions des collaborations. Dans le Chaos, les collaborations n’avaient jamais été au goût du jour. Lors d’affrontements, il était relativement rare que les belligérants incendient des villes entières. Ils préféraient les soumettre. Cependant, cette méthode impliquait plus de morts dans nos rangs en essayant de pénétrer la cité. La technique de l’incendie fut donc adoptée pour gagner du temps et faire comprendre qu’aucune négociation n’était envisageable. Ils avaient le choix entre une reddition totale sans conditions, ou voir leur clan détruit et éparpillé. Dans la tête du chef, son affabilité était inverse à sa puissance. Moins il était puissant plus il était affable, plus il était puissant et plus il tentait de négocier des conditions, voire se montrer carrément agressif.
C’est ce qu’il se passa un peu plus loin. Veuvé était le marché suivant. Il se situait aussi au bord du lac, et devait compter un peu moins de quinze mille habitants. Cependant, nous avions perdus trois jours à installer notre matériel, brûler et faire prisonnier le clan de Montrey. Pendant ce temps, j’avais mandé mon unité des mille au devant de nous au lieu de fermer la marche. J’envoyais 15 petites escouades d’une vingtaine de guerriers en reconnaissance le long du lac, sur sol non encore soumis. L’incendie de Montrey se voyait de partout, et il n’était pas exclut que les marchés suivants tentent de s’organiser. Je préférais m’éviter des surprises et ces escouades discrètes étaient tout indiquées pour ce genre de mission.
Ainsi, en quittant Montrey encore fumante, je n’eus pas à regretter d’avoir fait espionner Veuvé et ses clans. Mes hommes m’apprirent qu’après avoir pris conscience que notre armée s’avançait aux abords du lac, de grands mouvements étaient perceptibles entre ce marché, celui de Lozalne, et leurs clans affiliés. En fin de compte, de grands mouvements de troupes avaient eu lieu en direction des villages, avant-postes et ville de Veuvé. Il semblait que Lozalne ait envoyé de grands renforts, ainsi que de nombreux autres clans de la région lémanique. Tous nous attendaient aux alentours de Veuvé pour nous barrer le chemin de leurs marchés.
Cette information fut d’une importance capitale pour la suite de la campagne. Dans ces conditions, je ne devais pas prendre Veuvé qui avait reçu des renforts de partout, mais Lozalne d’abord. Cependant, il fallait que tous ces guerriers voient mon armée arriver sur eux ! Sinon, ils modifieraient leurs positions. Je donnais donc l’ordre à Rino de prendre le commandement des 5 divisions pendant que j’irai conquérir Lozalne avec mon unité des mille. Il était important que cela se fasse rapidement, que même leurs espions postés un peu partout n’aient pas le temps de faire déplacer les troupes ennemies. De toute façon, lorsqu’ils verront l’armée entière s’avancer vers eux, ils ne se soucieront pas d’un millier de cavaliers sans matériel lourd contre une ville telle que Lozalne.
Rino devait guider les manoeuvres pour que ses divisions tenaillent l’adversaire tout en restant hors de portée, et sans lancer les hostilités, un simple positionnement qui occuperait suffisamment l’ennemi. Durant la manoeuvre de l’armée, je partais au galop avec mon unité d’élite. Nous passions derrière le relief au dessus du lac, de sorte que les clans de la côte soient assez éloignés. Les villages que nous croisions dans l’arrière pays ne bronchaient pas contre une force de mille hommes montés. Puis, lorsque nous passions la ligne de front qui se dessinait aux alentours de Veuvé, nous regagnions les bords du lac. Ils pouvaient donner l’alarme, c’était maintenant égal, nous serions dans Lozalne avant qu’ils n’aient compris ce qui se passe. Après trois bonnes heures de galop, nous arrivions face à la ville : Un grand marché avec une belle enceinte. Mais ils avaient aussi quelques postes avancés dont le peu de guerriers qui restaient se promettaient de ne pas nous laisser arriver jusqu’aux portes du marché. Il ne faisait aucun doute que l’unité des mille arriverait jusqu’à la muraille, mais c’était le moment le plus dangereux pour moi. Si j’étais abattu, mes hommes se retrouveraient coincés entre la ville et les postes de garde. Je leur fis signe de ne pas s’arrêter et nous poursuivions notre galop. Renaissance serrée en main, elle pointait à une trentaine de pas de haut. Les guerriers furent suffisamment interloqués par le prodige pour ne pas réaliser tout de suite que nous étions en pleine course au milieu de leurs défenses. Mais un instant plus tard, ils commencèrent le tir et plusieurs dizaines d’entre nous périrent ainsi.
Alors que nous approchions de la ville, je donnais l’ordre de tirer sur les guerriers en poste sur la muraille. Quant à moi, je serrais mon épée si fort qu’elle était plus grande que je ne l’avais jamais vue. Lorsque je fus à portée de l’entrée, je tranchais le portail d’un coup, ainsi qu’une partie de la muraille qui l’entourait. La lame traversa tout ce qui se trouva à sa portée, tout un pan de la face de l’enceinte s’écroula, et mes hommes s’engouffrèrent dans ce trou béant. Les ordres étaient très clairs : Une cinquantaine d’hommes garderaient ce passage pour ne pas laisser pénétrer les guerriers hors murs. Tous les autres s’occuperaient de maîtriser le peu de guerriers qui restaient dans la ville, tandis que je prenais une trentaine d’hommes pour investir le “palais” du seigneur de la cité. Dans les enceintes, il restait moins de mille guerriers et nous n’eûmes aucune difficulté à leur imposer la reddition, sous peine d’incendier toute la ville de l’intérieur.
Blancart, le chef de Lozalne, était parti sur le front à Veuvé avec ses troupes. Il restait néanmoins le conseil des anciens ainsi que son porte-parole. Le porte-parole était un fidèle, choisis par le chef, censé le remplacer lors de ses absences et parler pour lui. Je lui ordonnais donc d’aller aviser le seigneur Blancart que mes troupes avaient pris le contrôle de son marché, et de convoquer tous les chefs de clans qui s’étaient réunis sur la ligne de front. Comme de coutume, je promettais que je n’avais aucune mauvaise intention s’ils étaient capables d’envisager une collaboration dans la reddition.
Le soir tombait déjà lorsque Blancart, le chef de Veuvé, celui de Nio, et une cinquantaine de chefs d’autres clans arrivèrent dans la ville. Nous les attendions dans la grande salle de la citadelle. A nouveau, je déclamais le récit de notre aventure ainsi que l’objectif de notre campagne. Renaissance fit grand effet, mais il était difficile de dire si ces chefs acceptaient leur reddition pour participer à nos conquêtes, ou s’ils le faisaient par peur de la destruction de leur clan. Sans doute un peu les deux.
Ce n’est que le lendemain que toutes les armées furent réunies autour de Lozalne. A nouveau, nous nous adressions à tous les guerriers de ces clans et marchés. Une partie d’entre eux furent volontaires, mais ils n’étaient pas suffisants. Mes commandants choisirent alors une série d’hommes supplémentaires. Tous ces clans soumis d’un même coup nous apportèrent presque 8’000 guerriers de plus. Il fallut trois jours pour reformer les bataillons et imposer de nouvelles règles de conduite aux clans du lac. De plus, je décidais de laisser une garnison d’environ 2’000 guerriers à l’emplacement de l’ancienne ville de Montrey. Ils furent chargés de faire respecter nos lois. Après quoi, notre armée reprit sa route en longeant les rives du lac.
Les villages sur notre passage ne nous créèrent aucune difficulté. Cependant, nous allions arriver par devant la ville de Génévia, l’une des plus grandes villes du nord des Alpes à ma connaissance. Sa population était la même que celle des grandes cités de la Péninsule comme Tourini ou Milani. Les habitants de Génévia avaient de plus la réputation d’être fiers et arrogants. Je m’attendais à un combat, mais il n’en fut rien. Les portes de la ville étaient déjà ouvertes à notre arrivée. Aucune résistance ni animosité, ils avaient choisis de laisser leur ville continuer à vivre ! Génévia et ses clans dépendants m’apportèrent 5’000 guerriers de plus. Depuis notre départ de Maurice, mon armée avait maintenant doublé. Nous passâmes donc deux semaines entières dans la ville du bout du lac pour réorganiser les contingents, les bataillons et régiments. Les 5 divisions de 4’000 hommes passèrent à 8 divisions de 5’000. En gage de reconnaissance de son accueil, je donnais à Barriar, seigneur de Génévia, autorité pour faire respecter nos lois, ainsi qu’une force de 1’000 guerriers pour sécuriser le territoire. J’exigeais bien sûr une coopération avec les marchés voisins, mais c’était à lui de gouverner selon nos nouveaux préceptes.
A ce stade, je pouvais déjà me permettre de diviser mon armée en deux pour progresser sur plusieurs fronts. Cependant j’y renonçais. La raison était qu’il n’y avait qu’une seule Renaissance. L’épée exerçait un tel pouvoir de fascination sur les guerriers qui la voyaient, que je gage qu’elle en avait motivé plus d’un à se porter volontaire. Elle représentait une promesse, l’échantillon de quelque chose d’inimaginable, une idée de la Grande Ville. Renaissance n’était qu’une petite pièce qui sortait de Rome, et notre but n’était pas de nous contenter de l’échantillon, mais de gagner le gros lot ! Les hommes étaient donc motivés, ils savaient qu’en restant avec nous, ils verraient Rome. Depuis ce jour, je décidais de ne recruter dans mon armée que des volontaires. D’autre part, mon unité des mille ne comptait plus que 830 guerriers, car nous avions subit des pertes lors de la prise de Lozalne. Pas seulement lorsque nous traversions leurs lignes, mais également lors de combats dispersés en ville. J’avais demandé aux différents lieutenants de mettre à ma disposition les 5 meilleurs hommes de leur bataillon pour un grand tournoi. Les 170 meilleurs guerriers intégrèrent l’unité spéciale qui devint à nouveau l’unité des mille.
Je dirais qu’une armée bien organisée de 5’000 hommes peut venir à bout d’une ville de 20’000 habitants. Le plus simple étant d’incendier la ville. Même si la cité faisait alors sortir tous ses hommes pour un combat hors murs, je doutais fort qu’ils aient des forces suffisamment organisées pour affronter 5’000 guerriers bien structurés. J’avais presque 40’000 guerriers, c’est vous dire que nous étions dès lors invincibles par n’importe quelle coalition. L’itinéraire décidé fut donc de contourner le lac de Lémano par le sud. Ceci, pour prendre les clans et marchés que nous avions vu sur la rive d’en face lors de notre avancée. Ils avaient vus l’incendie de Montrey, quelques espions étaient sûrement venus voir de quoi il s’agissait, et mes espions virent qu’il n’était pas exclu qu’ils aient fait alliance pour tenter de nous barrer la route. Mes escouades avaient remarqué beaucoup de mouvements entre ces clans. Cependant, il s’agissait plutôt d’activités diplomatiques. Les chefs semblaient se réunir souvent, mais aucun mouvement de troupes. Ils apprirent certainement que nous avions épargné Lozalne in-extremis car ils avaient tenté de nous nuire, et que nous avions récompensé Génévia pour sa collaboration. Peut-être avaient-ils choisis d’adopter une attitude prudente à notre égard. Mais si je choisissais cet itinéraire, c’était aussi pour des raisons stratégiques. Les marchés du sud du lac pouvaient bien s’allier, je ne les considérais pas directement comme une menace. Leur territoire, coincé entre la montagne et le lac, ne comptait pas de marchés très importants, et ils ne pouvaient pas s’attendre à des appuis considérables. Par contre, au nord du Lac, les clans de l’arrière pays étaient nombreux. De clans en clans, de marchés en marchés, les bruits de notre campagne s’entendraient jusqu’au puissant marché de Berm, qui se situe juste au nord de notre vallée alpine.
Dans l’arrière pays, il y avait suffisamment de forces armées, qui, si elles étaient capables de s’allier, pouvaient encore nous poser des difficultés. Je prévoyais donc de soumettre les clans du sud du lac, puis, faire mine d’en rester là, rentrer à Maurice avec tous mes hommes. Une fois dans notre vallée, nous serions à l’abri des espions. Pour cela, nous rendons grâce aux montagnes qui sont nos véritables murailles. Les clans du nord penseront peut-être que nous nous en tiendrons aux abords du lac. Ils avaient certainement dû apprendre que notre but était la Grande Ville, et peut-être imagineraient-ils que nous descendrions au sud des Alpes par un de nos cols. Mais justement pas, il me fallait le maximum de forces pour avoir une petite chance contre Rome, et j’attaquerais Berm en passant par le col de Sanetch. On leur tomberait dessus à rebours. De toute façon, une alliance éclair ne résiste pas s’il n’y a plus d’ennemi en face. C’est ce que je devais leur laisser penser.
Cependant, lorsque je regardais la marée guerrière aux alentours de la ville de Génévia, je savais au fond de moi que le monde m’appartenait. Le monde, oui, mais pas Rome.
Juste avant de quitter la ville du bout du lac, un fait nouveau survint. Au début, ce n’était que rumeurs et questionnements ; puis, les espions de Barriar, seigneur de la ville, donnèrent la nouvelle : - Marco Fallacio et toute son armée venait de pénétrer sur le territoire de Génévia, ses forces étaient à deux heures de marche de la ville ! Barriar ordonna immédiatement la fermeture des portes et le triplement des archets sur les murailles. Il m’enjoignit de prendre la tête de mes troupes afin de terrasser l’adversaire aux portes de la ville.
Barriar pensait que des marchés du nord avaient payé Marco Fallacio pour venir semer le désordre dans notre armée. Son raisonnement était logique, puisque le Seigneur Marco et ses mercenaires ne faisaient que des guerres contre payement. Toutefois, de mon point de vue, il n’en était pas ainsi. J’imaginais volontiers que la légende vivante de la guerre ne se déplaçait ici que par pure curiosité et…, amitié. Barriar n’était pas de cet avis, et si je souhaitais qu’il laisse ses portes ouvertes, il me conjura de faire entrer dans la ville le plus grand nombre de mes hommes, afin de le terrasser intra-muros si ses intentions étaient la guerre. J’acceptais pour la forme, et une division entière de 5'000 hommes pénétra dans la ville, sans compter mon unité des milles.
Quelques instants plus tard, la ville plongea dans un grand silence. Le roi des guerres venait de passer les enceintes par la porte principale, suivit de son armée. Le peuple s’était massé aux abords de la rue principale, qui menait droit à la citadelle où j’attendais le maître avec le seigneur Barriar à mes côtés. Le souvenir de mon enfance remonta dans mon esprit, c’était exactement la même chose : Un silence de mort que seul fendait le claquement des sabots sur le pavé, le cliquetis des armes, une foule de gens mettant genou à terre sur son passage…, j’avais déjà vécu ça, mais aujourd’hui je n’étais plus un gosse, j’étais devenu ce que Marco avait voulut que je devienne en m’envoyant Rufus : Un chef de guerre.
Marco Fallacio, toujours entouré d’une carapace d’or, s’approcha de nous, et stoppa sa monture à une dizaine de pas pour mettre pied à terre. Il s’avança droit vers moi en m’apostrophant de la sorte :
Salut gamin ! A ce que je vois, tu as bien progressé depuis notre dernière rencontre. Maître Rufus a bien fait son œuvre.
Maître Rufus n’est plus, … il est mort il y a environ deux ans, répondis-je.
Marco resta un moment sans dire un mot. Cette nouvelle l’avait saisit, il ne versa pas une larme, mais visiblement, il était troublé. La gorge un peu serrée, il rajouta :
Ainsi, nous sommes aujourd’hui des frères ! Nous avons eu le même Maître…, paix à son âme.
Puis, il se ressaisit et me demanda :
Fais voir l’épée ! Grâce à Rufus, c’est aujourd’hui ton épée, mais elle aurait pu être la mienne il y a plus de 50 ans, lorsque je rencontrais le pontife de Rome, allez, laisse moi l’essayer !
Je lui indiquais qu’il ne pourrait pas la tenir, mais il insista : « Donne, je veux la tenir juste un instant, c’est sentimental, il faut que je la touche un peu ! »
Je lui tendis Renaissance, et la force bleutée entoura toute sa main. Il devait certainement souffrir car je voyais le bas de son visage grimacer un peu au dessous de son casque. Mais il la serra quand même dans sa main, Renaissance s’agrandit, et il coupa net une fontaine de pierre qui se trouvait à proximité. Après quoi, il me rendit l’épée, et respira bruyamment lorsqu’il la lâcha enfin « c’est beau mais putain, ça fait un mal de chien ! », lâcha-t-il.
Là-dessus, il me mit une gifle si violente que j’en perdis presque l’équilibre !
ça, c’est pour ton comportement face à la ville de Lozalne, commenta-t-il.
Je m’énervais un peu, en lui rappelant que la victoire sur lozalne fut totale et sans bavure. Je ne comprenais pas ce qu’il pouvait me reprocher dans cette histoire, mais il s’énerva encore plus que moi en éructant :
Quand on a reçu la confiance du Pontife de la ville éternelle, on ne met pas sa vie en danger de pareille manière ! Galoper comme un gamin sans protection sous les flèches ennemies c’est de l’inconscience ! Personne d’autre que toi ne peut porter cette épée, tu es devenu trop important pour prendre ce genre de risques. Si tu veux vraiment continuer à découper des murailles, la moindre des choses sera de te munir d’une armure pour ces occasions ! Si tu meurs, que se passera-t-il ?
Eh ben j’en sais rien, je ne me pose pas la question, tous les guerriers meurent, et alors ?
Alors le Chaos continuera espèce d’idiot ! Et tu ne peux pas mourir avant d’avoir vaincu le Chaos. Allez, maintenant que ce détail est au point, je t’offre mes 78 mercenaires, ils seront ta garde, tes yeux, tes oreilles et ton bouclier. Chacun connaît exactement sa mission, ils sont comme un corps, composé de plusieurs membres, mais ils agissent dans une complémentarité parfaite ! Quant à moi, je vais reprendre en main ton unité d’élite, l’unité des mille à ce que j’ai cru comprendre, j’en ferai aussi un vrai corps de combat !
Marco avait dit ça comme une évidence, comme si c’était lui qui commandait, mais je savais de quelle capacité de structuration des forces il était capable. Marco à la tête des mille ferait de cette unité une puissance époustouflante. Ses 78 guerriers comme garde personnelle avaient tous juré de ne pas me laisser mourir tant que l’un d’eux était encore en vie. Après cette démonstration d’autorité, quelque chose d’inouï se produisit : Marco Fallacio, le Seigneur des seigneurs, mit genou à terre devant moi, et rajouta : « Seigneur Léopold, acceptes-tu de me prendre, moi et mes hommes, à ton service ? Je te jure obéissance et loyauté jusqu’à mon dernier souffle de vie ».
Tous ses hommes étaient également descendus de leur monture et avaient mis genou à terre en même temps que leur illustre Maître. J’étais gêné, mais j’acceptais néanmoins son offre.
Dorénavant, tous les clans devront savoir qu’ils n’auraient pas simplement à lutter contre ma gigantesque armée, mais aussi contre une légende de la guerre, le Seigneur Marco Fallacio !
Nous quittâmes Génévia, et les clans et marchés du sud du lac nous accueillirent convenablement. Et c’est là, après le marché de Tonnon et avant celui d’Evian, alors que nous avancions entre montagne et lac, qu’un homme surgit d’un creux du rocher devant moi. A première vue, un lascar bien insignifiant physiquement. Une demi portion comme je l’avais jaugé au premier abord. Il portait une espèce de tunique en bure attachée à la taille par un cordon, un peu dans le style de Maître Rufus. Maigrichon, les cheveux hirsutes, affublé d’une sorte de barbichette, il m’informa qu’il connaissait l’art des signes de l’ancien monde.
C’est ainsi que toi, Barnabé, mon fidèle scribe, tu m’apparus en tombant pour ainsi dire sur ma route. Je croyais à un paria perdu, mais non, tu étais venu exprès du marché d’Annemasse, comme tu dis. Barnabé habitait un petit clan à côté du marché d’Annemasse, une ville non encore soumise, sise à l’ouest de Génévia. Lorsqu’il eu vent de notre entreprise et du but de notre campagne, il vint se mettre à la disposition de l’homme qui tient l’épée de feu. Il m’expliqua que dans son clan, quelques hommes ont appris cette technique des signes, l’écriture... La rédaction par écrit des paroles prend un certain temps, cependant, je pris goût d’avoir un scribe ! Ce fut une excellente idée que de venir te mettre à mon service Barnabé. Ainsi, tu fus aux premières loges pour voir la naissance de ce nouveau monde.
C’était tout de même étonnant qu’il connaisse les secrets des signes, je dirai même… unique. En tout cas, je n’avais jamais vu quelqu’un capable de déchiffrer les signes. Et c’est flatteur de savoir que ma vie est certainement une des seules écrite (Barnabé me dit qu’il s’agit de biographie?). Enfin, il me fit profiter de sa science pour déchiffrer aussi d’antiques inscriptions et gravures qui ont résistées au Chaos. Il ne restait plus beaucoup d’inscriptions de l’ancien monde, toutefois, Barnabé m’informa que dans son village, depuis que les anciens avaient commencé à comprendre ces signes, il y a plus de 500 ans, ils ont conservés une série de plaques et autres gravures qui donnaient des indications sur l’antique humanité. Il pense que les livres à base de papier ont dû être brûlés un peu après le début du Grand Chaos, lorsque les hommes perdirent petit à petit l’art de lire. Devenus inutiles, les livres avaient certainement été utilisés pour allumer les foyers. Barnabé n’avait donc pas de grandes révélations à faire, mais il était sûr que l’ancien monde avait domestiqué le feu sous toutes ses formes. De plus, d’après mes descriptions de Rome, il pensait que cette société ne fut pas touchée par le Chaos, et qu’elle maîtrise toujours cette science. L’illumination nocturne sans source que j’ai vu dans la basilique et dans les rues en sont la preuve, ainsi que Renaissance. Barnabé pensait d’ailleurs que Rome ne fut pas prise par celui que les éminences nomment “Souverain Pontife”, mais que cette lignée régnait déjà certainement avant le Grand Chaos. En tout cas, ils en connaissaient un bout.
Quoiqu’il en soit, j’étais bien décidé à revoir le Pontife, mais dans des rôles inversés. Si je gagnais cet ultime combat, j’étais décidé à être clément avec ces gens. Cependant, ils devront tout de même admettre leur défaite !
Nous n’en étions cependant pas encore là. Les clans et marchés du sud du lac se soumirent tous, et j’eus droit à 5’000 volontaires de plus. Je laissais tout de même un contingent de mille hommes à Evian. Ces contingents n’étaient pas nécessairement assez puissants pour combattre une rébellion, mais un état major qui connaissait bien nos nouvelles règles et ambitions était chargé de les faire respecter aux autres chefs. Ces états major avaient donc un droit de supervision des assemblées de chefs. Ils étaient chargés d’améliorer les collaborations entre clans et marchés, la mise en place de nouvelles voies de communication, sécuriser le territoire, construire des prisons à la place d’échafauds, etc. L’unité de guerriers sous leurs ordres n’était qu’une force de dissuasion, mais je doutais beaucoup qu’après avoir vu mon armée, des clans puissent avoir l’outrecuidance de s’en prendre à mes garnisons de campagne.
Lorsque nous fûmes de retour dans notre vallée, je jugeais bon de faire halte pour former de nouveaux lieutenants, donner des promotions aux anciens, restructurer à nouveau mon armée. Il y eu cependant quelque chose que Marco fit immédiatement. Il transforma mon unité des mille en régiments de chaque fois une cinquantaine de combattants et en envoya quelques uns au nord du lac et de notre vallée, avec pour mission de rapporter tous les faits et gestes des armées des clans insoumis. Quelles alliances ils avaient fait, où étaient leurs troupes, tout !
Barnabé pensait en outre qu’il était urgent d’apprendre à d’autres l’art d’écrire ! Je m’y étais moi-même essayé quelques heures, mais cet apprentissage me fut insupportable. De plus, mes guerriers ne s’emballaient pas vraiment pour ce genre d’exercice mental. Pendant que mes commandants et généraux réorganisaient leurs régiments, je fis le trajet de Nendar avec Barnabé. Après cette brève campagne à succès répétés, j’étais totalement optimiste. Mais Marco, prudent, avait tout de même envoyé ses espions...
J’eus grand plaisir à retrouver ma famille et passer quelques moments avec eux. J’en profitais pour leur conter nos exploits. Victorio en était fasciné. Du haut de ses six ans, il me demanda de l’emmener à la guerre avec lui. Je refusais dans un premier temps, mais pensais par la suite qu’il n’y aurait pas de meilleur apprentissage que de nous voir à l’oeuvre. De plus, Barnabé me prit à partie pour m’expliquer que dans leur clan, lorsque les anciens prenaient des apprentis scribes, c’était toujours aux enfants qu’ils enseignaient cet art. D’après lui, les enfants avaient plus de facilité que les adultes pour cet apprentissage. Je devais encore étudier cette idée, car je voyais mal mon fils devenir une sorte de scribe-philosophe, mais plutôt un conquérant.
Je pu cependant profiter de la présence de Barnabé à Nendar pour lui montrer les pages de la brochure que mon frère et moi avions trouvé étant enfants, dans la fameuse mallette métallique. Il pu déchiffrer les caractères et ceci me réjouit. A part une certaine philosophie, le pontife avait été plutôt vague sur les causes du Chaos, mais j’avais l’impression que cette brochure allait nous indiquer plus clairement la situation. Et nous n’en fûmes pas déçus.
L’année de fabrication de ces écrits, 2’015, était indiquée selon l’ancien calendrier, qui ne nous était d’aucun secours. L’intérieur était toutefois nettement plus instructif, même si nous ne comprenions qu’à moitié. Il semble y avoir eu de grands bouleversements politiques dans une partie du monde. Il était notamment fait mention d’islamistes... Les images montraient des troupes de barbus qui paraissaient justement désignés comme étant les fameux islamistes en question. Ils auraient renversés les gouvernements d’une multitude de territoires. Il était indiqué que les islamistes s’étaient emparés du pouvoir dans plusieurs “pays”. Peu après eu lieu ce que la brochure interprétait comme étant le commencement de “l’apocalypse”. Ces islamistes, que la revue semble décrire comme étant des êtres plutôt agités, firent exploser ce qu’ils nommaient Washington, capitale des Etats-Unis, Bruxelles capitale de l’Europe, et Moscou capitale de la Russie. Les anciens nommaient cela des “bombes” qu’ils qualifiaient “d’atomiques”. Nous ne comprenions ni un terme ni un autre, mais c’est cette chose qui serait à l’origine de la destruction des villes-capitales de ces territoires. Une puissance de feu inouïe ! Pour mettre vraiment tout le monde à bout de nerf, la brochure indiquait également en dernier lieu que ces sacrés islamistes avaient informés les gouvernements occidentaux qu’ils avaient déjà dissimulé 18 autres “bombes atomiques” dans 18 autres villes. En cas de riposte occidentale, ils assuraient une destruction finale de ces 18 villes ! L’histoire s’arrête là. La brochure ne dit ni si les « occidentaux » ont riposté, ni si ces 18 villes ont par la suite été détruites, mais ça semblait plutôt mal parti. Un peuple, désigné comme les américains, voulaient une vengeance cinglante. C’est plutôt étonnant car les américains n’avaient pas été touchés par ces destructions. On y parlait de capitale des territoires dénommés Etats-Unis, Europe, et Russie, mais pas d’américains dans les parages !
Enfin, les américains étaient partisans d’atomiser tous les musulmans. Le commentaire disait même que de pouvoir disposer des territoires arabes sans arabes était une idée qui se discutait de plus en plus dans les cercles du pouvoir américain. Le “pétrole” sans les arabes ! On ne comprenait pas ce que signifiait le “pétrole”, mais les écritures en parlaient comme une source de motivation non négligeable pour les partisans d’une solution radicale. Du coup, si les « occidentaux » décidaient d’une riposte, ils s’exposaient à voir encore 18 de leurs cités pulvérisées par l’explosion de ce feu atomique...
Il était fait aussi mention de mouvements de panique chez les populations des nations occidentales. Des débuts de Chaos, des plans d’urgences, de lois martiales, et bien d’autres explications sophistiquées dont nous n’y entendions plus grand-chose. D’un côté, la brochure nous disait que c’était les islamistes qui avaient fait le coup, et ensuite, on nous annonçait que les occidentaux voulaient riposter, mais pas contre les islamistes en question, contre des musulmans ! Ou contre des arabes ?! Les occidentaux semblaient donc mal partis dans cette affaire, car ils se trompaient d’ennemi dans leur riposte... Ils étaient vraiment bizarre ces anciens. Si intelligents, et pourtant, ils ne semblaient plus savoir quelle était leur cible... Bref, c’était très intéressant mais assez tordu. En tout cas, leurs armes étaient d’une puissance défiant l’imaginaire. Trois explosions et on faisait mention de millions de morts… C’était prodigieux ! Ces hommes étaient vraiment tout puissant, savant comme des dieux, et ils ont fini par détruire leur civilisation pour la remplacer par le Grand Chaos...
Barnabé lut la brochure devant tous les anciens durant plusieurs heures, et toutes ces connaissances nouvelles donnèrent lieu à une semaine de discussion avec les conseils. Pour finir, on en tirait la conclusion que si ces hommes avaient été assez idiots pour laisser anéantir trois de leurs villes, et finalement riposter contre le mauvais ennemi, les islamistes étaient tranquilles pour finir leur boulot.
Il y avait également un récapitulatif des actions guerrières d’une organisation dénommée Al Quaida, que les anciens assimilaient à des terroristes.
Tout commençait en 1996 par l’explosion des tours dénommées World Trade Center, qu’ils semblent n’avoir finalement réussi à détruire qu’en 2’001. La brochure faisait la récapitulation des faits d’armes d’Al Quaida jusqu’en 2’015. Après de nombreuses attaques, dont nous ne comprenions rien, les membres islamistes de l’organisation renversèrent le gouvernement Egyptien. Ce fut le premier gouvernement à passer aux mains des Islamistes, en novembre 2’013. A la suite du territoire égyptien, les islamistes s’emparèrent du pouvoir au Pakistan, dans toute la péninsule Arabique, et dans de multiples territoires dont les noms inconnus ne nous étaient d’aucune utilité. Il semble qu’en moins de deux ans, au moins une douzaine de territoires soient passés dans les mains de ce mouvement belliqueux. Mais ces mots ne nous aidaient pas beaucoup. Ils étaient écris dans la même langue que la nôtre, mais leur vocabulaire était trop développé pour nous. Par exemple, sous l’année 2’012, il était fait mention d’une immense panique mondiale à la suite d’un bug informatique provoqué par un virus, développé par les islamistes. Ne comprenant pas les mots “bug” “informatique” et “virus”, nous pouvions bien imaginer qu’il y ait eu une attaque sérieuse, mais sans rien comprendre de sa nature. Lorsqu’on nous annonçait qu’Al Quaida avait pollué l’eau de la ville de Los Angeles, provoquant 58’000 morts, nous pouvions imaginer qu’ils avaient empoisonnés les puits. Ce genre d’informations était encore compréhensible, mais bien d’autres restaient obscures.
Au final, on se demandait bien quel rapport il pouvait y avoir entre “Al Quaida, les islamistes, les musulmans, et les arabes...” C’était peu clair, mais nous savions maintenant que l’homme était capable de détruire tout ce qu’il avait créé.
Suite à cette pause chez les miens, je décidais de prendre Victorio en campagne et laissais Sabrine avec Aurore et le petit Samuel, né juste après ma première épopée à Rome il y a deux ans, en leur promettant un nouveau retour victorieux.
Après 10 jours d’attente dans notre vallée, les escouades d’espions de Marco revinrent avec des nouvelles. Tous les chefs des marchés francophones jusqu’à Friborg étaient venus se renseigner sur notre compte auprès de Lozalne et Veuvé. Lorsqu’ils eurent compris notre objectif, ils se déclaraient prêt à nous offrir des troupes si je ne touchais pas à la souveraineté de leur territoire. Mais il n’en était pas question, nos nouvelles règles devaient s’appliquer partout, et les chefs garderaient autorité en dehors de nos préceptes. Dans le doute, les chefs francophones n’avaient pour l’instant rien envisagés, à part notre venue. Après discussion avec le seigneur de Lozalne, ils n’avaient même pas jugés bon de tenter une alliance. Ils capitulaient sans même savoir si nous passerions chez eux, et ils pensaient que cela leur donnaient droit à poser des conditions ! Par contre, il semblait que cela ne soit pas le cas plus loin, dans la région germanique qui se situe au nord. Ils avaient connaissance du retour de toute notre armée dans la vallée, et avaient formés des barrages à plusieurs endroits. Cette coalition éclair comprenait les grands marchés de Toune, de Berm, d’Interlak et d’une majorité de leurs clans affiliés. Le col de Sanetch ainsi que les autres passages étaient rudement bien protégés, et passer par là signifiait de grosses pertes pour nous.
Nous tînmes réunion avec mes 5 généraux ainsi que le nouveau chef de l’unité des mille, Marco Fallacio. D’après les espions, les germanophones avaient un grand nombre de guerriers montés. Comme s’ils avaient réquisitionnés tous les chevaux du paysage en prévision de la guerre. Cela signifiait également qu’ils seraient très mobiles.
Une évidence était qu’il fallait créer plusieurs fronts. Si nous arrivions tous par la route du lac de Lémano, ils avaient le temps de démobiliser les troupes gardant les cols pour venir résister massivement. Rino prit sur lui de diriger une division par le col de Sanetch pour les occuper suffisamment pendant que le gros des troupes attaquerait par l’ouest.
En fait, nous passâmes une bonne partie de la nuit pour arriver à la conclusion suivante : Je devais partir avec mes gardes ainsi qu’avec Marco Fallacio et son unité des mille, trois jours avant les troupes régulières. Il fallait être très rapide, et surtout le plus discret possible pour que l’adversaire ne comprenne pas la manoeuvre. Ou mieux, qu’il ne la voie pas. Les germanophones ne paraissaient pas très liés aux francophones. Il était donc probable qu’ils n’aient pas connaissance de tous les détails de notre attaque contre les villes lémaniques. Par contre, tous les marchés francophones du nord du lac connaissaient le récit de nos éclats.
Je devais attirer le maximum de guerriers montés des marchés de Bul, Gruère, Friborg. A peine une escale et que ceux qui veulent venir voir une vraie conquête me suivent ! Je saurai m’en montrer reconnaissant. Ensuite, il me fallait poursuivre au nord avec mon unité et tous les cavaliers que j’aurais pu récupérer au passage. Je voulais rentrer dans les défenses bermoises par le nord-est. Jamais ils ne se douteraient qu’on puisse attaquer par là, ce n’était géographiquement pas possible pour nous. Ces territoires devaient d’ailleurs être pratiquement vides de guerriers. C’est pourquoi nous devrions être rapides. Le surlendemain, 7 divisions entières, sous les ordres de Paskale et Patrik, environ 40’000 guerriers, entameraient un pas forcé en passant par le bord du lac de Lémano. Ils s’arrêteront aux frontières francophones pour ne pénétrer chez les germains que le lendemain à midi. Leurs espions auraient ainsi eu le temps de situer l’armée et remobiliser leurs troupes en fonction. Leur présence militaire aux frontières des cols en serait certainement diminuée. Rino passerait donc le col de Sanetch seulement le jour même de l’attaque, avec une seule division de 6’000 guerriers à pied. Quant à moi, je devais réitérer mon action de Lozalne sur la ville de Berm.
Nous étions tous conscient qu’il y avait une part de sacrifice dans cette stratégie. Si les germains avaient eu vent des moyens que nous avions utilisés pour prendre la ville de Lozalne, nous pouvions espérer qu’ils croient que c’était la division de Rino qui serait chargée de cela contre eux. Dans ce cas, Rino était conscient qu’il ne servait que d’une sorte de leurre. Cependant, lorsque l’armée régulière marchera sur territoire ennemi le jour dit à midi, Paskale commanderait la moitié des forces armées pour combattre l’adversaire de front.
Quant à Patrik, il prendrait le commandement de l’autre moitié des forces pour redescendre prêter main forte à la division de Rino, prenant ainsi l’adversaire resté vers le col de Sanetch à rebours.
Ainsi, tôt le lendemain, nous quittions Maurice avec mon unité d’élite. En quatre heures de trot, nous étions à Bul. Le chef du marché m’accueillit amicalement. Lorsqu’il vit l’épée, il sut immédiatement qui j’étais, et lorsqu’il vit Marco Fallacio, il mit genou à terre en nous promettant tout ce que nous voulions. Il voulut se mettre à bavarder de la Grande Ville, mais je ne lui en laissais pas le temps : « Des guerriers montés au plus vite pour renouveler l’exploit de Lozalne sur Berm, VITE ! », voilà tout ce que je lui demandais. Il fit passer le mot, des messagers furent envoyés dans les clans alentours et je passais ainsi quelque temps avec lui, lui expliquant notre ambition de prendre la Grande Ville ainsi que ce qu’elle contient. Au marché de Gruère et Friborg, nous reçûmes le même accueil, ainsi que les cavaliers demandés. Je leur indiquais que mon armée régulière passerait le lendemain sur leurs terres, et que s’ils souhaitaient lui venir en appui, ils en obtiendront ma sympathie. Nous dormions ainsi dans la ville de Friborg.
Le lendemain, l’aube se levait à peine lorsque nous passions devant la ville de Mora. La veille au soir, nous avions répartis des bataillons sous les ordres de Marco et des lieutenants de mon unité des mille. Nous avions en effet 4’000 cavaliers supplémentaires prêtés par les villes francophones du nord du lac de Lémano. D’après le chef de Friborg, la manoeuvre la plus sûre était de prendre nord-ouest jusqu’à une ville nommée Mora, francophone elle aussi. Ils avaient entendus parler de nous et n’attaqueraient pas. Je suivis ses conseils et entamais un énorme détour pour éviter de perdre des hommes en tentant de forcer les lignes ennemies. Nous passions donc rapidement devant le marché de Mora et forcions un peu l’allure. Ensuite, nous pouvions rester en territoire francophone en passant derrière le lac de Biène, dans un territoire nommé Jura. Enfin, nous passions au Nord du marché de Biène pour continuer plein est dans les territoires germaniques du nord de Berm. Ici, même si les gens avaient peut-être eu vent de notre existence, ce n’était que des rumeurs, et ils n’étaient pas préparés à faire face à une cavalerie pareille. Lorsque nous arrivions vers le marché de Soloturm, l’après-midi était déjà bien avancé. Nous redescendions au sud et dressions le campement avant la ville d’Affoltan. Il faisait nuit, et mes armées devaient déjà être massées sur les territoires de Friborg et ses clans, au sud-est de Berm.
Le lendemain, nous ne partîmes qu’au levé du soleil. Nous ne tarderions pas à entrer dans les territoires de l’alliance germanique. Nous lancerions notre assaut par le nord-est en même temps que l’armée au sud-ouest, ainsi que Rino qui devait s’apprêter à traverser le col de Sanetch, plein sud.
Mes prédictions s’avérèrent exactes : les territoires du nord et de l’est de Berm n’opposèrent aucune sorte de résistance, à part quelques tirs de l’intérieur des enceintes de clans ou postes avancés. A l’instant où nous pénétrions dans un territoire vraiment dangereux, Marco exigea que je m’équipe d’une armure correcte, ce qui signifiait un casque, un plastron cuirasse, et des cuissardes, ce que j’acceptais, surtout après sa gifle publique dans le marché de Génévia.
A partir du moment où nous entrâmes en territoire ennemi, nous foncions à vive allure avec un unique but : Prendre le contrôle de Berm. Nous ne prêtions pas attention aux villages que nous voyions, même s’ils étaient hostiles. Ils n’avaient de toute manière d’autre choix que d’essayer de nous nuire de l’intérieur de leurs murailles, ne pouvant pas supporter l’affrontement contre 5’000 hommes montés, car la plupart de leurs guerriers étaient sur d’autres fronts, face à nos armées régulières.
Nous atteignîmes la ville de Berm un peu avant midi. Personne n’avait rien vu venir, et à part les alarmes des cors, ils ne purent rien faire. Nous étions en plein galop, leurs armées n’avaient ni le temps de revenir, ni de réagir, elles étaient bien trop occupées contre les forces de Rino, Patrik et Paskale. J’arrivais ainsi devant la muraille de Berm, par l’est. Les guerriers s’étaient massés pour nous recevoir, et c’est des volées de flèches qui fendaient l’air. Mon travail était d’entailler la muraille avec Renaissance pour la faire s’écrouler. Mes hommes devaient ensuite prendre le contrôle de la ville.
Cependant, un peu avant de pouvoir atteindre la muraille, j’évitais de justesse qu’Arabe soit touché en interposant mon genou à une flèche. Je fus blessé à la jambe mais le cheval n’avait rien et continua à grand galop. A peine deux enjambées plus tard, une seconde flèche fondit sur nous, et cette fois, Arabe fut touché au cou. Nous nous écroulions ensemble. Il me fallait rapidement une monture pour trancher la muraille, car à pied, elle s’écroulerait sur moi. A ce moment, lorsque j’étais à terre, au moins six guerriers furent touchés en me protégeant, faisant office de boucliers humains jusqu’à ce que je sois à nouveau monté. Nous entamions alors un galop et je tranchais la muraille d’un trait. Les guerriers qui nous fléchaient des enceintes disparurent dans les décombres, et mes hommes s’engouffrèrent dans la cité, tandis que j’ordonnais qu’on m’emmène Hannibal, un des 4 purs-sangs noir que m’avait offert Bardoso. Une fois sur Hannibal, je rejoignis mon pauvre Arabe, à terre, blessé. C’était le meilleur, et ces maudits bermois me l’avaient blessé à mort, alors que moi-même venais de sacrifier mon mollet pour lui épargner un premier tir ! C’est avec Rennaissance que j’achevais Arabe, et ceci me peina profondément.
Entre temps, mes hommes sous le commandement de Marco Fallacio se battaient encore par endroits dans la ville, mais toute résistance semblait futile. Quant à moi, je refusais d’entrer dans cette cité. A vrai dire, j’étais furieux de la perte de mon cheval, et mon mollet me faisait souffrir. Je ne pouvais retirer la flèche et je dû la briser en attendant de recevoir des soins. J’ordonnais alors de brûler la ville, de laisser la population, et de reprendre le galop en direction de Toune. Il suffit d’à peine quelques instants pour que mes troupes incendient une partie des habitations du marché, et le vent se chargea de propager l’incendie à toute la ville.
Les armées sur la ligne de front voyaient maintenant les fumées monter de Berm, et tous savaient que c’en était fini du grand marché. Toute ma cavalerie fit alors route à grand train vers Toune. Les armées germanophone coalisées faisaient face contre deux fronts différents à l’ouest et au sud, tandis que Patrik menait une armée mobile d’au moins 20’000 hommes qui se déplaçait vers le sud à la rencontre de Rino afin de prendre à rebours les forces qui molestaient ses troupes, en mauvaise posture d’après le coursier qui venait d’arriver. Mais tout cela occupait suffisamment l’ennemi pour qu’il ne comprenne pas tout de suite qu’il y avait une quatrième armée à l’oeuvre, entièrement montée et très rapide. Du moment que nous arrivions face aux enceintes de Berm, et jusqu’à ce que nous quittions après avoir incendié la ville, il s’était passé moins d’une heure !
Les chevaux étaient luisants de sueur, et après une formidable performance, nous arrivions devant la muraille du marché de Toune. Cette fois, les ordres étaient différents, nous ne prenions pas le marché, nous nous contentions de le brûler et filer ensuite directement sur Interlak. J’eus moins de problèmes pour arriver jusqu’à la muraille : ni le cheval ni moi ne fûmes touchés, mon escadron de protection galopait entre moi et la muraille, boucliers levés pour parer les projectiles. Je tranchais à nouveau la muraille à l’endroit où étaient massés le plus de tireurs, et mes hommes pénétrèrent la ville pour y bouter le feu, tandis que je restais à l’extérieur, car ma blessure commençait à me faire souffrir durement. Nous mîmes encore moins de temps pour incendier Toune que Berm, et nos pertes furent moindres.
Sur le soir, nous atteignions Interlak, tandis que des nouvelles m’arrivaient de tous côtés. La coalition germanique avait éclaté lorsque les guerriers Bermois avaient vu les fumées sur leur marché. Ils reculèrent de la ligne de front, tandis que les guerriers des clans de Toune s’en retournaient défendre leur ville, de même que ceux d’Interlak. Mais lorsqu’ils virent les fumées de Berm depuis le front, il était trop tard, nous foncions déjà à vive allure vers Toune et arrivâmes avant leur armée régulière, poursuivie par des divisions entières sous le commandement de mes généraux. Toune fut ainsi brûlée avant l’arrivée de leur armée.
Par contre, cela n’était pas si évident pour Interlak. Les guerriers eurent le temps de se réfugier dans leur cité. Ils avaient cependant subit de lourdes pertes lors des combats sur le front, mais ils pouvaient nous poser problème si je n’arrivais pas à approcher de l’enceinte. Les seules fois où je me suis permis de trancher les enceintes à l’aide de Renaissance, c’était avec l’avantage de l’effet de surprise, lorsque personne ne nous attendait vraiment. Nous nous mîmes tout de même en marche pour Interlak, sachant que l’entreprise était nettement plus périlleuse ainsi. C’était d’ailleurs pour cette raison que nous avions préféré brûler la ville de Montrey à la catapulte, car nous jugions trop risqué de s’y approcher de si prêt lorsqu’elle disposait de toutes ses capacités militaires.
A Interlak, je retrouvais la division de Rino, durement touchée comme prévu et celle de Patrik, encore bien portante. Quant à Paskale, un messager m’informa qu’il avait fait un carnage ! Lorsque les guerriers de Berm firent marche arrière pour rejoindre leur marché d’où montaient les fumées de l’incendie, il bloqua leur retraite et les encerclèrent sans aucune possibilité de s’échapper. Paskale avait élaboré non pas une stratégie de guerre, mais de génocide total des guerriers bermois : Tandis que les catapultiers lançaient des balles enflammées au milieu des guerriers germanophones, nos forces les empêchaient de sortir du cercle que mon général avait formé. Tous ceux qui essayaient de fuir l’enfer du feu furent tués par les armes, et même ceux qui ne fuyaient pas furent fauchés par des assauts menés à l’intérieur de leurs lignes par la cavalerie accompagnée de Paskale en personne. D’après mon messager, malgré le drapeau blanc agité par le chef de Berm, mon général n’avait fait aucun prisonnier, il ne voulait que des morts !
J’étais contrarié, voire même un peu énervé de son comportement, c’était contraire à mes ordres ! D’un autre côté, c’était du Paskale tout craché, j’ai vu ce qu’il avait été capable de faire avec un bataillon de 50 guerriers contre 500 parias, et j’imaginais facilement les ravages qu’il pouvait provoquer à la tête de 20'000 hommes…
En attendant, le marché d’Interlak m’ouvrit les portes de la ville. Les soldats en sortirent et déposèrent leurs armes. Ils avaient vu le deuxième incendie et il flottait dans l’air une grisaille et une odeur de fumée de bois presque palpable.
Je souffrais de la blessure de cette flèche toujours plantée dans mon mollet, mais en même temps, qu’il était bon de souffrir ainsi ! La victoire était totale, éclatante ! Et même si nous avions perdus quelques milliers d’hommes, deux marchés avaient été anéantis, leur population vouée à l’esclavage, tandis que le troisième se rendait, tout simplement humilié et tremblant de peur. Certains cultivateurs parlent des plaisirs de l’accouplement avec une femme, mais c’est parce qu’ils n’ont jamais connu ça : Trois marchés vaincus en une seule journée ! Et lorsque tout cela est de ton oeuvre, je ne crois pas qu’une femme puisse y apporter grand-chose à pareille émotion.
Interlak se rendit sans condition et je fis preuve d’un zeste de laxisme sur la discipline que j’avais prévu à l’encontre des villes qui nous combattaient : Je laissais leur marché intact et leur peuple libre.
C’est à ce moment que Paskale, tout gaillard et flanqué d’un large sourire, passa la porte de la ville sur son cheval. Il chantait de bon cœur un refrain paillard dont les paroles avaient dû être inventées par ses soins pendant la route, qui disait en gros : « Un porc et son goret au bout de ma laisse, leurs deux bâtards au sommet de ma lance, c’est Paskale le dur à cuir, qui va les faire bouillir, faire bouilliiiir, pour le souper des chiens… ». Ces paroles étaient immédiatement compréhensibles lorsqu’on observait son bagage : Dans une main, il tenait deux lances posées sur son épaule, et au sommet de chaque lance était empalée la tête d’un jeune homme. De son autre main, il tirait une chaîne au bout de laquelle deux autres types suivaient en trottinant péniblement derrière son cheval, les chaînes autour du cou ! Paskale, visiblement d’excellente humeur, ruisselant du sang encore chaud de ses vaincus, s’exclama, jovial : « Mission accomplie chef ! Je n’ai perdu que 200 hommes, un vrai triomphe ! »
Où sont les prisonniers ? Lui demandais-je, inquisiteur.
Là, derrière moi. Voici Sa Majesté Martin Schmidt, le seigneur de Berm, et son fils cadet ! Ses deux autres fils se sont suicidés sans qu’on puisse les en empêcher, alors je les ai empalé au sommet de mes lances, voilà donc toute la famille !
Suicidé ??? M’énervais-je.
Ouais, et ce putain de seigneur Bermois a faillit y réussir lui aussi. Lorsqu’il a vu qu’il allait être fait prisonnier, ce lâche a retourné son épée contre lui, mais j’ai réussi à lui décocher une flèche dans le bras. Il a lâché l’épée, et le voilà en vie pour te servir, chef !
Rien ne semblait pouvoir ébranler la félicité de Paskale, on sentait que ça avait été sa journée, et qu’il y avait prit grand plaisir, alors j’éclatais :
Et depuis quand on massacre des troupes qui ont levé drapeau blanc bordel de merde ???
Paskale parut contrarié par mon ingratitude à la suite de sa victoire, et après un instant de réflexion, il rajouta l’air pensif :
Ben à vrai dire chef, leur drapeau n’était pas vraiment blanc…, je le trouvais plutôt brun clair, ou alors gris clair, … grisâtre quoi, en tout cas pas très blanc, et je me suis sans doute dit qu’il devait s’agir d’un signal entre eux…
Il se tourna vers un de ses lieutenants et lança : « Hein dit Jérémia qu’il était pas très blanc leur drapeau ? ». Jérémia, gêné, regardait Paskale et moi-même en alternance, sans trop savoir quoi répondre, avant de lâcher un judicieux compromis « … disons gris-blanc, … environ… »
… Que répondre à ça ? Mon général était un excellent guerrier, un très bon stratège, mais ma foi, Paskale restait Paskale, c’était la fureur, le feu et le sang en même temps, un genre de type qu’il vaut mieux avoir avec soi que contre soi. Je le réprimandais quand même en menaçant que si un génocide pareil se reproduisait, il perdrait son grade, et cette simple menace sembla faire son effet. Il avait de plus un petit cadeau pour se faire pardonner du génocide des guerriers bermois : Tout le peuple de Berm, vieillards, femmes et enfants (tous ceux qui s’enfuirent de la ville en flammes), attendait au dehors des murs d’Interlak, prisonnier de ses troupes. Il l’avait trouvé qui errait par les champs.
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Je passais l’éponge encore une fois sur les extravagances guerrières de mon général terrible car je le comprenais si bien, …et, il faut bien l’avouer, l’enviais un peu, … beaucoup ! Depuis que Renaissance est à moi, depuis que Marco m’empêche d’approcher le risque de trop prêt, depuis que ses anciens mercenaires veillent sur moi, les grandes ivresses de la guerre me sont interdites. Bien sûr, je peux encore guerroyer et mener de belles batailles, mais ça devient propre et sans grand attrait. Je pense que les générations futures et civilisées ne comprendront plus très bien de quoi il s’agit, c’est pourquoi, mon cher Barnabé, je veux leur laisser ces quelques explications :
Pour le guerrier, la guerre commence avant la bataille de terrain, elle commence dans les tripes de chaque homme, elle commence lorsqu’on se positionne, et qu’on voit l’ennemi faire de même à l’autre bout du champ qui sera bientôt abreuvé de nos sangs. Même si l’adversaire est hors de portée de nos flèches, il est déjà dans nos têtes, là, droit devant nous, et on sait qu’aujourd’hui même, il mourra ou on mourra, et qu’il n’y a aucune autre alternative à ce sort. La tension extrême noue les entrailles de chaque combattant, et physiquement, cela se ressent par le besoin d’évacuer ce que les tripes tordues ne veulent plus garder. Avant le combat, il n’est pas rare de voir bon nombre de guerriers chier un bon coup avant de s’élancer vers la victoire ou la mort. Il n’y a pas de peur, chaque guerrier a déjà accepté de souffrir et même de succomber dans l’heure qui suivra, c’est un autre sentiment qui prédomine, quelque chose au-delà de la peur, comme une sorte d’excitation incontrôlable et délicieuse que je ne saurais décrire (adrénaline me dit le scribe ? peut-être), bref, une espèce d’exaltation, un surpassement de soi-même qui nous permet de foncer tout droit à la mort, la rage au ventre, et même l’envie de tuer alors qu’on se sait condamné soi-même après un méchant coup. Cette force dépasse tout, c’est ce que j’appelle « l’ivresse de la guerre », et c’est magnifique !
Ce sentiment nous accompagne depuis la charge contre l’ennemi, durant le choc des armées les unes contre les autres, et jusqu’au mélange des forces, et à chaque étape, il gagne en intensité. Lorsqu’on se retrouve face à face avec l’adversaire, c’est cette ivresse qui nous porte, et le guerrier ne doit la contrôler que pour continuer à obéir aux ordres stratégiques, rien d’autre. De toutes nos pensées, soucis ou tracasseries quotidiennes, il ne reste rien, tout ce qui subsiste, c’est le claquement des armes, le bruit des os qui se brisent, l’odeur âcre du sang qui empli l’air, l’envie de tuer, la fureur, la rage et l’ivresse du combat. Mélangé à l’ennemi, on a à peine le temps de le regarder dans les yeux avant de le pourfendre, que déjà en arrive un autre. Il n’y a pas de haine, il n’y a que des hommes à tuer et d’autres à ne pas tuer. Ceux qu’on doit tuer ne nous ont rien fait de mal, ils font juste partie du camp ennemi qui doit être anéanti, sans haine, sans vengeance ni rancoeur, juste parce qu’il en a été décidé ainsi et cela suffit à notre ivresse de sang.
A cheval, cette sensation délicieuse est encore décuplée : On survole au grand galop une mer en furie et des troupes en plein carnage en y ajoutant soi-même sa part de morts en faisant voler des têtes ou en transperçant des torses. C’est difficile à décrire, et pour toi, Barnabé, qui ne guerroie pas, c’est sans doute encore plus difficile à comprendre, mais le fait est là : Il y a une réelle extase dans le combat ! D’ailleurs, après m’être un peu fâché pour la forme contre Paskale, je l’invitais à venir me raconter son combat à l’écart des autres, et après son récit, je regrettais presque ma place de « Chef qui tient l’épée de feu ». Paskale m’informa que ces combats étaient rendus encore plus intéressant parce qu’ils marquaient l’Histoire, l’histoire du Chaos, chaque coup d’épée faisait avancer l’histoire, et cela rendait le combat d’autant plus épique. Pris par la griserie de la guerre, il ne voulait pas que ça s’arrête, drapeau blanc ou pas, et s’il avait pu ressusciter les Bermois pour recommencer la partie, il l’aurait fait ! Je ne pouvais que me lamenter en écoutant son récit, car même si je pénétrais jusqu’au milieu du combat, personne n’osait m’approcher à cause de la stupeur que Renaissance provoquait. J’avais bien conscience que ma destinée me priverait d’une partie de cette ivresse de la guerre, mais j’avais accepté ma condition, alors tant pis pour moi...
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Sur le soir, je m’occupais de ma blessure qui commençait vraiment à brûler. Barnabé m’étonna ce jour là car il soigna ma blessure comme la meilleure des guérisseuses. Il avait appris des sciences médicales et s’était brillamment occupé de mon mollet transpercé. Je pris deux jours de repos à Interlak, et en profitait pour faire part à son chef de nos exigences. Je reçu ainsi des chevaux mais je refusais leurs guerriers volontaires. Ils nous avaient combattus sur le front et je ne leur faisais pas confiance. La nuit tombait et il fallait attendre le lendemain pour retourner soumettre le peuple de Toune, encore en liberté, sans doute recueilli dans les clans alentours.
Ce fut chose faite le lendemain. Les hommes furent pris comme prisonniers, et j’allais les distribuer comme esclaves dans les marchés francophones du nord du lac qui nous avaient prêté main forte lors de l’affrontement. Les alliances n’étaient jamais très solides et j’en eu la preuve ce jour. Quant à moi, je pris le seigneur de Berm comme esclave personnel, à exhiber parfois en cas de réticences de prochaines régions. Les femmes restèrent libres.
De grosses troupes volontaires des marchés de Friborg, Gruère, Bul, et même Mora s’étaient jointes à nous spontanément. Il fallut donc réorganiser des régiments en conséquence. Ensuite, la campagne devint moins intéressante car il n’y eu pratiquement plus d’affrontements. Nous prenions Brienze, Lussèrn, Schwisz, Zurik, ainsi qu’une quantité d’autres clans et marchés du nord des Alpes. Tous avaient eu vent du sort réservé à ceux qui s’opposaient à nous, et lorsqu’ils voyaient arriver des dizaines de milliers de guerriers, peu étaient disposés à chercher la bagarre.
Vu l’absence de combats, j’encourageais mes guerriers à se battre entre eux. En duel ou en bataillons rangés, peu importait, mais ils ne devaient pas perdre leur expérience de combattants, ou stratégique pour les commandants. D’ailleurs, moi-même je combattais souvent contre les meilleurs de nos champions, avec l’épée que m’avait offerte Monié, laissant Renaissance pour la durée des joutes. Après la prise du grand marché de Zurik, nous changions de cap pour retourner plein sud. Une nouvelle série de marchés capitulèrent et nous nous retrouvions face aux Alpes avec plus de 100’000 guerriers, plus toute une série de garnisons qui maintenaient nos lois dans les régions soumises. Le petit Victorio avait été fort impressionné par notre totale victoire sur Berm. Mais maintenant, il se plaignait de l’absence de combats. C’était déjà un vrai guerrier ! Cependant, moi aussi, le goût du sang me manquait. Avant d’avoir en ma possession Renaissance, je ne sais pas combien d’hommes et de parias j’avais pu tuer, mais ils étaient nombreux. Aujourd’hui, mon épée tranchait net des murailles entières, mais en combat, jamais je n’ai vu une goutte de sang suinter de l’un de mes adversaires. Voilà un peu plus de trois ans que je n’avais plus tué un homme, et comme condition de travail, c’était pénible à accepter. Mais je n’avais pas à me plaindre, je disposais de l’armée la plus prestigieuse de l’histoire, et nous allions pénétrer dans la Péninsule italophone après avoir passé les cols. De plus, nous avions un avantage de taille sur la Péninsule, car ces gens ne savaient même pas qu’une telle armée marchait en ce moment même droit sur eux.
Je décidais donc de diviser mon armée en deux groupes d’environ 50’000 guerriers. Rino commanderait la division qui devait retourner dans notre vallée pour attaquer la Péninsule par Domodosolia en passant le col de Simplon.
Je n’avais aucune crainte de confier autant d’hommes à Rino, je savais qu’il appliquerait les ordres, qu’il vaincrait partout ou il passerait, et qu’il ferait tout cela proprement. Il était bien plus raisonnable que Paskale, mais dans son cas, raisonnable n’était pas synonyme de faiblesse. Quoique sans doute un peu inférieur à Paskale en combat singulier, Rino était tout de même une force de la nature, et à la place de la désolation et de la dévastation qui caractérise le style Paskale, il était organisé, méthodique, fidèle et obéissant, sans pour autant manquer d’initiative et d’imagination. Je portais une totale confiance à ce général, et même une certaine amitié, bien que ses récits de combats étaient nettement moins colorés que ceux de Paskale. La grosse différence entre ces deux commandants, c’est que Rino agissait de sang froid et avec calcul, même s’il aimait aussi se joindre à la bataille dans le feu de l’action pour goûter à l’ivresse guerrière, tandis que Paskale était un fou furieux, extrêmement efficace, mais pas trop regardant sur les risques qu’il prenait pour lui ou ses hommes.
C’est donc l’âme en paix que je scindais mon armée en deux pour joindre la Péninsule. Pendant que Rino faisait un détour par notre vallée, je traçais tout droit par le col de Lévantin pour me retrouver face à Bélinzon. Le rendez-vous de nos deux armées était fixé devant la grande ville de Milani.
Nous prîmes Bélinzon, Lokarno, Verbanière, ainsi que tous les clans et marchés du lac Major. De l’autre côté du lac, Varèze, Commo et tous les autres clans se soumirent. Aucune localité jusqu’à Milani ne tenta d’y opposer une résistance. De son côté, Rino avait accompli sa tâche avec succès. Depuis ce jour, je savais que mon pays était devenu intouchable et inatteignable. Mon pays, la vallée alpine, n’était plus seulement protégé par ses montagnes : Je contrôlais les contreforts nord et sud des Alpes, ce qui revenait à dire que plus personne ne s’aventurerait dans cette vallée sans un minimum de respect.
Les Milanois se montrèrent impertinents, acceptant de se soumettre mais en y imposant toute une série de conditions. En effet, ils ne connaissaient pas le sort réservé aux cités du nord des Alpes qui avaient tenté de négocier. A nouveau, pour bien faire comprendre aux populations péninsulaires que Léopold Paralamo ne négocie jamais, je laissais champ libre à Paskale pour incendier Milani. Cette fois-ci, il le fit proprement, et je n’eus pas à me plaindre de ses services. Comme d’habitude, nous nous emparions des hommes pour les livrer en esclavage aux villes plus disciplinées, et ce fut là une rafle immense, près de 12’000 hommes de tous âges. Ces esclaves étaient normalement chargés de besognes peu gratifiantes, dont même les paysans rechignaient à réaliser. Ainsi, cet apport de main d’oeuvre était très apprécié par les marchés qui les recevaient.
Après Milani, nous poursuivions en direction de l’ouest jusqu’à Aoste. Nous ne nous attardâmes pas trop car la masse de mon armée épuisait les vivres des marchés sur notre route. Nous devions donc sans cesse bouger, et notre prochaine étape était Tourini, bien que nous continuions à ratisser tous les clans sur notre passage. Devant l’océan de guerriers qui déferlait avec moi, les volontaires se faisaient de plus en plus nombreux. Nous pouvions vaincre le Chaos, tous pourraient voir la Grande Ville, et la soumettre si possible. A vrai dire, c’était un projet formidable pour beaucoup de jeunes guerriers qui n’hésitaient pas à s’enrôler.
Tourini, Alessandria, Genovi, Parmal, Medina, Veroni, Ravenna, Pistoia, Pisa, Florencia, Perrugia, Livornio, Streza, et une multitude d’autres grandes villes qui se trouvaient sur notre chemin entrèrent dans notre “juridiction”. A partir du moment où notre armée avait dépassé les 100’000 hommes, il n’y eu pour ainsi dire plus aucun combat, à part l’incendie de Milani et quelques escarmouches tout au plus. La plupart du temps, il ne s’agissait que d’une simple formalité avec les marchés que nous traversions. La consigne était que partout où mon armée foulait le sol, le territoire tombait sous ma juridiction. Et cela, même les plus puissants marchés semblaient l’avoir compris. J’avais eu la main lourde en incendiant Milani, mais ce fut un sacré exemple pour ceux qui étaient tentés de contester mon autorité. De plus, j’avais offert le chef de Milani, Bonaventure et ses fils, comme esclaves au seigneur de Tourini. L’anecdote fut rapportée et répétée, connue déjà avant l’arrivée de nos troupes. Les chefs savaient qu’une armée contre laquelle on ne lutte pas s’approchait d’eux, et qu’ils devaient abdiquer pour sauvegarder leur clan. Cependant, les rencontres n’avaient souvent pas lieu dans une atmosphère hostile. Je demandais juste de faire preuve d’un peu de bonne volonté, à savoir : Nous fournir des vivres, des chevaux, et laisser libre les volontaires qui souhaitaient se joindre à nous. Le plus dur à faire comprendre était cette nouvelle politique d’ouverture, la fin du chacun pour soi, la fin des kidnappings, l’encouragement à des projets communs, la fin de la peine de mort, et toutes ces choses qui devaient servir de base de structure sur notre nouveau territoire, que je voulais uni. Je devais ainsi toujours laisser de petites troupes qui joueraient le rôle d’arbitres dans les différents entre clans et marchés.
Enfin, sans combat, le plus clair de notre temps était perdu en organisation et réorganisation de cette armée qui s’agrandissait sans cesse. Depuis ce temps, Barnabé fut sur le qui vive, car il se révéla d’un apport logistique très intéressant dans l’organisation des troupes. Il passait son temps à consigner les bataillons, répertorier les troupes, les classer. Il eu même l’idée d’organiser des jeux ! Jeux de tirs, jeux d’aptitudes à combattre sur une monture, à pied, à armes différentes. Il tria les meilleurs de chaque discipline pour faire des régiments spécialisés, utiles dans des conditions précises. J’approuvais la proposition, et nous eûmes droit à sept régiments spécialisés, tous divisés en 10 bataillons.
Nous perdions ainsi énormément de temps à structurer et peaufiner l’organisation de notre armée. Mais je prenais également beaucoup de temps en parlementations avec les chefs pour lancer les quelques bases politiques que je voulais voir naître. Et cela, d’une mer à l’autre de la Péninsule.
Nous approchions cependant de la Grande Ville, les villages devenaient de plus en plus rares, et Rome allait se découvrir devant nous d’un jour à l’autre.
Enfin, le sommet de la croix apparût dans un ciel sombre d’automne. A ce stade, mon armée était gigantesque, mais, à côté des murailles de la Grande Ville légendaire, je sus que je ne pourrais en rien inquiéter ces gens. L’épaisseur des murs en pierre semblait pouvoir défier toute catapulte traditionnelle. Quelques gardes faisant leur ronde sur la muraille regardaient 400’000 guerriers à leurs portes, sans même donner l’alerte, ni se précipiter. D’aucun s’accoudaient même sur le parapet pour observer, tout simplement.
Si cette garde désinvolte était une chose, l’autre chose était la cité, cette croix aussi haute qu’une montagne, les toits recouverts d’or, et les constructions irréelles. Mes hommes étaient sous l’emprise d’un charme. Ils avaient tous entendus nos récits sur la Grande Ville, mais ils subissaient la même incompréhension, le même étonnement que notre troupe de reconnaissance plus de 4 ans auparavant.
Je savais que je ne pouvais pas attaquer, mais il fallait que tous mes hommes voient ça afin de pouvoir témoigner partout de ce qu’ils admiraient à cet instant particulier. J’avais l’intention de diviser rapidement mon armée en huit. Car en ce moment, nous ne pouvions ni attaquer, ni incendier quoi que ce soit, ni même établir un siège. Une pareille armée ne pouvait rester unie ici sans courir le risque d’une terrible famine. Je devais donc renvoyer au plus vite mes divisions. Trois jours d’observation de la cité firent toutefois le plus grand bien au moral des troupes.
La seule entrée vers la ville était le fleuve. Mis à part le fait qu’il fallait tenir sa tête sous l’eau durant quelques brasses, l’entrée était aisée, et si nous ressortions de l’eau arbalestre en main, nous aurions même pu investir la ville par là. Cependant, bien peu de guerriers savaient nager, et de toutes façons, il fallait plus d’une armée de 400’000 hommes pour vaincre cette ville. J’avais toutefois envisagé ce problème et en avait parlé à nos fabricants dès notre départ. Ils savaient qu’une fois à Rome, ils devraient construire des catapultes comme jamais ils n’en ont eu l’idée. Et ces idées pour fabriquer de telles catapultes, ils devaient y réfléchir durant le voyage. Nous transportions des catapultes avec nous, mais elles étaient faites pour des murailles normales. Ma vision de la prise de Rome était d’ouvrir deux fonts : les guerriers sachant nager pénétreraient par le fleuve arbalestre en main et épée au fourreau, tandis que pour les autres, il fallait leur ouvrir une brèche dans la muraille.
Je ne pouvais tout de même pas utiliser Renaissance contre Rome ! Cela aurait été comme une trahison, et il était hors de question que je tente d’incendier une ville pareille. Le pontife m’avait dit que cette épée était unique. C’était bien là mon principal souci : de quelles armes disposait l’adversaire ? Les gardes que j’avais vu sur la place tenaient de simples hallebardes. J’espérais donc que le pontife ait dit vrai au sujet de Renaissance, et que nous ne serions pas confrontés à ce genre d’armes.
La légende s’étalait donc sous les yeux de tous, et, petite humiliation, nous étions totalement démunis avec la meilleure armée du monde. Mais ce n’était pas grave, l’important étant que mes hommes voient ça ! La situation était néanmoins prévue et je devais laisser quelques régiments sur place durant le temps qu’il leur faudrait pour construire un maximum de catapultes géantes. Maintenant qu’ils avaient la ville sous les yeux, ils se rendaient mieux compte de l’ampleur de la tâche. D’autres devaient se charger d’arrondir des pierres pour les jets. Les clans des villages voisins s’occuperaient de leur approvisionnement. Et comme les habitants de Rome ne semblaient pas avoir pour habitude de sortir de leur enceinte, les catapultes seraient construites dans une forêt plus en retrait. Ils ne pourraient ainsi pas remarquer les chantiers depuis Rome, et j’espérais qu’ils ignorent leur existence. Ainsi, les romains auront vus passer notre armée, et rien de plus.
La vision de la Grande Ville galvanisa les troupes. Enfin, ils l’avaient vue. Maintenant, ils la voulaient ! Pour cela, l’armée fut divisée. Rino, Paskale, et Patrik (celui grâce à qui nous sommes au 207ème jour de l’an 4), Sérafino, Marcello, Tristan et Rodolf, tous des champions de la première heure, tous promus généraux, devaient investir le nord des Alpes. Ils passeraient les cols alpins avant l’hiver et reviendraient avec le plus de troupes possible le jour du solstice de l’été prochain. La synchronisation de l’arrivée des troupes était importante car il était impossible de nourrir une telle armée en un seul lieu. Elle devait maintenant se diviser pour ne se réunir que lorsque les catapultes seraient prêtes, et que nous puissions réellement passer à l’attaque contre Rome. Moi-même, je continuais au sud de la Péninsule afin de soumettre les localités qui restait.
Le but était de recruter le plus de guerriers possible, car cette ville semblait avoir une population nettement plus importante que mon armée actuelle. Je ne devais pas précipiter l’invasion au risque de voir s’effondrer tout ce que j’avais bâti durant ces 4 dernières années. Il restait donc encore un peu moins d’une année pour être en mesure de m’aventurer dans cet ultime combat titanesque.
Les 8 divisions étaient toutes composées de plus de 50’000 guerriers volontaires. On pouvait donc s’imaginer sans risque de se tromper qu’il n’y aurait que peu de résistances. En effet, Aprilli, Latina, L’Aquila, Chieta, Cassino, Minturni, pour ne citer que les principaux marchés, s’inclinèrent tous sans conditions. Un peu plus au sud, nous voyons une sorte de grande tache lumineuse et rouge, dans le ciel nocturne, alors que nous venions de décider d’un campement. J’envoyais immédiatement des espions vérifier l’anomalie. Ils voyagèrent toute la nuit, et ce n’est qu’au matin, alors que nous avions levé le camp et que nous étions déjà en route, que nous les vîmes revenir. D’après leurs dires, c’était une montagne qui crachait du feu en grande quantité... Rien que ça !?
Je me promis de tirer au clair cette diablerie, et dans l’après-midi, j’arrivais avec le gros de mes troupes de cavalerie aux abords d’une cité du nom de Napolita. Les nouvelles me concernant avaient toujours un ou deux jours d’avance sur nous. Ainsi, le chef de la ville, nommé Borgèsia, nous accueillit sans réticences. Il tenta de nous donner une explication au sujet de la montagne de feu. Selon lui, ce genre de montagnes s’appellent en réalité Volcanos, et ces derniers crachent du feu venant du centre de la terre ! Une sorte de bouche du diable qui crache le feu des enfers... Mes guerriers et moi-même étions bien moins désinvoltes que les Napolitaniens face à ce volcano qui portait même un nom, le Vésuvio. Nous quittions ainsi les lieus au plus vite après avoir enrôlé nos volontaires. Nous ne craignions le combat en aucune occasion, mais nous voulions conquérir le monde et Rome, pas l’enfer !
Nous déferlions encore sur tout le sud de la péninsule, et en trois lunes, nous étions arrivés à son extrémité, là où les deux mers se rejoignent. Il me restait encore un peu de temps, et j’étudiais la possibilité d’envahir la grande île qui se trouvait face à nous. L’île portait le nom de Sicilia, et à ce qu’on m’avait rapporté, elle était d’une taille tout à fait convenable. Je décidais donc de réquisitionner tous les bateaux du sud de la Péninsule. Nous envahirions cette île à pied, sans nos chevaux.
C’est ainsi que des centaines de bateaux de pécheurs chargés de milliers de guerriers traversèrent. Une fois débarqué les premières troupes, les embarcations firent encore 7 trajets pour transporter la majorité de l’armée sur Sicilia.
Après avoir brûlé Palèrma, les habitants de l’île nous respectèrent, et il ne fallut que deux lunes pour ratisser tout le territoire. C’était donc avec plus de 140’000 hommes que je reprenais la route de la cité mythique.
Arrivés à Rome, nous retrouvions les régiments restés en poste pour construire le matériel de propulsion adéquat, soit environ 3’000 hommes. Ils étaient tous tracés ! C’est d’ailleurs le nom qu’on leur donna par la suite : “les tracés”. Ils avaient tous été comme marqué au fer rouge. Des brûlures rectilignes avaient tracé leur peau. De plus, aucune catapulte n’était en vue.
Le commandant, Jérica, me donna une explication tout à fait invraisemblable : Il y avait une quinzaine de jours de cela, les portes de la ville furent ouvertes. Un petit bataillon monté en sortit. Ils avaient probablement eu vent de notre retour prochain. Jérica tenta de s’interposer avec ses guerriers. Les romains n’étaient pas encore à portée de flèche qu’ils levèrent des sortes de cannes argentées vers nos hommes, et quelque chose d’inouï se produisit. De ces armes sortirent de fines lignes de feu ! Tous nos hommes furent brûlés par les rais de feu. Au milieu de toutes ces douleurs, le pire était encore cette odeur de sa propre chaire brûlée comme de la viande. Lorsque ces lignes de feu cessèrent, les cavaliers s’approchèrent de nos troupes meurtries en observant les catapultes dissimulées sous les bois. Selon tous les témoignages, la douleur qu’inflige ces brûlures interdit presque tout mouvement, ils étaient comme paralysés et totalement impuissants. Alors, un homme leva sa canne argentée vers une catapulte. Ce n’était plus une ligne, mais une boule de feu d’une extrême puissance qui en sorti pour exploser notre engin. Puis, de la même manière et d’un seul mouvement, l’homme détruisit le fruit de 7 lunes de labeur : Toutes nos catapultes ! Il se tourna alors vers Jérica et lui dit : « - Personne ne peut lever la main sur Rome. Et tes catapultes ne t’auraient été d’aucune efficacité contre nos murs. »
L’homme regarda Jérica une dernière fois, lui souhaita bonne chance, et s’en retourna avec son bataillon à l’intérieur de la ville.
L’adversaire était donc tout à fait particulier, car à en croire les tracés, ce peuple était invincible. Le moral était au plus bas. Les catapultes détruites, je ne pouvais rien faire sauf m’interroger sur la suite que je pourrais proposer à mes hommes qui avaient vécu si longtemps avec l’espoir de pouvoir enfin pénétrer cette ville magique.
Je réunis les armées dans un camp immense, au sud de Rome. Notre nombre était invraisemblable et incalculable, il fallait agir vite, mais comment ? J’avais une armée composée de guerriers parlant germanophone, francophone et italophone, les plus nombreux. Moi-même, après tout ce temps, je communiquais parfaitement en italophone, qui était devenue la langue officielle de l’armée. Nous avions aussi laissé des garnisons positionnées dans toute la Péninsule et dans d’immenses territoires du nord des Alpes. Mais ici, c’était une mer de guerriers qui se morfondaient devant la Grande Ville, sans qu’aucun des généraux n’aie la moindre idée de la marche à suivre pour la soumettre. Jérica jurait tous ses dieux que personne ne pourrait faire face aux armes dont disposait l’ennemi, mais je l’ordonnais de se taire. Les troupes étaient suffisamment démoralisées pour que ce rabat joie ne nous intimide encore avec ces armes traçantes.
Tout à coup, alors que j’étais encore plongé dans de sombres pensées, les hommes de la Grande Ville ouvrirent leur porte principale et une ambassade galopa en direction de notre commandement. Trois des hommes du seigneur Paul m’abordèrent. Ils me firent part de l’invitation amicale du Souverain Pontife.
Pensant à un piège, je refusais de m’y rendre sans un solide détachement d’hommes. Mais en face de moi, l’homme rit :
Dis-toi juste que si nous désirons détruire vos armées, nous avons les moyens de le faire sur l’instant. Nous te répétons donc que le souverain pontife, sa Sainteté Paul XII, veut te voir et t’invite amicalement à venir parlementer, toi seul.
Les trois ambassadeurs s’en retournèrent au petit trot en direction de la porte qui s’ouvrit à nouveau.
Paul, celui qui m’avait offert Renaissance, à ses côtés Bardoso, qui m’avait offert les 4 magnifiques bêtes, ... ce n’était pas un piège, en tout cas pas à ce stade. Je me rappelais les paroles du pontife, et, sans y réfléchir plus loin, je laissais Victorio avec Rino, sautais sur une monture, et les suivit.
Les ambassadeurs me conduisirent directement à la basilique que je connaissais déjà. Je passais à côté de la base de la grande croix, mais il faut venir à Rome pour s’en faire une idée. C’est une construction qui défie les cieux, et dont la base mesure plusieurs centaines de pas de côté. La seule assise de la croix était grande comme plusieurs pâtés de maisons. Sur les immenses escaliers qui mènent à la demeure de Dieu nommée la “Basilique”, des soldats formèrent à nouveau une haie d’honneur. Les ambassadeurs descendirent alors de cheval et me suggérèrent d’en faire autant. Il me fut indiqué de monter l’escalier à pied, seul, sous l’oeil de la soldatesque toujours affublée de ce même costume étonnant. Au sommet, sous l’immense portique, se trouvaient nombre d’hommes vêtus de robes rouge qui m’adressèrent ce même étrange salut, dessinant une croix avec leurs deux doigts dans l’air... Puis, les gardes ouvrirent l’immense porte centrale de la basilique. J’y pénétrais, en me veillant cette foi-ci à m’incliner devant leur Dieu invisible mais si puissant. J’approchais ensuite du trône où le pontife m’attendait.
Lorsque je fus suffisamment près, le seigneur Paul leva la main en guise de salutation.
- Salut à toi, Léopold Paralamo ! Et félicitations, tes avancées sont étonnantes. Tu as tout gagné, tu es organisé, et nous voici l’un et l’autre arrivé au grand jour ! Que veux-tu ?
- Régner sur le monde sans régner sur la Grande Ville que vous appelez Rome n’est pas un vrai règne. Je suis venu conquérir cette cité.
A voir le sourire paternaliste du pontife, comme si de toute évidence, mes armées ne semblaient être qu’un divertissement pour lui, je rajoutais:
- Mais peut-être suis-je fou ?
- Là est toute la question Léopold, es-tu fou au point d’anéantir tous les efforts que tu as fais, tous les efforts diplomatiques de ton père, tous les efforts d’éducation de Rufus, toutes les années perdues par Marco pour te trouver, juste pour prendre Rome ? … Oui, tu l’es !... Toutefois, tu gagnes. Et la plupart du temps, assez facilement. Là où tes troupes passent, mis à part quelques incendies pour te forger une réputation, les hommes s’éveillent et voient que le monde est plus vaste que leur village. A votre passage, les villes soumises ne sont ni pillées ni mises à sac, leurs habitants ne sont pas maltraités, tu respectes une certaine déontologie, et saches que j’apprécie ! Quelques structures sont lancées, et un semblant d’ordre dans le désordre naît avec toi. Mais…, il me semble que tu te retrouves bien emprunté pour asseoir ton règne sur Rome ?
- Ce n’est qu’une question de temps. Je ne veux aucun mal à ton peuple, mais si je ne règne pas d’ici, mon nouveau monde éclatera. La motivation de tous mes guerriers est cette ville. Sans Rome, je n’existe plus.
- « Oui je sais, répondit le pontife, décontracté, et de notre côté, nous aurions les moyens de disloquer ta formidable armée en quelques minutes, mais ce n’est pas mon intention. Je constate que ce que tu as fais durant ces 5 dernières années est bon. La preuve en est que Renaissance se trouve toujours à ton côté. J’ai de plus un avis très favorable te concernant toi même, et je souhaite que tu continues ta construction du monde… »
… avant de poursuivre, le pontife se leva lentement de son trône, et conclut solennellement : « … Et pour ce faire, je te confie Rome » !
Je restais un instant sans voix à cette annonce, pensant à un coup de bluff, … mais Paul avait l’air sérieux, alors je demandais franchement : - Tu es en train de me dire que vous ne défendrez pas la ville ?
- Non seulement nous ne nous défendrons pas, mais nous quitterons Rome tout à l’heure pour vous laisser la place. Je te mets toutefois en garde Léopold : Ne profane jamais un lieu Saint. Tous ces édifices de la ville qui portent une croix en leur sommet sont les maisons de Dieu. Si tu t’avisais, toi ou tes descendants, de détruire le patrimoine de Rome, nous reviendrons ravager ta dynastie et prendre le contrôle de ta jeune civilisation. Je te donne les clefs de la cité éternelle, et je te laisse sous la protection de Saint Pierre, dont les restes sont gardés précieusement sous cet autel.
- Qui c’est encore celui-là ?
- L’homme qui reçu les clefs du paradis de Dieu Lui-même lorsqu’Il est venu sur terre. Pierre était l’apôtre sur lequel le Christ a bâti son Eglise, ici à Rome, et je suis son successeur. Jusqu’à notre retour, je te mets, toi et tes descendants sous sa protection ainsi que celle de Dieu, et Rome sous ta souveraine protection. N’oublie jamais ceci Léopold : Respecte les lieux saints, pénètres-y pour prier et non pour y vivre. Dieu vit ici, il entend toutes tes demandes et remerciements. Ne Le fâche pas et ne porte jamais la main sur les œuvres bénies qui ornent Ses demeures.
Je ne savais plus que penser. Un souverain aussi puissant que ce Paul qui livre une ville pareille à l’ennemi sans combattre était incompréhensible. Mais je n’eus pas le temps de trop y réfléchir car le pontife pointa sa canne argentée vers moi. Une ligne de feu en sorti. Elle était jaune et éclatante comme le soleil, mais droite et précise comme un fil tendu. Le souverain traça une croix brûlante sur mon torse tout entier. Je gardais ensuite cette cicatrice de la croix gravée sur moi jusqu’à ma mort. Les parties de mon corps que cette flamme avait touché ressemblent aux brûlures qu’une épée chauffée à blanc, appliquée sur la peau par le tranchant, aurait pu laisser sur un supplicié. La souffrance était atroce...
- En guise de bénédiction !... et aussi afin que tu te souviennes pour toujours de mon commandement, rajouta le pontife.
Alors que j’étais recroquevillé sur moi-même tant la douleur de la brûlure était ardente, Paul dit encore une phrase incompréhensible sur le moment: “Léopold Paralamo, tu es a partir de ce jour, le premier empereur d’occident de l’après Grand Chaos, tâche d’être un exemple pour tes sujets !”
Le pontife fit alors un signe à tous ses gardes et ses Eminences en rouge qui restaient dans la basilique. Ils obéirent à ce signal en quittant les lieus. Tous descendirent les escaliers sous l’autel où justement ce Saint Pierre reposait. Je me souviens avec précision de tous ces détails, ainsi que de la brûlure rapide et pénétrante qui avait marqué la croix sur mon corps. Cependant, même lorsque je souffrais ainsi, je ne pouvais m’empêcher d’exprimer ma gratitude au seigneur Paul.
Toute sa suite et ses gardes disparurent sous l’autel où le trône était disposé. Et lorsque je dis “disparurent”, c’est le mot exact. Ils empruntèrent un escalier qui donne dans une crypte et disparurent. Mes meurtrissures n’étaient rien en rapport avec ce que j’avais gagné. Le mystère de la disparition du peuple de Rome était de même nature que celle des éminences et gardes de la dernière heure. Jérica nous avait indiqué que depuis la veille de notre arrivée, ils n’avaient plus décelé aucun mouvement de population à l’intérieur de la ville. Lorsque j’arrivais moi-même sur les lieus, il n’y avait que quelques gardes épars sur les murailles, et aujourd’hui, il n’y en avait plus eu du tout. Cela m’avait d’ailleurs même énervé. Je me disais que ces gens se désintéressaient totalement du danger qu’était sensé représenter mon armée. Mais il n’y avait guère plus de monde à l’intérieur des enceintes. Des espions avaient été postés en permanence aux abords de toutes les sorties possibles. Le peuple romain n’avait fui ni par terre, ni par mer, et pourtant, la cité était totalement vide, fantôme. Les quelques centaines d’hommes qui accompagnaient le pontife venaient aussi de disparaître dans les sous-sols de la basilique. Nous ne retrouvions pas le moindre passage secret mais simplement une porte. Une population entière de peut-être plusieurs millions d’individus ne s’évapore pas comme ça ! En tout cas, après avoir interrogés autant les villages côtiers que les villages intérieurs, personne n’avait remarqué de quelconques mouvements suspects !
La réponse à toutes ces interrogations arriva lorsque je vis le pontife disparaître lui aussi ! Mais avant de disparaître, et avant d’en arriver au fin mot de cette énigme, le seigneur Paul resta seul avec moi. Il m’enjoint de le suivre à l’extérieur de l’édifice divin. Un carrosse attendait au bas du grand escalier de la basilique. Nous étions seuls, complètement seuls sur cette immense place, et il n’y avait plus âme qui vive dans toute la ville mythique. Je demandais alors au pontife ce qu’il en était advenu de son peuple, mais il me répondit qu’ils étaient déjà tous très loin de Rome, bien loin de la Péninsule, de l’Italie comme ils la nommaient, et en dehors de tous les territoires que j’ai soumis. Selon lui, les Eminences qui venaient de nous quitter à l’instant étaient déjà dans cet endroit, si lointain... Je tentais toutefois de comprendre ce mystère et le questionnais un peu plus. La réponse fut elle aussi incompréhensible:
- Mon peuple est en un lieu que tu n’atteindras jamais, même si tu vis très longtemps. Quant à nos moyens de transports, je me porte garant de nos scientifiques. Nous voyageons tout simplement différemment de vous.
Encore ces scientifiques ! Mais qu’étaient donc ces scientifiques???
- Des savants, me répondit Paul...
Le souverain exprima son intention d’aller faire ses adieux à Sa ville. Il monta dans son superbe carrosse, lui aussi décoré avec de l’or partout, et tiré par un attelage de six chevaux de prestige, blancs cette fois. Il me demanda de prendre les reines, et je m’assis à la place du cochet. Ma position s’en trouvait moins évidente pour bavarder, mais au moins à l’air libre, je profitais de la visite. Paul m’instruisit tout de même des différentes oeuvres grandioses qui font la cité. Il nommait des fontaines, des bâtiments.
La ville était formidable. Totalement plongée dans son silence, il n’y avait que les sabots de nos chevaux qui résonnaient sur les routes.
Le souverain pontife m’apprit également que Rome avait plus de 4’000 ans, et que les papes y ont régné successivement depuis plus de 3’000 ans ! Toutefois, Paul répondait parcimonieusement à mes questions. J’en profitais tout de même pour lui demander les raisons qui l’avaient conduit à me céder sa ville :
- Parce que tu es comme tu es, et je ne donne rien, je prête !
- Mais jusqu’à quand ?
- Tout dépend d’Octave…, mais je ne pense pas qu’il se manifestera durant ton règne.
- Octave ? Qui c’est encore, celui-là ?
- C’est l’homme le plus puissant de la terre, et accessoirement le plus grand génie de toute l’histoire de l’humanité, ancien monde compris !
- Tu n’es donc pas l’homme le plus puissant du monde ? !
- Eh non, je ne suis pas l’homme le plus puissant de la terre. Octave domine tout l’hémisphère sud du monde, et lorsque le nord sera organisé, sorti du Chaos, il se manifestera avec panache et fracas. Ce sera peut-être dans 50 ans ou dans 100 ans, mais lorsqu’Octave décidera d’attaquer, ce jour sonnera sans aucun doute le glas de l’humanité telle que nous la connaissons, la fin des temps en quelques sortes…
- Attend voir un peu, tu crois que ton bonhomme sera encore en vie dans 100 ans ?
- Octave a 683 ans, il est patient et peut attendre. Mais je n’ai pour l’instant pas besoin de te tracasser avec nos propres problèmes, Octave ne t’inquiétera pas de ton vivant, crois-moi, et nous informerons tes successeurs de la menace en temps voulut.
Nous continuâmes notre promenade et le pontife me cita encore les noms de quelques oeuvres, puis nous passâmes devant ce qu’il appelait le collisée, une sorte d’immense cirque datant de la nuit des temps… Enfin, devant une magnifique fontaine, Paul me demanda de stopper. Il m’en indiqua le nom : La fontaine de Trevi, datant elle aussi de fort longtemps, et tout aussi monumentale ! Nous nous assîmes face à l’eau sur un banc de pierre. Le pape m’indiqua que je pouvais maintenant poser mes questions.
Je l’interrogeais sur les secrets de leurs armes, sur le pourquoi du Chaos, et ce genre de choses que je devais connaître, que nous devions tous connaître, sur nos origines ! Alors il m’en apprit un peu plus :
- Bon an mal an, commença-t-il, la civilisation de l’ancien monde a évolué durant 6’000 ans. On situe l’émergence de véritables civilisations environ 4’000 ans avant la naissance du Christ, qui est le Dieu fait homme. La naissance du Christ ne fut que la naissance d’une nouvelle ère d’espérance pour les hommes. Mais fondamentalement, l’humanité a continué sa progression dans toutes sortes de sciences savantes durant plus de 2’000 ans après la naissance du Christ. A ce moment, l’homme arriva, peut-on dire, à une sorte d’apogée technique, mais il avait perdu la raison. Il usait de sa science de façon aveugle, sans savoir véritablement où il souhaitait aller, ni ce qu’il voulait en faire. Les hommes avaient la connaissance, mais aucun projet digne d’être cité. Sauf peut-être un seul qui semblait sérieux : modifier la nature de l’homme !
- Qu’est-ce que cela signifie ?
- Vois-tu, le premier homme s’appelait Adam. Dieu a fait Adam à son image et à sa ressemblance, ce qui veut dire bon et aimant, et Il lui donna le monde. Il mit à ses pieds toute la création et lui donna autorité sur tout ce qui vit sur terre. Adam avait tous les droits, sauf un, goutter au fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Selon le diable, si l’homme gouttait de ce fruit, qu’on associe généralement à une pomme, il deviendrait comme Dieu. Adam savait qu’en goûtant du fruit de cet arbre, sa nature changerait fondamentalement, mais c’était là le seul interdit de Dieu.
- Et je parie que le vieux bougre n’a pas pu s’empêcher de bouffer cette satanée pomme, vrai ?
- Bien vu ! Quoique…, courageux mais pas téméraire, le « vieux bougre » comme tu dis, eu besoin des encouragements de sa femme Eve pour passer par-dessus l’interdit. Et au risque de provoquer la colère divine, ils croquèrent dans le fruit.
- Et alors ?
- Souffrances, que de souffrances depuis là !... Adam fut chassé du jardin d’Eden, un paradis sur terre, et Dieu mis deux anges pour garder l’arbre de la vie, car si l’homme touchait à l’arbre de la vie, il se damnerait lui-même. Un peu avant le début du Grand Chaos, l’homme tenta de toucher à cet arbre de vie, que nos scientifiques appellent « chaîne ADN », et qui se présente sous la forme d’une échelle torsadée. En trafiquant celle échelle, l’homme pouvait modifier sa propre nature, et pratiquement atteindre la vie éternelle sur terre, ce qui est une véritable catastrophe, une malédiction ! Imagine toi vivre des milliers d’années dans ce monde si imparfait : ce serait une auto-damnation ! Avec cette science génétique, l’homme se plaçait une nouvelle fois à l’égal de Dieu, voire plus haut ! Ce que l’homme considérait comme imparfait, donc mal créé, l’homme se proposait de rendre parfait. Les anciens hommes étaient en voie de modifier leur propre nature ainsi que celle de la création en général. Ce furent les scientifiques cette fois-ci qui présentèrent le second fruit à l’humanité : Modifier l’essence même de la création divine en pensant pouvoir faire mieux que Dieu Lui-même... Voilà où en était l’orgueil de l’homme avant la chute de l’ancien monde.
- Ils étaient si mal foutus que ça ? Les anciens hommes ?
- Non, ils étaient bien portants, mais même si leur monde pouvait sembler merveilleux au premier coup d’oeil, il était impitoyable. Leur culture voulait des gens jeunes, grands, athlétiques. Etre en dehors de cette norme induisait pernicieusement la laideur. Par moult artifices, les vieux essayaient de paraître jeune, les petits devenaient grands, les gros se faisaient sucer de la graisse pour devenir minces, tandis que les jeunes grands et beaux étaient non seulement plein de complexes, mais vivaient avec l’angoisse perpétuelle de vieillir, et par là même, de devenir laids. Un vrai monde de fous où pour finir, chacun ne pouvait que souffrir. Il est aussi amusant de constater que la période du déclin de l’art, dont les artisans sans imagination se voyaient à peine capable de produire de pâles copies d’une oeuvre digne de ce nom, coïncide avec celle où l’homme ne trouva plus que sa petite personne pour tenter d’exprimer un semblant de beauté. De plus, l’humanité civilisée avait une frousse panique face à la mort, et c’est ce qui motivait les savants à aller toujours plus loin dans la modification des gènes. Ils essayaient aussi de transformer des embryons humains en divers organes de rechange au cas où l’original subirait des dommages... Mais ils n’y sont pas arrivé. Ceci est toutefois très compliqué, et tu n’y comprendrais rien sans un exemple concret. Toi-même, tu as certainement pratiqué de la génétique sans le savoir.
- Jamais de la vie !
- Bien sûr que si. Lorsque tu as choisis ta femme, quel fut l’élément qui a décidé ton choix ?
- Je voulais juste un bon petit bout de femme bien robuste ! Rien de génétique, comme tu dis.
- Ce que tu viens de me dire est de la génétique. Tu choisis une femme robuste car tu sais que pour espérer de solides enfants qui deviendront un jour des guerriers, tu auras plus de chance d’y parvenir avec une forte femme qu’avec une chétive et malingre. A la conception, vos gènes distinctifs en créent de nouveaux, une sorte de combinaison entre les tiens et ceux de la mère, et cela donne un enfant qui s’est servis de vos gènes pour construire son arbre ADN, son propre arbre de vie.
- C’est aussi simple que ça ?
- C’est en fait si simple que l’homme connaît la génétique de manière naturelle. Toutefois, les scientifiques de l’avant Chaos n’acceptaient plus cette part d’inconnu que laisse la génétique naturelle. Ils avaient le pouvoir de créer des embryons en dehors du sein maternel. Ils en retiraient ensuite les gènes qui ne leur convenaient pas, et rajoutaient ceux qu’ils souhaitaient. Ils manipulaient le fondement même de la vie et de la création telle que voulue par Dieu. Ce sont de toutes manières des techniques que nous n’avons jamais utilisées à Rome, et qui nous paraissent totalement désuètes aujourd’hui.
- Tout de même, c’est fort de pouvoir disposer de tout le matériel de rechange !
- Mais en même temps, c’était une déviance de la médecine sans précédent. Le père de la médecine, Hippocrate, qui vécu 2’500 ans avant l’invention de ces techniques, avait établi un serment, une sorte de grande règle déontologique de la médecine : “Le médecin ne tuera jamais ni n’avortera, même à la demande du patient. Le médecin soigne un point c’est tout, il ne détruit pas une vie pour soigner, il ne fait que soigner, là se trouve la limite de son art !” Dans cette logique, tuer un être humain, même non né au grand jour, pour en faire du matériel de rechange médical était une déviance claire de la règle.
- Et vous avez abandonné la technique ?
- En ce qui concerne notre société romaine, nous continuons à appliquer la première doctrine d’Hippocrate : Nous soignons. Et nous soignons beaucoup mieux que les savants de l’avant Grand Chaos sans avoir recours au meurtre pour guérir.
- Bravo, c’est sage ! Dans notre société aussi, la femme enceinte fait l’objet de toutes les attentions, et personne ne penserait à de telles choses, ... de trafic génétique, comme tu dis.
- Ceci n’était qu’un point, mais une grande déviance qui faisait partie de multiples autres du monde d’avant le chaos.
- Lesquelles ?
- « A cette époque, la femme n’était pas respectée comme aujourd’hui. Elle croyait avoir reçu un grand cadeau de la société lorsque celle-ci décréta par la loi le droit d’avorter le fruit de son sein, mais ce fut plutôt une malédiction pour les femmes qu’une bénédiction. Une fois ceci légalisé, les pères se déresponsabilisèrent face à leur progéniture, quittaient leur femme enceinte, et le choix qu’elles croyaient avoir gagné devint de plus en plus un non-choix. Elles ne pouvaient plus élever les enfants et subvenir aux besoins d’une famille du fait de la désertion des pères, sans compter que la société elle-même faisait pression sur les femmes pour qu’elles soient rentables et productives au travail… On leur faisait croire qu’elles avaient gagné de grands privilèges, mais en réalité, il s’agissait d’une exploitation phénoménale de la femme à tous les niveaux. »
« D’un autre côté, les parias jouissaient d’une grande considération sociale et politique, ils formaient même des groupes de pression pour que la société considère leur mode de vie comme étant bon et moral, ce que la société accepta. »
« L’honneur et la parole donnée ne valaient plus rien, et chacun trahissait au gré de ses intérêts sans aucune remontrance particulière de la part d’un ordre moral qui n’existait plus. Les hommes vivaient comme si Dieu lui-même n’existait plus, et leur principal centre d’intérêt était… eux-mêmes ! Bref, c’était vraiment un drôle de monde. »
- Incroyable, c’est en fait comme notre monde du chaos, mais à l’envers !
- Oui, on pourrait dire ça comme ça !
- Et alors, qu’est-ce qu’il se passait encore ?
- En plus de tout ça, ou pour ne pas voir leurs réels problèmes, ils s’étaient inventé un gros souci écologique.
- Un quoi ?
- Ils avaient une peur bleue d’avoir trop chaud. En somme, les températures du climat mondial étaient de cinq degrés inférieures à aujourd’hui, mais ils pensaient que si le climat grimpait de deux ou trois degrés, ils se retrouveraient face à l’apocalypse, la fin des temps, tout ça parce que les hommes consommaient de l’énergie polluante. Ce fut une grande préoccupation de l’époque.
- Les rois de l’époque n’ont pas vu le fléau venir ? Et interdit la pollution ?
- « Les gouvernants politiques ont tout de suite vu venir, pas le réchauffement, mais ce que le réchauffement pouvait rapporter aux caisses de l’Etat ! Tout compte fait, je pense que les dirigeants de ce temps trouvèrent cette idée de réchauffement formidable : elle leur permis d’instaurer de nouvelles taxes et impôts sans protestation ni manifestations des peuples. Tous ceux qui osaient s’indigner étaient diabolisés et étiquetés « ennemis de la nature », ce qui était très mal vu. Les politiques se contentèrent grosso modo de remplir leurs caisses pour finir par ne rien faire contre ce danger potentiel. Les promesses suffisaient. »
« A la fin du compte, la pollution aida le chaos à s’installer, elle ne le provoqua pas. Les hommes se sont chargés tous seuls de créer le Chaos avant les grandes catastrophes qu’emmena ensuite la pollution. La création du Chaos, je crois qu’on peut d’abord l’imputer à la maladie de l’esprit humain. Plus les gens étaient informés et instruits, plus ils se rendaient compte, peut-être inconsciemment, que le mode de vie qu’ils avaient créé sur terre ne pouvait pas durer, que l’épuisement des ressources s’accélérait, qu’ils vivaient une sorte de sursis. Un dernier délai dont il fallait profiter au maximum. Même si cela n’était pas vraiment conscient, on remarque à cette époque de l’histoire des attitudes de plus en plus extravagantes dans tous les milieux de la société. Un mode boulimique de consommation lié à toutes sortes d’attitudes tout à fait étonnantes. »
- Quoi par exemple?
- Oh, des choses dont tu ne peux même pas imaginer avec tous tes efforts. Imagine la chose la plus incroyable et dis-toi simplement qu’ils l’ont faite. Si je te racontais, tu ne me croirais de toute façon pas. Passons donc sur ces extravagances et allons à l’essentiel. Les ressources de la planète permettaient peut-être à 2 ou 3 milliards d’hommes de vivre ainsi leur vie, même boulimique. Par contre, ces ressources étaient insuffisantes pour permettre aux 7 milliards d’habitants que comptait la terre de vivre comme les 2 milliards favorisés. On se retrouvait donc avec deux modes de vies foncièrement différents : D’un côté, les boulimiques de la consommation et d’excès en tous genres ; et de l’autre, les faméliques et les laissés pour compte, se contentant de rations rachitiques pour survivre.
- Il fallait donc que les 2 milliards de boulimiques deviennent simplement normaux pour permettre aux faméliques de profiter aussi un peu des ressources de la terre !
- Oui…, mais ce n’est pas ce qu’il se passa. Face à la crainte d’un épuisement des ressources, les nations les plus puissantes cherchèrent à s’assurer leur approvisionnement. Leur désintérêt pour les énergies non polluantes avait conduit les scientifiques à des connaissances moindres dans l’utilisation d’autres ressources. Le pétrole est un liquide inflammable qui produit une énergie considérablement puissante, mais assez polluante.
- Le Pétrole ! C’est ça... J’avais découvert une brochure de l’ancien monde, ils parlaient justement du pétrole. ...du pétrole sans les arabes, c’était ça !
- Certainement, ils devaient aller là où le pétrole existait. La plupart des dernières grandes guerres d’avant le Chaos étaient des guerres pour assurer cet approvisionnement indispensable à leur technique. Au début, on inventait de grands prétextes à ces nouvelles guerres. Mais les populations des plus puissantes nations savaient au fond que ces ressources naturelles étaient vitales pour eux. Ils acceptaient les pillages des pays faibles, même s’ils émettaient quelques protestations de façade par rapport à ces guerres. Leur force dépendait de la faiblesse des pays producteurs d’énergie. Pour résumer, on pourrait caricaturer la situation en disant que les richesses du sud se concentrèrent au nord, et la pauvreté s’installa au sud.”
- Et ils ne se sont pas révoltés, les sudistes ?
- Au début ils n’en étaient pas capables, mais l’injustice n’est jamais gage d’équilibre et de paix. Les hommes ne sont pas plus fous que les oiseaux migrateurs. Ils savent où se trouve l’abondance, alors que chez eux, il ne restait même plus de miettes. Alors, comme les oiseaux, les sudistes, comme tu les appelles, ont migrés. Pas tous, mais beaucoup. Les sudistes avaient d’autres mœurs et coutumes que les nordistes, et au lieu d’adopter la manière de vivre de leur pays d’accueil au nord, beaucoup d’entre eux ont préféré respecter les traditions de leurs ancêtres, qui pouvaient sembler barbares aux nordistes. Des frictions ont débuté, puis il y a eu des révoltes, et enfin des attaques. Les attaques n’ont pas débuté entre un pays et un autre, mais de l’intérieur même des puissantes nations du nord. Il y a eu des révoltes de la part de certains peuples marginalisés qui agitaient une devise tout aussi convaincante que les puissants: “Dieu dénonce l’injustice, donc je vais tuer les injustes pour rétablir la justice de Dieu...” Une sorte de maxime... Tu vois comme l’esprit humain était prompt à interpréter une des première règle que Dieu nous à légué : “Tu ne tueras point”. En travestissant un des plus grands commandements, ils pensaient qu’ils tuaient pour Dieu, et cela leur donnait encore plus de force de conviction. Note, du côté des puissants, vers la fin ce n’était guère mieux.
- Que s’est-il passé ?
- Une folie collective. La tension était à son comble un peu partout, l’injustice et l’iniquité régnaient au sein des populations. Avec les moyens techniques dont disposaient les puissants, les misérables devinrent de plus en plus misérables tout en voyant, au travers d’une sorte de lucarne, les nantis du monde devenir de plus en plus riches. Ils en sont arrivés à un stade où le monde n’était plus qu’une vallée de misère pour les trois quart des gens, et une vallée de larmes dans des souffrances de l’esprit pour le quart qui restait. La situation n’était de toute manière plus tenable. Tout a commencé par le renversement des chefs des pays les plus pauvres par leurs propres populations. Les grandes puissances n’en pavoisaient pas pour autant. Leurs peuples respectifs s’assemblaient par centaines de milliers dès que plusieurs chefs de grandes nations se réunissaient. Puis, rois et gouvernements de pays du sud, riches en matières énergétiques, ce fameux pétrole, furent à leur tour renversés par leurs populations, gagnées par le fanatisme de quelques uns. Les nations tombaient les unes après les autres. Chez nous, nous appelons cela l’effet domino, mais tu ne peux pas comprendre. Des gens prêt à tout avaient entre leurs mains des armes dont tu ne peux imaginer la puissance.
- Dans ma brochure, il était fait mention d’islamistes ?
- C’est cela, les islamistes ont joué un certain rôle à l’origine du Chaos. Ils y ont participé, comme tous les autres. S’il n’y avait pas eu les islamistes, il y aurait eu un autre déclencheur. Leur société n’était en fait plus viable, et elle ne pouvait qu’éclater, et c’était voulut par les maîtres du monde.
- Les maîtres du monde ?
- Oui, une sorte de très vieille confrérie secrète qui réunissait les hommes les plus puissants du monde. Leur idée fixe depuis très longtemps était de diriger le monde, et lorsque je dis le monde, je veux dire : Tout le monde, tous les individus de la planète ! Leur devise était : « Ordo ab Chaos », l’ordre à partir du désordre. Ils arrivèrent à plonger le monde dans une crise économique qui provoqua des désastres sociaux dans tous les pays développés, et ensuite ils armèrent les islamistes pour leur donner les moyens de frapper les plus puissantes nations. Leur objectif, secret, était de faire table rase de toutes les nations et royaumes de la terre, pour ensuite venir se positionner au grand jour en sauveurs de l’humanité en leur offrant LA solution : Ils avaient mis au point une technique de marquage pour régenter la vie de chaque être humain afin que les crises ne surviennent plus, ils se proposaient de rétablir l’ordre en prenant les commandes d’un empire qui serait mondial, et ainsi exercer un pouvoir absolu sur la planète et ses peuples. Mais au lieu d’appeler à l’aide ces grands Messieurs, les hommes les rejetèrent après la chute des nations. L’humanité préféra le Chaos au grand monde mondialisé…
- Heuuu, j’ai pas tout saisi, mais c’est bien fait pour les maîtres du monde. Si je comprends bien, je fais l’inverse d’eux ? Eux ils ont créé le Chaos, et moi je le détruis ?
- Exact.
- Bon, à part ça, moi ce qui m’intéresse c’est les armes, ils avaient des armes plus puissantes que vos cannes ?
- Oui, nous avions dû tuer au début du chaos pour nous protéger, avec les armes à notre disposition. Ensuite, nos savants inventèrent des armes incapables de tuer l’homme.
- Comme Renaissance?
- Oui, dans ce registre.
- Les armes de l’ancien monde étaient donc infiniment plus meurtrières que les vôtres ?
- « On peut le dire, oui. Les hommes avaient mis à profit leurs connaissances de la science pour inventer des armes nommées nucléaires. Au commencement, seules quelques nations garantes de la paix du monde étaient suffisamment équipées pour les construire. Mais vers la fin, ces armes avaient proliféré dans une vingtaine de nations. Les puissants avaient faillit dans leur mission de maintenir la justice et la paix dans le monde, au lieu de cela, le monde s’était engouffré dans l’iniquité et la corruption. Un échec total, et une véritable humiliation pour les sudistes. »
« Des parents voyaient leur progéniture mourir de faim. On leur demandait de surtout rester en paix, mais on ne faisait rien pour améliorer leur sort. Les puissants n’avaient plus guère le choix que de faire bloc devant la soif de vengeance de ces populations. Fiévreusement, chacun préparait l’affrontement qui n’aura jamais eu lieu. Si les pays du nord avaient indéniablement une plus grande puissance, les pays du sud avaient un avantage aussi. Comme beaucoup de leurs hommes avaient migré au nord, ils étaient partout. Ils frappèrent donc de l’intérieur même des pays. »
- Les trois villes-capitales occidentales détruites ? C’est avec ces armes ?
- Avant la guerre qui semblait devenue évidente, trois grandes villes du nord, autant grandes que Rome, explosèrent. Une seule de ces bombes nucléaire pouvait faire disparaître une grande ville à elle toute seule. Voilà qui te donne une idée de la puissance des armes dont ils disposaient. Trois bombes, trois villes qui n’existaient plus et des millions de morts d’un coup.
- Infernal ! Mais dans ma brochure, ils nommaient cela “bombe atomique”.
- C’est la même chose. Mais cela n’est pas tout ; ces bombes dégageaient encore un méfait plus pernicieux, elles intoxiquaient l’air, les nuages, la pluie.
- C’est incroyable ! Complètement malades ces types ?!
- Malades certes, et je t’avais prévenu que tu ne pourrais croire à tout, mais c’est ainsi que cela fut. Les grandes puissances se réunirent alors pour ordonner leur riposte. Leurs chefs se rencontrèrent dans une réunion au sommet. Elle déclencha le petit chaos. Durant cette réunion, plusieurs chefs quittèrent l’assemblée en informant la foule que le nord s’apprêtait à rayer de la carte les populations du sud du globe. Ils devaient ainsi faire d’une pierre deux coups, si l’on ose dire : D’un côté ils auraient vengé la destruction de leurs villes, et de l’autre, ils pourraient survivre techniquement avec les richesses énergétiques du sud. Le sud sans sudistes en fait, le pétrole sans arabes ! Un grand rêve de l’époque... Les frappes nucléaires de représailles devaient être effectuées dans des conditions météorologiques favorables, ceci afin que les vents n’emmènent pas le poison nucléaire vers les territoires du nord.
- C’est donc l’idée américaine qui l’a emportée ?
- « Au début, c’était l’idée américaine, mais ensuite, l’idée prit de l’ampleur pour contaminer bien des chefs d’états. Cependant, les chefs radicaux, nommés justement les islamistes, qui avaient renversés les gouvernements du sud, venaient de détruire trois villes en annonçant que 18 de leurs bombes nucléaires étaient déjà en place dans d’autres cités nordiques. En cas de riposte, ils prédirent qu’une destruction finale aurait lieu. Les populations nanties étaient de toute manière à bout. Si les sudistes avaient l’habitude de voir mourir les leurs, ce n’était pas le cas au nord, et eux tremblaient devant cette grande destruction. Ils rejetèrent leurs propres gouvernements qui s’apprêtaient à condamner une partie du monde, et peut-être la totalité en cas de riposte du sud. »
« La plèbe nordiste s’introduit donc en masse dans le bâtiment où étaient réunis leurs chefs. Ce fut un grand massacre des chefs dans l’enceinte même du palais, et c’est là que les maîtres du monde furent prit de vitesse, car dans leur plan, ils comptaient s’appuyer sur le reste d’autorité de ces chefs pour ensuite recevoir d’eux le pouvoir total par cession. Tous ces gouvernements furent ensuite renversés par la populace en folie dans leurs propres patries. Ce fut effroyable, mais peut-être ce qui sauva le monde. »
« Une sorte d’anarchie se mit à sévir un peu partout. Voyant que l’ennemi n’existait pour ainsi dire plus, puisque le chaos s’installait au nord, les islamistes n’avaient plus lieu d’être au sud. Ces gens existent s’ils ont un ennemi. Sans ennemi, ils se virent incapables de gérer et maîtriser leurs nations et populations. Le chaos s’installait partout. Le pontife de l’époque avait mené des tractations avec les différents états-majors des armées lorsque celles-ci se retrouvèrent sans nation, sans chefs : Tous morts, et leurs gouvernements inexistants. Le pontife obtint de la plupart des chefs militaires de ne pas tirer sur leur propre peuple. Mais surtout, il réclama un accord sur l’utilisation de ces armes aussi dévastatrices que dangereuses pour l’humanité tout entière. Si le sud se perdait à son tour dans le chaos, il serait vain de sacrifier autant de vies pour un résultat identique. »
« Le sud sombra dans le chaos pas même un an après le nord. Les armées se morcelaient, devenaient de plus en plus des sortes de guérillas protégeant des régions plutôt que des nations qui n’existaient plus. Le nord et le sud n’étaient pas plus avancés, mais le danger de la fin de l’humanité semblait s’éloigner. Il ne s’agissait plus d’attaquer un adversaire de l’autre côté du monde, mais contenir ses frontières locales. Après une longue médiation entre les différents chefs militaire détenant ces armes, ils acceptèrent de ne plus en faire usage et de s’en débarrasser. Le monde était peut-être sauvé, mais le chaos avait commencé. Les soldats avaient rejoint leur ville ou village. Il y eu encore des explosions immenses, tous les pays n’ayant pas respecté l’accord sur l’arme de destruction nucléaire. Mais ce n’était plus que des soubresauts d’individus qui voulaient encore croire au monde qu’ils avaient connu, notamment les chinois. »
- C’est qui ceux-ci encore ?
- « Le plus grand peuple du monde. Il avait vu le monde s’écrouler sans n’avoir participé à rien ! Sans doute un peu frustré, leur gouvernement tenta de soumettre le reste du monde et s’attaquèrent à quelques nations qui n’existaient même plus, en faisant usage de leurs armes nucléaires, … mais sans effet, car les pays n’allaient pas se reformer pour faire plaisir aux chinois. Leur gouvernement tomba lui aussi à la suite d’une énorme crise économique et alimentaire, l’année suivante. »
« De fait, les gens se repliaient sur eux-mêmes. Ils ne voulaient plus de ce grand monde si cruel, ils ne voulaient pour ainsi dire plus en entendre parler. A ce grand monde là, ils préférèrent la sécurité de leur petite ville où village. Ce n’était toutefois pas encore la pire des périodes que connu le monde. Il y eu bien sûr beaucoup de personnes qui ne pouvaient pas accepter ce nouveau monde chaotique, et ils baissèrent les bras. Je pense qu’il n’y a jamais eu autant de gens dans l’histoire de l’humanité qui se soient donné la mort de leur propre main. Ces années qui ont fissuré l’ancien monde donnèrent lieux à des hécatombes de suicidés. Toutefois, certains semblaient comprendre leur nouvelle situation. Coupés de leur ressource énergétique première, le pétrole, les hommes du nord ne pouvaient plus utiliser leurs fantastiques machines. Dans la vallée d’où tu viens, ils ont pu repousser le vrai chaos de quelques dizaines d’années car ils utilisaient l’eau des montagnes pour en faire de l’énergie. Ils purent donc maintenir un minimum de technique un peu plus longtemps. »
- Ils n’avaient pas encore d’enceintes en ce temps, n’est-ce pas ?
- C’est exact, et ta vallée alpine est restée plus où moins calme pendant que les autres mourraient de faim. Tes ancêtres redevinrent des besogneux, cultivateurs, éleveurs. Il leur restait encore quelques unes de ces notions, tandis que les grandes villes étaient à l’agonie, des épidémies y faisant des ravages.
- Parce qu’avant d’être cultivateurs ils étaient quoi ? Tous guerriers ?
- Ce n’était pas aussi simple, ils n’avaient pas du tout la même vie que vous. La majorité des gens des villes restaient toute la journée assis dans des endroits qu’ils nommaient « bureau », pour travailler à milles choses différentes et très complexes.
- Ils travaillaient assis ? Ils n’étaient ni cultivateurs ni guerriers, ni marchands et ils travaillaient assis ?!?
- Le monde dans lequel ils vivaient avait besoin d’eux, c’était eux qui participaient à faire que cette société puisse continuer à fonctionner. Cela semblait d’ailleurs leur convenir, ils avaient un système de monnaie pour acheter et vendre.
- De la monnaie, qu’est-ce cela encore ?
- Oublie ça, il aurait mieux valut que je ne t’en dise rien. La monnaie était peut-être une de leur pire invention, ce qui a rendu malade l’esprit humain. Continuez vos trocs et vos commerces, ils sont sains.
- Alors c’est cette monnaie qui a provoqué le véritable Grand Chaos ?
- Non, la monnaie disparût en même temps que les nations. Elle ne valait ni ne servait plus à rien. Elle aurait théoriquement dû être remplacée par des systèmes électroniques très savants implantés sous la peau des gens, mais finalement cela ne se fit pas, et la monnaie fut tout simplement oubliée. Mais le pire restait à venir. L’épuisement des ressources, la pollution de l’air, la quasi disparition des grandes forêts, des nappes phréatiques empoisonnées, des catastrophes naturelles à la chaîne, des épidémies monstres... Aujourd’hui, tu repars dans un nouveau monde avec une seule dominante : La force, voilà la valeur la plus élevée de votre civilisation.
- Cela n’en a-t-il pas toujours été ainsi ?
- Dans l’ancien monde, la valeur dominante était la puissance financière.
- Que signifie “financière” ?
- Cela avait justement un rapport avec la monnaie. Plus les gens avaient de cette monnaie, plus ils étaient riches et plus grande était leur puissance. La force physique n’avait plus beaucoup d’importance.
- Mais, des faibles ne dominaient tout de même pas les forts ?
- Bien entendu. Des petits malingres pouvaient avoir des dizaines de forts pour les protéger, peu importait que les chefs soient forts ou faibles. Vos marchands ne sont pas toujours les plus forts non plus, et ils commandent les meilleurs guerriers.
- Tout de même, c’est des marchands ! Tandis que d’après ce que tu me dis, avec cette monnaie, les guerriers se laissaient commander ainsi par des ridicules ? C’est invraisemblable !
- Ce fut pourtant ainsi. Le monde a changé de visage suivant ses nécessités. Dans l’ancien monde, les enfants venant au monde n’étaient pas toujours accueillis à bras ouverts. Vers la fin de l’ancienne civilisation, quelques dizaines d’années avant le Chaos, bien des femmes demandaient à leur guérisseur de tuer l’enfant en elles pour qu’il ne puisse naître.
- Bon Dieu quels barbares !... Mais comment se fait-il que des êtres aussi intelligents en soient arrivés là ?
- Ils ne savaient plus ce qu’ils faisaient, l’esprit à la dérive... Maintenant, une femme qui chercherait à éliminer l’enfant qu’elle porte serait immédiatement rejetée parmi les parias. Tandis qu’avant, c’était normal. Si la venue de cet enfant pouvait lui poser des problèmes d’organisation, elle pouvait le détruire avant même sa naissance. De toute manière, si elle décidait de donner vie à ce petit, elle n’était nullement plus considérée que si elle restait inféconde. Aujourd’hui, une femme qui a donné la vie dispose de toute la déférence possible de la part du sexe fort. Une sorte de respect si particulier, que les anciennes mères se sont vues dans l’obligation morale de fonder des conseils de matrones pour juger leurs congénères ! Vous êtes devenus incapables d’objectivité face aux femmes qui enfantent. Votre monnaie, votre richesse, votre puissance repose sur la fécondité de vos femmes et vous en êtes conscients. Vous faites ainsi tout votre possible pour qu’elles atteignent cet objectif en les préservant au maximum de toutes tâches qui pourraient les blesser. Vous donnez aussi votre vie pour sauver vos femmes de la capture. Elles ont aujourd’hui le respect qu’elles méritent pour ce qu’elles font de mieux : des enfants ! Et cela est bon. Votre comportement provient du phénomène de l’instinct de survie de l’espèce.
- Comment cela?
- La population mondiale fut décimée durant 3 siècles, et faillit disparaître. Pour ne pas s’éteindre, les femmes fécondes furent en quelque sorte sanctifiées par la tribu. L’humanité a ainsi pu croître selon un schéma plus ou moins bien établi. Lorsqu’il ne reste plus rien, on redécouvre l’essentiel : Essayer de rester en vie et sauver l’espèce du naufrage... L’humanité a surmonté l’épreuve de la peste nucléaire, mais perdit tout ascendant sur la création. Depuis mille ans, vous participez à reconquérir votre dû : La création que Dieu offrit à l’homme. Pour cela, les femmes restent en grande considération dans votre Chaos. Il vous faut de la descendance pour repeupler le monde... Dans l’ancienne civilisation, les femmes recevaient la considération sociale en fonction de leur travail, et non de leur descendance. Ceci a également contribué à la destruction de la perception de la vraie nature des êtres ainsi que de la famille, mais c’était avant le début du Chaos.
- Sais-tu ce qu’il y eu dans ma vallée lors de ce Chaos ?
- « Oui, j’ai fait consulter nos archives depuis ton dernier passage. En fait, vous avez étés gâté durant encore pas mal de temps. L’époque était dure, certes, mais il y avait peu de querelles entre vous. Cependant, vous défendiez férocement l’accès à votre vallée. A l’intérieur, vous étiez bien lotis par rapport aux autres, mais c’était pour le payer chèrement plus tard. Vous aviez de l’énergie grâce à de grands barrages construits dans les montagnes qui retenaient d’immenses masses d’eau. C’est grâce à eux que beaucoup de centres vitaux de l’époque purent continuer à fonctionner. Car à partir de cette eau, vous arriviez à fabriquer de l’énergie. Par exemple, vos hôpitaux, qui étaient en fait d’immenses centres de soins, ont fonctionné durant encore longtemps,... jusqu’à ce qu’un premier barrage ait craqué. Une cinquantaine d’années après le début du petit chaos, de grosses catastrophes faisant des multitudes de morts vous frappèrent. Le Grand Chaos débuta trois générations après la fin des nations. Certains vieillards de cette époque ont connus les deux chaos successifs à quelques 70 ans d’intervalle, tous deux ayant sévit au 21ème siècle. »
« Alors que le monde se remettait à peine de sa nouvelle condition, le coup de grâce tomba. L’humanité commençait à tenter de redémarrer quelques semblants de coopérations, essayait de rebâtir sur des ruines encore fumantes. Certains disposaient toujours des connaissances de l’ancienne civilisation, et ils pensaient pouvoir réussir. Mais c’est justement en ce temps de la dernière chance que la fin de l’ancien monde survint. Les fameuses bombes nucléaires qui avaient été débarrassées, ainsi que des multitudes de ces déchets empoisonnés, à force de pourrir dans divers dépôts, répandirent leur poison invisible dans les airs. Des masses incroyables de ces déchets mortels avaient même réussis à polluer la mer. Il y avait les pluies acides, le monde ne savait plus ce qui lui arrivait, même si d’aucuns prophètes de la dernière heure avaient annoncé cet ultime fléau. L’humanité souffrit toutes les plaies possibles durant une quinzaine de générations. Ils tombaient malades, naissaient déformés, mourraient jeunes. Ce fut la période la plus dure. Le temps de la peste nucléaire, de la disette, de la maladie et de la mort partout. L’humanité agonisait véritablement. Tous les hommes souffraient et voyaient mourir énormément de leurs proches. La mort envahi la terre durant près de 300 ans, le temps que le poison perde son potentiel nuisible. Entre temps, nous croyions que tout était fini.
- Et pourquoi Rome a résisté?
- Nous fûmes aussi sujet à cette agonie. Notre médecine nous aidait, mais en ce temps, nous ne connaissions pas encore de remède contre ce mal, et notre population en fut durement touchée. Rome n’a pas été emportée par le Chaos, non. Après la chute des gouvernements, la dernière autorité qui restait et qui pouvait encore être respectée était celle du pape. Nous avons pu compter sur des millions de fidèles venus assurer la protection du Saint Siège et de Rome. Comme des brebis perdues, elles cherchaient un berger. Beaucoup venaient de loin armés, avec leur famille. Le pape les accueillit tous à Rome et ils étaient d’excellents combattants lorsque nous étions agressés. Ils construisirent d’ailleurs toute cette enceinte, eux et leurs descendants.
- Oui j’ai remarqué, prodigieux ! Les autres en ont fait autant ?
- Non, pas tout de suite. Mais les uns après les autres, les villages et les villes se repliaient sur elles-mêmes et commençaient à se protéger de tout intrus, surtout lors de l’époque des grandes maladies. Dans ces conditions, les hommes se concentrèrent de plus en plus sur l’essentiel : manger et survivre, et du peu qu’il en restait, ils oublièrent l’esprit. Ils ressemblaient plutôt à des bêtes hargneuses. D’ailleurs, Rome finit par accueillir presque tous les plus grands savants. Ils venaient y chercher refuge. A l’extérieur de nos enceintes, depuis la chute des nations, les guérillas faisaient la loi, les autres autorités avaient disparût. Cela faisait peine à voir. Tout ce chaos résulte en fait d’une suite d’événement dû à la maladie de l’esprit de l’homme. Je pourrai te parler durant des heures, mais jamais je ne pourrai te dire : - “Voilà, c’est ceci ou c’est cela qui a provoqué le chaos !” Pas une chose plus qu’une autre, seulement la folie humaine... Avec son esprit malade, errant, l’homme a créé de ses propres mains son Grand Chaos. Tout cela alors qu’il disposait d’une maîtrise technique que jamais jusque là l’humanité n’avait atteint. Dieu n’est intervenu directement à aucun moment, l’homme s’est jeté lui-même dans les bras chaos. En même temps, il réapprit certaines valeurs qu’il avait tout simplement oubliées, comme la valeur des enfants et des femmes.
- Merci, j’y vois tout de même un peu plus clair. Mais comment avez-vous réussi à maintenir cette technique chez vous ?
- « Comme je te le disais fort à propos, beaucoup de grands savants vinrent chercher refuge à Rome après la chute des nations, tandis que nos fidèles défendaient la ville et les territoires que nous revendiquions pour nos cultures. Ces savants ne se sont pas contentés de maintenir la technique de l’ancien monde, ils furent forcés de chercher d’autres sources d’énergie que celles que nous connaissions traditionnellement. Puis, ils ont évolués. En fait, je pense que si j’expliquais notre technique actuelle à un homme du 21ème siècle après le Christ, il en comprendrait autant que toi si je t’expliquais le mécanisme des machines qu’ils construisaient dans l’ancien monde. »
« Toutefois, au lieu de faire tout et n’importe quoi, chacune de nos innovations technique est conçue après avoir répondu à une question fondamentale: “Qu’est-ce que cela apportera à l’évolution du peuple romain, où plus généralement à l’Homme?” Dans l’ancien monde, la devise était plutôt : “C’est possible, donc on le fait.” Nous pensons à l’homme d’après un point de vue différent de nos ancêtres. Nous savons aujourd’hui que notre planète a été conçue de manière parfaite. La Terre évolue avec des multitudes d’interactions qui chacune, s’équilibrent. L’intervention de l’homme peut bouleverser ces équilibres, et il est inutile d’intervenir sur la nature fondamentale des composantes de la création, comme le faisaient les anciens scientifiques. Le Chaos nous a au moins appris cela : Si la science n’apporte rien à l’amélioration de la condition humaine, elle est inutile. Cependant, nous considérons l’humanité comme un tout et non à partir des désirs individuels des hommes. Peut-être qu’une femme de 60 ans souhaiterait avoir l’apparence d’une de trente ans, mais qu’est-ce que cela apporte à l’humanité ? Cette femme se sentira-t-elle mieux dans sa peau ? Peut-être, mais uniquement selon un jugement perturbé qui n’induit qu’une incapacité à s’accepter tel que nous sommes. Une déviance et des utilisations très égoïstes de la science dont nos ancêtres ont largement abusé.
- Ils arrivaient à rajeunir les gens ?
- Non, juste à leur en donner l’apparence. Aujourd’hui, nos connaissances nous permettraient de rajeunir véritablement les humains, mais à quoi cela sert-il ? Après plus de 80 ans de vie, lorsqu’ils ont vus leurs propres enfants faire des petits enfants, et ceux-là en faire des arrières petits-fils, ils ne souhaitent de toute manière plus continuer..., pour faire quoi d’ailleurs ? Nous possédons la connaissance scientifique de la source de jouvence, mais cette technique ne fut jamais utilisée ni conçue. Elle fut interdite et le restera. Une maxime de l’ancien monde disait que la vie est un long fleuve tranquille. Mais à la fin, si le fleuve ne se jette pas dans la mer, à quoi sert-il ? Dieu nous propose la mer entière, pourquoi voudrions-nous rester éternellement coincés entre deux berges ? Pourquoi l’homme devrait-il vivre éternellement les souffrances de la condition humaine, alors que Dieu lui propose le bonheur éternel dans son royaume ?
- Tu m’as l’air d’en savoir un bout sur le sujet, mais c’est ton boulot. Moi je n’ai guère de connaissances dans ce domaine. Qu’est-ce qu’il se passe après la mort ?
- Jésus Christ fera la différence entre les agneaux et les loups. Il prendra les premiers auprès de Lui, dans le Royaume des cieux, tandis que les loups seront précipités en enfer.
- Oh là doucement ! J’ai de la peine à me comparer à un agneau.
- C’est une métaphore, une comparaison pour dire les saints et les maudits. Regardes moi Léopold, je suis le souverain pontife de Rome, Sa Sainteté Paul XII. D’un simple décret, je pourrai conquérir le monde et en faire ce dont je jugerais bon. Et pourtant, je te livre cette ville, comme un agneau, pour te laisser construire le monde. L’important n’est pas la puissance, mais la sagesse de reconnaître que ce qui est bon pour beaucoup, l’emporte sur les désirs, souvent égoïstes, du petit nombre. Tu parles le langage du Chaos, ton épée t’éduque, et ton peuple te comprend, toi.
- Vous ne pensez plus être en mesure de communiquer correctement avec le peuple du Chaos ?
- Communiquer avec eux veut d’abord dire les conquérir. Si je conquière le monde, je ne suis plus le pape mais l’empereur. Ma vocation me suffit, et l’histoire nous a déjà démontré qu’un pouvoir politique respectueux des commandements fondamentaux et de l’église, mais différent, est profitable pour le peuple. Ce qui est bon aujourd’hui pour le monde est un fédérateur, un homme de caractère, puissant, que tout le monde admire et qui parle un langage que tous les peuples comprennent, un homme qui structure une nouvelle civilisation. J’accepte donc de te léguer Rome pour le bien du monde. Ton travail sera de le conquérir et le rebâtir. Tu exerceras ta responsabilité, et ne crois pas que tu seras jeté en enfer. Nous intercéderons pour toi auprès du Tout-Puissant.
- Mais dans ta métaphore, je me compare tout de même plus à un loup ! Lorsque j’incendie des marchés et des clans entiers, tu trouves que ça fait genre agneau ?
- Tu fais avec les moyens à ta disposition, mais après ton passage, que reste-t-il des régions soumises ? Vivent-elles mieux ou moins bien qu’avant ? C’est à cela que tu devras veiller. A ce que ton passage et ton action laisse du bon derrière toi, de la justice, une plus grande sécurité, un monde meilleur. Jésus Christ a dit “aime ton prochain comme toi même”. Ton prochain est les peuples que tu soumets à ta loi. Fait en sorte que la civilisation que tu bâtis soit meilleure que le Chaos, c’est pour que tu puisses mener à bien cette mission que je te cède Rome. Dieu jugera ta conduite lors de ta mort. Tâche de Lui présenter un monde qui relève la tête et qui reprend son destin en main. Accompli ce pourquoi je te laisse ma ville.
- Sacrée affaire tout de même!, concluais-je sous le sourire du pontife.
Quant à ma damnation, le pape se montrait plutôt bienveillant. Il avait d’ailleurs réussi à me faire croire que leur fameux Paradis était même ouvert à nous, les barbares. De plus, le pontife me semblait en très bons termes avec son Dieu et s’il me disait qu’il intercéderait pour moi, j’étais certain qu’il le ferait. Paul n’était ni fourbe, ni homme à mentir, je le voyais et le sentais. J’avais donc bon espoir qu’avec un allié comme lui, je ne pouvais que m’en sortir au jour de mon jugement. Ne m’avait-il d’ailleurs pas dit que c’était son prédécesseur qui tenait les clefs du Paradis ? Je restais ainsi confiant sur mon sort à ce niveau, et de toute façon, je n’avais plus de question dans ce domaine car la spiritualité n’a jamais été l’un de mes points forts.
Le Seigneur Paul dû le ressentir car il se leva en annonçant : - Maintenant, rejoignons la basilique, nous parlerons peut-être encore un peu là-bas.
Après ce tour de Rome où le pape avait vraiment fait ses adieux à Sa ville, nous arrivâmes devant la basilique. Le pontife ne semblait pourtant pas pressé de partir et il s’assit sur le banc de pierre au centre de la place, le même que celui sur lequel je m’étais réveillé le jour zéro de l’an zéro, et il resta là, pensif, fixant l’immense façade de l’édifice. Il était difficile de deviner ses pensées. Parfois, son regard semblait triste mais résigné, mais d’autres fois, lorsqu’il me parlait, je devinais aussi comme une certaine forme de soulagement. De mon côté, je ne pus résister à percer encore quelques mystères:
- Regrettes-tu ?
- La séparation sera certes difficile, mais pour le moment, je ne regrette rien. Il y a trois mille ans, un homme comme toi voulait aussi prendre Rome. Mon prédécesseur, Léon le Grand, l’en dissuada car il avait ses raisons, raisons qui ne sont plus valables de nos jours, c’est pourquoi je fais l’inverse de lui, en espérant ne pas avoir à le regretter un jour.
- Veux-tu me raconter ?
- « Pourquoi pas ? Je ne suis pas si pressé de quitter cette ville Sainte. »
« C’était en l’an 451 après la naissance du Christ. La civilisation romaine avait déjà presque 1’500 ans d’évolution. L’empire de Rome s’étendait sur des territoires dont tu n’imagines pas encore l’étendue. Avant les papes, des empereurs régnaient sur Rome. Mais à cette époque, l’empire était entraîné dans la spirale de la décadence. Les moeurs des individus ressemblaient à ceux des hommes juste avant le Grand Chaos. Je crois qu’on peut dire que la société romaine avait là aussi perdu l’esprit. »
« En ce temps, un barbare comme toi, nommé Attila, naquit en dehors de l’empire. Il appartenait à un peuple de l’est, les Huns. Durant la jeunesse d’Attila, son peuple menait à peu près le même genre de vie que vous. Ils habitaient dans des huttes, fortifiaient leurs villages, s’entre-tuaient entre clans du même peuple, tout comme vous. Ils vivaient dans le chaos. Rome n’avait donc pas à se soucier des Huns, ils étaient bien trop divisés pour représenter une quelconque menace. Attila fut le premier à réussir à fédérer toutes les tribus, ce qui lui valut le titre de premier roi des Huns. C’était un splendide guerrier et un immense stratège. Il fut appelé le fléau de Dieu. L’empereur l’invita même à Rome avec les honneurs en tant que roi des Huns ! Lorsqu’Attila vit Rome, il était sans doute comme toi, subjugué par les beautés de cette ville, lui le sauvage qui sortait de cabanes de bois! »
« Cependant, s’il remarqua la grandeur de Rome, il remarqua également des hommes et des femmes décadents, calculateurs, politiciens, corrompus par le vice et la luxure. Il remarqua aussi des armées fatiguées, démotivées, pressées de toutes parts dans un empire qui n’arrêtait pas de se fissurer. L’empire romain avait d’ailleurs été divisé peu de temps auparavant. Ils avaient créé l’empire d’orient, et celui d’occident, dont Rome était la capitale. A partir du moment où Attila avait vu la cité, il prépara comme toi la chute de Rome. Son peuple vivait dans les territoires de l’est. Il fracassa d’abord l’empire d’orient, puis s’attaqua à celui d’occident. En moins de deux ans, il soumit toutes les villes de l’empire sur sa route jusqu’en Espagne, le territoire le plus occidental du continent. Il pouvait prendre Rome et était prêt à l’occuper. L’empereur de l’époque, assis sur un trône branlant, laissa le pape Saint Léon le Grand négocier avec Attila. Mon prédécesseur le dissuada d’occuper Rome et le grand barbare retira ses armées. »
- Comment a-t-il fait pour le convaincre de reculer ?
- Là n’est pas la question. Après quelques tractations, les Huns partirent. Avec le recul de l’histoire, ce fut peut-être une erreur. Attila était un barbare, mais son esprit était sain, tandis que l’empereur Valentin était incapable de prendre une décision cohérente. Le barbare avait de toute manière fait éclater l’empire romain et Byzantin, en orient. Au lieu de prendre les commandes de ces empires avec des forces vives, il les laissa agoniser. L’agonie fut pourtant de courte durée. En juin 455, Rome fut mise à sac par les Vandales. Au lieu d’Attila : les Vandales, Rome humiliée, et la chute finale d’une grande civilisation. Comme pour l’ancien monde, cette civilisation n’était plus viable. Attila aurait pu être le déclencheur, et puisque ce ne fut lui, un autre est venu. »
- Et Attila ?
- « C’était un fantastique guerrier. Dans ses combats, il a toujours mené ses troupes à la victoire. Beaucoup complotèrent pour tenter de le tuer mais périrent à sa place. Il avait la force, un sens de la stratégie inné, l’intelligence, l’agilité, il ne perdait pas. Mais tout le monde a un point faible non ?... Son point faible était les femmes, tout simplement. Attila mourut deux ans avant le sac de Rome, en 453, empoisonné par sa femme. A n’en pas douter, sans son aveuglement face aux femmes, il aurait fait un grand empereur. Fait attention à toi Léopold. Un sage homme disait un jour : « Bon Dieu, protège moi de mes amis, mes ennemis je m’en occupe... »
« Rome à terre, Attila mort, le monde sombra dans une sorte de petit chaos durant environ 6 ou 7 siècles. Cependant, l’humanité post-romaine s’en sortit mieux que vous. Durant ce petit chaos, il y avait encore de grandes juridictions et royaumes, avec un premier Empereur Chrétien d’Occident déjà en l’an 800, Charlemagne. N’en demeure pas moins que le monde vécu dans l’obscurité durant cette période sans véritables grande civilisation. »
- Les hommes d’avant le Grand Chaos n’arrivèrent pas à se maintenir comme ceux-ci?
- Peut-être auraient-ils pu le faire s’il n’y avait eu les maladies dues aux pollutions nucléaires. Ces trois cents ans de souffrances transformèrent les hommes en vraies bêtes. Tout fut emporté durant cette période, toutes les connaissances de l’ancien monde, sauf à Rome. Il a cependant fallut attendre plus de mille ans pour que vous vous multipliez, et qu’enfin, l’homme reprenne possession de la Terre. Maintenant que vos territoires sont gérés par des chefs qui peuvent compter sur de bons bataillons d’hommes vaillants, ils commencent à regarder un peu plus loin que leur seul marché. Tu es apparu, et te voilà aujourd’hui, tel Attila à l’époque, devant les murs de Rome avec une armée colossale ! J’ai donc choisis de ne pas prendre la même décision que mon prédécesseur. Les temps n’étaient pas les mêmes, toi tu combats le Chaos, Attila se battait contre des empires, décadents certes, mais de puissants adversaires tout de même.
- Mais comment es-tu sûr que je serai capable de bâtir une civilisation ?
- « Tuer son adversaire lors d’un duel est l’aveux d’un demi échec », comment sais-je cette phrase que ton père t’a apprise et dont tu y crois fermement ? « La brutalité est l’apanage des forts, la cruauté est celui des faibles », … c’est ta devise non ? Comment puis-je la connaître ? Comment saurai-je les jours et les années que tu as passé en entraînements pour maîtriser la discipline la plus difficile, parer les flèches de plusieurs tireurs. Comment sais-je que tu fus interdit de tournois durant toute ton enfance, et que tu servis durant deux ans dans l’armée marchande de Monié, dont tu devins le champion ? Comment sais-je que le combat de Tourbillon fut spectaculaire, que tu tuas, armé d’une simple perche métallique, un grand champion, et que ton Dauphin Rino est devenu un de tes plus proches amis malgré le méchant coup qu’il te donna à la jambe ? Comment sais-je que Sabrine te porte une fidélité de coeur indéfectible, que tu lui as offert un quart d’once d’or à chacun de ses accouchements ? Comment saurai-je tout ceci ?
- Mais..., ce n’est pas possible ! Comment fais-tu pour…?
- Je n’aurai pas confié Rome au premier voyou venu. La première fois que tu es entré dans la ville, après avoir passé la muraille sous l’eau, nous t’avons endormi. Dans ta tête, un endroit garde en souvenir tout ce qui s’est passé dans ton existence. Pendant que tu dormais, nos scientifiques ont comme copié cette mémoire.
- Encore ces scientifiques ! Qu’est-ce qu’ils m’ont fait ?
- « Rien, rassure toi, une simple photographie..., mais tu ne comprend pas ce mot. Enfin, toute ta mémoire a été copiée et l’unique exemplaire de cette copie est en ma possession, personne d’autre n’y a accès. Mais je n’en ai que la copie, l’original est en toi. »
« Lorsque je t’ai rencontré la première fois, une analyse sommaire me montra que tu étais un barbare sans coeur. C’est la vérité, ton coeur ressemble à une pierre. Tu as du respect pour certaines personnes, mais tu n’es attaché à personne, bien que tu apprécies Sabrine et que tu fondes de grandes espérances sur Victorio. Cependant, j’ai aussi vu de la puissance, de l’intelligence, des principes, de la rectitude et une volonté rare. Je t’ai donc offert Renaissance, une épée unique. »
« Elle pouvait t’aider à lutter contre le Chaos tout en te civilisant un peu. Mais je sais aussi que sans Rome, tu n’es plus grand-chose. Tous ces guerriers te laisseront s’ils n’ont plus d’espoir de prendre la ville. Ainsi, je te donne une assise pour civiliser le monde, et tes guerriers t’en resteront reconnaissants et fidèles. »
« Vois-tu, si je ne devais retenir qu’une seule chose qui aurait provoqué le Chaos, je la mettrais sur le compte de la haine. La haine de l’autre, la haine de soi-même… Ton coeur étant insensible à l’amour, il est à contrario imperméable à la haine aussi, qui n’a pas d’emprise sur toi. De fait, tu n’as jamais haï, pas même les parias. Tu as toujours fait ce que tu pensais juste, et l’ennemi ne t’a jamais inspiré de haine, mais plutôt des défis que tu aspires à relever. »
- Et pour quelle obscure raison les anciens hommes se haïssaient-ils ainsi ?
- Ils désiraient en fait le contraire. Ils aspiraient à créer une société globale sur le monde tout entier, dont chaque habitant serait soumis aux mêmes règles de paix, de fraternité, d’amour… Ils ne réussirent pas à mener à bien leur mission dans leur monde organisé, car on ne haït pas ceux qu’on ne voit pas. Cependant, sitôt que les populations ont commencé à se mélanger et que chaque peuple y allait de ses petites revendications, la haine de l’autre naquit. Ce n’est qu’ensuite que la grande civilisation globale put voir le jour. Lors du début du chaos, et surtout, lors de la grande peste nucléaire : tous les humains vivant sur la surface de la planète ont adopté le même mode de vie ! Mais il ne s’agissait plus là de globalisation organisée, ce n’était plus que l’instinct de survie qui imposait ses règles à l’humanité tout entière. Ainsi, durant la grande peste, nous vîmes une harmonisation des règles et des lois qui s’étendaient à travers tous les clans du monde. Les anciens avaient donc réussit leur globalisation du monde, mais au prix du Chaos...
- Nos ancêtres n’étaient donc que des savants idiots ?
- Je dirais plutôt des sortes d’aventuriers errants, sans buts ni objectifs, dont la seule aventure suffisait à justifier leurs errances...
- C’est bien ce que je disais, des idiots !
- Comme tu voudras. Maintenant, je vais te confier Rome, je la remets sous ta protection, en espérant que tu sauras te montrer digne de ton règne et de ma confiance.
- J’essayerai, et de toute façon, que pourrais-je répondre à quelqu’un qui a lu dans mon esprit comme mon scribe lit les manuscrits ?
- Je devais tout de même connaître un peu l’homme qui allait tenir le monde entre ses mains...
Nous descendîmes ensemble dans la crypte où avait disparut la suite du pontife quelques heures auparavant, et je vis un prodige.
Dans une pièce à l’arrière d’une série de sépultures de papes, il y avait une porte au beau milieu de la salle ! Elle ne donnait sur aucune pièce. Elle trônait simplement là. Toutefois, entre les battants, il flottait une sorte de miroir qui paraissait onduler comme du liquide. Paul m’informa qu’il avait connaissance des conditions de détention de nos prisonniers, et qu’il pouvait m’aider à résoudre ces problèmes. Il m’indiqua que lorsqu’il aura franchit cette porte, il sera loin, très loin de la Péninsule, de l’Italie. C’était un phénomène prodigieux, mais en fait, je n’en croyais pas un mot, c’était impossible.
D’après les dires du pontife, lorsque notre corps franchit cette porte, il passe comme au travers d’un trou dans l’espace. En fait, le corps disparaît pour réapparaître sous une autre porte qui peut être située n’importe où. L’opération est immédiate. Dans l’ancien monde, ils avaient nommé cela la téléportation, mais ils ne l’avaient pas encore inventée... Il n’y a pas de vitesse de voyage, c’est instantané ! Il m’informa donc que lorsqu’il aura passé cette porte, ses savants modifieraient la destination d’arrivée. Je pouvais envoyer tous les prisonniers indésirables par cette porte... nos fameux parias ! Il m’assura que jamais personne ne les reverrait. Cependant, il m’étonna encore plus en m’informant que les femmes infécondes n’étaient pas envoûtées. Selon ses dires, les stériles souffraient simplement d’une maladie bénigne, que ses scientifiques étaient tout à fait en mesure de guérir. Il me proposa donc de faire passer les stériles par la porte avec les autres bandits, et ils se chargeraient de les guérir pour nous les renvoyer ! Les autres parias réapparaîtront sous une autre porte située dans un lieu d’où ils ne pourront plus nuire, et sans retour possible ! Il s’agissait d’un aller simple, et Paul me dissuada d’essayer d’y passer sous peine de ne plus pouvoir revenir. Le marché était intéressant. Paul faisait soigner les infécondes et nous débarrassait par la même occasion des parias que tous les clans rechignaient à nourrir, enfermés dans de piteuses conditions. J’acceptais cette idée, mais lorsqu’il me proposa de soigner les gens qui aiment les autres de leur même sexe, je déclinais son offre. C’eut été un scandale de les revoir, et personne n’y comprendrait rien. La maladie des infécondes passait encore, mais pour le reste, qu’on s’en débarrasse et qu’on en parle plus. J’avais de toute façon un peu de peine à croire en cette affaire douteuse.
Le pape traversa alors la fine couche bizarre de liquide réfléchissant dans la porte, et il ne réapparût pas de l’autre côté ! C’était formidable, il avait disparût !? A peine un instant plus tard, voilà qu’il réapparaissait en sortant de cette sorte de miroir, mais dans l’autre sens cette fois-ci.
J’étais sidéré :
- Mais où étais-tu ?
- A des milliers de lieues d’ici, là où se trouve actuellement mon peuple. C’est une manière de voyager impensable pour toi.
- Il est difficile de m’imaginer une magie pareille.
- Je sais, et cependant, je vais te faire un dernier présent, ceci est pour toi.
Le souverain me désigna une série de malles plates un peu à l’écart dans la pièce. Il y en avait des centaines, et je n’avais aucune idée de leur contenu. Cependant, Paul s’approcha de la malle en bois la plus proche, et déverrouilla le petit taquet qui retenait le couvercle. Comme par enchantement, le couvercle s’ouvrit de lui-même pour aller se coucher sur le sol de l’autre côté. Lorsqu’il toucha terre, une porte se dressa à la verticale entre les deux couvercles. Lorsqu’elle fut en place, l’étrange miroir ondulant apparût miraculeusement entre les battants.
- « Ceci sont des portes que tu pourras emmener dans tes campagnes. Ces portes te permettront de rejoindre Rome ou n’importe quelles autres provinces en un instant. Celle-ci précisément, est programmée pour t’emmener au sommet de la grande croix. Là t’attend encore une heureuse surprise. J’espère que ce don saura faire diminuer le sang que tu fais couler dans tes combats. »
“Maintenant que Dieu te bénisse Léopold, nous ne nous reverrons sans doute jamais..., pour un peu que tu respectes mes consignes.”
Sur ces mots, il traversa le miroir de la porte fixée au milieu de la salle et disparût pour de bon.
Je me saisis d’une hallebarde et essayais de la passer sous cette porte à travers cette chose, mais l’arme n’apparût pas non plus de l’autre côté. Par contre, lorsque je la retirais en arrière, la totalité de ce qui avait traversé ce miroir visqueux n’était plus là. Il ne restait de ma hallebarde que le bout du manche que je tenais en main. Le reste était resté « de l’autre côté ». Je me saisis alors d’une seconde arme et me dirigeais vers la porte mobile qui était toujours en place dans le coin de la salle pour renouveler l’opération. Cette fois-ci, après avoir disparût derrière le “miroir”, la hallebarde revint intacte. Le pape avait dit vrai, la porte fixe est devenue un passage à sens unique dans un lieu dont on ne revient plus, réservé dorénavant aux parias et autres personnages de cet acabit ; tandis que celle que l’on peut ranger dans la malle fonctionne avec la hallebarde dans les deux directions.
La porte mobile était donc censée m’emmener au sommet de la grande croix, et là il devait encore y avoir une bonne surprise. Mais comment redescendre depuis là-haut ?
Je ne résistais pas à la tentation trop longtemps, le pontife ne semblait avoir aucun intérêt à me voir disparaître et j’avais confiance en cet homme. Alors, d’un pas décidé, je marchais au travers de la porte. Au pas suivant, voilà que je me retrouvais face à un soleil de fin d’après-midi, de biais sur la mer. J’étais sur une grande plate-forme très élevée. En fait, j’étais à extrême pointe de l’immense croix, sous une porte identique à celle de la crypte. Le sommet de la croix était une plate-forme de plusieurs centaines de pas de côté, et il n’y avait aucun risque de tomber. Cependant, depuis la porte située au centre, ils avaient installé des barrières qui menaient jusqu’au bord, un endroit d’où on pourrait observer la ville au bas. Le passage entre les deux barrières était large de 7 ou 8 pas et j’avançais vers le bord. Lorsque je fus proche de l’extrémité et que je commençais à voir la ville au-dessous, je distinguais un cercle droit devant moi. Ce n’était pas un cercle simplement tracé sur le sol, mais métallique. Le plus étrange était que le métal ondulait en petites vagues. J’étais obligé de mettre mon pied dans ce cercle si je voulais atteindre le bord de la croix pour observer la ville plus à mon aise. Mais, pensant à l’heureuse surprise que m’avait prédis le pontife, je m’aventurais dans cette bizarrerie, confiant. Au moment où mon corps se trouva dans le cercle, je fus entouré immédiatement par une espèce de bulle invisible qui s’éleva dans le ciel !
J’étais à moitié terrorisé de ne plus sentir le sol sous mes pieds. En fait, je flottais dans cette sorte de bulle, sa paroi invisible était tout à fait molle, et elle s’avançait au-dessus de la ville, à une hauteur vertigineuse... Je n’étais pas assis dans la bulle, je flottais totalement, … comme ça, en plein ciel ! En tendant la main, je pouvais toucher la face invisible, qui se déformait sous la pression, et je n’osais pas trop forcer de peur de faire éclater la bulle. En même temps, j’étais de plus en plus convaincu par la science de ces romains ainsi qu’en la bonté de leur souverain, et ils m’avaient l’air tout à fait au point avec leurs histoires scientifiques. Après quelques tests contre la paroi invisible, je m’aperçus que je n’avais pas trop à craindre. Alors, je pu commencer à profiter vraiment de cet incroyable voyage au dessus de la grande ville éternelle de la légende.
La bulle m’entraîna d’abord dans un tour de ville à haute altitude, environ celle du sommet de la croix. D’où j’étais, je voyais toute la ville d’un seul regard, ainsi que mes armées massées au dehors, et au bout de la muraille, la mer. Les toits de Rome étaient beiges, marrons, et or. Ces derniers étincelaient sous le soleil oblique du soir et je n’arrivais pas à croire que tout cela était dorénavant à moi, mais le plus fou était de voler ainsi ! C’était phénoménal, et je devais me plier à l’évidence : je ne rêvais pas !
Tout à coup, la bulle accéléra brusquement et descendit en piqué comme un aigle sur mes armées. Je voyais les troupes s’approcher à une vitesse formidable et je pensais qu’il en était fini de moi, que j’allais m’écraser au milieu de mes guerriers. Ah l’heureuse surprise comme avait dit Paul !
Cependant, juste avant de toucher terre, elle s’arrêta. La bulle avait une sorte d’élasticité et il n’était pas possible de s’y blesser à l’intérieur. Par contre, on ne sentait ni l’accélération, ni le freinage, j’étais en totale flottaison, n’étant en rien incommodé par la vitesse !
Je flottais ainsi à quelques coudées au-dessus de mes soldats, qui commençaient à allumer les feux. Je les appelais, leur faisais des signes, mais ils n’eurent aucune sorte de réaction. Alors la bulle se posa par terre et mes pieds touchèrent le sol. Cependant, je ne pesais guère plus qu’une plume, comme si la terre n’exerçait plus aucune attraction sur moi... Un mouvement de mon bras suffit à me convaincre que la bulle m’entourait toujours, car j’heurtais à nouveau cette paroi molle et invisible. Il y avait un guerrier juste à côté de moi, et d’autres pas beaucoup plus loin. Malgré ma présence et mes appels répétés, ils ne s’aperçurent en aucun instant d’une présence juste à portée de main. Je pensais ainsi que je rêvais peut-être, mais nous savons aujourd’hui qu’il n’en est rien, et que tout cela est véridique.
Sans plus tarder, la bulle s’éleva et en une puissante accélération, fonça droit vers la grande muraille de Rome, comme si elle voulait me précipiter contre l’enceinte. Alors que je m’approchais à grande vitesse du mur et qu’il n’était plus qu’à quelques pas, je crû ma fin venue. Lorsque je devais m’écraser contre la muraille, je protégeais instinctivement ma tête avec mes avants bras. Mais rien ne se passa et tout à coup, j’étais dans Rome ! Passé au travers de l’énorme muraille sans n’en ressentir aucun effet... A ce moment, trop d’aberrations s’étaient produites et j’étais persuadé que mon esprit me jouait des tours. Que tout cela n’était pas réel.
La bulle continuait dans la ville à grande vitesse. Elle évitait les basiliques mais passait au travers de tous les autres édifices sur son chemin. Alors que je traversais les épais murs d’immenses palais, je ne sentais rien, juste un court instant d’obscurité... Comme si dans la bulle, rien ne pénétrait. Vrai aussi qu’elle-même ne détruisait rien sur son passage, se contentant de traverser les obstacles sans les endommager... cela aussi était impossible ! Mais ici, ce mot ne devait visiblement pas dire grand-chose. D’ailleurs, même à vive allure, je ne sentais pas le souffle du vent. Je fendais la ville à une telle vitesse que je discernais déjà l’itinéraire : Droit sur le mur d’enceinte du port ! Elle le traversa en un instant et plongea dans la mer.
J’étais maintenant sous l’eau, mais toujours dans cette bulle et avec de l’air normal tout autour de moi. Elle ralentit un peu durant un instant, comme pour me laisser observer des choses que normalement, l’oeil humain ne peut pas voir, les fonds marins. Les poissons étaient magnifiques mais ne me prêtaient eux non plus aucune attention, comme si je n’existais pas.
La bulle pris tout à coup de l’élan pour une longue accélération. Je traversais maintenant les fonds marins à une vitesse que même Arabe n’aurait pas pu tenir, et tout à coup, je jaillis hors de l’eau. L’accélération ne cessait pas, je passais comme une flèche au ras des flots marins. Je voyais l’eau juste sous mes pieds, tandis que sur la rive, les villages côtiers défilaient les uns après les autres.
Puis, tout en continuant l’accélération, elle passa sur la terre en s’élevant de plus en plus. Je volais maintenant à un rythme vertigineux au dessus des villages et des villes. J’eus le temps de reconnaître Livornio et quelques marchés. La bulle fonçait à une vitesse qui dépassait l’entendement, tout droit contre les Alpes. Un instant, je reconnu Tourini, mais à peine avais-je tourné les yeux que la ville disparaissait déjà par l’arrière. A la hauteur d’Aoste, elle commença à ralentir fortement tout en s’élevant au dessus des cimes Alpines. J’arrivais ainsi dans ma vallée, de l’autre côté des montagnes. Cette dernière était déjà plongée dans l’ombre mais on y voyait encore suffisamment, la grande ligne sombre tout au fond m’indiquant le passage du Rôôn. En fait, lorsque j’étais sur la grande croix, le soleil déclinait déjà fortement, et il me semblait que j’avais fait un tel trajet en à peine un quart d’heure ! Au vu de la direction qu’avait emprunté la bulle, je savais qu’elle me mènerait directement à Nendar. C’est ce qu’elle fit pour arriver exactement à l’intérieur de la citadelle. Un instant auparavant, je survolais le clan, et après un piquet digne de l’aigle royal, je traversais les murs pour me retrouver au milieu de ma famille. Sabrine préparait le repas, tandis que mon père entrait justement dans la maison avec le petit Samuel, tenant déjà fièrement son arbalestre sur l’épaule ! Père ne négligeait pas l’éducation de mon fils durant mon absence et j’en fus heureux, il avait là le meilleur éducateur. J’essayais encore une fois d’appeler, mais visiblement, personne ne pouvait ni me voir, ni m’entendre.
Je ne restais dans ma maison que durant un court instant, juste le temps de voir les miens, avant que la bulle ne prenne un nouvel envol, terrible celui-là. Elle entama une accélération verticale depuis Nendar en traversant le toit de la citadelle. Un rien de temps plus tard, j’avais déjà atteint le sommet de nos plus hautes montagnes, encore baignées par le soleil, mais la bulle allait de plus en plus vite. Maintenant je ne voyais plus Nendar, plongé dans l’ombre de la vallée alors que je jaillissais en plein soleil. Les montagnes étaient déjà loin au-dessous et je découvrais le lac de Lémano, dans le soleil couchant. Les marchés avaient déjà allumés les feux. J’allais de plus en plus vite, l’accélération était facile à supporter, comme si l’attraction de la terre n’existait pas autour de moi. Je ne perdais pas une miette de ce que je pouvais distinguer d’aussi haut. Je vis la côte ouest de l’Italie, tandis que l’est était déjà dans la nuit. Les Alpes n’étaient plus maintenant que quelques points blancs signalant les sommets enneigés. Je commençais à percevoir la rondeur de la terre. La bulle sembla cesser l’accélération mais changea un peu de cap, elle se propulsa pour commencer le voyage le plus merveilleux que jamais je ne pensais pouvoir vivre. Durant un temps très court, je fis un tour entier de cette terre qui était un vrai globe. Une partie était illuminée par le soleil tandis qu’une autre était dans la nuit. Lorsque je survolais le monde illuminé, je vis des océans immenses et des terres qui paraissaient petites mais qui assurément devaient êtres très vastes. Il y avait aussi de longues bandes blanches à la surface du globe. Il était difficile de concevoir qu’il puisse y avoir des montagnes enneigées au milieu des océans et je pensais que ce devait être de grands mouvements de nuages. Mais très vite, le soleil se recoucha et je passais dans l’ombre de la terre. La bulle se mit alors en position de descente. Tout en parcourant certainement des distances phénoménales, je plongeais dans la nuit noire. Cela dura un moment, durant lequel je tentais de croire à ce que je venais de voir ainsi qu’à ce que je continuais à voir car la lune était plus belle que jamais il ne fut possible de l’admirer. Tout à coup, je vis de très loin une grande lumière. La bulle fonçait d’ailleurs droit sur elle. Il ne me fallut que peu de temps pour m’apercevoir qu’il s’agissait en fait de la grande croix de Rome, entièrement illuminée ! J’avais bel et bien fait le tour entier du globe terrestre... J’étais parti en direction du jour, je suis revenu dans la nuit, et je m’aperçus que la nuit n’étais pas encore noire à Rome... Ce voyage complet jusqu’à Nendar et autour du monde avait duré moins de deux heures ! C’était magique, incroyable, ... “scientifique”, aurait certainement dit Paul ! Prodigieux en tout cas. Je passais doucement sur la ville et me posais exactement à l’endroit d’où j’étais parti, dans ce bizarre cercle de métal liquide tout au sommet et en bordure de la croix, qui elle, était entièrement lumineuse. Mes pieds touchèrent le sol et en avançant mon bras, je m’aperçus que la bulle avait disparût. J’étais libre d’aller.
Barnabé me demande quelles ont été mes sentiments durant ce voyage magique, mais tout s’est enchaîné à une telle vitesse que la bulle ne m’a pour ainsi dire pas laissé le temps d’avoir de grands sentiments. A peine j’avais entrevu ma famille que j’étais déjà loin, et ainsi de suite. La bulle a été sans répit. Par contre, des émotions oui j’en ai eues ! D’abord de commencer à flotter dans les airs, c’était tout à fait incroyable, et à peine commençais-je à comprendre ce qui m’arrivait, voilà que je me trouvais à des hauteurs qui me donnèrent le vertige. Juste après avoir pris confiance en cette bulle, voilà qu’elle pique sur mon armée, puis traverse la muraille, plonge dans la mer... Des sensations oui, j’en ai eues ! Des émotions aussi lorsque j’ai vu le globe entier au dessous de moi en faisant le tour à une telle altitude qu’on ne distinguait plus le moindre relief sur la planète. Elle était complètement ronde et aucune montagne n’en dépassait ! Ce furent des moments durant lesquels je ne me suis pas trop posé de questions, me contentant d’observer, tout simplement, complètement émerveillé par ce globe, par les fonds marins, de voir Rome et les Alpes depuis les airs, tout cela était merveilleux. Je ne réfléchissais pas trop non, je regardais, j’observais, je ne perdais pas une miette de ce spectacle. J’en fus même ému par cette terre superbe, entourée de ce fin halo bleu. Oui la terre était belle et immense, mais en même temps fragile, car si j’avais bien compris les explications du pontife, les hommes avaient faillit la détruire... Perdue ainsi comme une bille dans un grand néant noir peuplé de planètes et d’étoiles lointaines, elle était presque attendrissante, mais surtout, elle était à nous, les hommes.
Je me retrouvais donc au sommet de la croix, sur l’immense plateforme illuminée comme le reste de la croix. Je ne voyais pour ainsi dire plus rien de la ville et décidais de descendre de là. Il m’apparût bien vite qu’il n’y avait qu’un moyen pour redescendre en ville, et c’était de repasser par la porte trônant au centre de la plate forme sommitale. Après avoir passé entre les battants, par le miroir liquide, j’arrivais dans la crypte, sortant de la porte mobile, et non celle destinée aux prisonniers. Je venais de vivre ce qu’aucun homme de notre civilisation n’avait eu l’occasion d’expérimenter.
Ainsi, j’étais seul dans Rome ! Je détachais un des chevaux blanc du carrosse pontifical pour me balader dans la ville. Cette dernière se compose de larges avenues et d’immenses monuments qui ne semblent pas avoir servi d’habitation, et qui en général, arborent la croix qui les désigne comme étant les fameux lieux saints, ou demeures de Dieu. Toutefois, d’autres monuments tout à fait exceptionnels ornent également la cité. A côté de ces constructions titanesques, s’égrènent des petites maisons individuelles dispersées dans la ville, et qui ont servit d’habitations. Elles sont toutes très solidement bâties avec de bonnes pierres et pas en bois comme nous avions l’habitude de le faire. Toutes ces habitations disposent d’un grand jardin qui offre fruits et légumes, elles ont des places de verdure ou pousse une herbe particulièrement fine et agréable, des terrasses dallées en pierre et abritées sous de beaux arcs extérieurs. Beaucoup de ces demeures disposent de fontaines sculptées dans la pierre, voire d’autres sculptures en marbre, magnifiques.
Dans certains quartiers, c’est plutôt de grandes bâtisses collectives, abritant beaucoup de logements divisés sur plusieurs étages, et tous sous un même toit. Ces immenses habitations sont elles aussi richement travaillées, ornées et sculptées, disposants de parcs et jardins. Elles devaient certainement servir à de très grandes familles. La ville compte aussi de nombreux grands parcs et places au milieu de décors de façades grandioses, et il y a de l’eau partout, des fontaines par centaines. Tout dans Rome est fait pour durer, tout est beau, merveilleux, solide, étincelant. Comme l’avait fait remarquer le souverain Paul lors de notre première entrevue, l’art est l’expression la plus visible qui distingue l’homme de la bête. Dans toutes ces audaces artistiques qui m’entouraient, je pensais alors que ces hommes avaient vraiment montrés, dans chaque recoin de leur ville, ce qui distingue l’homme de l’animal.
Au pas, il me fallut une bonne heure pour me retrouver par devant la grande porte. Mais une fois sur place, je décidais de ne pas l’ouvrir. Rendez-vous compte Barnabé, il y avait des millénaires que Rome fut peuplée. Et tout à coup, j’étais seul dans cette ville gigantesque qui symbolisait le parachèvement de la grandeur de l’humanité. Je décidais ainsi de passer la nuit dans la cité, en solitaire. J’avais 20 ans la première fois que je vis la Grande Ville. 5 ans plus tard, je me retrouvais seul au centre de la Rome mythique, elle était à moi, Paul m’en avait fait cadeau pour quelques raisons qui n’étaient pas encore tout à fait claires dans mon esprit. A vrai dire, je ne comprenais pas grand-chose de tout cela, c’était trop !
Y avait-il d’ailleurs quelque chose à comprendre ? Je ne le savais. J’errais, seul, dans cette ville fabuleuse, léguée à bien plaire par sa Gracieuse Majesté Paul XII...
La muraille de Rome est imprenable. Trop grande pour des échelles, totalement encerclée d’eau, et sans catapultes, jamais nous n’aurions pu prendre cette ville. De plus, les romains disposaient d’armes tout à fait inhabituelles par leur puissance. Ils avaient la technique, des savants, la connaissance de tout, jusqu’à mes pensées et ma mémoire... Oui, j’étais certain que le pontife m’avait légué la cité non pas car il fut un tant soit peu impressionné par mon armée, mais volontairement, sans la moindre contrainte. Paul avait “laissé le monde entre mes mains”. Je voyais l’ampleur de la tâche qui m’attendait : Organiser un monde ! Ce n’était plus un jeu de conquêtes, et je n’avais pas la moindre idée de la marche à entreprendre pour réaliser cela.
Malgré tout, le pontife m’avait fait confiance au point de me léguer Sa ville. Il avait dit vrai : Sans Rome, je n’étais plus grand chose, et Paul voulait que je règne, donc je régnerai. Toi-même Barnabé, et bien d’autres, aiment à me flatter en me disant que je suis un homme hors normes, un de ceux à qui personne, en lisant cette chronique, ne pourra s’identifier. Barnabé me demande d’ailleurs de lui décrire mes impressions, émotions et sentiments qui m’ont habité dans les grands moments de mon existence... Mais je suis très pauvre en tout cela. Si j’arrivais devant une ville rebelle, mon rôle était de la mettre à genou et la défaite n’était pas une option. Il n’y avait ainsi pas trop de sentiments, et après un certain temps, la victoire n’était même plus source de griserie. Le combat contre les villes récalcitrantes ne faisait que retarder mon avancée, et je ne voyais plus une victoire comme un progrès. Après la victoire, nous n’avions même pas droit à un massacre.
Des sentiments ? C’est un peu comme me demander ce qu’est l’amour ? Je peux bien dire aimer mon fils Victorio, mais en même temps, je me disais qu’il fallait que Sabrine me rejoigne le plus prestement à Rome pour la remettre enceinte. Je l’avais mise enceinte avant mon départ, mais c’était il y a plus de deux ans, et lors de mon passage en bulle, je vis qu’elle n’était pas morte et j’en fus satisfait. C’est comme ça, les hommes meurent au combat, et les femmes en enfantant. Les uns avaient besoin des autres et c’était plutôt un calcul qui dictait mes décisions. Pour avoir au moins deux ou trois fils qui arrivent jusqu’à leur majorité de 14 ans, il fallait souvent en faire 5 ou 6. Rares étant les femmes capables de supporter autant d’accouchements, il nous fallait parfois en trouver de nouvelles. Elles devenaient ainsi une denrée rare, et cela suffit amplement pour que les hommes s’en intéressent. Certains affichaient quelques émotions, mais personnellement, je ne voyais là aucun motif de sensibleries. Pour moi, le tout répondait à une mécanique vitale, instinctive de l’espèce, comme avait dit le pontife, et c’est tout. Le plaisir de l’union avec la femme était appréciable, mais chacune peut donner autant de plaisir. Coeur de pierre comme avait dit Paul ? Sûrement, mais n’empêche, si le grand Attila est mort ainsi, je ne pouvais que me féliciter d’être ce que je suis. Un homme de principe au coeur de pierre...
Pour moi, tout avait toujours été difficile, voire impossible. Lorsque mon frère était plus fort que moi, j’avais le droit de combattre. Depuis le moment où je commençais à le vaincre, on m’interdit de jouter avec lui. Avant même l’âge de 8 ans, je ne me battais plus que contre Rufus, mon père, et d’autres guerriers de premier ordre. Ce fut des années d’humiliations. Chaque fois, ils me battaient, voyaient mes erreurs et utilisaient mes faiblesses. Des heures d’entraînements et de combats, des années à perdre sans cesse face à plus fort que moi. Il m’arrivait de vouloir pleurer tant je souffrais mais je n’en avais pas le droit.
Comme consolation, j’étais autorisé à assister aux spectacles des tournois, mais assis parmi le public... Je voyais mes contemporains dans des duels, sûr de l’emporter à tous les coups, mais je n’avais pas le droit d’y participer. Plus tard, vers 17 ans, père m’envoya chez Monié, et là je combattais contre de grands champions, puis seul contre des troupes de parias. Mon corps en reste couvert de cicatrices, j’ai été blessé à mort une fois, et ne dois mon salut qu’à l’intervention rapide de Rufus qui repoussa l’ennemi alors que j’étais à terre.
Oui, ma vie n’a véritablement commencé que le jour du grand tournoi de Toubillon. Depuis ce jour là, même sans Renaissance, personne n’était de taille à m’affronter en duel. Le combat n’a en fait plus jamais été loyal. Je pouvais bien me dire que nous luttions à armes égales, je savais déjà avant de commencer que ces combats n’étaient pas loyaux puisque en toute logique, je ne pouvais pas perdre. J’ai été vaincu tant de fois dans ma jeunesse qu’au fil des ans, j’ai appris à connaître et corriger mes points faibles presque par instinct, et sans cesse perfectionner la technique d’attaque pour chaque fois tenter d’arracher une première victoire... Mais jamais, Rufus n’accepta que je joute avec plus faible que moi. J’avais donc appris à perdre presque continuellement et aujourd’hui je gagne..., toujours ! Je connaissais des techniques que les autres ignoraient, comme cette fameuse gymnastique et ces Arts Martiaux. Avec Renaissance en plus, je devins une sorte de mythe vivant, “le géant qui tient l’épée de feu”, comme on m’appelait aux quatre coins du monde connu.
Avec Rome, je pouvais remodeler le monde. Mais même si je pensais avoir corrigé toutes mes faiblesses, après que le pape m’eut expliqué la mort du grand Attila, empoisonné à cause de sa passion pour la gent féminine, je compris que le plus grand champion pouvait être terrassé dans la pire mort qu’il puisse imaginer. Pas une mort de guerrier, pas une mort au combat, une simple mort dans son lit, empoisonné ! Selon Rufus, nous avons tous un point faible. Alors même si j’avais éliminé toutes mes faiblesses au combat, Attila était la preuve que chez chacun, il reste toujours une faiblesse... Cela me donnait à réfléchir.
Ensuite, un peu comme Attila le barbare, quelques 3’000 ans plus tard, je m’émerveillais de cette ville, mais en même temps, je progressais à nouveau dans la difficulté. Je devais bâtir une nouvelle civilisation... Là serait dorénavant ma mission et le but que je me fixais. Moi qui ai vécu pour ainsi dire en dehors de tous schémas de société normale, ni cultivateur, ni guerrier, ni paysan, rien,... à part fils de chef : Voilà ce que j’étais avant notre première épopée. Un inconnu, sauf de Rufus et de mon père qui me travaillaient sans cesse sans que j’en sache vraiment pourquoi. Ils m’ont transmit leurs enseignements durant vingt ans. En un jour, grâce à cette Ville de Légende, ma vie bascula. Je devenais dès lors l’homme à l’épée ardente, le seul ayant vu l’intérieur de Rome et en être ressorti, non sans une discussion avec ce puissant seigneur qu’est le pape ! Mais… ce n’est pas de cela dont il s’agit, ce n’est pas d’un règne à la manière de Paul que je désirais. J’ai le sang chaud, et les campagnes militaires correspondent bien mieux à mon tempérament.
Je passais ainsi cette première nuit seul dans la ville en pensant à la « récompense » que m’avait prédis Rufus dans mes moments de déprime, et la récompense dépassait tout ce que j’avais enduré comme souffrances et frustrations. C’est ainsi qu’en cette nuit dans Ma ville, je me remémorais toutes ces années, tous ces combats qui m’ont emmené ici ! Je laissais mes armées camper à l’extérieur, tandis que je vaquais par les rues et avenues désertes, regardais des constructions, des places, des fontaines, des sculptures. En vérité, j’ai vu des sculptures de la taille d’un arbre, en or massif, dans des basiliques, dans les palais, et même à l’extérieur sur des places... Tout cela, je l’avais hérité sans grand mérite me semblait-il. Cette ville est unique au monde, je n’en doutais pas. Vivre à Rome est d’ailleurs devenu par la suite un honneur. Mais pour cette soirée et cette nuit, Rome ne serait qu’à moi, seul. La cité montrait l’exemple de ce que pourrait être le nouveau monde si j’étais capable de l’organiser comme elle l’est. Un travail déroutant pour un guerrier comme moi !
La nuit n’était percée que par la clarté de la lune. Pour la première fois depuis très très longtemps je pense, les cloches de Rome ne sonnèrent pas, les rues ne s’illuminèrent plus... Comme si pour la première fois, le grand barbare avait laissé pénétrer le chaos, la nuit, dans la Grande Ville. Tout était obscur, silencieux, noir, sauf l’intérieur des basiliques, les seuls endroits où la lumière continuait à flotter, ainsi que sur la grande croix.
Tôt le lendemain matin, alors que le soleil pointait à peine, je grimpais sur la muraille au dessus de la grande porte, face à laquelle campait mon état-major. Lorsque je vis cette foule immense et sans doute un peu déprimée, je fus gonflé d’orgueil, submergé par l’envie de crier à la terre entière que Rome était désormais nôtre. Je sortis Renaissance du fourreau, la pointait vers le ciel en poussant mon cri de guerre, le même qu’à chaque fois que je m’élançais contre une ville pour en découper la muraille. Alors je vis tous les soldats se lever, les uns à la suite des autres, à perte de vue.
Puis, à trois reprises, j’hurlais, en italophone, devenue la langue officielle de l’armée : « VICTORIA ! » « VICTORIA », … « VICTOOOORIA ! » « ROMA E NOSSO ! »
Une clameur s’éleva d’abord du groupe d’en face de la porte, puis elle se propagea à toute l’armée, un million d’homme, levant leur épée, hurlant leur satisfaction, ce fut un grand moment d’émotion ! (voilà pour les émotions recherchées par Barnabé)
J’ouvrais enfin les portes à mes armées, ne comprenant rien à cette situation. En effet, les jours précédents, nous étions en proie aux plus vives incertitudes quant à la possibilité de soumettre cette ville. Maintenant, après une promenade solitaire dans la Grande Ville, je venais tout simplement leur ouvrir les portes. Pas une flèche tirée, pas d’invasion sous-marine, ni luttes ni combats, juste ma brûlure. Voilà ce que nous a coûté Rome : une brûlure!
De plus en plus émerveillés, rues après rues, mes hommes gagnaient le centre de la ville. Ils observaient d’un oeil presque apeuré ces statues, ces palais, cette ville incroyable pour qui ne l’a jamais vue. J’avais fait passer l’information à tous mes commandants de diriger leurs troupes vers la basilique de Pierre. Lorsque je fus au sommet des marches, je pu m’adresser à mon armée. Elle remplissait l’immense place, débordait sur l’avenue d’en face, et se perdait à l’infini dans la ville. Mon discours fut répercuté par des portes voix. J’expliquais aux hommes comment la ville m’avait été confiée. Je m’étais porté garant envers le seigneur Paul XII de respecter cette ville et par dessus tout, les lieus saints. J’indiquais donc d’entrer dans la basilique, sensée être la demeure de Dieu, pour Le remercier du cadeau que m’avait fait Son serviteur Paul. J’indiquais aussi que le peuple de Rome semblait particulièrement puissant au vu des armes dont il disposait. Tous avaient autorisation de rentrer dans ces lieus saints, mais ni pour y manger, ni pour y vivre, seulement pour prier ce Dieu invisible. Et il était inutile de trop Le déranger pour des riens ! Ce serai dorénavant des lieus saints pour nous aussi, et qu’on respecterait ! C’était d’ailleurs la principale règle à observer, d’après les menaces du pontife. Nous entrions donc tous tour à tour dans cette basilique pour remercier le Dieu romain de l’événement. Rino dû sortir, ainsi que bien d’autres. La tête leur tournait, impossible de psalmodier. Comme m’avait dit Rino par la suite, c’était trop à la fois et trop vite. Il y avait effectivement quelque chose qui nous bouleversait lorsqu’on voyait toutes ces oeuvres. On ne comprenait tout simplement pas des choses pareilles.
Il est certain que la civilisation romaine ne comptait pas avoir besoin de sortir des murs de leur cité pour vivre. Un peu partout entre les murs, en direction du port de la grande mer, étaient disposés de grands parcs pour les bêtes. Ils ne les avaient pas toutes emportées, comme s’ils nous laissaient même à manger ! On dénombrait également de nombreux champs cultivés. Non, il n’y avait vraiment rien à redire sur l’accueil de ces romains... Mais en même temps, leur attitude restait complètement incompréhensible. Il était entendu que Paul m’avait carrément offert la ville. Il apprécia certainement le fait que je n’use pas de Renaissance contre Rome pour y pénétrer. Ce n’est pas faute d’y avoir pensé,... juste tailler une brèche dans cette muraille… Mais décidément, je n’arrivais pas à me faire à cette idée.
Plus tard, nous découvrions un grand palais dans un parc, à l’extrémité nord-est de la ville. A l’intérieur, il y a avait multitude de statues. Cependant, les plus anciennes faisaient mention d’empereurs. On y trouvait même des dates. Empereur César Auguste, Néron, Dioclétien, et toute une suite. Au mur, une grande carte de l’empire était dessinée, et pour la première fois, je vis ce à quoi ressemblait le monde des empereurs romains. Les deux mers qui entourent la Péninsule, qui rejoignent une immense mer au sud, et d’autres territoires au sud de cette mer... Barnabé passait le plus clair de son temps à me lire toutes les inscriptions, mais les romains n’avaient laissés aucun livre. Toutefois, les inscriptions gravées ou peintes dans les murs étaient une grande source d’enseignements.
Quant à moi, j’étais abasourdi par la tâche qui m’incombait soudain. J’avais été créé pour le combat et les conquêtes, pas pour organiser une société. Dès le lendemain de la prise de Rome, j’avais mandé un régiment chercher père de toute urgence. Je commandais aussi à ce qu’on m’emmène ma femme et mes enfants. Victorio était déjà auprès de moi car il fut des nôtres durant toute la campagne. Je lui expliquais toujours pourquoi je décidais de certaines manoeuvres et pas d’autres. Mais même si c’était devenu un vrai petit stratège, il n’en appréciait pas moins nos promenades dans Rome, avide de tout savoir. Un jour que Barnabé était occupé à des affaires d’organisation, je regardais une magnifique sculpture sur marbre. Victorio me dit alors :
Je pense que celui qui l’a faite s’appelait Valentino Di Pietro, et qu’il a sculpté ça en l’an 2’679 de leur calendrier à eux.
Je me retournais vers mon fils, interloqué. Ce petit gredin avait appris l’art de la lecture et de l’écriture en cachette avec toi, Barnabé ! Lorsque je ne l’entraînais pas car j’avais trop à faire en discussions avec des chefs de clans, Barnabé l’instruisait de cet art sans que je le sache. Je n’avais pas été emballé à l’idée que mon fils devienne une sorte d’érudit comme le scribe. Pour moi, c’était plutôt des sortes de penseurs qui devaient apprendre ces choses, pas des chefs ou des guerriers. C’est pourquoi Victorio ne m’avait rien dit. Il avait peur que je désapprouve. Il progressait cependant très bien dans l’art du combat, et jamais je ne me suis douté qu’il avait pu apprendre des choses pareilles ! Mon fils était en train de devenir une sorte de scribe-guerrier ! Incroyable, mais cela ne se voyait pas du tout, qu’il devenait érudit en même temps que guerrier... Enfin, cette fois il osa parler car il voyait mon embarras sans Barnabé.
A vrai dire, je fus tout content de découvrir cela, et à partir de ce jour, je l’encourageais à persévérer dans cet art, tant que cela ne le distraie pas de son éducation du combat !
Le nom de l’artiste était donc Valentino Di Pietro. Quant aux dates qu’on trouvait ici, elles reflétaient des millénaires d’histoire. Ils avaient un système de dates bien différent du notre. De fait, ils devaient avoir conservé le système de datations de l’ancien monde. Durant la campagne, avant que nous arrivions à Rome, Barnabé avait repéré d’anciens cimetières. Les plus grandes dates qu’il avait trouvé au dehors des murs faisaient mention de l’an 2’080 - 2’085. Plus après dans le temps, il n’y avait rien, ce qui nous laissait penser que Paul avait dit vrai, les deux chaos avaient bien eu lieu au 21ème siècle. Nous ne savions cependant pas précisément combien de temps il dura, car ces dates n’existaient plus. Mais ici à Rome, ce système de datation continuait, dépassait l’année 3’000. Pour l’heure, la date la plus récente que nous avions trouvée était l’an 3’357. Elle était inscrite sur la façade d’un édifice. Nous ne savions toutefois pas grand-chose de l’ancien monde. Son système politique et les lois qui furent appliquées avant nous restaient obscures, comme leur Dieu d’ailleurs. Un Dieu invisible et inconnu ! Mais à toute heure du jour et de la nuit, l’intérieur de toutes les basiliques était baigné de cette étrange lumière. La grande croix ne s’éclairait que la nuit, contrairement à l’intérieur des basiliques qui ne s’éteignaient jamais. Nous avions cherché partout la source de cette illumination, mais rien ! Pas de flamme, pas de point plus lumineux qu’un autre. C’était comme si dans les basiliques, il flottait une lumière égale dans chaque recoin des édifices. Une sorte d’illumination douce, délicate, mais qui nous permettait d’admirer tout à loisir chaque fresque, chaque peinture, chaque sculpture. La lumière pénétrait tout, comme si dans ces lieus, l’air lui-même s’illuminait. Peut-être provenait-elle de Dieu Lui-même. Ce serait même logique… : Tant que son peuple vivait à Rome, Dieu était partout, mais maintenant que nous autres les barbares avions envahis les rues, Dieu restait en Ses demeures. Peut-être aussi que la lumière était encore l’une de leurs inventions “scientifiques”? Cette lumière restait cependant cantonnée dans les demeures de Dieu et nulle part ailleurs. Nous concluions donc que ce Dieu devait avoir un rapport avec la clarté.
Il y avait tellement d’or dans cette ville que la tête nous en tournait. Cependant, s’il y eut bien une chose que j’avais compris, c’est que les lieus saints devaient être protégés contre tout vandalisme ou irrespect. Rome possédait 2’000 lieus saints, et j’ordonnais deux gardiens attitrés à la surveillance de chaque basilique, ou église, comme l’avait aussi dit Paul. N’importe qui avait le droit de pénétrer dans ces édifices, toutefois, les visiteurs de Dieu devaient avoir une bonne raison pour le faire. J’avais en effet ordonné qu’on ne dérange pas Dieu pour n’importe quelle peccadille, mais uniquement pour des affaires sérieuses. Ceux qui souhaitaient visiter le Dieu romain avaient donc tout intérêt à avoir de bonnes raisons de le faire.
J’avais en effet remarqué que mes guerriers entraient dans ces basiliques afin de quémander des grâces pour leurs femmes, ou pour que leurs enfants deviennent grands et vigoureux ! Comme si ce Dieu, pour qui on avait prit la peine de construire de tels édifices s’intéressait à ce genre de broutilles ?! Je décrétais donc que le Dieu romain n’avait pas de temps à perdre à écouter des doléances aussi insignifiantes. S’ils souhaitaient le faire, mes guerriers n’avaient qu’à prier nos anciens dieux ! Le Dieu romain étant de toute évidence le plus puissant, nous nous devions de le réserver pour les affaires sérieuses. Les hommes se disciplinèrent un peu, et commencèrent à respecter ce Dieu.
Je laissais ainsi passer quelques jours pour organiser notre villégiature. Ainsi, mes guerriers pouvaient tout à loisir s’imprégner de ce lieu dont aucun d’eux n’avait seulement imaginé, même après nos récits les plus détaillés. Il faut vraiment avoir vu Rome pour oser croire que tout cela existe !
Puis, lorsque mes 103 champions, fidèles de la première heure, eurent reprit leurs esprits et choisis une demeure, je décidais de leur montrer le clou du spectacle.
Ils furent tous réunis après le repas de midi dans la grande Basilique. Je descendis avec eux dans la crypte en m’avançant vers la salle des portes magiques. Nous nous réunîmes tous devant cette grande porte trônant seule au milieu de la salle, qui semblait ne donner sur rien du tout, avec au milieu ce genre de fine pellicule de liquide réfléchissant et flottant. Ce n’était déjà pas très commun ! Mais lorsqu’ils virent disparaître le manche de la hallebarde de l’autre côté, ils en furent tout bouleversés. Je les exhortais de ne pas essayer d’y passer un doigt sous peine de le voir disparaître, et me dirigeais vers une des longues malles plates au fond de la pièce.
Comme l’avait fait Paul, j’ouvrais le taquet du couvercle et la porte se mit en place toute seule. J’invitais alors mes 103 commandants et généraux à me suivre au travers de cette porte et seulement de celle-ci. Je fis même comme l’avais fait une première fois le pontife : Je franchis la porte seul, et pendant que j’apparaissais au grand jour au sommet de la croix, je disparaissais aux yeux de mes hommes dans la crypte. A peine arrivé sur la croix, je fis demi-tour et réapparût dans la salle de la basilique, tout content de mon petit effet ! Mes champions n’en croyaient pas leurs yeux, mais eurent confiance et me suivirent pour se retrouver à leur grand étonnement au soleil, dans le ciel au dessus de Rome. Je m’avançais à reculons entre les barrières tandis que mes hommes franchissaient un à un la porte. Je leur expliquais que c’était le moyen de transport des romains. Il faut une porte au départ et une à l’arrivée, n’importe où dans le monde. Ensuite, le voyage est instantané d’une porte à l’autre... Voilà qui élucidait au moins le mystère de la disparition de tout leur peuple.
Je continuais la marche avec à mes côtés mes trois principaux généraux, car la largeur des barrières ne permettait pas d’avancer en groupe. Arrivé devant le cercle de métal liquide, j’étais assez tenté de faire visiter moi-même à mes amis ma découverte. Le cercle allait d’une bordure à l’autre et mesurait facilement sept pas de diamètre. On pouvait donc y entrer à plusieurs. Cependant, si je n’avais aucun doute sur la solidité de la bulle, je ne savais pas si elle pouvait supporter le poids de 4 ou 5 personnes. Mais en y réfléchissant bien, si elle ne pouvait accepter un tel poids, je me disais qu’elle n’arriverait tout simplement pas à s’envoler.
Personne n’avait encore mis un pied dans l’enceinte du cercle. J’informais alors tous mes commandants du voyage qu’ils allaient entreprendre. Je partirais en premier avec Rino, Paskale, Patrick et Sérafino. Normalement, les autres devraient nous voir disparaître. Lorsque nous serions invisibles, d’autres pourraient essayer de se mettre dans le cercle, peut-être arrivait-il à produire plusieurs bulles de suite. Mais peut-être pas. Dans ce cas, ils devaient attendre notre retour.
Après ces quelques recommandations, je demandais à mes quatre fidèles de me tenir la main pour entrer ensemble dans le cercle. Je pensais que si nous allions l’un après l’autre sans contact entre nous, la bulle envelopperait le premier et s’en irait. Main dans la main, nous fîmes donc le pas !
Nous voyons les visages des hommes au dehors. En fait, ils nous avaient tout simplement vu disparaître et affichaient une mine bien soucieuse malgré mes encouragements. De notre côté, nous sentions les parois de la bulle mais avions encore les pieds sur terre, ou plutôt sur la croix, tout en nous sentant léger comme une plume. Cela ne dura qu’un instant car nous nous élevions tout en douceur. Mes quatre compagnons étaient subjugués tandis que je me félicitais de mon nouveau petit effet. Juste en contrebas, je vis Marco Fallacio entrer seul dans le cercle et disparaître. Il y avait donc plusieurs bulles. Chacun s’y engagea ensuite seul où avec leurs meilleurs amis et disparurent.
La bulle nous promena cette fois sur et dans Rome, traversant les murs, montant dans les airs, tandis que positionnés l’un à côté de l’autre, adossés aux parois invisibles de la bulle, nous flottions dans cet espace étrange. Nous regardions les quartiers de la ville entre nos jambes, droit au dessous. Puis, notre course nous entraîna à nouveau sous l’eau. La bulle resta d’abord tranquille, afin de nous laisser admirer les fonds marins que l’homme ne voit jamais, puis elle alla de plus en plus vite, toujours sous l’eau. Il n’y avait cependant pas d’à coup. Nous avions tous cinq prit place pieds contre pieds et fesses contre la paroi de la bulle. Bien que l’accélération fût puissante, elle était totalement supportable. Tout à coup nous émergions des océans. Nous prenions une direction de plus en plus verticale. Bientôt, nous pouvions voir Rome très loin au dessous de nous. Puis nous vîmes l’Italie tout entière, dégagée des nuages, une grande botte, comme sur les cartes romaines...
Ce fut là le voyage le plus lointain que nous entreprenions. Au lieu de cesser l’ascension et faire un tour du globe comme lors de mon premier voyage en solitaire, la bulle continua de s’en aller dans le grand néant, de plus en plus loin de notre planète, et l’accélération n’avait pas cessé. La terre devint plus petite, et la lune devenait plus grande... Nous étions pour ainsi dire perdus dans le néant entre la terre et la lune. Nous voyons maintenant des détails sur la surface lunaire qu’il est impossible de distinguer depuis la terre. Nous allions arriver sur l’astre de la nuit à une vitesse prodigieuse. L’accélération sembla cesser mais nous continuions à filer comme une flèche. La bulle vira un peu en passant très près de la surface lunaire, et nous vîmes une terre désolée, sans la moindre vie, morte. Nous ne fîmes cependant qu’un demi-tour de la lune pour reprendre soudain notre accélération en nous éloignant de plus en plus du soleil. Nous nous dirigions tout droit en direction de la planète rouge, celle du dieu Mars !
Aucun de nous ne craignait grand-chose, nous avions le sentiment d’être là en toute sécurité, et tous avaient les yeux rivés vers notre planète, qui devenait de plus en plus insignifiante dans ce néant de l’espace infini. Tous connaissaient l’histoire du commencement du Chaos que m’avait contée le pontife, et en voyant notre immense Terre devenir tout à coup si petite, nous comprenions ce récit. Cette petite bille bleue avait été intoxiquée et les hommes faillirent disparaitre.
De l’autre côté, Mars grandissait de plus en plus et, après quelques réflexions que nous échangeâmes depuis le départ de l’astre lunaire, nous étions déjà en approche à une vitesse fulgurante. Nous commencions à voir ce que nous pressentions depuis un moment : Cette planète n’était en fait qu’un immense désert de sable rouge. Plus nous approchions, et plus cela devenait évident. Pas une mer, par un coin de verdure, aucun fleuve... Un immense désert planétaire, tout simplement.
Nous passions si vite que la bulle resta à une altitude honorable au dessus de Mars. A peine avions nous eu le temps de voir la planète de près que la voilà déjà par l’arrière. La Terre, qui ne ressemblait plus qu’à une étoile lointaine, se coucha derrière Mars. La taille de la planète rouge diminuait maintenant à vue d’oeil tant notre vitesse était devenue phénoménale. La bulle semblait avoir pris la route de la planète du dieu Jupiter cette fois-ci, mais nous pressentions déjà qu’il n’y aurait pas plus de dieu sur Jupiter que sur Mars.
L’immense planète grandissait sous nos yeux, et juste avant d’arriver sur elle, la bulle ralenti très fortement en profitant de survoler quatre petites planètes de ce qui semblaient êtres les lunes de Jupiter. A nouveau, le même paysage de désolation, des lunes gelées où il n’y avait que rochers et glaces éternelles. Puis, à vitesse de plus en plus réduite, nous allions droit vers cette planète monstrueusement gigantesque qui devenait de plus en plus inquiétante. Nous ne voyons en fait pas la planète car des vents d’une violence inouïe semblaient en faire le tour en emportant sur leur passage toutes sortes de poussières. Nous arrivions juste au-dessus de la zone des vents, mais la bulle continua sa descente. Nous nous trouvions alors dans un formidable ouragan comme jamais on ne peut en voir sur terre. Nous n’en ressentions cependant aucun désagrément. Nous ne voyons pas le sol. Ce n’est seulement qu’après quelques instants que nous pûmes distinguer la surface de la planète. Désolant, encore pire que Mars, rien qui ne puisse vivre ici...
Mais la ballade n’était pas encore terminée. La bulle repris son élan et semblait maintenant vouloir atteindre Saturne. Nous n’étions pas mécontents de sortir de cette furie de tempêtes sur Jupiter et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, nous apercevions déjà des formes étrangement allongées autour de Saturne. Peu après, il nous sembla que cette planète était entourée de ce qui pouvait être des anneaux. Et ceci devint évident juste un instant plus tard. Saturne apparaissait comme étant une planète particulière. Dans notre approche, nous ralentissions à nouveau et survolions quelques lunes avant de nous poser sur un des anneaux. En fait, la bulle avançait sur l’anneau en direction de la planète. Ces anneaux n’étaient somme toute qu’une multitude de petits débris de roches et de glaces qui tournaient indéfiniment autour de Saturne. Au lieu d’être très spéciale, la planète elle-même était tout aussi inhospitalière que Jupiter. Le même genre d’ouragan continuel faisait rage tout autour du globe, et sa surface était tout aussi stérile.
Sortant de cet enfer, la bulle se dirigea alors vers Neptune, puis encore vers une autre planète plus lointaine et minuscule, avant de reprendre le chemin du retour. D’où nous étions, le soleil était vraiment très petit, à peine plus lumineux que les autres étoiles. La Terre, elle, avait disparût... Nous ne la voyons plus tant elle était éloignée. Chacun de nous n’espérions cependant qu’une chose, que notre bulle nous ramène à bon port. N’importe où mais sur terre... Car durant ce voyage dans l’immensité de l’infini, nous avions tous prit conscience d’une chose : Que partout ailleurs, les mondes sont invivables, et cette terre est notre unique refuge connu, le seul endroit où nous puissions vivre. Si les anciens avaient saccagé la planète, il en irait autrement sous notre commandement et la nouvelle civilisation que nous entendions créer. Après un tel voyage, après avoir vu toutes ces planètes infernales, nous savions que seule la terre était importante pour nous, ni Mars, ni tous les autres dieux des astres!
La vitesse du retour fut encore plus prodigieuse que celle de l’aller, à tel point que les lumières des astres se tordaient à notre vue, et nous fûmes soulagés de voir notre planète grandir devant nous. Nous passions Mars à une vitesse époustouflante, nous la vîmes devant, puis derrière, incapables de préciser si nous avions passé à droite, à gauche ou à travers la planète... Nous étions d’ailleurs si rapide que juste après, nous percevions déjà la bulle décélérer pour se poser sur la terre.
Comme prévu, elle nous posa au sommet de la croix après le parcours le plus inoubliable qui puisse être.
Tous mes champions étaient déjà de retour et nous attendaient sur la croix, au dessus de Rome, sans oser franchir la porte dans l’autre sens. Notre voyage, le plus long de tous, n’avait guère duré plus de deux heures ! J’appris qu’il y avait eu assez de bulles pour chacun !
Je leur demandais alors de passer la porte et nous nous retrouvions tous dans la crypte. Les vols de mes hommes n’avaient pas été aussi spectaculaires que le notre car leur itinéraire était resté local, avec des passages de murs, une plongée, une large visite de la ville ainsi qu’une grande envolée finale d’où ils purent voir Rome de la taille d’un ongle. Aucun d’entre eux n’avait fait le voyage dans le grand néant. Je ne l’explique pas pour le moment mais je constate qu’il en fut ainsi.
Au soir, Barnabé fit irruption dans la salle à manger, tout excité. Nous parlions encore de notre voyage, mais il nous interrompit. Il tenait une pile de papiers. C’était effectivement étonnant car les Romains n’avaient laissé aucun document. Il s’agissait là d’une quantité impressionnante de grandes fiches reliées les unes aux autres. Je demandais la signification de tous ces signes. Alors Barnabé m’en jeta plein la vue !
Il commença par la première page et m’expliqua que tous ces signes étaient pour la plupart des chiffres, qui leur servaient dans l’ancien calendrier. Ainsi, sur une fiche, il y avait une année, et au verso, c’était déjà l’année suivante. Plus de 1’700 grandes fiches reflétaient dans cet immense livre 3’400 ans de l’histoire des romains. Le premier jour était le 25 décembre de l’an zéro. Une annotation précisait qu’il s’agissait en fait de la naissance de leur Dieu, Jésus-Christ. L’introduction annonce cependant que Rome fut fondée le 21 avril de l’an 753 avant la naissance du Christ, par un certain Romulus. 5 pages avant la fin du grand livre, il y avait une annotation le 9 avril de l’an 3’412 après J.-C. : « Visite d’une coalition Alpine, emmenée par Léopold Paralamo, affaire à suivre »... Notre propre calendrier commence ce jour là. Le jour zéro de l’an zéro fut pour eux le 9 février 3’412.
Il y avait encore d’autres annotations à mon sujet dans les pages suivantes. Il était fait mention de la date de la première sortie de la vallée avec les 20’000 guerriers de base, la prise de Lozalne et de Berm, notre passage devant Rome pour continuer sur Sicilia... Ils savaient tout, ce qui s’expliquait parfaitement avec leurs sortes de bulles invisibles. S’ils savaient diriger leurs parcours, le pontife en personne pouvait être à un mètre de moi en ce moment même sans que je n’en sache rien. Mais il était impossible pour nous de diriger ces bulles, c’étaient elles qui choisissaient leur chemin et nous promenaient.
Barnabé avait bien calculé, et selon le mode de partage des ans en douze mois, divisés par des semaines de 7 jours comme ils le faisaient, nous étions en ce jour le 19 janvier de l’an 5. Et sur leur calendrier, nous étions le 27 mars de l’an 3’417... Nous maintenions bien entendu notre datation mais ce moyen de séparation avec des mois et des semaines pouvait être intéressant pour inspirer notre système.
Je demandais de regarder le calendrier aux alentours des années 2’000. Il y avait une annotation sur le 11 septembre 2001: « Déclenchement d’une longue guerre mondiale, d’usure. »
Puis, sous le 4 juillet 2’015, il était écrit: « Aboutissement de la guerre terroriste, trois capitales détruites en occident. » Sous le 8 octobre 2’015: « Commencement du petit chaos, massacre des chefs d’états occidentaux. » Entre 2’015 et 2’030 s’égrenaient les catastrophes. Il était fait mention d’explosions de « centrales nucléaires », de grandes épidémies « bactériologiques et virales », le retour de nombreuses maladies qui n’existaient plus... Par exemple en septembre 2’017: « -Bactéries échappées d’un laboratoire en Amérique du nord, début de pandémie qui ravage le continent. » l’épisode prend fin une année plus tard en octobre 2’018, et les romains estimèrent que plus de la moitié de la population du continent avait disparût. En août 2’021 : « - Retour de la peste bubonique au sud de l’Europe » et en décembre de la même année, « - La peste noire sévit sur toute l’Europe. Des millions de morts ». Ce fléau prend fin en novembre 2’022. Ils mentionnent que grâce à l’agrandissement de leur muraille jusqu’à la mer qui pris fin en 2’019, Rome put vivre en autarcie durant la grande peste qui passait au dehors de la cité. Ils semblaient en plus disposer du remède contre cette maladie.
Le monde paraît vraiment aller de travers depuis le début de cette guerre mondiale en 2001 pour sauter définitivement dans le tragique en 2’015 lors du massacre des chefs. Depuis là, il ne semble y avoir eu que des catastrophes répertoriées jusqu’en 2’030. Les états les plus développés semblaient avoir souffert plus que ceux n’utilisant que peu de technologies savantes. En fin d’année 2’030, il y avait une petite explication disant ce qui suit: “- Cette date de l’histoire mérite un constat global de l’humanité de notre époque. Il ne s’est pas encore écoulé une génération entre le plongeon du monde dans l’anarchie, mais des jeunes de 20 ans ne savent déjà plus lire dans des pays où auparavant, ces notions étaient élémentaires. L’homme est aux aguets, replié dans ses villages en fortifications durant les grandes catastrophes, tous sont aux abois. Nous voyons se dessiner une nouvelle société primitive et clanique. Beaucoup de nos prêtres à travers le monde sont morts, et il nous incombe de reciviliser l’humanité. Nous formons actuellement des milliers de séminaristes dans Rome en vue de les envoyer prêcher la parole de Dieu, et enseigner les notions élémentaires de la civilisation dans le monde. Partout où nous le pourrons, nous tenterons de réinstituer l’école. Les moyens de transport ne sont plus ce qu’ils étaient auparavant, mais nous disposons d’une grande flotte de voiliers qui mènera nos missionnaires sur tous les continents.”
Ce beau projet sembla battre de l’aile déjà l’année suivante, car dans le petit rapport de fin d’année il était expliqué que la plupart des missionnaires avaient tout simplement été rejeté par les populations. Au mieux ils ne pouvaient pas accéder aux villages, au pire ils avaient certainement été tués car il n’y avait plus trace de 12’000 prêtres. La population n’avait rien trouvé de mieux que Dieu comme suspect principal de leurs malheurs. Les prêtres ont donc fait les frais de l’état du monde en devenant des boucs émissaires bien inoffensifs. Le pape déclara ses serviteurs martyrs, et non content du fiasco, il décida de renvoyer des dizaines de milliers de prêtres l’année suivante.
2’032, le pontife se retrouva de nouveau avec un paquet de martyrs sur les bras et le constat de fin d’année était plutôt pessimiste. A part quelques enclaves qui continuaient envers et contre tout à faire confiance en Dieu, et dans lesquelles des prêtres continuaient à officier, la majeure partie du monde les rejetait. Et le mot paraît faible. Fini donc l’idée d’envoyer des prêtres au casse pipe ! A regret, le pape sembla commencer à privilégier l’observation aux missions.
Une annotation au bas de la page, à mon intention de la part de Paul XII, mentionnait que ma vallée fut restée fidèle et reconnaissante en Dieu de leur avoir évité bien des malheurs qui avaient frappé plus durement d’autres parties du monde. Même lors de l’éclatement de barrages et autres grandes catastrophes, mes ancêtres prirent cela avec philosophie. Ils étaient assez sages pour savoir que l’éclatement d’un barrage n’avait rien à voir avec Dieu mais plutôt avec des matériaux vieillissants. Leurs prêtres continuaient à officier dans toute la vallée.
Il s’ensuivit quelques rapports sur les malheurs du monde et de la ruine de l’ancienne civilisation. Vers les années 2’060 cependant, les comptes rendus devinrent de plus en plus optimistes. En 2’072, le rapport disait même la chose suivante:
“- Voilà dix ans qu’un calme relatif s’installe dans un monde qui a radicalement changé. La science a disparût ainsi que la ferveur, mais l’espoir est à nouveau permis. De plus en plus de prêtres sont à nouveau acceptés au sein des villages, et parfois même accueillit. Ils prêchent l’espérance d’un renouveau meilleur que l’ancienne civilisation, et font tout pour y parvenir. Certains enfants réapprennent des notions scolaires. Nous examinons comment utiliser les bonnes choses de l’ancien monde en oubliant les mauvaises, celles qui ont conduit aux catastrophes.”
Changement de ton dans les années 2’080, il y a des inscriptions datées :
Février : “Début de la peste nucléaire Russie”
Septembre : “Arrivée de nuages et pluies toxiques sur l’Europe”
2'082 : “Pacifique, Atlantique, Indien, Antarctique, tous les océans contaminés et début d’un énorme chaos mondial.”
L’année 2’083 donne lieu à un nouveau commandement:
“- Avis de Sa Sainteté le souverain pontife Benoît XVIII, le 21.12.2083:
Je prononce ce jour la fermeture définitive de Rome. Trois générations se sont maintenant passées depuis le chaos. Nous avons vu l’humanité perdre l’esprit avant d’espérer un retour à un sort acceptable. Le pire des fléaux nous touche aujourd’hui et nous devrons faire face à des siècles à venir bien sombres. A Rome et partout ailleurs, les gens meurent, tandis que nos prêtres dans le monde subissent le martyr de la part de toutes les populations. En rage contre Dieu, qui, disent-ils, ne veut même pas leur laisser une dernière chance. Nos missionnaires, en prêchant l’espérance sont pris partout comme boucs émissaires de ce nouveau fléau nucléaire. Nos églises ont été brûlées, nos prêtres se voient massacrés sans espoir de seulement pouvoir plaider leur cause. Le monde sombre définitivement dans une très longue agonie où la barbarie s’étend en des lieus qu’elle n’avait pas encore atteint.
Afin de ne pas nous laisser entraîner à notre tour dans le gouffre de cette humanité, nous nous contenterons dorénavant d’un rôle d’observateurs. Ceux qui voudront quitter la cité pour aller au contact du monde hideux pourront le faire, mais de manière définitive, sans retour. Ceci est un deuil, mais le prix de la survie de l’humanité dans notre cité. Tant qu’il nous en restera la force, prions pour le monde. Nous ne pouvons rien faire de plus, ni de mieux.”
Là dessous, il y a une nouvelle annotation du pontife Paul à mon intention. Il mentionnait simplement que ma vallée ne fut pas épargnée par cette vague mondiale de maladie, de terreur et de barbarie. Ce fut là l’anéantissement total de l’ancienne civilisation et le début de ce qui fut nommé le Grand Chaos. Le pontife de l’époque avait abandonné son idée de missionnaires et il semble que depuis ce temps, Rome n’ait plus jamais évolué comme le reste du monde.
En dernière page du calendrier, Paul XII me laissait un dernier conseil, un conseil pour notre nouveau monde:
Plus il y aura d’injustices dans le monde, plus il sera fragile. Le principe étant que l’injustice naît lorsque la liberté d’un être humain surpasse celle d’un autre. Le fondement étant de ne point faire à l’autre ce que nous ne désirerions pas qu’il nous fasse, et de faire ce que nous souhaiterions le voir faire à notre égard.
Paul XII
Ce calendrier sera des plus intéressants à lire car il semblait faire mention de tous les faits importants de l’ancien monde, ainsi que ceux durant le Grand Chaos. Beaucoup de mots qu’utilisaient les romains, comme “école” par exemple et de nombreux autres m’étaient totalement inconnus. Heureusement, Barnabé est un excellent érudit, et il dispose d’un phénoménal vocabulaire, ce qui nous permet de comprendre certaines de leurs phrases.
Mais avant de piocher des informations dans ce calendrier, j’expliquais à Barnabé notre voyage. Nous festoyâmes tous ensemble dans la grande sale du palais adjacent à la basilique et j’envoyais 6 de mes hommes chercher la porte mobile que nous avions utilisé dans la crypte.
Ils l’installèrent devant la grande table, toujours dans sa boite. Je m’approchais et l’ouvrit. J’emmenais alors Barnabé de l’autre côté, au sommet de la croix, et lui indiquais de marcher tout droit entre les barrières, jusqu’au cercle métallique. Après l’avoir vu disparaître, je redescendais instantanément dans la sale de fête pour continuer nos ripailles.
Les romains avaient un vin d’une finesse telle qu’à chaque bouteille, c’était une nouvelle délectation qui nous attendait. 3’389 semblait d’ailleurs être un de leur plus splendide millésime, et nous nous gardions bien de nous en priver. Une cave exceptionnelle de part le choix de vins proposés se situait au sous-sol du palais adjacent à la basilique : Une véritable merveille. Le vin était bien entendu excellent mais le soin apporté au récipient stupéfiait lui aussi. Ciselées comme des oeuvres d’art, les bouteilles de verre portaient également des étiquettes peintes de divers motifs représentant la vigne, le raisin, où autres plus originaux, avec mention des diverses appellations de vin, indication de l’année de fermentation, du lieu de production... Mis à part le soin apporté au contenant après le contenu, le lieu de production était l’indication la plus étonnante. Comment cette civilisation repliée entre ses murs pouvait avoir des vignobles dans ce qui paraissait être des centaines de lieus de part le monde. Nous qui croyions que les romains ne sortaient jamais de leurs murs !? Je ne connaissais pas ces lieus nommés Bordeaux, Bourgogne, Grèce, Palestine, Espagne, Californie etc., mais les multitudes de noms différents reflétaient une intense activité hors murs. D’ailleurs, il n’y avait qu’une vigne bien chiche dans les enceintes de Rome.
La société du chaos qui régnait à l’extérieur n’était pas très perméable aux étrangers. Je n’arrivais pas à concevoir qu’un marché ou un clan ait pu laisser des inconnus cultiver des vignes sur leurs territoires.
Il restait beaucoup de mystères insolubles, chaque nouvelle petite découverte, aussi anodine soit-elle, nous apportait des questions insolubles. Dans chaque maison de Rome par exemple, nous avions trouvé une pièce où il y avait des bassins plus ou moins grand, ainsi que des petites pièces métalliques accrochées aux murs. Nous découvrions qu’en tournant les pièces métallique d’une certaine manière, il en sortait de l’eau par un tube recourbé, en métal lui aussi. Cette eau pouvait être maintenue dans le bassin ou être évacuée par une tubulure au dessous ! Toutes ces pièces étaient en fait des salles d’eau dont un petit bassin devait servir pour le lavement des mains et du visage, et un grand pour le lavement du corps tout entier. Une cuvette à même le sol avait une plus importante évacuation, et était faite de sorte que le postérieur s’assoit parfaitement dessus. Cela servait pour nos besoins d’hygiène. A l’intérieur même de la maison ! Imaginez un instant faire vos besoins à l’intérieur même de votre maison, sans pour autant être incommodé par les odeurs ! Prodigieux non ? La cuvette était munie elle aussi d’un pressoir qui provoquait une arrivée d’eau et l’évacuation totale des déjections... J’avais fait fouiller les maisons de fond en comble pour d’abord comprendre où étaient les réservoirs d’eau. Puis, lorsque nous comprîmes qu’il n’existait pas de réservoirs, nous démolissions le quart d’une modeste demeure pour comprendre le mécanisme de ces tuyauteries. En l’occurrence, nous avions pu comprendre cette invention géniale qui est d’emmener l’eau directement dans les habitations depuis le fleuve ou des nappes phréatiques au-dessous de la ville...
Une de mes grandes interrogations avant même d’intégrer la ville était le ravitaillement en combustible. Pour une ville qui comptait sans doute des millions d’habitants, ils devaient disposer d’énormément de bois, et leurs propres ressources étaient nettement insuffisantes. Nous éclaircissions en partie ce problème en découvrant la chaleur sans feu. Chaque habitation disposait d’une pièce où toutes sortes d’ustensiles de cuisine étaient disposés, ainsi que de belles marmites bien polies. Chose tout à fait étonnante, il y avait une armoire qui renfermait de l’air froid ! L’air y était toujours froid et ces armoires froides furent tout indiquées pour y conserver certaines denrées alimentaires. Ces salles donnaient l’impression d’avoir été prévues pour apprêter les repas, et cependant, nous étions vivement intrigués de l’absence de fourneau. Nous ne voyons même pas où nous pourrions allumer un feu dans de telles pièces. Ce ne fut qu’après avoir essayé des sortes de petites manivelles que nous nous aperçûmes tout à coup qu’un cercle rouge apparaissait à même le marbre entourant le bassin de lavage des ustensiles. Le marbre s’échauffa d’un coup, tout en se limitant à une surface ronde et nul part ailleurs. La taille du rond chauffé suffisait pour y loger une marmite, tandis que la température augmentait à mesure que nous tournions une des petites molettes. Non seulement, les romains avaient totalement domestiqué le feu, mais ils étaient capables aussi de lui ordonner la chaleur qu’il devait diffuser ! Un feu sans flamme, sans fumée, un feu sans feu en quelques sortes…
Quelques jours après notre arrivée, nous percions enfin le grand mystère de la lumière sans source qui régnait dans les basiliques. Dans les pièces de chaque maison romaine, il y avait un petit élément particulier qui était phosphorescent la nuit. En fait, ce n’était rien, juste une sorte de marque allongée en rectangle contre les murs. Il n’y avait ni manivelle, ni taquet, juste une marque sur le mur. D’aucun l’avaient même touchée. Elle semblait ne servir à rien jusqu’à ce qu’un d’entre nous frotta par hasard son doigt sur cette marque. Alors, d’un coup, la lumière apparût dans toute la pièce. La même clarté sans source que dans les basiliques, c’était tout simplement l’air de la pièce qui s’illuminait. Pour enclencher le mécanisme, il ne suffisait pas seulement de toucher l’intérieur de la marque. Partant du fond, il s’agissait de glisser son doigt vers le haut, dans le cadre de la marque. Plus nous montions, plus la lumière était forte. Ainsi, il était possible de régler la clarté de chaque pièce selon l’illumination que nous désirions... Du coup, je pensais que ce prodige relevait plutôt du “scientifique” que de Dieu, même dans les lieus saints. En fait, nous ne comprenions pas ces mystères, mais nous apprenions à user des bénéfices qu’ils nous offraient. De nombreuses choses bien plus insignifiantes pouvaient aussi nous occuper l’esprit des jours durant. C’est pourquoi, j’avais laissé passer une semaine avant de faire voler mes fidèles. Nous n’avions cessé de découvrir des choses surprenantes durant cette semaine. Maintenant qu’ils avaient grossièrement fait le tour de ce que serait notre vie, l’expérience de la bulle terminait admirablement cette initiation de Rome.
Il y avait encore un autre phénomène, disséminé dans toute la ville, dans les campagnes entre la ville et la mer, et jusqu’au port : Des portes de téléportation, comme disait le Seigneur Paul. Sous les colonnades de la place de la basilique par exemple, il y avait une trentaine de portes, avec toujours cette espèce de miroir ondulant entre les battants. Sur ces trente portes, une vingtaine servaient au transport d’hommes, et une dizaine, beaucoup plus larges et plus hautes, devaient servir à passer carrément avec un convoi à l’intérieur. Elles étaient suffisamment larges pour laisser passer tout un attelage avec un immense carrosse derrière. J’essayais de pénétrer à l’intérieur d’une porte pour voir où ça allait déboucher, mais je me heurtais à un mur. Immédiatement après, la porte parla :
« Bonjour, vous n’avez pas programmé de destination. Veuillez m’indiquer votre lieu d’arrivée ».
Je lui répondis alors : « Quelles destinations me proposez-vous ? »
Et la porte répondit : « Il y a 187 lieus de destination entre les murs de Rome, souhaitez-vous que je les énumère toutes ? »
Je répondis : « Pouvez-vous me faire atterrir au port ?»
Et la porte renchérit : « Sur le port, ou sur la place centrale du village du port ? »
« Sur le port », rajoutais-je, me sentant tout à fait idiot de discuter ainsi avec une porte !
« Vous pouvez maintenant traversez, votre destination est programmée pour une arrivée sur le port », conclut la porte !?
Je traversais, et effectivement, je me retrouvais immédiatement sur le port, face à la mer !
Il y avait ainsi presque deux cents destinations que nous pouvions atteindre instantanément dans tout Rome, … comme système de transports rapides et efficaces, c’était difficile de faire mieux.
Ma famille arriva à peine quinze jours après notre prise de Rome. Les guerriers que j’avais envoyés avaient fait au plus vite en changeant de monture à mesure de nos campements provinciaux éparpillés dans l’empire naissant. En 5 jours, ils étaient déjà parvenus à Nendar. Armadé organisa pour le lendemain même, la grande joute qui déterminerait le futur chef provisoire du clan. Jo arriva en finale, mais il fut coiffé au poteau par Léo, un jeune talent du clan. Le résultat du tournoi connu, léo Fourniard devint chef de Nendar jusqu’à l’éventuel retour d’Armadé.
Le lendemain à l’aube, toute ma famille était en route avec une escorte dûment armée, et dix jours plus tard, les voilà arrivant par devant la ville de légende pour la première fois, émerveillés. D’autres soldats devaient regrouper et emmener ici les femmes et enfants des guerriers de ma première armée des 20’000 hommes qui quittèrent notre vallée en l’an 2 pour conquérir le monde. De ces hommes, il n’y avait que peu de veuves. Cette première armée, composée uniquement de purs alpins, était toujours restée le noyau dur de ma formation militaire. Dans les batailles avant Berm, j’avais perdu quelques centaines de mon unité des mille à Lozalne et Montrey, guère plus. Puis, déjà lors de la bataille de Berm, les hommes qui passèrent le col de Sanetch avec Rino étaient presque tous des étrangers à la vallée, car je savais que les pertes seraient lourdes. Je faisais en sorte que mon noyau dur évite de se mettre en danger dans de simples manoeuvres de diversion. Il manquait aujourd’hui à l’appel 2’400 guerriers de cette première armée, donc autant de veuves, qui auront la consolation de pouvoir venir habiter Rome. D’ailleurs, j’avais décidé de laisser à chacun des guerriers du noyau dur le choix d’une maison, les palais étant réservés aux 103 champions survivants du jour zéro de l’an zéro.
Je pris soin de bien mettre les choses au clair pour tous. Les guerriers pouvaient occuper les maisons provisoirement, mais tous ceux n’étant pas de la première armée, originaire des clans de Maurice, Bâtia, Tourbillon, Sièrs, Viesp, Brilg, Aoste, où Domodosolia, devront se soumettre à une épreuve avant de décider du choix de leur demeure. Mon idée était de garder une puissante armée à Rome même, ainsi qu’une armée d’ordre qui irait faire appliquer la loi là où elle serait bafouée. Ceci impliquerait une force suffisamment dissuasive pour remettre de l’ordre en quelque lieu que ce soit. A cette intention, je fis organiser par Barnabé une sorte d’immense compétition, un tournoi monumental qui durerait peut-être des semaines. Les guerriers alpins feraient tous partie de cette armée, mais le tournoi ne les concernait pas. Il devait servir à dégager les 20’000 meilleurs éléments du gros des troupes pour les intégrer à la future armée romaine. Les dix mille premiers allaient servir exclusivement à la garde de la ville. L’autre moitié intégrerait l’armée alpine qui passerait ainsi à une force d’intervention de 30’000 hommes, tous montés, pour atteindre rapidement n’importe quelle cible. Cette armée restera néanmoins dans l’empire sans participer aux guerres d’extension. Elle ne sera destinée qu’à remettre de l’ordre dans nos frontières avec comme point d’attache Rome. Les meilleurs resteront toujours à l’intérieur des enceintes de la ville. Ce sont eux qui protégeront les basiliques et la cité contre d’éventuels agresseurs. Des fresques de formidables anciens guerriers romains mentionnaient le nom de Prétorians. Nous dénommions ainsi ces 10’000 Prétorians qui seraient la crème de nos meilleurs soldats, et gardiens de la cité. La troupe d’intervention aurait résidence à Rome mais leurs campagnes pouvaient les mener aux quatre coins de l’empire. Le reste des troupes seraient disséminées en une quinzaine d’armées de 50’000 hommes. La reformation des troupes prendrait du temps, mais une bonne organisation rapporte souvent les victoires.
Armadé pénétra le premier les grandes portes de la cité, suivit de Sabrine et mes deux derniers enfants. J’arrivais avec Victorio à la tête du carrosse en or de Paul, tiré par les 6 somptueux chevaux blancs. J’accueillais les miens avec la fierté de pouvoir leur présenter la cité qui rayonnera bientôt à nouveau sur le monde entier. Par contre, je remarquais la présence de Jo et m’enquit immédiatement sur l’état de Nendar. Comment se faisait-il que Jo soit ici alors qu’il aurait normalement dû assurer la gouvernance du clan ?
Mon grand frère baissa son regard piteusement, et c’est alors que père m’apprit le déshonneur ! Mon frère aîné avait perdu la finale du tournoi pour la promotion du futur chef, et Nendar avait passé aux mains des Fourniards ! Cette annonce me bouleversa. A vrai dire, je détestais tout à coup mon frère. A cause de lui, j’avais vécu une enfance privée de toutes compétitions pour ne pas lui faire d’ombre. A 19 ans, je m’étais imposé dans une joute jamais réalisée à un tel niveau. Je devenais le prodige de l’arc Alpin, et cela m’avait valut de régner sur Rome ! Tout ce que Jo avait à faire, c’était de gagner la gouvernance de Nendar durant mon absence, alors que beaucoup d’excellents guerriers du clan m’avaient suivit ! Le résultat fut qu’il échoua lamentablement, et perdit la place que j’avais pour ainsi dire nettoyée pour lui. Il n’avait suffit que d’un jeune nouveau talent pour le mettre au tapis ! C’était une honte ! Alors que tout bouillonnait dans ma tête, je ne savais comment me comporter face à lui. Je ne souhaitais en fait même pas qu’il mette les pieds dans Rome. Cependant, Armadé me demanda de n’en rien faire.
Je ne pouvais toutefois pas accepter ainsi cet outrage à notre nom. Sa mission était de devenir chef d’un clan et il fut pitoyable après s’être entraîné des années pour cela en terminant second, comme a son tournoi des 14 ans, second là-aussi ! J’ordonnais donc à une cohorte de l’enrôler dans l’armée régulière, celle qui disputera les joutes dont les meilleurs pourront rester à Rome. S’il souhaitait demeurer dans la cité, il devrait cette fois le mériter. J’indiquais au commandant qu’il se nommait Jo Lesecond, et lui demandais d’appliquer dix coups de fouet à chaque fois qu’il prétendra être quelqu’un d’autre que Jo Lesecond ! Le nom de Paralamo ne serait pas sali par cette déroute inacceptable !
Lorsque Jo fut emmené, sans un mot d’au revoir, je pressais ma famille dans le carrosse tandis que père et moi prenions la place du cochet. Tous restèrent béats durant le trajet tandis que je leur expliquais ce que je pouvais sur les monuments que nous rencontrions au passage, mais je ne savais pas s’ils m’écoutaient vraiment. Je demeurais avec mes meilleurs généraux dans les palais les plus somptueux aux abords de la grande basilique de Pierre et chacun s’était réservé de spacieux appartements. J’y conduisis les miens, impressionnés par ces richesses débordant de partout.
Sabrine tremblait de tout son corps, et elle ne donnait plus l’impression de disposer de toute sa raison. Après avoir fait visiter leur future demeure à ma famille, nous redescendions sur la place et je les pressais vers les portes de la basilique elle-même. Ce n’est que lorsque nous fûmes à l’intérieur que Sabrine perdit tout à fait conscience. Sous son apparence de jeune femme robuste, elle cachait un coeur sensible, et ne s’était visiblement pas préparée à cela malgré mes récits. Victorio, qui connaissait déjà les lieux, rassura sa petite soeur Aurore et ils s’en allèrent ensemble à la découverte de l’édifice divin. Le petit Samuel, du haut de ses quatre ans, s’agrippa au coup d’Armadé, car bien qu’étant son père, je ne l’avais vu qu’une fois, et il ne me connaissait pas. Le dernier accouchement de Sabrine durant mon absence s’était soldé par la mort du petit après à peine huit mois de vie.
Dans cette basilique, même Armadé en était tout déboussolé, tandis que je giflais gentiment Sabrine pour la tirer de sa torpeur. Après un simple aperçu, qui fut suffisant pour la première fois, nous nous retirions non sans oublier la fameuse génuflexion.
Le soir approchait, et après le repas, fatigués du voyage, ils se retirèrent se reposer sur des lits dans lesquels ils n’avaient imaginé dormir un jour. Le lendemain, je poussais un peu plus loin la visite et une grande fête fut organisée avec tous mes champions pour célébrer Armadé, l’homme qui a pensé, organisé, et permis la plus folle découverte de tous les temps. Grâce à lui, nous tenions aujourd’hui la cité de la légende. L’initiateur de ce fabuleux projet et de l’union des clans alpins fut déclaré « père de l’empire ». Je profitais également de ces journées de visite pour lui conter nos découvertes ainsi que toutes les paroles que j’avais échangées avec le pontife. Une semaine plus tard, ils eurent tous droit à la porte et la bulle volante...
Les familles des guerriers alpins commençaient à arriver par vagues. Depuis la prise de Rome, je ne voyais Barnabé que sporadiquement. Lorsqu’il n’était pas occupé à organiser la villégiature de mon armée alpine, il fouillait, à la recherche d’anciens manuscrits romains qui pouvaient nous être utiles à la compréhension de certains mystères de l’ancienne civilisation. Toutes les familles qui arrivaient à Rome étaient dûment escortées jusqu’à la basilique de Pierre. Là, chacun avait obligation de rentrer respectueusement dans le lieu Saint pour rendre grâce au Dieu romain. Après les psalmodies, ils ressortaient attendre leur mari et leur père, qui les cherchaient sur la grande place. Les groupes restaient entre eux en brandissant bien haut le blason de leur clan ou marché. Ainsi, les guerriers pouvaient les retrouver plus facilement.
Trois semaines après notre entrée dans Rome, je réunissais mes 103 champions dans une grande salle qui comprenait un trône au milieu, un peu en hauteur, deux places sur les côtés, quelques places aux pieds du trône, et en face, des gradins à demi circulaire (un hémicycle me dit Barnabé). Ce lieu deviendrait dorénavant la salle du conseil des pères. J’occupais le trône, immédiatement à ma droite était la place de Marco, et à gauche celle d’Armadé, père de l’empire. Au pied du trône, les places étaient réservées à mes généraux avec Barnabé en plus, et dans les gradins en face siégeaient le reste de mes 103 champions de la première heure. Nous nous réunîmes ainsi pour penser et dessiner le futur de notre société. Père était bien entendu partie prenante, c’est d’ailleurs lui qui ouvrit les débats en saluant tout d’abord notre bravoure et nos succès de campagne. Curieusement, il adressa aussi des remerciements au pontife Paul XII comme s’il était dans la salle, en lui garantissant que nous nous montrerions dignes de sa confiance. Armadé avait expérimenté la bulle, et il était certain qu’au moins un espion romain invisible se trouvait dans la salle pour suivre nos débats. Il n’avait certainement pas tort.
Après quoi, il demanda que la devise du pontife fut acceptée telle quelle. Il prétendit qu’il était inutile de légiférer, et que l’unique loi de la liberté s’arrêtant là où commence celle de l’autre était suffisante car elle regroupait tous les principes de justice.
Paskale, toujours aussi rebelle, se leva et rejeta avec véhémence cette notion d’entrave à notre liberté. D’après lui, cette devise pouvait être appliquée à tous les peuples, mais pas à nous. Nous serions tenus de légiférer sur les punitions par rapport aux fautes et contraindre des hommes à l’esclavage. Ce qui signifierait que nous deviendrons hors la loi dès l’instant où nous priverons un autre de sa liberté. Paskale conclut en affirmant que nous ne devions pas être sujets aux lois, car nous devions les établir et non en subir les conséquences. Autrement dit, les 103 champions deviendraient des intouchables, tandis que la loi s’appliquerait à tous les autres. Nous serions les gardiens de la loi, ceux qui veilleront à sa bonne application.
Rino abonda dans ce sens en indiquant que le seul juge à pouvoir appliquer la loi à l’encontre des fondateurs du nouveau monde ne pouvait être que moi-même, à qui le pontife avait remis la cité. Les combattants ayant approché Rome le jour zéro, les pères de la nouvelle civilisation, seraient la loi, et la renaissance de l’humanité dépendrait de nos décisions. La seule loi les concernant était celle de la fidélité à Rome et ses principes, nous veilleront au respect de la morale des lois, tout en montrant nous-mêmes l’exemple ! Voilà comment devait fonctionner le nouveau monde. Les restrictions de libertés n’étaient pas faites pour les fondateurs.
J’approuvais entièrement cette manière de voir les choses et Armadé ne s’y opposa plus. Au contraire, il rétablit justice à ceux qui périrent durant la première expédition. Notre cercle de pouvoir ne serait pas divisé qu’entre les guerriers survivants, mais aussi avec ceux qui ont donné leur vie pour la réussite de notre première épopée. Pour ce faire, les fils aînés des champions tués pendant l’expédition initiale auraient droit de cité dans notre assemblée qui passerait donc à 260 décideurs. Je n’y voyais pas d’inconvénients, mais je souhaitais que les hommes non soumis à la loi soient le moins nombreux possible. Il fut donc admis que seul les fils aînés des champions décédés pouvaient accéder à ce cercle, cela pour éviter une pléthore d’intouchables qui conduiraient inévitablement à des dérives et des injustices dans la cité. J’espérais que si le monde reposait sur un nombre aussi restreint de décideurs, chacun d’entre eux prenne pleine conscience de la responsabilité qu’il endossait. Qu’eux ou leurs descendants soient conscients d’appartenir aux pères de ce monde en création, et que de leurs décisions, il pouvait en ressortir un monde harmonieux, ou alors catastrophique. Même s’ils n’étaient pas soumis à la loi, leur fidélité à Rome leur imposerait que leur vie soit un modèle pour le peuple ! Je comptais d’ailleurs remettre sur le droit chemin quiconque s’en écarterait trop.
Ensuite, il me fallait une hiérarchie ! Un chef et 260 décideurs, c’était beaucoup trop flou ! Mais comment trouver les noms et les grades ? En cela, Barnabé proposa de reprendre les termes utilisés par l’ancien empire Romain, dont nous avions trouvé les inscriptions dans les antiques bâtiments de la ville.
Nous décidions alors ce qui suit :
L’assemblée des pères du nouveau monde, ceux qui ont découvert la ville le jour zéro, serait le Sénat, et les pères deviendront des sénateurs ! Ceux qui désiraient poursuivre les guerres d’agrandissement de l’empire pouvaient déléguer un suppléant de leur choix par procuration pour qu’il siège au conseil durant leur absence.
Le Sénat était dirigé par un consul, que nous nommions en la personne de Marcello, notre plus ancien champion, qui avait 40 ans en ce moment.
La ville et les habitants de Rome seraient dirigés par un gouverneur, que nous désignions en la personne de mon père Armadé, celui qui a permis notre épopée, et le seul qui avait une idée de gestion de population, car il avait régné pendant vingt ans sur un village.
Le gouverneur de Rome serait secondé par un vice-gouverneur, que nous trouvions en la personne de Barnabé, pour sa grande capacité de gestion et d’organisation écrite des choses.
Un conseil de matrones sera constitué par une femme, encore à découvrir, celle qui aurait mis le plus d’enfants au monde. Il s’agissait de trouver la femme la plus féconde dans Rome, et de lui laisser former elle-même son conseil.
Les prétorians seraient les gardiens de Rome. Nous sélectionneront les 20'000 meilleurs guerriers de l’armée, et ces derniers ne quitteraient jamais la ville. Ils seraient entièrement attachés à la sécurité de Rome et de ses habitants. Les prétorians seraient les seuls à pouvoir porter les armes à l’intérieur des murs de la ville.
L’armée Romaine, sera une armée de 30'000 hommes montés, dédiée à faire respecter l’ordre dans les frontières de l’empire. Elle regrouperait les 17'600 guerriers Alpins encore en vie sur les 20'000 de base, ceux-là même qui sortirent de notre vallée le 120ème jour de l’an 2. On ajouterait 13'000 excellents guerriers, et ils formeront l’armée de Rome !
L’armée impériale, c'est-à-dire : Tout le reste, une multitude de guerriers, qui seront consacrés aux guerres d’extension de l’empire, au-delà de nos frontières actuelles.
Ensuite, il me fallait des rois, alors je nommais :
- Patrick, roi du Latium, c'est-à-dire de Rome et ses environs. Il recevait le pouvoir de bloquer des décisions du gouverneur, d’aménager les alentours de la ville, de réquisitionner les prétorians si besoin en était.
- Paskale, roi du monde connu, c'est-à-dire de l’empire à l’intérieur des frontières soumises à notre autorité. Il serait le maître de l’armée romaine pour remettre de l’ordre là où il en jugerait utile, nommer des généraux et autres subalternes. Il serait d’ailleurs parfait dans ce rôle de redresseur de tords, et je pensais qu’avec un gaillard comme lui comme régent de l’empire, peu de marchés seraient tentés de jouer aux mariolles.
- Rino, roi de la guerre et du monde inconnu ! L’armée impériale serait à sa disposition, il était chargé d’agrandir notre empire, de repousser ses frontières toujours plus loin, de nommer les généraux, de décider des stratégies et des conquêtes avec pour outil un million d’hommes armés. Il devait s’entendre avec Paskale, roi du monde connu, pour que ce dernier puisse organiser les peuples sortant du chaos après le passage de Rino.
- Sérafino, roi de la mer ! Ce dernier était en effet totalement fasciné par les quelques dizaines de navires que le pontife nous avait laissé. Il passait le plus clair de son temps à rôder au port et dans les navires, qu’il se promettait de faire voguer un jour, lorsqu’il aura compris leur fonctionnement. Dès qu’il sera en mesure de le faire, la mer lui appartiendra. Il décidera des découvertes et expéditions à mener.
- Marco Fallacio, roi honorifique de toutes les guerres ! Il n’avait ni juridiction, ni armée à part son unité des milles, mais les guerres se dérouleraient sous sa bénédiction. Il pouvait être appelé par n’importe quel roi sur n’importe quel front pour dispenser ses conseils. Il était également chargé de veiller à la correcte éducation guerrière des enfants de sénateurs.
- Moi-même, Impérator, … empereur du monde connu et inconnu, qui pouvait imposer mes volontés aux rois, les punir, les féliciter, les encourager dans les entreprises que je jugerais utiles.
Ceci fait, nous passâmes encore un peu de temps à discuter des lois et de leurs applications dans l’empire. Le sénat ou les rois ne pouvaient pas juger toutes les affaires de l’empire, et nous pensâmes à un système de tribunaux avec des juges soumis eux aussi à la loi. D’aucuns demandèrent déjà comment et par qui la loi allait être appliquée. Nous nous attelions donc à clarifier ce point.
Le problème me paraissait pourtant simple : Nous faisons des lois égales pour tous, et les chefs de clans se chargeraient de les faire appliquer. Barnabé, qui prenait note de l’évolution des débats, souleva une problématique à ce propos : Les chefs de clans étant généralement les plus forts, ils risquaient bien de pencher pour la loi du plus fort. Toute la question résidait dans le monde que nous souhaitions bâtir ? Serait-ce un monde cherchant la paix où un monde élevant la force, la violence et la guerre au rang de vertu ? D’autant plus qu’avec mon épée incapable de tuer, cela faisait bientôt cinq ans que je n’ai plus égorgé personne ! Il est vrai qu’à part quelques incendies pour imposer le respect dans de nouveaux territoires, il n’y avait plus eu de combat loyal depuis Berm. Le monde semblait d’ailleurs se pacifier dans le sillage de notre armée, les territoires étant de plus en plus sécurisés. Bref, selon Barnabé et quelques autres, les juges devaient être neutres et dans la morale de la loi, pas être les plus forts !
Il était hors de question que je laisse détruire toutes les prérogatives de l’ancienne civilisation pour bouleverser les donnes du pouvoir. J’évitais également soigneusement de soumettre la question au vote afin de parer à une éventuelle mauvaise surprise, et je déclarais les chefs de clans juges sur leurs territoires. Toutefois, je laissais du champ aux quelques progressistes présents en admettant que les chefs pourraient eux aussi être jugés, au cas où ils travestiraient notre loi dans leurs décisions et jugements.
Cette histoire me paraissait cependant tout à fait secondaire, et j’entrais immédiatement dans la chose que je considérais la plus importante : L’esprit de notre nouvelle loi que je souhaitais clair et sans équivoque. Il fut admis que tout être était égal à la naissance. Cela correspondait d’ailleurs à la loi des clans actuels. Dans la société du chaos, tous disposaient des mêmes chances à leur naissance. Nous avons vu des fils de cultivateurs devenir chef de clan, et même seigneurs de marchés ! Il leur suffisait de gagner le tournoi. Les seules exceptions à cette règle étaient les fils de parias. La majorité des parias ne procréaient pas, mais un père de famille qui trahissait son clan devenait lui aussi paria, la trahison étant considérée comme le crime le plus abject. Après expulsion de l’individu, les tournois étaient interdits à sa descendance directe. Leurs petits fils retrouvaient cependant tous leurs droits, et il existait aussi des petits-fils de parias devenus chefs de clans... Nous décidions de maintenir cette norme à l’encontre des descendants de parias. Ceci, afin de bien faire comprendre qu’en cas de trahison de Rome, c’est toute la famille du criminel qui serait punie. Il réfléchirait ainsi à deux fois avant de commettre l’irréparable.
L’esprit de la loi étant d’éviter au maximum les conflits importants, les juges seraient priés de rendre les décisions les plus conformes à notre morale, car d’après la note de Paul, il n’y avait rien de pire que l’injustice pour provoquer du tumulte, et c’était également mon avis. Comme il était impossible de croire en l’intégrité de tous les chefs, nous nous promettions de former des tribunaux romains dans chaque grande région. Ces instances seraient des présences romaines provinciales, visant à juger les chefs irrespectueux de la loi. Au lieu d’une passe d’arme entre les protagonistes du dilemme, le lésé pouvait recourir à l’instance romaine contre le jugement ou les crimes de son chef. Si l’instance supérieure décidait que le recours était abusif, le plaignant devenait immédiatement un paria pour avoir osé traîner son chef à tort par devant nos tribunaux. Si le chef avait été inique en interprétant notre loi pour créer une injustice, c’est lui qui deviendrait paria en trahissant non pas son clan mais Rome. Ainsi, il nous semblait que chaque chef appliquerait la loi dans l’attention de ne pas la dénaturer, et que chaque plaignant y réfléchirait à deux fois avant de traîner son propre chef devant une coure romaine.
Rino objecta encore que les coures romaines provinciales pouvaient elles aussi être influencées par certains intérêts régionaux, et il proposa une dernière instance de recours auprès de l’autorité suprême de l’empire : - Soit auprès du gouverneur de Rome, soit auprès du roi du monde connu, Paskale…, soit auprès de juges suprêmes que nous choisirions parmi notre assemblée, seules autorités aptes à juger des coures romaines provinciales. Même affaire que pour les chefs de clans. Si les juges romains hors-murs allaient à l’encontre de la loi, ils pouvaient eux aussi devenir des parias. Le principe était identique que pour les juges claniques : Soit le plaignant avait raison et la coure entière devenait paria, soit la coure avait raison et le plaignant passait par la porte des parias... En cas d’affaires peu claires, il était convenu que le doute profiterait au chef ou au juge, l’accusé étant présumé coupable jusqu’à preuve du contraire.
Quant a notre assemblée, il fut admis que les 260 champions ou orphelins de champions pouvaient être jugés par l’empereur lui-même uniquement. J’avais également le pouvoir de décider de mesures, seul contre l’avis de tous les autres. Les sénateurs pouvaient proposer des lois, tandis que je pouvais les imposer par décret. Mon fidèle Barnabé demanda encore qu’une instance supérieure obtienne le pouvoir de bloquer toute décision, …même les miennes, parbleu ! Ce pouvoir serait conféré au gouverneur de Rome, soit à mon père, Armadé. Il n’avait pas le droit de créer des lois, mais pouvait bloquer les miennes... Le scribe argua que cette mesure ne lui était pas venue à l’esprit à cause de moi, mais au cas où un de mes futurs héritiers puisse être assez fou pour mettre à lui tout seul l’empire en péril.
Je refusais net une telle mesure. L’impérator ne pouvait être contré que par le pape lui-même ! L’empereur n’avait de compte à rendre à personne, ni au sénat, ni au gouverneur de Rome, ni aux rois. J’acceptais par contre la constitution d’un « conseil » impérial dans le genre des conseils des anciens qui existaient dans les clans, mais personne ne pouvait contrer une décision ferme de l’empereur qui avait le pouvoir de dicter sa volonté. L’empereur était dictateur par essence. Par contre, le gouverneur de la cité devait le remplacer lors de ses absences.
La morale, la discipline, l’ordre et la paix étant des valeurs universelles, nous décidions de ne tenir aucun compte des différences culturelles, ou de mentalités des régions. Si des choses étaient bonnes pour notre humanité romaine, elles devaient forcément l’être pour toutes les autres.
Nous tentions d’esquisser diverses solutions pour limiter au maximum les situations de conflit. Limiter ou supprimer la liberté d’autrui signifiait que le meurtre serait proscrit ainsi que les enlèvements. Nous déclarions hors la loi les guerres entre clans sans l’assentiment de Rome. Nous réglementions également la législation sur les esclaves. Aucun nouveau-né ne pouvait venir au monde esclave, cela pour respecter l’égalité du droit à la naissance. Toutefois, en cas de lutte armée et de soumission de l’adversaire, tous les hommes du clan belliqueux pouvaient devenir esclaves, y compris les enfants. Nous admettions que les enfants n’aient pas directement de responsabilités dans l’attitude peut-être récalcitrante de leurs aînés. Mais la punition collective était une bonne manière de faire réfléchir des clans entiers, ainsi que déstabiliser un peu le pouvoir de chefs trop belliqueux.
Si un chef se mettait en tête de nous résister, il n’aurait ainsi pas seulement à faire face à notre armée, mais également à ses propres sujets inquiets de leur sort. L’esclavagisation massive des protestants était le meilleur moyen pour faire disparaître totalement un clan ou un marché. Si des enfants mâles étaient laissés en liberté, nul doute qu’un sentiment de vengeance grandirait en même temps que leur force. En les gardant sous contrôle comme esclaves dispersés dans divers lieus, ils n’avaient plus aucune chance de nuire. Tandis que les femmes, dispersées dans les villages alentours, n’auraient plus aucune influence sur la politique de leur clan d’adoption. L’escavagisation de tous les mâles visait à l’effacement total des clans réfractaire.
Les fils d’esclaves deviendraient cependant sujets romains à part entière, tandis que l’esclave pouvait obtenir la clémence de son maître en cas de comportement respectueux.
Nous ne légiférions pas beaucoup sur les femmes, car tout compte fait, l’unique loi disait tout, et leur pire faute serait de priver leur homme de la liberté d’avoir une descendance. Pour cette faute, le seigneur Paul m’avait cependant promis une solution. Les comportements contre nature restaient interdis. Les protagonistes seraient déportés à Rome comme tous les autres parias de l’empire et expédiés par la porte des parias. Ainsi, tous pourraient voir au moins une fois la perfection de la beauté avant de disparaître pour de bon. Dans quel monde Paul les envoyait-il ? Dans quel cauchemar finiront-ils leur vie ? Nous ne le saurons sans doute jamais... Cependant, lorsque Paul m’avait parlé des parias, il paraissait plus inquiet par leurs nouvelles conditions de détention que d’avoir envie de les punir encore plus... Peut-être les envoyait-il sur des terres convenables et fertiles ? Qui sait ? Cependant, qu’ils soient bien ou mal lotis m’importait peu. Je m’en débarrassais définitivement sans grands frais et c’est ce qui comptait.
Le lendemain fut le 1er jour du monumental tournoi qui allait dégager les 20’000 meilleurs guerriers pour en faire des prétorians. Pour le peuplement de la ville, nous fûmes tous d’avis qu’il était plus sage de laisser tous nos guerriers s’y installer avec leurs familles. Ils devront repartir en campagne, mais de savoir qu’ils disposaient d’une demeure à Rome devait les inciter à la fidélité. D’autre part, cela les motiverait sans doute à se battre farouchement pour rester vivant jusqu’à leur retour de campagne... Cependant, pour les motiver encore plus dans ce tournoi, j’indiquais que seuls les 20'000 meilleurs auront la possibilité de garder leurs armes dans la ville. Les joutes allaient se poursuivre sur une vingtaine de jours et elles se dérouleraient sur la grande place de la basilique. J’y introduisis cependant une nouvelle règle. Il était inutile de nous entre-tuer, et je déclarais que les combattants mettant à mort leur adversaire, même s’ils le tuaient accidentellement, seraient disqualifiés de la compétition.
Une centaine de joutes différentes commencèrent un peu partout sur la place. Pour ces premiers affrontements, il s’agissait de dégager les deux meilleurs guerriers de chaque bataillon, qui comptaient tous une vingtaine d’hommes. Après ces premières éliminations, il ne devait donc subsister qu’un dixième des effectifs de toutes les armées. Ces premières joutes allaient durer bonnement une semaine. Après avoir donné le coup d’envoi, nous nous retirions dans l’hémicycle, que nous avions nommé la salle des pères.
Cette fois, les veuves des champions de la première expédition furent priées de nous emmener leur fils aîné. Les champions morts lors de l’épopée avaient pour la grande majorité plus de 20 ans à l’époque de l’expédition. Seul une demi-douzaine étaient plus jeunes que moi. Certains avaient déjà au moment de l’épopée des fils de 8 ans, et qui en avaient 13 maintenant. D’autres aînés n’avaient que 5 ans. Ils venaient de naître lorsque leur père partit mourir dans la grande aventure. Une quinzaine d’entre eux n’avaient eu que des filles mais le problème fut résolut de la manière suivante :
- Le premier fils de leur fille aînée siégerait au conseil des pères.
Nous débutâmes donc notre réunion avec plus d’une centaine d’enfants dans la salle. Cette journée leur fut dédiée, ainsi que de nombreuses autres. Nous commençâmes par leur expliquer qui étaient leurs pères, le dévouement dont ils firent preuves pour quérir la ville de la légende, et nous permettre de la trouver. Pour le service que leur père avait rendu au monde du chaos, eux auraient droit d’habiter les palais et prendre des décisions avec nous. Mais auparavant, Marco Fallacio allait charger nos meilleurs guerriers de leur apporter l’éducation militaire nécessaire à un décideur. Ils nous accompagneraient en outre comme écuyers dans nos futures campagnes et découvriront les stratégies militaires. Prenant en exemple Victorio, mon fils, je décrétais que les pères de la deuxième génération, sénateurs, devaient également avoir de l’instruction. Barnabé serait donc chargé de leur inculquer l’art de lire et d’écrire. Mes champions et moi-même étions dispensés de cet enseignement, car à notre âge, il était trop tard.
Depuis que j’étais à Rome, je commençais à me rendre compte de l’importance de l’instruction. Barnabé ne ménageait d’ailleurs pas ses efforts pour répertorier, déchiffrer, sélectionner et organiser les biens et les personnes. Il nous était d’un si grand secours que j’avais mandé une escouade dans son village près du marché d’Annemasse, afin qu’ils me ramènent ses amis maîtrisant cet art de l’écriture. Nous en avions grand besoin et mon scribe était certain qu’ils se feraient une joie d’accepter l’invitation. Nous attendions encore leur arrivée.
Nous consacrâmes une semaine romaine de sept jours pour initier les aînés à leurs futures responsabilités. Entre temps, Victorio fit une découverte telle qu’elle nous avait tous convaincus d’adopter le calendrier de semaine à sept jours. Depuis que nous étions à Rome, j’avais adouci ses entraînements, le temps qu’on s’organise un peu. Il occupait ses loisirs à visiter les basiliques, ces demeures de Dieu accessibles en cas d’urgence. Sans qu’il n’ait de raisons valables pour entrer dans ces basiliques, Victorio pouvait le faire à sa guise pour ses recherches, comme Barnabé, et finalement comme tous mes champions. Alors que nous étions dans la salle des pères en compagnie des fils aînés, Victorio découvrit la raison de la semaine à sept jours. Sur un premier vitrail d’une basilique, il était montré comment Dieu fit sa création. Depuis le premier jour de la création de l’univers, jusqu’au sixième jour où il fit l’homme. Enfin, le septième jour, Dieu se reposa. Il y avait sept vitraux avec en image des représentations artistiques, mais sous les fenêtres, il y avait également l’inscription du récit de la création du monde...
Si Dieu avait fait le monde en sept jours et que l’ancienne civilisation avait établi ainsi son calendrier par respect du Créateur, il n’y avait aucune raison que nous ne le fassions pas, et la semaine de sept jours fit son apparition dans Rome.
La deuxième semaine du grand tournoi, nous commencions à porter attention aux joutes. Les duels avaient provoqué trois cent décès, un minimum, compte tenu du nombre de guerriers. Nous décidions en outre de préparer les divisions des dix-huit armées de 50’000 hommes. Il y avait de nombreuses réformes à faire au niveau des lieutenants et commandants, ainsi que les redistributions de bataillons dans chaque armée: archets, infanterie, cavalerie...
Nos plans de campagnes étaient dictés par les plans géographiques romains. Il y avait d’immenses territoires au nord, à l’est et à l’ouest de la péninsule et nos armées se disperseraient dans ces Tierras Incognitas. La consigne était toujours la même : chaque sol foulé par nos guerriers devient terre romaine. Nous ne demanderions ni butin de guerre, ni trésors, ni même l’abdication des chefs, pour peu qu’ils se placent sous notre juridiction et qu’ils s’engagent à respecter et faire respecter nos lois et principes. Tout signe de résistance serait considéré comme un acte de rébellion et le clan soumis à l’esclavage. La seule différence d’avec nos campagnes précédentes serait que les suivantes n’étaient plus à la recherche de soldats, et nous n’avions plus rien à proposer en échange des éventuelles collaborations, à part une tournée en bulle pour les chefs et conseils coopératifs. Nous étions dorénavant en mission, et la mission était de civiliser à nouveau ce monde, par la force s’il le fallait. Mon nouveau monde devait être uni autour de la ville phare de l’humanité, celle qui abrite le Dieu qui créa le ciel et la terre. Pour cette unique raison, il serait exigé de la déférence envers Rome et sa divine justice. Mais régner et faire respecter la loi sur un territoire aussi vaste que nous le présentaient les anciennes cartes romaines nécessiterait une présence armée, des juges et des postes provinciaux en grand nombre dispersés sur le monde entier ! Avec beaucoup d’organisation, c’était envisageable, mais loin d’être une mince affaire...
Après avoir bien instruit les enfants durant tous ces jours sur ce qu’ils auraient à faire, Marco les renvoya auprès des meilleurs guerriers de son unité des mille pour leur éducation. De même, lorsque les amis de Barnabé arriveraient, ils prendraient en charge leur instruction des lettres.
Pour l’instant, tout en suivant de plus en plus près les joutes qui commençaient à rassembler du beau monde, nous nous intéressions un peu à la splendide marina du port. Lorsque nous étions venus 5 ans auparavant, les romains disposaient d’autres genres de navires, bien plus perfectionnés que ceux laissés en rade dans le port. Ces bateaux, d’aspect plus archaïque que ceux dont la civilisation du pape était capable de fabriquer, étaient néanmoins spectaculaires pour nous. Personne dans le Chaos ne pouvait simplement avoir l’idée de construire de telles embarcations... et pour aller où ? Les navires de nos villes côtières n’étaient autre que des barques de pêche plus où moins importantes. Dans un monde si divisé, personne n’avait idée d’entreprendre de grandes traversées les menant auprès de terres et de clans sûrement hostiles... Cependant, avec ces immenses navires dont certains étaient capables d’accueillir des centaines de guerriers, nous pouvions rêver d’expéditions et de découvertes, et même pas en position de faiblesse. Il restait dans le grand port de Rome quatre splendides navires à 4 mats monumentaux, 12 navires à trois mats d’une taille presque aussi gigantesque que les autres, et enfin, 15 plus petites unités à deux mats. Chacun de ces bateaux disposait de barques à bord. Je suppose qu’elles servaient en cas de naufrage. C’est dire si nous avions un équipement de base tout à fait conséquent.
Séraphino, le plus jeune de mes 103 champions qui participa à l’épopée à seulement 17 ans (déjà champion de clan à 16 ans), était tout à son affaire autour de ces unités navales. Il avait fini par trouver des documents qui retinrent toute notre attention sur cette nouvelle flotte. Il y avait d’abord 5 livres richement illustrés, donnant tous les détails nécessaires à la fabrication de 5 différentes sortes de navires. Un sixième livre traitait des parties techniques de la navigation, de l’utilisation des vents, du repérage en mer, ainsi que d’une foule de conseils pratique et techniques. D’autres cartes marines étaient jointes aux documents. Barnabé eu fort affaire pour lire tout cela et nous indiquer ce que nous pourrions faire de cette marina. Les premiers signes étaient réjouissants. Barnabé nous laissait entendre qu’avec de tels navires ainsi que les enseignements contenus dans le sixième volume, il n’était nullement impossible que cette flotte puisse atteindre n’importe quel coin du globe !
De retour sur la place de la basilique, devenue celle des joutes pour encore quelques jours, nous écoutions Barnabé nous résumer le livre à mesure qu’il y trouvait des nouvelles intéressantes. Pendant ce temps, nous nous promenions au milieu des combats pour voir les prouesses que certains montraient déjà. Mais entre nous, nous parlions souvent de cette marina. Sérafino était bien entendu le plus motivé, il fondait de grands rêves sur nos nouvelles capacités de découvertes. Cet aspect n’était d’ailleurs pas pour nous déplaire, bien au contraire, et cette marina pouvait être un atout de taille dans de nouvelles conquêtes.
Arrivé à la fin du livre, deux jours plus tard, nous étions convaincus que ce moyen de transport était réellement une manière de franchir de grandes distances sur la terre entière. Nous savions comment construire de tels vaisseaux, nous savions à quoi servaient le moindre de ses filins, nous savions comment nous diriger sur les mers, comment conserver de la nourriture, ces romains nous avaient donné toutes les instructions pour mener de belles traversées. Sérafino aura les soldats qu’il arriverait à entasser sur ces bateaux, et il serait aidé par Bartoloméo, un des 63 amis écrivains de Barnabé, qui étaient finalement arrivés la veille. Bartoloméo serait chargé de lui lire les plans de construction et autres indications pour la bonne marche de la flotte. Sérafino se formera lui-même ainsi que les soldats nécessaires au métier de la marine, décrits dans le dernier volume, tandis le sénat lui proposerait des expéditions à entreprendre une fois qu’il sera au point. Pour l’instant, nous n’en étions pas encore là, car il y avait d’abord lieu d’apprendre à maîtriser de tels vaisseaux.
Les combats devenaient sans cesse plus pointus sur la place, et chaque jour, les guerriers produisaient de plus en plus de démonstrations techniques. Le 16ème jour, il ne restait que 40’000 guerriers, dont la moitié était sensée rester à Rome. Les meilleurs commencèrent à se profiler dans ces joutes qui retenaient de plus en plus notre attention.
Le 18ème jour du tournoi, nous avions nos 30’000 vainqueurs. Mon frère Jo en faisait partie. Il fallait encore trier les 20'000 meilleurs, qui intégreraient notre nouvelle unité de Prétorians, seule véritable armée attachée exclusivement, et en toutes circonstances, à la protection de Rome. Les 10'000 restants seront intégrés à l’armée romaine de Paskale, qui rouspétait déjà de devoir se contenter de soldats de seconde zone… Ils faisaient tout de même partie des 30'000 meilleurs sur un million, ce qui représentait le 3 meilleur pourcent de tous les hommes, mais rien à faire, Paskale ronchonnait sur la piètre qualité de ce troisième pourcent et ne comprenait pas pourquoi il fallait la crème de l’armée pour protéger une ville qui a une muraille imprenable ! Il n’avait pas tout tord le bougre, mais n’empêche que les prétorians ne se contenteraient pas d’un rôle de protection de la ville contre une menace étrangère, ils devraient aussi protéger la ville contre elle-même, contre des insurrections ou des coups d’état. Finalement, par gain de paix, je fini par céder partiellement à sa demande : Les 20'000 meilleurs ne serait pas « automatiquement » intégrés aux prétorians, mais pourront choisir, soit de se mettre sous les ordres de Paskale et intégrer l’armée romaine qui interviendrait aux 4 coins de l’empire pour remettre de l’ordre, soit de se mettre sous les ordres du gouverneur de Rome, Armadé, et garder ainsi la place qui leur revient de droit en tant que prétorians. Paskale se déclara satisfait du compromis et ne rouspéta plus.
Au stade de ce dernier palier d’élimination où il ne restait que 3 guerriers sur 100 participants au départ, les joutes promettaient une qualité peut-être jamais égalée dans l’histoire, à tel point que nous commencions à regretter de ne pouvoir y participer.
Deux jours de spectacle époustouflant suffirent pour départager mes 20’000 Prétorians. Mon frère Jo fut battu et n’intégra pas cette unité... Son nouveau nom lui seyait donc à merveille… « Lesecond » ! Ces joutes historiques étaient théoriquement terminées, mais des voix s’élevèrent parmi les vainqueurs. Leur requête était de pouvoir poursuivre afin de connaître le meilleur d’entre tous. Enthousiasmé par la qualité des combats, je donnais mon accord pour la poursuite du tournoi jusqu’au stade où il n’en restera plus qu’un ! Sur le moment, je ne vis pas le danger, mais il ne tarda pas à se manifester.
Au soir d’une nouvelle semaine de lutte que je passais à observer les prouesses des participants, il ne restait que trois paliers de combat étalés sur trois jours : Les quarts de finales, les demies, et la finale qui allait se faire affronter les deux plus grands champions de nos armées.
Personnellement, je savais déjà à ce stade quel serait le champion suprême, c’était un guerrier qui se prénommait Gianfranco Villania, et qui était une sorte d’anomalie là au milieu, même s’il faisait tout pour le cacher. Pour être sûr que je n’avais pas la berlue et que j’interprétais correctement ses mouvements, je demandais à Marco de rester avec moi pour voir batailler le lascar en quart de finale, et Marco eu exactement le même diagnostic que moi :
« Ce type se retrouve à ce stade de la compétition parmi les 8 meilleurs guerriers de tout l’empire, et il retient ses coups » !
C’était tout à fait intriguant, cet homme se battait comme se battent les meilleurs guerriers du Chaos, avec force, rapidité et précision, mais tout ceci ne semblait être que l’apparence de son jeu. En réalité, certaines postures le trahissaient, il connaissait des styles de jeu qu’il ne voulait pas montrer, qu’il tentait de cacher tant bien que mal, même si parfois lors de situations délicates, ses réflexes faisaient revenir certains gestes qui devaient êtres naturels pour lui, et qu’il corrigeait immédiatement en adoptant de suite un jeu plus grossier. J’eu les renseignements le concernant, et selon mes lieutenants, il aurait rejoint mon armée à Barri, dans le sud de l’Italie. Aucun combat important ne permis de le distinguer avant ce tournoi, ce qui fait que je le découvrais seulement maintenant. Gianfranco avait naturellement battu son adversaire en quart de finale, et le lendemain, Marco et moi étions assis côte à côte pour l’observer en demi-finale. Après quelques minutes de jeu, malgré tous ses efforts pour le cacher, c’était évident, il y avait comme quelque chose de Rufus là-derrière. Je m’en ouvris à Marco :
Est-il possible que Rufus ait entraîné ce type, demandais-je ?
Impossible, répondit Marco catégorique, Rufus a passé les 12 dernières années de sa vie avec toi, ce Gianfranco a 26 ans, et il habitait au sud de la Péninsule. A ce que je sache, et j’en sais quelque chose, Maître Rufus n’est jamais allé plus au sud que Rome. Et s’il avait eu un autre apprenti que toi, il m’en aurait parlé.
A moi aussi il me semble, rétorquais-je, mais c’est trop bizarre, ce type trahi des attitudes de combat d’art martial, il connaît des techniques que le Chaos ne connaît pas à priori, c’est incroyable. Regarde, là maintenant ! Tu as vu ? Il aurait dû gagner à la suite de cet enchaînement de trois coups trop beaux pour êtres honnêtes, et qu’est-ce qu’il vient de faire ? Au lieu de porter l’estocade, il recule comme un couillon ! Tu comprends ça, toi ?
Marco acquiesça de la tête, mais restait pensif. Après un moment de contemplation du combat, il rajouta perplexe : - « c’est un grand bluff, ce combat n’est pas un vrai combat, Gianfranco fait trop d’erreurs grossières après des coups somptueux, tout est faux ». Après quoi, il fit signe à un simple guerrier d’approcher. L’homme, qui observait comme nous le combat, vint vers nous, tout anxieux d’être interpellé par un seigneur si prestigieux. Il s’approcha avec déférence et écouta Marco attentivement :
Salut guerrier, ton nom ?
Julien Brescourt.
Tu parles italophone ? demanda Marco
Je commence à me débrouiller Seigneur, mais je suis loin d’être un bon traducteur, si c’est ce que vous recherchez, répliqua le guerrier.
On n’a pas besoin de traduction, répondit Marco. Tout ce qu’on te demande, c’est d’aller voir ce type, Gianfranco, lorsqu’il aura enfin gagné sa demi-finale, tu te tiendras dos à nous, pour qu’on puisse voir son visage de face, et tu lui transmettras les félicitations de Maître Rufus pour sa victoire. Avant de prononcer ce nom, tu feras un petit signe avec ton bras derrière ton dos. On veut voir exactement sa réaction lorsqu’il entendra le nom de Rufus. S’il nie le connaître, insiste en lui disant qu’il se bat presque comme lui, et demande lui d’où il tient ses connaissances des arts martiaux. Tu as tout compris ?
Heuuu oui et non, répondit Julien.
T’inquiètes pas, les seules choses importantes sont de prononcer le nom de Rufus, de lui parler d’art Martiaux, et qu’on voit son visage lorsque tu prononceras ces mots, reprit Marco. S’il te demande comment tu connais cet art, dis-lui que c’est Maître Rufus qui t’en a parlé lors de l’un de ses passages dans ton village, et qu’il semble se battre comme lui. Tiens toi prêt, il a fait durer le combat déjà une demi-heure, il ne va pas tarder à conclure. Tu viendras nous rendre compte de ses observations et questions lorsqu’il se sera éloigné, je ne veux pas qu’il nous relie à toi. Allez, dégage d’ici maintenant, il va finir par te repérer.
Julien s’éloigna, tout intrigué de sa mission, de ces mots « arts martiaux », qu’il ne connaissait pas plus que ce Maître Rufus.
Comme prévu, Gianfranco conclut le combat un peu après la demi-heure de jeu, et le dénommé Julien s’approcha de lui en nous tournant le dos. Gianfranco ne lui portait pas la moindre attention, à peine sembla-t-il lui jeter un regard distrait durant les présentations dudit Julien. Puis, notre homme ouvrit sa main dans son dos, c’était le signe. Au lieu de continuer à ranger ses armes, Gianfranco s’arrêta net, le dévisagea de la tête aux pieds, secoua la tête en signe de négation, puis sembla s’intéresser de très prêt au Julien en lui posant des questions. Le dédain qu’il affichait pour l’homme lorsqu’il l’apostropha se transforma en vif intérêt. Il secoua encore une fois la tête lorsque Julien parlait, certainement prononça-t-il les mots « art martiaux ». On sentit alors que Julien était de plus en plus mal à l’aise face aux questions du champion, alors nous décidions d’intervenir avec Marco en venant nous même le féliciter pour son combat, ce qui permit à notre homme de s’éloigner en le félicitant encore une fois.
Le combat était terminé, et j’annonçais au peuple la finale pour le lendemain, deux heures après le levé du soleil.
Lorsque Gianfranco se fut éloigné, Julien osa nous approcher pour nous rendre compte de ce que nous savions déjà : Non, le champion n’avait jamais entendu parler de Maître Rufus, et non, il ne connaissait pas ce que signifiait « art martiaux ». Mais bien sûr, Marco et moi savions qu’il mentait, et Julien eu exactement la même impression après son changement d’attitude totale dès que le mot Rufus fut prononcé.
Nous nous trouvions donc face à une énigme. Il était matériellement impossible à Rufus de m’enseigner l’art du combat 18 heures sur 24 dans les Alpes, et en même temps d’éduquer un jeune homme du sud de l’Italie à ces mêmes arts. Rufus ne l’avait probablement même jamais rencontré, mais l’homme connaissait son existence… ?
Le jour dit de la finale, deux phénomènes offrirent un spectacle si magnifique que je doutais presque de pouvoir battre le vainqueur, connu d’avance par Marco et moi-même : Gianfranco Villania. J’écartais cette pensée, en admettant toutefois que ces deux gaillards pouvaient tout de même me mettre en difficulté, surtout celui qui continuait à camoufler son vrai jeu. Je tiens à mentionner le nom de l’autre finaliste : Guerart Weinberg, un colosse blond que Paskale avait ramené de sa campagne dans les territoires germaniques du nord de Bâle. Quant à Gianfranco Villania, outre le mystère qui entourait le bonhomme, c’était un superbe guerrier brun et ténébreux, vraisemblablement originaire du sud de la péninsule italienne. Les deux champions nous offrirent une heure de combat sans précédent avant que Gianfranco ne se décide enfin à désarmer et immobiliser Guerart à terre, la pointe de l’épée taquinant sa pomme d’Adam. Comme ce n’était pas des combats à mort, le vaincu n’avait pas à demander grâce pour stopper la joute. Guerart ne pouvait pas être plus vaincu que cela et Gianfranco fut logiquement déclaré champion des armées.
Je félicitais le tout nouveau champion, mais n’étais pas au bout de mes surprises. Ce bougre de prétentieux n’hésita pas à me lancer un défi ! Tout innocemment, il me demanda si je n’étais pas tenté par un duel contre lui, histoire d’asseoir définitivement ma place de guerrier supérieur à toutes les armées...!
J’étais furieux d’un tel culot. Il y avait une lune, je leur ouvrais les portes de la ville, et voilà qu’on me demandait déjà de prouver ma supériorité au combat, histoire d’essayer de mettre à mal mon autorité. D’un autre côté, je n’étais que le champion alpin, et j’avais sous mes ordres une multitude de guerriers n’étant pas originaires des Alpes, et auxquels je n’avais jamais prouvé ma vaillance en duel. Selon la loi des clans, cette demande était logique ; mais après ce que j’avais offert à mes hommes, je percevais ceci comme une grande ingratitude et un réel affront.
Furieux, j’acceptais néanmoins sans hésiter le défi, mais en indiquant clairement que ce duel n’avait plus rien à voir avec le tournoi, et j’y posais une condition. Je ne jouterais pas contre le champion des armées pour asseoir mon règne, mais pour laver cet affront dans le sang ! Je décrétais en effet que les champions de la première heure ainsi que leurs descendants n’avaient plus à prouver leurs capacités, car cela avait déjà été fait. Malgré les protestations de mon père, de Rino, Barnabé et presque tous mes champions, je demandais un duel se terminant avec une seule vie. Le premier mort serait le vaincu, mais en aucun cas, le gagnant n’obtiendrait plus de faveurs qu’il n’en disposait déjà. Quoiqu’il en advienne du résultat, Gianfranco ne serait jamais empereur. Ce n’était plus un combat de prétention, mais un duel d’honneur..., en ce qui me concernait en tout cas. Renaissance ne broncha pas et accepta elle aussi ce duel à mort.
Je fixais l’heure du duel le lendemain, deux heures après midi, à l’intérieur du grand cirque du Colisée. Tous les guerriers qui y trouveraient une place pourraient assister au spectacle.
Après avoir donné mes ordre à haute et intelligible voix pour que tout le monde entende, je saisis le champion par la chemise et l’interrogeais frontalement :
Espèce de crapule, tu connais Maître Rufus mais tu n’as jamais été l’un de ses élèves, si tu l’avais été tu serais comme Marco, un frère. Inutile de mentir, je sais que tu le connais !
Grianfranco sembla déstabilisé, mais répondit toutefois :
Je ne le connais pas, mais j’en ai entendu parler !
Comment ?
Aucune réponse, le lascar fit mine de chercher ses mots, avant de se raviser, de ravaler sa salive, et pour finir, il préféra ne rien dire.
Quel est ton maître bon sang ? Lui demandais-je encore en le secouant.
C’est… personne, et…, rien, je ne dirais rien, tu verras demain ce que je vaux réellement. Tu vas te faire écraser comme un cloporte, passe une bonne nuit empereur, c’est ta dernière, me répondit l’imprudent avant d’arracher ma main de sa chemise et de s’éloigner avec ses armes.
Après cette altercade, c’est une véritable avalanche de reproches qui me tombèrent dessus de tous côtés. Mon père était furieux que je prenne le risque de ruiner cette nouvelle civilisation par pur orgueil ! Il craignait que si je meure, les guerriers se détournent de l’autorité que les pères sénateurs, les rois et lui-même représentaient. Rino était complètement terrifié à cette idée, Paskale me reprochait simplement de ne pas avoir poignardé Gianfranco sur-le-champ pour offrir ses tripes en dîner aux vautours, Patrick tirait une gueule de déterré, Sérafino ne disait rien mais n’en pensait pas moins, TOUS mes plus proches craignaient non seulement pour ma vie, mais aussi pour leur place. Si Gianfranco remportait le duel, il ne faisait aucun doute qu’il tenterait de fédérer les armées derrière lui pour renverser les dirigeants actuels. Ils avaient tous vu le champion se battre, ils avaient vu sa force, sa rapidité et sa précision abominable, ils avaient perçu qu’il se retenait encore, même en finale, ils pensaient tous qu’il pouvait me battre et je m’aperçus à ce moment que leur confiance en moi n’était pas totale. Au bout d’un moment, ayant marre de leurs remontrances et pleurnicheries, je les renvoyais tous. Marco Fallacio resta un peu en arrière, et avant de quitter les lieus, contrairement à tous les autres, il me félicita :
« Bravo Léopold ! Si tu avais tué Gianfranco sans prévenir, tu te serais rabaissé ; si tu avais passé outre à sa provocation en refusant le duel, tu aurais été déconsidéré par toute une série de guerriers qui auraient repéré une sorte de couardise de leur chef. En acceptant le duel, mais en plus en le transformant en un duel à mort, tous ont vu ce qu’ils voulaient voir : Un chef tout puissant, qui ne craint rien ni personne, même le champion d’un million d’hommes ! Tu battras Gianfranco, Léopold, et à ce moment précis, pour tout le nouveau peuple de Rome, tu deviendras un monument des combats à toi tout seul ! Lorsque Grianfranco sera mort, tu seras non seulement une légende vivante, mais un demi-dieu pour chacun, tu seras le guerrier qui aura dépassé toutes les légendes des plus fantastiques guerriers de tous les temps, ton pouvoir sera total ! »
Merci Marco, répondis-je. Mais…, si je perds ?
Si tu perds, tout ce pourquoi tu t’es battu sera sans doute perdu, tu vas jouer l’avenir de Rome dans un seul duel, et c’est ça que je trouve grandiose chez toi. Personne n’a ressenti la moindre peur en toi lorsque tu déclaras ce duel à mort. Tu n’as pas peur ?
Non. Je ne sais pas si je vais gagner, mais je n’ai pas peur de mourir.
Marco me gifla avec vigueur avant de continuer : « Est-ce qu’un disciple de Maître Rufus peut perdre un duel pareil ? BORDEL ??? EST-CE QUE TU VAS FAIRE HONNEUR A SA MEMOIRE ? PAR TOUS LES DIEUX, TU CAUSES COMME UN GUERRIER ORDINAIRE !
PUTAIN, m’emportais-je, t’es pas obligé de me cogner dessus à chaque fois que je ne cause pas comme tu veux, vain dieu ! Bien sûr que je vais le gagner ce fichu duel ! Tu crois quand même pas que je vais laisser Rome aux mains de ce prétentieux ou quoi ? Je vais lui montrer que les enseignements de Maître Rufus sont supérieurs à tous ceux qui ont fait de lui ce qu’il est !
Ah ben voilà qui est bien dit ! Je préfère te voir parler comme ça. Alors passe une bonne soirée, une agréable nuit, et à demain, 2 heures tapantes dans l’arène ! Sacré veinard va !
Salut vieux briscard, rassure toi, je ne décevrais ni toi, ni maître Rufus !
Marco s’en fut, et je me retirais dans mes appartements du palais. Je sentais que Victorio se faisait quelques soucis, même s’il répétait sans cesse : « Tu vas le démolir papa, je suis sûr que tu vas lui foutre une de ces corrections, ça va être génial »…, mais au fond, je savais qu’il disait ça pour se rassurer, je sentais qu’il avait peur pour moi, mais je le rassurais tout de même : « Fils, quand m’as-tu vu perdre pour la dernière fois ?..., jamais ? alors rassure-toi, ce n’est pas demain la veille que ça arrivera ! » Finalement, toute ma famille était inquiète, depuis mon père jusqu’à mes enfants et peut-être même Sabrine, mais elle ne le montrait pas.
Je décidais alors de me cloîtrer, seul, dans une chambre. Là, je me dévêtis, me saisi de la perche d’aluminium que Rufus m’avait offerte, et recommençais des exercices que je n’avais plus fait depuis longtemps. Toute mon enfance, mon adolescence, et ma vie repassèrent dans ma tête. Je faisais des sauts périlleux arrière, avant, des contorsions, des sauts en toupie, et à la fin, avant d’aller me coucher, tard dans la nuit, je me regardais dans une glace. Je voyais en face de moi un corps couvert de cicatrices certes, mais celle qui m’intéressait était la grande croix que le Seigneur Paul avait gravé à jamais sur mon thorax tout entier. Lorsque je vis ça, je me dis à voix haute : « JE SUIS L’EMPEREUR de Rome, personne ne pourra remettre cela en cause, ni par la ruse, ni par les armes ! »
Après avoir prononcé ces paroles, je me couchais et m’endormis du sommeil du juste, rassuré ! Eh oui, moi aussi j’avais eu besoin de me rassurer un peu.
Ce que je ne savais pas, c’est que toute la ville fut en émoi durant toute la nuit. Dès l’annonce du duel dans le Colisée le lendemain, toute une série de guerriers s’étaient rués dans le grand cirque, qui était déjà plein le soir même. On chuchotait dans les rues de Rome d’un éventuel renversement du pouvoir, mais la plupart des guerriers se déclaraient fier de servir sous les ordres d’un chef si courageux. D’après ce qu’on m’avait appris, la ville de Rome ne dormit pas cette nuit-là ! Pour chacun, demain serait soit la chute d’un grand chef, soit son élévation au rang de légende vivante.
Dans la matinée, toutes les rues aux alentours du Colisée étaient noires de monde. Tous se pressaient, mais des dizaines de milliers de spectateurs s’étaient déjà installés la veille dans les gradins du grand cirque, et il n’y avait plus une seule place de libre.
Barnabé demanda à ce que des hommes se postent au sommet du Colisée avec des portes voix afin de commenter à la foule des rues avoisinantes le spectacle qui se déroulerait dans les enceintes.
A midi, je mangeais tranquillement, toujours seul. Je n’avais plus revu mes amis depuis la veille, et ne souhaitait revoir personne avant le combat. Malgré mes ordres pour demeurer seul, Sabrine entra dans la salle à manger, s’assit en face de moi en me regardant d’un sourire tendre et avec un air un peu nostalgique. Je lui demandais si elle venait me faire ses adieux, mais elle répondit :
Non, pourquoi ? Tu as l’intention de quitter la ville ?
Je souris sans lui répondre, mais lui demandais tout de même si elle avait peur que je meure cet après-midi ?
Toi ? Perdre ? Non, je n’ai pas peur que tu perdes, mais que tu gagnes !
Interloqué, je lui demandais de s’expliquer, et elle me remémora le passé en me prédisant l’avenir :
Il y a 10 ans, j’ai épousé un jeune homme venu me chercher sur son beau cheval blanc. Tu as souffert des années, tu as été entrainé au-delà du raisonnable, tu perdais tous tes combats, tu souffrais dans ta chair et je souffrais dans mon âme de te voir ainsi. Ensuite, tu es devenu un guerrier de marchand, et puis le plus fameux des guerriers de marchand. Plus tard tu es devenu le champion de tous les champions des Alpes, et puis le plus fameux seigneur de guerre. A ton retour d’expédition, tu étais le géant à l’épée de feu, et ensuite tu es devenu le chef de la plus grande armée du monde. Maintenant, tu es le Seigneur de la grande ville de la Légende, tu as le monde à tes pieds, tu es l’empereur et à ce jour, tout le monde te vénère. Dans trois heures, Gianfranco sera mort, et tu deviendras un dieu. Au lieu de te vénérer, les guerriers t’adoreront, alors je me demande qui suis-je moi, là, au milieu de toute cette gloire ?
Tu exagères Sabrine, je suis juste le chef et je défends mon statut et mon honneur, rien de plus. Quant à toi, tu seras toujours la femme du chef, rien de plus ni rien de moins, la tranquillisais-je.
Elle soupira : - Tu ne remarques donc pas avec quelle vénération les hommes te voient, et avec quelle envie les femmes osent lever leurs regards vers toi ?
Ahhh les femmes, … qu’ais-je a faire de femmes ma chère ? Je suis un homme de combat et de principes, pas un séducteur ni un joli cœur ! Tu le sais après tout ce temps, non ?
Oui, je le sais, pardonne-moi. Mais pense un peu a Victorio, il ne sera pas facile pour lui de prendre la succession d’un dieu.
Mais, est-ce de ma faute si les hommes m’élèvent ainsi ?! Je ne fais que faire ce pour quoi j’ai été éduqué, rien de plus. Si le peuple veut des idoles et qu’il souhaite m’élever au rang de dieu vivant, eh bien je le lui interdirais ! J’en ai le pouvoir. Mais avant ça, va falloir que je gagne ce fichu duel, et tu es entrain de m’embrouiller l’esprit avec tes histoires. Tu es tout de même consciente que ce Gianfranco est un type assez spécial. Spécial au point d’avoir entendu parler de Rufus, des arts martiaux, et que ce combat ne va pas être une mince affaire !??
Oui, je suis tout à fait consciente de ça, et je pense que ce Gianfranco ne s’est pas mis à ton service pour te servir mais bel et bien pour prendre ta place ! Il n’en attendait que l’occasion et tu la lui as offerte. D’après ce que m’a rapporté ton père, cet homme t’as traité de cloporte, …aucun homme normal n’aurait parlé ainsi. Ce guerrier est envoyé par on ne sait quelle puissance, ce n’est pas un homme du Chaos, tous les hommes du Chaos te vénèrent et lui te déteste. C’est le seul, et tu vas le tuer.
Finalement, il fut bon que ma femme parle un peu avec moi avant ce combat, elle était si sûre de ma victoire que sa confiance en était communicative. Je fis alors venir mes fils et ma fille, et nous partagions le dessert ensemble dans une ambiance plutôt sereine.
Ce n’est qu’après avoir mangé que je leur demandais de se taire tout à fait pour que je puisse me concentrer sur ma mission. Je me revêtis de la même tunique à capuchon que maître Rufus, j’accrochais mon épée de marchand à mon cheval, mon boulier à la ceinture, et je partis à cheval à travers Rome pour rejoindre le Colisée. Ma famille me suivait sur d’autres montures, mais dans ma tête, j’étais déjà loin d’elle.
Sur mon chemin, un grand nombre de gens m’encourageaient, certains pleuraient, d’autres mettaient genou à terre sans dire un mot, d’autre hurlaient : « Gloire à Léopold », certains défaillaient même…, et d’aucuns tendaient leurs mains vers moi en psalmodiant les yeux fermés en guise de bénédiction ! C’était hallucinant, pour un peu, et je me serais pris pour Marco Fallacio entrant dans un marché de campagne !
Aux alentours du Colisée, la marée humaine s’écarta pour me laisser avancer, et les explosions d’hystéries provoquèrent une sorte de tonnerre de cris et de bruits inaudibles ! Les commentateurs au sommet du Colisée avisèrent les gens à l’intérieur de mon arrivée. De mon côté, j’entendais tous ces cris et ces sons d’une manière un peu sourde, j’étais rentré en moi-même, mon regard était fixé droit devant moi, je ne prêtais plus attention à personne, dans mon esprit, j’étais déjà dans le combat.
Environ deux heures après le midi, j’étais dans l’enceinte du grand cirque, sans être encore entré sur la piste. Gianfranco se trouvait lui aussi dans l’enceinte, mais de l’autre côté. Patrick, roi du Latium, et Armadé, gouverneur de Rome, entrèrent au milieu de la piste et annoncèrent le début du combat en précisant le choix des armes :
« Peuple de Rome, cria Patrick, dans quelques instants, vous assisterez au plus grand duel que la société du Chaos n’a jamais pu produire ! S’affronteront sur cette piste deux hommes de qualité exceptionnelle :
Le champion de toutes les armées de l’empire, Gianfranco Villania, vainqueur parmi les vainqueurs d’un million de guerriers, et, …
L’Empereur de tout le monde connu, Léopold Paralamo, champion des Alpes, découvreur de la Grande Ville de la Légende, celui qui nous a ouvert les portes de cette ville, celui que nous admirons tous ici ! »
Après cet énoncé, une immense clameur retentit dans les enceintes du grand cirque. Le calme revenu, Patrick continua : « Selon les volontés de l’empereur, il s’agit ici d’un duel d’honneur, à mort ! »
« Le choix des armes est le suivant :
Gianfranco Villania se présentera au combat armé d’une épée et d’un bouclier,
Léopold Paralamo sera muni d’une épée et d’un boulier à deux boules.
Armando Villania sera équipé d’un casque, de côtes de mailles, et d’un plastron cuirasse,
Léopold Paralamo, lui, a décidé de se vêtir légèrement. Il entrera dans l’arène torse nu et sans casque ! »
La clameur explosa, certains spectateurs se frappaient le front ou la poitrine en guise de désapprobation, d’autres pleuraient, mais de mon côté, ce choix de la légèreté était voulu. Ainsi vêtu, je me sentirais plus proche de Maître Rufus, et je ne serai entravé par aucun ustensile nuisible à ma liberté de mouvement. Dans l’action, aucun casque ne viendrait me barrer le moindre espace de vision disponible. C’était un peu plus risqué, mais le risque restait raisonnable. Quant aux armes, Gianfranco disposant lui-aussi du métal des marchands, je gardais l’épée offerte par Monié.
Après les explications de Patrick, le gouverneur de Rome, Armadé, prit la parole et dit d’une voix forte :
« Je déclare le combat ouvert, que le meilleur vive ! »
Chacun d’un côté de l’enceinte, nous pénétrions sur la piste ! Une clameur assourdissante montait des gradins. Moi-même comme mon adversaire ne pûmes nous empêcher de regarder cette multitude de spectateurs comme fous, lançant des fleurs, des vêtements, et même quelques pierres en direction de Gianfranco !
Puis, lorsque nous avancions l’un vers l’autre, la clameur s’organisa, et elle donnait : « LEOPOLD, … LEOPOLD… LEOPOLD, … LEOPOLD… LEOPOLD, … LEOPOLD… LEOPOLD, … LEOPOLD… », ça n’arrêtait pas, jusqu’au premier contact, à partir duquel un silence total s’installa dans le public, un silence inquiet, de mort ! C’était très impressionnant. Les seules choses que nous entendions encore étaient les portes voix au sommet des murs qui commentaient la partie pour le public à l’extérieur de l’arène, dans les rues.
Au commencement, je restais prudent, mon boulier était toujours accroché à ma ceinture, et je me contentais de parer les coups d’épée de Gianfranco. Ils étaient puissants, extrêmement rapides et précis ! Après quelques coups, je décidais de changer de jeu. Au lieu de simplement parer ses coups avec mon épée, je commençais une gymnastique d’esquive. Après un de ses coups, je réussi à écarter un instant son épée sur sa droite. L’instant fut suffisant pour me permettre d’exécuter une pirouette arrière en écartant d’un pied son bouclier, et lui décochant un coup au visage avec mon autre pied. Son casque recula et il s’ouvrit légèrement la lèvre. Je retombais sur mes mains en arrière en me propulsant immédiatement debout à l’aide de mes bras, avant même qu’il eut rajusté son casque. Une grande acclamation monta du public, puis les choses sérieuses reprirent.
Gianfranco se dévoila enfin, lui aussi adopta une gymnastique extrêmement mobile, changeante, tournoyante, pour frapper sans cesse, que ce soit avec son épée pour écarter la mienne suivie d’un coup de bouclier, ou même de coups avec ses pieds. Il parvint à me faire reculer, et pendant mon pas en arrière, m’administra un coup de bouclier dans les tibias. La douleur me fit grimacer un peu, mais je pris conscience à ce moment qu’il fallait que je sois encore plus mobile que je ne l’avais jamais été. Il modifiait souvent ses frappes, parfois en revers, d’autres fois en piqué, d’autres fois d’en haut, en pendule, et même du bas. Inutile de faire un tableau, il connaissait toutes les frappes, toutes les techniques. Mes pirouettes pouvaient l’énerver un peu, mais il était trop attentif pour se laisser surprendre. Au contraire, après mon coup de pied au visage, il devint encore plus prudent dans sa défense, et je ne pouvais lui porter aucun coup sérieux. Je ne fis aucune erreur, mon épée me protégeait à chacun de ses assauts, mais je ne pouvais pas l’atteindre sans qu’il lâche son bouclier. Alors je décidais de me saisir de ma seconde arme à ma ceinture, mon boulier métallique sertis de dizaines de pointes.
Contre un champion de l’envergure de Gianfranco, je ne pouvais pas compter sur une erreur de sa part, je décidais donc de lui arracher son bouclier des mains par la force. A chacun de ses assauts, tout en me mettant à l’abri avec mon épée, j’assénais de formidables coups de boules dans son bouclier pour tenter de le lui arracher du bras.
Jamais un combat n’avait été autant rapide dans les passes d’armes, les assauts et les parades, chaque position entraînant de multiples affrontements de lames. Parfois, les pointes de mes boulets pénétraient dans le fer du bouclier, mais même si le bougre devait avoir son avant bras et sa main ensanglantés par les pointes traversant le métal, il ne lâchait pas prise. Au contraire, lors d’une passe technique, il réussit à faire glisser son épée sur la mienne pour ficher sa pointe dans mon avant bras droit. J’avais repéré sa manœuvre, et pu retirer mon bras avant que sa lame ne s’enfonce trop. Le sang coulait un peu du dessus de mon bras, mais les muscles n’étaient pas affaiblis par la blessure, je décidais de garder mon épée dans ma main droite.
A chaque touche, la foule poussait de grands « HAAAA », et « HOOO », nous rappelant l’enjeu du duel.
Mais il était dit qu’un combat d’une telle intensité ne durerait pas longtemps : Quelques passes plus tard, alors que j’avais exécuté quelques gymnastiques qui ne me permirent pas de le toucher, il réussit à me porter un méchant coup au visage lors de l’un de mes assauts. Alors que je désirais un peu imprudemment en finir au plus tôt, je tentais d’attaquer sur deux fronts : lui retirer son bouclier de défense d’un gigantesque coup de boulier, et le blesser simultanément sur l’autre flan avec l’épée. Pour frapper des deux côtés en même temps, j’avais dû découvrir mes défenses durant un temps minime, prêt à reculer au moindre danger. C’était sous-estimer la rapidité du bonhomme, et il sut mettre à profit cette petite erreur d’impatience de ma part, et, rapide comme l’éclair, il pointa son épée droit vers mon visage. Sa pointe eu le temps de traverser ma joue pour venir se ficher dans mon palais. Cependant, elle n’alla pas plus loin et il n’eut pas loisir de poursuivre son offensive, car en même temps que son épée pénétrait dans ma joue, je visais la mienne juste au dessous de son plastron cuirasse, en croisant mon attaque avec le boulier pour finalement lui perforer le bas-ventre à droite, ce qui le fit reculer. Je sentais ma joue pendre mollement sur mon menton, crachais quelques dents, tandis que le sang suintait abondamment sur mon torse nu. Toutefois, ma joue déchirée et ma bouche ensanglantée ne signifiaient qu’une certaine perte de sang sans aucune incidence sur mon jeu. J’avais peut-être l’air plus touché que Gianfranco, mais je savais que mon coup avait fait mouche. Ma lame avait facilement pénétré d’une main dans son bassin, touchant peut-être même un organe. Quoiqu’il en soit, à ceux qui ne connaissent pas ce phénomène, je peux leur assurer qu’une perforation de la hanche est sans doute une des pires conditions pour continuer un duel. La douleur, puissante, est accompagnée d’une incapacité à courir ou se mouvoir correctement sur ses jambes, ce qui était de nature à déstabiliser le meilleur tacticien.
Il recula d’ailleurs pour prendre le temps d’intervertir ses armes. Son côté droit n’était plus propice à de grands étirements, et trop instable pour continuer à porter des coups dangereux de sa main droite. Curieusement, malgré la douleur qu’avait dû provoquer mon coup, son visage restait impassible, comme si la souffrance n’entrait pas en ligne de compte dans le combat, et qu’il n’y avait que l’incapacité physique de son côté droit qui le gênait... Il balança son bouclier à droite tandis que sa main gauche se saisit de l’épée. Je découvris ainsi l’état de son avant-bras gauche, lacéré par les pointes du boulier. Là-aussi, il n’avait jamais marqué le moindre signe de souffrance, tout ce qui semblait lui importer, était que ses muscles fonctionnent encore correctement. Quant à moi, ma joue était découpée jusqu’à la bouche, quelques dents avaient giclé sous la pointe de sa lame, et mon palais saignait bien, ce qui me faisait cracher pas mal de sang en même temps que celui suintant de ma joue. C’était très impressionnant pour les spectateurs. Ils étaient tous en émoi, car ils n’avaient pas vu le coup que Gianfranco avait encaissé dans sa hanche, et pensaient sûrement que j’étais le seul touché dans cet échange de coups.
Je vis une petite flaque de sang se former sous son pied droit, et à partir de ce moment, il était clair dans ma tête que j’avais gagné. Dès lors, je pouvais tournoyer autour de lui, le taquiner par derrière ou me déporter sur les côtés, il ne pouvait plus être en mesure de suivre un rythme de mouvements rapides, devenu incapable de courir, de sauter, ou de faire des rotations accélérées. Il pouvait cependant continuer des corps à corps traditionnels, mais je n’en fis rien, car je voulais une fin spectaculaire même si plus risquée, un dernier assaut digne de Rufus et de cette foule gigantesque retenant son souffle !
Mes capacités de combat n’étaient en rien diminuées, car même si cela faisait mal, ce n’était pas avec la bouche que je me battais.
J’étais si content d’avoir pu l’atteindre pareillement que j’en profitais même pour faire un tour de piste face au public, sous leurs gradins, en criant : « Ictoia ! Ictoia !.... ICTOOOIA ! » Je n’arrivais plus à prononcer les « V » en raison de ma joue déchirée, ni les « R » à cause de mon palais lacéré. Le public comprit bien que j’hurlais « Victoria », mais ne compris pas pourquoi. Ils voyaient Armando, qui paraissait calme, planté au milieu de l’arène, sans grand mal à part une série d’écorchures sur les muscles de son avant-bras gauche ; et d’un autre côté, ils me voyaient passer devant eux avec ma joue pendante, mon torse maculé de mon sang, et ils restaient inquiets ! Alors, je leur demandais leurs encouragements pour notre face à face final ! Lorsqu’ils comprirent ce que je voulais, ils recommencèrent à crier : « Léopold, … Léopold, … Léopold, … » sans grand enthousiasme au début, mais en leur faisant signe avec mes bras d’élever le son, ils reprirent confiance et commencèrent à hurler à plein poumons, comme au début du duel : « LEOPOLD, … LEOPOLD… LEOPOLD, … LEOPOLD… LEOPOLD, … LEOPOLD… LEOPOLD, … LEOPOLD… »
En passant vers le porche d’où je fis mon entrée, je vis Sabrine et mes enfants qui regardaient le spectacle depuis le bord de la piste, sous le portique, et je dis à ma femme : « V’ai gagné Fabvine, vegavde la fin, favouve fe moment… ». Mais de me voir ainsi ensanglanté, Sabrine cacha son visage dans ses mains, une petite larmichette s’échappant de ses yeux. Elle n’avait sans doute pas compris ce que je tentais de lui dire et se fiait trop aux apparences.
Alors, tout en courant sous les tribunes en remerciant les spectateurs de la main pour leurs encouragements, j’esquissais le plan d’une attaque si possible spectaculaire et avec le moins de danger possible pour moi, mais, porté par la foule, je décidais de m’en tenir au spectacle pur. Alors, je me retournais face à Gianfranco. J’étais en bord de piste, et lui toujours au milieu de la place. Sous les vivas de la foule qui hurlait mon nom à n’en plus finir, je me sentais prêt pour un exercice de grande voltige !
En poussant mon cri de guerre qui trancha jusque dans les hurlements du public, j’entamais une des courses les plus rapides de ma vie sur la cible. Arrivé à 5 mètres de l’ennemi, je fis un saut à la mode Rufus, pour me retrouver à l’horizontale à 2 mètres de haut, épée pointée vers lui, et le boulier en arrière, prêt à frapper. Gianfranco, même s’il disposait encore de la force nécessaire pour m’infliger la mort, savait lui aussi que la partie se terminerait dans ce choc. Ces derniers échanges se déroulèrent en une seconde : En l’air, je voyais où il allait chercher à frapper : de bas en haut, dans mon torse. Toujours en plein saut, par une rotation rapide de mon épée, je réussi à détourner un peu la sienne qui manqua mon torse, mais vint se ficher dans mon épaule gauche. Ceci me provoqua un mal de chien, mais n’empêcha pas mon mouvement de boulier de continuer. Ce faisant, en atterrissant sur lui, je le poussais en arrière avec mon bras droit, et alors qu’il était en train de tomber à la renverse sous le coup du choc, mon boulier, en plein élan et avec une force inouïe, s’écrasa sur sa tête. Son casque fut éjecté 10 mètres plus loin, sa tête se détacha presque de son corps, et j’entendis son crâne craquer sous la puissance du coup et des pointes. Je m’écroulais sur lui, à moitié mort moi aussi. Tout cela se déroula à une telle vitesse que le public ne comprit pas exactement nos échanges de lames.
Je restais un moment couché sur lui, tant le mal était intense… La foule restait silencieuse, attendant de savoir ce qu’il en était. Ce n’est que lorsque j’entendis les portes voix sur les enceintes aviser la foule extérieure que nous étions peut-être les deux morts, que je me relevais, l’épée de Gianfranco toujours fichée entre mon bras et mon épaule gauche, en hurlant à nouveau « ICTOIA », en pointant mon épée vers le ciel !
Alors ce fut le délire le plus absolu, les spectateurs étaient comme devenus hystériques, je leur avais offert le spectacle qu’ils attendaient et même plus, et les « LEOPOLD » recommencèrent en cadence, de plus en plus rapide.
Barnabé se précipita, et m’indiqua de ne surtout pas retirer l’épée fixée entre les articulations de mon épaule, je risquais une grosse hémorragie si une artère avait été sectionnée. Pour l’instant, la lame empêchait le sang de gicler. Puis, il tenta d’arrêter l’hémorragie de mon visage, tandis que je demandais à Guérart, le Dauphin de Gianfranco lors de la finale du grand tournoi, de me rejoindre au centre de l’arène. Son vainqueur, raide mort, gisait dans la poussière de la piste. Sa tête ne ressemblait plus à rien, certaines parties de son crâne étaient étalées à 5 mètres à la ronde. Marco Fallacio arriva à cheval, attacha les pieds du vaincu, et le traîna ainsi hors de l’arène derrière sa monture, sous les huées du public.
Malgré mes blessures et l’idée que je ne pourrais peut-être plus jamais user de mon bras gauche comme auparavant, j’étais heureux de ce duel. Ce fut la dernière personne que je tuais, après 5 ans de pacifisme. En outre, malgré mon pouvoir de commandement, j’étais très fier d’être devenu non seulement le champion alpin, mais de tout l’empire. A vrai dire, lorsque je regardais la finale, j’étais presque tenté de jouter contre le vainqueur, car la possibilité d’une défaite semblait réelle comme jamais elle ne put l’être. J’avais vaincu, et malgré mes blessures, j’étais totalement fier d’avoir brillé d’une telle façon devant mon armée, même si ce combat ne devait jamais être considéré comme un duel de champions, mais un combat d’honneur.
Guerart arriva au milieu du grand cirque, à mes côtés, et plantant mon épée dans le sol, je saisis sa main pour la lever vers le ciel en le déclarant champion de tous les champions des armées, nommé sur-le-champ commandant en chef des Prétorians, sous l’autorité du roi du Latium et du gouverneur de Rome. La foule l’acclama comme il se devait.
Après ce sacre symbolique du plus valeureux de tous mes combattants, je suivis Barnabé pour me faire recoudre et soigner. Nos guérisseuses de clans disposaient d’une vieille médecine traditionnelle, tandis que Barnabé disposait de la connaissance. Durant 500 ans, ses ancêtres avaient accumulés des connaissances bien plus pointues que nos traditions, et l’anatomie semblait ne plus avoir de secret pour lui. Beaucoup moins démonstratif que les guérisseuses, ne pratiquant pas d’incantations et autres cérémonials, il avait une vision presque mathématique de la médecine. Il savait expliquer ce qu’il faisait et pourquoi il le faisait, et ses explications rationnelles étaient bien plus compréhensibles que le charabia des guérisseuses. Après avoir entendu les discours de Paul, je dirais que Barnabé guéri scientifiquement et efficacement !
Ma blessure à l’épaule était la plus grave. L’érudit pensait que je recouvrerais une partie des capacités de mon bras gauche, peut-être suffisamment pour continuer le tir, mais sûrement plus assez pour les maniements complexes et techniques avec des armes de poing lourdes. Ma joue était coupée depuis la molaire du haut, et ouverte jusqu’à la bouche. La pointe de l’épée avait en outre râpé tout le haut de mon palais, et ce n’était pas beau à voir. Barnabé me recousu d’une main experte à l’intérieur comme à l’extérieur, et une semaine plus tard, on en parlait déjà plus. Il ne restait qu’une belle cicatrice, la plus prestigieuse, qui aurait aussi son histoire à raconter...
Pendant que Barnabé effectuait son œuvre de médecine, Marco vint me voir pour causer un peu de ce duel hors du commun, Sabrine le suivait, mais c’est Marco qui parla le premier :
Parfait Léopold, je ne peux rien dire d’autre que : Par-fait ! Tous les guerriers savent maintenant que tu es la gloire de l’empire, le dieu des duels, le Maître de tout et de tous ! Et cette dernière attaque bon sang, … je n’aurais pas osé, mais en prenant un risque pareil, tu as rajouté un spectacle flamboyant à une victoire déjà acquise lors du précédent accrochage. C’est Rufus qui doit être fier de toi, s’il te voit de là où il est.
Sabrine prit alors la parole, et dans un sourire un peu désabusé, continua : - Comme je l’avais prévu et comme vient de le dire Marco, … tu es maintenant un dieu. Que vais-je bien pouvoir faire de toi ? …N’attendant pas de réponse, elle continua : « Bon, à part ça, tu ne souffres pas trop ? »
Je lui fis comprendre que la douleur était tout à fait acceptable en comparaison du résultat du combat, mais visiblement, ce détail ne l’intéressait pas tellement, c’était plutôt mon nouveau statut de quasi divinité qui l’inquiétait, mais je la rassurais encore comme je pus.
Après ces joutes, Marco sélectionna encore 75 bons prétorians qui intégrèrent son unité des milles, car elle avait subi quelques pertes sur l’île de Sicilia. Cette nouvelle division reçu les plus puissantes montures connues dans l’empire. Quant à Paskale, il mena une propagande si active auprès des 20'000 gagnants qu’il réussit à débaucher presque la moitié de ceux qui pouvaient prétendre au grade de prétorians pour le suivre dans l’armée Romaine. Il se borna à promettre aux guerriers qu’il n’y aurait pas de marche forcée grâce à notre nouveau système de téléportation, qu’ils auraient droit à des batailles et à du sang, et qu’ils pourraient revenir fréquemment à Rome toujours grâce à la téléportation. En gros, il leur promis une vie nettement plus trépidante et sanglante que la monotonie qu’allaient affronter les prétorians en se faisant gardiens de basiliques…
C’est ainsi qu’une série du troisième pourcent devinrent des prétorians, et que la moitié des premier et second pourcent furent engagés dans l’armée romaine de Paskale, pour le coup, très satisfait…
Après ces différentes sélections, d’autres jeux furent organisés pour dégager les guerriers faisant preuve de talent dans des disciplines particulières. Cette sélection nous permis de reformer les bataillons d’archets, lanciers, arbalestriers, cavaliers, infanterie, ingénieurs en catapultes... Le plus clair de notre temps était occupé à organiser des armées équilibrées, chacune devant être dotée de spécialistes dans chaque domaine du combat. Quelques jours après les derniers jeux, je rassemblais tous mes guerriers sur la grande place afin de bien clarifier le rôle de chacun. Nous commencions par remercier le Dieu romain du bon déroulement de ces splendides joutes, et lui demandions de s’occuper de l’âme des quelques 2’000 guerriers ayant tout de même trépassé sous de mauvais coups.
Du haut des marches, celles que j’avais gravi deux fois sous les haies d’honneur romaines, je m’adressais aux nouveaux habitants de Rome en souhaitant qu’ils s’y sentent le mieux possible, et que jamais ils n’oublient ce que leur offre cette cité. Puis, en ce soir du 22 février de l’an 5, j’attaquais dans le vif du sujet. Barnabé transcrivit ce discours sur papier à mesure que je le prononçais.
“Guerriers,
Vous faites tous partie de l’immense armée impériale de Rome, c’est pourquoi le privilège d’habiter la cité éternelle vous revient. Mais même si vous avez cet avantage considérable, dites-vous bien que c’est le seul. Rome ne vous appartient pas pour autant, car la cité, construite par la dynastie des papes, m’a été confiée par le pontife en personne. Il l’a mise sous ma garde. En échange, j’ai juré de veiller sur cette ville pour que jamais le chaos n’y pénètre ! D’autre part, si nous ne voulons pas vivre enfermé comme la civilisation des papes, mais au contraire faire rayonner cette ville sur le monde, nous devrons être une cité ouverte. Dans ce but, et pour ne pas y laisser pénétrer le chaos, c’est le monde extérieur qu’il faudra civiliser. Les lois des clans n’auront pas lieu dans Rome et le conseil des 260 guerriers ayant découvert et permis notre accession à la ville de la légende n’ont plus de preuves à donner à quiconque, ni de comptes à rendre à personne, si ce n’est à moi et au Pontife en personne : que cela soit dit,… et écrit ! Ces 260 pères du nouveau monde méritent tous votre respect et allégeance, par le simple fait que vous soyez ici aujourd’hui. Nous nous portons garant de la protection de Rome envers la civilisation des papes, et il ne saurait être question qu’un nouveau champion venu prenne la responsabilité de la ville. Gianfranco, LE MISERABLE PRETENTIEUX qui se croyait plus fort que Rome, en a fait les frais. Que cet exemple reste gravé dans vos mémoires à jamais ! La destinée du monde passe par votre fidélité et votre dévouement, mais c’est à nous qu’il a été donné de diriger cette destinée. Que cela soit clair pour tous.”
“Je m’adresse maintenant aux armées régulières impériales. Vous êtes venues jusqu’ici en me faisant confiance. Chacun d’entre vous obtient ainsi le droit de s’installer dans une résidence de Rome et d’y faire venir sa famille. En échange, vous participerez aux campagnes d’extension, ce qui vous éloignera de Rome souvent. Toutefois, dès qu’un de vos fils sera en mesure de vous remplacer au sein de l’armée, vous pourrez bénéficier d’une retraite dorée en ces murs. Les généraux veilleront à ce que les campagnes ne s’étalent pas indéfiniment, et ce, pour ne pas vous empêcher d’avoir une descendance digne de ce nom. Lorsque vous rentrerez dans Rome, vous ne serez plus des combattants mais des sujets romains. Vos armes vous seront confisquées à l’intérieur de ces enceintes.”
“Je m’adresse maintenant à vous, guerriers de l’armée romaine sous le commandement du roi Paskale. Vous êtes la fleur de nos armées et vous intégrerez la première armée Alpine qui se forma voilà près de cinq ans déjà, et qui vécu le périple jusqu’au bout. Votre rôle sera de régler les problèmes domestiques de l’empire là où ils apparaîtront. En ville, vous pourrez prêter main forte aux Prétorians si jugé nécessaire par le gouverneur de la cité. Votre base et votre demeure deviennent dès ce jour Rome, pour vous et vos familles. Vous avez le privilège de pouvoir choisir votre maison avant les autres, à l’exception des palais. Vous faites dorénavant partie de l’armée romaine.”
“Quant aux Prétorians vous serez les seules forces armées dans la cité, et je vous demanderais de prendre vos quartiers dans les palais que nous occupons déjà dans les alentours de la grande Basilique qui s’égrènent jusqu’au fleuve. Ils sont si étendus et disposent chacun de tant d’habitations différentes que vous pouvez tous vous y loger très confortablement avec vos familles. Ainsi, la force principale de la cité sera rapidement accessible et regroupée en cas d’urgence. Vous êtes le bras armé de Rome contre le peuple même de la cité. Vous pourriez vous retrouver à devoir combattre contre des camarades qui appartiennent à l’armée dans laquelle vous avez servis jusqu’ici. Vous n’êtes sous les ordres d’aucun général, et n’obéirez à aucun des pères fondateurs. Paul a mit sa ville entre mes mains et Guérart, promu récemment nouveau commandant de votre troupe, remplacera mon bras blessé pour veiller sur la cité et le bon maintient de ses habitants. Lui-même recevra ses ordres directement du gouverneur de Rome, voire du roi du Latium si le gouverneur s’en retrouve indisposé.”
“Quant à l’unité des mille, elle reste à l’entière disposition du roi et seigneur Marco Fallacio, pour n’importe quelle mission, dans Rome, dans l’empire, et même au dehors si besoin en est. Vous n’appartenez ni à l’armée, ni aux Prétorians, et vous n’aurez aucun rôle précis. Vos missions se dessineront au fil du temps et des événements, que se soit dans la cité ou n’importe où dans le monde. Vous logerez également dans les palais alentours de la basilique.”
“Un dernier avertissement que je vous transmet : Le Pape est ici, lui ou ses hommes. Ils sont certainement ici à nous observer mais restent invisibles pour nous. Vous ne comprenez pas le sens de mes paroles, mais cette lune écoulée dans cette ville vous aura appris que ces romains disposent d’une science qui défie les limites de la matière et du visible. Pour que vous vous rendiez compte de la véracité de mes dires, vous aurez loisir de voler et de devenir invisibles aux yeux des autres. Les Prétorians et l’armée romaine sont donc invités à entrer dans la basilique. Demain, une autre division pourra essayer ce phénomène aérien. Les romains sont capables de tout, et disposent d’armes capables de nous anéantir sans même avoir besoin de combattre. Après cette aventure, vous comprendrez que nous sommes tous, autant que nous sommes, observés par les croyants du crucifié. Ils sont là et nous observent....”
Guerriers, je vous salue, et vous souhaite le meilleur avenir possible dans la ville Eternelle !
J’avais fait installer une porte mobile dans l’aile de la cathédrale et j’invitais tous les Prétorians et l’armée romaine à me suivre. J’étais encadré de mes 103 champions. Quelques uns restèrent du côté de la basilique pour sécuriser ceux qui allaient disparaître par la porte, tandis que d’autres les accueillaient au somment de la croix. Sur le chemin menant au bord de la croix, d’autres donnaient les consignes : Se mettre quatre à quatre en se tenant la main. Moi-même, je les faisais entrer par 4 dans le cercle. Mais c’était un véritable défilé. A peine un groupe disparaissait qu’un autre entrait dans le cercle pour y disparaître et ainsi de suite. Un flot continu de milliers de guerriers passait sans s’arrêter devant moi, et des centaines de bulles devaient être en train de voler dans tout Rome !
Les hommes n’arrêtaient pas de défiler. Même en pressant le pas, il fallut plus de deux heures pour arriver au dernier. Environ cinquante mille guerriers flottaient ainsi sur Rome dans des milliers de bulles...
Mais à peine avaient-ils tous disparût, voilà que les premiers partis commencèrent déjà à réapparaître au milieu du cercle. J’indiquais au premier groupe de se diriger à nouveau au travers de la porte, mais à peine eurent-ils mis le pied hors du cercle qu’un deuxième groupe apparût immédiatement derrière. Le flot humain recommença mais à l’envers cette fois-ci. Il fallut le reste de la journée pour que chacun termine son vol.
De retour dans la basilique, je chargeais les Prétorians de veiller à ce que chaque guerrier de toutes les troupes présentes dans Rome puisse bénéficier de ce dernier souvenir avant de repartir en campagne. Les Prétorians seraient chargés de surveiller la porte et donner à tous les explications sur la marche à suivre pour expérimenter l’aventure aérienne.
Malgré leur expression un peu béate, presque absurde après un tel voyage, ils semblaient quand même avoir compris leur première mission.
Quant aux différentes divisions armées, j’étais pressé de pouvoir les remettre en campagne. En effet, dans le but de fidéliser l’armée, nous avions la chance de pouvoir offrir à chaque homme une habitation. Mes contingents restés en poste dans diverses régions seraient relevés prochainement. Ils auraient eux aussi loisir de pouvoir choisir leur demeure dans la cité. En tout, l’armée devait avoisiner le million de guerriers, un nombre capable d’écraser n’importe qui sans difficulté. Selon le décompte de Barnabé, ce devrait être à peu près ça. Quoique invraisemblable, la ville de Rome avait les capacités d’accueillir et de nourrir un bon million de familles ! Toutes les maisons disposaient de caves fraîches, et il était aisé de conserver la nourriture durant toute une saison. D’ailleurs, en ce début d’année, toutes les denrées entreposées dans ces caves étaient encore fraîches.
La nourriture ne manquait pas à Rome, les anciens habitants nous avaient laissé ce qu’il fallait pour subvenir à nos besoins immédiats, à nous ensuite de faire fructifier leurs champs et gouverner le bétail. C’était d’ailleurs assez drôle de voir tous mes guerriers se transformer en paysans pour s’occuper des affaires agricoles. Ils n’en étaient toutefois pas tellement incommodés, puisqu’en principe, chacun d’entre eux avait appris ce métier jusqu’à l’âge de 14 ans, avant d’être promu guerrier à plein temps. En piochant dans leurs souvenirs de ce temps-là, ils se débrouillaient pas si mal.
Mais, … si la nourriture n’était pas vraiment un problème dans la cité, elle en a toujours été un pour les chefs, et même pour les chefs de clans du Chaos. Un jeune champion ne pouvait jamais affronter directement un vieux chef pour précipiter sa chute et prendre les commandes du clan. S’il faisait ça, il était déclaré ipso-facto traître au clan, et banni parmi les parias. Par contre, les champions pouvaient être tentés de raccourcir la vie d’un chef en l’empoisonnant avec le concours d’une guérisseuse, car elles, connaissaient les vertus des plantes, des bonnes comme des mauvaises. Ainsi, lors des banquets dans les clans, les chefs faisaient généralement goûter leurs plats aux champions du clan qui auraient pu prétendre le remplacer lors d’un tournoi de succession. Cela ne valait que pour les occasions de banquets villageois ou autres, car lors des repas en famille, c’était sa femme qui préparait les repas, et la galanterie traditionnelle voulait que l’homme laisse toujours la première bouchée à la femme. Ainsi, les risques d’empoisonnement étaient pratiquement exclus.
A Rome, c’était plus compliqué. Les repas des sénateurs, gouverneurs et rois étaient préparés par de bonnes cuisinières (des filles de guerriers pour la plupart) que je ne connaissais pas. Il y avait un risque dans la chaîne de préparation jusqu’à la consommation. Des cheffes de cuisine furent donc nommées, et leur travail était de sélectionner les aliments, les apporter en cuisine, puis de superviser la préparation, l’acheminement sur les tables, et finalement goûter les plats avant nous. Les risques étaient ainsi limités, mais de toute façon, la moitié du temps, je ne mangeais pas au palais. Je laissais les sénateurs avec le gouverneur à leurs discussions, d’un ennui mortel pour moi, et nous partions à cheval avec Victorio explorer la ville et ses mystères. Nous n’utilisions que peu les portes de téléportation, car chaque ruelle recélait une nouvelle trouvaille que nous prenions plaisir à observer, commenter, et lire si elle comportait des inscriptions, mais ça, c’est Victorio qui s’en chargeait. Après plus d’un an dans les campagnes italiennes, il était devenu parfaitement bilingue et traduisait sans peine l’italophone en francophone ; moi-même, je me débrouillais pas mal aussi.
De plus, j’obéissais en ce sens au voeu de Sabrine qui souhaitait démythifier mon image, et en ce sens, ces balades en ville étaient bénéfiques car je pouvais être en contact avec la population, contact impossible si je restais cloîtré derrière les murailles des palais du Vatican. C’est à ces occasions que je pouvais voir à quoi ressemblaient les hommes ordinaires qui m’obéissaient. Ma vie durant, je n’avais fréquenté que des géants du Chaos :
Maître Rufus et son humble et discrète silhouette à l’efficacité fulgurante
Maître Marco et son orgueilleuse carapace d’or flamboyante, fils de Dieu !
Mon père, celui par qui tout à pu se faire : L’alliance de nos clans, ses capacités diplomatiques et de gouvernance du clan, son efficacité militaire dans la région, celui sans qui Marco ne m’aurait pas choisit…
Le grand marchand Monié, un des hommes grâce à qui les populations du Chaos croyaient que ce dernier n’est pas complètement chaotique
Les guerriers du marchand que j’ai côtoyé durant deux ans et qui sont la crème des guerriers du Chaos, le rêve de tout guerrier un tant soit peu doué dans son art.
Les 260 champions qui m’ont suivi dans l’épopée, les plus fameux guerriers sur une population alpine d’environ 180'000 habitants.
Tous les chefs de clans et de marchés que je soumettais sur mon passage, eux aussi, les meilleurs guerriers de leurs territoires
Et enfin, une toute brève fréquentation avec Gianfranco Villania, le champion suprême du million de guerrier que formait mon armée.
… Depuis l’âge de 8 ans, voilà les seuls rapports humains que j’entretenais dans le Chaos : qu’avec des géants de ce monde-là. Je n’avais jamais vraiment eu l’occasion de connaître le petit peuple, les gens ordinaires, même au sein de mon armée : Je donnais des ordres à mes généraux, et ce sont eux qui les faisaient appliquer plus bas.
A Rome, la compagnie de ces grands guerriers m’intéressait moins, car il n’y avait rien à combattre dans nos murs. Alors, en même temps que je découvrais la ville, je cherchais à connaître l’ordinaire de guerriers qui ne pouvaient prétendre à aucun titre ni distinction, mais qui avaient cru en moi, acceptant de quitter leur clan et tout ce qu’ils possédaient, de me donner jusqu’à leur vie s’il l’avait fallut, et qui avaient finalement reçu Rome sans même mener bataille. C’est dans cet état d’esprit que nous déambulions dans la ville avec Victorio.
Il faut bien avouer tout de même qu’à chaque fois que nous pénétrions une rue ou une avenue, les habitants se passaient le mot de proche en proche, et toute la population de la rue sortait sur son jardin ou sa terrasse pour saluer. En général, ils commençaient par de grands « Gloire à Léopold », mais je leur faisais aussitôt signe de se calmer et de respecter la quiétude de la ville. Alors ils se contentaient de nous regarder passer, certains tendaient leurs deux mains vers nous en psalmodiant une bénédiction, mais tous, sans exception, mettaient genou à terre en signe d’humilité, et d’aucuns, lorsque j’arrivais à leur hauteur, me lançaient quand même un discret : « Gloire à l’empereur, longue vie à toi Léopold ». Ces hommes et ces femmes étaient animés par le respect, et je percevais qu’ils étaient honorés de ma visite dans leur quartier. Mais je sentais bel et bien que l’inquiétude de Sabrine avait quelques fondements. Si les hommes ne peuvent pas voir Dieu, le Dieu romain ou les dieux du Chaos, ils sont assez vite tentés de se fabriquer une idole à adorer à la place du vrai Dieu. Et en l’occurrence, lorsque, avançant dans une avenue, je voyais tous ces hommes et ces femmes se mettre à genou à mon approche, je percevais tout à fait ce phénomène. J’en étais flatté, certes, mais un peu inquiet tout de même.
Les gens qui liront cette histoire dans quelques décennies pourraient sans doute penser que c’est exagéré, qu’un empereur n’est qu’un empereur, mais il faut essayer de se mettre à la place des gens de l’époque dans laquelle nous vivons, l’époque charnière entre le Chaos et la civilisation. J’incarnais finalement ce changement de monde, et non seulement le changement du monde, mais le changement du mode de vie pour chaque guerrier et leurs familles. La plupart des habitants de Rome, pour ne pas dire tous, ont quitté de sombres baraques de bois pour venir habiter des demeures de pierre somptueuses équipées de toutes sortes de commodités et de technique scientifique. Les générations futures n’en auront plus conscience, ils trouveront cela normal, mais cette génération-ci en était parfaitement consciente et savait à qui elle le devait. Je n’étais donc pas seulement un empereur du monde, mais aussi celui par qui les bienfaits arrivaient, et en plus de tout cela, … il y avait eu la cerise sur le gâteau : Gianfranco… ! Je pense donc effectivement que les empereurs qui me succéderont ne profiteront sans doute plus de ce respect et de cette admiration sans faille de leur peuple.
Ainsi, je faisais le pari de la simplicité : Quand nous avions faim, je m’arrêtais auprès d’une maison au hasard, et demandait si la maîtresse des lieus aurait l’amabilité de nous faire cuire un petit quelque chose. Nous étions toujours les bienvenus, et accueillis avec la plus grande déférence, tandis que les gamins courraient bien vite par la porte de derrière quérir du renfort auprès de voisines, qui accouraient avec moult vivres pour apaiser notre estomac. Nous aurions pu emprunter une porte de téléportation pour nous retrouver en un instant au palais et manger avec les autres, mais j’aimais ces moments privilégiés avec mon humble petit peuple.
A chaque fois que je pénétrais une demeure ainsi, je provoquais un drôle d’effet sur ses habitants. Déjà à l’époque où il n’y avait à Rome que des guerriers, leurs familles n’étant pas encore arrivées des clans, je m’arrêtais auprès de groupes d’hommes qui partageaient leur repas, et ils étaient vivement impressionnés que « le géant à l’épée de feu » se joigne à eux spontanément avec son fils pour manger. Mais maintenant que Rome grouillait de familles, et après l’épisode « Gianfranco dans l’arène », c’était comme si un être irréel, un mythe, pénétrait dans leur maison, et mes hôtes étaient la plupart du temps comme tétanisé. Moi-même, j’étais un peu confus de l’effet que je provoquais, et m’employais immédiatement à décrisper l’atmosphère.
Tandis que la femme fuyait généralement en cuisine si mon irruption ne la faisait pas s’évanouir d’émotion sur place, l’homme de la maison restait auprès de nous, totalement traumatisé par ma visite. Je réclamais toujours une cruche de vin, et invitais le pater familias à s’asseoir pour trinquer avec moi. Après les salutations et présentations, je débutais la conversation en demandant à mon hôte depuis quand et de quel lieu il avait rejoint notre armée, et ensuite, j’avais l’art de mettre à l’aise les gens en leur remémorant certains épisodes de notre formidable aventure jusqu’à Rome. Je leur parlais aussi un peu de ma première entrée dans Rome, du Souverain Pontife Paul, et souvent, lorsque les gens se sentaient un peu plus en confiance, ils osaient leur première question qui était presque toujours celle-ci : « Seigneur, d’où te vient ton art du combat ? ». Je leur informais alors de Maître Rufus et de son éducation, en passant bien sûr sous silence sa marque de paria. Après quelques verres, l’ambiance se détendait, et de la gêne, il ne restait plus dans leur regard que de l’admiration, mélangée avec la crainte que leur femme puisse avoir raté la cuisson du repas… !
Lors de ces arrêts repas surprises, et même si les femmes savaient que mon estomac n’avait pas la réputation d’être patient, c’était à chaque fois de magnifiques plats qui nous étaient servis. Bien que je n’aie pas la moindre crainte d’être empoisonné par de si braves gens, la femme goûtait face à moi et sans préavis, tous les plats comme de coutume, et ceci fait, nous mangions ensemble avec toute la famille. Je racontais quelques tracasseries de palais en leur demandant leur avis sur tel ou tel problème à régler, puis, je m’enquérais sur leur vie, s’ils se sentaient à l’aise dans la Grande Ville, du grade et de la position du mari dans l’armée, sous quel commandant il officiait, et quelle était sa spécialité. Ils m’informaient alors de leur situation, me posaient quelques questions, et l’ambiance finissait toujours par être cordiale. A la fin, je n’étais plus le « géant à l’épée de feu », « Léopold le dragon », ou encore « Le dieu des guerres », ou quelque autre surnom magnifique qu’on inventait sur mon compte et que l’on craignait en admirant. Non, après une heure ou deux passées avec ces humbles habitants de Rome, j’arrivais en général à démythifier mon personnage, je n’étais plus un dieu qu’on apercevait de loin, je redevenais simplement Léopold, le grand chef de guerre, aimable et bon vivant, juste un homme qui aime bien manger et bien boire, qui discute volontiers, et qui fait trembler les murs par ses rires tonitruants.
Lorsque je voyais que mon hôte avait un fils d’une douzaine à une quinzaine d’année, je reprenais mon sérieux pour causer de choses importantes, à savoir : dans quel régiment et dans quelle discipline il comptait continuer sa formation. Car à Rome, même si les jeunes devenaient guerriers à 14 ans, ils étaient incorporés dans des armées de formation jusqu’à leurs 17 ans, âge auquel ils partiraient effectuer leur première campagne dans l’armée régulière. Les jeunes hommes m’informaient alors de leurs intentions et de leurs domaines de prédilection, et je les encourageais à persévérer dans leurs études du combat et de la guerre. Parfois, je demandais à les voir jouter sur la terrasse contre Victorio, qui arrivait à ses 11 ans. Même si jeune, il n’était pas rare qu’il mette à mal, ou gagne carrément des adversaires bien plus âgés que lui, car je le faisais travailler sans cesse les exercices de Rufus, et le mettait souvent à l’épreuve dans des combats. Victorio n’atteignait sans doute pas les capacités que j’avais à son âge en duel pur, mais ses connaissances dans les stratégies de combats étaient sans doute supérieures aux miennes dans ma jeunesse.
Lorsque nous quittions ces auberges d’un jour en remerciant, on pouvait voir derrière nous tous les voisins de la rue s’engouffrer dans la maison d’accueil, sans doute pour venir aux nouvelles. Mon peuple pouvait ainsi me voir arpenter leurs rues et maisons, nous donnions bonne impression, ils étaient très heureux de nos visites, et, en plus de craindre et obéir à un grand Seigneur tout-puissant et inaccessible, ils commençaient à m’apprécier comme homme. Quant à moi et Victorio, pratiquement inséparables depuis notre départ de la vallée Alpine, nous avions à chaque fois la panse bien pleine, et c’est ce qui comptait.
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Un matin, alors que j’étais à peine éveillé, une apparition se produisit dans ma chambre : Un homme très soigné, d’une soixantaine d’années, paré d’un vêtement noir parfaitement taillé sur lequel était accroché une petite croix argentée à hauteur de poitrine, se tenait là debout, en face de moi. Je sautais hors du lit et demandait immédiatement à l’intrus de s’identifier. Sa réponse me glaça les sangs :
« Salut à toi, Léopold Paralamo, empereur du nord. Je suis venu te faire mes hommages et te mander les félicitations des peuples du sud pour ton accession au trône de Pierre. Quant à moi, je suis Octave 1er … et dernier, patron de l’hémisphère sud »…
J’en restais bouche bée, et murmurait dans ma pensée « … Octave…, l’homme le plus puissant de la terre… »
Malgré que je n’eus pas ouvert la bouche ni prononcé un mot intelligible l’homme répondit : « A ce qu’on dit, oui, c’est vrai ! »
Je dévisageais alors mon interlocuteur de la tête aux pieds sans un mot. Le bonhomme ne paraissait pas du tout avoir ses 600 et quelques années comme me l’avait dit le pontife, il n’était pas jeune, mais pas gâteux non plus. Même s’il n’était pas aussi grand que moi, il devait presque atteindre les 2 mètres de hauteur, ce qui lui conférait une stature très respectable ; il était coiffé d’une belle chevelure argentée, les traits de son visage étaient durs sans être disgracieux, mais ce qui frappait le plus était son regard. Un regard noir, sans fond, tel un abîme. Ses yeux ne reflétaient rien, rien du tout : Ni méchanceté ni bonté ; ni cruauté ni compassion ; ni haine ni amour ; ni égoïsme ni générosité ; ni curiosité, ni intérêt, ni même enjouement de sa surprise et du petit effet qu’il produisit en m’annonçant son nom, son regard n’exprimait absolument rien, il était mort. Tout le reste de sa personne était soignée, très bien habillée et chaussée de noir, ce qui soulignait très bien l’expression de son regard… Sa voix imposait le respect, elle était grave, calme, professorale et orgueilleuse. L’homme, très sûr de lui, savait ce qu’il disait, et il n’était nullement impressionné de se retrouver en face de moi qui physiquement, aurait pu le briser d’un seul bras.
Mais tout à coup, j’eus comme un doute, quelque chose clochait, ce type n’était pas réel, il n’y avait personne dans la pièce ! Ce que mes yeux voyaient n’était pas réel !
A peine eu-je pensé ceci que l’homme répondit encore comme si j’avais émit mes doutes à haute voix : « Bien vu Léopold : ma chair et mes os sont toujours au sud. Ce que tu vois ici n’est qu’un hologramme de ma personne, une image transportée dans l’espace. Passe ta main à travers moi, tu verras qu’il n’y a que de l’air. »
Je passais ma main à travers l’image et effectivement, Octave n’était pas dans la pièce, ou en tout cas, il n’était pas solide.
- Je peux me matérialiser dans cette pièce, continua-t-il calmement, mais ma présence réelle à Rome alertera les services de renseignements de Sa Sainteté le Pape, et je gage que ce bon vieux Paul se pointera en personne dans les minutes qui suivront ! Tu veux une réunion au sommet ?
- Je ne veux rien, je ne t’ai même pas invité à ce que je sache !?
- Je sais, mais je voulais saluer personnellement mon rival, d’où ma présence !
- Rival ? Rivalité sur quoi ?
- Comment ? Paul XII ne t’as pas informé des règles de notre petit pari ?
- Je ne comprends rien à ce que tu me dis ! Il y a un pari entre nous ? Ou entre toi et le pape ? Qu’es-ce que c’est encore que ces histoires ?
- Mais quel petit cachotier ce Paul ! Fait sortir ta femme de cette chambre, j’arrive en chair et en os, elle n’a point besoin de me voir !
Je réveillais alors Sabrine en lui demandant de sortir de la chambre et de ne pas y revenir avant que je le lui dise. Etonnée par mon comportement, elle tenta d’en savoir d’avantage, mais je ne lui dis rien et elle finit par obéir. Elle sortit de la chambre en traversant l’image d’Octave sans le voir, et referma la porte derrière elle. Immédiatement après, un grand éclair ébloui toute la pièce, et Octave se retrouva véritablement en face de moi. « Ouahouuuu, s’exclama-t-il, quel pied, ces transferts nucléaires font toujours autant d’effet ! » Puis, jovial, il me tendit la main en disant : « Salut Léo, c’est un plaisir que de rencontrer un gars de ta trempe ». A peine eu-je serré sa main que j’eus l’impression d’exploser dans une lumière intense, avant d’imploser immédiatement après pour me recomposer, … au sommet d’une immense montagne recouverte de glaces et de roches… !? A côté de moi, Octave retirait sa main de la mienne en me demandant : « Alors, ça t’as plu ? » Dans ses yeux noir, il restait une lueur de cet éclair aveuglant qui nous avait entouré, et il rajouta enjoué : « Le transfert nucléaire, ça t’as plu, non ? »
Oui, c’est une sensation très spéciale, répondis-je, mais on est où là ???
Au sommet de l’Everest, la plus haute montagne de la terre, une zone neutre qu’on a emménagée avec le pape pour nos rencontres. Je ne pouvais pas prendre le risque de rester à Rome en personne, il aurait pu en profiter pour me nuire. Ici il ne peut rien contre moi, et je ne peux rien contre lui, c’est un endroit protégé pour nos rencontres au sommet… Le plus haut sommet du monde pour les 2 patrons du monde, enfin, maintenant on est 3 avec toi. Qu’en dis-tu de la vue ?
La vue était époustouflante, on dominait tous les autres massifs de montagnes, notre vision s’étendait sur des lieues et des lieues. J’admirais ce panorama surprenant et dû bien avouer à Octave que c’était un des lieux les plus majestueux que j’avais pu contempler de toute ma vie. Il me demanda si je voulais expérimenter cet endroit sans protection, mais il n’attendit même pas ma réponse pour passer à l’acte : Au lieu de l’ambiance calme et tempérée de l’instant d’avant, tout à coup, le vent se mit à souffler violemment sur nous, le froid pénétrait mes vêtements, je luttais pour tenir debout sur cette neige, sans compter qu’au lieu de respirer normalement, je commençais à haleter comme un chien qui a trop couru ! Il y avait bel et bien du vent, mais je n’avais plus assez d’air, je respirais de plus en plus vite, me congelait les poumons, pensait que j’allais mourir, et je voyais Octave rire à gorge déployée de ma situation ! Il cria haut et fort à mon endroit : « C’est ça l’Everest fiston ! Wouahouuu, regarde cette bourrasque », et un tourbillon de neige passa entre nous, les éléments étaient déchaînés, c’était l’endroit le plus inhospitalier que j’ai connu. Alors, Octave fit cesser les éléments, tout redevint calme, l’air était à nouveau respirable, le froid et le vent avaient disparût. Il m’informa qu’il avait enlevé pour un moment l’écran qui nous protégeait des éléments naturels pour me faire connaître les conditions réelles au sommet du monde.
Tout à coup, le Pontife Paul XII apparût sur la montagne en arrivant par une porte de téléportation installée entre deux rochers.
Salut à toi, successeur de Pierre, lui lança Octave avec respect en faisant une révérence polie, te voilà enfin. Comme tu ne m’as pas invité à venir présenter mes respects à ton poulain, je me suis permis de prendre l’initiative. Tu ne m’en veux pas j’espère ?
Bonjour Octave, répondit le pape visiblement contrarié, pourquoi veux-tu le mêler à nos histoires ? Il a déjà un Chaos à organiser, crois-tu qu’il a vraiment besoin de s’inquiéter encore de toi par-dessus le marché ?
Rhooo comme tu y vas, rétorqua le patron du sud, je voulais justement lui dire le contraire : Le féliciter pour sa nomination d’empereur du nord, et lui dire de ne pas s’inquiéter de moi, je lui laisserais tout le temps dont il a besoin pour mener sa tâche à bien. Ce qui me chagrine un peu, c’est qu’il semblerait que tu ais oublié de l’informer des termes de notre pari !
Il n’y a pas de pari Octave, et tu le sais très bien, renchérit le pape.
Merde Paul, s’énerva l’empereur du sud, il y a soit le pari, soit la guerre ! Et s’il y a la guerre, je vous écraserais tous comme une guigne ! Misérables petites choses que vous êtes, tu n’as pas encore compris que tu n’as pas le choix ? Ton seul choix c’est le pari, sans ça, ce sera la guerre !
Ce sera la guerre Octave, et tu le sais tout aussi bien que moi. Ton pari n’est qu’un paravent à la guerre, et pari gagné ou perdu, la guerre éclatera ! Ton pari n’est pas un choix, il n’est que le fruit de ton délire mégalomaniaque. Et retire cette croix de ta veste, tu fais honte à ce symbole.
Octave bouillait intérieurement, il semblait prêt à éclater dans une colère monstre, alors je m’interposais : « Et si vous m’expliquez en quoi consiste ce fameux pari ? ». Alors que je m’approchais du puissant empereur, ce dernier tendit la main et sans même me toucher, il me projeta dix mètres plus loin dans la neige. Puis il éclata à l’encontre du Pontife :
Ce symbole est autant le mien que le tien, dit-il en parlant de sa croix, je connais la bible par cœur, je connais toutes les encycliques de tes prédécesseurs par cœur, je triomphe dans les mystères de la théologie et de la philosophie, je connais bien mieux que toi toute l’histoire du christianisme, j’ai personnellement évangélisé deux milliards d’humains au sud pendant que tu te contentais de prêcher à l’intérieur de ta muraille,… pour finir par donner la sainte ville éternelle à un demeuré de barbare analphabète, et sans même le baptiser ! On a le même Dieu, on croit au même Seigneur, la seule chose qui nous sépare est la manière, alors ne vient pas me faire la morale sur ma foi !
Paul regarda Octave avec pitié mais ne répondit pas. De mon côté, je faisais un rapide calcul mental, l’empereur du sud venait de parler de deux milliards de sujets…, j’en avais 19 ou 20 millions dans tout l’empire…, le rapport de force était démesuré ! Au lieu d’une défense digne des accusations dont le pape avait fait l’objet, ce dernier se contenta de répondre :
Je suis le vicaire du Christ ici-bas Octave. Tu as le pouvoir terrestre, tandis que je tiens le pouvoir du Ciel entre mes mains, et tu ne peux rien contre cela.
Alors, étonnement, l’homme le plus puissant de la terre parût mal à l’aise, il regarda par terre, réfléchit, et rétorqua sans malice mais avec énervement :
Je le sais Paul, je sais bien tout ça, mais j’enrage que tu ne daignes pas reconnaître le mérite de mon action !
…soudainement, Octave mis genou à terre et parla humblement : « …et j’implore ta bénédiction papale sur mon œuvre et sur ma vie. »
Tu sais à quelle condition je peux te l’accorder, répondit le pape visiblement touché par le sort d’Octave. Es-tu prêt à renoncer à ton statut de Dieu vivant pour obtenir le pardon de tes péchés et ma bénédiction ? Es-tu prêt à revenir sous l’autorité du pape et à respecter le vœu d’obéissance à son égard que tu as prononcé il y a bien des années ?
Octave resta encore un moment agenouillé dans la neige, semblant hésiter un instant, comme si un élan du cœur voulait accepter sans conditions ce que le pontife venait de dire, mais comme si l’esprit s’y opposait de toute sa force. Finalement, c’est l’analyse intellectuelle qui l’emporta sur l’élan du cœur, et l’empereur du sud se releva d’un bond, aussi fier et grandiose qu’au début de l’entretient. Après cet instant d’humilité, il reprit sa posture de grand Seigneur et menaça : « Alors puisque tu refuses de bénir mon œuvre pour l’humanité, ce sera la guerre ! »
Je sais, répondit simplement Paul.
Mais avant la guerre, je vais laisser Léopold s’organiser, je veux voir lequel de nous deux à eu raison.
Ça aussi je le sais, rétorqua encore le Pontife.
En réponse, Octave éructa d’un air moqueur : « Bien sûr, tu sais tout, mais ce que tu ne sais pas, c’est que tu as des rats dans tes rangs ! Des romains furieux contre ta décision de céder Rome à ce vulgaire barbare, des romains que tu ne contrôles plus, et qui n’attendent qu’une bonne occasion pour lui faucher le trône. Gianfranco Villania faisait partie de leur plan, c’était un romain rompus aux disciplines de combats, dopé à mort, rendu insensible à la douleur, et tu as de la chance que Léopold a triomphé de lui, sinon il serait devenu empereur sans même que tu saches qu’un de tes anciens fidèles s’installait sur le trône ! Réveille toi un peu Paul, tes hommes sont dans la ville, ils ont des armes, et pas des arbalestres ou autres épées, … de vraies armes ! Pour l’instant, le danger qui guète ton poulain ne vient pas de moi, mais de tes propres rangs.
Là, ça commençait à m’intéresser, et je pouvais voir que le pontife lui-même était ébranlé par la nouvelle, il ne pu que dire : « Mais…, comment le sais-tu ? »
Parce que je m’informe moi, répondit Octave avec dédain ! Le sort de Rome me préoccupe au moins autant que toi, et si Léopold veut un coup de main pour dératiser l’ensemble, je l’aiderais. Et toi, que comptes-tu faire ?
Je ne peux pas utiliser tes méthodes, elles sont contraires à notre éthique, se lamenta le pape.
Eh voilà, tu as la puissance du ciel, j’ai celle de la terre, et ta puissance ne sert à rien pour protéger ton empereur, contrairement à la mienne ! Et ne me fait pas croire que ce n’est qu’un problème éthique, c’est aussi technique !
Je pris alors part à la conversation : « Dites donc, si Octave a une solution, étique, technique ou pas, moi ça m’intéresse. »
Hé ben voyons fiston, à ton service, il suffit de demander, le bon vieil Octave est toujours là pour dépanner les copains, dit-il en me frappant sur l’épaule, avant de disparaître dans un éclair.
Quelques secondes plus tard, il réapparaissait dans un nouvel éclair, avec une sorte de boitier métallique en main. Il s’adressa à moi : « Voilà, tu déposes ce boitier dans Rome, en hauteur de préférence, tu presses sur ce bouton et tu verras plusieurs antènes en forme de paraboles en sortir. 24 heures plus tard, tous les dissidents à la décision du pape de te confier Rome seront détruits. » Puis il s’adressa au pape : « Fait évacuer tous tes pions fidèles de la ville éternelle si tu ne veux pas qu’ils subissent le même sort que les rebelles à ton autorité ! »
Avant d’accepter, prudent, je demandais quel était le prix de ce service, question auquel Octave répondit : « Entre empereurs, si on ne peut plus s’entraider gratuitement de temps à autres, où irait le monde ?! C’est cadeau fiston, tu n’as qu’à t’asseoir et regarder tomber les cafards ! Allez, salut et bonne chance à toi, au revoir Paul ».
Octave disparût dans un nouvel éclair et nous nous retrouvions seuls avec le pontife au sommet de cette montagne. J’en profitais pour l’interroger :
Il me semble que tu me dois quelques explications Seigneur Paul. C’est quoi ce pari ?
Le pape soupira, mais résigné, il entreprit d’éclaircir ma lanterne :
Octave a quitté Rome car il était d’avis que notre mission dans le Chaos était de civiliser le monde, quitte à utiliser la force et la violence s’il le fallait. Mon prédécesseur et tous les papes qui l’ont succédé n’étaient pas d’accord avec lui. Notre mission n’était pas de nous arroger un pouvoir temporel et total sur le monde, mais d’accompagner sa sortie du Chaos en aidant celui qui le ferait : toi-même en l’occurrence. Octave a fait le pari qu’il réussirait mieux que nous avec sa méthode... Il a prit en charge le sud du globe sans que nous puissions intervenir, et il a créé une civilisation. Maintenant, il attend de voir si nous réussiront autant bien que lui, et selon les termes de son pari, s’il réussit moins bien que nous, il nous cède le pouvoir sur le sud ; tandis que s’il réussit mieux que nous, c’est à nous qu’il reviendra de lui céder le pouvoir sur le nord. Mais c’est un pari à sens unique, nous n’avons jamais accepté ce marché, et même si Octave perd à son propre jeu, il sera trop orgueilleux pour l’admettre, et fera la guerre contre le nord. La finalité de l’histoire, c’est la guerre, rien d’autre. Ce qui se passe maintenant, c’est une attente d’avant guerre. Octave est curieux, il veut voir si nous réussiront et comment nous réussiront à transformer le Chaos en civilisation, il veut comparer son action à la nôtre.
Bon admettons, répondis-je, mais visiblement, certains romains ont renié le principe et t’ont trahis ? Ils ont fait sécession et menacent mon trône avec des armes incroyables ?
Après ton premier passage à Rome, nous avons décidé que si tu réussissais à fédérer un vaste territoire sous ton autorité, nous te lèguerons la ville pour aider l’humanité à sortir du Chaos. A cette annonce, une série d’hommes et de femmes ont quitté la ville, sans pour autant rejoindre Octave. Ils ont dû profiter du passage de tes armées pour s’enrôler volontairement et revenir dans la ville au sein de tes troupes. Je pense qu’ils ont bien vite compris qu’un coup d’état armé contre toi était impossible, compte tenu de ta popularité et de notre protection, mais te vaincre sur ton terrain, avec vos armes, en duel, était une manœuvre à tenter pour créer la division et finalement prendre le pouvoir sur la ville, sans que nous sachions qu’il puisse s’agir d’un des nôtres ayant trahi.
Vous pratiquez des arts martiaux dans votre civilisation ?
Oui, nous avons d’excellentes écoles d’arts martiaux.
Et ce Gianfranco connaissait tout, les arts martiaux, le maniement de l’épée, Maître Rufus ?
Eh bien…, oui. Maître Rufus a été le déclencheur de notre stratégie. Nous pensions d’abord qu’il serait lui-même capable de faire ce que tu as fait, mais après son bannissement de Pari et sa marque de paria, il était devenu inapte à cette tâche de fédérateur. Nous lui avons alors donné mission d’éduquer un homme pour qu’il puisse en commander des multitudes et vaincre le Chaos. Il a essayé avec Marco, mais Marco n’avait aucun appui politique et ne pouvait pas fédérer des peuples entiers à cette fin. Nous avons donc donné mission à Marco de trouver un enfant. Un enfant prodigieux dans l’art du combat, et un enfant bien né, afin que son père soit assez puissant politiquement pour unir des clans et des marchés. Tout le monde à Rome avait connaissance de cela, y compris ce Gianfranco…
Bon, admettons, mais c’est quoi « dopé » ?
Comment dire, … c’est une préparation scientifique de…, non, pour faire simple on va dire qu’on est capable de mettre au point des potions magiques qui décuplent la concentration, la force, la rapidité, la vivacité des réflexes d’un individu…, et comme le suggérait Octave, il a aussi pu être rendu insensible à la douleur, c'est-à-dire que ses terminaisons nerveuses ne transmettaient plus l’information de la douleur au cerveau, …donc s’il avait mal, il ne s’en rendait pas compte.
Mais c’est de la triche !
Oui, c’est ça.
Bon, de toute façon, potion magique ou pas, il a eu son compte. De quoi dois-je encore m’attendre de la part de vos dissidents ?
Il est aussi possible qu’avant de partir, ils aient caché des armes…
Eh ben…, me voilà rassuré ! Et quelle solution tu envisages pour débusquer les traîtres ?
Le pontife eu l’air embarrassé : - C’est difficile, mais je ne pense pas qu’ils puissent user de leurs armes contre toi, ils savent que nous te protégeons, et que s’ils arrivaient à prendre le pouvoir sur la ville par ce genre de moyens, nous interviendront pour les arrêter.
Ça c’est une hypothèse !, m’indignais-je. En réalité, si l’un d’entre eux pète les plombs, il pourrait me détruire à distance. Et ce risque n’entre pas dans ma sphère de tolérance, alors quels moyens avez-vous pour mettre à l’écart ces traîtres MAINTENANT !???
Eh bien nous n’en avons pas. Contrairement au royaume d’Octave, nos hommes sont libres et nous ne contrôlons pas leurs pensées…
Donc la seule solution pour éradiquer la vermine, c’est la machine à Octave ?! C’est quoi cette machine d’ailleurs ?
D’après moi, c’est un scanneur de masses. Nous ne sommes pas capables de fabriquer de telles machines, mais Octave l’est, lui. A mon avis, si tu installes cet appareil comme il te l’a dit, il va fouiller dans les cerveaux, dans les pensées et souvenirs des 5 millions d’habitants de Rome, et détecter les gens qui ne pensent pas comme les hommes du Chaos, les gens qui pensent comme nous, qui ont les souvenirs qu’ont les anciens romains. Il ne s’occupera pas de ceux qui réfléchissent comme toi et qui ont les souvenir du Chaos, mais uniquement des cerveaux civilisés. Ceci fait, il détruira tous les hommes issus de notre civilisation et qui habitent dans le périmètre de Rome.
Comment ?
Je ne sais pas, il peut leur envoyer des ondes, faire bouillir leur matière grise, envoyer des décharges électriques qui provoqueraient des crises cardiaques,… je ne sais pas comment cette machine agira, mais je sais qu’Octave a dit la vérité : Tous nos dissidents seront détruit en 24 heures !
Eh bien c’est au poil ! On organisera la chose ainsi. …mais pourquoi diable Octave voudrait-il m’aider ?
Parce que comme je te l’ai déjà dit, il est curieux, il veut vraiment que tu réussisses à créer une civilisation, il veut comparer, et enfin, il voudra faire une guerre d’une ampleur qui n’a encore jamais existé dans toute l’histoire de l’ancien et du nouveau monde. Pour nous, Octave représente l’antéchrist de l’Apocalypse, personne ne pourra lui résister : ni moi, ni tous les savants romains réunis, aucun homme, aucun royaume, aucune puissance, seul le Christ lui-même sera en mesure de provoquer la chute d’Octave.
Il peut attaquer quand bon lui semble ?
Pas tout à fait. Nous avons un bouclier de défense aérien sur l’hémisphère nord, tu ne le vois pas, mais nous sommes protégés. Nous améliorons sans cesse nos défenses, nous avons la maîtrise de l’espace, des satellites tournent autour de la terre et abattent toutes les bulles du sud qui tentent de s’approcher de trop prêt du nord, mais Octave trouvera la solution, car à lui tout seul, il est plus fort et plus intelligent que tous nos savants. C’est d’ailleurs lui qui a inventé nos bulles de transports, la téléportation, et l’ionisation de l’air, ce qui nous permet d’illuminer la nuit sans avoir recours à des projecteurs ou des lampes.
Eh bien, c’est un drôle d’avenir que tu me dessines-là. M’enfin, je ne vais pas réfléchir pour dans 100 ans, ce qui me préoccupe aujourd’hui, c’est la menace directe que vos dissidents représentent. Je m’en vais donc mettre cette machine en place dans Rome.
Je ne peux malheureusement pas t’interdire de lutter contre tes ennemis, je peux juste t’empêcher de tuer des prisonniers désarmés. Fais donc ce que tu juges être le plus juste, tu ne méritais pas cette menace, c’est de notre faute et je m’en excuse. Je vais donc te laisser et après mon départ, je règlerais ta destination d’arrivée dans les palais du Vatican, cette porte te mènera chez toi.
Vous ne vous déplacez jamais comme Octave, dans de grands éclairs ?
Nous n’en sommes pas capable, c’est une de ses toutes nouvelles inventions, il n’a plus besoin de portes pour se rendre où il le souhaite, me dépondit le pontife avant de disparaître au travers de la porte.
A mon tour, je quittais la plus haute montagne du monde pour me retrouver dans mes appartements de Rome.
Immédiatement, j’ordonnais à la porte la destination du sommet de la grande croix, et c’est là que j’actionnais la machine d’Octave. Je la laissais en place jusqu’au lendemain après-midi, et ayant dépassé les 24 heures, je retournais la chercher, sans savoir encore les effets qu’elle avait pu produire.
Ce n’est que lorsque je retournais dans le palais qu’Octave apparût dans un grand éclair par devant moi, se saisit de la boite, appuya sur un bouton, et déclara satisfait :
898 rats débusqués, tu peux désormais dormir tranquille, … qu’est-ce qu’on dit à tonton Octave ?
Heuuu, eh bien merci pour le service, répondis-je bêtement, avant de demander : Ils sont tous mort ?
Noooonnnn, bien sûr que non, je ne suis pas un barbare, disons qu’ils ont juste perdu l’esprit, leurs corps sont toujours vivants, mais ce ne sont plus que des zombies inoffensifs et désorientés. Lorsque vous rencontrerez ces êtres déambulant dans Rome et qui ne savent même plus comment ils s’appellent, renvoyez-les à l’expéditeur par la porte des parias, je suis sûr que le pontife se fera un plaisir de les nourrir. Quant à leurs esprits, ils sont désormais tous dans cette boite, j’en ai besoin car je mène quelques expériences intéressantes chez moi. Tu veux leur dire adieux ?, me demanda Octave d’un air enjoué en ouvrant une partie de la boite.
Je regardais à l’intérieur et je vis quelque chose de tout à fait prodigieux : Il y avait une sorte de siphon brumeux qui tournait sans cesse, et de ces volutes tourbillonnantes, il en sortait des espèces de cris plaintifs.
Dis quelque chose, me chuchota Octave à l’oreille, ils t’entendent et te voient tous.
Je me penchais sur l’ouverture et leur lançais : « Alors, bande de fous, après la correction de Gianfranco vous voilà bien avancés maintenant dans cette boite ! Vous croyiez réellement que la traitrise pouvait payer ? Insensés, je vous laisse entre les mains d’Octave.
J’entendis des protestations, des supplications, des plaintes sortir de la boite mais Octave la referma d’un coup sec en me disant : « J’en prendrais bien soin. Allez Léopold, sans façons, ça a été un réel plaisir de pouvoir te rendre ce petit coup de main. Je m’éclipse avant de mettre en émoi tout le staff d’espionnage du pape. Adieu, on ne se reverra sans doute pas. »
Octave disparût comme il était apparût, et ainsi qu’il l’avait prédit, je ne l’ai plus jamais revu.
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En quelques semaines à Rome, nous découvrions tout de même quelques livres. Toutefois, il ne s’agissait nullement d’ouvrages ayant trait à l’histoire. Non, les documents étaient tous comme les livres de la marina que Sérafino découvrit. Plusieurs ouvrages traitaient d’architecture, de moyens de construire de grands oeuvres, croquis et démonstrations mathématiques à l’appui, dans différents styles : ponts, oléoducs d’irrigation, palais et demeures, et même basiliques ! Ces livres nous fournissaient des indications scientifiques sur les charges physiques possibles et impossibles pour de telles constructions. Si les romains voulaient nous inciter à rebâtir le monde, ils n’auraient pas agis différemment. Il y avait aussi beaucoup d’autres indications techniques, comme le feuilletage et le plaquage de l’or. Avec 4 onces, et d’après cette technique, les romains arrivaient à recouvrir une surface de 30 pas sur 30 ! L’or ne devenait alors qu’une fine pellicule, mais pouvait étinceler sur de grandes surfaces.
Nous découvrions aussi dans une énorme salle en sous-sol, les réserves d’or de Rome ! Des milliers, que dis-je, des dizaines de milliers de barres d’or, toutes d’un poids honorable de quarante onces pures. Ces barres étaient marquées de blasons et d’inscriptions des anciens propriétaires. Il y avait l’inscription de la National Réserve of U.S.A., Fort Knox, BNS of Switzerland, UBS, CITY of London, et bien d’autres encore. Sans doute les fameuses réserves des banques centrales dont Paul avait fait mention.
Je mis ce lieu sous haute protection, en admettant tout de même que si les pontifes nous avaient laissé les instructions pour le feuilletage et l’usage qu’on pouvait faire de cet or, nous pouvions espérer voir de futurs bâtisseurs en faire emploi. Cependant, je me rappelais le point de vue de Paul : D’après lui, l’or fut la source de nombreux crimes, raison pour laquelle leur civilisation écuma les villes et villages durant la grande peste pour récupérer tout ce qui était récupérable. Nous devrions donc utiliser les richesses de ce trésor avec discrétion, uniquement pour l’ornement des futures demeures de Dieu, que j’espérais faire construire le plus tôt possible à travers l’empire. Le calendrier des papes semble bien indiquer qu’aucune dynastie royale de l’ancien monde n’était parvenue à se maintenir durant les deux millénaires qui suivirent la naissance du Christ, sauf celle des papes. Non contente de s’être maintenue durant toute l’ancienne ère, leur dynastie défia et traversa le Chaos sans coup férir. Leur Dieu devait certainement y être pour quelque chose là-dedans, et si je pouvais attirer Sa sympathie sur ma lignée en lui construisant des basiliques, Il pourrait m’être d’un précieux secours.
Nous découvrions également une salle dans un grand palais rond. L’inscription sur le fronton d’entrée indiquait : “Création artistique”. Ce palais ne présente que peu d’oeuvres d’art, mais explique ce qui semble être la base technique de la création artistique. Pour les peintures on y enseignait les “perspectives” et autres techniques de création ; pour la musique, il était fait mention de gammes, de clefs ; pour la sculpture, les techniques de découpes, finissage etc. Il n’y avait que peu d’oeuvres a proprement dites, mais des exemples pour tout. Cette salle pouvait aider de futurs apprentis à s’initier aux techniques de l’art pour ensuite se mettre à créer d’eux-mêmes. Partout dans Rome, nous avons sous nos yeux tous les chefs-d’oeuvres de milliers d’années d’histoire. Ce palais nous apprenait comment des réalisations aussi parfaites furent possibles. J’espérais que mon nouveau monde s’en inspire et donnais des instructions en ce sens :
- Chaque famille romaine devait donner le plus robuste de leur fils à l’armée, tandis que les autres seraient libres de suivre des enseignements pour devenir de futurs bâtisseurs ou artistes. Je souhaitais en effet faire construire des villes romaines provinciales un peu partout dans l’empire, il fallait que la beauté de Rome contamine le Chaos extérieur déjà en voie d’organisation, et pour cela, nous aurions besoin de bâtisseurs.
Toutes ces explications n’étaient visiblement que ce que les romains avaient bien voulut nous montrer. Nous fîmes cependant une découverte fortuite, quelque chose que les papes ne souhaitaient certainement pas nous offrir. Sur la grande muraille, dans un canal d’évacuation des eaux de pluie, un Prétorian trouva une canne argentée...! Exactement comme celle que le pontife avait utilisé pour signer mon torse. Ce fut une trouvaille tout à fait phénoménale mais elle ne fit pas beaucoup de bruit. A peine une douzaine de Prétorians connurent l’épisode, et ils reçurent l’ordre de ne rien divulguer.
J’avais entre les mains l’arme suprême des romains. La tige était creuse et légèrement recourbée à l’extrémité, presque comme une canne. D’ailleurs, la première fois que le cardinal Bardoso m’aborda sur la place de la basilique, il utilisait ça comme une canne pour marcher. Sans doute une précaution lors de la première rencontre avec le grand barbare que je suis... Je m’ouvris de cette découverte à Armadé, Victorio, Barnabé, Marco, et quelques autres pères. Après délibération, nous décidions de ne pas en faire usage. Ce n’était pas tout à fait mon idée de départ, ni celle de Rino et Victorio, mais Armadé et Barnabé surent nous convaincre que dans les conditions dont nous avions découvert cette canne, cela voulait certainement dire que le pape ne voulait justement pas nous donner ces armes. Armadé était en outre certain que nous étions continuellement entourés d’espions romains en bulle, et qu’il fallait aussi voir la chose sous cet angle. Toutefois, nous quittions quand même la ville pour tester la puissance de cet engin, car nous ne voulions pas attirer les regards là-dessus en ville. La canne disposait d’un petit poussoir, et je devinais qu’il s’agissait là du principe pour déclencher le feu. Je me saisis alors de la canne et pressais sur le bouton en visant un arbre. Une boule de feu en sortit et l’arbre explosa pour se consumer en un instant. Ensuite, je cherchais des bêtes pour en évaluer l’effet. Je touchais une antilope, mais au lieu de la spectaculaire boule de feu, il n’en sortit qu’un rai bleu très court mais puissant, puisque l’animal s’écroula au moment même du tir, foudroyé. L’antilope n’avait pas explosé, c’est comme si elle n’avait même pas été touchée. Elle ne saignait pas, n’avait ni trou ni cicatrice, rien, simplement morte sur le coup... Les oiseaux pareils, ainsi que toutes les autres bêtes.
Nous galopions ensuite vers un hameau en amont du fleuve. De loin, je pressais le poussoir en visant la porte d’enceinte, et à nouveau, c’est une boule de feu qui en sortit pour détruire entièrement la porte et une partie de l’enceinte. Les villageois ne savaient pas ce qui leur arrivait car nous étions cachés, à couvert. Mais ils ne furent pas blessés. Il y avait un mirador d’où un homme cherchait à comprendre l’origine du feu. Je le visais, et cette fois-ci, c’est une fine ligne de feu qui en sorti pour toucher et brûler un peu le guetteur, sans explosion ! Comme si ces armes voyaient elles-mêmes leurs cibles, et après avoir analysé leurs natures, décidaient du dosage de la puissance...! Ainsi, l’arme ne tuait pas les hommes, tuait les bêtes sans dégâts, et détruisait les choses à grand fracas... Celui qui disposait d’une telle arme pouvait pratiquement s’autoproclamer maître du monde tant elle était différente des nôtres. Mis à part le prodige, il était évident que de conserver une telle arme était extrêmement dangereux. N’importe qui pouvait la tenir et donc la voler, pour bien entendu l’utiliser...
D’un commun accord, nous décidions de passer sous secret l’existence de cette arme, et de la cacher. Les seules personnes ayant eu connaissance de la cachette étaient moi-même, Armadé, et celui qui devait me succéder : Victorio. Mes armées étaient capables de vaincre le monde entier sans cela, et de toute façon, il n’y avait qu’une seule canne. Intéressant, mais je jugeais cette arme plus dangereuse que bénéfique pour notre autorité. Sans compter que si le pape apprenait que j’en faisais un usage irraisonné, il viendrait certainement me la reprendre. Avec mon père et mon fils, nous cachions donc cette canne de feu dans les tréfonds de la basilique, dans le tombeau d’un pape. C’était à eux, je la leur rendais.
Un autre problème se présenta bientôt : Nous n’avions pas un seul esclave dans la ville, et il fallait remédier à cette situation sans pour autant les prendre au hasard. Des messagers arrivaient avec diverses nouvelles d’un peu partout. En fait, dans chaque garnison provinciale, j’avais mon propre messager officiel qui faisait partie de la hiérarchie. Ils étaient sensés me tenir au courant des divers problèmes qu’ils pouvaient rencontrer avec les clans de leur région. Barnabé, d’une prudence astucieuse, m’avait recommandé de nommer un deuxième messager, non officiel celui-là, se trouvant au bas de la hiérarchie, comme simple guerrier. Ses supérieurs ne devaient rien savoir à son sujet. Son rôle serait de venir me rendre compte des agissements de leur propre état major, et de la véracité des rapportages officiels. Ces messagers de l’ombre jouaient un rôle dangereux. S’ils se faisaient démasquer par les officiers, ils avaient peu de chance de rester vivant. Cependant, je m’aperçus par la suite qu’ils ne furent pas inutiles, on pourrait dire qu’il s’agissait-là de contre-espionnage…
Aux dernières nouvelles, l’endroit idéal pour la pêche aux esclaves était les territoires germaniques au-delà du fleuve Rhin. C’était des terres que Paskale avait soumis même pas une année auparavant, lorsque je conquérais le sud de l’Italie. D’après mon messager officiel, les germaniques appliquaient si bien ma consigne de rapprochement et de collaboration entre les clans qu’ils étaient tout simplement en train de former une armée ensemble ! Les grands meneurs se trouvaient être les seigneurs des grands marchés de Friborg en Brisgo, Offenbourg, et Stuttgart, au-delà de Bâle. Entre ces trois villes, une multitude de clans participaient également à la formation d’une imposante force militaire. Toutefois, ils ne faisaient montre d’aucun signe d’agressivité envers nos garnisons. Ils respectaient aussi mes injonctions, à savoir : Arrêter les kidnappings, enfermer les parias, rétablir les voies de communications... Apparemment, nous ne pouvions rien leur reprocher, mais leur entente militaire pouvait être une phase de préparation pour une offensive prochaine contre nos postes provinciaux… ? Bien sûr, ce n’était pour l’instant qu’une hypothèse.
A part là, je ne voyais pas trop où je pouvais espérer faire des esclaves. Tous nous avaient vus passer avec des dizaines ou des centaines de milliers de guerriers, et aucun clan ne semblait vouloir prendre le risque de me contrarier. Par contre, c’était plutôt mes messagers de l’ombre qui m’apportaient les pires nouvelles : Il y avait plus d’exactions, de viols et de crapuleries commis par mes propres états major que par les chefs tribaux ! En clair, certaines de mes garnisons de campagne abusaient franchement de leur pouvoir pour tyranniser les peuples soumis, ils étaient pires que les anciennes autorités de ces clans et marchés !!! Barnabé se chargeait de consigner les rapportages de tous ces messagers, et je me promettais d’accueillir personnellement ces soldats lorsqu’ils seraient relevés et arriveront à Rome.
Nous informions nos guerriers qui s’en allaient relever les postes provinciaux que toutes dérives de comportement seraient sévèrement sanctionnées, d’autant plus s’il s’agissait d’officiers.
Nous nous rendions aussi compte qu’il était dangereux de laisser des clans et des marchés constituer des armées parallèles. Nous devions déjà intervenir chez les germains, et Rino eu l’idée de créer des sortes d’escouades locales avec les hommes des clans, n’appartenant pas à l’armée romaine mais faisant office de gardiens de l’ordre. Armadé affina encore la stratégie : Il fallait donner à ces gardiens de l’ordre une indépendance totale vis à vis des chefs de clans. Leur mission serait de faire appliquer nos prérogatives et poursuive les coupables d’infractions pour les mener en jugement. Etant indépendants de l’autorité des chefs de clans, ils auraient même la possibilité d’arrêter des chefs où seigneurs s’ils transgressaient nos lois. Ces gardiens de l’ordre ne seraient contrôlés que par nos militaires des postes régionaux, eux même contrôlés par un messager secret, toujours sélectionné par Barnabé, qui avait suffisamment de finesse pour détecter à chaque fois l’homme de la situation. Cette structure nous permettait de diviser les pouvoirs, les chefs devant tout à coup se plier aux préceptes que les gardiens de l’ordre devraient défendre partout. Eux-mêmes devaient également respecter nos lois et ne pas abuser de leur pouvoir sous peine d’être dénoncé par un chef ou l’autre, et démasqués par nos militaires, qui eux, devaient aussi se méfier de mes propres espions au sein même de leurs troupes...
C’était tordu, mais il en résultait une telle division et méfiance envers les différentes formes de pouvoir qu’il leur serait presque impossible de s’unir pour un projet d’envergure contre les autorités suprêmes romaines. La structure pyramidale mise en place nous permettait d’avoir des informations directes de chaque étage de la pyramide, et tout arrivait au sommet, à Rome. Vu le nombre de nouvelles peu reluisantes des agissements de mes troupes sur sol conquis, il fut décrété que la corruption des officiers de province serait assimilée à une trahison. Les traîtres étant par définition irrécupérables, j’optais pour un châtiment exemplaire des coupables. Ayant trahis l’esprit de la loi, et donc Rome, ils seraient tout simplement déclarés traîtres et rejetés en tant que parias par la porte qui leur était dédiée, tandis que leurs propres familles, qui habitaient déjà la cité, devaient être délogées de leurs habitations pour devenir nos premiers esclaves…
Barnabé trouva l’idée intéressante, mais s’opposa à cette première condamnation. Selon lui, nos garnisons en poste actuellement dans nos provinces étaient loin de Rome et privées de communications avec nous. Les soldats et officiers restés en place n’avaient même pas eu loisir de voir la ville de la légende pour laquelle ils s’étaient engagés à nos côtés. Sans connaître nos nouvelles lois, ils ne pouvaient pas les appliquer, et donc, ils ne pouvaient pas trahir l’esprit de Rome sans en avoir eu connaissance. Il proposa de châtier correctement les coupables d’exactions, mais de leur épargner la sentence qui les relèguerait au rang de paria. Par contre, il ne voyait pas d’inconvénient à ce que les nouvelles garnisons qui allaient bientôt relever les premières soient soumises à ce nouveau décret instituant la trahison de l’esprit de la loi et de Rome, car eux, connaissaient dorénavant ces lois.
Grâce à Barnabé et à sa sagesse, ces premiers coupables ne subirent pas le bannissement par la porte des parias, et leurs familles échappèrent à l’humiliation de l’esclavage, car je revins sur ma décision brutale pour préférer une bonne punition accompagnée d’une mise à pied des indélicats.
Les Nendars appréciaient beaucoup mon père comme chef du clan. Armadé inspirait la sympathie, il était spirituel, diplomate, fort et fin stratège autant en politique qu’en combat. On peut dire qu’il était aimé par ses sujets. Mais je me souvenais aussi d’une petite leçon d’autorité de Maître Rufus : “Si tu veux être respecté, mieux vaut être craint qu’aimé par ton peuple. L’amour est beaucoup plus volatile que la crainte.” Je n’étais peut-être pas un homme inspirant automatiquement la sympathie, sauf peut-être à de rares champions de guerre que je côtoyais depuis des années. A part eux, et plus encore depuis que j’ai réglé son compte à Gianfranco, je n’inspirais que de l’admiration et de la crainte à presque tous mes guerriers et officiers, rarement de l’amour… Même parmi mes 103 compagnons de la première heure survivants, il y en avait encore certains qui évitaient mon regard. En les voyants ainsi, j’avais à chaque fois l’impression qu’ils avaient quelque chose à se reprocher !
Par contre, grâce à mes balades amicales dans les rues et mes repas dans les maisons romaines, les habitants commençaient à avoir une excellente opinion de moi-même, bien qu’ils puissent continuer à me craindre, car la pitié ne rentrait jamais en ligne de compte dans mes jugements. Mais pour ceux qui n’avaient rien à se reprocher, je passais pour être un chef près de ses sujets, et je crois bien que pour finir, mon peuple m’aima, ce qui n’enlevait heureusement rien à mon autorité.
Finalement, après presque trois mois à Rome, tous ces problèmes de discipline et de politique commençaient franchement à m’emmerder, et je décidais de partir avec Paskale dans la région germanique à problème, tout en espérant que les guerriers ripostent ou rejettent toute autorité romaine. Un tel affrontement me permettrait d’engranger d’un seul coup suffisamment d’esclaves pour le tout Rome. Car en cas de reddition dès notre arrivée, nous repartirions les mains vides...
En tant que gouverneur de Rome, Armadé resterait sur place durant mon absence. Cependant, nous préparions encore longuement les campagnes des 16 divisions armées de Rino, qui allaient prochainement étendre l’empire. Quatre divisions marcheraient vers le nord, quatre autres devaient soumettre les territoires de l’ouest des Alpes tandis que les huit autres, quatre devaient prendre la direction du nord-est, et les trois divisions restantes marcheraient au sud-est. Nos programmes de campagne étaient établis sur la base des cartes de l’empire romain, qui avaient été recopiées pour chaque général. Chacun avait donc une idée du territoire à conquérir. Tous les généraux avaient reçus une série de portes mobiles, qui leur permettraient de rejoindre Rome en un instant, ainsi que d’y envoyer leurs esclaves, parias, et autres nuisibles. De plus, pour éviter de marcher à travers l’empire avec des centaines de milliers de guerriers qui épuiseraient les réserves de nourritures des clans et marché sur notre chemin, l’armée romaine de Paskale avait reçu pour mission d’aller disperser des centaines de portes de téléportation dans nos postes provinciaux. Ainsi, nous pouvions rapidement relever nos garnisons provinciales sans leur faire perdre de temps en déplacement, nous évitions que nos légions affament les clans et marchés sur leur passage, et nous évitions aussi à nos armées régulières de longues marches d’approche à pied, car elles arriveraient d’un coup dans les camps aux frontières de l’empire, donc quasiment directement sur le lieu des conquêtes à entreprendre.
D’autre part, l’ordre de nous emmener les parias prisonniers avait circulé et je vis arriver les premières hordes, dûment encadrées par nos bataillons. Les premiers arrivés étaient un groupe d’une soixantaine de personnes. Ils furent conduit jusqu’au sommet des marches de la basilique, mais avant qu’ils n’y posent un pied à l’intérieur, je leur ordonnais de se mettre à genou et de continuer à avancer ainsi. Je ne comprenais d’ailleurs pas comment Paul pouvait admettre de tels défilés de maléfiques dans le grand lieu saint. Malgré le manque d’esclaves à Rome, nous n’avions jamais envisagé d’utiliser les parias. C’était d’ailleurs inimaginable pour la santé de notre esprit. Cependant, Paul ne voyait pas d’inconvénient à ce que ces êtres traversent et souillent toute la basilique pour se rendre jusqu’à la porte fixe de la crypte... J’avais toutefois été prévoyant car la consigne était qu’aucun paria ne pose jamais un pied dans le lieu saint. Raison pour laquelle le rituel de la dernière marche des parias à genou devint partie intégrante du protocole de leur disparition dans la porte.
Pour terminer ce premier séjour à Rome avant notre nouveau départ en campagne, j’avais aussi enjoint à Barnabé, outre sa mission de vice-gouverneur de la cité, de résumer le récit du Grand Chaos tel qu’il était décrit dans l’ancien calendrier romain. Il me l’avait lu en entier, et nous avions tous beaucoup discuté du sujet. Il me semble utile d’énoncer la petite histoire pour la bonne compréhension de tous. Merci de joindre ton texte à ce bouquin :
Notice des événements survenus durant le Grand Chaos, par Barnabé, scribe.
Les éléments déclencheurs du petit et Grand Chaos ayant déjà été évoqués, je me bornerai à résumer les phases du Chaos.
Partant des informations lacunaires de ce calendrier, il est tout de même possible d’envisager l’évolution générale du monde.
Il semblerait que durant des milliers d’années, l’homme n’a cessé d’évoluer dans la maîtrise de la technique et des sciences. Cependant, à en croire la conversation de Paul avec Léopold, il en ressortait qu’il n’en a pas été de même en sagesse. Les enseignements de ce médecin, Hippocrate, avaient été promulgués déjà bien avant la naissance du Christ-Dieu. Et cependant, la lecture de ce calendrier ne porte pas à penser que la sagesse de l’humanité progressa de concert avec la technique scientifique... Au contraire, la discipline technique atteignit sont apogée au cours du 20ème siècle. C’est précisément au cours de ce siècle que l’humanité échafaudait les plans la conduisant à sa propre perte, aidée justement par sa grande maîtrise de la science. A cette époque, on y lit des choses les plus étranges. Et plus ce siècle avançait, plus la cascade de phénoménales découvertes s’accélérait. Les humains avaient-ils été dépassés par leurs propres créations jusqu’à ne plus se comprendre eux-mêmes?
Toujours est-il que cette fulminante progression dans l’art des connaissances perturba suffisamment leur esprit pour que durant ce même siècle, sa sagesse de jugement recula elle aussi à une vitesse phénoménale. Comme si les hommes du vingtième siècle avaient préparé le chaos pour le mettre en oeuvre le siècle suivant. Tout cela de père en fils, dans une entente cordiale... Comme si le scénario avait été écrit à l’avance...?
2’015 sonna la fin d’un monde construit durant des millénaires. Les catastrophes et épidémies décrites jusqu’en 2’030 ont aidé à la fission définitive de l’ancien monde. Les hommes souffrirent tant durant cette période qu’il n’existait plus aucune complicité avec les générations précédentes. Le pape de l’époque avait même laissé une notice sur la page de l’année 2'027 :
“La prophétie était juste : Aujourd’hui, les jeunes déterrent leurs ancêtres, les exposent à la vindicte populaire et aux insultes contre les dépouilles des saccageurs. Les charognards s’occupent de faire disparaître les restes.”
Cependant, la deuxième génération suivant le petit chaos, vers les années 2’040, sembla réapprendre à vivre avec la terre et les ressources qu’elle lui offrait. La situation s’améliora sans cesse durant encore 40 ans, ce qui incita les pontifes successifs de cette époque à l’optimisme. Enfin, le grand basculement dans le chaos total en 2’080 emporta toute forme de bonne résolution de quelque pape que ce soit. Les hommes, qui avaient réapprit à besogner le sol, se retrouvèrent alors avec une terre empoisonnée, n’offrant que des vivres empoisonnées.
Dix ans après le début du véritable Grand Chaos, le pontife Nicolas X écrivit ses impressions en des termes les plus pessimistes. Pour lui, la fin de l’humanité semblait avoir sonné, ce qu’il nommait apocalypse. A la fin du 21ème siècle, les romains estimèrent que les trois-quarts de la population mondiale avait disparût. En vingt ans, le peuple de Rome lui-même fut décimé aux deux tiers par la peste nucléaire.
Le 22ème siècle fut lui entièrement marqué par la grande maladie qui ravagea toute cette période. Année après année, les commentaires n’évoluaient plus, ils reflétaient tous le même désapoitemment devant ce qu’était en train de devenir l’être humain, autant dans son corps que dans son esprit. Toutes notions d’instruction ou d’éducation avaient totalement disparût. Dans les ravages de ce monde à l’agonie, l’exploit suprême était d’arriver à survivre à tous ces maux. La mort était devenue une proche parente de tout un chacun, tant et si bien qu’elle était entrée dans les moeurs de presque tous les villages de la planète. Non seulement, les hommes étaient décimés par la peste nucléaire, mais les mises à mort n’avaient jamais été aussi nombreuses. Tout enfant né déformé par cette peste était immédiatement mis à mort pour éviter la prolifération de tels êtres... L’esprit semblait ne plus être présent et les hommes n’étaient mus plus que par l’instinct de survie de l’espèce. Toute autre forme de considération ne leur venait plus à l’esprit. Survivre était devenu la seule préoccupation de l’humanité. Même si les guerres semblaient avoir cessé, l’humanité subissait une épreuve jamais endurée dans toute l’histoire de l’espèce.
Cependant, en 2’098, un grand savant romain, nommé Paolo Narbona, et sanctifié par la suite pour avoir sauvé Rome, découvrit le remède permettant à l’organisme humain de résister à la radioactivité. L’humanité ne périrait pas. C’est juste avant l’invention de ce traitement que la population de Rome fut la plus faible avec seulement un demi million de survivant sur les 7 millions initiaux. Le pape Jules VI décida alors de la fabrication massive de ce remède pour le distribuer aux populations extra-muros.
Ce fut chose faite en 2’105, où de nombreux navires purent être affrétés afin de porter ce remède aux quatre coins du monde. Ceci, afin de préserver des hommes au moins dans certaines régions. Toutefois, comme ils n’avaient pas suffisamment de remèdes pour tous, ils durent se cantonner à quelques villes et villages disséminés sur divers continents. Deux ans plus tard, alors qu’une nouvelle vague de navires fut affrétés pour apporter la prolongation des traitements, les romains s’aperçurent que tous les villages qui avaient reçu le remède avaient été rayés de la carte. Les clans alentours avaient réunis tous leurs guerriers valides et déclenché des guerres pour s’emparer de cette médecine. Le traitement n’étant d’aucun effet sans prise régulière, même si les agresseurs avaient pu le voler, il ne leur était d’aucune utilité. L’opération fut un fiasco total car ce traitement n’avait servi à personne, et les bénéficiaires initiaux avaient tous été tués. La seule chose qu’apporta ce remède en dehors de Rome fut la guerre ! Il fut ainsi décidé en octobre 2’108 de ne distribuer la médecine qu’aux peuplades de certaines îles isolées, n’ayant pas de contact avec le reste du monde.
A cette même époque, un phénomène cruel mais certainement vital pour l’espèce fut observé en dehors des murs de Rome. Après une génération de souffrances et de mort sous la grande peste, soit au début du 22ème siècle, les romains constatèrent un profond changement dans l’attitude de certaines sociétés. Les populations furent si durement touchées, que certains clans optèrent pour un remède génétique à cette peste. Il n’y avait pratiquement plus de guerre, et donc presque plus de guerriers, mais les clans commençaient à sélectionner des mâles reproducteurs. Une génération plus tard, le monde entier adoptait cette même tactique, à savoir : Seul quelques mâles du clan, les plus robustes et les plus endurants, recevaient le droit d’accoupler les femelles. Cinq ou six mâles étaient sélectionnés, et eux seuls avaient le pouvoir de reproduction. Ainsi, leurs progénitures devaient avoir plus de chances de naître en bonne constitution. Les hommes non retenus pour la procréation avaient une vie bien triste. Sans enfants, sans famille, leur seul droit était celui de travailler pour nourrir le clan. Au cas ou l’un d’eux s’avisait d’accoupler une femme, il était immédiatement mis à mort par les autorités du clan, composées uniquement de reproducteurs. Ils avaient tous les droits, c’était sur eux et leur force que comptait chaque région pour survivre à la grande peste. Cette forme de procréation débuta mondialement vers les années 2’120, pour disparaître lorsque la grande peste fut éteinte, aux alentours de l’an 2’500. A la fin du 22ème siècle, les romains estimaient que la population mondiale avait chuté bien au dessous du milliard d’individus, contre 7 avant le grand chaos…
L’agonie se poursuivit durant tout le 23ème siècle, tandis que les savants romains s’échinaient à tenter de trouver une solution globale pour guérir le monde, malheureusement sans succès.
En 2’300, la population mondiale fut pronostiquée à 250 millions d’individus, comme au temps du Christ, mentionne la notice...
Cependant, c’est durant cette période qu’un phénomène nouveau survint chez certains individus hors des murs. Certains organismes semblaient résister à la radioactivité, ce mal qui jusqu’alors, tuait. Ces humains étaient devenus radioactifs, mais la substance n’agissait plus sur leur santé. Il ne s’agissait pour l’instant que de rares cas d’individus isolés, mais cette tendance à la résistance à la maladie par l’homme se confirma dans les générations suivantes.
Au milieu du 24ème siècle, la population mondiale toucha le plancher au dessous duquel elle ne descendit plus jamais. Les romains l’estimaient entre 40 et 60 millions d’humains, dont 4 à Rome...
Au 25ème siècle, même si la terre était encore empoisonnée, rares étaient les êtres vivants succombant encore à ce poison. Les populations commencèrent à croître, s’organiser à nouveau, et finalement, recommencer à faire la guerre...
Toutefois, l’agonie des romains avait cessé 300 ans avant celle du reste du monde, et du peu qu’il en restait, les humains étaient tous retournés à un stade de barbarie instinctive que le pape Joseph décrit comme étant devenue animale, avec peut-être l’organisation en plus. En 2’423, il décida de reciviliser l’humanité. Des troupes de prêtres romains furent envoyées dans le monde, mais à nouveau, ils ne furent pas acceptés. Les romains bénéficiaient d’armes incomparables par rapport à celles utilisées par les tribus sortant de la grande peste. Cependant, ils se refusaient d’en faire usage, et ne servaient qu’à l’escorte du prêtre au cas où une tribu l’attaquait.
Malgré les années d’efforts des prêtres pour aborder pacifiquement ces tribus, ils ne parvinrent pas à se faire accepter dans les clans. En 2’434, le pontife Marc III se retrouva devant un choix :
- Soit il civilisait le monde par la force,
- Soit il y renonçait en attendant que les hommes redeviennent un peu plus humains pour envisager une quelconque éducation.
Marc III s’inquiétait par écrit de la sorte: “Comme si les romains n’appartiennent plus à la même race que nos frères de l’extérieur, il ne subsiste entre nous plus aucune notion commune. Nous pouvons communiquer, mais nous ne nous comprenons plus. Le seul langage ayant subsisté dans le monde étant celui de la force, Rome saura se rappeler de ses errements commis dans l’ancien moyen âge. Elle se refusera à bâtir une quelconque nouvelle civilisation dans la violence et le sang.”
Le pontife prononça cette règle comme étant intemporelle. Une sorte de loi qui veut qu’aucun de ses successeurs ne puisse y déroger !
Le monde s’organisa dans des structures claniques, chaque tribu vivant en quasi autarcie. En 2’612, les observateurs romains constatèrent la formation d’une grande armée au nord du continent. Les premières observations faisaient état d’au moins 8’000 guerriers nordiques, tous montés. L’année suivante, leur nombre avait triplé. Toutefois, il ne s’agissait nullement d’individus ayant pour vocation de recréer un monde digne. Non, il s’agissait plutôt d’une armée de bandits semant la terreur et la désolation sur leur passage. Des pillards passant de ville en ville, en y séjournant suffisamment pour violer et humilier les femmes, torturer et tuer leurs hommes. L’année suivante, cette armée avait encore doublé et écumait le sud de la nation qu’ils nommaient Espagne.
Le pontife Philippe II fit alors affréter 62 navires et décida de lancer ses troupes au secours des populations martyrisées, en capturant l’armée indigne. Etant donné la différence de technique entre les romains et ces individus, ils n’eurent pas trop de peine à faire prisonnier la majorité des malfaiteurs. Durant l’affrontement, les bandits subirent quelques pertes mais furent suffisamment impressionnés par les armes romaines. Après avoir compris que toute résistance était futile, ils déposèrent les armes. Presque quarante milles brigands furent fait prisonniers, embarqué à bord des navires et mis aux fers jusqu’à Rome.
Une fois sur place, Philippe II leur ordonna la construction de la grande croix sous le contrôle des architectes romains. Cette contribution pouvait peut-être aider au salut de leur âme. Les guerriers prisonniers travaillèrent jusqu’à la fin de leur vie à la construction de la croix, puis le peuple de Rome se chargea de la terminer. La gigantesque construction débuta ainsi en 2’613 pour ne se terminer qu’en 2’710, soit cent ans de labeur de milliers d’hommes !
A cette époque, l’humanité s’était remise de ses grands fléaux et les hommes commençaient à s’autoriser à rêver.
A la fin du 28ème siècle, la note faisait mention de clans et structures hiérarchiques organisées, la puissance de combat désignant le chef, qui lui, se faisait un devoir d’étendre son territoire. La plupart du temps, les hommes étaient donc occupés aux cultures ou à la guerre contre quelques clans voisins. Cependant, les individus se remettaient à rêver et les légendes fascinaient de plus en plus les hommes. Ils oubliaient la grande peste nucléaire pour essayer de comprendre ce qu’était le monde d’avant. Les villes et villages avaient changé de lieu pour se repositionner dans des postes stratégiques plus intéressants. Les anciennes villes étant devenues de vraies réserves de matériaux, elles furent de plus en plus décapitées, à mesure que la population augmentait dans les nouveaux clans.
Depuis cette date, il est fait mention de formations de juridictions. Les romains semblaient s’intéresser de près à la constitution de nouvelles civilisations. Ils sillonnaient les mers et observaient les mouvements humains dans des terres lointaines. Il fallut trois cents ans à nouveau pour que la population se développe suffisamment afin que des échanges puissent véritablement commencer.
Car la population mondiale avait chuté à un point tel que des régions entières furent totalement dépeuplées, des villes et villages étant devenus fantômes. Parfois, plusieurs villages se réunissaient dans un seul pour atteindre tout de même le nombre d’une petite tribu. Les hommes s’étaient réunis non par amour mais par instinct de survie qui dominait toute pensée de ce temps. A la fin de la grande peste, il fallait des jours de marche pour aller d’un village habité à un autre. La terre était comme vide d’humains. Trois cents ans plus tard, la population avait quadruplé, et l’homme reprenait gentiment à nouveau l’ascendant sur la création.
Les romains notèrent un semblant de début de civilisation dans un lieu en extrême orient déjà en 2’800. Une juridiction de la taille d’un royaume, gouvernée par un guerrier suprême surnommé “le Grand Guerrier” par son peuple. Cet homme, qui avait rassemblé une multitude de clans, gouverna durant toute sa vie. Le pape de l’époque, Dominique le Grand, envoya des appuis secrets, des missionnaires de l’ombre pour soutenir et guider dans de bonnes voies le Grand Guerrier et cette nouvelle civilisation.
Malheureusement, lors de la mort du guerrier, rien n’alla plus et les disputes de succession divisèrent le royaume jusqu’à ce que chaque chef se replie à nouveau sur son clan. Cette première civilisation d’après le Grand Chaos dura en tout 34 ans, la durée de règne du guerrier suprême...
Ensuite, il est fait mention de telles juridictions naissantes et s’évanouissant au gré du charisme de certains champions. Malheureusement, les lois des clans n’étaient pas particulièrement propices à créer des civilisations durables. Certaines perduraient une ou deux générations, rarement plus. Les nouvelles juridictions qui pouvaient se créer éclataient aussi vite que leur construction, malgré les conseils des romains qui se mettaient secrètement au service des commandants.
L’année 2'853 semblait faire mention d’une véritable tragédie pour le peuple de Rome. Mais la note à ce sujet était lacunaire et peu précise, elle indiquait simplement : « Octave, le plus grand génie que la terre et l’humanité aient connu, en désaccord avec le pape, quitte Rome le 12 janvier, suivit de 20'000 de ses admirateurs. 2’953 est déclaré deuil romain et humain. Durant toute cette année, chaque habitant de Rome priera un chapelet par jour pour Octave et ses fidèles. Sa disparition de notre cité est un drame non seulement pour Rome, mais pour l’humanité tout entière ! »
En 3’005, une grande juridiction s’était créée dans toute la partie de l’Europe du nord. Elle dura 65 ans, mais s’éteignit pour les mêmes raisons que les autres: le partage du pouvoir et les rébellions des chefs tribaux.
A force de guerres qui faisaient et défaisaient des unions, l’homme adopta petit à petit une attitude moins agressive, se contentant de collaborations. Le Chaos devint organisé dans une structure de clans et marchés assurant les approvisionnements commerciaux de base. Les lois des clans n’étaient que de simples lois basiques et ne différeraient pas beaucoup d’une région à l’autre. Ainsi, en lieu et place de véritables juridictions, le chaos se muait en une civilisation globalement identique partout. Très divisée dans l’exercice des pouvoirs, tous morcelés en petits territoires, elle était néanmoins organisée dans sa capacité à collaborer occasionnellement avec son ennemi potentiel.
Le monde resta ainsi morcelé durant plus de trois cents ans. Beaucoup semblaient s’être satisfait de cet état de fait, mais pas tous. Les légendes circulaient et fascinaient. Beaucoup d’anciens commençaient à se poser les bonnes questions sur le monde d’avant, et les réponses devaient se trouver dans les légendes... Certains clans envoyèrent des troupes vérifier l’existence de la Grande Ville. Ils étaient reçus, mais jusqu’à notre arrivée, il semble que personne avant Léopold n’ait réussi à unir autant de monde autour d’une même cause. Son but était bien entendu la prise de Rome, mais il savait les responsabilités qu’il en adviendrait une fois qu’il aurait la ville. Léopold disait que Rome n’était que le siège éternel du monde, le territoire de Rome étant le monde. Il s’agissait d’une tâche bien plus ardue que de régner sur la cité, il fallait rebâtir le monde à partir de ce siège...
En résumé, voilà où en était le calendrier de l’époque du Grand Chaos. Il y a beaucoup d’annotations dans les années du 21ème siècle. Puis, des informations générales de temps en temps durant la grande peste et la société telle qu’elle s’organisa plus tard. Jusque sous l’année 3’412, date à laquelle Léopold pénétra pour la première fois dans la cité. Mais avant cela, aucun fait majeur qui fut de nature à renverser le Chaos. La suite étant déjà écrite dans les pages précédentes du présent ouvrage, je m’en tiendrai donc là pour ce résumé. Rajoutons également que les romains estiment de nos jours la population de l’hémisphère nord du monde dans une marge allant de 700 à 800 millions d’individus, soit environ 10 fois moins nombreuse encore qu’avant le Chaos. Il faut bien entendu rajouter à cela les 2 milliards de sujets qu’Octave prétend avoir au sud…
A dire aussi que les siècles d’avant le chaos ne nous apportent pas de réponses satisfaisantes aux nombreuses questions demeurant en suspens au sujet des anciens hommes. L’an 67 fait mention de la crucifixion de Saint Pierre par l’empereur Néron. L’an 313 indique l’acceptation de la religion chrétienne comme religion de l’empereur Constantin. La mise à sac de Rome de 455 est également mentionnée, ainsi que le fracassement des empires par Attila. Charlemagne apparaît à Rome en l’an 800. Puis la conversion en l’an 1’000 de Saint Etienne, roi Hongrois descendant du peuple d’Attila, qui apporta le message du Christ à son royaume. D’autres noms apparaissent encore plus tard, comme un certain Christophe Collomb qui semble avoir découvert un territoire assez important se nommant Amérique. Plus tard encore, il y eu une révolution chez le peuple francophone, et le nouvel empereur lutta contre l’église et contre Dieu en tentant de détruire l’état pontifical. Napoléon arriva néanmoins à pénétrer dans Rome pour capturer et déporter en France le pontife Pie VI. Le petit empereur ne réussit pas à détruire l’église mais fini exilé quelques années plus tard...
Aucune information claire n’apparaissait sur leurs méthodes scientifiques. Tout au plus, quelques noms de savants étaient mentionnés comme Einstein, Newton, Galilée, mais cela ne nous aidait pas à comprendre. La seule chose qui semble claire, c’est qu’avant le Chaos, les papes ne disposaient pas de moyens supérieurs aux autres nations. Malgré tout, il semble que ce soit la seule dynastie sur terre à s’être maintenue durant les deux milles ans précédant le chaos. Toutes les autres formes de pouvoirs apparaissaient pour disparaître quelques dizaines ou quelques centaines d’années plus tard, sous des coups d’état, ou des révolutions populaires.
Barnabé
Le 23 mars de l’an 5, trois mois après notre entrée dans la ville de la légende, je quittais Rome. Armadé resta en poste comme gouverneur de la cité, tandis que la ville se vidait de tous ses guerriers, repartant en campagne. Ne restait dans les enceintes que les Prétorians dirigés par Guérart sous les ordres d’Armadé et du roi Patrick ; et les familles des guerriers. Marco, Paskale, et moi-même à la tête de la troupe des mille, de l’armée romaine de 30'000 hommes montés et de mon escouade personnelle, partions chez les germains, tandis que mes autres armées faisaient route vers leurs différents lieus de conquêtes. Nous ne souhaitions plus acquérir de nouveaux guerriers, mais simplement étendre notre juridiction sur le reste du monde. L’immensité de mon armée nous permettait de ne plus quérir des guerriers de nouveaux clans. Pourquoi faire de toute façon ? Nous avions Rome !
Notre mission particulière était de faire le ménage chez les germaniques. D’après mes renseignements, les germaniques avaient sans doute réussi à former une armée coalisée de plus de 50'000 hommes. Pour ne prendre aucun risque, en sus de l’unité des milles et de l’armée de Paskale, 4 divisions entières de Rino devaient venir soit en renfort, soit pour nettoyer le champ de bataille après notre passage. Lorsque je dis « nettoyer », j’entends par là se saisir des esclaves et organiser leur voyage par une porte ainsi que leur arrivée à Rome. Ensuite, il était prévu que les 4 divisions de Rino poursuivraient leur chemin pour soumettre le reste du continent en direction du nord.
Paskale avait fait un travail phénoménal durant ces deux derniers mois en disséminant dans tout l’empire des portes de téléportation qui remplissaient déjà leur fonction : De nombreux parias étant acheminés par ce moyen à Rome. J’avais demandé à ce que des portes de réception soient installées en dehors des murailles, histoire de nous éviter de mauvaises surprises. Sur place, devant les portes d’arrivée, des bataillons de Prétorians prenaient en charge les indésirables pour les mener dans la porte fixe de la crypte où ils disparaissaient. Cela représentait des milliers et des milliers de prisonniers de tout l’empire qui passeraient par cette porte mystérieuse, débouchant sur l’inconnu le plus total et invérifiable.
Nous franchîmes la porte de Bâle avec Marco, tandis que Paskale se tenait prêt avec l’armée romaine de l’autre côté de la porte à Rome. Il ne devait pas intervenir tout de suite car nous devions laisser croire au peuple Germain que nous ne venions qu’en petit comité pour vérifier leur organisation. En effet, je craignais que s’ils nous voient arriver en force, ils n’obtempèrent à nos ordres, et nous n’aurions ainsi plus aucun motif pour leur déclarer la guerre et capturer des esclaves.
J’arrivais à Bâle par la porte installée dans cette ville amie avec Marco, mes 80 mercenaires et son unité des mille. De Bâle, nous avions déjà des informations précises sur les manoeuvres des villes du nord. Toute la région s’était alliée autant pour les échanges commerciaux qu’humains, ainsi que la construction d’infrastructures permettant des transports importants. Tout cela était fort bien mais c’était l’alliance militaire qui me préoccupait le plus. Nos hommes à Bâle voyaient plutôt là le signe du développement d’une vraie force pour combattre l’empire que de simples collaborations. Le seigneur de la ville était encore plus explicite : L’alliance du nord lui avait même proposé de joindre ses forces aux leurs, et ainsi, entrer dans une sorte de royaume indépendant... !?
D’après lui, les seigneurs des trois grandes villes du nord avaient débutés leurs tractations au lendemain même du passage de mes armées. Face à nous, seule l’union pouvait leur offrir l’autonomie régionale, même si elle ne serait plus clanique comme jusqu’alors. Cela avait provoqué un grand élan de collaboration, la plus fameuse étant l’union de toutes les petites armées de villages sous le commandement de trois seigneurs: Bushauser de Friborg en Brisgo, Alleihmer d’Offenbourg et Petinsach de Stuttgart.
Toutes les nouvelles entendues à Bâle m’incitaient donc à croire que les germains ne se contenteraient nullement de collaborations sociales et commerciales, mais bel et bien de défier l’empire !
L’information officielle que nous donnions au Seigneur de Bâle et à son conseil était la suivante : « Léopold Paralamo ainsi que Marco Fallacio, accompagnés des guerriers de nos unités, venaient voir les Seigneurs des trois villes du nord afin de leur faire entendre raison sur leur embryon d’armée : il ne pouvait exister dans l’empire d’autres armées que celles de Rome. » Je répandais cette information en faisant en sorte que la population le sache, histoire qu’elle arrive aux oreilles des espions germaniques qui ne manquaient sans doute pas dans la ville même de Bâle. Le but était que cette information soit connue des trois villes rebelles, et nous ne nous privions pas de la répéter. Même le seigneur de Bâle, fidèle à Rome, ne fut pas mis dans la confidence des importantes troupes de Pakale et Rino qui allaient arriver. Il n’arrêtait d’ailleurs pas de me mettre en garde pour tenter de me convaincre de ne pas aller au devant de ces villes avec si peu d’hommes.
Cependant, un camp romain était établi à côté de Friborg en Brisgo, et jusqu’ici, il ne souffrit d’aucune attaque ni menace de la part des nordiques. Je m’imaginais bien facilement que trois chefs germains commandant une armée censée protéger un aussi vaste territoire ne tenteraient même pas de résister contre deux cents milles hommes. Ainsi, si les armées de Paskale et Rino arrivaient en masse, et que les germains nous ouvraient les portes pour nous accueillir amicalement, ils n’auraient en aucune manière enfreins nos lois, et nous ne pourrions pas les punir pour une faute non commise… Ce qui ne les empêcherait pas de recommencer à comploter dès que nous serions loin. De plus, je tenais à ce que la justice soit appliquée partout dans le nouvel empire, et je ne pouvais pas prendre comme esclaves des hommes apparemment innocents. Il me fallait des esclaves coupables, mais je n’avais jusqu’ici aucun prétexte, d’où la décision de ne révéler à personne nos préparations guerrières cachées derrière la porte…
Ma stratégie était somme toute assez simple : Je venais en personne avec Marco et nos petites unités bien connues, mais pas assez puissantes contre de grosses coalitions. Mes adversaires m’ayant à leur portée, ils attaqueraient et j’aurai enfin mon prétexte. Je savais que cette stratégie comportait une partie de sacrifice, mais je le jugeais raisonnable…
Nous rejoignions donc notre garnison provinciale implantée près de Friborg en Brisgo. Leurs observations confirmaient les nouvelles, à savoir qu’une importante force militaire était déjà constituée sous le gouvernement des trois grandes villes, et que depuis mon arrivée à Bâle, il régnait une grande effervescence parmi les guerriers germains. Jusqu’ici, cette armée n’avait fait montre d’aucun signe d’hostilité, malgré des forces estimées à plusieurs dizaines de milliers de guerriers bien entraînés.
J’envoyais alors des messagers avec pour mission de convoquer les seigneurs de ces villes ainsi que leurs généraux dans notre camp régional. Comme prévu, les messagers furent tués, et les germains envoyèrent une puissante force armée contre notre petite garnison. Même si notre camp disposait d’une situation stratégique intéressante, il ne faisait aucun doute que cette armée nous anéantirait jusqu’au dernier. J’ordonnais alors le retrait général sur notre camp de Bâle. Comme je l’imaginais, l’unité des mille et mes mercenaires ne furent guère trop inquiétés car nos montures étaient les meilleures de l’empire, et malgré quelques pertes insignifiantes, nous leur échappions. Le sacrifice fut de fait les 1’500 guerriers de la garnison, dont à peine 300 disposaient de chevaux. Au lieu de faire prisonnier mes hommes qui avaient déposés leurs armes durant leur retraite, les belligérants les massacrèrent jusqu’au dernier, montrant bien ainsi leur hostilité envers nos nouvelles règles de la guerre.
Nous arrivions à Bâle, et les guerriers germains ne tentèrent ni de prendre la ville, ni même de pénétrer le territoire. Ils défendaient uniquement leur région en démontrant leurs ambitions d’autonomie envers Rome.
Je passais alors la porte pour m’entretenir avec Paskale et Rino.
Mes amis, leur dis-je, un vaste territoire germanique est entré officiellement en rébellion contre l’empire. Est-il possible qu’un territoire appartenant à ce dernier soit en dissidence contre Rome ?
Paskale se réjouissait déjà et éructa : « On va leur faire ravaler leur rébellion à coup d’épée dans la gorge, tu verras chef, ils deviendront doux comme des agneaux » !
Mais je corrigeais : « Non, aucun clan, aucun marché, aucune coalition dans l’empire n’est contre l’empire, de tels rebelles n’existent pas. Nous allons marcher sur ces territoires dissidents, j’ouvrirais des brèches dans les murailles pour toi Paskale, et tu tueras tout ce qui fait mine de vouloir se battre. Pendant que ton armée anéantira la rébellion, Marco et moi, avec nos unités respectives, nous brûlerons tous les villages. Paskale, lorsque tu auras vaincu un des trois grands marchés, tu y mets le feu. Il ne restera plus un seul hameau debout dans ces territoires. Rino, tu arrives avec tes 4 armées, et tu nettoies tout ce qu’il y a de vivant. Les enfants, les paysans, les vieux, les femmes seront déportés à Rome pour nous servir en tant qu’esclaves. Inutile de faire trop d’éclopés Paskale, ils ne nous servirons à rien si on ne peut pas en faire des esclaves. Rino, s’il y a des blessés inutiles, tu t’en débarrasse par la porte des parias. Lorsque nous aurons traversé ces territoires, il n’y aura plus une seule maison ni un seul homme, c’est un territoire vide, de cendres, que nous laisserons derrière nous, car les clans se rebellant contre Rome n’existent pas ! Cette coalition germanique croit encore qu’elle existe, mais ce n’est qu’une illusion. C’est clair pour vous deux ? »
Rino enchérit : « Sur mes 4 armées, j’ai 40'000 guerriers montés, ils peuvent suivre directement l’armée de Paskale pour lui venir en aide sans délai si la situation tourne en sa défaveur. Les 160'000 hommes à pied ratisseront les survivants. »
Paskale objecta qu’il préférait se débrouiller tout seul. Je lui fis tout de même remarquer qu’on estimait l’ennemi à plus de 50'000 guerriers, et qu’ils se battraient sur leur propre territoire. Mais la difficulté n’en était que plus excitante pour Paskale et il déclina l’offre de soutient immédiat proposé par Rino. Pour finir, je leur laissais s’organiser entre eux, en sachant bien, au vu de l’exaltation de Paskale, qu’il ne lâcherait aucune bataille à Rino.
Dès le lendemain à l’aube, nous entamions notre trot vers la ville de Friborg en Brisgo.
Les armées de Rino progressaient à l’arrière, tandis qu’après deux jours de trot, nous arrivions avec l’armée des 30'000 hommes montés de Paskale face à leurs premières lignes de résistances. Elles furent balayées en une matinée d’affrontements. Suite à cette victoire et une nouvelle journée de route, nous nous retrouvions devant l’enceinte du grand marché. Après avoir positionné des rangées d’archets à portée de tir tout autour des murailles, je m’équipais de ma tenue d’attaque pour tenter une avancée afin de percer la muraille à l’aide de Renaissance. Mes archets ne cessaient pas le tir et ma situation proche des murailles en était simplifiée. J’arrivais à ouvrir une brèche pour l’envahissement de la cité, mais ce fut les germains qui sortirent en grand nombre pour nous attaquer. C’était un piège. Des milliers de guerriers sortirent des enceintes tandis que d’autres masses militaires arrivaient on ne savait d’où par l’arrière, prenant l’armée de Paskale en tenaille.
Nous ne pouvions pas attaquer et devions nous contenter d’une défense sur deux fronts. Il me fallait faire des prisonniers pour avoir des informations plus précises sur l’origine d’une telle quantité de guerriers. Je lançais donc un message à l’intention de Marco, qui se chargea de fendre le flanc de l’armée germaine pour se retrouver derrière les positions des guerriers survenus du sud, tandis que j’allais le rejoindre au grand galop avec mes mercenaires en contournant leur cavalerie. En peu de temps, nous pûmes mettre la main sur quelques prisonniers. Trois d’entre eux supportèrent la torture jusqu’à la mort, tandis que le quatrième lâcha l’information qui nous était utile : tous les clans alentours avaient concentrés leurs forces armées dans les villes sous la direction des seigneurs. Tous les guerriers des villages régionaux étaient impliqués dans l’opération !
Je renvoyais l’information à Paskale, il allait devoir mener seul la guerre pendant qu’avec Marco, nous partions incendier tous les villages dépendant du marché, comme convenu. L’idée n’était pas de reprendre la stratégie utilisée jadis contre les clans de Berm pour diviser la coalition, mais si cela pouvait servir, tant mieux. En fait, notre objectif restait le même malgré la difficulté accrue : Réduire en cendre tout le territoire.
Durant tout l’après-midi, nous incendions 11 villages. Mon escouade était fabuleuse de dévouement. A l’approche d’une muraille ennemie, ils m’entouraient comme un bouclier vivant. Trois guerriers se tenaient debout sur leurs chevaux au grand galop entre moi-même et la muraille, boucliers levés ; 5 autres galopaient juste à côté de moi, tenant aussi leurs boucliers en l’air pour m’éviter toute flèche indésirable, et si un projectile arrivait tout de même à traverser cette muraille mouvante, j’étais encore protégé par une armure…
Nous fîmes prisonnier des paysans pour qu’ils nous indiquent l’emplacement des autres villages pendant la nuit, leur promettant que s’ils se montraient fidèles à Rome, ils auraient droit à un traitement de faveur lorsque le territoire serait anéanti. Ceci nous permis de brûler encore 17 villages durant la nuit.
Le lendemain, nous continuions notre travail de brulis jusqu’au soir, et ce n’est que vers 20 heures que nous terminions d’éradiquer tous les clans dépendant de Friborg en Brisgo, à savoir 42 villages.
Nous dormions un peu en cette deuxième nuit de guerre, mais dès l’aube, nous commencions déjà nos attaques des clans dépendants d’Offenburg. Nous ne nous attaquions pas à la ville pour ne pas risquer d’être retardé par des milliers de guerriers probablement planqués à l’intérieur, il fallait attendre que Paskale termine sa guerre contre les guerriers de Friborg afin qu’il puisse prendre en charge ceux d’Offenburg. Cependant, d’après ce que nous savions, la principale ligne de défense du territoire Germain se situait à Friborg. Si cette dernière tombait, les autres suivront plutôt facilement, car le gros des troupes germaines étaient postés au sud du territoire.
Nous arrêtions nos attaques à la tombée du jour, préférant attendre Paskale avant de poursuivre.
A l’aube du quatrième jour, un messager vint me donner des nouvelles de l’armée romaine. Le seigneur de Friborg en Brisgo leva drapeau blanc lorsqu’il apprit que 4 armées supplémentaires s’approchaient par le sud. Paskale s’en fut parlementer avec le seigneur de la ville en lui interdisant de capituler. Mais si ce dernier voulait bien continuer à se battre contre les 30'000 guerriers de Paskale pour voir qui l’emporterait, il était hors de question qu’il subisse une deuxième vague de 200'000 hommes qui arriveraient après la bataille. Selon mon messager, Paskale devint fou furieux de cette capitulation, et il fit promettre au seigneur de Friborg de continuer la guerre si les armées de Rino rebroussaient chemin. Paskale lui promis un statut particulier, une sorte de protectorat autonome dans l’empire, s’il arrivait à battre son armée romaine. Le seigneur accepta le marché, à savoir : Livrer une guerre exclusivement contre l’armée romaine de Paskale, et obtenir l’indépendance de la région s’il vainquait. Paskale envoya alors des messagers à Rino pour lui demander de retourner à Bâle, mais Rino refusa cette entorse à notre plan de bataille et continua son avancée.
Alors l’impensable se produisit : Paskale, ulcéré que Rino puisse lui priver d’une grande bataille, lança toutes ses troupes contre les armées de Rino ! L’armée romaine attaqua au soir du troisième jour la première armée de Rino, qui décida finalement de rebrousser chemin jusqu’à Bâle…
J’étais sidéré ! Qu’allait bien pouvoir inventer Rino pour réconforter les veuves et les orphelins de la perte de leur mari et père ? Ils ont été tués par Rome alors qu’ils obéissaient à un de ses rois : Rino !
Nous rebroussions nous aussi chemin pour voir où en était l’armée romaine dans leur guerre avec Fribord en Brisgo, et au milieu du jour, nous vîmes l’armée de Paskale arriver à notre rencontre. Je lui demandais des nouvelles et après un signe de Paskale, un de ses lieutenants jeta de son cheval un homme à mes pieds.
Le Seigneur de Friborg, me dit Paskale, rayonnant. A l’heure qu’il est, la ville n’existe plus.
Beaucoup de perte de ton côté, lui demandais-je ?
On n’a pas fait les comptes, mais à vue de nez, on déplore environ 6'000 morts, 3'000 invalides, et 5'000 blessés guérissables. Il nous reste un peu moins de 20'000 hommes en état de continuer la guerre, c’est suffisant pour attaquer Offenburg. D’après nos informations, ils disposent de 10'000 hommes à tout casser.
L’ennemi s’est battu jusqu’au bout ?
Ils ont levé le drapeau blanc une première fois à cause de Rino, mais ensuite ils se sont bien battus. Ils ont capitulé avec 5'000 hommes encore valides.
Paskale avait les traits tirés, il était plein du sang de ses victimes, mais il restait très enthousiaste et me conta un peu plus en détail la bataille : Au début, durant la première heure, ils ont essuyé de lourdes pertes, peut-être 3'000 hommes. L’ennemi était équipé de catapultes et de tout le matériel lourd de combat, ils attaquaient depuis la ville au nord et depuis une ligne au sud, la première heure fut un enfer pour l’armée romaine. Paskale concentra alors ses troupes à briser la ligne du sud, et dans les combats au corps à corps, l’enfer s’éclaircit un peu. Lorsque la ligne du sud tomba, la guerre devint plus loyale entre son armée et celle de la ville, qui disposait néanmoins encore de tout le matériel de guerre, mais avec un gros trou dans la muraille. C’est à peu prêt à cet instant que les messagers de Friborg apportèrent la nouvelle des innombrables troupes de Rino qui approchaient, et que le seigneur de la ville leva une première fois le drapeau blanc.
Il y eu un cesser le feu, et Paskale proposa à l’ennemi une guerre loyale, uniquement entre leurs armées respectives. Le seigneur exigea alors quelques garanties, notamment celle que les armées de Rino rebroussent chemin. Rino refusa d’obéir et Paskale dû le charger pour lui faire entendre raison. L’absence de l’armée romaine à Friborg permis à l’ennemi de se réorganiser, et le deuxième assaut sur la ville fut lui-aussi dévastateur pour notre armée.
Ça dépassait mon entendement, que deux armées impériales doivent s’entre-tuer était un non sens !
Beaucoup de pertes chez Rino lors de votre raid, lui demandais-je ?
Quelques centaines, il n’a pas trop tardé à faire marche arrière lorsqu’il comprit que mon intention de le faire reculer ne fléchirait pas.
Il a riposté à ton attaque, m’enquis-je ?
Non, il n’a pas osé aller jusque là, il s’est contenté de rappeler ses troupes et de retourner en arrière. Ça aurait été plus simple qu’il obéisse à mon messager, se désola Paskale.
Il va m’entendre cet abruti, m’emportais-je, si je l’avais sous la main maintenant, je ne sais pas ce que je lui ferais, mais pas du bien. Bon, eh bien bravo pour ta victoire, maintenant que tu es là, on va pouvoir passer à l’attaque contre Offenburg. Pense à renvoyer un messager à Rino pour lui dire de revenir ratisser les survivants.
C’est déjà fait, m’annonça Paskale.
J’ouvrais alors une brèche dans l’enceinte d’Offenburg, laissais Paskale mener la guerre, et reprenait avec Marco notre entreprise pyromane sur tous les clans avoisinant. Une flèche parvint à se faufiler entre les boucliers de mes mercenaires, puis traversa encore mon armure en passant entre la jointure du coude pour venir se ficher dans mon biceps gauche. Ce n’était pas grave, juste douloureux. Comme prévu, la guerre fut plus aisée ici pour Paskale, et en une journée, il avait terrassé l’ennemi. Nous laissions les survivants vaquer dans la lande pendant que leurs villes et villages étaient dévorés par le feu.
Le lendemain à l’aube, nous pressions le pas pour atteindre le marché de Stuttgart, mais ne nous l’atteignons qu’au milieu de la nuit.
Dans la nuit, les villages étaient facilement repérables grâce à leurs feux d’éclairage. Nous en incendions huit avant l’aube, qui se leva sur un brouillard de fumées s’étirant sur l’horizon.
Je mettais alors en mouvement notre unité des milles, accompagnée de l’armée romaine de Paskale, et nous marchions vers le marché de Stuttgart. Ils avaient bien entendu été informés du sort de Friborg en Brisgo ainsi que de celui d’Offenburg, et décidèrent de poser les armes. Nous trouvâmes les portes de la ville et des clans ouvertes, les guerriers désarmés. Le seigneur de Stuttgart m’offrit sa couronne à genou.
Les messagers qui arrivaient de la part de Rino faisaient état de la capture de plus de 60'000 esclaves mâles des clans de Friborg en Brisgo et d’Offenburg, alors je décidais de faire preuve de clémence avec les habitants de Stuttgart : je ne prenais que les autorités et leurs familles comme esclaves, tout en accordant l’armistice aux guerriers et leurs familles. Cependant, le seigneur de la ville, les chefs de clans et leurs familles, les conseils des anciens et leurs familles, le conseil des matrones et leurs familles, tous ceux qui avaient à faire de près ou de loin avec les anciennes autorités du marché et des clans alentours furent enchaînés pour déportation. Je laissais néanmoins la ville, les villages, les hommes et les femmes saufs, …et libres. La seule condition était qu’ils reforment de nouveaux gouvernements fidèles à l’empire. Paskale protesta un peu contre ma molesse, mais les nouvelles d’autres armées qui étendaient l’empire me parvenaient en indiquant de grosses prises d’esclaves là-aussi. Nous aurions ainsi notre quota, et j’étais décidé à montrer à ces Germains que Léopold pouvait bien être dur et sans pitié, en rasant purement et simplement des clans et marchés de la surface du globe, il n’en demeurait pas moins que je savais aussi être clément et miséricordieux avec ceux qui reconnaissaient leurs fautes et s’en repentaient.
A cette occasion, l’idée de participer personnellement au renouvellement des pouvoirs locaux me vint à l’esprit. Je choisirais moi-même le nouveau seigneur de Stuttgart et déclarais que le plus valeureux champion de n’importe quel clan rattaché à ce marché deviendrait le nouveau seigneur. Cinquante quatre clans gravitaient autour de cette ville, sans compter les 8 déjà brûlés, donc 54 champions en titre. Comme dans notre vallée, chaque année, ils organisaient un grand tournoi pour connaître le champion des champions du marché. J’ordonnais alors un duel contre les 4 meilleurs finalistes en date. Celui qui me battra sera déclaré chef du marché. Si aucun d’entre eux n’en venait à bout, j’avais autorité pour fixer la fin des joutes et aurait loisir de choisir celui que je considérais comme étant le meilleur.
Ce n’était pas des duels à mort, mais de simples joutes de succession. Mon bras gauche ne me faisait plus souffrir à la suite de la blessure de Gianfranco, il n’avait rien perdu en force, mais sa mobilité était considérablement réduite. Depuis cette blessure à l’épaule quatre mois auparavant, je m’étais rééduqué avec Rino, Paskale et quelques autres proches. Je maniais en fait les armes des deux mains et l’utilisation de l’épée par la main gauche était une discipline parfaitement assimilée depuis longtemps. Toutefois, depuis cette fameuse blessure, je ne pouvais plus lever mon bras complètement, ce qui réduisait les possibilités d’attaque à la lame. Je me contentais donc du bras gauche pour le bouclier et des armes de tirs comme l’arbalestre.
De plus, une flèche m’avait transpercé le même bras durant l’assaut contre un clan d’Offenburg. Je m’étais occupé de le faire désinfecter et bander juste avant l’aube, mais elle me faisait toujours souffrir. J’avais également plusieurs journées de chevauchées, d’affrontements et plusieurs nuits de veille derrière moi, j’étais fatigué, mais la difficulté m’intéressait vivement. Peut-être cette ancienne manie de ne combattre que contre quelqu’un susceptible de me battre...
Mais au fond, je crois que j’étais tout simplement curieux de voir si dans un état pareil, un de ces champions nordique pouvait me vaincre ? Je ne risquais rien, au mieux de gagner, au pire de perdre, et de donner aux habitant locaux l’image d’un empereur courageux et beau joueur. De toute façon, il fallait que je participe à la mise en place du nouveau gouvernement de cette ville, et il m’apparût plus élégant de le faire à la suite de joutes. Le peuple manifesta sa satisfaction, il était curieux de me voir à l’œuvre, car ma réputation m’avait précédée, et il ne tenait qu’à moi de défendre cette réputation sous leurs yeux.
Je laissais alors Renaissance, et Paskale me prêta son épée. Avec la blessure de la veille à mon bras gauche, j’arrivais à peine à tenir un bouclier. Mon premier adversaire était le dernier champion en titre du marché. Il déclina le bouclier pour un boulier. Le boulier pouvait être très dangereux s’il atteignait la cible, mais le guerrier qui s’en servait devait être totalement maître des techniques de manipulation de cette arme s’il ne voulait pas la perdre prématurément.
Il commença par une attaque de quelques coups techniques à l’épée, gardant le boulier derrière lui. Les passes d’armes étaient sincères et vigoureuses et je découvrais là un adversaire intéressant. Croyant trouver une ouverture, il usa précipitamment de son boulier. Dans son attaque quasi simultanée avec l’épée et le boulier, il concentra toute sa force sur ce dernier et j’écartais bien vite sa lame en reculant, évitais les boules, puis emmêlais mon épée dans les chaînes du boulier. Dès la première attaque, je lui avais déjà arraché cette arme des mains, et elle tomba parmi le public. Ne lui restait que l’épée. Je laissais moi aussi mon bouclier à terre car mon bras transpercé était encore trop douloureux. Le bouclier me gênait plus qu’il ne m’aidait. Nous nous retrouvions ainsi à armes égales, même si j’étais sans doute plus fatigué et souffrant que lui.
Je n’attaquais jamais, mais face aux multiples passes de mon adversaire, j’eus une impression sensationnelle. Mon épée, comme si elle faisait partie intégrante de mon bras, répondait mécaniquement à toutes tentatives de pénétration de la lame ennemie. Il pouvait être rapide, je n’avais qu’à regarder son corps et ses yeux, pour voir avant même le mouvement ce qu’il allait faire. Il pouvait être tactique, je parais à chaque fois instinctivement avec la précision d’une machine romaine. Il ne pouvait absolument rien faire qui puisse me nuire, je lisais son jeu comme Barnabé lit les signes. Quant à moi, je ne faisais aucun jeu. Un peu dans le brouillard après quelques pertes de sang et des nuits sans sommeil, je me contentais de répondre aux questions de son livre ouvert... Je pouvais le tuer quant je le désirais, car entre les pages de son jeu, je voyais ses erreurs comme si elles étaient soulignées. J’aurai pu les exploiter facilement mais je ne voulais pas le tuer, et la victoire en devenait plus difficile.
Mon unique idée était de me saisir du bouclier par terre, de l’envoyer avec toute la force qu’était encore capable mon bras gauche dans ses jambes pour qu’il chute, et enfin, l’assommer purement et simplement. Par une digne attaque, je le contraignis à reculer, puis me saisis du bouclier par terre, et alors qu’il revenait à la charge, je fis une rotation complète sur moi-même à grande vitesse, propulsais le bouclier de toutes mes forces dans ses tibias, et comme prévu… il chuta. Je l’assommais enfin avec le pommeau de mon épée... Enfantin !
Pour les trois suivants, je ne prétendais plus à gagner. Je les laissais essayer de me vaincre, mais le premier combat ayant été fade, j’étais las et n’avais plus l’intention de produire de grands efforts ou imagination pour triompher. Marco riait en suivant les mouvements, il se permettait de commenter : « Jolies parades Léopold, mais c’est quoi pour du boulot ? Allez mon vieux, un peu de gymnastique pour faire honneur au maître », mais je lui rétorquais que je n’en avais ni l’envie, ni le besoin, je me contentais d’assurer le service minimum, au détriment du spectacle peut-être, mais je restais efficace. Quant à mes adversaires, il ne restait que les premiers assauts et quelques passes tactiques qui m’intéressaient, mais leur jeu devenait vite ennuyeux. Après avoir observé l’adversaire et ses jeux, je laissais mon bras droit défendre toute ma personne, et comme d’instinct, il le faisait parfaitement. Lorsque j’en décidais, le combat était stoppé. Ils obtinrent chacun tout de même le temps qu’il leur aurait fallut pour me battre, mais non seulement, aucun n’en vint à bout, mais de plus, ils se retrouvaient dans une situation de victoire impossible. J’étais sidéré, étonné de moi, pareillement à une mécanique, mon corps était réglé au combat comme peut-être aucun autre. Même dans de si piteuses conditions, les réflexes au fond de moi ne m’abandonnèrent jamais, ils suppléèrent si bien la fatigue et ma douleur que je me permis de gifler en plein visage un de mes adversaires avec le plat de mon épée, tout en l’insultant pour son erreur : « Pauvre abruti ! Protège au moins ton visage si tu n’es pas foutu d’attaquer correctement ! »... Un observateur traduisit la remarque, et les spectateurs éclatèrent de rire tant le champion en question fut ridiculisé.
Après ces quatre duels, je décidais de l’homme qui m’avait fournit la meilleure impression, et le déclarais chef du marché. C’était peut-être la première fois qu’un homme devenait chef en perdant son duel, mais tous les germains se sont rendu compte que leurs meilleurs champions en pleine forme valaient moins qu’un empereur romain blessé, et c’est ce qui comptait. Le message était passé, leurs anciens chefs devenus esclaves, les nouveaux furent suffisamment subjugués par ma maîtrise des armes pour rendre allégeance de suite à mon autorité. Après ces combats, il devait être aux alentours de 10 heures du matin, et j’ordonnais qu’on nous rôtisse une vache sur la place et qu’on nous apporte du vin pour moi et mes compagnons, histoire de fêter nos victoires germaniques.
Après quelques cruches de vin, et alors que nous commencions tout juste à profiter de cette ivresse joyeuse, Rino se pointa dans la ville à la tête d’un petit bataillon d’une cinquantaine de guerriers. Ses armées étaient toujours entrain de parcourir les territoires dévastés à la recherche de nos nouveaux esclaves.
Il se dirigea droit vers moi en roulant des regards terribles à l’attention de Paskale, …s’il avait pu fumer de rage par les narines et les oreilles, on aurait eu droit au brouillard sur la ville… Il se contenait à grand peine et entreprit de me faire part de ses griefs à l’encontre du roi de l’armée romaine. Je lui laissais dire deux phrases avant de m’emporter dans une litanie de jurons que je ne reproduirais pas ici, et il fit silence. Alors, je lui déclamais tout de même l’objet de mon courroux : « Sacrebleu Rino, non mais t’as pété les plombs ou quoi ? On est où ici ? On est dans l’empire non ? Sur un territoire conquis depuis presqu’un an, pas vrai ? » Ce dernier acquiesca. « Alors, continuais-je, qui est le roi des guerres de l’empire ? C’est toi ? C’est Sérafino ? C’est Patrik ? Non, ce n’est ni toi ni eux mais Paskale ! Et lui seul est en droit de décider s’il y a lieu de mener une guerre, de la stratégie à entreprendre, et de faire appel à l’aide d’un autre roi tel que Marco, Patrik ou toi-même s’il le juge utile ! Paskale te demande de retirer tes troupes, tu retires tes troupes sans discuter son ordre, c’est clair ou bien il faut te l’expliquer autrement ? »
Oui mais nous avions décidé à Bâle que…, tenta-t-il de se justifier avant que je ne le coupe sèchement.
Ce que nous avions décidé à Bâle c’était que je lui ouvre des brèches dans les villes, qu’il mène la guerre comme bon lui semble, et que tu passerais nettoyer les territoires de ses habitants ensuite pour en faire des esclaves ! C’est tout ce que nous avions décidé à Bâle ! Tu as proposé ton aide, Paskale a décliné ton offre, point final. C’est quand même un comble qu’il doive lancer son armée contre les tiennes pour que tu comprennes enfin qui commande à l’intérieur des frontières de l’empire !? Et si Paskale se permettait d’aller s’amuser à guerroyer en dehors de l’empire pour te voler la vedette sur l’élargissement du territoire, il serait en tord et je te défendrais. Mais en l’occurrence, tu n’étais impliqué dans ce conflit qu’à titre d’aide technique pour capturer les survivants, précisais-je encore !
Oui mais avec notre retour en arrière, se justifia-t-il encore, les survivants auraient pu s’enfuir et nous échapper.
Alors là je n’en croyais pas mes oreilles : « Non mais tu débloques ou quoi, lui demandais-je ? T’as vu dans quel état on a laissé la région après notre passage ? Il ne reste que des cendres bordel de merde ! Tu crois vraiment qu’un clan ou un marché fidèle à Rome aurait donné asile à ces rebelles ? Ils les auraient capturés avant de nous les remettre, c’est une évidence. Alors arrête maintenant tes tentatives de justifications, tu n’en as aucune. Par ta faute, plusieurs centaines de femmes et d’enfants sont veuves et orphelins maintenant, et avant de partir vers une porte de téléportation aux frontières de l’empire que Pakale vous a gracieusement installé il y a quelques temps, tu rentres à Rome par cette porte-ci (on avait installé une porte mobile sur la place centrale de Stuttgart), et tu t’excuses auprès des veuves ! Ensuite, tu organiseras tes guerres d’extension, et Paskale ne viendra pas mettre son nez dans tes affaires. La discussion est close sur ce sujet. Combien d’esclaves tu as expédié à Rome ?
Mes armées ratissent encore les territoires, mais on doit être à plus de 120'000 maintenant, en comptant les femmes et les enfants.
Parfait, concluais-je, bon travail ! Et ah au fait, pendant que tu es à Rome, dit au gouverneur de nous préparer un triomphe sur l’avenue de la basilique, Paskale défilera avec toute l’armée romaine victorieuse, et je veux que le peuple soit là pour l’acclamer !
Rino l’avait sérieusement de travers, ça se voyait bien, mais toujours fidèle à la hiérarchie, il ne protesta pas, se contentant de demander : « Il vous organise ce défilé pour la fin d’après-midi ? »
Non, répondit Paskale, aujourd’hui on fête et on boit, demain en fin de matinée ça sera parfait, on aura la nuit pour dessaouler et nous présenter face au peuple frais et rasé.
Rino prit note et disparût par la porte.
Après la désignation du seigneur de Stuttgart, je laissais les guerriers décider de la succession pour les autorités de tous les clans rattachés au marché. Pendant que les champions organisaient de nouveaux tournois de successions pour notre plus grande distraction, nous terminions la vache. Les gouvernements de tous les clans de cette partie du monde furent changés. J’en profitais pour me remettre de mes efforts, boire à notre victoire, et faire soigner ce qui ne deviendra bientôt qu’une nouvelle cicatrice de souvenir.
A la suite de ces joutes et de la désignation des nouvelles autorités, qui avaient duré jusque tard dans la nuit, tous les nouveaux chefs de clans reconnurent leur appartenance et soumission à l’empire romain. Au matin, nous installions la porte de téléportation qui était provisoirement posée sur la place, directement dans la citadelle du marché de Stuttgart. En la franchissant, je me retrouvais directement par devant Rome, sous un soleil radieux. Les prétorians préposés à la garde de la porte de Rome m’accueillirent avec déférence, et je les informais qu’après le passage de toute l’armée romaine, ils allaient recevoir un joli paquet d’esclaves qu’il s’agissait d’encadrer correctement.
Toute l’armée romaine traversa alors la porte pour se présenter par devant Rome. La porte principale leur fut ouverte, et la foule se pressait sur tout le parcours pour acclamer nos guerriers. Toute l’armée défila sur leurs montures, tous les blessés incapables de monter ou de marcher étaient portés sur des civières, et ils eurent aussi droit à leur heure de gloire. Paskale ouvrait la marche, mais il avait mis sa petite touche d’originalité personnelle en s’installant sur un petit char, lui-même tiré par 6 seigneurs et chefs de clans vaincus, qu’il cravachait à l’envi. Derrière l’armée romaine, Marco et moi marchions avec nos unités. Ce fut un beau triomphe, le premier de la sorte à être organisé dans les murs de Rome depuis notre installation, et cela plût au peuple : Les victoires et la liesse.
Sur le soir, je retournais à Stuttgart par la porte, et ordonnais à tous nos prisonniers d’y entrer. Les anciens seigneurs, chefs, conseils et leurs familles de Stuttgart et de ses 54 clans alentours représentaient 2'700 esclaves supplémentaires de ceux qui allaient bientôt être envoyés par Rino. Notre petite intervention Germanique apporta ainsi plus de 60’000 mâles adultes pour nos besoins de main d’oeuvre à Rome, et en comptant les femmes et les enfants, nous devions avoisiner le chiffre de quelques 200'000 prisonniers. Ce n’était pas encore suffisant, mais avec nos campagnes d’agrandissement de l’empire qui débutaient un peu partout, je m’attendais à de futures arrivées massives d’esclaves.
Dans la foulée, et puisque les nouveaux chefs de Stuttgart semblaient bien décidés à se plier à notre juridiction, je demandais à la porte de changer sa destination d’atterrissage… Et là, comme pour celles installées à l’intérieur de Rome, la porte me répondit : « Léopold Paralamo, identification confirmée ! Empereur, vous pouvez choisir votre lieu d’arrivée » ! Je demandais alors de sortir au sommet de la grande croix, et lorsque la porte me confirma le changement de destination, j’entrais en enjoignant tous les nouveaux chefs de me suivre. Complètement éberlués, par le prodige, ils me firent confiance et s’engouffrèrent dans la porte.
Je leur fis découvrir Rome, depuis la croix et depuis les bulles. Ils en étaient époustouflés et deviendraient pour sûr de fidèles serviteurs de la cité.
Je profitais de ce succès diplomatique pour mettre en oeuvre mon système de gardiens de l’ordre. Ils furent choisis parmi les guerriers, qui quelques jours plus tôt étaient près à nous combattre. Barnabé avait pré-établi une hiérarchie dans leur organisation. Je les délivrais du devoir d’obéissance à leur chef pour qu’ils appliquent et fassent respecter les lois romaines à toute la population, y compris aux autorités. Comme prévu, les gardiens de l’ordre devinrent un organisme indépendant des prérogatives de leur clan, et en cas de tumulte, ils auraient l’appui de la nouvelle garnison romaine régionale, l’ancienne ayant été massacrée lors de mon premier passage à Fribourg en Brisgo.
Ceci fait, Rino et ses armées s’en furent aux confins de l’empire pour poursuivre leur campagne, tandis que je reprogrammais la porte pour une arrivée en dehors des enceintes romaines. Puis, je rentrais à Rome depuis cette même porte en ordonnant au nouveau seigneur de Stuttgart de veiller sur cette porte comme sur la prunelle de ses yeux !
Une fois à Rome, je laissais le soin aux sénateurs de gérer notre formidable lot de main d’œuvre, en leur demandant de les installer hors de murs de Rome, et de marquer chaque esclave au fer rouge sur le front, d’un signe de deux maillons qui se croisent, histoire de signifier leur appartenance prisonnière à l’empire. Cela limiterait sérieusement les risques de fuite, car sitôt identifiés par quelque clan que ce soit, les éventuels esclaves fugitifs seront immédiatement repris et rendu à Rome. Cependant, je donnais la charge à Barnabé de fixer leurs conditions de vie. Je tenais à ce que ces captifs aient droit à un minimum de dignité, et je savais que pour cela, je pouvais compter sur la bienveillance que le vice-gouverneur avait pour le genre humain.
Ceci fait, je fus invité par Sérafino sur un immense quatre mats romain qu’il avait apprit à manoeuvrer. Il ne fallait pas moins de deux cent matelots pour faire avancer ce navire, et malgré les vagues qui battaient la coque, nous ressentions à peine le roulis tant le navire était énorme. Pour chaque navire, Sérafino avait sélectionné deux capitaines, un principal et son second, qui tous avaient participé aux cours de Bartoloméo, le scribe ami de Barnabé. Il leur déchiffra tous les livres de marine et ils s’entraînèrent à mettre en pratique tous ces enseignements. Des équipages avaient également fait leurs premiers pas sur ces navires et d’ici peu, nous pourrions disposer d’une flotte phénoménale et opérationnelle. De la sorte, nous commencions sérieusement à étudier les premiers plans de mission de la flotte.
Nos réunions se déroulaient toujours dans l’hémicycle avec les 103 pères de l’empire présents à Rome ou leurs représentants s’ils étaient absents, plus Armadé, Marco et Barnabé.
Armadé avait pris quelques dispositions d’ordre, et durant mon absence, il ne cessa de voir arriver des colonnes de parias, traversant la basilique, pour disparaître dans leur pays d’accueil maudit. De plus, une grande quantité de femmes stériles nous étaient rendue en de bonnes dispositions pour la maternité.
Monié apparût à Rome durant mon absence et j’eus grand plaisir à le retrouver. Il souhaitait quelques richesses, mais je ne lui laissais emporter aucun joyau hors des murs. En lieu et place d’une récompense sous forme de trésor pour sa participation dans notre aventure, le grand marchand reçu un palais magnifique dans un grand parc de l’ouest de Rome, près de la mer.
Le conseil des pères devait maintenant statuer sur une éventuelle participation du marchand au pouvoir de l’empire. Il fut un élément important pour la réussite de notre épopée, et même s’il n’y avait pas participé personnellement, nos armes de marchand nous rappelaient sans cesse sa présence. Nous décidions donc que Monié aurait la tâche d’organiser tout le commerce romain, par mer et par terre, ce qu’il accepta avec enthousiasme. En guise de titre, je le sacrais roi du commerce impérial.
Nous parlions également des progrès de Sérafino et décidions d’entreprendre des découvertes. La première qui s’imposait d’emblée était de connaître les pays entourant la grande mer du sud. Sérafino reçu carte blanche pour organiser ces premières découvertes.
De notre côté, nous avions déjà reçu pas mal de commandants de garnisons de campagne ayant abusés de leurs prérogatives. Les suspects furent enfermés à leur arrivée, et nous devions débattre de leur cas au conseil. Le fait d’abuser de l’autorité romaine envers les autres était-il une trahison à l’esprit de la loi ? La réponse était oui. Toutefois, comme nous l’avait suggéré bien à propos Barnabé, nous avions établi l’esprit de cette loi alors que les commandants indélicats n’étaient pas à Rome et ne pouvaient donc pas la connaître..., et comme m’avait dit Paul la première fois que je fus devant lui, “Si tu ne connais pas nos lois, tu ne peux pas les respecter”. Je décidais donc d’être clément cette fois-ci en interprétant cela comme un simple abus de pouvoir de nos anciennes règles. Lorsque toutes les garnisons furent arrivées et les coupables séparés des innocents, j’organisais ce qu’on appela plus tard : « Le jour du grand châtiment ». Tous les responsables de crimes, viols, et autres exactions sur les populations des clans et des marchés furent réunis dans le Colisée pour recevoir le salaire de leurs forfaitures. Tous grades confondus, ils étaient 8'690 personnes.
Ils entraient dans le grand cirque par groupe de 500, escortés par des prétorians, pour y recevoir chacun trois douzaines de coup de fouet et une averse d’alcool sur le dos à la fin histoire de désinfecter... Le public venait observer pendant un moment ce triste spectacle, puis repartait, laissant la place à d’autres curieux. Il n’y avait rien d’intéressant à voir, pas l’ombre d’une joute ni d’un duel, il ne s’agissait que d’une monumentale punition qui se poursuivit tout au long de la journée et jusqu’aux dernières lueurs du jour. Quant à moi, j’assistais au châtiment jusqu’au bout, pour donner mon pardon aux groupes de 500 lorsqu’ils quittaient l’arène, le dos ensanglanté. Une fois pardonnés et ayant juré de modifier leur comportement, les coupables purent aller jouir de leur séjour à Rome au sein de leur famille, avant de réintégrer leur régiment pour de futures campagnes.
Politiquement parlant, je m’éloignais de plus en plus des pères sénateurs. Certains fils des guerriers morts durant l’épopée ayant atteint leur majorité siégeaient déjà au conseil, et sous la gouvernance d’Armadé, ils étaient à même de bien gérer la ville et l’empire. En fait, à part quelques fidèles que je considérais comme faisant partie de ma famille et qui avaient ma plus totale confiance, les autres me laissaient plutôt indifférents. Ceux qui avaient autorité pour parler en mon nom étaient Paskale, Armadé, Marco, et toi Barnabé. Je nourrissais aussi une affection particulière pour Monié, qui siégeait maintenant sur l’estrade des rois dans l’assemblée des pères sénateurs.
En définitive, le conseil se contentait d’émettre des propositions et autres suggestions, tandis que je détenais finalement un pouvoir sans partage sur eux-mêmes, et sur le reste du monde. Mes quelques fidèles suffisaient à faire respecter les lois que de plus en plus, j’élaborais seul ou en demandant conseil à l’un ou l’autre de ces proches, sans l’avis du conseil, qui ne faisait que prendre acte et avaliser mes décisions. Mes plus fidèles me côtoyaient encore journellement, tandis que les autres comprenaient qu’ils ne faisaient pratiquement plus partie du pouvoir décisionnel, se contentant de la gestion de l’empire. Personne ne contestait mes positions, sauf peut-être Armadé, qui pouvait me demander de mettre de l’eau dans mon vin, et toi, Barnabé. Vous disposiez tous deux des finesses intellectuelles dont je ne bénéficie peut-être pas. Les autres, hors de mon cercle d’amitié privilégié, me respectaient d’après la crainte ou l’admiration que je leur inspirais. Les pères les plus anciens n’avaient guère plus de 38 ans, sauf Monié et Armadé, et aucun n’était en mesure de me battre, même avec mon bras gauche diminué et mes multiples blessures. Cela était bon, car aucun d’entre eux n’avait l’idée incongrue d’abuser de son statut d’intouchable pour pervertir la loi. Je décidais alors de les faire juges de Rome et des affaires de l’empire qui pouvaient être portées jusqu’ici. En cas de mauvaise conduite de l’un des pères sénateur, je punirais sans état d’âme. Mon statut particulier n’était jamais discuté, et personne ne songeait à me faire une quelconque remarque quant à l’utilisation de mon pouvoir. C’était intéressant, mais je restais seul, entouré uniquement de mes amis les plus proches et de ma famille.
Depuis mon retour à Rome, je n’étais guère plus enthousiaste qu’auparavant aux longues réunions des pères sénateurs. Je préférais décider ce que j’avais à décider, parler peu, et quitter la salle du conseil au plus vite. Marco et Paskale n’étaient pas non plus très assidus à ces réunions, et nous nous retrouvions souvent ensemble. Depuis notre campagne en germanie, le tandem Marco-Léopold se transformait en trio avec Paskale.
Il me semble que ce n’est que depuis ce retour que je pris véritablement la mesure de ce que signifiait cette ville. Durant nos quelques jours en Germanie, tout ce que je vis ne fut qu’un pâle visage de l’humanité. Des villes et villages sales, désorganisés, mal construits, laids..., alors que Rome reflétait la plus haute forme de perfection des capacités humaines. Je repris mes balades habituelles dans les rues et les bâtiments de la cité, désormais presque vide de guerriers. L’impression que je ressentais était elle aussi étrange. Tout ce dont les humains avaient fait ici dépassait mon entendement. En lieu et place du splendide guerrier, je redevenais comme un enfant, émerveillé devant ces choses autrefois inimaginables et aujourd’hui sous ma responsabilité. Je pouvais être invincible par les armes, mais j’étais minuscule face à cet art. En général, peu de choses dans la vie m’impressionnaient, mais cette cité me subjuguait. Elle m’interrogeait aussi. Serais-je capable de recréer un monde à l’image de Rome ?
Depuis la découverte du palais des arts, où tout y était expliqué, une idée avait grandit en moi : le monde ressemblerait à Rome, d’une manière ou d’une autre. Deux semaines après mon retour de campagne, je réquisitionnais tous les scribes libres pour déchiffrer les plans et comprendre comment les romains avaient fait pour que de pareils édifices ne s’écroulent pas. Ils seraient chargés d’examiner les livres et constructions romaines, de relever les lois physiques qui font tenir ces masses, et d’enseigner cette science aux fils de nos guerriers qui ne seraient pas retenus dans l’armée. Les plus doués deviendront des maîtres constructeurs, pour s’en aller par la suite de part l’empire superviser les constructions que je me promettais d’entreprendre dans nos villes provinciales. Les villes romaines ne ressembleraient plus à celles du Grand Chaos.
Etant donné que nos garnisons de campagne et nos gardiens de l’ordre régionaux assuraient la sécurité et la paix de l’empire, les guerriers claniques n’avaient plus lieu d’exister. Les meilleurs combattants entreraient dans les forces des gardiens de l’ordre, les paysans resteraient paysans, et les guerriers traditionnels se convertiraient pour aider nos maîtres bâtisseurs à leurs constructions. Au lieu de faire la guerre et de détruire, ils bâtiront ! Ce statut devait être au moins autant considéré que celui du guerrier d’avant, car ce serait ces bâtisseurs qui changeront le visage du Chaos.
Chaque jour, en utilisant les portes de téléportation, j’allais voir mes armées sur le front du nord, de l’est et de l’ouest. Je passais quelques instants avec Rino ou d’autres généraux, m’informais de leur avancée et de la résistance des régions, donnais des avis ou prenais part de temps en temps à une attaque lorsque l’envie de me battre me submergeait. Nous recevions également un sacré flot de parias et d’esclaves de tous les coins de l’empire, qui arrivaient dûment escortés, au travers de notre porte extra-muros au nord de Rome. Le flot était parfois si important que les portes de départ se bloquaient en attendant que la porte d’arrivée se libère. Pour remédier à ces embouteillages, ce n’était plus une seule porte d’accueil mais dix, qui furent positionnées en dehors des murs. Les parias disparaissaient ensuite dans la crypte de la basilique, tandis que les esclaves étaient conduis sur leur lieu de labeur, en général dans les champs dans et hors de la ville. Pour surveiller ces esclaves, Armadé avait réquisitionné quelques milliers de guerriers faisant office de maîtres esclaves.
De plus, depuis le retour des garnisons de campagne qui furent relevées récemment par de nouvelles forces, et après la grande punition, je demandais à Armadé de faire vivre le grand cirque du Colisée. Je souhaitais qu’il soit utilisé tous les dimanches pour les tournois des jeunes et autres animations, afin que le peuple puisse se divertir et se retrouver. De mon côté, je promettais d’être présent dans l’arène régulièrement afin de dispenser mes compliments, conseils ou réprimandes aux jeunes guerriers, ainsi que jouter un peu avec ceux qui seront les plus remarqués. Cette annonce produit un bon effet sur la population de Rome et le spectacle fut au rendez-vous. Bien que je continuais mes petites promenades dans Rome avec Victorio et que je rencontrais toujours quelques familles, ces journées de divertissement me permettaient d’être en contact avec une grande partie du peuple.
En dehors de la ville, mes armées avançaient, étendaient l’empire sans moi, les voies de communications se sécurisaient, et le monde, comme la vie des hommes, changeaient chaque jour. Les villes sur le passage des armées tombaient à nos pieds les unes après les autres, et leurs chefs recevaient souvent l’autorisation d’utiliser une des portes réparties dans nos armées pour venir voir la cité et me rendre hommage. Je les accueillais avec bienveillance, les prétorians les guidaient pour un voyage en bulle et on les renvoyait chez eux. L’empire se vidait des parias qui disparaissaient tous par la porte sans retour dans la basilique. Les seules qui revenaient étaient les femmes infertiles qui nous étaient rendues guéries presque aussitôt ! Mais elles ne nous étaient d’aucune utilité pour obtenir des informations sur le pays des parias, car aucune ne voyaient rien durant leur bref passage de l’autre côté. Tout au plus, certaines gardaient le souvenir d’une grande lumière, avant de perdre connaissance, pour ne retrouver leurs esprits que face à une porte qu’on les poussait à franchir immédiatement.
Nos écoles d’artistes et de bâtisseurs étaient pleines de jeunes, ils apprenaient à lire, à écrire, à construire,… le monde se préparait activement à muer, et c’était encourageant pour la suite. Le souverain pontife avait bien souligné que l’art était l’expression visible de la supériorité de l’homme sur l’animal… Les animaux se battaient, et comme eux, je ne savais que me battre et faire la guerre. Je ne pouvais pas bâtir une nouvelle civilisation en partant uniquement du principe de la force. Ce mode de pensée avait toujours été appliqué dans le Grand Chaos. Au contraire, je devais innover et ne pas construire qu’une juridiction, mais aussi une nouvelle manière de voir la vie, et de récompenser la grandeur de l’esprit humain autant que la force. Néanmoins, tout ce que j’avais appris était à l’opposé d’une telle doctrine. Je voulais bien privilégier l’art et la culture, mais moi-même n’étais qu’un guerrier, célèbre peut-être, mais qu’un guerrier. Cela faisait partie des sentiments très mitigés que me laissait cette ville. D’un côté, j’étais heureux d’avoir Rome, d’être le premier guerrier à réveiller le chaos pour l’organiser. Mais d’un autre, du haut de sa splendeur, la ville me regardait comme un insecte. Rome reflétait tout ce dont j’étais incapable. En quelques sortes, lorsque j’étais ici, je ressentais comme une gêne personnelle, et, lorsque ce malaise persistait un peu trop, je fuyais la ville par une des portes pour me retrouver dans mon milieu naturel : un champ de bataille en quelque part dans le monde, en compagnie de mes armées.
L’idée de partir en exploration avec Sérafino et ses navires n’était pas non plus pour me déplaire. A vrai dire, l’exploration maritime à une telle échelle était une nouveauté totale pour nous. Nous n’avions aucune idée de ce que nous trouverions de l’autre côté des mers. Il y avait bien les cartes romaines, mais elles ne nous indiquaient rien quant aux peuplades vivant dans ces contrées.
A l’époque de cette première exploration, j’allais sur mes 27 ans et j’eus l’heureuse surprise de devenir père une nouvelle fois juste avant notre départ. C’était un troisième fils, et je le nommais Paul, en l’honneur de cette ville où il fut conçu peu de temps après l’arrivée de Sabrine. C’est sans doute le premier véritable Romain conçu et enfanté à Rome après notre prise de la ville. Ma satisfaction était donc totale et le petit Samuel, qui grandissait, manifestait son envie de partir en mer avec nous. Mais il était encore trop petit pour ce genre d’expédition, et tous mes espoirs étaient fondés sur Victorio qui embarquerait avec moi, et qui devait prendre les reines de l’empire à ma mort. Victorio était un extraordinaire petit guerrier de bientôt 12 ans, ayant déjà assimilé les grandes stratégies et manoeuvres de troupes durant nos campagnes. Il savait également lire et écrire les signes de Barnabé, et se montrait brillant autant dans sa capacité à combattre que dans son intelligence. Nous parlions souvent ensemble, et il savait déjà quelles seraient ses responsabilités plus tard : étendre l’empire sur le monde entier, le civiliser, et rester digne en attendant le retour du pape. Le seul handicap de Victorio était peut-être un léger manque de charisme, d’autorité, et de confiance en lui. Mais je ne m’en formalisais pas trop, car moi-même, à son âge, je ne vivais que de frustrations et du rejet de la part des enfants de mon âge qui me détestaient. Je n’avais non plus aucune autorité, ni même une grande confiance en moi, étant donné que je perdais tout le temps.
Armadé avait 47 ans, et à cet âge, on n’est jamais à l’abri d’un coup du sort. Ainsi, lors d’un tournoi dans les arènes du Colisée, je confirmais Barnabé dans son rôle de second gouverneur de Rome face au public, qui l’acclama comme tel. Ainsi, si père venait à décéder durant notre absence, le scribe reprendrait la gouvernance de la ville et nous étions certain d’y retrouver bon accueil à notre retour. De plus, cher Barnabé, tu as toujours fait preuve d’une grande sagesse, intelligence et pragmatisme. Je savais qu’en cas de disparition de mon père, la ville se retrouverait entre bonnes mains, car tu me semblais bien plus à l’aise dans ces nouvelles choses savantes, dans la gestion d’affaires que dans les conquêtes. Ce titre de second gouverneur était en outre un hommage visant à promouvoir la culture, l’apprentissage des signes, des choses de l’art et des sciences. Tout ce que tu avais fait, Barnabé, fut utile à l’élaboration de notre monde.
Cela me permettait de partir en exploration avec Sérafino, tout en étant sûr de voir les portes de ma ville ouvertes à mon retour, bien que nous embarquions toute une série de portes téléportatives. Nous pourrions de ce fait rejoindre n’importe quel lieu dans Rome, mais je préférais savoir le gouvernement fidèle et solide, secondé par leur bras armé, Guerart et tous ses prétorians.
Pour ce qui concernait Jo, je l’obligeais à faire partie de l’équipage d’un des bateaux. Je ne voulais pas d’histoires de famille dans Rome en mon absence. Cela me permettait également de l’avoir à l’oeil, car depuis sa répudiation, je pouvais logiquement douter de sa fidélité. Les nouvelles de mes troupes en campagne étaient bonnes, les victoires se succédaient, les gardiens de l’ordre commençaient à s’organiser, j’avais pris toutes les précautions, et je pouvais partir.
Sérafino était prêt avec 22 capitaines, 22 seconds, et 22 équipages de guerriers aguerris aux métiers de la marine. Cela représentait déjà une force de 3’500 guerriers-matelots. Bartoloméo, le scribe qui avait déchiffré les enseignements de marine à ces hommes, avait prit la surveillance d’un chantier visant à construire de nouveaux navires selon les plans romains.
Quant à Marco, compte tenu de son âge, 63 ans, je lui avais proposé une gentille retraite en quelque lieu qu’il désirait, se contentant d’un rôle de conseil pour les généraux sur les différents fronts, car il avait reçu autorité pour actionner, programmer et modifier les destinations de toutes les portes qu’il souhaitait. Comme je l’avais imaginé, il refusa net ma proposition, et opta pour la croisière en notre compagnie. En plus des 3'500 guerriers-matelots, il fit embarquer son unité des milles avec leurs mille chevaux dans les navires…
Sérafino fit larguer les amarres des 22 navires, et nous sortions du port le 14 juin de l’an 6. La première étape était de rejoindre un lieu que les cartes romaines nommaient “Grèce”. A l’aide de boussoles et autres moyens techniques que les romains avaient laissé comme matériel de navigation, nous décidions d’un lieu de rendez-vous au cas où nous nous perdions de vue en mer. Chaque capitaine disposait de copie des cartes romaines. L’aventure pouvait commencer.
La croisière se déroula calmement. Nous descendions tout au sud de la péninsule, passions entre l’île de Sicilia et l’Italie, et traversions la petite mer jusqu’à la Grèce. Nous vîmes là quelques tribus de territoires non encore soumis, terrorisés par notre flotte. Sérafino avait été d’avis de diviser la flotte en deux. Une dizaine de navires partiraient inspecter les territoires plus à l’ouest, vers ce qu’ils nommaient Espagne, et une autre dizaine partiraient inspecter les territoires de l’est comme la Grèce. Moi, j’étais d’avis de garder une force toujours supérieure à l’ennemi. Ce qui fut jusqu’ici une stratégie payante. La flotte entière avait donc pris la route de l’est et nous avions l’intention de longer les côtes afin de nous approvisionner régulièrement, et faire aussi quelques découvertes à l’intérieur des terres.
Une crique à l’ouest de la Grèce nous incita à jeter l’ancre. Des peuplades de villages et clans vivaient là, sur une terre généreuse et fertile, mais encore plongée dans le chaos. Ils furent impressionnés de notre arrivée et ne lancèrent pas l’assaut. J’envoyais un émissaire dans un clan, demandant à voir le chef du marché ou le seigneur d’une quelconque ville. On nous guida sur la ville de Patra.
Patra était un grand marché en bordure de mer et nos 22 magnifiques navires représentaient un déploiement de force maritime à même d’impressionner suffisamment le seigneur de Parta pour l’intimider. Mes hommes n’avaient pas l’autorisation d’entrer dans les murs de la ville, mais mon escorte personnelle pouvait m’accompagner. Cependant, lorsque Dyonisoski, le seigneur de la ville, apprit que mon escorte personnelle se composait de mille et quelques hommes, il refusa de me laisser entrer. J’inversais alors la proposition. Je l’invitais à monter sur mon navire amiral avec tous les hommes qu’il désirait, et il accepta.
Lorsqu’il fut face à moi, je tentais de lui expliquer avec qui il se trouvait : son futur souverain. La communication était toutefois difficile car nous parlions deux langues différentes, et ce n’est que par des signes que nous pouvions espérer communiquer. Il était visiblement intrigué par nos techniques de navigation, mais faisait mine d’être offusqué par ce que qu’il avait cru comprendre de ma part. Je l’emmenais alors dans ma cabine, où trônait une porte, et la traversais une fois pour revenir de suite face à Dyonisoski. Il fut stupéfait par ma disparition et réapparition, et lorsque je lui fis signe de la traverser en ma compagnie, il demanda tout de même à deux de ses guerriers de le suivre. Nous passions alors l’un après l’autre au travers du miroir pour nous retrouver sur le lieu d’atterrissage que je venais de programmer, à savoir : au sommet de la croix. Je montrais alors à ce chef ma cité, celle qui rayonnera bientôt jusque chez lui, et qu’il avait intérêt à être coopératif d’emblée. Enfin, j’entrais avec lui dans le cercle. Ses deux gardes nous virent disparaître, mais ils étaient déjà tout émotionnés par le passage de la porte. Ils entèrent eux aussi dans le cercle et disparurent. Après une visite de la ville, notre bulle fonça droit sur la ville de Patra. Nous vîmes mes 22 navires amarrés non loin du marché, à nos pieds. La bulle prit alors de l’altitude et se dirigea vers le nord. Nous voyons des clans et villages défiler au dessous de nous, et soudain, apparût une grande fumée au loin. Nous approchions de cet incendie. Un marché brûlait alors que des habitants étaient transformés en torches vivantes, d’autres sortaient par tous les moyens, se jeter dans les bras des mes armées de l’est, sous commandement de Francisco Valenti, un bon général de la deuxième heure. Nous nous trouvions à l’intérieur de la ville en feu. Les flammes tournoyaient autour de nous sans jamais entrer dans la bulle, ni la chauffer.
Ensuite, nous sortîmes pour voir mes armées récupérer les futurs esclaves. Mes hommes n’étaient pas bien loin de la Grèce, et Dyonisoski voyait bien qu’ils marchaient droit sur lui. Il connaissait ainsi le sort réservé aux résistants, et nous pouvions dorénavant traiter en de meilleures conditions. La bulle nous ramena ensuite au sommet de la croix de Rome. Les deux gardes revinrent directement après nous. Nous franchissions à nouveau la porte pour nous retrouver dans mon navire, à Patra. Le seigneur et ses gardes en étaient tout déboussolés, mais ils me semblaient maintenant mûrs pour comprendre que toute résistance à l’avancée de nos armées serait futile. Dyonisoski me donna alors des gages sur sa future collaboration, m’indiquant que mon général Francisco Valenti serait bien accueillit.
Je crus comprendre aussi qu’il souhaitait attirer mon attention sur un phénomène spécial, mais je ne pouvais rien comprendre de plus, sans une traduction digne de ce nom. Je programmais alors ma porte pour une destination vers le général Valenti, qu’on venait de voir depuis la bulle. En un instant, j’apparus sous la tente de commandement où sa porte était gardée, et un des garde alla chercher le général qui arriva aussitôt. Je l’informais que le Seigneur de Patra, plus au sud, l’accueillerait avec bienveillance, mais qu’il me fallait un interprète pour mieux communiquer avec ce Seigneur Grec. Valenti put me proposer un marchand du coin qui parlait italophone et grecophone. Nous retournions ensemble dans mon navire, et Dyonisoski m’informa alors que le phénomène spécial existait depuis environ un an et demi à l’ouest de sa ville. Lui-même n’avait jamais vérifié de visu cette anomalie, mais la rumeur disait qu’un territoire entier était devenu inaccessible, une sorte de barrière invisible repoussait tout être vivant tenté de pénétrer le domaine.
Nous devions donc découvrir de nous même ce territoire interdit, et laissions Patra et ses clans aux bons offices du général Valenti. Nous ne tentions pas de soumettre qui que se soit pour l’instant, notre mission était simplement de découvrir ce qui sera bientôt intégré à l’empire, ainsi que positionner des portes avec leurs gardes attitrés dans divers endroits du monde. Nous voguions toutes voiles dehors vers l’ouest. Après une journée de traversée, nous jetions l’ancre sur le soir face à un petit village côtier, qui nous ouvrit ses portes sans offrir de résistance. Nous avions eu de la chance d’avoir déniché cet interprète qui nous était d’une grande utilité pour comprendre ces peuplades, car le clan que nous abordions en savait long sur ce nouveau phénomène. La plupart d’entre eux n’étaient d’ailleurs pas originaire de ce lieu, mais d’autres clans issus d’une vallée de l’ouest, à un jour de marche d’ici.
Ils nous racontèrent qu’il y avait un an et demi, une sorte de manifestation de Dieu les repoussèrent de leur vallée. Quant à la forme que prenait cette manifestation de Dieu pour les repousser, ils ne surent répondre que par des propos insensés : une sorte de boule liquide sans liquide se forma un beau jour dans leur vallée. Au début elle était toute petite, de la taille d’un grand fromage, mais elle grandissait un peu plus chaque jour, devenant immense. Tous ceux qui s’aventurèrent à tenter d’entrer dans la boule ressortaient au pas de course. D’aucuns témoignaient que lorsqu’ils s’étaient aventurés dans ce liquide, ils commencèrent à suffoquer sans réussir à aller jusqu’en son centre. La boule n’avait pas cessé de grossir, elle englobait aujourd’hui des clans et villages entiers, faisant fuir tous les habitants à mesure de son étalement dans la vallée. Lorsqu’elle eu englobé toute la vallée, elle arrêta sa croissance. Les habitants construisirent alors de nouveaux villages, leur pays étant peu peuplé, ils n’eurent pas de peine à se réinstaller en dehors de leur vallée, la boule liquide interdisant tout accès à leur ancien clan. Ils racontaient que dans cette vallée, le marché principal se nommait Athèn, et comptait plus de 20’000 habitants, avant la fuite complète des Athéniens lors de l’avancée du phénomène. Personne ne savait ce qu’il y avait dans la boule, même si quelques intrépides s’y étaient aventurés, ils avaient eu tôt fait de ressortir suite à la de suffocation que le phénomène provoquait.
Nous consacrions la fin de la soirée à sortir nos chevaux des navires, et installions un campement sur la rive, face à notre flotte. Tous les marins de Sérafino restaient à bord, tandis que Victorio, Marco, l’interprète et Jo, accompagnés de nos unités, avaient mis pied à terre pour tenter de percer ce mystère dès le lendemain.
Au point du jour, après une nuit sans histoire, nous nous mettions en branle avec le chef du clan qui avait justement fuit ce marché d’Athèn engloutit par le phénomène. En début d’après-midi, alors que nous chevauchions en rase campagne en montant légèrement sur un relief du terrain, nous vîmes tout à coup surgir devant nous comme un monumental mur d’eau. Nous ne voyons pas la fameuse vallée au travers de cette bizarrerie, mais cette chose tout à fait surnaturelle engloutissait bel et bien un immense territoire. Cette énorme bulle d’eau était parcourue de petites vaguelettes sous l’effet du vent, et lorsque Victorio envoya une pierre au travers de la chose, des cercles concentriques apparurent autour du point d’impact, exactement comme si la pierre était tombée dans un lac.
Je plongeais alors ma main dans cette espèce de mur d’eau, mais n’en ressentis aucune humidité. Cependant, lorsque je tentais de faire pénétrer mon cheval au travers du phénomène, à peine avait-il mit le museau dans ce liquide sans eau qu’il fit marche arrière en poussant un grand hennissement. Je m’aventurais alors à pied dans cette muraille inconsistante. Une fois passée la façade de semblant d’eau, j’y trouvais une sorte de brume flottante, tout de même assez dissipée pour qu’on puisse y voir à une vingtaine de pas, mais la chose qui choquait immédiatement l’organisme, c’est qu’il n’y avait là plus d’air, on pouvait bien essayer de prendre une inspiration, rien ne venait, comme sous l’eau, la respiration y était tout simplement impossible ! Après cette inspection, j’en ressortis en faisant part à mes hommes de mes observations, à savoir que cet étrange liquide sans eau empêchait la respiration comme si l’on se noyait, mais sans se mouiller. Au bout d’un moment, lorsque la suffocation nous envahit, il faut en ressortir sous peine de mourir d’asphyxie. Je restais toutefois persuadé que cette bulle monumentale n’était pas vide d’air, et que ce vide n’était qu’une barrière de lisière pour empêcher les curieux d’aller voir ce qui se tramait au centre de la bulle. En somme, l’apparition de cette bizarrerie correspondait exactement à notre entrée dans Rome, ce qui me laissait à penser que la civilisation des papes y était pour quelque chose.
Je demandais alors s’il y avait un volontaire pour entamer un pas de course au travers de ce phénomène pour tenter de rejoindre l’autre côté, et revenir nous donner des informations. Jo se porta volontaire immédiatement, et sans attendre mon assentiment, il prit son élan pour disparaître dans la grande bulle à pleine course. Ma rancune contre lui s’était atténuée au fil du temps, je ne lui en voulais plus, au contraire, je regrettais parfois ma dureté à son encontre pour la simple perte d’un duel. Dans ces moments, je m’en voulais de l’avoir affublé d’un nom pareil « Jo Lesecond »…, je me souvenais que durant mon enfance, il fut un bon grand-frère et mon seul ami, et c’est bien grâce à son aide que je pus enlever Sabrine dans des conditions acceptables. Oui, du haut de mon invincibilité, je sentais que j’étais devenu dur et intraitable avec des proches qui montraient des faiblesses, mais mes regrets me prouvaient que j’avais encore un cœur, et là, ayant vu Jo disparaître avec autant d’entrain dans cette chose, je me disais que j’aurai grand-peine s’il ne revenait pas ! Il fallait que Jo revienne pour que puisse le réhabiliter un peu !
Après un moment qui paru bien long sans souffle, il ressortit du phénomène en reprenant une grosse respiration, comme si on lui avait maintenu la tête sous l’eau trop longtemps. Je descendis de mon cheval, tapota dans le dos en l’enjoignant de respirer à fond, et le remerciais pour l’effort, même si entre deux respirations, il arriva à haleter : « couru 60 enjambées, … rien vu, … ai fait demi-tour… ».
C’est ce moment que je choisis pour annoncer la vérité à mes unités d’élites. Je saisis Jo par l’épaule, saluais son courage, puis regardais Victorio en disant :
Fils, je te présente ton oncle, Jo,… puis, je tournais mon regard vers mes hommes en leur disant : - Guerriers, je vous présente mon frère aîné, Jo Paralamo. Les guerriers saluèrent en levant leur épée,… et enfin je regardais Jo les yeux dans les yeux en m’adressant à lui de la sorte : - Frangin, je te prie de bien vouloir excuser ma rudesse, et te remercie pour l’amitié que tu m’as portée tout au long de mon enfance !
Jo était plus petit que moi, je le serrais sur mon torse lui donnant l’accolade d’amitié dans le dos. Pendant ce temps, il me glissa la gorge nouée par l’émotion : « Petit frère, c’est bien toi le plus grand, j’ai failli et tu m’as rendu la monnaie de ma pièce, je t’ai toujours admiré et je n’ai jamais su comment me racheter à tes yeux, merci pour ton pardon ». Après avoir dit cela, je vis qu’il luttait contre une certaine émotion en réfrénant une poussée de larmes qui lui embuaient les yeux, alors je déclarais d’une voix forte :
A partir d’aujourd’hui, si j’en vois un qui lui manque de respect, je le tue sur-le-champs !
C’est Marco qui interrompit cette petite minute de sensibilité en proclamant :
Tout ceci est fort bien, mais on n’est pas ici pour assister à de grandes réconciliations familiales ! On est ici pour découvrir ce qu’il y a de l’autre côté de ce mur sans air ! Radic, prêt à accomplir ton devoir ?
Marco ne s’adressait pas à un homme de son unité des mille, mais directement à un de ses anciens mercenaires constituant dorénavant ma faction personnelle. Le dénommé Radic sortit des rangs et répondit simplement : « Toujours prêt Maître ! ». Puis, il descendit de cheval, s’approcha de la monture sur laquelle se trouvait Marco Fallacio, et lui parla ainsi : « Au cas où on ne se reverrait plus, sache Seigneur, que ce fut un immense honneur que de servir sous tes ordres ! » Radic baisa l’épée présentée par Marco qui lui dit juste : « Ce fut un plaisir de t’avoir à mon service, … va maintenant ! »
A part Marco et ses anciens mercenaires, personne ne savait vraiment ce que Radic allait faire, mais avant de s’élancer dans le mur sans air, il se tourna vers moi et me lança : « Gloire à toi chef, c’est avec fierté que j’ai œuvré à tes côtés ces dernières années ! » Je saluais, puis l’homme respira plusieurs fois bruyamment, avant de gonfler ses poumons d’air, et s’élancer au travers de cette sorte de bulle.
Après son départ, je demandais à Marco pourquoi une telle solennité avant cette tentative de Radic ? Le Seigneur de guerre me répondit : « Parce que Radic ne s’intéressera pas de savoir s’il aura assez d’air pour revenir, il accomplira sa mission en passant de l’autre côté,… ou il mourra. »
Alors l’attente, angoissée, commença…, et dura… dura… dura. Après un quart d’heure, l’affaire était claire : soit il était de l’autre côté, soit il était mort !
Après une bonne demi-heure, deux hommes sortirent de la muraille d’apparence liquide sur leur cheval. Ils traînaient derrière eux un brancard sur lequel Radic était étendu, sans connaissance. L’un des hommes nous dit alors : « Votre ami reprendra conscience dans quelques instants. Nous sommes désolés, mais vous ne pouvez pas pénétrer à l’intérieur de cette enceinte, ceci est une propriété privée ! ». Suite à quoi, ils firent demi-tour et pénétrèrent à l’intérieur de ce qui semblait toujours être un mur d’eau, avec leurs chevaux, qui ne semblaient nullement incommodés par le manque d’air !?
Notre guerrier était bel et bien vivant, et je connaissais maintenant en partie le secret de cette énigme : Les deux personnes nous ayant rapporté Radic étaient des gardes du pape, reconnaissables à leurs uniformes étranges fait de morceaux de tissus jaunes et bleus !
Je donnais l’information, en indiquant que nous ne chercherions plus dorénavant à pénétrer les mystères de la civilisation des Pontifes ; puis, Radic revint à lui. Il nous informa qu’il se souvenait avoir parcouru plus de 150 enjambées à pleine course pour finir par se retrouver de l’autre côté des brumes et du vide d’air. Il avait eu le temps d’observer la vallée avant de perdre étrangement connaissance. D’après lui, la vallée était une fourmilière d’hommes s’activant en tous sens, construisant sans doute une immense ville. C’est tout ce qu’il put distinguer, car ensuite, il s’endormit pour ne se réveiller qu’une fois de retour auprès de nous.
Ce genre de phénomène était donc une sorte de magie-scientifique romaine, et nous décidions de passer notre chemin.
De retour sur les navires, nous approchions de la vallée d’Athèn, mais la bulle de semblant d’eau envahissait aussi la mer. Nous étions tenus à distance des terres et ne pouvions jeter l’ancre. La muraille immatérielle s’arrêtait au sortir de l’anse que les villageois réfugiés de l’autre côté de la vallée nommaient “Pirée”. Nous pouvions contourner la boule, mais elle bouchait tout accès à la région entière...
Je savais que j’avais devant moi une région que jamais je ne pourrais soumettre à ma juridiction et c’était étrange. Il devait toujours y avoir un point faible, une brèche d’entrée comme le fleuve de Rome. Mais ici, il ne semblait y avoir aucun moyen ni d’entrer ni de sortir de cette boule… sauf peut-être par les cieux ? Les suppositions pouvaient me laisser penser que les romains du pape créèrent cet espace pour les parias,... “Un lieu où je ne les trouverais jamais et d’où ils ne pourront plus nous atteindre”, selon les termes du pape. Mais ce n’était qu’une supposition, car aucune vérification n’était possible!
Les peuplades de ce pays vivaient selon le même mode que nous, dans un système clanique. Toutefois, leur pays était peu peuplé et nous pouvions traverser de grandes étendues sans rencontrer âme qui vive. Nous reprenions donc la mer, toujours en direction de l’est. Nous croisions au large des côtes Grecques, pour déboucher, après quelques jours de navigation calme, sur un détroit qui rejoignait une autre mer au nord. Nous ne nous aventurions pas dans celle-ci mais continuions notre découverte des rivages de la grande mer.
Le 15ème jour de traversée, alors que nous faisions toujours route vers l’est, nous nous retrouvâmes sous une grosse tempête. Trois de nos navires firent naufrage. Trois cents membres d’équipage furent portés manquants tandis que nous récupérions les autres. Cela provoqua en moi une violente colère. Trois navires de perdu, et pas des moindres: deux trois mats et un des fleurons de notre flotte, un immense quatre mats. Je m’en prenais à Sérafino, lui reprochant le manque de préparation des capitaines. Pour la première fois depuis notre départ, nous avions à affronter quelques conditions climatiques plus difficiles, et il n’a fallut qu’une première nuit de tempête pour amputer ma flotte de trois navires ! C’était inadmissible et je menaçais immédiatement Sérafino de le juger personnellement, une fois de retour à Rome, si une telle débâcle se reproduisait avant la fin de notre périple. Cette première remontrance fit office d’avertissement.
J’avais bien entendu vu l’ampleur du grain, l’impossibilité de mouiller l’ancre, et nos navires déportés par la houle en pleine nuit. Je ne voyais pas ce que les capitaines pouvaient bien faire pour tenir à flot sur une telle mer. Mais je me disais que si les romains du pape avaient construits ces navires pour traverser les océans du globe, ce n’était pas en faisant du cabotage côtier qu’il fallait commencer à les perdre !
Devant mon courroux, Sérafino passa la journée à rassembler tous les navires dans une crique, où nous pûmes tous jeter l’ancre en côte à côte. Tous les capitaines, seconds et officiers furent convoqués sur le navire amiral.
Sérafino les accueillit avec des compliments pour leur sang froid ainsi que de s’en être sortis du grain. Cependant, parmi les quelques 400 naufragés que nous avions retrouvé au matin, dérivants sur des morceaux de bois ou en chaloupe pour certains, il y avait un capitaine et deux seconds, qui n’avaient pas péris. Ceux-là m’intéressaient vivement.
Mais c’est Sérafino qui les interrogea, utilisant des termes marins que je ne connaissais pas. Il était question du maniement du navire avant le naufrage. Je trouvais qu’il était bien trop poli avec ces espèces de pirates ! Mais après mon indignement et mes menaces de jugement en privé, je ne voulais pas brusquer le roi des mers en public. Je le laissais donc poursuivre son interrogatoire technique.
A la fin, il donna son verdict et c’est ce qui m’intéressait. En fait, le capitaine et un premier lieutenant furent déclarés coupables d’erreur de jugement. L’autre premier lieutenant semblait avoir agit justement, mais il mit en évidence la panique des membres d’équipages qui n’ont pas pu suivre correctement les ordres, ce qui les a mené au naufrage. Après interrogation d’un autre officier naufragé, Sérafino arriva à la même conclusion. Les ordres avaient été corrects, mais les marins, terrorisés par ce premier grain nocturne, avaient faillit à leur devoir d’obéissance. Il y avait 157 rescapés de ce navire, tous coupables de désobéissance. Sérafino donna alors sa sentence devant tous les autres officiers des navires saufs :
- Le Capitaine Mendolo et le premier lieutenant Fratilliano, qui ont fauté, recevront trois douzaines de coups de fouet et seront exclus de la flotte.
- Le premier lieutenant Gilbetter, qui n’avait pas su se faire obéir par ses subordonnées sera rétrogradé au sein de la marine, à un poste d’où il n’aura plus d’ordres à donner.
- Les 157 marins coupables de désobéissance recevront tous trois douzaines de coups de fouet et seront banni de la flotte. En attendant leur retour à Rome, ils occuperont des tâches de maintenance sans incidence sur la navigation.
Le jugement me convenait, mais Sérafino me laissa juger du sort que je leur réservais une fois à Rome. Encore tout fulminant de la perte de ces navires, j’étais bien tenté de répondre qu’ils passeraient tous par la porte des parias pour trahison. Mais je décidais de faire preuve de mansuétude pour les subalternes.
Les 157 marins étaient tous, avant d’être marins, d’excellents guerriers que Sérafino avait sélectionnés au préalable.
Je jugeais donc ainsi:
- Le capitaine Mendolo et le 1er lieutenant Fratilliano: déclarés coupables de trahison à la confiance que leur portait Rome. Ils prendraient dès ce jour le statut de parias et seront mis aux fers jusqu’à notre retour.
- Les 157 marins furent déclarés coupables de panique face à un élément naturel. Ils ne devront donc plus affronter cet élément et réintégreraient l’armée de terre en campagne.
- Le premier lieutenant Gilbeter avait fait preuve de bonne appréhension de la mer. Il continuerait dans la flotte, en subalterne, comme l’avait dit Sérafino, et cela me convenait tout à fait.
Tout le monde en fut soulagé et ils supportèrent leur punition avec bravoure. Sauf peut-être les deux nouveaux parias. Mais c’était un bon exemple pour les autres capitaines qui auraient la mauvaise idée de perdre un de mes navires, sans compter les trois cents matelots-guerriers disparût corps et biens.
Sérafino passa ensuite toute la journée à répéter avec tous les officiers les enseignements en cas d’urgence que Bartoloméo leur avait enseigné. Ils prirent bien conscience que leur situation les mettait à la tête d’un bien immense légué par le pape, et sous ma surveillance !
Le lendemain, nous reprîmes la mer. Le paysage ne variait pas beaucoup. Partout, il y avait des prés biens gras, des forêts, des plages, mais peu de villes. Ces territoires ne devraient pas être difficiles à conquérir. Nous nous arrêtions parfois pour chasser une bête ou l’autre. Ces terres regorgeaient de bêtes en tout genre. Entre les gazelles, gnous, girafes et zèbres, nous avions de bonnes chances d’attraper de quoi manger. Ces animaux n’existaient pas dans les Alpes, mais on en trouvait déjà à Tourini. Quant aux prédateurs, il m’arrivait à m’aventurer à chasser un lion ou autre tigres, pour le trophée ! Nous retardions un peu notre voyage par nos descentes à terre, mais cela nous donnait l’occasion de connaître ces nouvelles contrées et les gens qui l’habitaient. En fait, toute cette immense région semblait vraiment peu peuplée, et le territoire conquit par l’espèce animale. Ce ne fut plus le cas après une trentaine de jours de navigation.
Nous abordions tout à coup un lieu bien mieux organisé. Un port de pêcheur précédait une grande ville côtière et les clans aux alentours étaient nombreux. Il s’agissait de la ville de Damas, bien à l’est de la Grèce. Je reçus le magnifique seigneur de Damas sur mon vaisseau, mais nous ne trouvions aucun marchand qui parlait soit Italien, soit Grec, soit Français. La conversation fut donc limitée à quelques signes avec ce grand seigneur, qui avait véritablement un port et une stature de grand chef de région. Je lui fis comprendre que mon nom était Léopold Paralamo, tandis qu’il se prénommait quelque chose comme Cheik Assim ben Yousef. Je l’emmenais alors à travers la porte et lui montrais Rome du sommet de la croix avant de passer avec lui dans le cercle. Il eu quelques mouvements d’inquiétude au décollage de la bulle, mais je lui fis signe qu’il n’y avait aucun danger. Puis, lorsqu’il fut calmé et que la bulle descendait au dessus des palais, je lui indiquais que c’était ma ville, qu’elle s’appelait Rome, et que Rome et Damas seraient bientôt ensembles. Le seigneur était trop stupéfait du voyage pour répondre. Mais lorsque nous retournions dans le navire face à sa ville, son trouble cessa et il nous accueillit tous avec bienveillance.
Depuis Damas, la région était bien plus peuplée que celle visitée précédemment. Toutefois, nous étions arrivés au bout de la mer, là où elle vire vers le sud. Au 38ème jour, nous trouvions une grande ville qui s’appelait Tel Avif. Je fus reçu, mais la conversation resta très limitée. Le seigneur de cette ville, visiblement informé de notre arrivée par celui de Damas, manifesta son intention de nous montrer quelque chose. A trois jours de cheval au sud-est de son marché, il y avait à nouveau une sorte d’immense bulle d’eau qui était aussi grande que toute une région. C’était le même procédé que la demi-sphère qui recouvrait Athèn et le Pirée. D’apparence liquide mais sèche et irrespirable, impossible là-aussi d’y pénétrer sans suffoquer. Je tentais de savoir si ce phénomène était apparût il y a un peu plus d’un an, comme en Grèce. Mais le seigneur me fit comprendre que toutes les générations lui ayant précédé avaient toujours vu cette chose. C’était installé là depuis la nuit des temps, et toutes les légendes du Chaos mentionnent cette étrangeté.
Nous continuions alors notre route vers le sud, les paysages étaient toujours aussi verdoyants et les criques splendides, des villages de pêcheur égrenaient le littoral, et de nombreux clans vivaient à l’intérieur des terres. Il en fut de même jusqu’à une ville nommée Allessandria, à l’embouchure d’un immense fleuve, le Nil. Nous fîmes halte une semaine dans cette région. Le seigneur de la grande ville côtière voulait lui aussi me montrer un phénomène plus au sud. C’est ainsi qu’après quelques jours de canotage sur le Nil, nous arrivions en face d’immenses pyramides. Rien à voir avec les phénomènes précédents, mais véritablement d’un gigantisme à la romaine... Les habitants du lieu semblaient signaler qu’il s’agissait d’un vestige de l’ancienne civilisation, et je voulais bien le croire. La signification du pourquoi de telles constructions restait obscure. Pourquoi des pyramides ? Cependant, le fait était tout de même assez marquant pour être signalé. Toutes les villes de l’ancien monde avaient disparût, sauf Rome, et maintenant peut-être ces pyramides !
Nous quittions Allessandria pour suivre la côte en direction de l’ouest cette fois-ci. Mais tous ces territoires au sud de la grande mer n’étaient pour ainsi dire pas du tout habités. Derrière la plage, une immense jungle impénétrable s’étalait à perte de vue. Jamais l’ombre d’un feu ou de fumées, ces gigantesques territoires étaient déserts d’humains, voués aux bêtes sauvages. Nous ne rencontrions plus aucun village durant 15 jours de navigation, passant exactement à 200 lieues sous la pointe sud de l’Italie. Toutefois, arrivé vers une région un peu plus ondulée, nous aperçûmes, dans la végétation, quelques signes de vie humaine à l’approche d’une ville se nommant Sousse. Une petite bourgade en réalité, mais d’autres suivaient, jusqu’à un grand marché du nom d’Alger. Ces gens parlaient une langue incompréhensible, mais étrangement, certains savaient aussi s’exprimer en français ! Une lointaine tradition peut-être plus ancienne que le Grand Chaos, selon eux... En fait, Alger était la première ville d’importance après Allessandria et l’immense jungle inhabitée. D’ailleurs, au sud des côtes, il ne faisait pas bon s’aventurer dans la forêt. Elle était déclarée Tierra Incognita, et cela, même sur nos cartes romaines de l’époque. Personne ne vivait dans cette jungle.
Cela ne fut plus le cas un peu plus loin à l’ouest ou une grande chaîne de montagne, nommée Atlas, abritait de nombreux clans sous un climat nettement plus hospitalier. Après quelques observations, nous mettions cap au nord. Nous traversions un estuaire désigné par les autochtones sous le nom de Gibraltar. Derrière Gibraltar, la grande mer prenait fin et laissait place à un océan monumental. Nous ne nous aventurions pas dans cet océan et rejoignions nos territoires du nord. Une terre mentionnée comme étant auparavant l’Espagne sur les cartes Romaines. Depuis là, les régions étaient nettement plus peuplées, avec de nombreux marchés et clans. Ils vivaient encore comme nous avant la prise de Rome, dans le Grand Chaos. Après une longue remontée de l’Espagne, nous rencontrions une de nos armées de l’ouest.
Ils venaient de soumettre la ville de Bézié, un puissant marché. Le général Pouliard dirigeait une armée d’un peu plus de quarante mille hommes. Il en avait déjà laissé 8’000 dans des camps provinciaux derrière lui. En contact régulier par les portes qu’il possédait avec les deux autres armées évoluant plus à l’intérieur des terres, il me transmit de bonnes nouvelles : tout le territoire francophone était soumis. En cas de résistance de la part d’un marché, les trois armées se réunissaient pour faire face à l’adversaire sous un seul commandement. Ils avaient écrasé la résistance à Toulouze en brûlant la ville. Les prisonniers, gardés pour l’esclavage avaient été envoyés à Rome par la porte de retour. De bonnes affaires !
Les armées s’étaient séparées là pour soumettre chacun un territoire. En général, ils pouvaient négocier sans combattre. Les règles du jeu étaient simples, il y avait soumission à Rome ou affrontement. Ils m’informèrent que beaucoup de chefs, curieux, et se disant désireux de rendre hommage à leur nouveau souverain, avaient passé la porte pour voir Rome. Les armées étaient en effet autorisées à inviter les chefs et conseils des anciens à venir visiter la ville de la légende en emmenant avec eux leurs parias. Je faisais ainsi d’une pierre deux coups, car d’un côté, après avoir vu Rome, les chefs ne pouvaient pas s’imaginer un seul instant résister à une telle ville et d’un autre, nous nous débarrassions une bonne fois pour toute des parias qui empestaient nos routes.
Satisfaits de l’avancée de nos troupes, nous mîmes cap à l’est, et après quelques milles nautiques, passions au large de deux grandes îles. Ces îles étaient habitées, et néanmoins, pas encore soumises à Rome par les armées de terre. C’était donc notre travail, celui de notre marina. Notre arrivée en Corzse ne passa pas inaperçue. Sans signes d’hostilités trop voyants, le contact avec des chefs et seigneurs avait toujours été plus ou moins aisé. Ils étaient impressionnés par une flotte et des navires qu’ils n’imaginaient même pas en rêve. L’être humain, de nature tout de même curieuse, après avoir pris les précautions d’usage, cherchait à savoir de quoi il s’agissait. Et en règle générale, je n’avais pas trop de peine à les inviter sur mon vaisseau. Il en fut de même en Corze. Les chefs s’intéressèrent à la chose, mais n’étaient pas près de soumettre leurs territoires face à une force de 4’000 guerriers. Je les rassurais à ce propos en leur indiquant que je pouvais venir avec cent fois plus de troupes. Les négociations n’étaient pas gagnées d’office, et j’eus à user de Renaissance pour endormir le plus excité d’entre eux, mais cela ne fut que de nature à calmer un peu les autres. Ils n’acceptaient pas de se plier à une quelconque autorité à part la leur.
Je pensais alors que je devais user de la porte, et invitais ces vingt chefs de marchés Corze à passer au travers en m’accompagnant. A nouveau, la curiosité eu raison d’eux et ils me suivirent après quelques exclamations. A peine la porte franchie, ils se retrouvèrent sur la croix.
La bulle les emmena tous faire un tour du propriétaire. Ils en revinrent suffisamment fascinés pour accepter, après débats, mon invitation à une audience que je préparais avec tous les autres chefs du royaume Corze dans la ville, et bien sûr, je désirais que chacun y participe. L’information fut passée jusque dans tous les villages Corze, et c’est plus de 500 chefs de clans et marchés de l’île que nous embarquions, une semaine plus tard.
Sur notre route de retour, il y avait encore la grande île de Sardagne, tout près de la péninsule.
Mon succès diplomatique en Corze, sans passes d’armes ni un seul blessé, à part un chef endormi par Renaissance, me suggérait d’adopter la même tactique. Nous devions arriver qu’en simples observateurs, et laisser la curiosité faire le reste. Notre flotte était déjà quelque chose d’hors du commun, mais ce qu’ils découvraient à l’intérieur dépassait tout. Le seigneur Paul avait vu juste, ces portes de téléportation m’avaient effectivement évité une guerre en Corze, et sans doute bien d’autres dans notre entreprise d’agrandissement de l’empire.
Le scénario se répéta un peu à l’identique avec les Sardagnois. Ils furent tout de même vindicatifs à l’idée de soumettre leur autorité, mais la bulle avait pour effet de leur faire douter de leurs capacités militaires. Cela calmait les ardeurs de certains. Lorsqu’ils entendirent le chiffre d’une armée totale de plus d’un million de guerriers, ils doutèrent... J’embarquais ainsi plus de 1’200 chefs Sardagnois après un nouveau succès diplomatique. Le but du voyage était pour eux de se rendre compte s’ils préféraient accepter que des garnisons et lois romaines soient installées et appliquées chez eux, ou s’ils préféraient me déclarer la guerre.
Ils ne m’avaient pour l’instant rien promis, et de mon côté, j’avais engagé mon honneur de les ramener tous sains et sauf quelque soit leur décision. Les garnisons, ou les guerres seront mises en oeuvre après.
J’arrivais à Rome après huit mois de navigation et d’exploration des territoires bordant la grande mer du sud. Derrière le port, un millier d’esclaves germains travaillaient à la fabrication d’une vingtaine de navires sous les ordres du scribe Bartoloméo, qui accueillit notre arrivée avec enthousiasme. Je laissais Sérafino lui raconter notre aventure en ces eaux lointaines, tandis que de mon côté, j’emmenais tous les participants à l’aventure directement dans la basilique de Pierre. Mon unité des mille, les marins de Sérafino, ainsi que les 1700 chefs Corze et Sardagnois, entrions dans la basilique pour remercier le Dieu Romain d’avoir veillé sur nous lors du périple. Les chefs des îles s’émerveillaient des beautés de cette ville et de ses palais hors du commun.
J’appris qu’il y avait plus de 30’000 chefs et membres de conseils claniques de tout l’empire déjà présent dans la ville. Et il en arrivait encore de partout. Les jours suivants mon arrivée furent occupés à une succession d’audiences avec des chefs parlant maints langages. Pour chaque ethnie, j’avais besoin d’un traducteur différent. Parfois, pour certains groupes, il fallait deux interprètes, qui se relayaient les informations dans trois langues différentes !
J’avais ainsi le temps de bien spécifier ma politique, à savoir que j’avais pour ambition de changer le monde du chaos ! Des futurs constructeurs étaient sous les enseignements d’un scribe, bientôt ils sillonneront l’empire et changeront la face du monde. J’assurais la sécurité et l’ordre partout selon des règles simples mais civilisées. Je ne leur demandais aucun prix.
Ils prirent connaissance de l’ampleur de notre puissance militaire et n’avaient en fait que peu de choix. Notre véritable empire Romain s’étendait à tous les clans qui nous avaient fournit des guerriers avant la prise de Rome. C’est à dire, depuis le sud de l’île de Sicilia, jusqu’au nord, à Bâle et Zurik, en passant par Génévia et les villes francophones du Jura. Ces territoires furent déclarés terres romaines. Les autres territoires conquis étaient des régions rattachées à la juridiction de l’empire romain.
Nos règles bannissaient le meurtre ou les mises à mort pour favoriser le développement des voies de communication et l’épuration des bandits de grands chemins. Des tribunaux romains seraient installés dans les grandes régions, et l’injustice serait bannie de la face du monde ! Voilà le programme...
Les guerriers les plus vaillants devenaient les gardiens de l’ordre romain, les autres deviendraient des bâtisseurs ou aides bâtisseurs, et les chefs conserveraient leur statut sur leur clan. Chacun s’occupera de son territoire, en se mettant d’accord avec les autres pour des projets de création communs.
C’était de sérieuses réformes, mais à part les chefs des îles de Corze et Sardagne, tous les autres avaient vus le passage de mes armées ainsi que le sort réservé aux récalcitrants. Ils étaient donc plutôt enclins à accepter les règles du jeu.
Les chefs des îles étaient perplexes. Ils connaissaient la puissance de nos armées, mais avaient vu que nous n’avions que 19 navires pour l’instant, plus une vingtaine en construction. Peut-être se disaient-ils qu’ils pourraient résister depuis leur île ?
Toujours est-il qu’ils demandèrent à retourner chez eux pour en débattre avec les conseils des anciens plus longuement. Mais il n’en était pas question. S’ils voulaient partir, un navire les ramènerait chez eux, mais cela serait considéré comme une déclaration de guerre et un affront à l’autorité romaine. Je menaçais donc de mettre prochainement leurs deux îles à feu et à sang, et d’utiliser les survivants comme esclaves. Ils réfléchirent à deux fois, et acceptèrent finalement de se plier à mon autorité, ainsi que l’installation sur leurs îles de garnisons et cours romaines.
L’organisation de toutes les armées se faisait maintenant depuis Rome. Rino avait dressé son quartier général en dehors des murs, et c’est d’abord sous une simple tente qu’il administrait ses armées et coordonnait leurs avancées. Grâce aux portes, les généraux pouvaient venir le voir depuis n’importe quel coin de l’empire en un instant, et lui communiquer les nouvelles. Il pouvait déplacer des armées entières d’un point à l’autre du monde en quelques heures…
Ces portes valaient de l’or car elles étaient d’une efficacité et d’une aide sans pareille pour aider à l’agrandissement de l’empire. Elles étaient munies d’un système de sécurité, de sorte qu’au début, il n’y avait que moi qui pouvais leur commander des destinations. Les portes identifiaient ma voix, et peut-être même mon œil, car à chacun de mes ordres, une petite lueur bleue sortait du chambranle et pénétrait dans mon œil droit, sans m’incommoder pour autant. Ceci fait, un son sortait de la porte et disait « identification terminée, quels sont vos ordres ». A partir de ce moment, je pouvais donner autorité à n’importe qui pour qu’il puisse user à sa guise des portes. Rino reçu une grande partie des portes pour les disséminer un peu partout dans l’empire, il pouvait toutes les utiliser, et il avait lui-même donné l’autorisation aux généraux pour faire usage des portes qu’ils avaient emportées en campagne. Tous les ayants droit avait chacun été dûment identifié par la voix et par la petite lueur bleue, ils pouvaient se déplacer et déplacer leurs troupes à leur guise en dehors des murailles de Rome. Peu de gens avaient l’autorisation d’entrer directement dans Rome par une porte située à l’extérieur des murailles, car même si ces portes semblaient très fiables, nous ne voulions pas risquer une invasion directement au cœur de la Cité au cas où une porte défaillirait. Par contre, dans la ville, chaque habitant pouvait utiliser n’importe quel passage pour se rendre n’importe où, à l’intérieur des enceintes, bien entendu. Il était hors de question que des femmes s’ennuyant de leur homme atterrissent sur un champ de bataille pour perturber nos guerriers ! La population de Rome était autosuffisante en nourriture, elle consommait ce qu’elle produisait. Par contre, avec l’arrivée massive d’esclaves, nous avions pu fertiliser de vastes champs en dehors des murs, et ainsi, alimenter directement nos armées sur le front par le biais des portes, lorsque la production des territoires soumis était insuffisante pour nourrir nos hommes et les autochtones. Notre machine de guerre en devenait d’autant plus efficace qu’elle n’avait plus besoin de se soucier de l’intendance.
Rino avait ainsi installé une batterie de portes au nord de Rome, exclusivement réservées aux affaires militaires, et depuis sa tente, le roi de la guerre recevait ses généraux, se rendait sur les fronts en difficulté, et gérait les avancées de nos 16 armées. J’allais le trouver régulièrement, et il fournissait un bel effort de coordination entre toutes nos forces loin de Rome. Cependant, même s’il dormait au palais la nuit, je jugeais sa tente indigne de sa fonction. En tant que roi de la guerre, il était le roi le plus puissant de l’empire, et il lui fallait une demeure de roi pour recevoir ses officiers. Je décidais donc que les apprentis bâtisseurs devaient mettre en branle un projet de construction d’un palais royal en dehors des murs de Rome. Ce serait là leur première réalisation, et un peu de travaux pratiques ne pouvait qu’être une bonne chose pour leur formation.
Nos victoires militaires se succédaient ainsi à un rythme soutenu, les territoires tombaient sous la juridiction de l’empire les uns à la suite des autres. Les armées du nord-est venaient de prendre la grande ville de Moscow, et elles poursuivaient leurs avancées ; les armées du nord avaient atteint la ville de Copenhagen et d’apprêtaient à franchir la mer du nord pour conquérir la péninsule qu’on nommait « Scandinave » ; les armées du sud-est avaient conquis toute la Grèce à part le territoire d’Athèn, protégé par la mystérieuse bulle impénétrable, et poursuivaient à l’est ; les armées de l’ouest avaient conquis tout le territoire francophone et venaient de débuter l’invasion du territoire espagnophone, et c’est justement là qu’une sorte de verrue apparût dans l’empire, une épine dans le pied romain : Les clans de la chaîne de montage des Pyrénées avaient résistés à nos forces ! Rino avait laissé la 13ème armée dans les Pyrénées pour continuer le combat, tandis qu’une porte avait été acheminée vers la grande ville de Barcelonia, conquise, et c’est par là que la 10ème, la 11ème, et la 12ème armée pénétrèrent en terre espagnole pour l’envahissement de la péninsule dite « Ibérique ». Mais, … derrière ces trois armées, entre les francophones et les espagnophones, il y avait les Pyrénées, et dans les Pyrénées, la peuplade des Basques ! … des durs à cuire à ce qui se rapportait.
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Un beau jour, je fus stupéfait de voir à quel point ma femme avait investit son pouvoir d’impératrice. Sabrine était plutôt discrète, ne faisait que peu parler d’elle, mais elle observait, écoutait, s’informait de tout. Elle avait tissé des liens d’amitiés avec les femmes des pères sénateurs qui venaient souvent lui rendre leurs hommages et parler un peu avec elle de leurs soucis et chagrins. Elle était déjà intervenue à plusieurs reprises auprès de sénateurs indélicats pour leur adresser des admonestations concernant leur devoir d’honnêteté et de fidélité envers leur femme, et si certains s’étaient amendés, ce n’était pas le cas de tous, dont plusieurs qui ne tinrent aucun cas de ses remontrances. Mais cela, je ne le savais pas. Je voyais qu’elle était respectée et appréciée par les femmes des pères, mais sans plus.
Un peu après notre aventure maritime, elle m’adressa une convocation pour le mercredi de la même semaine dans le grand cirque du Collisée… ? Normalement, les divertissements du cirque se déroulaient le dimanche, et je fus étonné que Sabrine organise elle-même une représentation spéciale un autre jour,… ce n’était ni mon anniversaire, ni aucune autre fête à ma connaissance. Alors elle m’informa des problèmes de palais que je n’avais pas remarqué moi-même :
Mon cher mari, commença-t-elle, tu n’as rien remarqué de changé dans les palais depuis que nous habitons ici avec les autres pères sénateurs ?
Je ne voyais absolument pas de quoi elle voulait parler, alors je lui demandais de m’en dire plus.
Elle soupira, mais garda le sourire : « Oui, bien sûr, toi tu ne vois pas ces choses-là, car Dieu merci, tu ne t’y intéresses pas, … mais n’as-tu pas remarqué des filles, de très jolies jeunes femmes qui rôdent en permanence dans les couloirs et les salles ?
Maintenant que tu le dis, c’est vrai !, répliquais-je. Je m’étais d’ailleurs fait cette réflexion un moment, un truc du genre « mais d’où elles sortent toutes ces bonnes femmes ? », mais ça m’est vite sorti de la tête puisqu’il ne s’agissait que de filles paraissant bien inoffensives… Qui sont-elles ? Elles ont causé du trouble ?
Ce sont ce qu’on pourrait appeler des « courtisanes », des filles attirées par le pouvoir, les richesses et les honneurs, et elles courtisent les pères, qui se laissent très facilement séduire,… quant ce ne sont pas eux-mêmes qui vont les chercher dans Rome en usant de leur rang de héros pour les emmener dans leurs appartements !
Et les femmes des sénateurs, elles en disent quoi ?
Les femmes des sénateurs sont pour la plupart de braves paysannes, elles ont vu leurs maris partir avec toi pour l’épopée, mais au lieu de voir revenir leurs maris, elles ont vu revenir des héros, et considérés comme tels par toute la population.
Et alors ? Ce n’était pas le cas pour toi ?
C’était le cas pour moi-aussi, mais moi-même, à la différence des autres, savait que j’avais épousé un être spécial, je t’ai vu souffrir avec Rufus, j’ai vu Armadé échafauder des plans autour de ta personne, je savais que je n’épousais pas un simple guerrier. Je savais que tu étais destiné à devenir une sorte de grand chef ou de héro, … bien que pour finir, tu sois devenu un demi-dieu.
Oui bon, et alors ?
Alors ce que je veux dire, c’est que pour moi, tu es resté le même qu’avant, tu es le même être d’exception que j’ai toujours connu. Les autres femmes ont épousé de bons guerriers, et au lieu de rester de grands guerriers, ils ont été propulsé au rang de héros de la vallée Alpine, puis d’un empire, et certains ont pris la grosse tête, ils ont changés. Dans ces somptueux palais, leur brave petite paysanne ne leur suffit plus, ils veulent du plus beau, du plus jeune, du plus pimpant, et ils le trouvent facilement, au point de délaisser complètement leurs épouses. Lors de votre retour de Germanie, certains ont fait le tour des esclaves femmes pour choisir les plus belles comme esclaves de sexe. Ils les ont emmenées au palais, les ont vêtues de belles robes, et en ont fait une coure…
Le récit de Sabrine me stupéfiait et je me demandais comment tout cela ait pu se passer sous mes yeux sans que je ne remarque rien. Elle continua :
Ces courtisanes prennent de plus en plus d’assurance, et du haut de leur statut d’esclaves pour certaines, elles osent mépriser les femmes légitimes des sénateurs, reléguées au rang d’éleveuses d’enfants, et ne se gênent même pas d’aborder directement des pères en public en leur faisant des propositions.
Eh bien je n’y ai vu que du feu, à vrai dire, je ne m’occupe pas vraiment de ces problèmes domestiques, et puis je n’ai jamais eu droit à la moindre proposition…
Non, c’est vrai, tu es si étranger à ce genre de manigances qu’elles n’ont pas été jusqu’au culot de t’importuner avec ce genre de choses, même si j’ai remarqué bien des regards sur toi, que tu ne remarquais pas toi-même… Mais, tu auras bien remarqué toute une série de pères sénateurs qui se sont paré de beaux vêtements brodés, qui se parfument avec de l’essence de fleurs odorantes, qui sont toujours rasés de près. Ils n’ont plus grand-chose à voir avec toi toujours fichu de ton long pagne à capuche comme Rufus, ou encore les équipements rustiques de Marco ou Paskale. Eux ils ont intégré la civilisation, tandis que vous, vous vous contentez de tailler grossièrement vos barbes à coup de dague une fois par semaine, vous sentez encore le fauve, vous vivez et pensez toujours comme des barbares, eux ils ont complètement changés.
Oui, j’avais remarqué que certains semblaient prendre plaisir à se vêtir comme des seigneurs, je voyais ça avec dédain, mais après tout, ne sont-ils pas des seigneurs ? Alors s’ils se civilisent ainsi, tant mieux pour eux, mais ils exagèrent avec ces histoires de bonnes femmes et ça m’énerve, lui répondis-je, donne moi les noms des pères coupables de délaisser leurs femmes, je vais remédier à tout ça.
Et là Sabrine me laissa pantois en me déclarant :
J’ai déjà tout organisé, trois épouses m’ont demandé la permission de retourner dans leur village avec leurs enfants ou bien de laver leur honneur d’une manière ou d’une autre. Ces épouses, éhonteusement trompées et délaissées par des sénateurs qui ont été jusqu’à faire des batards à leurs esclaves de sexe recevront justice mercredi dans le cirque du colisée.
Et comment comptes-tu t’y prendre ?
Un guerrier a accepté de défendre l’honneur de ces femmes en se battant contre leurs maris, un après l’autre.
Donc comme ce sera des duels d’honneur, tu es entrain de me dire que des sénateurs devront défendre leur vie dans le colisée face à toute la populace ?
Oui, c’est ça !
Et quel est le guerrier qui a accepté de lutter contre trois de mes champions alpins ?
C’est un roi qui va combattre, j’ai demandé à Paskale, et il a accepté de bon cœur !
Paskale ??? Rien que ça ! Tu m’étonnes qu’il ait accepté ! C’est bien le premier qui savourera un massacre en duel dans le colisée sous les vivas de la foule. Bon, et alors c’est qui les trois pères qui vont avoir affaire à lui ?
Sébastos, qui a plusieurs maîtresses et qui en a mis deux enceintes.
Ce sera pas une grosse perte, c’est un con, lui répliquais-je, Paskale n’en fera qu’une bouchée. Et les autres ?
Pline et Gaspar, qui ont chassé leurs femmes de leurs appartements pour y installer leurs conquêtes.
J’acquiesçais puisque c’était des pères qui de toutes façons n’apportaient jamais grand-chose aux assemblées, mais un peu déçu tout de même que Sabrine ne m’ait pas demandé à moi-même de me charger de débarrasser ces nuisibles du palais, je le lui reprochais. Elle me répondit qu’en tant qu’Empereur, ce n’était pas à moi de m’impliquer dans ces duels d’honneurs de femmes… Je comprenais son point de vue, et j’étais sidéré de voir que ma petite femme ait organisé tout ça comme une grande jusqu’à mettre en branle toute une populace jusqu’au colisée pour voir trois sénateurs se faire étriper par un roi. Mais elle me dit qu’ils n’étaient pas encore au courant, que tous les sénateurs étaient convoqués au colisée mercredi, et que ces trois là seraient invités à descendre dans l’arène combattre, un après l’autre.
Il y avait beaucoup d’autres pères impliqués dans ces affaires de mœurs, mais seules trois femmes avaient formellement demandé à Sabrine de rétablir leur honneur publiquement, c’est pourquoi il n’y aurait que ces trois d’appelé dans l’arène.
Le mercredi suivant, le colisée se remplit de spectateurs sans savoir ce qui allait se passer. Les sénateurs, autant dans le flou que la populace, venaient par obéissance à la convocation de l’impératrice, mais personne à part Paskale, moi-même et les trois femmes bafouées ne savaient rien du motif de cette invitation faite par Sabrine.
Les trois femmes des sénateurs étaient sous les arcades en bordure de piste, de sorte que le public ne puisse les voir. Paskale était seul, au milieu de l’arène, il faisait tournoyer ses deux épées en haranguant le public qui s’installait : « Aujourd’hui, pas de démonstrations ni de jeux, foi de Paskale, vous aurez droit à du sang », disait-il entre autres choses.
Lorsque le cirque fut rempli et que tous les sénateurs furent installés, Sabrine prit la parole pour exposer à peu prêt les mêmes récriminations qu’elle m’en avait fait part deux jours auparavant. Elle indiqua que plusieurs épouses (sans en indiquer le nombre) s’en était remises à elle pour laver leur honneur, et qu’elle avait mandaté son Altesse Paskale pour s’en charger.
Marco était à côté de moi, stupéfait de voir Sabrine dans le rôle de grande prêtresse du cirque, mais plutôt satisfait de voir que quelqu’un s’intéressait à ce genre de détails, et à mesure qu’elle avançait dans son récit, je ne pouvais m’empêcher de lui dire : « T’as vu comme elle a pris les choses en main, y va y avoir du sang mon pauvre ami, regarde un peu comme Paskale s’impatiente, il trépigne comme un taureau ! » … « Eh Marco, vise un peu la tribune des sénateurs, y’en a qui ont la bougeotte… ils doivent avoir des sueurs froides en voyant Paskale aussi excité ». Marco commençait à se détendre sur son fauteuil, un petit sourire au coin des lèvres, content de la bonne surprise concoctée par notre impératrice bien aimée.
Sabrine termina son discours par : « Dès ce soir, je chasserais toutes les courtisanes des palais et restaurerait les droits et respect qui est dû aux épouses des pères ! Et maintenant, les femmes des sénateurs qui ont demandé réparation vont obtenir ce qu’elles ont demandé par la main de son Altesse Paskale ! »
Elle fut interrompue par un tonnerre de cris de joie et d’encouragements qui tombait sur mon guerrier terrible au centre de l’arène, tandis que les sénateurs se tassaient un peu plus sur leurs sièges, sans pouvoir s’éclipser en douce, car une lignée de prétorians s’étaient installé derrière eux, armes au poing.
Après quoi, Sabrine annonça : « Que la première épouse s’avance avec les armes de son mari ».
Et Miralva s’avança dans l’arène, portant les armes de Sébastos qui devint blême. Sabrine rajouta : « Sénateur Sébastos, je vous ordonne de descendre de votre tribune et d’aller défendre votre honneur, si vous en avez encore ! »
Sébastos se leva mais ne semblait pas disposé à obéir. Au contraire, il justifia son attitude et ses actes en disant qu’il était loin d’être le seul dans ce cas, qu’il y en avait plein d’autres qui vivaient comme lui…, mais Sabrine ne lui laissa pas le temps de se justifier, elle rétorqua d’un ton sec : « Sénateur, vous plaiderez votre cause devant Paskale, pas devant moi. Quand aux autres, leur tour viendra si leur femme l’en a décidé ainsi ! » Après quoi, elle fit un signe de la main à Guérart, qui donna un ordre aux prétorians derrière Sébastos. Poussé en avant par les guerriers, ce dernier descendit dans l’arène.
Il prit les armes que lui tendait sa femme en la traitant de traitresse ou quelque chose comme ça, et puis il tenta de rappeler à Paskale qu’il était un ami, qu’ils avaient vécu plein d’aventures ensembles, qu’il lui avait même offert un lièvre qu’il avait chassé lors de la première épopée…, mais Paskale éclata : « Maintenant si tu ne te bas pas, je te tue tout de suite, bordel ! »
Sébastos se en mit position de combat, mais Paskale était si excité qu’il lui trancha une jambe déjà lors du premier assaut. Le gaillard tomba à terre gémissant tel un goret, et le roi parut désarçonné face à une mise à mort après un si bref combat. Il regarda le public en lui criant : « Qu’es-ce que j’en fais ? » Le public hurla la sentence « à mort » en baissant le pouce pour bien exprimer sa volonté. Alors Paskale regarda Sabrine, qui fit comme le public en baissant le pouce, alors il trancha la tête de Sébastos d’un coup prompt.
Ensuite, la deuxième femme entra dans l’arène avec les armes de Pline, et le scénario se répéta, mais avec un peu plus d’organisation. Paskale avait eu son premier mort, il était moins impatient et fournit un combat un peu plus spectaculaire en le faisant durer un peu plus. La sentence de mort se répéta par la voix du public, tout heureux de pouvoir participer à la décision de vie et de mort avec l’impératrice.
La tribune des sénateurs faisait peine à voir, les pauvres tremblaient à l’idée qu’ils seraient les prochains à passer entre les mains de Paskale, mais tout s’arrêta après le duel contre Gaspar qui fut tué loyalement durant le combat.
Le spectacle, discours inclus, dura un peu plus d’une heure, et je crois que tous les romains présents apprécièrent de voir que même les sénateurs n’étaient pas à l’abri de la justice des armes. Quant aux sénateurs, ils avaient tous bien compris ces exemples, et je gage que le soir même, ils présentèrent leurs excuses à leurs épouses bafouées qui avaient été assez bonnes pour ne pas demander justice. Quant à Sabrine, dès ce jour, elle acquit une véritable stature de pouvoir impérial. Elle était à l’origine de la chute de trois pères, et par ce fait ils la respectèrent et la craignirent par la suite, tandis que les femmes avaient trouvé en elle un véritable soutient à leur détresse.
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Après quelques mois de combats dans les montagnes des Pyrénées, Rino se résolut à demander secours à Marco Fallacio et son unité des milles. La 13ème armée était à l’agonie, sur les 50'000 guerriers qui la composaient au départ, 23'000 avaient péris dans ces montagnes, sans compter 13'000 blessés, rapatrié à Rome par une porte.
Marco, Rino et moi-même décidâmes d’aller visiter le général Bertone, commandant en chef de la 13ème armée, ou du moins ce qu’il en restait. En un saut de porte, nous nous retrouvions dans son camp des Pyrénées. J’avais déjà vu ces monts un peu au nord du grand marché de Barcellonia lors de notre virée maritime avec Sérafino. Nous tentâmes de comprendre ce qu’il se passait réellement avec ces maudits basques.
Le général Bertone nous indiqua que depuis la ville de Bézié, toute proche des montagnes des Pyrénées, ses hommes avaient d’abord dû traverser une jungle humide, marécageuse et si malsaine, qu’avant même de commencer les combats avec les Basques, des milliers d’hommes tombèrent malades, et une partie en mourût. Cette jungle agressait non seulement la santé des chevaux, mais aussi celle des guerriers. Il leur fallut plus de cinq jours pour couvrir la distance séparant Bézié de Perpinian, qui n’était en fait qu’un petit marché de pécheurs en lisière de jungle. Perpinian se soumis rapidement face à la 13ème armée. Une partie de l’armée commençaient déjà à être souffrants après ces quelques jours marécageux, malgré l’absence de combats. La jungle humide portait toutes sortes de fléaux, comme la dysenterie qui frappait violement la santé des hommes, et une foule de maladies inconnues. Il y avait encore des plaies qui, faute de pouvoir cicatriser, purulaient, complètement infectées, ce qui occasionnait de sérieuses fièvres. Cette région de plaine avait été une vraie peste pour les guerriers, et il était heureux qu’ils n’y soient restés que cinq jours.
Après Perpinian, l’armée se lança à l’assaut de la chaîne de montagne, et dès qu’ils eurent pris un peu d’altitude, ils sortirent de l’enfer vert des marécages de la plaine. La jungle cédait sa place à une forêt d’altitude plus éparse, clairsemée de prairies, et le climat devenait plus sain. A flan de coteau, ils trouvèrent un clan qui refusa la reddition, et malgré les conditions des nos guerriers, ils vainquirent facilement et passèrent le clan par le feu avant de nous envoyer les 6'000 survivant à Rome, qui arrivèrent par la porte des esclaves.
Puis, Bertone et ses hommes trouvèrent sur leur chemin les Basques ! Il m’informa que l’ennemi disposait de positions imprenables, au sommet de montagnes interdisant tout assaut réglementaire. J’écoutais les déboires de ce général, et je voyais en face de moi un homme usé par cinq mois de luttes contre les clans Pyrénéens. Après plusieurs assauts, et plusieurs milliers de morts, sachant que trois armées supplémentaires arrivaient du nord, il ordonna à une escouade valide d’emmener une porte au sud des montagnes, en longeant la mer pour éviter les Basques. Ils parvinrent à installer une porte juste au sud des montagnes, ce qui permis aux trois armées d’entrer dans le territoire espagnophone sans avoir à traverser la terrible jungle du nord.
Ceci fait, il resta avec son armée pour tenter de mater ces Basques. Bertone me conseilla d’ailleurs de laisser ces clans à leur sort et de concentrer nos forces dans la péninsule Ibérique du sud. Je n’acquiescais pas à sa proposition, mais la comprenais, vu que cette 13ème armée semblait bien avoir bien tout tenté et tout souffert pour venir à bout de ce peuple, qu’ils considéraient maintenant comme invincible. Mais avant de capituler, je devais voir par moi-même ces clans fortifiés pour me faire une idée de la puissance ennemie. Nous laissions donc passer la nuit pour entreprendre une reconnaissance dès le lendemain avec mon escorte personnelle.
A l’aube, nous quittions le campement avec Victorio, Marco, Rino, le général Bertone et mes hommes d’élite. Après le passage d’un col, nous nous retrouvions sur un replat, surplombé par une véritable forteresse située au sommet d’une montagne, qu’on pourrait presque qualifier de pic rocheux. L’enceinte de protection épousait le tour du sommet de la montagne, tandis que la citadelle, sur le pic sommital, donnait l’impression de prolonger naturellement le terrain. C’était effectivement une ville impossible à conquérir !
On pouvait toutefois apercevoir que mes hommes s’étaient véritablement démenés pour prendre d’assaut ce fortin. Des centaines, peut-être des milliers de cadavres pourrissant jonchaient le sol, certains criblés de flèches, d’autres écrasés par des rochers ou autres troncs que l’ennemi avait projeté depuis le fort. Les morts étaient si nombreux que les survivants ne prirent même pas la peine de les enterrer, et ils constituaient maintenant la nourriture des charognards du coin. La puanteur de la décomposition était insoutenable, mais nos chevaux continuaient à avancer, marchant sur les cadavres. Nous vîmes quelques mouvements sur les murailles adverses, ainsi que des préparatifs d’attaques imminentes, ce qui nous fit reculer quelque peu pour nous mettre à l’abri d’éventuels tirs.
Malgré tous les macchabées de nos rangs jonchant le sol, qui trahissaient de violents affrontements, la muraille des montagnards n’avait même pas été entamée, et la question de l’opportunité de soumettre ces villes fut soulevée par mon fils, Victorio. Sa réflexion consistait à penser qu’il était inutile de perdre encore des divisions entières pour quelques milliers d’esclaves supplémentaires. Il n’avait peut-être pas tout tort le petit bougre, mais sur un plan logique uniquement. Je le soupçonnais en outre d’être encore trop jeune pour supporter émotionnellement le paysage qui nous entourait : Des monceaux d’os et de tissus brunis par le sang séché, des chairs dépecées par les bêtes sauvages, une puanteur innommable, et la peste qui ne devait pas être bien loin, bref, un paysage pas vraiment fait pour un enfant. Toutefois, je me fis fort de lui expliquer la raison de la prise obligatoire de ces fortins de montagne. Il n’y avait rien de pire pour l’empire que de baisser les bras devant un éventuel résistant borné. Ceci n’était de nature qu’à encourager d’autres chefs à nous résister, ce qui n’augurait rien de bon pour le futur. Il fallait que chaque région sache clairement que là où les troupes de l’empire passent, il ne reste que des clans soumis où brûlés ! Peu importait les pertes, il fallait asseoir la juridiction romaine partout, y compris dans les recoins les plus isolés de l’empire. L’enfant raisonnait logiquement, mais il ne pouvait pas encore comprendre tous les enjeux politiques que pouvait induire une telle reddition.
Je le rassurais cependant en lui indiquant que je n’avais pas l’intention de sacrifier encore plus de bataillons pour ces clans de montagnards. Bertone m’indiqua que tous leurs principaux marchés étaient bâtis de la sorte : Au sommet des montagnes, fortifiés à même le rocher, imprenables. Tout ce que mes troupes purent détruire furent les postes avancés en moyenne montagne. Aucune des villes-forteresse ne fut un tant soit peu inquiétée par leurs attaques. Toutefois, mes hommes gardaient encore les voies d’accès qui leur permettait d’entrer et sortir de leurs fortins. Chaque forteresse disposait tout de même d’une route pour le transport de marchandises. Ces Basques vivaient au sommet des montagnes, tandis que leurs champs, cultures et pâturages s’étalaient plus bas. A l’arrivée de mes armées, voici un peu plus de 5 mois, ils venaient de terminer leurs récoltes, ce qui signifiait qu’ils disposaient de réserves importantes à l’intérieur des citadelles. Ils n’eurent pas le temps d’emporter le bétail, et ce dernier revint à mes troupes. Elles avaient cependant de plus en plus de peine à tenir leurs sièges, car nos pertes due aux maladies et aux tentatives d’assaut avaient tant réduit nos forces qu’elles n’étaient plus en mesure de résister à certaines sorties organisées des Basques.
Le général Bertone considérait d’ailleurs ces basques comme de véritables paranoïaques ! Non seulement, ils avaient de la nourriture en suffisance dans leurs fortins, mais ils étaient surarmés : Derrière chaque murs, ils avaient des catapultes, et des munitions en nombre phénoménal. Et même s’ils venaient à manquer d’alcool pour leurs balles enflammées, ils pouvaient creuser la montagne sur laquelle ils étaient perchés pour tailler des pierres de jet…
Durant notre retour au campement, je réfléchissais à haute voix pour que Victorio prenne de la graine : Il était impossible de continuer un siège dans de telles conditions. Il fallait en finir au plus vite car nous n’avions pas l’intention de rester encore des mois en ces lieux. Une telle option n’était même pas envisageable. Pour en finir, il était également inutile et suicidaire de vouloir lancer des assauts en règle. Seule une action commando comme je l’avais pratiqué contre certaines villes rebelles pouvait en venir à bout rapidement. Toutefois, il n’était pas question d’utiliser le cheval pour grimper la parois rocheuse jusqu’aux enceintes. Il n’était ni question d’escalader cette montagne avec mon unité d’élite sous le feu de l’ennemi. Nous serions tous tués avant même d’avoir atteint la muraille. Non, il fallait ruser, y aller de nuit, même si c’était risqué.
Autour de cette première ville, il ne nous restait plus beaucoup de troupes, à peine suffisantes pour garder les passages. Lors de notre apparition, les adversaires n’observèrent qu’un petit détachement d’hommes montés qui vérifiaient les positions, pour repartir aussitôt.
Je remerciais le général Bertone pour sa bravoure, son courage et sa ténacité, et le renvoyait à Rome avec tous ses hommes encore en vie par la porte, en leur octroyant deux mois de repos bien mérité. J’envoyais aussi un messager auprès de Paskale pour qu’il vienne tout de suite avec son armée romaine, et une heure plus tard, il était auprès de nous.
Nous tînmes un conseil de guerre avec Marco Fallacio et Paskale, et décidions d’attaquer cette nuit même. Le général Bertone, qui avait renvoyé ses hommes à Rome mais qui insistait pour rester afin de voir notre stratégie, fut tenu à l’écart de la réunion. Il était bien trop pessimiste et alarmiste et ne nous était d’aucune utilité pour établir un plan d’attaque constructif. Notre plan d’invasion de la ville fortifiée était déjà prêt dans la soirée.
Les divisions de Paskale avaient pour ordre de se positionner de nuit devant la montagne-forteresse, hors de vue des Basques. Leur mission était de garder le chemin du fortin, et faire prisonnier tout individu qui tenterait de fuir, pendant que nous prendrions d’assaut leur forteresse avec mon escouade impériale et l’unité des milles de Marco. Les 30'000 hommes de Paskale ne devraient avancer en direction du fort que tard dans la nuit.
Une fois les accès bouchés et bien gardés, en ayant fait attention de ne pas nous faire repérer, nous attendions la nuit noire pour commencer notre opération. Victorio allait déjà sur ses 12 ans, et ses progrès dans l’art du combat m’incitèrent à l’intégrer à l’unité pour lui apprendre comment mener à bien une opération punitive sans sacrifier de bataillon. Il resta donc à mes côtés, et dans le noir d’une nuit sans lune, nous nous mettions en route avec Marco et ses hommes.
Nous n’étions pas pressés dans notre avancée, et ce, pour deux raisons. La première étant de faire le moins de bruit possible pour maintenir l’effet de surprise. La deuxième était que je ne souhaitais entrer dans la ville qu’à la fin de la nuit, deux ou trois heures avant l’aube, au moment ou les ennemis avaient le plus de chances d’être dans un profond sommeil. Le paysage était d’encre, nous ne nous guidions que par rapport aux quelques feux qui brûlaient sur les murailles de la ville-forteresse.
La consigne était de n’avancer qu’à une vitesse d’escargot, assurer chaque pas avant de lever l’autre jambe. Nous avions aussi proscrit les cotes de mailles et entouré nos armes de petits draps pour éviter les bruits métalliques, tandis que nos bouches et nos nez étaient recouverts d’une bande de tissus épais pour éviter la peste lorsque nous marcherions sur les cadavres au bas de la montagne. C’est d’ailleurs la première chose que nous eûmes à affronter : l’immonde replat où des centaines de cadavres pourrissaient, et il n’était pas rare que nos pieds s’enfonçaient dans l’un ou l’autre. Toutefois, même si on marchait parfois dans une cage thoracique en y craquant quelques côtes, il n’y avait aucun risque que les gardes ennemis nous entendent d’aussi loin. Au fond de la pente qui se prolongeait jusqu’aux enceintes, c’est d’abord sur des monceaux de corps entassés que nous devions grimper. Mes troupes avaient certainement tenté des assauts massifs sur le fortin, et une fois touchés ou tués, les corps roulèrent jusqu’au bas de la pente. Ceci avait occasionné une sorte de barrage de chairs à l’extrémité du replat. Mais jusque là, nous étions tranquille, les guetteurs ne pouvaient ni nous voir ni nous entendre, ce ne fut qu’après le replat que la situation devint plus délicate.
Nous devions effectuer une escalade silencieuse dans le noir sans faire rouler la moindre pierre ni provoquer un seul bruit. L’escalade en soit n’était pas difficile, et à vrai dire, nous aurions pu monter cette pente debout. Mais chacun avait ordre de marcher à quatre pattes, et de chaque fois toucher le terrain sur lequel il allait poser un pied, ou une main, pour prévenir toute chute de pierre. Le plus dur se trouvait être l’avancée à tâtons dans le noir, en se veillant toujours à ne pas attirer l’attention des quelques vigiles qu’on apercevait sur les murailles. Je savais que je pouvais compter sur la discipline et l’agilité de mes hommes comme sur les milles fidèles de Marco, et effectivement, cette montée nocturne en rampant se déroula sans accroc. Nous atteignions sans encombre le pied de la muraille trois ou quatre heures après notre départ.
Une fois sur le lieu, je tirais Renaissance du fourreau, mais pas question de l’utiliser pour faire tomber un pan de la muraille, nous serions ensevelis dessous. Je ne serrais donc qu’un petit peu ma poigne pour découper pierre par pierre un passage au pied de l’enceinte. La lame entrait dans la roche comme dans du beurre, et cela ne produisait pas le moindre bruit, si bien que les gardes se trouvant juste au dessus de nous ne se doutèrent de rien d’anormal. Mes hommes s’occupaient de saisir chaque pierre que je détachais de l’enceinte, et les posaient en lieu sûr. Ils évitaient ainsi que les bouts de murailles ne dévalent la pente à grand fracas. Ainsi, patiemment, le tunnel au pied de l’enceinte prenait forme. Après trois heures d’un découpage de précision, nous avions un passage qui permettait à mes troupes de pénétrer la cité. Notre tunnel débouchait à l’intérieur d’une maison d’habitation, et pour preuve de notre délicatesse, j’ajouterais encore que les gens dormant dans la pièce d’à côté ne furent même pas éveillé par notre chantier. Je les endormis toutefois encore un peu mieux par un coup de Renaissance sur chaque habitant. Nous avions donc déjà une maison qui nous servait de couvert et de base pour l’investissement de la cité.
Les archets et arbalestriers d’élite avaient pour mission de pénétrer la ville en premier, et de neutraliser les murailles extérieures ainsi que la porte d’entrée du clan. Personne ne devait sortir de ces murs. Mon escouade impériale de 80 guerriers me suivait pour conquérir la citadelle, tandis que les autres avaient pour mission de se déployer par groupes de vingt dans toute la cité. Ils devaient toutefois attendre que les tireurs neutralisent toutes les forces sur les murailles pour se déployer, et rester le plus discret possible. Les arbalestiers arpentaient déjà la ville un à un, passant dans l’ombre des feux sur les murailles. Lorsque chacun tint en joue un guetteur différent, ils ouvrirent le tir. Une flèche pour chaque guetteur. Durant ce temps, je traversais déjà la ville avec mes combattants, et nous n’entendîmes que quelques râles étranglés des hommes abattus, ainsi que leur masse tomber des murailles. Pas de quoi inquiéter les dormeurs. Il y avait certainement encore des guetteurs à l’intérieur ou sur le toit de la citadelle, mais d’après mon expérience personnelle, sans nouvelles menaces et à une heure pareille, ils devaient dormir.
Lorsque les guerriers sur les murailles furent abattus, le mouvement de mes troupes se dispersant en ville commença à être perceptible dans la nuit. Mes hommes s’infiltraient par centaines dans la cité et se positionnaient à tous les postes les plus stratégiques, apparemment sans rencontrer la moindre résistance. Nous forcions toutefois nous aussi le pas, et arrivions devant la citadelle au moment même ou quelqu’un sonnait l’alarme. Trop tard, les murailles étaient prises, la porte d’entrée sous contrôle, et moi-même ne fis plus dans le détail pour percer une brèche dans le mur fortifié de la citadelle. En trois coups de lame, un passage suffisamment grand fut ouvert pour permettre à mon bataillon d’envahir la citadelle. Les matrones, les anciens et leurs familles, furent neutralisés immédiatement, tandis que des guerriers Basques bloquaient le 4ème étage, celle du chef. J’entrepris alors de lacérer des pans entiers de plafond à l’aide de Renaissance, et après l’écroulement presque complet du quatrième étage, un de mes hommes put mettre en joue Levalloi, chef de ce clan. Il l’abattit d’une flèche en plein coeur, et le chef tomba à nos pieds, sans vie. Les quelques guerriers restant dans la citadelle posèrent les armes et se rendirent.
Nous sortions ensuite de l’édifice, pour nous retrouver face aux habitants qui cherchaient justement à s’y réfugier. Lorsqu’ils nous virent sortir en tenant en joue leurs conseils, je me saisis de la dépouille de Levalloi, la leva à deux mains par dessus ma tête, et lançais le chef désarticulé aux pieds de la populace. Prise de panique, elle s’enfuit cette fois-ci dans l’autre sens, vers la porte principale du marché. Désemparés, ils s’agitaient maintenant dans tous les sens. Pour les calmer, j’ordonnais aux arbalestriers de tirer dans la foule. A l’aide d’un porte voix, j’indiquais à la population que les tirs ne cesseront que lorsqu’ils se seront tus. La discipline ne tarda pas à revenir, tandis que l’armée romaine de Paskale avait déjà pénétré dans la ville par la grande porte. Il avait été averti que la voie était libre par le tir de trois flèches enflammées, et son armée s’était précipitée dans le marché. La ville comptait environ 12’000 habitants, et peut-être deux mille guerriers.
Les hommes de Paskale avaient emporté une porte de téléportation, et au levé du jour, il ne restait plus un seul basque dans ce foutu village, ils étaient déjà tous à Rome, grossissant les rangs de nos esclaves.
Nous pûmes fêter dignement cette belle et propre victoire. Des milliers de mes hommes avaient laissés leur vie pour tenter de prendre cette ville ces derniers mois, tandis que notre incursion nocturne n’occasionna que 5 morts parmi mon unité d’élite et celle de Marco, plus 13 autres blessés par des flèches perdues. Aucun mort dans l’armée romaine de Pascalle, qui était arrivé, il est vrai, un peu après la tempête… Bref, un succès total et magistral, certainement ma plus belle opération. Victorio en était tout éberlué, lui qui encore la veille me conseillait de laisser ces clans à leur sort pour nous concentrer sur l’invasion du pays espagnophone. Il soupesait son erreur, tout en sachant que sans Renaissance, la prise du fortin eut été impossible sans un siège long, pénible et ravageur de vies.
La tentation de brûler cette ville était grande. L’incendie se verrait à des lieues à la ronde et impressionnerait bien des marchés rebelles. Mais entre les désirs et les nécessités, il y avait un gouffre. De fait, ces forteresses bâties au sommet des montagnes disposaient d’un rayon d’observation immense. Les enceintes ne possédaient pas de miradors, car depuis les tours de gardes sur les murailles, nous pouvions déjà surveiller un vaste territoire. Ces villes nous seraient très utiles pour contrôler les échanges et passages des cols pyrénéens, et si nous avions besoin de ces lieus stratégiques, il aurait été absurde de les détruire pour les rebâtir ensuite.
Notre tactique impliquait cependant le renouvellement de notre opération d’attaque pour chaque marché de montagne, et notre offensive ne faisait que commencer. Par contre, la méthode avait l’avantage qu’à chaque nouvelle attaque, nous bénéficions d’un total effet de surprise. Sans incendies ni mouvements de troupes exceptionnels sur les cols, les marchés successifs ne voyaient ni ne sentaient le danger venir. De plus, l’isolement que les sièges infligeaient à ces peuples ne leur permettait pas de savoir ce qu’il se passait d’un marché à l’autre. Tour à tour, nous prîmes les 23 villes-forteresses des Pyrénées en 59 jours, pour contrôler finalement la totalité des points stratégiques de cette chaîne de montagne.
Chaque invasion ne se passa pas aussi bien que celle menée contre le premier marché. Plus vite l’alarme était sonnée dans les villes, plus ardu était le combat. Le pire se produisit contre le marché de Brella, le septième conquis. Les indigènes sonnèrent l’alarme alors que notre tunnel d’entrée n’était pas encore terminé, et qu’aucun de mes hommes ne se trouvait dans la ville. L’incident vint du fait que plusieurs pierres se détachèrent en même temps de la muraille pour dévaler la pente en contrebas, ce qui attira l’attention du guetteur présent sur le tour de garde.
Dès que j’entendis le guetteur sonner l’alarme, je criais à mes hommes de se tenir le long du mur, de décrocher leurs boucliers du dos, où ils l’avaient attaché pendant l’ascension, et de le tenir sur leur tête. Après quoi, je serrais Renaissance dans ma main, et elle s’agrandit à grande vitesse dans le mur d’enceinte. Rapidement, je lui fis faire quelques cercles concentriques, et les pierres dévalèrent dans la pente. Le tunnel était fait !
Sur les murailles, quelques gardes avaient accourût et ils décochaient des séries de tirs en contrebas, sans vraiment savoir où ils tiraient compte tenu de la nuit. Dans la ville, les guerriers devaient à peine être entrain de se réveiller, ils n’avaient pas eu le temps de faire chauffer de l’huile pour nous la verser dessus, ni d’apporter des pierres ou quelque autre projectile que ce soit. Ne restait que ces gardes sur la muraille, et les quelques flèches qui nous atteignaient étaient pour la plupart détournées par les boucliers que nous tenions au-dessus de nous.
Dès que le tunnel fut fait, nous nous engouffrions dans la ville. Marco criait ses ordres : « Dans la ville, nous formons les bataillons, l’ennemi n’est pas encore organisé, nous prendrons quartiers par quartiers jusqu’aux portes d’entrées, sans affolement, sans précipitation ! Léopold et ton escouade, vous restez avec nous, on ne prend pas la citadelle pour l’instant ! »
Une fois dans les enceintes, nous fûmes surpris de ne pas rencontrer de résistance immédiatement… Les Basques pouvaient peut-être s’attendre qu’à l’aide de grappins, nous essayeront d’escalader leur muraille, mais ils n’avaient tout simplement pas imaginé que nous pourrions percer un tunnel dans leur enceinte. Ils pensaient de toute façon à une attaque frontale, sans doute depuis la route. La population de Brella, fraîchement tirée du lit, courrait se mettre à l’abri dans la citadelle, tandis que les guerriers faisaient marche vers la porte de leur marché et prenaient position sur le mur d’enceinte.
Une première partie de la ville, désertée par les guerriers ennemis, tomba rapidement sous notre contrôle. Tous les habitants qui n’avaient pas fui furent tués, le quartier était nôtre. Le danger principal, pour nous, étaient les archets et arbalestriers Basques postés sur la muraille. Nous avancions ainsi en restant à couvert, tout en tirant sur eux à chaque occasion. Rapidement, nous nous rendîmes compte que nous ne pourrions pas accéder à la porte d’entrée, car les guerriers ennemis y fourmillaient, tant sur la muraille au-dessus des portes que sur la place à l’arrière, où ils préparaient déjà leurs catapultes, enflammaient leurs balles de munitions, faisaient bouillir de l’huile. Nous étions coupé de l’armée romaine de Paskale, et ne pouvions plus compter sur lui.
J’ordonnais alors à tout le monde de faire volte face, et de remonter les ruelles en courant jusqu’à la place de la citadelle, afin d’attaquer ce bâtiment pendant que les guerriers Basques vers les portes de la ville commençaient à comprendre qu’une force d’une importance honorable était déjà dans leurs murs ! A l’approche de la citadelle, les guerriers postés à l’intérieur nous envoyèrent une véritable pluie de flèches. Victorio resta en retrait avec une douzaine de mes gardes, tandis que nous foncions avec Marco et nos hommes à l’assaut du bâtiment.
Durant cette attaque, je fus touché à deux reprises. Une première flèche vint se planter dans mon flan, un peu plus bas que les côtes, mais elle ne traversa que les chairs et les muscles. Une deuxième, plus douloureuse, se ficha sur l’avant de ma cuisse. Mais le pire était à venir : Alors que nous étions à peine à une centaine de pas de la citadelle, Marco fut touché par une flèche qui lui transperça le cou. Elle était entrée par l’arrière, avait passé juste à droite de sa colonne vertébrale, et juste à gauche de son artère carotide, pour ressortir en avant, à droite de sa pomme d’Adam. Marco se retourna, vit l’homme qui avait tiré depuis le toit d’une maison de l’autre côté de la place centrale, il banda son arc, et d’un tir violent et précis, tua son bourreau, qui tomba du toit. Voyant cela, ma rage explosa, et malgré deux flèches dans mon corps, je poussais mon cri de guerre avec une telle violence que mes hommes se galvanisèrent pour l’assaut de la citadelle. La moitié de mon escouade courrait devant moi, boucliers levés à bout de bras pour me protéger, et malgré la flèche dans ma cuisse, j’entamais une course digne d’un pur sang arabe ! Mon poing était si serré sur Renaissance qu’elle était plus grande que jamais. Je tranchais les murs du fortin, et un premier pan s’écroula, mais dans ma fureur, je continuais à courir autour de la citadelle en découpant en biais ses fondations de toute ma force. Dans un vacarme étourdissant et un brouillard de poussière, le bâtiment de 6 étages fini par s’écrouler complètement, ensevelissant du même coup toute la population qui s’était réfugiée à l’intérieur.
Les Basques, qui avaient maintenant déserté la porte d’entrée du clan pour revenir vers la citadelle marquèrent un temps d’arrêt : leur bastion le plus fortifié venait de s’écrouler comme un château de sable. Je dépêchais immédiatement mon escouade d’élite avec pour mission de contourner les forces Basques qui montaient à notre rencontre et rejoindre la porte d’entrée du clan pour de l’ouvrir à l’armée de Paskale.
Quant à l’unité des mille, elle avait repris ses positions en bataillons de 50, sous la direction de Marco, qui arrivait encore à hurler ses ordres, en crachant pas mal de sang, sa flèche toujours fichée dans le cou. Je le regardais un instant, mais détournais bien vite le regard pour le concentrer sur l’ennemi. Rien que de voir Marco ainsi, j’avais eu une poussée de larmes, mes yeux s’étaient embués, car je savais que mon ami, mon mentor, le grand Seigneur légendaire de la guerre, livrerait ici sur cette place, sa dernière bataille !
Les troupes basques arrivaient maintenant de l’autre côté de la place de la citadelle. Marco ordonna une première salve de flèches, et une série de basques s’écroulèrent, tandis que les autres reculèrent pour se cacher derrière les maisons en bordure de la place. Nous ne voyons que par les jeux d’ombres et lumières que procuraient les feux allumés sur les remparts et dans les carrefours, mais c’était suffisant pour abattre ceux qui représentaient un réel danger pour nous : Les guerriers en poste sur les murailles. Avec des tirs venant de l’intérieur de la ville, ils n’avaient aucune protection, aucun mur pour s’abriter derrière. Nous nous débarrassions bien vite de cette menace. Après la destruction de leur citadelle, après avoir vu la précision diabolique de nos tireurs, et après avoir entendu un grand tumulte auprès de la porte principale de leur ville qui venait de s’ouvrir, un homme pénétra sur la place, levant haut un drapeau blanc. Au même moment, je vis en aval, vers la porte d’entrée du clan, s’élever les trois flèches enflammées signalant à Paskale et son armée que le passage était ouvert.
Je m’approchais alors de Marco et lui dis : « - On va pas en rester là l’ami ? ». Marco cracha un peu de sang, décocha une flèche sur le porteur du drapeau blanc qui s’écroula au milieu de la place, et répondit en souriant : « Sonne la charge Léopold, tu me dois bien un beau massacre pour ma mort ? On y va comme au bon vieux temps, dans le vif du sujet ! »
« On se battra dos à dos Marco, on ne se quitte pas, vu ? » lui dis-je.
Il acquiesça et rajouta simplement : « Ce fut un honneur de combattre avec toi Léopold. Allons-y ! »
Sur ce, j’ordonnais aux milles de charger à travers la place : « Pas de quartiers, pas de prisonniers, on offre un massacre à Marco pour ses adieux ! » Après quoi, je poussais encore une fois mon cri de guerre, et nos bataillons fondirent à travers la place et à travers les flèches ennemies. Certains des nôtres furent tués en traversant la place, mais une fois dans les ruelles face aux guerriers Basques, le massacre commença. Marco tuait aussi bien avec son épée qu’avec des coups de bouclier dont il ne se servait même plus pour se protéger, mais pour frapper. Moi je restais dans son dos, et endormait avec Renaissance tout ce qui s’approchait, dans l’autre main, je tenais mon arbalestre chargée et pointée en haut. Je jetais toujours un coup d’œil sur les toits et aux fenêtres des maisons au cas où un basque chercherait à nous nuire depuis là, et je n’eus pas tort, puisque j’en abattis cinq de cette manière. Après quelques minutes de combats dantesques, les troupes de Paskale arrivèrent et terminèrent le travail avant de mettre le feu à toutes les maisons du clan. Quelques hommes encore valides sortirent des maisons en feu, dont le chef de Brella, ou en tout cas, celui que les survivants reconnaissaient comme tel ! Ainsi, ce fameux chef, qui avait causé tant de mal à nos armées lorsqu’il ne risquait rien, protégé par sa forteresse, s’était caché pendant toute la bataille depuis qu’il eut envoyé l’émissaire au drapeau blanc…, courageux mais pas téméraire le vieux bougre !
Après avoir tué une bonne dizaine de ces fichus basques, Marco défaillit, et je le portais jusque sur la place, éloigné des flammes des maisons en feu. Son plus fidèle lieutenant, Barbertin, le soutint d’un côté tandis que le seigneur mythique passa un bras sur mon épaule afin de mourir debout.
Les survivants de l’unité des mille et de mon escouade se réunirent face à lui, les cavaliers de l’armée romaine restant un peu plus en retrait, tandis que Paskale fendit les unités d’élite sur son cheval en portant le chef de Brella au collet, qu’il lança à terre, aux pieds de Marco. Marco le regarda presque avec pitié, et je précisais au vieux chef : « Tu es là, face au plus grand Seigneur de guerre de notre empire, et c’est ton clan qui lui apporte la mort. Je compte jusqu’à 20 pour te laisser le temps de quitter ta ville ».
Le chef commença à s’excuser, mais au bout d’un moment, je lui dis : « Il te reste 15 secondes, … 12, 11… », et là, il commença à courir du plus vite que ses jambes le lui permettaient. Nos hommes s’écartèrent pour lui laisser le passage, et le chef dévala la rue centrale pour atteindre les portes du clan. Je demandais au lieutenant Barbertin de soutenir Marco, me saisis de son arc, le bandais, et terminais de compter d’une voix forte « 3, … 2, … 1 »,… alors je décochais la flèche, et je vis le vieux chef s’écrouler dans la rue.
Mon attention se reporta alors sur Marco qui donnait des signes de plus en plus évident de mort imminente, il n’avait pas vu et me demanda : « Tu l’as eu ? », je répondis que non, je l’avais touché mais qu’il bougeait encore : « Qu’on me ramène ici le vieux chef ! hurlais-je ». Après ma réponse, il lâcha : « joli tir quand même, pas évident de nuit ». Je lui répondis simplement que Maître Rufus ne se contenta pas que de nous apprendre à manier des bâtons d’aluminium, et Marco me fit un clin d’œil d’approbation… Paskale ramena le chef une seconde fois, la flèche plantée dans sa cuisse, mais je ne me préoccupais plus de lui, j’étais tout absorbé par l’agonie de Marco, qui porta ses yeux une dernière fois sur ses hommes. Il les remercia pour les batailles mémorables qu’ils avaient partagé avec lui, rendit hommage à la mémoire des guerriers qui avaient périt pour lui offrir cette dernière bataille, et conclut par : « Et maintenant : Gloire à Léopold ! ».
Je corrigeais en criant « Gloire à Marco Fallacio », et tous les hommes reprirent : « Gloire à Marco Fallacio, gloire à Marco Fallacio, … », mêmes les hommes de Paskale étaient descendu de leurs chevaux et criaient les louanges de ce champion hors normes. Puis, le grand guerrier ferma les yeux, expira, et mourut.
J’étais comme en état de choc. Durant un moment, je restais planté là, serrant fort la dépouille de Marco dans mes bras, sa tête sur mon torse, il n’y avait plus un bruit dans la ville à part le crépitement des flammes, tous les hommes avaient mis genou à terre, le visage grave et peiné. Après ces quelques instants de torpeur, je passais ma main sous ses genoux et portait son corps en me dirigeant vers la porte que les hommes de l’armée Romaine avaient installé au milieu de la place du village en feu. Paskale m’apostropha une dernière fois : « Que fais-je du vieux chef ? » Je lui répondis de briser ses tibias avant de me l’emmener à Rome a travers la porte, ainsi, il ne marcherait plus qu’à genoux. « Et les autres survivants », me demanda encore Paskale ? Juste avant de franchir la porte, je lui indiquais : « Tu as assez d’imagination pour régler seul ce problème, retrouve moi dans la basilique lorsque tout sera terminé… »
Je ne sais et n’ait jamais voulut savoir ce que Paskale avait fait des survivants, je sais que toi, Barnabé, tu le sais, et que tu désapprouves totalement. En fait, tout le monde sait de quelle genre d’imagination ce sacré barbare a usé pour en finir avec ce village, il y a même un nom qui existe aujourd’hui pour désigner cela, c’est : « La méthode Paskale »… Je suis le seul à ne pas savoir en quoi elle consiste, je n’ai jamais voulut en entendre parler, je n’ai jamais voulut regretter quoique ce soit concernant ce village maudit, la seule chose qui m’importait de savoir, c’est que cela fut efficace.
Sitôt la porte passée, je me retrouvais sous les portes de la place de la basilique de Pierre. Il faisait encore nuit, l’aube ne s’était pas encore levée, et la place était déserte. Je la traversais seul avec la dépouille du grand Seigneur dans mes bras. De l’autre côté de la place, je gravis les marches de la basilique, y pénétrait, traversait tout l’édifice illuminé en demandant aux saints que les statues monumentales représentaient de prier pour mon ami, le déposait devant le trône de Pierre, et ensuite, à genou devant le corps de mon meilleur ami, je m’effondrais en larmes.
Je ne me souviens pas d’avoir pleuré une fois dans ma vie, mais là, il s’agissait d’une fontaine de larmes silencieuse. Tout le respect, la vénération, … l’amour (?) que j’éprouvais pour cette immense figure du chaos ressortait par mes yeux. Il n’y avait pas de sanglot, pas de cris ni de couinement, juste une fontaine de larmes qui débordaient de mon cœur et de mon âme.
Après un moment ainsi, je retirais le casque de Marco, et pour la première fois, je vis son visage en entier. Mais ce visage secret le restera pour tous, même pour les lecteurs de ce récit. Rufus avait la marque des parias sur le front, mais personne ne saura jamais si Marco l’avait ou pas, il était de toute façon, comme Rufus, au-dessus de ce genre de statut. Je déposais un baisé d’adieu sur sa joue, et lui remis son casque d’or. Ensuite, je restais longtemps là, tout simplement, à offrir le corps et l’âme de ce grand homme au Dieu romain, lui demandant de l’accueillir en Son Paradis avec les honneurs qu’il mérite. Mais la fontaine de larme ne cessa pas, je restais complètement bouleversé par la disparition d’un tel ami et mentor.
Puis, alors que l’aube commençait à percer aux travers des vitraux de la basilique, Paskale arriva et s’agenouilla à côté de moi. Il vit mon désarroi et me demanda juste : « ça va aller ? ». Mais non, ça n’allait pas, je lui répondis : « Tu vois mon ami, j’ai une famille de sang, et une famille de guerre et de combat. Rufus, celui qui m’a tout apprit était mon grand-père et il n’est plus, Marco était dans cette famille comme mon père et il est mort, je me sens orphelin, seul… » Et alors, Paskale me souffla doucement : « Et moi je t’enviais ce père, mais ton amitié compensa cette envie. Si tu le veux bien, accepte moi comme ton frère d’adoption, ton frère d’arme, de guerre et de combat. …on ne sera pas seuls. »
A travers mon regard embué, je regardais Paskale avec reconnaissance, et lui répondis : « Après Rufus et Marco, tous deux morts, il ne reste que toi dans ce monde qui peut prétendre à ce lien de parenté de guerre avec moi. Oui, je veux bien t’adopter comme frère mon ami ! » Nous nous donnions l’accolade, puis nous entendions des bruits de pas s’approcher. Je tournais la tête et je vis des gens s’avancer dans la basilique, alors je demandais à Paskale de les chasser jusqu’à midi. Je ne voulais pas que mes hommes ou des pères me voient dans un état pareil, et je souhaitais rester encore un moment dans cet état de recueillement. Paskale les mit tous à la porte et demanda aux prétorians de garder le parvis de la basilique afin que personne ne puisse approcher jusqu’à ce que j’en sorte. Suite à quoi, il revint vers moi, et nous restions côte à côte à genou devant la dépouille du grand guerrier.
Je laissais mes souvenirs remonter, je me remémorais ma première rencontre avec Marco à 7 ans, notre seconde rencontre à Génévia 15 ans plus tard, nos batailles et combats commun, je lui rendis hommage dans mon cœur, et je retrouvais gentiment mes esprits, ma lucidité, pour finir par me résigner face à sa perte.
Alors je me levais et nous entreprîmes de sortir du lieu saint avec Paskale. En marchant, je lui demandais ce qu’il avait fait du vieux chef de Brella, et il m’informa qu’il avait donné l’ordre à ses hommes de le mettre en cage devant la basilique pour l’exposer à la vindicte populaire. Lorsque nous sortions de la basilique, aux alentours de midi, la place de Pierre était noire de monde, la nouvelle avait déjà fait le tour de la ville, et tous se pressaient pour saluer une dernière fois le grand Seigneur. Au premier rang, toutes les autorités, depuis mon père Armadé jusqu’au plus insignifiant descendant des champions de la première heure en passant par Rino et tous les autres rois. Toute la ville était là, attendant l’ouverture des portes.
Au sommet des marches, quelques hommes de Paskale gardaient la cage où était enfermé le chef de Brella. Je m’approchais de lui, le regardait au travers des barreaux, et, en lui désignant la foule innombrable, je lui dis : « Regarde la valeur de l’homme que les tiens ont fait périr, ton crime est inqualifiable ! Si au moins tu t’étais battu loyalement, tu pourrais être traité avec respect ; mais maintenant, il va falloir affronter le regard de tous ceux qui vont pénétrer dans ce temple pour rendre honneur au grand Seigneur. Après, tu disparaîtras dans une contrée où l’on expédie toutes les vermines de ton engeance. Et crois-moi, il aurait mieux valut pour toi être mort que d’aller vivre là-bas ! » Le vieux chef semblait sous le choc non seulement de cette foule, mais de l’énormité de la ville, il prenait conscience de son crime, de sa couardise, de sa lâcheté. Il aurait pu mourir avec honneur au combat, mais il vivra désormais dans le déshonneur. J’ordonnais aux guerriers de Paskale de veiller à ce qu’il reste en vie, et ne soit pas agressé par les gens qui pénétreront dans la basilique.
De mon côté, je fis soigner les plaies des deux flèches reçues avant l’aube dans cette ville de Brella. Barnabé s’occupa des soins comme d’habitude et je n’en gardais aucune séquelle à part les cicatrices.
La dépouille de Marco fut exposée dans la basilique de Saint Pierre et offerte au Dieu Romain par une sorte de rituel que tu prononças, Barnabé. D’ailleurs, je t’en remercie encore maintenant, ta cérémonie fut remarquable, quelle pompe et quelle émotion tu as fais ressortir de ce moment, cela resta inoubliable.
De mon côté, privé de Marco, je me sentais comme amputé de l’un de mes membres. Cela faisait longtemps que mon père n’osait plus me réprimander à la mode Marco ou Rufus, quant à Rino, depuis notre duel de Tourbillon, il ne m’a plus jamais tenu tête. Je combattais souvent contre le chef des Prétorians, le champion de toutes les armées romaines, Guérart, pour nous entraîner mutuellement. Mais même lui, qui pouvait me mettre parfois en difficulté, n’avait pas le charisme ni l’aura d’un Marco Fallacio. En guise de consolation, il me restait encore Paskale le fougueux, l’intrépide, un des seuls qui osait encore faire quelques entorses à mes règles, sachant d’avance ma bienveillance à son égard. Mais maintenant, cette bienveillance était encore étendue à une sorte de lien de parenté. Je dois bien l’avouer, je l’aimais bien cette brute, mais je ne l’admirais pas comme je pouvais admirer mes maîtres. Paskale n’était qu’un barbare comme moi, mais qui avait su rester plus barbare que moi…
Ainsi, je m’en retrouvais triste et comme abandonné, conscient d’être l’un des derniers des géants du Chaos, une race en voie de disparition, une race de terreurs, de guerriers purs sucre, de ce genre d’hommes qui ne savent rien faire d’autre que la guerre. Et, bien que Renaissance m’avait civilisé de force, le sang qui coulait dans mes veines était celui d’un tueur, d’un massacreur de parias, un sang pierreux qui sortait d’un cœur de pierre ! Lorsque notre génération aura passé, plus aucun homme ne sera comme nous l’avons été. Victorio savait lire et écrire…, il appartenait déjà au monde de la civilisation !
Je décrétais trois jours de deuil dans tout Rome, personne n’avait le droit de travailler, de fêter, ou de rire pendant ces trois jours. Je voulais une ville silencieuse et triste, comme moi !
Durant ces trois jours, je compris que je ne pouvais plus appliquer la même tactique contre les clans Basques. Depuis la prise de Berm, jamais Marco ne me déçu, et après tous ces combats que nous avions mené ensemble, il connaissait mes méthodes et mes besoins. Même si j’étais aux commandes d’une armée régulière et qu’il ne pouvait ni me voir ni m’entendre de son poste, il savait d’expérience ce que j’attendais de l’unité d’élite qu’il commandait. Il fut toujours au rendez-vous, au bon endroit, au bon moment, et une telle complicité ne se trouvait pas en recrutant un nouveau champion, si bon qu’il puisse être. Avec Marco, nous nous comprenions sans nous parler, il savait tenir ses troupes lorsqu’il le fallait ; ou les gonfler de rage et de férocité lorsque la situation s’imposait. En m’enlevant le commandant de ma plus prestigieuse unité, les Basques ne s’imaginaient même pas le mal qu’ils me faisaient, c’eut été moins grave de m’arracher un bras ! Comme mon épée faisait partie de mon corps lors des combats en corps à corps ou en duel, l’unité des mille était un membre à part entière de ma personne sur les champs de bataille. Marco était l’intermédiaire qui insufflait ma volonté à cette élite en toutes circonstances. J’étais bien entendu furieux de cette perte, même si je savais que cela participait aux risques du métier, mais après presque huit ans de combats en commun, c’était aussi un grand vide au sein de mon potentiel stratégique qui m’affectait.
A part le Seigneur Marco, nous eûmes à décompter de nombreuses pertes au sein de l’unité des milles, la plus exposée au danger. En tout, ce ne fut pas moins de 220 de mes fidèles qui tombèrent en combattant le clan de Brella. Il fallut donc recruter de nouveaux champions pour doter la fameuse unité de nouvelles forces.
Je n’eus toutefois pas à me plaindre de la qualité des éléments de remplacement et décidais de les garder définitivement dans l’unité d’élite. Marco avait accordé sa confiance à Barbertin pour le seconder au commandement de cette unité, alors je nommais Barbertin commandant de l’unité des mille.
Le village de Brella avait été purement et simplement effacé de la surface du monde. Après l’entrée de Paskale dans la fortification, il ne lui fallut qu’une demi-heure pour bouter le feu aux habitations et à tout ce qui s’y trouvait. L’affaire fut rondement menée et l’incendie fut phénoménal, car même si la muraille et la forteresse de Brella étaient en pierre, toutes les maisons étaient construites en bois. Dans cette nuit finissante, l’image que renvoyait cette ville-forteresse pouvait avoisiner celle d’une gigantesque bougie. Tout le sommet de la montagne brûlait, les flammes léchaient les étoiles, et cette montagne de feu devait se voir de loin, de très loin, de bien des marchés. Ainsi, tous les Basques dans les clans avoisinant pouvaient mesurer l’ampleur de ma vengeance, et le sort réservé à ceux qui s’élèveraient encore contre Rome.
Après l’incendie de Brella, Paskale avait laissé 1000 hommes de garde dans les 7 villes conquises, mais tous les sièges des autres villes furent levés durant les trois jours de deuil. Ainsi, les Basques pouvaient tout à loisir visiter les 7 clans vides de leurs occupants, et se rendre compte qu’on ne lutte pas contre Rome.
Avant de repartir dans les Pyrénées pour conquérir les autres villes-forteresse, je décidais d’un changement de méthode. Sans Marco à mes côtés, je ne pouvais pas risquer des pénétrations aussi disciplinées dans les fortins. J’optais alors pour des attaques frontales, contre leurs portes d’entrées, directement. Pour cela, les métallurgistes romains fabriquèrent des plaques d’aluminium de 5 mètres de long et 1,5 mètres de hauteur, avec des poignées à l’arrière pour les maintenir. Les plaques étaient assez épaisses pour contrer les flèches et les javelots, et l’aluminium était un métal assez léger pour le porter en avançant. Une dizaine d’hommes pouvaient se protéger derrière chaque plaque, et ceci me semblait être une stratégie plus rapide que celle du percement de tunnels au fond des fortifications. Nous attaquerions avant l’aube par les routes d’accès de ces clans.
Ainsi munis, nous retournions dans les Pyrénées avec Barbertin, nouveau chef de l’unité des mille, ainsi que Pascalle et son armée romaine. J’étais caché derrière la première plaque métallique, et mon travail était celui de briser les portes d’entrée des clans à l’aide de Renaissance, secondé par 8 vagues de boucliers d’aluminium, derrière lesquelles se cachaient une centaine de tireurs d’élite, sensés abattre tous les guerriers qui pourraient nous voir arriver depuis les murailles. Notre heure d’attaque était à chaque fois 2 ou 3 heures avant le levé du soleil, ce qui limitait le nombre de vigiles encore vigilants… Sitôt la porte découpée à l’aide de Renaissance, les 8 plaques l’aluminium et la centaine de guerriers qui les portaient se rangeaient sur les côtés de la route d’accès, et nous laissions Paskale et sa cavalerie romaine faire son oeuvre.
Nous essuyâmes des tirs, mais leurs armes n’avaient pas été prévues contre de tels boucliers, ils n’avaient jamais eu le temps de charger leur catapultes de pierrailles, c’est ainsi que nous mettions à bas les dernières villes Basques.
Un événement se produisit toutefois après la 18ème ville-forteresse : Pour atteindre la ville suivante, notre armée dû redescendre dans la jungle marécageuse de la plaine, car nos chevaux n’étaient pas en mesure de franchir un éperon rocheux qui séparait la chaîne de montagne en deux. Là, nous vîmes enfin ce que les troupes du général Bertone avaient eu à subir avant d’arriver dans ces montagnes : un biotope d’insectes, de serpents et de pourriture moisissant dans une eau saumâtre d’un marécage qui atteignait les flancs des chevaux, attaqués sans cesse par toutes sortes de bestioles volantes…, un vrai calvaire !
Après deux jours de pataugeage dans ces terres insalubres, nous remontions à l’assaut des montagnes, et conquîmes tous les marchés restants jusqu’au grand océan de l’Ouest.
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Un an plus tard, après un peu plus de deux ans de campagne, Rino m’annonça le retour des 16 armées impériales avec d’excellentes nouvelles : Des victoires à l’est, à l’ouest, au nord, et au sud !
Durant ce temps, il y avait sans cesse eu des chefs de multiples horizons qui étaient venu se présenter dans la cité romaine, afin de se rendre compte de visu de ce qu’est la ville éternelle de la légende. Mes armées avaient pour la plupart de bonnes nouvelles.
Je décidais alors d’organiser un triomphe romain pour notre million de guerriers de retour au bercail. Les armées entreraient par la grande porte du nord de la ville et se rendraient jusqu’au palais de l’hémicycle, où les sénateurs attendaient les commandants. Des trompettistes furent installés sur tous les toits bordant l’avenue, et sous les trompettes et les vivas de la foule, Rino ouvrit la marche. C’était extraordinaire, le peuple était hystérique, les femmes retrouvaient leurs hommes reçus héroïquement après 2 ans d’absence, les enfants retrouvaient leur père, et les autorités recevaient les hommes qui avaient au moins triplé la taille l’empire, de Rome, qui était maintenant plus qu’une simple ville, même grandiose, mais redevenait réellement le cœur du monde, l’ambiance était délirante.
Les portes voix sur les murailles annonçaient l’arrivée des armées :
Les quatre armées de l’ouest avaient soumit tout le territoire francophone et espagnophone jusqu’au grand océan de l’ouest, la péninsule « Ibérique » était romaine ! Les hommes du général Bertone, au nombre de 8'000, étaient de la partie, car après leur repos de 2 mois à Rome, ils étaient repartit prêter main forte aux armées de l’ouest.
Les quatre armées du nord entrèrent dans la ville, victorieuses de la totalité des territoires germaniques et scandinaves. Ils avaient soumis de vastes territoires plus à l’est du continent en redescendant, et accumulant les victoires. Les armées du nord formèrent un cortège extraordinaire. C’était plus de 180’000 guerriers victorieux qui paradaient dans la ville éternelle.
Vint ensuite le défilé de mes armées chargées de conquérir le nord-est du continent, elles avaient pris Moscow, et tous les marché jusqu’à celui de Mourmansk, très au nord-est.
Puis, les armées du sud-est paradèrent mollement, celles-là même que je visitais en bulle avec le seigneur Grec Dionioski. Elles formaient un piteux régiment d’à peine quarante mille hommes à bout de forces. De fait, elles s’étaient fait battre aux portes de Damas. Ces armées conquirent la Grèce avec panache, ainsi que de grandes villes et territoires de l’est de l’Europe, marchèrent sur les terres dépeuplées au-delà du Bosphore, ces terres vides d’humains que nous rencontrions lors de notre navigation. Cependant, arrivées aux portes d’un grand territoire bien plus peuplé, elles se heurtèrent à de puissantes alliances de clans orchestrées par le cheik Asim ben Yousef, le même que j’avais accueillit sur mon navire et à qui je permis un tour en bulle ! Le seigneur de Damas avait donc anticipé mes manoeuvres de conquête en s’alliant à de nombreux clans et marchés, dont celui de Tel Avif.
Rino arriva au portes du palais du sénat, gravit les marches, et je lui remis le sceptre de la victoire. Les 16 généraux suivaient et chacun fut coiffé d’une couronne de lauriers. Paskale reçu Rino au sommet des marches amicalement, il participait à sa joie en lui disant qu’à son retour de Germanie, il avait éprouvé la même fierté ainsi acclamé par toute la population. J’étais heureux de voir que mes deux rois semblaient réconciliés.
Les troupes de l’est furent elles-aussi acclamées, car malgré leur défaite à Damas, elles n’avaient pas démérité en étendant l’empire encore plus loin que ce que l’avaient fait les armées de ouest. Restait néanmoins qu’elles étaient en piteux état. Quatre armées de cinquante mille hommes réduites à quarante mille rescapés, plus une trentaine de mille autres restés dans des garnisons régionales sur les territoires soumis! Cela représentait tout de même une perte sèche de près de cent trente mille hommes !
D’autant que nous ayons pu en juger par notre voyage marin, ces peuplades au-delà du Bosphore étaient différentes de nous. Etaient-elles tout simplement plus avancées dans leur chaos ? Avaient-elles déjà des coopérations étroites entre leurs clans ? Sans doute ! N’en demeurait pas moins qu’il fallait bien leur montrer, tôt où tard, qui commande en ce bas-monde !
Mais pour l’instant, mon empire englobait déjà tout ce que les romains nommaient « Europe », et en moins de 10 ans de règne, s’il vous plait ! C’était si immense, que même si je pérégrinais durant toute ma vie, je ne pense pas qu’elle puisse être assez longue pour visiter tous les clans et marchés sous ma juridiction d’alors... De l’Espagne à la Scandinavie, de la Scandinavie aux territoires de l’est, ces mêmes territoires dont les descendants sont peut-être ceux du grand guerrier Attila, les hongrois me semble-t-il. Et depuis les Hongrois, jusqu’aux Grecs et aux territoires Turcs. Tous les habitants de ce continent étaient sensés dorénavant obéir à Rome ! D’ailleurs, je n’avais qu’à regarder le défiler continu de chefs de tous horizons défiler dans la ville chaque jour pour me faire une petite idée de l’étendue de notre juridiction.
Lorsque j’appris la défaite des armées de l’est face aux forces de Damas, ma première idée fut de demander aux chefs présents plus d’hommes pour envahir et soumettre ces sauvages. Mais mon cher Barnabé, qui toujours veillait à mettre un peu de réflexion dans mes ardeurs, m’incita à décliner tous nouveaux soldats romains choisis hors de Rome. Barnabé eu la bonne intuition de m’assurer d’abord d’un contrôle total sur toute l’Europe avant de disperser des troupes plus loin. L’empire était encore tout jeune, et il devait s’organiser avant de vouloir encore s’agrandir. Les suggestions de mon scribe furent bienvenues et en tant que vice gouverneur de Rome, il avait loisir d’organiser avec mon père tout ce beau monde. Moi-même et les pères sénateurs veillions à la relève de l’armée qui semblaient assurée par les enfants de nos guerriers. En un peu plus de deux ans de campagne, mes troupes avaient tout de même fait de l’excellent travail. Ils m’avaient ramenés plus d’esclaves qu’il n’en était nécessaire pour tout Rome, avaient établis des garnisons régionales un peu partout qui collaboraient avec les autorités locales. J’avais vent d’insoumissions de-ci de-là, mais après l’envoi de l’armée romaine des 30’000 guerriers montés de Paskale, tout finissait très vite par se calmer.
Nous devions cependant prévoir une attaque d’envergure contre les territoires du sud-est. Les premiers fils des guerriers romains atteignaient pour la plupart l’âge de porter les armes dans nos forces militaires. Cependant, pour ne laisser aucune chance à ce cheik de Damas, il me fallait envoyer une force marine pour prendre ses territoires sur deux flancs. Je fis doubler les esclaves du chantier naval pour construire encore plus de navires, tandis que de nouveaux équipages étaient formés. Cette invasion n’était toutefois pas urgente. Comme me l’avais suggéré Barnabé, il était plus sage de m’assurer un contrôle total à l’intérieur des frontières de l’empire, plutôt que de l’agrandir indéfiniment sans une organisation digne de ce nom.
Je nous donnais donc un délai de deux ans pour sécuriser tous les territoires Européens. Mes soldats, de retour de campagne, applaudirent à cette initiative. Ils auraient ainsi le temps de vivre à Rome avec leurs familles, avant de repartir pour de nouvelles conquêtes.
Dans la théorie, tout le continent était soumis, mais il restait encore quelques poches de résistance. Au nord de la Gaule par exemple, on m’avait rapporté qu’un petit village continuait à résister encore et toujours à mes forces, aidés qu’ils seraient par une potion magique !...
Il y avait encore le fameux phénomène Grec, la boule liquide qui recouvrait toute une vallée et qu’aucun de mes guerriers n’arriva à pénétrer à part Radic. Mais il fallait me faire une raison, ce genre de territoire dissimulé échapperai pour toujours à la juridiction de l’empire. Quelle que soit la stratégie utilisée, cette boule étrange était imprenable. Je ne m’en formalisais toutefois pas trop. L’empire était déjà bien assez vaste, et je ne jugeais pas opportun de lancer des troupes dans des aventures suicidaires pour une simple vallée, qui plus est, gardée par les hommes de Paul XII. Je me devais cependant de positionner quelques troupes autour de cette boule au cas où il se passerait quelque chose d’inhabituel. Car, même si personne ne pouvait pénétrer dans cette antimatière sans air, des hommes pouvaient en sortir facilement…, en tout cas les gardes du pape ! Les informations les plus précises font mention de l’apparition de la boule à Athèn lors de la 10ème lune de l’année même où je faisais entrer mes armées dans Rome. De fait, l’apparition correspondait à la fin du mois d’octobre de l’an 4, alors que le pontife me laissa les clefs de la cité le 22 novembre...
Tout avait été prémédité par le pape déjà avant mon arrivée devant les murs, car j’étais tout à fait convaincu que cette boule était une nouvelle manoeuvre des scientifiques à Paul. Mais si ces coïncidences me permettaient d’expliquer le phénomène Grec, il en était tout autrement pour le même phénomène au sud-est de Tel Avif et à l’est de Beiroute. La boule était identique à celle des Grecs. Ces phénomènes donnaient l’impression d’un immense lac bombé s’étendant sur des régions entières. On pouvait y pénétrer sans se mouiller. Il n’y avait plus d’air, malgré une sorte de brouillard qui empêchait toute visibilité. La grosse différence, c’est que l’apparition de cette deuxième boule ne coïncidait avec aucune date me concernant. Son apparition en Palestine, il y tant de générations, fait déjà partie des légendes locales. Si cela était un prodige scientifique romain, il y avait fort à parier que les pontifes d’autrefois étaient spécialement intéressés par cette région. Ils devaient d’ailleurs encore l’être aujourd’hui, puisqu’ils maintenaient leur sorte de bouclier inconsistant. Le mystère quant à ces boules demeurait donc entier. Nous n’étions même pas certains que les terres sous ces bulles étaient habitées par un peuple. Mais connaissant les capacités romaines, il y avait fort à parier que c’était le cas. Barnabé, bien que n’ayant pas vu ces gigantesques étrangetés, avait toujours quelque imagination à revendre. Lorsque nous sommes venus la toute première fois à Rome, la cité n’était pas protégée par ce bouclier. Il en tirait donc deux conclusions :
- Soit les romains sont totalement étrangers à cette science, ne sont pour rien dans l’apparition de ces boules, et les deux soldats habillés comme les guerriers de Paul ne sont que des imitateurs. Dans ce cas, il était judicieux de faire surveiller le pourtour de ces phénomènes.
- Soit les romains contrôlent effectivement ces territoires en Grèce et Palestine. Dans ce cas, pourquoi Rome n’était-elle pas protégée de la même manière ? Peut-être tout simplement parce que Rome est la seule ville éternelle, la seule ayant traversé le chaos. Les anciens habitants d’Athèn réfugiés au dehors de la vallée témoignaient d’ailleurs que leur ville était un marché issu du chaos, les ruines de l’ancienne ville étant plus bas dans la plaine. L’ancienne Athèn n’avait pas traversé le chaos, contrairement à Rome. Pourquoi les romains auraient choisi cette vallée au moment ou ils s’apprêtaient à me livrer leur ville ? D’autant plus qu’ils disposaient déjà de tout un territoire en Palestine. Ce dernier paraissait plus explicable, d’après Barnabé. Quoi qu’il y ait eu sous cette boule, même si le chaos avait tout dévasté, les romains étaient attachés d’une manière ou d’une autre à ce lieu depuis toujours. Contrairement à la boule Grecque qui semblait n’avoir été conçue qu’en fonction de notre installation à Rome. Les légendes Palestiniennes parlent d’une ville qui se nommait Jérusalemnia, et qui fut engloutie la première lors de l’agrandissement, lent mais progressif de leur boule, il y a des générations et des générations. Le raisonnement de Barnabé me semblait correct et ce fut celui que je retins. Nous ne pouvions expliquer ce que signifiait Jérusalemnia pour les romains, mais ce devait certainement être un lieu symbolique. Tandis que la vallée Grecque avait plus sûrement été engloutie pour y caser nos parias. En un lieu d’où ils ne pourront plus revenir... Nous ne nous tracassions donc pas trop à ce sujet, pour ne nous occuper que des problèmes sur lesquels nous avions réellement une emprise.
Certains de mes messagers de l’ombre me livraient quelques soucis. Il m’était rapporté que dans quelques endroits de l’empire, mes états major vivaient carrément dans les citadelles de puissants marchés. Ils avaient relégué les seigneurs, chefs et anciens, au statut de simples garants de l’ordre, … des laquais ! Ceci était contraire à l’esprit de la loi. Je m’en voyais bien attristé d’apprendre que mes hommes continuaient à abuser de leur autorité pour quelques commodités personnelles, alors que Rino, Monarque des guerres impériales, avait vécu plus de deux ans sous une tente, hors des murs de Rome, et cela, de sa propre initiative pour éviter que ses généraux et messagers aient à pénétrer dans la ville pour le voir ! Je décidais donc de punir exemplairement cette fois-ci. J’ordonnai que tous les chefs lésés ainsi que les états-majors incriminés soient emmenés à Rome pour se soumettre à ma justice. 45 de mes hommes s’étaient emparés de la citadelle du marché de Gènova, ville côtière au nord de la péninsule. Le seigneur de la ville, sa famille et les anciens s’étaient vu dépossédés de tout pouvoir, tandis que mes hommes régentaient à leur guise toute la région. Après avoir écouté brièvement les deux parties au conflit, je déclarais parias mes 45 hommes, coupables de trahison contre l’esprit de la loi de Rome. C’est à genou à travers la basilique, que nous les voyions disparaître, laissant leurs armes et leur statut derrière eux, tandis que leurs familles devenaient des esclaves de Rome pour une génération.
Ce jugement fit l’effet d’un tremblement de terre dans toute la population de la cité. Jamais jusqu’ici, guerrier n’avait été traité pareillement pour une simple affaire d’abus de pouvoir. Mais abuser du pouvoir que j’octroyais à mes guerriers était une injustice, et comme l’avais dit Paul, un monde bâti sur l’injustice ne pouvait que s’écrouler. Voilà sa conclusion après 3’500 ans de règne des papes. Ces derniers avaient vu des empires, des royaumes, des mondes, se faire et se défaire, et ils savaient certainement de quoi ils parlaient...
Alors, si même mes propres forces romaines apportaient l’injustice dans le monde, mon empire serait voué à la disparition ! Et je n’y tenais pas du tout. Il fallut que je redonne une audience sur la place de Pierre à toute la ville. J’expliquais en ces termes mon jugement et sa sévérité. “Les habitants de Rome ne sont plus des barbares ! Il y a la loi et des règles que nous tentons d’apporter au monde pour rétablir des structures saines. Si les guerriers romains, qui devraient êtres des exemples auxquels les populations sauvages puissent s’identifier pour comprendre l’esprit de notre nouvelle civilisation, sont des voyous, ils n’ont plus rien à faire ni à Rome ni au sein de ses forces armées ! Ces hommes trahissent non seulement ma confiance, mais aussi celle que Paul a mit en moi. Mon torse, toujours marqué par le signe de la croix, me rappelle chaque jour que Dieu fait l’engagement et la promesse que j’ai faite au pontife pour qu’il me cède sa ville. J’exige donc de tous les sujets romains qu’ils montrent au monde la voie de la sagesse qui imprègne notre justice !”
Ces quelques paroles ne venaient pas de mon cœur, mais de mon esprit et de ce que Renaissance m’avait insufflé. Je fus surpris par mes propres paroles, et je crois que c’est à ce moment que je compris que ce n’était plus moi-même qui parlais, mais un autre… Moi, j’étais un homme d’un autre temps, et la devise que mon cœur acceptait avait toujours été « Vae Vicktis » (malheur aux vaincus), mais là, je m’entendais causer comme un homme civilisé, un homme hors Chaos, tentant d’inculquer à ses compatriotes du Chaos une règle supérieure que celle de la loi du plus fort. Je dû me faire violence pour accepter ça, mais je ne pouvais que constater que j’avais bel et bien prononcé cette sentence à l’encontre de mes fidèles hommes du chaos qui avaient la même philosophie que moi, … au fond du cœur !
Mais au fond, … encore, je savais que je n’étais pas seulement destiné à vaincre le chaos, je savais que je ne devais pas me contenter d’assurer le patrimoine de la cité, j’imaginais ma mission comme étant celle de changer la face du monde, de le construire à l’image de Rome, civilisé et magnifique, avec ou contre mon gré.
J’avais d’ailleurs personnellement hâte d’envoyer mes constructeurs de part l’empire. Plusieurs scribes étaient attachés à l’enseignement de plus de 2’000 apprentis constructeurs. Ils apprenaient les techniques de fabrications romaines. Les scribes pensaient que d’ici un à deux ans, les apprentis seraient prêts à ordonner la réalisation de belles oeuvres. Le conseil des pères sénateurs avait donné son avis sur la question de ces nouvelles constructions dans l’empire. Nos postes régionaux étaient devenus de véritables camps, à l’image de villages. Construits le plus souvent sur les cendres des marchés récalcitrants que nous avions dû brûler lors de nos campagnes, ces camps étaient dispersés à travers tout l’empire. En tout, il y avait certainement plus de 300’000 guerriers dans ces garnisons régionales. Le sort de nos garnisons provinciales fut résolut de la manière suivante par le conseil des pères : Les constructeurs partiraient ordonner des édifications à l’endroit même de nos camps provinciaux. Les soldats des clans et marchés qui ne seront pas retenus pour entrer dans les forces des gardiens de l’ordre, seraient pris comme aides bâtisseurs et apprentis maîtres-bâtisseurs pour les plus doués. L’idée était de créer des images de Rome dans le monde. A mesure des constructions, les camps prendront de plus en plus l’aspect de sortes de petites villes aux palais et bâtiments extraordinaires pour les hommes du chaos. Des petites Romes, de simples reflets seraient déjà enthousiasmants pour les populations locales. Si nous arrivions à ceci, les chefs des villes et marchés nous emboîteraient certainement le pas et la face du monde sera alors changée...
Je n’avais eu qu’une objection au projet des pères tel que présenté. Une sorte de petite querelle divisa l’assemblée sur la première construction à entreprendre dans nos camps. Certains étaient d’avis de construire les palais des états-majors et des cours de justice romaine, tandis que d’autres voyaient la construction d’immenses citadelles.
A ce moment, alors que chacun expliquait l’avantage d’un bâtiment sur l’autre, je déchirais ma chemise. Tous firent silence et observèrent la croix gravée en ma chair. Je leur indiquais donc que le premier bâtiment qui serait construit dans chaque camp romain serait une basilique ! Certains se contentèrent de se racler la gorge, mais Rino ne put s’empêcher de protester. D’après lui, ces basiliques n’étaient d’aucune utilité pour l’instant à des guerriers en poste dans l’empire. Il fallait construire d’abord des choses utiles à la structure de notre civilisation.
J’étais d’accord avec lui sur la logique, mais intransigeant sur ma volonté et le lui dis : « Tous les mondes fondés sur la logique, l’ancien empire romain comme tous les autres à sa suite, se sont effondrés. La seule civilisation qui ait survécu, fut une civilisation fondée sur l’illogisme, sur un Dieu… crucifié en plus ! Elle seule, de part tout le monde connu, survécu au chaos et c’est là que l’illogisme rejoint l’utile : Je veux un empire qui dure ! Alors si je dois utiliser mes premiers bâtisseurs à la construction d’édifices inutiles sur l’instant, je le ferais, et je compte bien que le Dieu romain nous en soit gré ! Ce que les peuplades barbares verront en premier lieu seront des basiliques. Inutiles pour l’homme, peut-être, mais utiles pour le Dieu romain. Ce Dieu a préservé la dynastie des papes ! Grâce à cette initiative, peut-être daignera-il bénir la mienne, et mon nouveau monde par la même occasion ! Nous devons faire de ce Dieu notre principal allié. S’Il a été une valeur aussi sûre pour les papes, il n’y a aucune raison de penser qu’Il me tournerait le dos. De plus, même si les basiliques sont inutiles pour le confort de mes hommes, c’est justement par ce genre d’oeuvres inutiles que l’esprit de Rome se distinguera de l’esprit barbare : Dans l’art et dans la beauté du geste inutile... »
Ces constructions risquant de durer des dizaines d’années, j’admettais par contre tout à fait que durant le chantier de l’édifice de Dieu, le maître constructeur ordonne d’autres chantiers. Mais je tenais à ce que nos premiers coups de pioches soient pour ce Dieu, dont Paul m’avait mis sous la protection. Rino ne protesta plus et il en fut donc décidé ainsi, mais les apprentis bâtisseurs n’étaient pas encore tout à fait prêts pour de telles oeuvres.
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Durant les jours qui suivirent, il arriva encore à Rome des états major renégat de toutes sortes de régions. En tout, ce fut 897 de mes guerriers et officiers que je déclarais parias, et le même nombre de familles qui devinrent esclaves. Maintenant que la nouvelle s’était répandue dans mes armées, j’imaginais que mes hommes adopteraient le comportement adéquat.
Victorio allait vers sa majorité. Ses cours de lecture et d’écriture avaient été interrompus durant notre voyage maritime, mais depuis notre retour, il suivait à nouveau les enseignements de Barnabé. Malgré ses 12 ans, Victorio était déjà un sévère adversaire pour ceux qui passaient leur tournoi des 14 ans. Et tout aussi important que cela, Victorio était le premier guerrier issu du chaos connaissant la science des chiffres et des lettres. Barnabé et ses amis scribes venaient d’une sorte de petit clan, qu’on aurait pu confondre avec une tribu de parias. Au fond d’une gorge, à l’abri du chaos, ils perpétuaient leur science au fil des générations. Sans nous, ces hommes étaient condamnés à vivre savamment, mais reclus. Nous leur apportions le moyen d’étendre leur savoir, car sans nos guerriers, ils n’auraient pas été bien loin. Toutefois, même si c’était moi qui leur apportais leur nouveau prestige au sein du monde, j’étais bien conscient qu’eux pouvaient également m’apporter beaucoup dans la construction de ma nouvelle société. Il n’y a qu’à voir Bartoloméo le scribe, qui dirigeait le chantier naval en ordonnant l’édification de plus de 40 nouveaux navires ! D’autres scribes expliquaient des plans et des dessins à des apprentis bâtisseurs, tandis que ceux qui restaient enseignaient leur savoir aux enfants des pères ainsi qu’à bien d’autres. Barnabé, quant à lui, s’occupait de la science de mon fils, de protocoler les décisions des pères sénateurs, et de jouer son rôle de vice gouverneur pour soulager un peu Armadé.
De mon côté, j’étais pour tous « le géant à l’épée de feu », et les nouveaux romains faisaient révérence à peine me voyaient-ils arriver au coin d’une rue. Je ne savais pas trop comment vivaient les anciens empereurs romains, mais je voyais la solitude qu’apportait un tel poste... Je m’en accommodais en entrant au hasard dans des maisons pour causer et manger avec telle ou telle famille anonyme, comme je le faisais depuis toujours. Les habitants s’en trouvaient très honorés de passer une heure ou deux avec moi, et je m’attirais toujours leur sympathie. Quoi qu’il en soit, le grade d’empereur me plaisait bien. Le pouvoir de décider de l’avenir du monde était une sensation assez gratifiante, même si le revers devait être la solitude. De toute manière, j’étais habitué à cela depuis enfant, et l’amour que les autres me portaient n’avait jamais été le principal de mes soucis. Pour l’instant, mon grand projet était de faire plier l’échine du Cheik Assim ben Yousef, seigneur de Damas, qui avait mis en déroute plus de 100’000 de mes hommes. Une fois cette région soumise, il n’y aurait pratiquement plus aucun obstacle sérieux pour notre progression à l’est et au sud de la grande mer.
Durant notre voyage maritime avec Sérafino, nous avions pu constater que les portes de ces villes orientales étaient ouvertes. Ils laissaient entrer bien plus facilement les visiteurs que chez nous. Dans nos contrées, pour pénétrer une ville en dehors des trois jours de marché, il fallait soit être marchand, soit chef de clan, avec une bonne raison de réunion. Ayant observé la relative facilité d’échanges humains à Damas, nous pouvions penser en toute logique que ces peuplades étaient bien plus liées que nous durant le chaos. Mieux organisées que les autres, elles surent mettre en perdition trois de mes armées. Il me fallait donc une victoire éclatante et une soumission sans condition de cette région afin d’affirmer l’invincibilité des armées romaines. Je ne précipitais cependant pas le mouvement, histoire de mettre toutes les chances de notre côté.
En attendant la campagne de Damas, nous eûmes une guerre civile à mater. Le marché de Vienne avait commencé une guerre contre celui de Bratislaval. Les protagonistes n’avaient pas cru utile de nous demander l’autorisation pour entreprendre les hostilités, ceci, au mépris de nos nouvelles prérogatives. J’envoyais Paskale pour mettre fin à ces hostilités. Une fois les belligérants matés, les chefs et conseils des deux villes, ainsi que leurs familles, devaient êtres déportés à Rome. Quant aux populations, Paskale avait loisir de juger de leur sort sur place, avec une restriction toutefois : Pas de génocide ! Son expédition fut un succès total, et il nous emmena encore quelques milliers d’esclaves.
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Les apprentis constructeurs étaient maintenant prêts à bâtir. Sur les deux mille apprentis, les scribes enseignants choisirent les mille meilleurs qui devinrent maîtres constructeurs, tandis que l’autre moitié était destinée à les seconder en devenant chef de chantier et commandeur des bâtisseurs non aguerris. Ils formaient donc à chaque fois des équipes de deux et pouvaient maintenant partir mettre à exécution leurs études. Je voulais en premier lieu que huit équipes rejoignent les Alpes. Les premiers chantiers seraient la construction de basiliques de taille raisonnable dans tous les marchés valaisois, ainsi que celui d’Aoste et Domodosolia. Les 992 autres équipes débuteraient des chantiers dans nos camps régionaux.
Le monde se préparait à une grande mue. Dans ces reflets de Rome à travers les régions, les clans et tribus du Chaos comprendront enfin ce que veut dire le terme de “civilisation”. J’étais satisfait de la manière dont l’empire s’organisait. Tout allait très rapidement, et année après année, le monde se modifiait en s’améliorant. Toutefois, si tout allait vite, rien n’était fait dans la précipitation. C’était justement la préparation qui nous permettait d’avancer rapidement dans l’anéantissement du Chaos.
Tout se déroulait donc le plus harmonieusement possible, en attendant notre grande expédition sur Damas. Armadé présidait le conseil des pères sénateurs, Barnabé suggérait, Rino participait avec sérieux aux réunions, Paskale terrorisait l’hémicycle, les pères réclamaient, et moi, j’envoyais Victorio me remplacer aux séances. Ces discutions étaient devenues maintenant insupportables pour moi. Pour dire la vérité, je n’étais qu’un guerrier, et ces bavardages politiques me faisaient royalement chier, alors j’allais me fondre parmi la population romaine, ou bien je réquisitionnais Paskale et nous allions avec l’armée Romaine et l’unité des milles faire un tour hors de l’empire en utilisant une porte en bordure de celui-ci, histoire de guerroyer un peu avec de nouvelles peuplades. Rino était au courant de nos échappées sanglantes, mais il n’y voyait pas de mal, du moment que toutes ses armées étaient en repos à Rome. Pour ce qui était de la politique, je déléguais mon pouvoir de décision à mon fils. Déjà à treize ans, il siégeait à l’assemblée des sénateurs et pouvait décider seul contre l’unanimité des pères de la première génération, car il parlait en mon nom. Armadé pouvait bloquer ses décisions, mais c’était souvent de connivence avec son grand-père qu’il légiférait.
Je dû intervenir une ultime fois en voyant une décision du conseil des matrones. La grande majorité des habitants de Rome étaient de jeunes guerriers, et leurs femmes n’avaient pas encore atteint la sagesse. La cheffe des matrones n’avait que 38 ans et 12 enfants. Nous avions permis l’établissement de ce conseil lors de notre entrée dans la cité, et 25 femmes siégeaient pour régler à leur guise toutes les affaires féminines. Ces jeunes matrones n’étaient pas à la hauteur de leur tâche, tandis que Rome leur offrait une vie bien plus agréable que la campagne. Elles semblèrent se laisser aller à la vie facile, allant même jusqu’à revendiquer de nouveaux droits. Toutefois, si nous voulions bien débattre du droit des femmes, leur conseil fit une grave erreur en donnant raison à une jeune épouse contre son homme. Mettant en avant des problèmes de santé, elle demanda à être épargnée du devoir de grossesse !!??! Et vous voulez savoir la meilleure ? - Le conseil des matrones lui donna raison...!?! Leur décision était si stupide qu’elle me mit hors de moi. Je pouvais bien admettre que la femme en question soit d’une santé trop précaire pour une nouvelle maternité, mais s’éviter des grossesses n’était de nature qu’à prolonger sa vie au détriment de la descendance, ce qui se trouvait être inadmissible : “Qu’elle soit engrossée sur le champ, éructais-je, et qu’elle périsse si tel est son destin ! Son mari aura au moins le loisir de choisir une nouvelle femme en meilleure santé !” Les matrones me prirent à contre-pied, arguant que ma loi assurant la liberté, l’obligation faite à une femme de procréer restreignait sa liberté. … Et puis quoi encore ? ! Ces matrones jugeaient donc que la liberté de l’homme à disposer d’une descendance ne devait pas se faire au détriment de la liberté des femmes à vivre ?!?... Il avait toujours été admis qu’un guerrier meure au combat, qu’un paysan trépasse sous l’effort, et que la femme meure en donnant la vie. Il n’en ira pas différemment à Rome !
Les matrones romaines commençaient donc à interpréter la loi d’une manière tout à fait révolutionnaire. Je misais sur une politique d’expansion, autant de territoires, que du peuple de Rome. Ce sont nos descendants qui s’en iront apporter la civilisation au monde, en bâtissant des monuments et des cités nouvelles. Je tenais ainsi à ce qu’ils soient nombreux, et une telle décision contrecarrait tous mes plans. Bref, après trois ans dans la cité, les femmes m’énervèrent suffisamment pour me décider à dissoudre par décret l’autorité de ce conseil. Le conseil des jeunes matrones fut supprimé.
En remplacement, je prévoyais une manoeuvre stratégique. Le plus ancien des pères, à part Monié et Armadé, était Marcelo. Il avait participé à la grande épopée en tant que champion du marché de Domodosolia, alors qu’il avait déjà 32 ans. Il n’avait jamais spécialement brillé au combat, mais en tant que doyen des champions, il bénéficiait de la sympathie de bien des pères. Ses paroles étaient sages, et à lui seul, il arrivait parfois à regrouper une majorité des sénateurs derrière ses opinions. Arrivé à la quarantaine, il était en mesure d’exercer une sorte de contre pouvoir dans l’assemblée. Marcelo bénéficiait de l’impunité accordée aux pères, et n’avait pas pour habitude de se laisser intimider. Je me la jouais donc diplomate en nommant sa femme, Angélina, 39 ans et 9 enfants, juge unique des affaires féminines. Dans ma décision de dissoudre le conseil des matrones, j’avais hésité à donner le pouvoir de jugement sur les femmes au conseil des pères. Cependant, il m’apparût stratégique de nommer Angélina juge unique, et ainsi gagner l’appui total de Marcello dans nos décisions. Sabrine, Impératrice, reconnue et respectée comme telle, contrôlerait Angélina…
Au poste où se trouvait alors Angelina, elle entra dans le cercle des quelques personnes qui proposent et décident de l’avenir de l’empire au conseil restreint de mes fidèles. Ainsi, en gratifiant sa femme, je m’attribuais une vassalité parfaite de la part de Marcelo. Du fait de son statut, et de l’intimité des discutions privées que nous tenions entre nous, elle devint une fidèle conseillère sur les affaires féminines, et après consultation, elle décrétait les règles. Non seulement, j’avais gagné le doyen des champions à mes idées, mais en même temps, cela nous permettait de dicter notre idée de la politique féminine à sa femme. Elle s’engagea à rééduquer ces romaines nouveau genre qui, en souhaitant prendre l’ascendant en refusant une progéniture à un guerrier sous prétexte de la santé de la femme, firent reculer la cause des femmes... La décision du conseil des matrones fut une nouveauté éphémère dans les lois féminines de l’après Chaos, mais une première bien malheureuse pour le sexe faible en général. Cette politique féminine ne valait cependant qu’à l’intérieur de Rome, et si ma méthode d’éducation ne plaisait pas, je les laissais libre de quitter la ville. Le dressage thérapeutique des femmes n’était de toute façon autorisé que si la femme faisait des histoires à la procréation de la descendance de son homme.
La gent féminine était bien gentille, mais devait sans cesse être encadrée pour ne pas déraper vers des penchants pernicieux pour l’humanité. Surtout qu’il s’agissait là du pouvoir, et du pouvoir en général. Le jour où les femmes contrôleront la procréation, elles contrôleront le pouvoir. Paul m’avait laissé entendre qu’à la fin de l’ancien monde, des femmes, même infécondes, occupaient des postes décisionnels. Bien que le pontife ne pu m’indiquer la raison qui provoqua le Chaos, je pensais bien qu’avec des femmes gâtées au pouvoir, les pauvres bougres n’avaient vraiment eu aucune chance d’éviter la catastrophe. Dans mon monde, j’apprendrais à chacun à rester à sa place, que cela plaise ou non.
J’avais également pu voir un relâchement des hommes rentrés de campagne. Ils furent donc tous astreints à l’entretien militaire pour eux-mêmes et l’éducation militaire de leurs deux fils qu’ils jugeaient les plus robustes. Je préférais qu’ils en sélectionnent deux par famille au départ, dans le cas où un n’arriverait pas à maturité. Les garçons les moins forts de la famille suivaient des cours de bâtisseurs ou s’essayaient à l’art. A cela venait s’ajouter les cours de lecture et d’écriture. Dès que nous aurions suffisamment d’hommes instruits pour enseigner, je désirais également étendre cette instruction aux filles. Barnabé m’assura que l’intelligence féminine était largement suffisante pour apprendre ce genre de choses. Ainsi le monde irait en s’organisant autour de toutes les futures villes romaines. Je ne souhaitais pas que toute notre descendance reste dans nos enceintes, mais qu’elle s’étende sur la terre dans de futures villes qui refléteront la grandeur de cette nouvelle civilisation.
La dissolution du conseil des matrones fut ma dernière décision politique. Car après cela, je fus tout entier accaparé par la préparation de mes plans de guerre contre les insoumis qui avaient détruits nos armées de l’est vers Damas.
En attendant le moment venu, je participais encore à deux campagnes. Une première visait à remettre de l’ordre dans les territoires d’Espagne du sud. Avec l’armée romaine de Paskale et notre unité d’élite, nous mations l’insurrection. Malgré une victoire totale sur les protagonistes au conflit, c’est là que je fus atteint par la maladie qui devait causer ma mort, progressivement. Ensuite, ce fut une campagne d’extension sur les terres du nord-est de l’empire que nous menions avec Paskale pour nous occuper. Je commençais là à ressentir les premiers effets de la maladie. Après avoir tout de même soumis les terres au-delà du Marché de Sanct Pétersurg et Mourmansk, nous revînmes victorieux de cette échappée vers les pays du froid. Les frontières de l’empire s’étaient encore étendues, et nous eûmes droit à un nouveau triomphe romain, dont la population était friande.
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Actuellement, je dispose de plus d’une centaine de navires et équipages en état de naviguer. Mes troupes terrestres sont déjà parties pour la guerre de Damas. C’est à ce moment, alors que je voulais encore disputer une ultime grande bataille, que la mort choisit de m’emporter. Victorio a aujourd’hui atteint sa majorité et plus d’une cinquantaine d’orphelins siègent au conseil des pères. La relève de la deuxième génération commence à peine à s’organiser tandis que je vais bientôt trépasser. Et de quelle mort ! J’ai été atteint par la piqûre d’un insecte voici deux ans, durant la campagne Ibérique. Ma mort ne serait donc pas le fait de glorieuses passes d’armes, mais d’une simple et insignifiante mouche... Ironie de l’histoire?
En effet, une mouche m’a transmis la maladie du sommeil. Chaque jour est plus insupportable que le précédent. Je m’engourdis pendant le jour, et m’endort même parfois de façon impromptue. Mes fidèles ont de plus en plus de peine à me réveiller. Je sais pertinemment que personne ne réchappe de la maladie du sommeil, et qu’il en serait de même pour moi.
Moi, Léopold Paralamo, grand guerrier du Chaos, le fameux géant à l’épée de feu, vaincu par une mouche... ? Quelle moralité peut-on tirer d’une pareille mort ? C’est ridicule, mais pas plus que celle de mon prédécesseur, Attila. J’ai moi-même la chance d’avoir quelques mois de sursis par rapport au “Fléau de Dieu”, comme disait Paul, mais mon sort est scellé. Impitoyable, mais certain. Barnabé n’y peut rien, quant aux guérisseuses, elles n’ont jamais su soigner la maladie du sommeil.
Durant la dernière réunion des pères, j’ai sacré Victorio nouvel empereur des territoires romains. Armadé reste gouverneur, mon fils empereur, et moi-même, je resterai jusqu’à ma mort le père honorifique de l’empire. Ce grade ne voulait rien dire, mais les pères comprenaient le sens caché de cette formule : Jusqu’à ma mort, personne d’autre que moi ne déciderait du sort de Rome.
En cette fin d’ouvrage, je peux bien avouer une faiblesse Barnabé, non ? (Note de Barnabé : Je prie Léopold d’être franc et d’oser dire ce qui semble le perturber). Non mon cher scribe, je ne suis pas perturbé, juste terrorisé. A certains moment, l’angoisse me tord les tripes, je regarde Victorio, Pakale ou Armadé, j’ai envie de vider mon sac, m’apitoyer un peu sur mon sort auprès d’eux, mais je me retiens toujours au dernier moment, je ne peux pas apparaître faible, même, … et surtout devant mes plus proches amis. Toi tu es plus « sensible », peut-être peux-tu comprendre, même si j’en doute. C’est une angoisse qui monte en moi, j’aurai envie de crier mon désespoir, ma douleur, ma peine, mais tout reste étouffé dans mon… cœur ? Je ne me suis jamais plaint d’une quelconque douleur physique, mais celle-ci est d’ordre moral, et je n’ai pas l’habitude de ça. En fait, j’ai une peur bleue de cette mort qui m’attend au bout de cette maladie. Parfois, je revois l’image de l’expression de cette femme paria que je tenais au bout de mon épée, et je l’envie. Elle est morte par le fer, au bout d’une lame. Je n’ai jamais eu peur de la mort lors de mes combats et duels, mais celle-ci me terrifie, elle me laisse trop de temps, trop de temps pour penser à elle, à la mort, et je ne supporte pas que cette maladie me rappelle sans cesse mon destin. Et puis, Léopold Paralamo qui meurt de maladie, c’est quand même le comble, … quelle ironie ! C’est tellement déroutant, que je pourrais prendre une dague et me la planter en plein cœur pour éviter cette fin. Mais Léopold Paralamo qui meurt d’une maladie ou d’un suicide, c’est de toute façon une honte ! Merde à la fin, je ne me plains pas de mourir à trente ans, mais je mérite mieux comme mort ! Tu entends ça Barnabé, je MERITE une autre mort que ça, putain ! Il y a plein de petits guerriers minables sans grades ni talents qui meurent sur le champ d’honneur, et moi, … ahhhh oui, moi, le maître de la guerre et des combats, oui, tu peux retranscrire tel quel, je ne vais pas jouer au faux modeste à cette heure, prend note : Moi, le plus fameux guerrier du Chaos, celui qui a vaincu le chaos, je devrais m’accommoder d’une mort digne d’un esclave ou d’un paysan ??? Où est la justice de Dieu dans tout ça ? Pfffff, je ne comprends rien à ce Dieu crucifié, mais il aurait pu avoir un minimum d’égards en m’offrant une mort digne de moi. Voilà, c’est triste, mais c’est dit.
Un autre jour, Léopold sembla accepter son destin :
Chaque jour que Dieu fait, je reste des heures et des journées entières dans la basilique. Je sens la mort s’approcher et je demande au dieu romain de me révéler ses desseins pour le futur, mais je m’endors souvent assis. Ce Dieu reste imperturbablement muet et invisible. C’est décourageant, une petite phrase gravée aux pieds de la statue se rapportant à un certain Thomas dit: “Heureux ceux qui croient sans avoir vu”. J’essaye donc de croire ce qu’il faut pour être accepté dans ce paradis. Je n’ai de toute manière rien de mieux à faire. A trente ans, cette mort indigne m’emportera, mais j’analyse tout de même ma vie comme ayant été bonne et loyale. J’attends juste mon arrivée dans le paradis de ce fameux Christ, lequel s’approche chaque jour davantage. Cependant, lorsque la flotte sera parée au départ, je m’embarquerais tout de même pour voir cette dernière bataille à Damas.
7 décembre de l’an 9
La flotte de Sérafino part aujourd’hui pour la guerre de Damas. Je m’embarque sur le navire amiral, j’ai espoir de vivre assez longtemps jusqu’à la guerre. Dans deux ou trois semaines, j’espère pouvoir vivre ma dernière conquête.
24 décembre de l’an 9
Mes troupes à pied sont déjà de l’autre côté du territoire Turc grâce à l’aide des portes, prêt à entamer les hostilités. En ce jour, je convoque tous les généraux sur mon navire. Ils arrivent tous par la porte installée sur le pont, et je donne l’ordre de l’attaque terrestre. Nous devons arriver un peu plus tard qu’eux sur Damas, peut-être demain, ou après-demain. Rino commande les armées et stratégies terrestres, Paskale et son armée romaine sont en appui, Victorio est au côté de Paskale, tout se passera bien, j’en suis certain. Armadé, Patrik, Sabrine, Aurore, Samuel et le petit dernier Paul sont restés à Rome.
Et voilà mon cher Barnabé, j’espère que tu as bien retranscrit toute cette histoire… ça t’as plut ?
L’histoire n’est pas terminée Léopold, … tu n’es pas encore mort !
C’est tout comme…
Je pense que si le pape veut te guérir, il en a les moyens. Tu ne fais pas appel à lui ? Il y a sûrement un espion en bulle pas loin d’ici.
Les choses se passent comme elles doivent se passer, j’ai déjà eu droit à mon traitement de faveur lorsqu’il m’a remis la ville, je ne veux pas abuser de sa bonté, et finalement, si tel est mon destin, personne ne le changera. J’ai fait ce que j’avais à faire, j’ai préparé correctement ma succession, et, même si je sais déjà que ce sera la merde dans l’empire pour Victorio, j’ai bon espoir qu’il vienne à bout des rébellions et trahisons qui ne manqueront pas une fois que je ne serai plus.
On fera en sorte que les sujets respectent Victorio comme ils t’ont respecté toi-même.
Tu sais très bien que c’est impossible, en tout cas pas tout de suite, il devra faire ses preuves, il est encore bien jeune.
Léopold, lui dis-je doucement, j’ai un secret sur mon compte, tu veux savoir qui je suis ?
Léopold sourit et me rétorqua aimablement : - « Mon cher Barnabé, je suis peut-être inculte et illettré, mais pas tout à fait idiot. Je ne sais pas exactement quel est ton rang dans ta civilisation d’origine, mais je sais d’où tu viens, et cela me suffit. Tu m’as rendu d’énormes services pour l’organisation de ce nouveau monde, et je t’en suis reconnaissant pour ça. Le Pontife Paul peut être fier de toi, en tout cas moi je le suis. Garde ton secret, je n’ai pas besoin d’en savoir plus. Merci l’ami. »
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27 décembre de l’an 9
J’arrive à l’instant vers les territoires de Damas, et je dicte à mesure mes sentiments à Barnabé, dont je prie de ne pas retranscrire mes délires. Mes troupes terrestres sont déjà en train de faire plier les guerriers Damasiens qui battent en retraite. Mes équipages marins bloquent la retraite de l’ennemi vers sa ville. Notre débarquement massif par la mer fournit un effet suffisant pour que l’ennemi se rende compte de l’inutilité du combat, déjà perdu… non, pas avant que j’arrive ! Barnabé, envoie des messagers, nous ne devons pas gagner, pas encore…, le grand cheik, … un grand combat… pour le grand cheik, il mérite mieux qu’une capitulation…, envoie des émissaires, fait cesser la guerre.
Note de Barnabé : Les messagers affluaient par la porte installée sur notre navire avec d’excellentes nouvelles. Bien que le cheik Assim Ben Youssef semblait avoir réussi à réunir la plus puissante coalition que nous n’ayons eu à combattre dans le monde du chaos, nos armées étaient entrain de gagner la guerre. Cependant, loin de réjouir notre empereur, ces victoires le perturbaient à un point tel qu’il m’ordonna subitement d’envoyer des messagers auprès de tous nos généraux pour faire cesser les combats. Tenir l’ennemi en respect était suffisant jusqu’à notre arrivée maritime, il ne fallait surtout pas infliger à ce cheik, que Léopold respectait, l’humiliation d’une capitulation…, et lorsqu’il disait ça, il n’avait pas l’air de délirer. C’est bien ce qui m’inquiète dans cette attitude, j’ai peur de comprendre ce que Léopold a derrière la tête, et si c’est bel et bien ce que je pense, demain sera son dernier jour en ce bas monde.
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28 décembre de l’an 9, à l’aube:
Mon cher Barnabé, voici le jour de mon destin. Grâce à ce jour, les générations futures ne se souviendront pas d’un empereur mort par l’arme d’un insecte, et ce soir, le monde du Chaos sera engloutit avec moi. Je serai avec mes amis Marco et Rufus, et je vous regarderais bâtir votre nouveau monde depuis l’au-delà. Passe la porte mon ami, et ramène moi Armadé, Sabrine et mes enfants pour que je leur fasse mes adieux.
Note de Barnabé : - Je traversais la porte installée sur le navire, réveillait Armadé, puis Sabrine, car à Rome, il faisait encore nuit, je leur indiquais que Léopold voulait leur dire adieu. Sabrine réveilla les enfants et tous me suivirent au travers d’une porte pour arriver sur le pont du navire. Léopold attendait sur un grand fauteuil à la poupe du bateau, en nage et luttant contre la fièvre. Sabrine se jeta au cou de son mari, l’embrassa, pleura en tentant de conjurer le sort, disant à Léopold qu’il n’allait pas mourir maintenant, que c’était trop tôt, qu’il était assez fort pour survivre jusqu’à ce qu’on trouve un remède, mais Léopold lui rétorqua qu’il avait décidé de se faire tuer aujourd’hui, et qu’elle ne devait pas l’empêcher de marcher au-devant de son destin. Léopold s’excusa auprès de sa femme, reconnaissant qu’il n’avait pas été un mari très attentif à elle, un père qui n’a été capable d’éduquer correctement qu’un seul enfant sur 4, puis il l’embrassa, et détacha la main que Sabrine agrippait à son bras. Il embrassa Aurore, qui versa aussi une petite larme, et lui enjoignit de bien obéir à sa mère, puis il donna l’accolade à Samuel en lui disant de toujours rester fidèle et obéir à son grand frère Victorio. Enfin, il remercia Armadé pour son soutient et la vie qu’il lui a permis de vivre. Armadé lui dit la fierté qu’il éprouvait, mais ne voulait pas entendre parler d’une mort aujourd’hui même, il était partisan de faire appel au pape pour le guérir, mais Léopold ne répondit rien, il se saisit du bras d’Armadé pour se hisser debout, et dit :
Laissez-moi débarquer maintenant, et accompagnez-moi auprès du grand cheik.
Note de Barnabé : Etant donné que Léopold a fait cesser la guerre la veille, les armées ennemies ont pu se retrancher derrière les remparts de Damas durant la nuit. Nos troupes sont en position de siège, et Sérafino dirige derrière nous ses marins-guerriers vers la ville. Damas est encerclée par nos armées infinies, tandis que Léopold s’approche de la ville à la tête du cortège formé par sa famille et sa garde impériale. Il vacille parfois sur son cheval, mais deux guerriers sont montés à ses côtés et le retiennent de tomber.
Arrivé aux abords de la ville, il demande à être rejoint par tous ses rois et généraux, les 94 champions de la première heure encore en vie, ainsi que Victorio et Paskale, qui arrivent du front par une porte de téléportation à l’instant. Maintenant que tous ses proches et fidèles sont à ses côtés, il fait écarter ses armées du pourtour de la ville et demande à être reçu avec son comité par l’autorité.
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Trois heures après le levé du soleil:
Dans un grondement, les lourdes portes de Damas s’ouvrent, et c’est le cheik Assim ben Yousef en personne qui se dirige vers Léopold pour l’accueillir en ses murs... Ainsi, trois ans après leur première rencontre, le cheik a son pire cauchemar face à lui. Mais notre empereur ne ressemble plus guère qu’à un pâle cauchemar, perturbé par la maladie, titubant dans ses vertiges, et n’assurant plus son élocution. Un interprète que nos armées de terre trouvèrent auparavant se présente, et Léopold demande à son meilleur ennemi l’honneur de se battre contre lui en duel. Ben Yousef semble avoir de la peine à comprendre ce qui l’incite à le faire dans cet état, car nos armées ont déjà écrasé une bonne partie des troupes damasiennes, et celles qui restent sont piégées dans la ville...
C’est alors comme une faveur que Léopold demande ce duel au cheik. Ce dernier comprend maintenant son état, et accepte le combat,… comme un service. Un duel à mort, une passe d’arme qui tuera notre ami, le duel qui lui apportera une mort de guerrier, et non celle d’une mouche...
En entendant cela, Victorio poussa un cri du cœur, et se précipita vers son père en le suppliant de renoncer à ce combat, mais Léopold se pencha vers lui, et lui dit : « Fils, aujourd’hui c’est mon jour, mais c’est aussi le tien, dans une heure, tu seras empereur. Ne pleure pas s’il te plait, et accorde moi le droit de choisir cette mort. Quant à toi, une fois que je serai mort, appuie toi sur Paskale, tout le monde à peur de lui et il m’est fidèle au-delà de tout ce que tu peux imaginer, nous sommes comme qui dirait… frères, et Guérart lui est totalement soumis avec ma permission. Souvient toi bien de cela, lorsque je serai mort, Paskale sera ton plus fidèle allié, plus précieux que ton grand-père, que Rino, Barnabé et tous les pères sénateurs réunis. Prend soin de Paskale et tu règneras tranquillement ».
Victorio accepta la décision de Léopold à regret, mais blêmi à un point tel que j’eu soucis qu’il ne perde connaissance.
Ceci fait, Léopold demande à Paskale d’approcher et nous confia :
Ecoutez mes amis, il s’agit ici de mes dernières volontés:
- « Paskale, après ce combat, lorsque je serais mort, tu seras l’un des derniers purs et durs du Chaos. Tu n’es pas corrompu par la politique, tu fuis au moins autant que moi le conseil des pères, et avec toi, la loi passe par la lame de l’épée. Tout le monde comprend encore bien mieux cette loi que celles écrites au conseil, alors je te confie une dernière mission et Barnabé en est témoin, écrit ça scribe : Victorio doit régner sur Rome et le monde, à tout prix ! S’il faut pour cela massacrer la moitié de l’empire, fait massacrer la moitié de l’empire, je sais que je peux compter sur toi, mon plus terrible et meilleur ami. S’il faut massacrer le conseil des pères, adresse-toi à Guerart, et fait les tous passer par les armes. Paskale, je te confie le règne de Victorio, tu seras son bras armé, Guérart le sait déjà et il mettra ses troupes à ta disposition dans Rome si tu en as besoin. Après ce duel, je souhaite que tous ceux qui m’ont suivit suivent Victorio. Qu’il soit le plus fort ou non n’y changera rien. Voyez-moi à travers lui, je l’ai formé pour cette fonction depuis enfant, tandis que toi Barnabé, tu l’as formé dans les arts de l’esprit, et il lui revient de construire la nouvelle civilisation. J’aimais le chaos, j’étais fait pour le chaos et,… Victorio a été fabriqué pour ce nouveau monde. Je vais maintenant vous laisser mes amis, et m’en aller choisir mes armes vers mon fils.
Je m’en vais en étant fier d’avoir vaincu le monde du Chaos,… de toutes façons, il fallait que l’un détruise l’autre, et c’est tout aussi bien de sombrer ensemble, je n’avais pas tellement l’intention de lui survivre, c’est ainsi que cela devait être. Je laisse le soin à ma descendance et à mes fidèles d’apporter la civilisation au monde.
Note de Barnabé : Paskale semblait ébranlé comme jamais je ne l’ai vu. Il parla encore un peu en privé avec Léopold, j’arrivais même à distinguer une larme perlant sur la joue du terrible guerrier, mais Léopold lui serra le bras en le secouant un peu, sans doute lui demanda-t-il de rester aussi fort qu’il l’a toujours été. Puis après un moment, Paskale donna l’accolade à Léopold et ils se séparèrent.
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Le 28 décembre de l’an 9, Léopold entrait dans Damas en état de semi-somnolence, soutenu par deux de ses proches. Sa santé se trouvait si dégradée qu’il délirait par moments. Mais il continuait d’avancer, vacillant et tremblant de fièvre, en se dirigeant vers le cheik ben Yousef. Ce dernier ne fit montre d’aucune ironie, car il comprit que l’homme le plus puissant du monde acceptait une mort glorieuse de sa propre main. Il fut d’ailleurs très fier d’avoir été choisi pour le dernier duel de l’empereur, et considérait cela comme un honneur.
Alors que Ben Yousef était prêt, au centre de la place de combat, Léopold sembla soudain saisi d’un nouveau souffle, comme s’il émergeait d’un trop long sommeil. Il écarta ses hommes de soutient sans ménagement, se saisit de son épée de marchand (Ben Youssef disposait également du métal des marchands), de son bouclier, et s’avança, l’oeil fixé sur l’adversaire, mais la démarche toujours chancelante.
Toute l’assemblée retenait son souffle. Les guerriers de Damas et les amis de Léopold formaient un immense cercle autour de la place pour admirer notre champion suprême une dernière fois. Même dans l’état où se trouvait notre empereur, chacun semblait croire qu’avec ou sans Renaissance, il était invincible. Il avait triomphé dans toutes les situations, les duels les plus acharnés face aux meilleurs de l’empire. Il assuma aisément des duels en Germanie alors qu’il se trouvait en piteux état. Malgré ses blessures, il en imposa à chaque champion germain. Ainsi, même si les guerriers voyaient leur empereur tituber au centre de la place, ils croyaient encore à une victoire, alors que lui-même voulait vivre là sa dernière heure. Léopold se battit cependant jusqu’à la fin sans se laisser abattre, comme un agneau. Il avait dit qu’il appartenait à la race des loups, non des agneaux...
Notre ami fut touché dès le premier assaut du seigneur de Damas. Il fut surpris par le mouvement incongru du Cheik, qui transperça l’avant bras gauche impérial avec son sabre. Léopold poussa une sorte de rugissement nerveux, secoua sa tête violement deux ou trois fois, lâcha son bouclier du bras transpercé, frappa plusieurs fois violemment son épée contre son torse, et se ressaisit dans les passes suivantes, comme si cette perforation du bras l’avait rappelé à la réalité : il était en combat ! Il n’était plus un lion malade, mais un lion blessé…
C’est alors que notre empereur nous donna une leçon des plus extraordinaires, tous les spectateurs présents virent ce qu’était l’héroïsme. La lame de Ben Yousef n’approchait plus à moins de deux pas du corps de Léopold. Stoïque, ce dernier restait campé sur ses jambes, son corps pratiquement statique. Sans gymnastique, il disposait encore de ses réflexes de défense, et maintenait parfaitement son périmètre de sécurité autour de lui. S’il bougeait, c’était pour tituber juste, évitant la lame ennemie, ne la quittant jamais des yeux, même lorsque parfois, ils se fermaient. L’adversaire ne faisait preuve d’aucune retenue dans ses assauts, et je gage que peu de nos guerriers, même bien portants, auraient pu tenir tête à Ben Yousef. A partir du moment où Léopold saisit les techniques de jeu de l’adversaire, il ne se contenta plus uniquement d’esquives, mais se permit même de lancer de véritables attaques. L’une d’elle toucha douloureusement l’épaule de l’ennemi, qui dû lui aussi lâcher son bouclier. Ils se retrouvèrent à un coup partout.
Le combat dura et le temps jouait en défaveur de Léopold. Mis à part son état de santé des plus inquiétant, la perte de sang due à sa blessure au bras finirait par le faire tomber. Son visage se crispait de douleur parfois, mais il continuait la joute. Le sang suintait abondamment de son bras, la transpiration due à la fièvre et à la chaleur ruisselait sur son visage, mais il maîtrisait si bien sa défense que l’adversaire n’arrivait jamais à l’atteindre malgré tous ses efforts. Son épée prolongeant son bras, elle ressemblait à un véritable bouclier extrêmement mobile, et à part son bras et sa lame, il restait lui-même imperturbable. Cet incroyable combat dura plus d’un quart d’heure, ce qui est énorme compte tenu de l’état de notre ami. La fin était toutefois prévisible : la perte de sang, la fièvre et la maladie auraient raison de lui, même si Ben Yousef ne lui portait pas le coup fatal.
Profitant cependant d’un étourdissement passager de notre empereur, le seigneur de Damas le toucha une seconde fois. Son sabre transperça Léopold, en plein ventre. Le sabre s’était fichu dans son ventre pour en ressortir dans le bas du dos, à droite. Ce coup était mortel, Léopold esquissa une grimace de douleur qui ne dura que l’instant ou le sabre était dans son corps, car dès que le cheik le retira, notre empereur manifesta une violente réaction dont nous ne le croyons plus capable. Il lui suffit de quatre mouvements de lame pour ôter le sabre des mains de l’adversaire. Puis, dans un tourné dont il avait le secret, Léopold décrivit un grand arc de cercle avec son épée. La lame fondit comme un éclair sur l’épaule du cheik. Comme pour son premier tournoi face à Fédérit, il aurait dû lui trancher la tête. Cependant, dans un réflexe d’une précision inexplicable vu son état, la lame s’arrêta à un poil de l’artère carotidienne du cheik désarmé. L’instant d’après, on entendit le bruit du sabre de Ben Yousef qui retombait sur le sol. Léopold l’avait projeté en l’air et sa rotation suivante fut si fulgurante que le sabre ne toucha terre qu’après la défaite du cheik. C’était une victoire éclatante, certainement la plus belle de Léopold. Il laissa la vie sauve au seigneur de Damas. Puis, dans un grand rire tonitruant suivit d’une quinte de toux qui lui fit cracher un peu de sang, il planta son épée dans la terre, devant Ben Yousef. Aucun doute sur l’issue de ce combat incroyable n’était permis : Léopold avait triomphé une nouvelle fois, tout en accordant grâce à son vaincu.
Toutefois, le sang s’échappant de son bras et la perforation des organes vitaux de son ventre lui apporterait la mort, et il le savait. Il demanda au seigneur de Damas de le soutenir car il souhaitait mourir debout. Ses dernières forces avaient été usées lors de son ultime attaque.
Ben Yousef le soutint, et Léopold le remercia pour ce duel, ainsi que pour la belle mort que ce seigneur lui offrait. Ce dernier tenait dans ses bras notre empereur agonisant.
Léopold eu droit à sa mort de guerrier.
Dès l’instant où le sabre du seigneur de Damas traversa de part en part notre empereur, plus un mot ne monta de la foule. Pas un applaudissement après sa victoire, pas un cri, aucun enthousiasme, juste la tristesse et le respect dans un silence de mort.
Victorio accourût vers son père dès la fin du combat, mais un vieillard habillé de blanc apparût prodigieusement et de manière impromptue au milieu de la place !
Je m’approchais moi aussi du corps ensanglanté du plus grand homme que le monde ait porté après le Chaos, de mon ami. Il ne me vit cependant pas, tant il était obnubilé par la mystérieuse apparition de l’homme vêtu de blanc. Cet étrange vieillard se trouvait être le pontife Paul XII ! Le pape remercia Léopold pour son oeuvre, se saisit de Renaissance et la donna à Victorio. Lorsque Léopold vit que son fils pouvait dorénavant tenir l’épée de feu, qui crépitait vigoureusement dans les mains du jeune homme, il remercia Paul, et, dans un dernier râle, il lui demanda : « Alors, Seigneur Paul, t’as apprécié le combat ? Est-ce que je fus à la hauteur de ta confiance ?» Le pontife opina de la tête et lui donna alors ce qu’il appela “les derniers sacrements”, et notre empereur mourut dans les bras de son ultime adversaire, le seigneur de Damas, cheik Assim ben Yousef.
Il était un peu moins de quatre heures après le levé du soleil.
Le pontife pointa alors sa canne argentée en direction de Victorio. Une ligne de feu en sorti, et le torse tout entier du nouvel empereur fut marqué d’une croix: “En guise de bénédiction, et pour que jamais, tu ne perdes la mémoire”, rajouta le pape, avant de disparaître tout aussi prodigieusement qu’il était apparût. La douleur de la brûlure fit choir Victorio à terre. Tous les guerriers romains, ayant compris que leur empereur n’était plus, s’agenouillèrent à sa suite, certains d’avoir perdu un être fondamental dans l’organisation de l’empire.
Le cheik Assim ben Yousef déposa le corps de Léopold à terre et s’agenouilla lui-aussi devant sa dépouille. Il avait saisit l’importance de son geste. Il comprenait que Léopold était un guerrier de nature, et qu’il lui avait offert l’honneur de mettre un terme à ses souffrances. Assim rendit hommage à l’empereur à voix haute, afin que son peuple puisse l’entendre, et tous les guerriers Damasiens mirent genou à terre à leur tour. Personne n’osait bouger le premier, et ce fut Victorio, qui, après avoir accusé le coup de la souffrance de la brûlure, se relevait, face à la dépouille ensanglantée de son père.
Léopold Paralamo, le dernier dinosaure du Chaos, était mort...
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La mort de mon maître me bouleversa. A peine l’annonce de sa mort rendue publique à Rome, que l’empire tremblait déjà sur ses bases. Léopold était dur mais juste, ce fut réellement un grand homme. Ayant vécu en dehors de tout schéma de société traditionnelle, comme il se plaisait à le dire, il reconstruisit un monde. Sa bravoure était admirée par tous ses hommes, sa simple vue inspirait respect et crainte à tous. Il était mystifié comme un dieu à travers tout le monde connu. Cependant, sa jeune mort ne signifiait pas la fin de l’empire. Il avait été assez intelligent pour organiser sa succession, et la nouvelle civilisation ne fut pas en danger. D’un autre côté, il demeurera dans les anales comme le guerrier le plus vaillant, prêt à relever tous les défis sans jamais laisser apparaître la moindre crainte. La seule chose qu’il ne pouvait admettre était qu’une mouche soit capable de le tuer. Alors qu’il tenait à peine debout tant il était fiévreux, je ne m’opposais même pas à ce dernier combat. Il savait que ce duel lui apporterait la mort, Assim ben Yousef le remarqua lui-même, car il changea de politique après la mort de l’empereur. Agenouillé devant le géant terrassé, ben Yousef restait hagard. Ensuite, il soumit tous ses territoires à l’empire, en hommage à Léopold. Il promit en outre à son fils, Victorio, de l’aider dans sa progression vers les territoires palestiniens. Ainsi, Léopold avait gagné son dernier combat, car malgré son trépas, sa noblesse d’esprit gagna ben Yousef à notre cause, et il resta un de nos plus fidèle allié.
Le seigneur de Damas offrit d’embaumer l’empereur selon une de leur technique, qui devait, d’après lui, nous permettre de le conserver sans les affres de la décomposition. Le corps de Léopold était marqué de 119 cicatrices de tous genres, sans compter l’immense croix gravée sur son torse. Son visage était lacéré d’une dizaine de cicatrices, la plus importante étant celle de Gianfranco Villania. Chacune ayant une histoire ou un haut fait d’arme à raconter, cette dépouille était sans doute la plus belle, la plus marquée par la vie, et nous acception l’offre d’embaumement de Ben Yousef. Après les trois jours que nécessita cette intervention, Victorio décida de rentrer à Rome, tandis que nos armées, secondées par celles du cheik, reçurent pour mission de soumettre les territoires à l’est et au sud de la grande mer.
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Voilà donc le récit de la vie et de la mort du premier empereur de l’après Grand Chaos. Si sa durée de règne fut brève, il n’en demeure pas moins que je souhaite rendre hommage moi aussi à ce grand homme, qui fut mon ami durant plus de neuf ans, en dépit de toutes nos différences.
Moi, Barnabé, ait eu l’honneur d’écrire la première biographie de l’après Chaos. Je sais qu’aucun homme capable de lire cette histoire ne pourra s’identifier au héros. C’est normal, personne d’autre que lui n’aurait pu faire ce qu’il a fait, ni être ce qu’il fut. Armadé était l’homme qui avait pensé l’après Chaos, mais Léopold fut l’homme qui terrassa le chaos sur son passage. Son coeur de pierre pouvait bien être dur, son esprit était simple et généreux pour ceux qui admettaient de sortir du Chaos, impitoyable pour ceux qui souhaitaient y rester. De gré ou de force, il tira l’humanité de sa longue nuit, et cela, nous ne le devions qu’à lui. Il reçu Rome, nous y vivons, et cela aussi n’est dû qu’à lui. Après quelques remises en places, la discipline régnait en Europe, grâce à lui aussi. Des bâtisseurs sillonnent actuellement l’empire pour créer des reflets de Rome à travers le continent, encore grâce à lui. Armadé eut des idées de création, Victorio agrandira certainement l’empire que son père a créé, mais seul Léopold créa. Sans lui, le monde baignerait toujours dans le Chaos.
Léopold était une sorte de géant mesurant plus de 5 coudées de hauteur. Très exactement de 2 mètres et 8 centimètres, selon les unités du système métrique romain. Imposant par sa taille et sa force, il n’en était pas moins intelligent que moi. Son illettrisme ne le gêna jamais dans ses campagnes, mais il était patent qu’il souffrait de son inculture à Rome. Sur n’importe quel champ de bataille, dans n’importe quel duel, il était supérieur à tout ce que nous connaissions jusqu’alors. Je pouvais toutefois percevoir sa faiblesse lorsqu’il déambulait dans la cité. Dans Rome, Léopold était mal à l’aise, sûr de n’être qu’un insignifiant personnage à côté de la grandeur de la civilisation des pontifes. Il ne séjourna d’ailleurs pas plus de quatre mois d’affilée à Rome, sautant sur tous les prétextes pour repartir endosser son statut de guerrier suprême dès qu’un semblant de tumulte agitait une région de l’empire. Paradoxalement, à chaque fois qu’il était loin de la cité, il se retrouvait irrémédiablement attiré vers la ville et ses beautés, faisant grand usage des portes de téléportation, qui ne le quittaient plus, et revenait à chaque fois dans la ville avec bonheur. Mais il ne pouvait y demeurer trop longtemps, cette ville était la seule chose capable de vraiment mettre à l’épreuve notre empereur.
Si sa stature en imposait à tous, son apparence n’était pas non plus de nature à pousser à la plaisanterie le premier venu. Son visage balafré de maintes cicatrices forçait le respect ou la crainte de tous ses sujets. Ses longs cheveux blonds, attachés ou en bataille faisaient penser aux grands guerriers du nord, ses yeux d’un bleu profond, comme le ciel après l’orage, sondaient et intimidaient l’interlocuteur, et personne n’osa jamais lui tenir tête. Tous ses guerriers, sur n’importe quel champ de bataille, l’appelaient « chef », et cela, du simple troufion jusqu’aux plus grands généraux. Léopold souhaitait qu’il en soit ainsi pour les combattants. A Rome, les habitants ne savaient par quel adjectif le nommer. Ils commencèrent avec des “Monseigneur”, “Sérénissime”, “Sa Majesté”, et ce genre de titres grandiloquents qui ne seyaient pas du tout ni à son apparence, ni à son tempérament. Léopold ne s’était jamais vu comme un Monseigneur ou une Majesté, sa personne n’était en fait qu’une pure construction guerrière, et tout en lui rappelait le guerrier. Pour finir, tous avaient adopté le terme de “Guerrier suprême”, y compris les pères.
Je sentais bien que maintenant, pour préserver l’empire, nous devrons tous êtres unis autour de Victorio. Tant que l’ombre de Léopold planait sur l’armée, aucun des pères ne se serait permis de contester une décision de son fils ; quant à l’idée de trahir Léopold, elle était si incongrue que je gage que personne n’a jamais même imaginé une chose pareille. Mais maintenant que Léopold n’est plus, Victorio ne tient sa légitimité que d’une succession sans tournois. Indéniablement, celui qui donna toute la légitimité à la fonction impériale du jeune homme, fut sa reconnaissance comme tel par le souverain pontife. Le pape était perçu parmi la population romaine comme une sorte de mythe qui pouvait venir les punir n’importe quand s’ils ne se tenaient pas correctement. Imaginez l’effet que produisit son apparition au milieu de la place du tournoi de Damas pour remettre les attributs du pouvoir à Victorio !...
Paul XII avait tracé, béni, et transmis Renaissance à Victorio, telle était la volonté du pontife. La bénédiction du pape, la croix gravée à même la chair, et l’épée de feu constituaient depuis le début du règne de Léopold les attributs du pouvoir romain. Ces attributs l’aideraient à faire respecter son autorité, car je gage que certains des pères eux-mêmes, n’en ont pas encore fini avec la loi du plus fort. Et contrairement à Léopold, du haut de ses 15 ans, Victorio n’est pas encore le plus fort.
D’un autre côté, le jeune homme a toujours combattu aux côtés de Marco, Rino, Paskale, Patrik, Sérafino, depuis sa plus tendre jeunesse. Ces cinq champions ayant été placés au sommet de la hiérarchie des pères par Léopold, je ne doutais pas de leur fidélité envers son fils, qu’ils considéraient un peu comme de leur famille. Le gouverneur de Rome étant son grand-père, le jeune homme bénéficie tout de même d’une solide représentation au conseil.
Victorio étant de la même trempe que son père, il ne fait aucun doute qu’il guerroiera avec bravoure. Il pense d’ailleurs déjà à reprendre la mer avec Sérafino, à la tête de toute la flotte, pour de nouvelles conquêtes.
Je vais maintenant clore ma modeste contribution à l’histoire de la fin du Chaos pour transmettre ce recueil au nouvel empereur, qui aura loisir de continuer seul l’histoire de cette renaissance et de cette nouvelle dynastie. Victorio en est aujourd’hui capable, mon enseignement ayant fait de lui le premier lettré de toute l’armée impériale.
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Moi, Victorio Paralamo, remercie Barnabé d’avoir pris note de toute cette histoire, contée par mon père. Je souhaite aussi rendre témoignage à mon père. Aujourd’hui, à a peine 15 ans, j’hérite d’une succession vertigineuse, et je prie le Dieu romain de me donner la force pour poursuivre l’oeuvre de père.
Je suis né dans le chaos, j’ai voyagé jusqu’à l’âge de 4 ans sur les chariots, entourés des troupes marchandes de Monié. J’ai ensuite vu mon père terrasser tous les champions lors du formidable tournoi de Tourbillon, juste avant l’an zéro. Ce tournoi est sans doute mon premier grand souvenir, et l’émotion que me procura mon père à cette occasion restera à jamais gravée dans ma mémoire. J’avais à peine 4 ans, et je me souviens de ces 8 combats hors du commun, ainsi que de la fierté que je ressenti ce jour là.
J’ai ensuite vu partir Léopold dans le grand sud, à travers l’inconnu le plus opaque, chercher une légende, et en revenir triomphalement avec Renaissance. Je l’ai ensuite suivit dans toutes ses campagnes, et j’ai vu le monde sortir du Chaos là où père passait.
Je l’ai vu entrer dans Rome, et nous ouvrir les portes le lendemain. Aujourd’hui, et pour la première fois depuis la nuit des temps, un homme est connu dans une multitude de territoires. Le nom de Léopold Paralamo est connu de Gibraltar jusqu’à Sanct Petersburg, et d’Oslo jusqu’à Damas. Dans tous les territoires où il passa, il fut vu et admiré, craint et respecté de tous, tandis que ceux qui ne l’avaient jamais vu connaissaient néanmoins son nom, et en avaient fait un mythe. Le mythe du guerrier suprême, du guerrier à l’épée de feu, de l’homme invincible. Léopold ne laissa pas mentir le mythe jusqu’à son dernier souffle, où il remporta un ultime combat avant de trépasser.
Même si père n’a pas changé le monde physiquement, car aucune grande construction n’est encore hors de terre actuellement, il l’a toutefois changé profondément dans la vie de tous les habitants de l’empire. Léopold était un guerrier né, et il n’a jamais cessé de combattre sa vie durant. Même s’il était interdit de tournois dans sa jeunesse, il a toujours combattu avec les meilleurs. Lorsqu’il gagna les meilleurs, il devint le plus grand chef militaire jamais vu ni entendu de mémoire de légende. Alors qu’enfant, me tenant hors de porté des flèches Bermoises, je le vis parer une flèche avec sa cuisse pour épargner sa monture, je sus que c’était là le plus grand guerrier existant dans ce bas monde. Personne n’aurait pu être capable d’une telle maîtrise, d’une telle précision, sur un cheval lancé à plein galop devant la muraille ! Dans la même journée, il livra encore une bataille à Brienze, et poursuivit jusqu’à Interlak ! Qui d’autre que lui aurait pu parcourir encore 10 lieues avec une flèche dans la cuisse ?... Ses hommes l’admiraient et le respectaient. En tenant en son pouvoir une armée qui représente une population innombrable, et après avoir reçu Rome, il avait le destin de l’humanité entre ses seules mains.
Ses armées ratissaient les parias sur leur passage pour les confier aux marchés, afin qu’ils ne représentent plus de dangers en liberté hors des clans. Les chefs devaient organiser à leur tour des ratissages plus fouillés pour sécuriser au maximum tous les territoires. Une fois les parias parqués en lieu sûrs, peu à peu, les portes des clans et marchés s’ouvrirent plus facilement. Les échanges de marchandise et des projets communs virent le jour. Du fait des échanges plus fréquents, l’équilibre hommes-femmes entre les clans se fit pacifiquement, sans kidnappings, devenus hors la loi. C’était étonnant de la part d’un homme qui avait lui-même kidnappé sa femme. C’est après son retour de la première épopée qu’il fut changé. Il avait vu un monde parfait et magnifique, et sa vision de la civilisation du chaos changea. Désormais, il avait un but. La puissance et les appuis qu’il disposait après son retour victorieux de Rome l’aidèrent à atteindre ce but, qui était de changer la face du monde. Il disposait en plus de l’intelligence pour savoir ce qui serait bon et mauvais pour préserver l’équilibre d’une telle juridiction. Il imposa des règles comme l’abolition de la peine de mort, la mise hors la loi des kidnappings, qui n’étaient bons qu’à envenimer les relations de voisinages, et donc entraver sa vision du nouveau monde. Tout ce qui était propice à semer la discorde entre les clans devait être sanctionné par les chefs ou nos unités de campagne. Il ne renia jamais vraiment la loi du plus fort, et tenait à ce que les anciens chefs gardent leurs postes. Il leur demandait cependant de voir les choses sous un nouvel angle. Unis, nous pourrions faire de grandes choses, et peut-être de grandes oeuvres. Divisés, il ne restait que le chaos.
Il savait qu’en exigeant uniquement d’améliorer les voies de communications, de sécuriser les déplacements, et en favorisant des projets communs, ceci changerai déjà la manière de penser des gens. Tout à coup, l’humanité voyait plus loin que son clan et son marché, elle voyait jusqu’à la Grande Ville de la légende qu’il tenait là, au bout de son épée ! Renaissance devint l’épée qui ouvrit les yeux de l’humanité. Des guerriers sur son passage se joignirent à lui pour conquérir la ville de la légende, et le monde retint son souffle. Depuis, tous les chefs de clans d’Europe viennent constater de visu ce dont ils ont espéré voir un jour. Ils repartent de Rome transformés, interloqués... Ils savent tout à coup pourquoi leur civilisation est nommée Grand Chaos ! C’est certain, Léopold ne changea pas seulement les donnes du pouvoir, mais de plus, il rendit meilleur l’humanité. Il la sortit de sa longue nuit en lui montrant la lumière. Malgré son coeur de pierre, comme le lui avait dit le pontife, en homme de principe, il civilisa le monde.
Je ne sais pas s’il connût l’amour. Je n’aurai jamais su dire s’il m’aimait ? Il a toujours été très dur avec moi, allant même parfois jusqu’à m’infliger de méchantes blessures en combat lorsqu’il jugeait mes progressions insuffisantes, m’accusant de me laisser aller. Il savait que je ne serai jamais aussi puissant que lui, et pour ma succession, il alla jusqu’à abolir la loi du plus fort chez les pères. Leurs fils deviendraient pères de l’empire sans combats !
Je viens de terminer la lecture de ce recueil qu’il a bien voulut me laisser en héritage, et à la lecture de ces pages, elles laissent suggérer que père m’aimait. Du moins, de ses trois fils, je suis le seul qu’il a véritablement connu. Mais même si l’amour constituait pour lui une notion tout à fait abstraite, il avait le respect, les principes, la puissance et l’intelligence pour changer ce monde, et il le fit.
Depuis ce jour incroyable du 28 décembre de l’an 9, la peine est grande en mon coeur. Non seulement j’aimais mon père, mais de plus, j’admirais le guerrier Léopold. Il fut l’exemple que je tenterai dorénavant de suivre dans ma vie.
Le 12 janvier de l’an de grâce 10
Victorio Paralamo
La fin du Chaos
Lorsque nous ramenions le corps de père à Rome, la ville cessa de respirer durant plusieurs jours. Les gens restaient silencieux, exécutaient leurs tâches quotidiennes sans passion, et la population entière de la ville vint et revint en pèlerinage dans la basilique de Pierre pour voir le corps de Léopold et lui rendre hommage.
C’était un flot continu qui défilait dans le lieu saint sur une bonne semaine, jour et nuit. Il y avait les militaires, les chefs grands et petits, mais aussi les enfants et les femmes. Après quelques jours, sur conseil de Barnabé, je fis interdire les dépôts de gerbes de fleurs : Les pollens dans la basilique en devenaient vraiment irritants, et les rues et jardins de la ville se vidaient si vite de leurs fleurs qu’on craignit qu’il n’en reste plus une seule en terre !
Pendant les obsèques et les hommages qui s’éternisaient, Paskale apparaissait comme durement éprouvé par la perte de mon père. Il avait teint ses vêtements et accessoires de protection en noir, son casque, son bouclier, son plastron cuirasse, … il n’y avait plus que la lame de son épée qui étincelait sur lui. A certains moments, il me semblait encore plus affecté que moi-même ou Armadé, fils et père du défunt. Il restait à la droite du cercueil de verre où gisait la dépouille de père, il ne voyait pas la foule de pèlerins défiler, son regard, noir lui-aussi, se perdait au loin, hagard, désespéré…
J’avais bien entendu lu dans le récit de Barnabé ce que Léopold et lui avaient partagé à la suite de la mort de Marco, et je savais qu’il souffrait autant de la mort de père que père souffrit de la mort de Marco. Un soir, je lui demandais de m’accompagner pour une balade dans les jardins du Vatican. Il avait l’air si déstabilisé qu’il fallait que je lui parle, que je le rassure de mon soutient inconditionnel, mais rien n’y faisait. Paskale, le guerrier le plus féroce et brutal de toutes nos armées, était anéanti, et il faisait peine à voir. Il me répondit piteusement :
« C’est bien gentil de m’offrir ta confiance patron, mais rien ne remplacera Léopold sur cette terre. Ton père, pour moi, c’était Dieu ! Rien à cirer du crucifié romain qui n’a rien trouvé de mieux que l’Amour pour régenter le monde, on a bien vu où ça a mené l’ancien monde ! Rien à battre du pape et de ses bonnes manières ; Léopold et moi, nous étions le feu et le sang : Lui, il était le feu avec son épée flamboyante et ses incendies ; moi j’étais le sang qu’il ne pouvait pas faire couler à cause de son épée empoisonnée de morale. »
« Ton grand-père est un diplomate, toi tu es un enfant du Chaos contaminé par les enseignements de Barnabé, Rino est devenu un administrateur de la guerre, Patrik se contente d’obéir, et Barnabé les bons conseils n’est qu’un freluquet qui peine à couper une tranche de viande séchée avec une dague. »
« A la droite de Léopold, je pouvais faire quelques entorses à ses règles, et même s’il me réprimandait pour la forme, je voyais bien qu’au fond de lui, il m’approuvait et qu’il aurait agit de même s’il n’y avait pas Renaissance. Dieu, … Léopold, était magnanime avec la fureur. On formait un trio avec Marco, puis un duo avec ton père, et maintenant…, plus rien ne sera jamais comme avant, tout fout le camp, les amis, le chaos, le vieux monde, et c’est difficilement supportable pour moi. »
Face à son désappointement, je tentais de le rassurer comme je pouvais : - Léopold aussi aimait le Chaos, mais il a fait son devoir, il l’a détruit.
Ouais…, n’empêche que lorsque ton père se retrouvait un peu déboussolé par ce nouveau monde, il n’avait qu’à me regarder pour se rassurer ! Et moi, je regarde où ?
Guérart ne fait-il pas l’affaire ?
Guérart a beau être un grand guerrier, si je lui dis d’arrêter de pisser, il arrête de pisser ! C’est comme Patrik, il obéi, et comme Rino, ils écoutent le conseil des pères puis organisent leurs troupes en fonction des désirs de ces Messieurs, rien d’autre, répliqua Paskale.
Paskale avait raison, le monde que Léopold avait laissé derrière lui était organisé, chaque personne avait un rôle et s’y tenait, que ce soit mon grand-père Armadé, Rino, ou n’importe quel autre père, tous avaient leur champ d’action, une mission, qu’elle soit législative, guerrière, ou diplomatique, et chacun était discipliné dans son œuvre. Déjà dans le monde du Chaos, Paskale ne passait pas pour être un commode, alors dans notre nouvelle civilisation…, je vous laisse imaginer la crainte qu’il inspirait jusqu’aux plus prestigieux commandants. Et finalement, il se retrouvait seul, perdu sans son dernier ami, mon père. Entouré comme je l’étais par autant de guerriers que de lettrés, et qui tous, m’apportaient de nouvelles connaissances et amitiés, j’en arrivais à plaindre ce grand barbare de Paskale, je comprenais sa situation.
J’aimerais mourir comme mon maître et mon ami, de la main du plus fameux guerrier, Guérart, dans la grande arène du Colisée, lâcha-t-il, avant de chasser cette pensée par un : - Non, je ne veux pas d’une copie organisée, il faut que je meure dans la fureur de la guerre.
Pris d’un sentiment de pitié pour ce guerrier indomptable, je lui proposais de me décharger d’un poids : - Paskale, mon père t’as demandé de veiller à ce que l’empire me reste fidèle et obéisse à mon autorité comme il l’a fait pour lui-même, t’acquitteras-tu de ta tâche ?
Je mourrais pour respecter les dernières volontés de Léopold, lâcha-t-il fièrement.
C’est à ce moment que je fis sans doute ma première et une des plus grosses erreurs de mon règne d’empereur : Je donnais autorité à Paskale pour faire respecter la loyauté des clans et marchés du monde, en redirigeant vers lui-même tous mes espions placés au sein de nos garnisons de campagne. Désormais, s’il y avait du grabuge dans l’empire, Paskale serait le premier informé, à sa charge de rétablir l’ordre.
Je ne voulais pas laisser un guerrier pareil sous la coupe du conseil. Par respect pour ce que fut père, je ne voulais pas transformer un des derniers barbares emblématique du chaos en simple exécutant. En tant que roi du monde connu, il me jura de régler tous les problèmes survenant dans les clans soumis, afin que la loyauté du monde pour Rome et l’empereur soit la même que du vivant de Léopold. Paskale accepta immédiatement ma proposition à une seule condition, c’est que notre affaire reste entre lui et moi : Il ne voulait surtout pas que Barnabé vienne fouiner dans ses affaires, car il détestait le scribe et ne lui accordait pas une once de confiance : « Un manipulateur et un espion à la solde du pape », qu’il disait…, et il avait sans doute ses raisons pour le croire. J’acceptais cette condition sans problème.
A ce moment précis, je pensais m’être débarrassé d’une épine du pied : Avec Paskale, je n’aurais pas à m’occuper des problèmes d’insurrection en dehors des murs de Rome. Il s’occupait du maintien de la discipline dans l’empire, tandis que les pères et moi-même nous occupions des garnisons de campagne et leurs tribunaux, des constructions à travers le monde, de politiques et législations, d’organisation.
Léopold savait qu’une partie des chefs en place auraient de la peine à accepter l’autorité d’un jeune homme de 15 ans, et je craignais aussi les réactions du monde à l’extérieur des murs de la ville, … jusqu’à ce que je donne les pleins pouvoir à Paskale dans ce domaine. Ceci fait, j’étais plus tranquille, si tranquille que durant des semaines, je ne me préoccupais plus de ça au profit des projets que nous mettions en place avec les architectes et bâtisseurs, réunions du conseil, comptes rendus de découvertes maritimes avec Sérafino, rapports des victoires du Seigneur de Damas sur la Palestine et en Egypt, bref, de moult choses plus intéressantes que des insurrections.
Durant cette période, une des découvertes de Sérafino au sud de la grande mer me laissa pantois : Dans les grandes forêts qui s’étendent d’Alger à Allessandria, les habitants disposaient du remède pour guérir de la maladie du sommeil… Ils le fabriquaient à l’aide d’une plante qui pousse sur certains grands arbres de leur jungle. Nos marins trouvèrent ce qui aurait dû sauver Léopold à peine 35 jours après sa mort. Et…, sans le duel de Damas, avec la force vitale qu’il réussit à démontrer lors de ce duel, nul doute qu’il aurait pu agoniser sur une période encore plus longue que ces 35 jours, et ainsi être guéri de ce mal. De fait, si mon père avait laissé faire leur travail à ses armées, elles auraient vaincu le Cheik Ben Youssef sans lui, et il serait encore vivant à l’heure qu’il est.
Avoir à disposition un tel remède était une bonne chose en soit, mais j’accueilli la nouvelle plutôt fraichement, … amèrement. Barnabé me rassura sur le fait que Léopold avait choisi sa mort, et qu’il ne voulait pas de ce remède. Lui-même avait fait la proposition d’en appeler au pape pour qu’il le guérisse, mais père avait refusé, il préférait mourir avec le Chaos plutôt que de vivre dans notre nouveau monde.
Ainsi donc, notre toute jeune et belle civilisation tuait ! Pas directement, mais insidieusement, de grandes personnalités du Chaos préféraient la mort à notre nouveau monde, et Léopold, qui avait contribué autant à la destruction du Chaos qu’à la construction de cette civilisation en était la première victime…
Environ un mois après la mort de père, le sénateur Lionel vint me voir pour m’avertir qu’il avait été approché par un de ses pairs qui allait proposer ma mise sous tutelle lors de la prochaine cession. Lionel avait fait semblant d’être intéressé sans donner une réponse claire à la proposition, et il m’informa de cette démarche, qui, sans être une vraie trahison, était déjà une manœuvre visant à réduire mon autorité. D’après lui, je pouvais compter sur l’appui inconditionnel de tous les rois, mais une frange du sénat voulait une mesure de contrôle sur mon pouvoir jusqu’à un âge plus mûr.
C’était inquiétant, et même si je pouvais compter sur Patrick, Rino, Sérafino, Armadé et Barnabé, il manquait celui à qui Léopold avait donné toute sa confiance pour me soutenir dans ce nouveau règne : Paskale, qui n’avait plus réapparût ni à Rome, ni au conseil, depuis que je lui avais donné carte blanche pour rétablir l’ordre et la soumission de tout l’empire à mon autorité. J’envoyais donc un messager chercher Paskale, et quelques heures plus tard, en utilisant les portes de téléportation, il arriva face à moi, souriant et de bonne humeur. Je lui demandais des nouvelles de nos régions, et il m’informa qu’il maîtrisait parfaitement la situation, sans s’étaler dans les détails. Je lui demandais alors comme un service d’assister à mes côtés à la cession du conseil le lendemain, en l’informant de l’éventuelle menace qui pouvait apparaître durant celle-ci. Il accepta, et le lendemain, il siégeait à la droite de mon trône.
Durant le conseil, Rodolfo se leva et introduit sa requête en ces termes : « Chers amis, plusieurs sénateurs jugent qu’il serait utile au nouvel empereur d’être assisté dans ces décisions par un conseil de tutelle de guerriers et sénateurs expérimentés, jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge auquel Léopold fut nommé empereur, à savoir l’âge de la sagesse, vers 25 ans. Il nous semble qu’à 15 ans, c’est trop de responsabilités pour la santé de Victorio que de porter un empire pareil sur ces seules épaules. C’est pourquoi, moi-même ainsi que d’autres sénateurs, nous nous proposons gracieusement pour alléger son fardeau. Je soumets cette question au vote, que les pères qui sont d’accord d’aider l’empereur en ce sens se lèvent ».
Après quelques hésitations, une trentaine de pères se levèrent, et avant même qu’Armadé, Barnabé ou Rino aient eu le temps de dire quoique ce soit, une dague traversa l’hémicycle comme un rais de lumière et se planta dans la gorge de Rodolfo, l’instigateur de cette proposition. Après quoi, Paskale se leva et s’exclama : « Eh bien, je préfère quand tu te tais, crétin ! ». Rodolfo retira la dague de sa gorge et son sang gicla sur l’assemblée devant lui. Quelques secondes plus tard, il s’écroula, mort. La stupeur était totale dans l’assemblée, mais Barnabé était scandalisé, il rompit le silence en éructant : « Paskale ! Nous sommes ici entre gens qui débattent sérieusement. Je n’approuve pas la proposition de Rodolfo, mais il avait le droit de s’exprimer. Son idée n’aurait jamais été approuvée par l’assemblée des pères, il est inutile de s’entre-tuer dans ce lieu de débats civilisés ! »
Mais Paskale s’emporta : « Mais tais-toi donc le scribe ! L’idée de ce misérable n’était pas de dialoguer, c’était ni plus ni moins de retirer la dignité impériale à Victorio. J’ai reçu le pouvoir de la part de Léopold pour tuer tous ceux qui mépriseront l’autorité de l’empereur, et Rodolfo n’a pas seulement manqué de respect, il a méprisé l’empereur en doutant de ses capacités à régner. Il a mérité la mort, comme tous ceux qui se sont levé pour approuver son ignoble projet criminel et qui vont se faire occire maintenant. » Après quoi, Paskale cria : « Guérart ! » Et le chef des prétorians, suivit d’une partie de ses troupes, pénétrèrent dans l’hémicycle. Alors Paskale ordonna aux pères présents de désigner aux prétorians tous les pères qui s’étaient levés pour approuver la proposition de Rodolfo, afin qu’ils soient passés par le fil de l’épée.
Mon grand-père et gouverneur de Rome s’y opposa, et en tant que chef des prétorians, ordonna à Guérart de retirer ses hommes en armes de la salle, Barnabé, vice-gouverneur, n’en croyait pas ses yeux, et m’interpella en me demandant de faire cesser cette folie tout de suite, mais je laissais faire Paskale. Il s’ensuivit un grand grabuge dans l’hémicycle, mais les prétorians avaient condamné les portes, et personne ne pouvait sortir. Armadé hurla une nouvelle fois l’ordre à Guérart de se retirer sur le champ avec ses hommes, mais ce dernier répondit calmement :
« Je suis désolé gouverneur, mais j’ai reçu des instructions très claires de la part de Léopold avant qu’il ne meure, et en cas de trouble autour du règne de Victorio, mon seul maître est le roi Paskale, je ne peux ni t’obéir ni obéir à Patrick, mes deux supérieurs légitimes habituellement. Je demande donc à Paskale s’il maintient son ordre ? »
Paskale était furieux, peut-être plus contre mon grand-père que contre Barnabé, mais il n’osa pas menacer Armadé directement, alors il hurla en brandissant son épée : « Nom de Dieu Barnabé, si tu essayes d’influencer l’empereur pour accepter cet affront, je te tue sur place, alors ta gueule ! Maintenant, que tous ceux qui sont restés assis durant la proposition de Rodolfo se retirent à droite de la salle, et que ceux qui sont levé se retirent à gauche. Si j’en vois un qui essaie de tricher, je fais tuer tout le monde ! »
Un mouvement se fit dans la salle dans un brouharah incroyable, certains pères frappaient et poussaient d’autres qui voulaient se mettre à droite alors qu’ils s’étaient levés, et pour finir, la séparation se fit. 28 sénateurs restèrent à gauche, implorant et criant leur bonne volonté, que s’ils avaient accepté la proposition de Rodolfo, c’était uniquement dans le but de m’aider…
Barnabé me demanda de trancher pour savoir s’ils méritaient la mort, mais il reçu un formidable coup de poing de Paskale qui s’était rapproché de lui, et il fini à terre, inconscient. Moi-même, je ne savais plus du tout comment réagir, complètement dépassé et perturbé par le déroulement de cette assemblée, et Paskale donna l’ordre d’exécution à Guérart qui fit trucider sans attendre la trentaine de pères jugés nuisibles par Paskale. Tout se passa très vite, les mises à mort durèrent moins d’une minute.
Après quoi, Paskale ordonna à Guérart de retirer les corps de la salle immédiatement, et demanda un sceau d’eau à un prétorian, qui le lui apporta. Il lança l’eau au visage de Barnabé, qui reprit ses esprits, et lui indiqua de reprendre sa place pour continuer les débats. Lorsque Barnabé fut assis, il n’y avait déjà plus aucun cadavre dans l’hémicycle, juste l’odeur acre du sang qui flottait encore dans l’air.
Alors Paskale, calmé, prit la parole pour dire : « Désolé pour ce petit intermède, maintenant que le calme est revenu, poursuivons les débats. On m’a dit qu’il était question de définir une destination pour la flotte de Sérafino, et il semblerait que les armées impériales de Rino soient bloquées au nord du continent, sans moyens pour atteindre convenablement l’île de Grande Bretagne. Je propose donc que Sérafino dirige une partie de sa flotte au Nord des Gaules pour permettre à une première vague de guerriers de passer la mer et installer des portes de téléportation sur l’île afin de commencer l’invasion de la Grande Bretagne. Qui est pour ? »
Nous étions tous sous le choc. Il ne s’était pas passé plus de dix minutes entre le lancement de la dague de Paskale sur Rodolfo et le débarras des 28 corps hors de la salle, c’était comme si une tornade avait balayé l’hémicycle, d’habitude si tranquille, avant de s’en aller, laissant la désolation derrière elle,... et voilà que Paskale pose tranquillement une question stratégique à l’assemblée, comme si rien ne s’était passé.
D’instinct, tous les pères se levèrent tel un seul homme pour approuver la proposition de Paskale, qu’ils n’avaient sans doute même pas écoutée, compte tenu de l’état de choc dans lequel on se trouvait. Même les rois et Barnabé, l’œil poché, se levèrent. Il n’y a qu’Armadé qui interrompit la torpeur dans laquelle était plongé le conseil des pères pour revenir sur ce qui s’était passé :
Paskale, ce que tu as fait est difficilement acceptable ! Tu te prends pour qui pour agir ainsi ?
Le barbare, sûr de son bon droit, répondit comme une évidence : « Mais, je suis l’ange gardien de l’empire, j’ai été mandaté par Léopold pour cela et je fais mon boulot. Pourquoi Léopold a-t-il demandé cela à moi et non pas à un autre ? Je pense que notre ami scribe va pouvoir répondre à cette question. Barnabé, qu’a dit Léopold concernant le conseil des pères ? »
Barnabé se tenait la tête, encore sonné par le coup qu’il avait reçu, mais récita d’une voix monocorde : « Léopold a dit à Paskale : Mon plus terrible et meilleur ami, Victorio doit régner, à tout prix. S’il faut pour cela massacrer la totalité du conseil des pères, fait les tous passer par les armes, adresse toi à Guérart, il est déjà au courant et mettra toutes ses forces à ta disposition, pourvu que Victorio règne... »
Réjouit, Paskale rajouta : - « Alors ? Qu’avez-vous à répondre à ça ? Est-ce que vous remettez en doute la capacité de jugement de Léopold ? Il m’a choisi moi, parce que la bande de mollassons que vous êtes seraient encore entrain de discuter de la proposition de Rodolfo, tandis qu’avec moi, le problème est déjà réglé, et j’espère définitivement. Et encore, je vous ferais remarquer que je n’ai pas massacré le conseil, mais seulement 29 types sur 260 ! Vous êtes encore bien assez pour vous chamailler dans vos grandes discussions. Sur ce, je ne vais pas vous embêter plus longtemps, vous pouvez poursuivre vos débats, quant à moi, je constate que la discipline est revenue dans ce conseil, alors je retourne m’occuper de celle de l’empire. De rien Victorio, et s’il y a encore des contestataires, je reste à ta disposition. Au revoir braves gens. »
Et le guerrier s’en alla en sifflotant, tout content d’avoir pu apporter sa touche de fureur et de sang au sein même du pouvoir romain. Désormais, il était clair que Paskale était un roi à part dans l’empire. Il ne rendait de compte à personne, et ne prenait conseil chez personne…
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Quelques mois après la mort de Léopold, Barnabé fit irruption dans mes appartements pour m’informer d’un grave problème. Mais avant d’en venir au fait, il fit avancer un grand homme d’âge mûr, portant couronne d’or, en me le présenta comme étant le Seigneur de Pari.
L’homme s’avança vers moi, tomba à genou à mes pieds, me saisit la main, et supplia : « Empereur, si tu as autorité sur l’Ange Noir de l’empire, je t’en conjure, fait lui savoir que je suis ton serviteur et non ton adversaire ! Si nous avons fortifié une zone autour de notre région, ce n’est pas contre toi, mais contre lui. Et rappelle-lui que c’est Léopold lui-même qui nous a offert un territoire d’auto-gouvernance. Ton père avait remarqué que toute la région parisienne était bien administrée, et il m’a laissé le soin d’organiser notre propre juridiction en amitié avec l’empire. Nous ne sommes pas indépendant de Rome, nous sommes juste autonomes dans l’administration de notre justice et de nos lois. Dis-le à l’Ange Noir je t’en conjure, et dis-lui que nous sommes prêt à renoncer à ces faveurs s’il le désire. »
…???
Interloqué, je répondis : - Oui, je sais que la région de Pari a un statut spécial dans l’empire, mais qui diable est donc cet ange noir ?
Justement, c’est le diable, répondit le vieux Seigneur en tremblant.
Barnabé rajouta : - C’est Paskale.
… Paskale… ? Depuis son intervention remarquée dans l’hémycicle, je ne l’avais quasiment plus revu. Ni entendu parler de quelconques révoltes dans l’empire. Enthousiasmé par mille projets, ce grand barbare m’était pour ainsi dire sorti de l’esprit.
Je pris le parti d’en rire : - N’aie crainte Seigneur, ton fameux ange noir est un ami. Je lui ai donné autorité pour régler les problèmes de discipline dans l’empire, il est un peu brutal certes, mais il est loyal et de bonne volonté. Je lui parlerai de toi et de Pari, il ne vous inquiètera pas.
Je crains que ce ne soit pas aussi simple, dit Barnabé, sévère.
Quoi ? Paskale a dérapé un peu ? Et alors, c’était prévisible ! On ne va pas en faire tout un plat ou quoi ? Paskale restera toujours le phénomène qu’il a été jusqu’ici et on va pas le changer pour ménager les susceptibilités des nouveaux civilisés, m’énervais-je un peu !
Barnabé se forçait visiblement à rester calme, il bouillonnait intérieurement et je lisais dans ses yeux qu’il m’en voulait… beaucoup ! Mais au lieu de crier comme son corps le lui commandait, il arriva à dire avec une certaine retenue : « En moins de 5 mois, Paskale et ses sbires ont rayé de la carte de l’empire 8 grandes villes : Moscow, Brusselle, Barcelonia, Porto, Hambourg, Lion, Zagrèbe et Budapest. En moins de 5 mois, Paskale et ses sbires ont pulvérisés environ 300 clans rattachés à ces grandes villes. En moins de 5 mois, Paskale et ses sbires ont exterminé près d’un demi-million d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards. En moins de 5 mois, Paskale et ses sbires ont violé toutes les femmes et les jeunes filles de ces villes et villages avant de les tuer. Oui, … je pense que Paskale a dérapé un peu, … mais comme c’était prévisible, … on ne va pas en faire tout un plat, n’est-ce pas Victorio ?
Je restais interloqué, tandis que le Seigneur de Pari disait : « C’est l’Ange Noir de l’empire, après les tueries, il y a tellement de sang sur ses cuirasses noires qu’elles deviennent rouge, l’Ange Noir devient alors le diable rouge, arrête-le empereur si c’est en ton pouvoir ! Il est entrain de finir de détruire Lion et va venir détruire Pari ! »
C’est pas possible, répondis-je, en sachant au fond de moi-même que c’était possible…
Sans trop réfléchir, je me levais et demandais au Seigneur de Pari de venir avec moi. Barnabé nous emboita le pas, et je me dirigeais vers la porte de téléportation la plus proche : « Destination Lion, commandement de l’armée romaine de Paskale » ordonnais-je à la porte.
La porte nous mena droit au but, et nous passâmes du soleil de Rome à une fine bruine froide qui sévissait dans la région française. Un paysage de fin du monde s’offrait à nous : Derrière ses murailles ébréchées, la ville n’était que cendres, et les fumeroles montaient dans la pluie pour se mélanger aux nuages bas. Il n’y avait plus de combats, juste des cris étouffés au loin, vers les murailles de la ville. Nous étions dans la tente du commandement de Paskale où se situait sa porte qui nous avait réceptionnés, et des gémissements venaient de derrière un rideau. Je demandais aux deux gardes auprès de la porte de quoi il s’agissait, et ils tirèrent le rideau, découvrant 3 filles nues, attachées ensemble, le dos strié de marques de fouet, grelottantes à même le sol. Une quatrième fille, étendue dans la boue quelques pas plus loin, était morte, un poignard toujours flanqué en pleine poitrine : « Les trois filles, c’est le dessert de son Altesse Paskale », m’informa un des gardes, il le consommera après l’extermination du peuple de cette ville. La morte s’est suicidée dès qu’elle a eu les mains libres, elle préférait mourir plutôt que de servir l’Ange Noir, qu’elle disait. Paskale nous a fait attacher et fouetter les trois autres en punition du suicide de celle-là. »
ET IL EST OÙ SON ALTESSE PASKALE ? Hurlais-je.
Les gardes haussèrent les épaules, désignèrent les fumées sur la ville et dirent juste : « Par là-bas »…
Je m’approchais alors des trois jeunes filles avec ma dague. Elles se tassèrent en demandant grâce mais je les rassurais tout de suite : « Je ne vais pas vous faire de mal, je vais couper vos liens et vous emmener à Rome où vous y serez soignées et bien traitées. Ne vous inquiétez plus de l’Ange Noir, il m’obéira, il ne vous fera plus de mal. Puis, je me tournais vers Barnabé : « Passe la porte et appelle des matrones pour les accueillir. » Je délivrais les captives et passait avec elles la porte. Lorsqu’elles furent prises en charge par des servantes de mon palais, je retournais immédiatement à Lion…, où en enfer, c’est égal. Barnabé revint avec moi, et en sortant de la tente de commandement, j’assiste encore à une scène infernale : Sur un foyer entretenu par un soldat, il y avait le corps d’un homme empalé sur une barre de fer, et qui rôtissait sur le feu. Choqué, je demandais qu’est-ce que c’était que ce bordel, et le cuisinier lâcha un : « Le dîner de son Altesse Paskale… »
Je demandais aux gardes qu’on nous donne immédiatement des chevaux pour aller à la rencontre de Paskale. Mais avant même que les montures ne soient là, voilà que « l’être » surgit des brumes humides. Paskale ? L’Ange Noir ? Le diable rouge ?... l’être s’avançait sur son cheval d’un noir d’encre suintant de sang, lui-même pareil à sa monture. Dans ce décor, surmonté de son casque à multiples cornes noires, avançant nonchalamment suivit d’une horde de démons pareils à lui, et derrière eux, une trentaine de pauvres hères, enchainés par le cou, qui les suivaient tirés par les chaînes… oui, son Altesse Paskale faisait frissonner. Le Seigneur de Pari s’était d’ailleurs posté derrière moi et devant la porte, prêt à sauter au travers si son pire cauchemar me tuait.
Dès que Paskale me reconnut, il entama un trot rapide, un large sourire fendit son visage noirci, et il ouvrit grand les bras en sautant de sa monture. Il était prêt à me serrer contre lui lorsqu’il recula d’un pas : « Désolé patron, je dégouline et tu es si bien habillé, mais attend un peu que je me débarrasse de mes frusques pour te prendre sur mon cœur. Se dirigeant droit vers la tente, il cria : « Gardes, apportez du vin à l’empereur et offrez-lui un siège pendant que je fais un brin de toilette, espèces de bons à rien ! »
La bonne humeur de Paskale m’énerva encore plus : « Ce n’est pas une visite amicale, je n’ai ni envie de vin ni que tu ne me donnes l’accolade ! »
Intrigué, l’homme jeta un regard suspicieux à Barnabé, puis s’inquiéta : « Qu’es-ce qu’il y a chef ? Un marché te cause du tracas ? Une région se rebelle contre Rome ? Dis-le et je fais lever le camp pour m’en occuper sur le champ ! »
Personne ne se rebelle bordel, criais-je, mais j’apprends que tu as rasé 8 villes, 300 clans, et exterminé près d’un demi-million de personnes, femmes et enfants compris, et en moins de 5 mois sans que j’en sache rien ! Qu’es-ce que c’est que ce foutoir ? Même dans le Chaos on n’avait jamais vu ça ! Non mais regarde derrière toi, c’est quoi ça ? C’est l’enfer, y’a pas d’autres mots pour désigner ce que je vois ici.
Des saloperies de rebelles, s’indigna Paskale, ils ont eu leur compte. Il me manque juste un village à raser à une lieue à peine d’ici et tu n’entendras plus jamais parler des conspirateurs de cette région !
Mais je n’ai JAMAIS entendu parler des conspirateurs de cette région, ni de ceux de Moscow, ni de ceux de Porto, Brusselle, Barcelonia et je ne sais plus qui encore !
Grâce à moi, rétorqua-t-il fièrement ! Si je n’avais pas sévit, c’était des pans entier de l’empire qui seraient tombés en dissidence.
Bon Dieu Paskale, on cause d’enfants, de femmes, de viols massifs suivit de meurtres systématiques sur ces femmes. On t’appelle l’Ange Noir de l’empire ou le Diable rouge, essaye de me rassurer un peu, aide-moi à te soutenir, implorais-je.
« C’est moi qui te soutien, me répondit-il fièrement. Toutes ces villes ont refusé l’autorité d’un gamin à peine pubère, comme ils disaient, et leur discours contre toi et contre Rome contaminait les campagnes alentours, puis d’autres marchés et d’autres villes, qui voulaient déjà se libérer de l’empire ! »
« J’ai fait des exemples, oui, mais après la ruine de Porto et l’extermination de son peuple, Lisboa est entrée dans le rang et plus aucun de ses habitants ne s’est permis la moindre critique à ton égard. Idem pour les autres villes : Une fois les villes détruites, les habitants massacrés, les femmes violées et tuées, plus aucun clan des environs n’a osé le moindre commentaire sur ton jeune âge ou ton inaptitude à régner. D’ailleurs regarde mes trente témoins. »
« C’est moi qui te soutien ! Sans moi, la révolte et la subversion aurait fait basculer la moitié de l’empire dans l’anarchie, et compte tenu de l’ampleur des commentaires qui se répandaient à peine quelques jours après la mort de Léopold, Rino ne serait pas entrain d’agrandir l’empire jusqu’à Bagdad, mais à l’heure qu’il est, ses troupes seraient entrain d’essayer de reconquérir des territoires que ton père avait déjà soumis. »
« Que disent les gens de moi ? Es-ce qu’ils parlent de moi comme d’un traître ? – Non, ils disent : L’Ange Noir de l’Empire ! Je suis l’ange protecteur de l’empire, tous les clans l’ont compris, et tous te respectent aujourd’hui grâce à moi. Je vois Barnabé à tes côtés et j’imagine facilement qu’il t’a fait un cours de morale, mais est-ce qu’il travaille pour toi ou pour le pape ? Ce que je fais, je le fais pour toi, mais lui, il le fait pour qui ? »
… Merde…, j’étais coincé. Léopold aurait sans doute réprimandé et laissé coulé tant que Renaissance ne bronchait pas, mais là il avait vraiment dépassé toutes les limites, et il y en avait une qui me semblait particulièrement condamnable, je le lui dis : - Les enfants ?
Il me répondit : - C’est les familles de mon armée, leurs femmes qui ont adopté les nourrissons à Rome, ils sont bien portant et recevront une éducation correcte.
Je m’énervais : - Ne te fous pas de moi, j’ai des informations qui me disent que les enfants sont passés au fil de l’épée !
Il corrigea : - Seulement les enfants de plus de 3 ans, ceux qui risquent de se souvenir… Si on les laissait en vie, on en ferait une génération entière de futur terroristes, rebelles et mutins contre l’empire, le risque était trop grand, j’ai préféré l’éviter.
…Admettons, alors : - Et les viols bon sang, même dans le chaos on ne le faisait pas !
Réponse : - Qu’est-ce que ça peut foutre ? De toute façon, on les tue toutes, alors comme les conditions de travail ne sont déjà pas faciles, je me suis permis cette petite entorse au règlement.
Il avait réponse à tout le bougre, mais tout de même, je lui montrais le cadavre entrain de rôtir sur le feu et lui dit : - « Et ça Paskale, mais qu’est-ce que c’est ça ??? J’ai voyagé avec mon père sur les navires de Sérafino, on a vu un paquet de peuples différents, mais je n’ai jamais vu ça ! »
Alors, il me prit par l’épaule amicalement en s’éloignant un peu de sa troupe de démons, et me dit : « Ca, c’est, c’est juste une mise en scène pour impressionner la galerie. Tu vois les trente types qui sont enchainés derrière mes lieutenants ? C’est des témoins. A chaque ville que je démolis, je garde une trentaine de prisonniers en vie, et ils assistent à tout ce qu’on fait. Ils nous voient massacrer les populations, violer les femmes et manger les ennemis, et lorsque tout est détruit et que tous sont morts, je relâche mes trente témoins en leur donnant mission d’aller dire aux villes et villages alentours comment sont traités ceux qui se moquent de l’empereur. Et leurs témoignages sont si terrifiants que tous les marchés rentrent dans le rang, glorifient ton nom et te vénèrent en ne tolérant plus aucune remarque désobligeante à ton égard. Ces témoins sont de précieux alliés pour que ton honneur reste sauf ! »
Barnabé, voyant que j’étais prêt à m’accommoder d’un Ange Noir, d’un bras pour les basses besognes de l’empire, dit calmement : - Victorio, tu SAIS que tu ne peux pas laisser faire ça !
Paskale rétorqua un sec : - Ta gueule le scribe, quand j’aurai besoin de tes lumières, je te sonnerais. Et puis, en attendant que vous vous mettiez d’accord sur vos problèmes de morale, j’ai un dernier village à dévaster dans les parages, je vous laisse à vos palabres.
Il sauta sur son cheval et s’apprêta à prendre la direction de l’ouest.
Mais Barnabé avait raison, je ne pouvais pas laisser faire ça. Je me saisis de mon arbalestre et la pointa sur la nuque de Paskale en criant : « NON ! Tu rentres à Rome avec moi. »
Paskale se retourna, grimaça, réfléchit un instant et répondit : « Il était une fois un homme, … un homme qui tutoyait les dieux, et cet homme m’a dit : - Victorio doit régner, et s’il faut massacrer la moitié de l’empire pour que son autorité soit respectée, massacre la moitié de l’empire ! Cet homme était mon ami, il était ton père, et j’obéi à ses dernières volontés. …Je suis loin d’avoir massacré la moitié de l’empire, j’ai encore de la marge, alors si tu veux me tuer, tue moi, et tu verras si tu seras mieux servi pas le scribe. »
Paskale se retourna et reprit son trot. Je ne savais plus quoi faire, je ne pouvais pas le laisser faire, mais je ne pouvais pas le tuer, c’était un grand Seigneur du Chaos, comme mon père, un ami, … un protecteur… ? Je sautais sur un cheval et le rejoignis. Durant la trotte jusqu’à ce village déjà mangé par le feu, je tentais de lui faire entendre raison, de venir à Rome avec moi, pour parler de ses stratégies avec Rino ou d’autres pères qu’il pouvait encore écouter. Mais non, il était loin des palais proprets de Rome, loin des discussions de sénateurs, il était complètement plongé dans son monde de fureur et de sang, dans son univers, qu’il ne quittera qu’une fois mort. Je vivais un réel moment de tragédie qui atteint son sommet lorsque nous arrivions en face de ce village qui n’existait déjà plus. Les guerriers étaient déjà tués, et toute la population se trouvait encerclée par l’armée qui n’attendait que leur chef pour qu’il donne l’ordre du massacre, ou bien qu’il choisisse quelques filles avant de commencer le génocide.
A son arrivée, une longue plainte monta de cette foule de femmes, d’enfants, de paysans et de vieux, et au milieu de la plainte collective, on percevait les mots « ange… diable…rouge…noir ». La panique se lisait sur leurs visages, la terreur dans leurs yeux, l’enfer était face à eux.
Pour donner le coup d’envoi du massacre, Paskale donna un grand coup d’éperon dans les flancs de son cheval qui se cabra, il dégaina ses deux épées, les fit tournoyer dans ses mains, puis le cheval fondit sur la foule désarmée. En trois enjambées, il avait déjà tranché deux têtes et égorgé un vieillard. Je criais à ses hommes de rester en place, épée au fourreau, et galopais par devant de lui. Il stoppa sa monture, je lui faisais face, Renaissance serrée en main pointant et crépitant à vingt coudées au-dessus de nous, prêt à m’en servir pour l’endormir, mais le guerrier terrible restait à distance.
Sous la pluie qui tombait maintenant à verse, son armée et la foule qui nous entouraient faisaient silence en reculant, stupéfaits de voir l’Empereur à l’épée de feu et l’Ange Noir face à face. Alors, un fait nouveau survint, sous la pluie et dans cette grisaille, on voyait crépiter non seulement mon épée de feu, mais aussi des formes rondes au-dessus de nous, ainsi que deux silhouettes bleutées qui étincelaient par moment sous les gouttes de pluie de part et d’autre du guerrier terrible. On ne voyait pas réellement ces formes rondes dans l’air ou humaines autour de Paskale, mais on les percevait par intervalles, juste des silouhettes, comme si l’invisibilité devenait visible une fraction de seconde de temps en temps. Aucun doute n’était permis, des bulles flottaient au-dessus de nous, et deux hommes étaient entrain de parler à l’Ange noir, qui semblait écouter tantôt à droite, tantôt à gauche. L’heure semblait donc si grave que des espions romains nous entouraient pour voir l’événement.
Tout à coup, d’un geste vif et franc, Paskale frappa ses deux épées de chaque côtés, traversant les deux formes humaines qui se tenaient là en criant : « Taisez-vous, je n’ai pas besoin de vos propositions, allez tous au diable ! »
Les formes disparurent immédiatement tandis que des bulles continuaient à crépiter au-dessus de nous.
Paskale me toisa, puis me dit d’un air désolé : « C’est dans ma nature Victorio, je suis comme ça, tu ne peux pas m’en empêcher ! »
Je te l’ordonne pourtant mon ami. Range tes armes et viens avec moi à Rome, lui dis-je sur un ton que je voulais autoritaire…
Il resta un petit moment sans rien dire, semblant réfléchir avec gravité. Puis il me regarda, il n’était plus hargneux, ni énervé, il parla simplement d’une voix forte de manière à ce que ses hommes puissent l’entendre, mais sans détourner son regard du mien : « Dégainez vos épées guerriers ! »
A son ordre, on entendit la grande et rapide plainte stridente des épées glisser de leurs fourreaux.
Je contre-ordonnais : « Epées aux fourreaux ! »
Mais Paskale, tout en me regardant d’un air affligé, cria : « Personne ne bouge ! » Sans même regarder ses hommes, il rajouta alors à mon intention : « Je n’ai pas entendu le son des épées retourner dans leurs fourreaux. Tous ces hommes, tous ces guerriers m’obéissent et me sont complètement dévoués. Tu as devant toi, mon cher Victorio, une armée que tu ne contrôles pas, et que tu ne pourrais même pas contrôler si je leur ordonnais de t’obéir. Tu te retrouves face à une armée de bêtes devenues féroces, même contre toi. Mais Victorio, n’oublie pas la promesse que j’ai faite à ton père, ton autorité doit prévaloir partout, sur tout le monde connu, sur tous les sujets de l’empire, et je respecterais cette promesse. Je suis de ton côté Victorio, rentre maintenant à Rome je vais m’occuper de mon armée. Laisse Barnabé avec moi, il inscrira une grande page de ton nouveau monde. Prend ces villageois à Rome avec toi, fait installer demain matin une porte dans l’arène du colisée, et convoque le peuple de Rome pour qu’il assiste à ta plus grande gloire. Fait moi confiance chef, demain, tous les peuples trembleront devant toi. »
Paskale avait parlé sans animosité, sans autoritarisme, presque avec lassitude. Je ne comprenais pas où il voulait en venir, et je tentais encore de le convaincre de venir avec moi à Rome, mais il s’écria cette fois-ci avec violence : « PARS Victorio, si tu veux vivre, pars ! »
Je quittais alors cet endroit maudit, laissant Barnabé derrière moi aux côtés de Pascale, espérant pouvoir encore lui faire confiance après ces dernières paroles qui semblaient sincères. Mais comment, après un tel affront, après avoir vu des guerriers de l’empire me désobéir ouvertement sur un contrordre de Paskale, comment croire que mon règne puisse être respecté dans de telles conditions ? Toute la nuit, j’appréhendais le lendemain, qu’allait-il se passer dans l’arène du colisée ? Le colisée avait vu de belles batailles, mais jamais 30'000 hommes en arme en son centre. Était-ce seulement possible de loger 30'000 hommes, même debout et serrés, dans cet endroit ?
Le lendemain, le colisée était plein, et j’arrivais très matinalement pour voir ce qui pouvait bien se passer avec l’armée romaine au grand complet là au milieu. Guérart et ses prétorians entouraient complètement l’enceinte, et la porte trônait dans le sable de l’arène. Vers 10 heures, Paskale passa la porte sur son cheval noir. Quel effet cet homme pouvait produire à lui tout seul, c’était comme si le diable apparaissait avec tous ses attributs dans le monde réel. L’ange noir de l’empire me regarda dans ma loge, s’inclina respectueusement, et Barnabé sortit de la porte. Paskale l’attrapa au collet, le souleva de terre, lança son cheval en pleine course vers le mur de l’enceinte, et jeta le scribe dans les gradins. Barnabé se releva et monta jusqu’à ma tribune. Je l’interrogeais sur les intentions du grand barbare, mais Barnabé semblait en état de choc, il ne put qu’articuler : « Si Paskale arrive à faire l’horrible chose qu’il envisage, tu n’auras plus jamais à craindre pour ton trône »…
Pendant que l’armée Romaine entrait en flot continu dans l’arène, Paskale faisait des allées et venues sur son cheval, toisant le public, avant de lever ses deux épées pour demander le silence. Ceci fait, et alors que ses hommes continuaient à affluer par la porte, il entama un discours qui resta ensuite dans les mémoires :
« Peuple de Rome, je te salue, je suis Paskale de Bâtia, surnommé aussi l’Ange Noir de l’Empire, voire le Diable Rouge. A l’heure qu’il est, presque toutes les villes et bourgades de l’empire connaissent mon nom, ma réputation, et la terreur que sème mon armée dans les villes manquant de respect envers l’empereur. »
« J’ai fait une promesse à mon chef et ami Léopold le jour de sa mort, celle de faire respecter l’autorité de Victorio, fusse-t-il nécessaire pour cela de massacrer la moitié de l’empire. Je n’ai PAS massacré la moitié de l’empire, mais partout où je suis passé, plus personne ne restait ensuite pour ricaner sur le jeune âge de l’empereur ni sur son inexpérience du combat. Tous ceux qui l’ont fait sont mort, et tous ceux qui ont écouté ces ricanements sans agir ni intervenir pour défendre l’honneur de l’empereur sont morts aussi. Grâce à moi, grâce à mes hommes, et grâce aux châtiments sans aucune pitié réservés aux comploteurs et autres orgueilleux, plus personne aujourd’hui ne parle de Victorio en mal, plus personne ne remet en doute ni son pouvoir, ni sa capacité à régner. Non, plus personne, … sauf mes hommes et moi-même. »
« Hier, sur un champ de ruines face à quelques pauvres bougres, notre empereur a contré un de mes ordres, et mes hommes ont préférés m’obéir à moi plutôt qu’à lui ! Notre armée, la très célèbre armée Romaine, la meilleure de tout l’empire, est devenue une armée sauvage sans foi, sans loi, sans égard pour les anciens commandements que proféra le grand Seigneur Léopold, notre maître et notre guide vers cette ville. Nous avons foulé au pied ses préceptes de lois de la guerre, nous avons tué femmes, enfants et vieillards, non sans cruauté. Pire, alors que nous pouvions rejoindre nos femmes ici-même à Rome en un instant par une de ces portes de téléportation, nous préférions humilier les femmes des villes pillées, saccagées et brûlées en les violant systématiquement avant de les tuer. »
« Ces dérives ne sont pas la mise en œuvre de mes ordres, elles sont venues naturellement. D’abord le fait de quelques soldats indisciplinés que je ne jugeais pas utile de réprimander, ces pratiques prirent de l’ampleur sans que je ne trouve à y redire, et petit à petit, à mesure que nous avancions dans la cruauté et les ténèbres, elles contaminèrent la majorité de mes troupes pour finalement se généraliser. Nos actes progressaient dans la bestialité au point que nous ne jouissions plus que pour et par le mal. »
« Hier encore, Victorio pensait nous faire revenir à la raison, nous ramener à Rome et nous infliger un cours de discipline guerrière. Le pauvre n’a pas compris qu’il était trop tard pour cela, il n’a pas compris que nous ne sommes pas une armée du nouveau monde à la sauce de celles de Rino ou de Patrick, que nous ne sommes pas plus une armée du chaos, nous sommes devenus une armée de l’enfer, et rares sont parmi mes hommes ceux qui ne se sont pas corrompus en enfreignant les règles de la guerre de Léopold ».
« Nous n’avons pas trahi Rome puisque nous la protégions ! Nous avons à peine trahi l’esprit de la loi de Rome tel que voulu par Léopold, et encore…, c’était contre des coupables, donc Léopold lui-même aurait peut-être fermé les yeux sur ces agissements. TOUT CECI n’est pas grave ! Nos massacres étaient prévus par Léopold lui-même, le feu et le sang étaient légitimes, tandis que les viols ne sont qu’un détail, et toute notre cruauté ne mérite guère plus qu’une légère réprimande de la part de l’empereur. »
« Non, rien de ce que nous avons fait n’est grave en soi. Mais hier, alors que je faisais face à Victorio, cet empereur que Léopold souhaitait voir régner, celui-là pour lequel nous avions mandat de massacrer la moitié de l’empire pour faire respecter son autorité, a ordonné quelque chose à mes hommes. J’ai contré son ordre, et je n’ai même pas eu besoin de regarder mes hommes pour savoir à qui allait leur loyauté. L’autorité de Victorio n’était respectée ni par moi, ni par mes hommes, et c’est précisément ça qui est grave dans l’affaire qui nous préoccupe ! Nous avons détruit des villes et commis des génocides pour moins que cela ! Le jour de sa mort, Léopold m’avait dit : « Paskale, il faut que Victorio règne à tout prix, s’il faut massacrer la moitié de l’empire pour que son autorité soit respectée, fait massacrer la moitié de l’empire ». Tous mes hommes m’ont fait la même promesse, celle de massacrer sans pitié tous ceux qui te manqueraient de respect. Et nous avons effectivement tué sans répit tous ceux qui ont tenté de défier le pouvoir de l’empereur, il ne reste plus que nous pour oser le faire. »
Alors Paskale se tourna vers moi et poursuivit : « Je tiendrais ma promesse, et tous mes hommes tiendront leur promesse par respect pour le grand Seigneur que fut ton père. Maintenant Victorio, prend de la graine et observe comment tu dois traiter tes ennemis. »
Paskale fit faire un demi-tour à son cheval pour faire face à son armée au complet sur la place, et ordonna : « Pour la plus grande gloire de l’empereur, guerriers, dégainez armes ! »
Un rapide sifflement de lames se fit entendre, puis Paskale cria : « Mort à tous ceux qui ont osé braver les ordres de l’empereur, visez le cœur ! »
Et là, une chose inouïe survint dans la stupeur la plus générale : Toute l’armée de Paskale se suicida en même temps dans une attitude digne d’un mouvement de troupe. Pas un cri, pas un râle, juste deux gestes : la main gauche qui écartait le plastron cuirasse, la main droite qui portait un coup d’épée en plein cœur, et les hommes s’affalant à terre dans une quasi synchronisation.
Bon Dieu, quel pouvoir était celui de Paskale pour en arriver à faire accepter un ordre pareil à autant de guerriers. Il fit un tour sur les corps avec son cheval en jetant un œil pour voir si tout le monde était bel et bien mort, puis, l’Ange noir… de la mort m’apostropha une dernière fois, sereinement, et presque en souriant : « Eh bien, il me semble que la franche rigolade est finie … Mais bah, je ne regrette rien, ces quelques années aux côtés de Léopold le Grand valent bien une vie de plaisirs. Je vais te laisser organiser ton nouveau monde de diplomates et d’intellectuels avec le scribe, et je vais à mon tour tenir la promesse faite à ton paternel. Adieu fiston, bonne chance pour la suite, et fait attention à toi ! »
Mais de perdre Paskale après avoir perdu Marco, puis mon père, en était trop. Alors n’écoutant que mon cœur alors que Paskale dans un très beau mouvement, faisait tournoyer ses deux épées avec l’intention de se les ficher dans le torse, je dévalais la tribune en criant ma détresse, j’en appelais même au pape pour lui empêcher de commettre l’irréparable, je criais aux Prétorians de lui tirer des flèches dans les bras, mais il était trop tard. Avec grande dextérité, le terrible guerrier planta simultanément ses deux épées dans son torse, passant sous son plastron cuirasse, de bas en haut. On entendit juste un grand « OUCH », et un instant plus tard, en tombant de son cheval, il cria vers le ciel : « Pousse toi un peu et fais place Léopold, j’arrive ! »
Le « Diable rouge » gisait sur les corps de ses guerriers dans la boue rougie par le sang de milliers d’hommes, les deux épées plantées en X dans son ventre, tandis que je trébuchais sur plusieurs cadavres avant d’arriver jusqu’à lui, un filet de sang suintait de sa bouche, il voulut encore me dire quelque chose, mais ses paroles se perdirent dans un râle. Tout à coup, deux personnes vêtue d’une chemise blanche apparurent de chaque côté de Paskale, lui arrachèrent son plastron cuirasse, appliquèrent sur son ventre une espèce de machine qui projetait des rayons, et retirèrent doucement les épées fichées en lui. L’un des hommes demanda à l’autre s’il allait pouvoir le « ravoir », et l’autre lui répondit que les tissus du cœur étaient entrain d’être reconstitués. Je leur demandais si Paskale allait guérir, mais l’un des hommes répondit : « Pour l’instant il est mort, on verra dans quelques minutes si on peut le faire revenir ». Les espèces de rayons lumineux parcouraient le torse de Paskale de long en large à grande vitesse, le sang s’arrêta de couler, il coagula sur les plaies qui commençaient déjà à cicatriser et se fermer doucement, mais il ne respirait toujours pas. Tout à coup, une lumière rapide et aveuglante comme un éclair sortit de la machine. Paskale convulsa avant de prendre une grande aspiration, puis il ouvrit les yeux, sans doute stupéfait de ne pas être mort. Alors, l’un des hommes dit : « C’est bon, on y va ». A peine eu-t-il prononcé ces paroles qu’ils disparurent de ma vue en même temps que Paskale et leur machine à cicatriser de l’intérieur comme de l’extérieur…
Ainsi, Paskale n’était pas mort, … ou plus…, mais il n’était plus parmi nous. Ce fameux guerrier était vivant en quelque part, et de le savoir me soulagea un peu.
Notre nouvelle civilisation venait de tuer un grand nombre de barbares, ainsi que le plus prestigieux d’entre eux.
Je me relevais et hurlait au peuple dans les gradins : « Tous à genou devant l’armée romaine ! Tous à genou devant cette armée fidèle jusqu’à la mort ! Qui m’aime autant que lui, qu’eux ? Lequel d’entre vous donnerait sa propre vie pour que mon autorité reste sauve ? Toi Barnabé ? Vous les villageois que j’ai sauvé hier ? Et toi, peuple de Rome ? Et vous, les rois de l’empire ? »
Personne ne dit mot, le colisée ne résonnait pas des vivas et autre applaudissement que donnaient lieu ses autres spectacles, mêlé à l’odeur acre du sang qui imbibait l’arène, le silence n’était entrecoupé que par quelques cris de vautours qui avaient senti la mort. Et moi j’étais le plus malheureux et le plus glorieux des empereurs. Y avait-il seulement eu une fois dans l’histoire de toute l’humanité, des dizaines de milliers de guerriers donnant leur vie de leur plein gré pour montrer que l’autorité d’un homme vaut mieux la vie de milliers d’entre eux ?
Pour moi, pour tous les rois, pour tout le peuple de Rome, cette journée resta gravée à jamais comme une immense cicatrice qui symbolisait dans le temps l’avant, et l’après. L’avant c’était les résidus du monde barbare, et l’après c’était la civilisation, une civilisation suffisamment cruelle pour exiger l’anéantissement de l’ancien monde, et par le suicide pour les plus réfractaires.
Je n’ai jamais vraiment saisit toute la symbolique de ce jour là, mais les notes de Barnabé m’éclairèrent comme elles purent. L’événement est assez important pour que je les transcrive sans réserve dans ce manuscrit.
Notre de Barnabé, scribe : Après le départ de Victorio avec les villageois promis au massacre par Paskale, je reste auprès de celui qui me déteste tant. Curieusement, il ne se montre pas vindicatif à mon encontre, mais plutôt bienveillant sans toutefois être gentil, mais je n’en attends de toute façon pas autant de la part de cet homme.
Dès le départ de Victorio, Paskale envoie ses émissaires pour rassembler son armée autour de lui, et une heure plus tard, ce n’est pas moins de 27'000 hommes qui l’entourent. Il leur parle franchement, leur annonce la fin prochaine de l’armée, la destruction pure et simple de toute l’armée Romaine, … pour l’exemple, pour que tous les peuples sachent que la volonté de Léopold est au-dessus de toutes vies.
Cet homme, fou à lier, leur annonce leur propre suicide pour le lendemain. Ceux qui veulent partir pour sauver leur vie pourront le faire, mais devront s’exiler en dehors des frontières de l’empire. Paskale ayant accès à toutes les portes de téléportation, il ordonnera le départ des déserteurs vers une porte située à l’autre bout du monde, une porte n’appartenant pas à l’empire, mais au pape en personne. Ce dernier lui a promis d’assurer l’exil des déserteurs sur une terre lointaine et inhabitée. Mais il explique que ceux qui donneront leur vie volontairement pour la gloire de l’empereur deviendront des immortels, leurs noms seront gravés sur un mémorial placé à l’entrée du colisée. Paskale me donne l’ordre de transmettre cette volonté à l’empereur, et il en sera ainsi.
Ensuite, l’Ange Noir explique la discussion qu’il a eu avec les deux êtres invisibles qui se tenaient à ses côtés lorsqu’il faisait face à Victorio, sous la pluie. A sa gauche se situait le pape Paul XII qui le conjurait de rester fidèle à l’empire, que s’il ne pouvait pas respecter Victorio, qu’il respecte au moins les dernières volontés de son père, Léopold, qui l’observe en ce moment même depuis les cieux. A sa droite se trouvait Octave, le pape du sud, qui lui fit cette proposition : « J’ai plus de 2 milliards de sujets au sud, rejoint moi et je ferais de toi l’empereur du sud, j’ai besoin d’un homme comme toi, tu domineras et modèleras le sud de toute la terre à ta manière, je te laisserais libre de tous tes choix et actions, tu deviendras le maître d’un monde 10 fois plus grand que cet empire… »
Paskale rejeta ces deux propositions, il ne pouvait pas vivre sous la tutelle d’un empereur comme Victorio ni sous les ordres d’un quelconque conseil de sages, et il ne pouvait pas plus trahir Léopold en s’alliant avec le sud. C’est à ce moment qu’il comprit que sa seule alternative, pour lui, comme pour tous ses hommes, était la mort. Et autant qu’elle serve à quelque chose à l’empire, il eu alors cette idée d’un grand sacrifice public dans les enceinte du colisée pour la plus grande gloire de l’empereur.
Ses hommes, d’abord pétrifié par son discours, commencent à réaliser leur situation : Cette armée allait disparaître le lendemain, elle pouvait disparaître par la fuite lâche dans l’exil, ou disparaître dans l’honneur du sacrifice pour l’exemple face à la terre entière, et cette seconde option faisait de chaque combattant un immortel, un martyre pour la cause de l’empereur.
Chacun pouvait choisir sa fin : Obscure dans un exil lointain sur une terre inconnue, ou en pleine lumière, au centre de Rome.
A l’heure qu’il est, minuit, les rangs se resserrent autour de Paskale, de plus en plus de guerriers se déclarent prêt à être eux-mêmes les acteurs de leur propre fin, et plus les rangs augmentent autour de Paskale, moins il y a d’indécis. Personne n’a, jusqu’ici, choisit la voie de l’exil, ce qui est difficilement imaginable pour des gens civilisés comme moi, mais plus facile à comprendre pour des hommes qui affrontent la mort jour après jour. Au fond d’eux-mêmes, ces hommes ont déjà acceptés de mourir. Chaque matin, en se levant, ils ne peuvent pas dire s’ils se recoucheront le soir, ces guerriers vivent avec la mort à leur côté continuellement, c’est soit eux qui l’infligent, soit un ennemi qui la leur donne. La seule différence qu’il y a dans le cas de cette nuit d’interrogation est le concept de la mort : Ils ne la recevront pas d’autrui, ils seront eux-mêmes les propres artisans de leur trépas, et ça, c’est nouveau. Mais fondamentalement, la peur de la mort n’est pas un obstacle pour eux.
A la fin de la nuit, personne n’a choisi l’exil, mais il reste tout de même une frange de l’armée qui fait valoir un problème de morale à s’ôter la vie de leur propre main. Ces hommes demandent à ce que d’autres guerriers le fassent à leur place. Paskale accepte de prendre en considération ces requêtes, et indique à tous ceux qui ne sont pas prêt au suicide de se choisir un guerrier dans le groupe partant pour la mort, pour leur porter le coup fatal avant de le faire sur eux-mêmes.
C’est ainsi que la nuit se termine…, tous les hommes que je vois en ce moment seront mort ce matin, dans quelques heures, en plein Rome et devant la foule.
Au moment de passer la porte qui nous conduira au centre du colisée, Paskale me dit : « Tu diras à Victorio que je l’ai connu et aimé plus que mes propres fils ».
C'est ainsi que le monde du chaos se termina.
Victorio Paralamo
Bon à savoir
Conduire en Afrique ne pose aucun problème, si vous avez le bon véhicule, car le réseau routier va du très bon avec autoroutes au Maroc au plus difficile sur des RN1 et RN2 en terre qu'il est judicieux de passer en saison sèche si on tire une caravane derrière soi.
Quelques chiffres intéressants à propos de l'Afrique
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Contre 3.3 millions pour l'Inde
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Contre 1,5 milliards en Inde
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Contre 8'596 mètres pour l'Inde (montagne)
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Contre 3'550 milliards pour l'Inde
Date de dernière mise à jour : 08/03/2025