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- 4 => L'épopée héroïque, entre l'Europe et l'Afrique...
Le périple avorté
Depuis que j'ai jeté mon bout de shit dans la grotte de Lourdes le 20 juillet, après 35 ans de fumage assidu, je dors si mal et si peu que le 23, j’ai demandé à Dieu une nuit d’au moins 7 heures de sommeil pour pouvoir rejoindre l’Afrique, sinon j’étais décidé à rentrer en Suisse. Je n’ai pas pu dormir avant 02h30 du matin, c’est la dernière fois que j’ai regardé la montre, et à 06h30, j’étais déjà debout, mais pas du tout en état de voyager, je m’apprêtais donc à négocier un ou deux jours de plus avec le propriétaire du camping lorsque la réception sera ouverte, pour me reposer et pouvoir rentrer. En attendant, j’ai prié mon chapelet, et j’ai un peu perdu le fil à la troisième dizaine, au 4ème ou 5ème grain, mais quelle ne fut ma surprise d’entendre des enfants jouer si tôt à côté de la caravane…, alors je regarde la montre et il est 09h30.
Je m’étais donc endormi durant la prière, et j’ai eu droit à mes 7h00 pille ! Du coup j’ai pris la direction du sud, à travers les Pyrénées, passé un col très haut, là où ils ne voient pas souvent de caravanes, avant de redescendre sur Saragosse. J’ai décidé de rouler ce que je pouvais rouler, et vers Madrid j’avais atteint ma limite, alors j’ai passé la nuit sur une aire autoroutière avec des camionneurs, mais là-aussi, une toute petite nuit
Puis j'ai repris la route pour Motril, parcours durant lequel j’ai dû ménager ma monture à chaque fois que je voyais que l’huile dépassait les 120 degrés, car avec une température extérieure de 43 degrés à 1000 mètres d’altitude et une caravane derrière sur une autoroute qui monte et qui descend sans cesse, il faut faire attention. Mais 1000 kilomètres après Lourdes, j'arrive quand-même en pôle position.
Premier dans le Ferry, donc premier à sortir aussi. Par contre, pas le droit de rester dormir en soute sur mon lit, c’est proche de la salle des machines, il fait une chaleur d’enfer. Sur ce Ferry, il n’y avait que des voitures immatriculées en europe (France, Espagne, Belgique, Hollande) mais qui appartenaient toutes à des marocains, parce qu'à part des marocains, personne ne va à Al Hoceima...
Les gens embarquent, mais avec une caravane, il m'ont fait passer en premier, et je suis déjà sur le pont. A l’intérieur, il y a ce qu’ils appellent des fauteuils "Pullman", ça sonne bien, ça sonne cossu, mais je vois que tout le monde arrive des soutes avec du matériel, sacs de couchage, coussins etc. Moi je suis en tee-shirt bermuda et mon sac d’appareil photo...
On quitte l’Europe sous le regard de la lune, et je me rends vite compte du problème : Je ne vais pas pouvoir dormir sur ces fauteuils Pullman parce que je ne dors jamais assis, alors vers 03h00 du matin, je me couche par terre, mais ils climatisent trop, je gèle, je ne peux plus accéder aux soutes pour m’équiper lorsque le ferry est en mouvement, donc tant pis pour moi.
Vers 06h30, l’aube se lève, je vous mets les quelques photos qui restent de ce ferry espagnol «Armas Ferries», je n’ai pas du tout aimé comme les employés espagnols traitaient les marocains, la différence de ton, d’amabilité et de prévenance était flagrante s’ils s’adressaient à moi ou à un marocain, j’ai repensé à cette histoire de dignité infinie à Tucho, infinie…, mais on s’en fout de la dignité, moi ce que j'en pensais c’est que ces marocains avaient payés le même prix que moi pour traverser, et les espagnols les escroquaient autant que moi pour boire (un petit berlingo de 2dl d’eau à 1,60 euros), ils auraient mérité d'être escroqué avec amabilité, comme pour moi.
Bon, je termine cet épisode européen puisque le ferry l’était, mais je suis déjà rassuré sur le bateau lorsque je vois tous ces gens prier. Certes, ils ne prient ni comme moi ni le même Dieu, mais ils prient, c’est la priorité, et ensuite le smartphone arrive en accessoire, ça fait déjà plaisir. Je voulais aller au Cap Nord, et j’avais pensé à mon voyage lorsqu’ils ont mis le train sur le Ferry entre Copenhague et la Suède en 1992, il ne me semble pas avoir vu beaucoup de monde prier ou faire un signe de croix sur ce ferry à l’époque, et aujourd’hui je pense que ça n’aurait guère été mieux. Enfin, on arrive en Afrique, dernières photos sur le Ferry.
Arrivée à Al Hoceima
Je débarque en tête, premier à sortir, et je casse un bidule inutile en plastique de bas de caisse de la caravane en accostant la terre ferme, le ferry n’étais pas vraiment adapté aux caravanes. Mais si je sors en premier, je suis le dernier à quitter le port, parce que j’ai dû passer au moins 5 ou 6 douanes avant de pouvoir rouler sur sol africain. D’abord le douanier qui passe tout mon bordel dans un immense scanner, il s’inquiète de la masse sombre à l’intérieur de la voiture, mais lorsqu’il comprend qu’il s’agit d’Auguste, il s’incline...
Ensuite il y a eu les douaniers qui cherchaient des billets de banque avec chien renifleur de billets de banque et j’ai un autocollant sur la porte de la caravane «interdit aux chiens» (mais ils s’en foutent), puis ceux qui voulaient voir quels médicaments j’avais avec moi, puis un autre m’a félicité pour les cafés, et ensuite encore un chien pour la drogue, il me dit : «Même pas un petit peu d’herbe ?», et je suis désolé pour lui, mais je n’ai vraiment rien à lui proposer. Alors avec un large sourire, il me dit en regardant mon passeport : «David Pierre ?» (et là je comprends que dans un pays islamique le «Pierre» est sans doute un atout), je lui dis oui, et il me rétorque : «De toutes façons on est tous frères». Peut-être que pour les marocains on est tous frères, mais pour les employés esspagnols du ferry, sans doute catholique à la dignité universelle infinie, pas sûr qu’ils les considéraient comme frères.
Ah… encore une trappe, qu’est-ce que c’est ? J’ouvre, ça donne sous mon lit, il voit le sommier par dessus et ça l’intrigue, donc retour dans la caravane pour lever le lit et voir comment c’est. Ahhhh, Tabbert, bonne caravane…, et encore une petite trappe ??? Qu’est-ce que c’est ?
- C’est la trappe pour les WC chimiques.
Ok, ça ne l’intéresse pas, mais si j’avais voulu planquer quelque chose de louche dans cette caravane, c’est bien là que j’aurai pu.
Bref, entre les flics et les douaniers, 2 chiens, et au moins 5 personnes ont visité ma caravane, + une douanière, mais à sa décharge, je n’avais pas encore collé l’autocollant d’interdiction aux femmes, donc elle ne pouvait pas savoir.
Après une heure et demie à regarder partout, à contrôler, à visiter, il fait si chaud que je leur dis que je vais tomber dans les pommes si je ne bois pas un peu d’eau, alors ils me donnent 2 bouteilles d’eau bien fraîche, et avec le sourire, et ils s’excusent pour les tracasseries, et je me sens plus digne que chez les catholiques qui leur vendent à prix d’or ces deux décilitres en tirant la gueule.
Mais je suis à mes limites, je ne sais que quatre choses, il me faut :
1) Un bancomat
2) De l’essence
3) Me reposer, peu importe où.
4) Faire comme Jean-Baptiste, avaler le miel qui me reste dans la caravane, car le miel contient tout ce dont le corps a besoin, manquait juste les sauterelles (parce que comme le dit Crocodile Dundee, ça a un goût de chiotte, mais c’est bourré de vitamines), donc j’ai compensé avec le pain sec qu’il me restait.
Parce que j’accoste l’Afrique avec 70 francs suisse et 65 euros dans le porte-monnaie, un peu du genre «à la grâce de Dieu», je sais que mes cartes de crédit sont séchées jusqu’au dernier sou, et que j’ai eu du bol que les autoroutes espagnoles étaient sans péages, sinon je ne serai même pas arrivé à Motril. Bref, j’espère qu’il y a quelque chose sur mon compte en banque et que ma carte de débit Raiffeisen crache quelque roupilles, sesterces, dinars ou dirham, peu importe le nom du pognon du pays, il me faut des papiers qui procurent du pouvoir d’achat.
J’en termine là car ensuite, c’est l’Afrique…, et c’est très différent, parce que dans la zone portuaire les gens ont des voitures normales, même si c’est des marocains, c’est immatriculé en Europe, ils parlent français, tout à l’air en ordre. Mais une fois sorti du port, c’est une autre musique, c’est d’autres genres de voitures, et les types qui habitent ici ne captent rien de ce que je leur dis, ni en français, ni en espagnol, ni en anglais, ni en italien, ni en allemand, ils parlent une langue étrange sans aucune racine commune, nada. Auguste aurait dû obliger le latin dans tout l’empire, il en serait resté quelque chose, parce que si j’ai la chance de croiser un type qui capte quelque chose et que je lui dis que je suis suisse, eh bien je suis suédois, parce que la Suisse c’est connu par les marocains qui étaient sur le ferry, mais pas ici. Les montres, les banques, le chocolat, la fondue, c'est suédois, ... oui oui, Ikéa et les fonds juifs en déshérence aussi, un seul lot un point c’est tout.
Voilà, ça c’était juste l’anecdote européenne de l’histoire, demain soir, je raconterai un peu mes premiers pas en Afrique…
Dieu m’a débarrassé de toutes mes addictions à Lourdes, à part le cigare qui est si propice à un contemplatif comme moi, et mon choix de Ferry n’a été dicté que par la proximité de Motril par rapport à Lourdes, et de Al Hoceima par rapport à Fès (plus proche que Tanger ou Nador à vol d’oiseau), et je ne voulais pas aller à Fès parce que j’avais lu des trucs intéressants sur cette ville, mais il me semble qu’Hergé en avait parlé dans un bouquin de Tintin, et je trouve que le nom de la ville sonne sympa, un peu comme Bulle en Suisse. Mais si un africain veut venir en Suisse et qu’il se fie au nom de Bulle parce que ça a l’air sympa, il sera déçu.
Mais rassurez-vous, je ne suis pas encore à Fès, et peut-être n’y mettrais-je jamais les pieds. Parce que mine de rien, Al Hoceima ça a l’air tout à côté sur la carte, mais il y a des montagnes à traverser pour y arriver…
Et avant d’arriver à Fès, aux montagnes ou n’importe où d’autre, il me faut un bancomat, j’en avise un en pleine ville, je mets mes feux de panne et je m’arrête sur la route. Les marocains sont sympas, ils ne klaxonnent même pas, ils passent à côté pendant que le bancomat me recrache dehors 3 fois la carte parce que je fais faux, je ne comprends rien, mais la 4ème est la bonne, il crache 4000 machins avec la tronche de Mohamed VI dessus, ça doit être bon, en tout cas, ça ressemble à du papier qui procure le fameux pouvoir d’achat, ou à tout du moins, ça inspire confiance, parce que si je donne ça au pompiste, il va voir la tête du roi et comme le douanier pour Auguste, il finira bien par s’incliner.
Bref, j’ai mes papiers avec Mohamed dessus, il me faut maintenant de l’essence, beaucoup d’essence, pour la voiture, et pour mes jerricans que j’ai bien l’intention de remplir à raz-bord pour le générateur qui me permettra de faire tourner ma climatisation pour faire un somme au frais, il fait si chaud. Alors bien sûr, j'imagine que comme en Suisse ou en France, je vais trouver des stations service en sortie de ville avec des shops pour acheter un sandwich ou un truc a grignoter. Le GPS lui, il est perdu, il n’indique plus rien sur l’Afrique, enfin oui, il sait qu'on est en Afrique, mais plus une seule ville n'est indiquée, juste la flèche qui me montre plus ou moins dans quelle direction j’avance et j’essaie d’avancer dans ce que j'imagine être la direction de Fès, mais comme la route tourne, la flèche est souvent dans la mauvaise direction, je ne sais même pas si je suis sur la bonne route, mais je me fiche de la route, c’est de l’essence que je veux, et bingo, je trouve une station !
Le type me demande un truc, du genre combien je veux je pense, mais je lui fais signe qu’il faut remplir jusqu'à ce que ça dégueule, et je sors encore deux stagnons de 20 litres de mon coffre, il comprend. Ils sont trois pompistes pour pas beaucoup de travail, et en retrait, il y en a un 4ème, assis sur une chaise à l’ombre, et celui-là cause français ! Je lui demande s’il est le patron, mais non, ce n’est pas lui, mais il a quand même l’air, ...en tout cas, c’est lui que ceux qui sont debout écoutent, alors je lui demande si je peux faire tourner mon générateur qui fait du bruit pour avoir de la clim et me reposer un peu après cette traversée sans sommeil. Il me dit qu’il n’y a pas de problèmes, je peux stationner là, pas directement à côté des pompes où il y a de l’ombre, mais juste à côté, faire ma sieste et faire tout le bruit que je veux. Ce n’était peut-être pas le patron, ce n’était peut-être même pas un employé de la station service, mais comme il causait français, c’était quand-même le chef, et j’ai pu dormir 2 heures, jusqu’à la panne sèche du générateur et la température qui devient vraiment difficile dans la caravane.
Je repars confiant sur la direction, parce que le chef m’avait dit que oui, premier rond point tout droit, deuxième rond point à droite et c’est la route de Fès. Alors ce n’est pas une autoroute, loin de là, c’est plutôt une route sur laquelle en Europe on aurait mis des panneaux «Attention, chaussée déformée», du coup je roule à 40km/h maxi en ligne droite, j’ai le temps, mais j’ai trop faim, et je m’arrête à la première échoppe sur le chemin, tenue par un gamin qui ne doit même pas avoir 12 ans. Alors comme je suis contre le travail des enfants, je boycotte et je me barre. Mais nonnnn, je m'en fous complètement, j'ai beaucoup trop faim pour les grands et nobles sentiments, les droits de l'hommes, de l'enfants et de la femme, et puis il a l'air de savoir compter, c'est peut-être un nain si ça se trouve. Mais dans son bui-bui, il n’y a que du bordel que je ne connais pas, des trucs qui ressemblent à des madeleines sans en avoir la forme, je prends, et puis : «ahhhh des dates ! Je veux les dates, c’est sucré, il y a sûrement des vitamines et des choses intéressantes dedans».
Depuis que je suis en caravane, je vois que tout fonctionne de la même manière : Sans énergie, rien ne fonctionne. Lorsqu’on habite dans une maison on ne s’en rend pas compte, parce que l’énergie est produite par d’autres, et on n’a qu’à appuyer sur un bouton pour avoir tout ce qu’on veut. En caravane c’est la même chose à part que c’est nous-mêmes qui devons mettre l’énergie dont on a besoin, donc ça devient déjà plus concret, et ici je me rends compte que le corps humain fonctionne de la même manière : si on dépense de l’énergie, il faut enfourner de l’énergie, sinon on tombe en panne. Idem pour tout, tant que la planète aura assez d’énergie pour la fournir aux hommes, que ce soit du charbon, du pétrole, de l’uranium, les hommes auront des commodités, et lorsque la planète n’aura plus rien => Gamme Over. Mais avant l’énergie, il y a l’eau, c’est vraiment la base de la base, l’essentiel, sans eau, on ne manque pas d’énergie, on meurt. Dans le ferry, j’avais oublié un paquet de glace dans le congélateur, et avec la chaleur, il a dû exploser, ça a coulé partout, du sorbet orange-citron, jusque par la grille à l’extérieur de la caravane, et après ça, le frigo ne marche plus vraiment, donc j’ai de l’eau, mais au lieu d’eau fraîche, c’est de l’eau tiède, peu importe, la fraîcheur n’est qu’une commodité, l’eau chaude ou tiède hydrate autant que l’eau fraîche j’imagine, donc va pour l'eau tiède.
Bref, c’était mon petit aparté énergétique, mais du coup que j’ai trouvé quelques victuailles en chemin, j’enfourne tout en conduisant, et vu la vitesse, ce n’est pas vraiment risqué, et je monte, je monte, je monte… Après une cinquantaine de kilomètres, j’arrive à nouveau à ma limite énergétique, je suis vers le sommet des montagnes, mon GPS qui n’indique plus grand-chose me donne tout de même l’altitude : 1200 mètres, et la température est meilleure qu’en bord de mer, il ne fait plus que 33 degrés, alors je décide de m’arrêter à la première place à peu près plate que je trouverai en bordure de route, j’en trouve une direct, OUF !
Depuis là, j’ai une vue imprenable, mais je suis en plein Rif sans même le savoir ni l’avoir fait exprès, et le Rif marocain ce n’est pas la vallée de Manali en Inde, c’est gigantesque, c’est depuis le Rif qu’ils inondent toute l’Europe de haschisch, il y en a partout, … partout ! Quelques originaux s’essaient à la culture d’olive ou d’autres trucs improbables, mais ça n’a pas l’air très adapté à la rocaille et à la terre de par ici. D’ailleurs, une voiture me klaxonne, c’est un marocain en Mercedes avec une femme genevoise qui s’arrête pour me dire qu’ils n’ont jamais vu de plaques valaisannes par ici, les touristes sont plus loin, et "faites attention, on est dans la région du kif, parfois ils cachent du haschisch et téléphonent ensuite aux flics pour rançonner". Je regarde dans le frigo portatif que j’avais laissé devant la caravane et leur dit : «Ils m’ont rien mis les salauds !», elle rigole mais me dit quand-même de faire gaffe, me félicite pour mon spot (vue imprenable), et me raconte leurs déboires en Espagne parce que leur moteur a trop chauffé et est tombé en panne, ils ont dû se faire remorquer jusqu’au Ferry et réparer ensuite à Al Hoceima... Bon, ils sont gentils, mais si je suis venu en Afrique, c'est pas pour me faire alpaguer par une genevoise, je ne prolonge pas la conversation.
Eh puis, je me fiche du Rif et de tout ça, je reste tranquille et crapote mon cigare en admirant le paysage, mais soudain un homme approche, c’est un berger, quelques gamins surveillent les chèvres et lui il reste là à me regarder crapoter. Il me demande quelques trucs que je ne comprends pas, et je lui demande son nom en lui disant le mien, en insistant bien sur le «Pierre»… Il me dit qu’il s’appelle Satva, mais en réalité non, il ne s’appelle pas Satva. Franchement, s’il y a bien un truc qu’on est capable de traduire sans avoir besoin de traducteur, avec des signes, c’est son nom, non ? Eh bien il n’a même pas compris les signes, je ne l’ai su que le lendemain, parce qu’il me dit qu’il habite en dessous, «là, tu vois, c’est ma maison…»
Et là où il habite, ça fait vraiment Riacho Fundo, c’est au bout du bout, mais j’ai de gros doutes sur le fait de pouvoir accéder à son endroit avec une caravane, alors je lui fais signe que je vais dormir là, et que demain, quand le soleil est là, tout en haut, pas à l’est ni à l’ouest, tout en haut, il faut qu’il revienne, que je décroche ma caravane pour aller voir si je peux aller stationner chez lui. Oui, parce que même si je ne suis pas du genre superstitieux du genre «la première fille que j’embrasse sera le signe que c’est la femme que Dieu a préparé pour moi», non, je ne suis pas comme ça du tout, mais là quand-même, on est en plein Rif, il pousse du cannabis partout, et je me dis… «et si le Seigneur voulait que je me révèle d’abord à d’humbles bergers avant de me révéler aux prêtres, aux scribes et pharisiens, Satva pourrait être mon homme, il faut que j’écrive ce bouquin, ça va me prendre 3 mois, et ici, à 1200 mètres d’altitude, c’est sympa.»
Non, rassurez-vous, je ne me prends pas pour Jésus, mais je dois être le seul roi qui se balade dans le coin, en plus de prêtre et prophète, donc je me dis que bon, un humble berger analphabète qui ne sait même pas son nom pourrait être un disciple intéressant...
Petite sieste au frais...
Et les quelques stickers pour faire sympa, je n'en ai collé que quelques uns autour de la porte, mais quand j'aurai tout collé, la caravane en sera recouverte...
Mon spot solitaire et mon matériel énergétique
Ensuite il y a la nuit, et là, sans pollution lumineuse, je vois la Voie Lactée qu’on ne voit plus chez nous à cause des lumières. Ça, c’est le genre de chose que les contemplatifs comme moi aiment bien, donc je rallume mon cigare et je contemple
Le lendemain, je me réveille avec le soleil qui se lève sur mes pieds…
...oui, j’aime bien mettre les pieds dehors. … et si je mets ces petites chaussettes, ce n’est pas par coquetterie, je m’en passerai bien, mais par respect pour le matériel. J’ai de la corne sous les pieds, ça racle sur ma literie de soie et ça créer ce que ma maman nommerait des «foutzellis», ça peluche un peu les choses, mais avec ces petites chaussettes ça glisse et ça n’abîme pas. A la base, la soie c’était un petit délire parce que si on veut bien partager sa couche avec quelques millions d’acariens lorsqu’on a la compagnie d’une femme pour compenser, eh bien sans femme, qu’ils aillent se faire foutre les acariens ! Ils sont incapables de vivre dans la soie, et une literie de soie complète c’est 600 balles, le prix d’une call girl de luxe pour une ou deux heures, mais la soie dure plus longtemps que ça, et c’était surtout agréable à cause de mes problèmes d’hyper-esthésie, ça glisse sur la peau comme une caresse, c’est agréable. Mais depuis Lourdes, je ne prends même plus ces pilules du neurologue contre ces problèmes. J’ai l’impression que ces histoires d’hyper-sensibilité à tout sont terminées, à part l’appui des lunettes sur le nez qui me dérange encore un peu, mais il faut que je fasse de longues heures de route pour commencer à être dérangé par ça. Ceci dit, ici il fait si chaud que je pense que la soie est vraiment adaptée, on sait le prix qu’on paye, on ne sait pas le temps que ça va durer, tout le contraire d’une femme dont on sait que ça va durer toute notre vie sans toutefois connaître l’addition finale.
Mais bon, on s’en fiche de la soie, je vous mets quand-même la photo pour que vous puissiez y penser un peu de mal, sinon l’histoire serait trop belle, parce que la soie a mauvaise presse à Chabeuil, avant que les CPCR ne s’y installent, la maison de Nazareth était justement une «usine» à soie, l’endroit où les vers la font, je ne sais pas comment ça s’appelle.
Au matin, j’ai à peine le temps de sortir et d’allumer mon cigare que Saïd se pointe, ou Satva, qui s’avérera ensuite être Mustapha.
Alors on fait comme on a dit, je décroche la caravane et on descend jusqu’à son trou qui n’est pas du tout adapté à une caravane, mais il y a la jeune Maryam, qui ne doit pas avoir plus de 14 ans, et que Mustapha m’a assuré qu’elle parlait «France»… Mais Maryam parle France sûrement beaucoup moins bien que Samuel parle allemand s’il devait se débrouiller seul en Allemagne, d’ailleurs elle a un vieux bouquin arabe/français, c’est écrit dans leur charabia, je ne capte rien, mais ils me disent que je peux stationner, je vois la caravane tout là-haut sur la route..., et il y a une vieille qui doit avoir au moins mon âge, bien en chaire, qui m’assure pouvoir me requinquer : 3 repas par jour en échange de rien. Ceci dit, rien ne va, ni la route pour la caravane, ni la langue, ni le terrain pour stationner, mais j’arrive à me convaincre qu’en creusant un trou pour y mettre une roue de la caravane, on arriverait à faire un faux plat avec l’autre roue où on ne creuserait pas de trou, vaille que vaille...
Bon, je remonte à la caravane avec Mustapha (parce que Maryam m’a dit qu’il ne s’appelait pas du tout Satva), et le gars me plante là, il doit aller chercher des moutons ou je ne sais pas quoi, je connais la route, y’a qu’à y aller…
Y’a qu’à, y’a qu’à… vite dit, parce que des petites routes en terre et en rocaille, y’en a plusieurs, et je me plante 2 fois de route pour aller me perdre dans des endroits où absolument personne n’imaginerait voir une caravane. C’est la route des fauchards pour la pente, mais en plus étroit, et sans goudron, juste de la terre et des cailloux, et pas de place pour tourner au fond, purée… il me faut TOUTE la matinée pour me sortir de ces deux mauvaises directions, et merci Auguste et David et tout mon saint Frusquin de générateurs et autres dans la voiture, sinon je serai resté à patiner sur place. J’ai beau avoir un pont avec des autobloquants pour les 4 roues (si une patine la force est mise sur les 3 autres) et un mode hors piste sur la voiture avec élévation de la suspension d’une dizaine de centimètres, mais sans suffisamment de poids, je n’aurai pas pu remonter ma caravane de ces coins, et même avec le poids, c’était vraiment limite,… je préfère ne pas vous expliquer les manœuvres en bout de piste, rien que d’y penser je pense que c’est fou…, parce que la voiture + la caravane, c’est 13 mètres, plus long qu’un car postal...
Un poil avant midi, j’arrive tout de même à revenir sur mon spot de la veille où j’ai passé la nuit et d’où je vois la maison de Mustapha, et je reste tenace, parce que ce coin me fait vraiment trop penser à Riacho Fundo pour que ce soit du hasard... Je voyais la caravane depuis là en-bas, Maryam la voit et Mustapha la verra, il reviendra me chercher, je reste et je crapote en attendant, du genre : «C’est Dieu qui m’a trouvé mon coin, pas de soucis».
Les quelques maisons du Riacho Fundo du Rif sont sur mon pied sur la photo, j’étais content que ce soit des bergers et pas des cultivateurs de drogue.
En milieu d’après-midi, j’ai vraiment trop faim donc je me barre. Mais je m’arrête partout où je vois quelqu’un parce que je suis épuisé par les manœuvres incroyables du matin (toujours cette histoire d’énergie), parce que je crève de faim, parce que je cherche un endroit où stationner avec des gens qui pourraient s’occuper un peu de moi, je ne vais jamais arriver jusqu’à Fès, il y a encore au moins 240 kilomètres, et j’ai absolument besoin d’eau, donc je m’arrête à chaque maison qui semble pouvoir accueillir une caravane devant, mais personne ne parle français, un vieux comprend lorsque je lui montre mon arrosoir que j’ai besoin d’eau et il rempli mon arrosoir en pompant durant 5 minutes, pour finir par m’indiquer un hôtel 20 kilomètres plus loin, ... mais je n’ai pas besoin d’hôtel, j’ai besoin d’un terrain plat et d’eau, … et de 2 repas par jour, et pas dans 20 kilomètres…, j’ai réussi à en faire 38 depuis mon spot, c’est plus qu’il n’en faut.
Je prie mais je pense que Dieu m’a abandonné, et j’avance, et je monte encore, et quand je suis au bout de la souffrance et au bout des mystères douloureux de mon chapelet que je ne médite même plus, je vois un type qui discute avec un autre qui est dans une voiture, le GPS m’indique que je suis exactement à 1600 mètres d’altitude. Je m’arrête, et je lui dis : «I need help, j’ai besoin d’aide, pouvez-vous m’aider ?, je suis à bout de forces, je dois manger et me reposer, juste un terrain et de la nourriture, une semaine-10 jours».
Etonamment, le type se débrouille un peu en français, il me dit que je peux venir chez lui, c’est juste à côté. Je pense stationner devant sa maison, mais il me dit : «Non, pas devant, dedans !». Pour entrer, il faut ouvrir une immense porte en fer, il casse le cadenas rouillé à l’intérieur, et pour la première fois depuis très longtemps j’imagine, il ouvre la grande porte en fer qui permettra à ma caravane de rentrer (eux entrent et sortent par une plus petite porte dans la grande porte). Donc il tire à hue et à dia, et la grande porte fini par s’ouvrir et je peux stationner ma caravane dans la cour intérieure de sa maison. C’est Rachid et sa famille (du côté de sa femme Fatima), je ne connais pas encore celle qu’il a avec sa deuxième femme qui habite plus loin.
Il a une maison trop grande pour lui, c’était celle de son père qui avait eu trois femmes, oui oui, en même temps, ici ils assurent le coup dès le début, comme ça si l’une péclotte, ils en ont toujours au moins une en rechange.
Rachid est un agriculteur, et son père avait vu les choses un peu trop en grand, il avait planté depuis la maison jusqu’à la mosquée, je ne sais pas où est la mosquée, mais elle doit être loin car on entend le muezzin uniquement lorsque le vent souffle dans la bonne direction. Donc grosse étendue de plantations, ça c’est ok pour le chef local, mais là où le père de Rachid a déconné, ça a été de vouloir se la jouer Escobar et de tout contrôler, depuis la plantation jusqu’à la revente en Europe, et pour ça, il faut plus que l’accord du chef local, il faut une sorte de sauf-conduit délivré par l’administration régionale. Je pense que le papa a voulu passer outre, parce que Rachid se souvient encore lorsque les militaires sont venus l’arrêter, ici même, où je stationne avec ma caravane.
Donc mon hôte a retenu la leçon et il voit les choses plus modestement que papa, au lieu de 3 femmes il n’en a que 2, et au lieu d’immenses plantations, il se contente de la colline où il est, ça suffit, et il revend tout ça à l’Escobar du coin qui s’occupe d’arroser l’administration régionale et du transport pour l’Europe et la Russie. Ça rapporte moins, mais il a la conscience tranquille, c’est d’ailleurs un agriculteur consciencieux qui teste sa production régulièrement…, non, en réalité, il est très friand de sa récolte : le lendemain matin de mon arrivée, il était déjà entrain de faire du hasch en tapotant sur son tamis pour faire tomber le pollen dans la cuve.
Il m’en propose mais je lui dis que je ne fume pas, cigares dominicains et nicaraguayens uniquement, c’est ok pour moi et ça me suffit. Mais pour faire les choses en ordre, il avise le chef local qu’il abrite un étranger, et le chef local veut me voir avec le passeport pour aviser l’administration, donc le lendemain j’ai été le voir, il a fait une copie de mon passeport, tamponné et envoyé à l’administration régionale. Je lui dis que je vais sans doute rester là un moment pour écrire un livre, un vieux qui parle français traduit, ça a l’air correct, tout est fait en ordre.
J’arrête là, je raconterai demain ma vie avec cette famille à 1600 mètres d’altitude, Fatima est très gentille, elle prend soin de moi, je paye moins cher que le camping de Lourdes avec en plus 3 repas, et tout ce qu’il faut pour me requinquer. Alors oui, c’est des producteurs de drogue, mais c’est comme le Valais, on est des producteurs de vin sans être si mauvais…, tout se passe bien, si on considère qu’on ne vit pas d’amour et d’eau fraîche, tout se passe bien, car je n’ai ni eau fraîche, ni amour, mais je compense avec la bonne nourriture de Fatima, et puisque je me rends aussi compte que l’homme ne vit pas que d’eau et de pain, mais de toutes Paroles qui viennent de Dieu, je vais recommencer à lire la bible.
J'ai montré ma collection de stickers formidables, et dès le lendemain matin, ils voulaient les coller, mais trop de poussière sur la caravane, alors ils se sont mis à nettoyer tous azimuts... vraiment une chic famille.
Auguste, toujours très apprécié par tout le monde, même si je leur ai dit que s'il était encore vivant et qu'il fronçait les sourcils comme ça devant toi, ça n'était vraiment pas tant bon pour toi, mais tant pis, il inspire la sympathie dans tous les territoires qu'il a conquis !
Je suis resté une semaine dans la coure de Rachid et Fatima, qui ont été si aimables, Fatima me faisait les repas, Rachid me les apportait sur un plateau d'argent, moi j'arrosais, mais le deuxième jour, la température tombe à 13 degrés et il tombe des grêlons de la taille de billes, et le lendemain, toutes parois abattues, il fait 43 degrés sous l'auvent, à l'ombre, une vague de chaleur montant du sahara qui passait au-dessus du Rif et redescendait sur l'Europe, parraît qu'ils ont même eu chaud aux jeux olympiques...
Ceci dit, mes conditions personnelles se sont dégradées, avec ces vagues de froid et de chaleur qui ont fait fondre jusqu'à la bougie que j'avais dans mon auvent, la climatisation de la caravane qui faisait sauter les fusibles de la maison à Rachid à chaque fois que je l'allumais, c'était devenu très difficile, trop difficile si on compte la solitude et l'incapacité de faire quoique ce soit.
Là, le matin, je suis à l'ombre du mur, mais durant toute la journée, je suis entouré de béton, pas de vue, plus d'énergie pour aller m'installer plus haut...
Photo de l'extérieur de la maison de Rachid
Plusieurs choses à dire sur ce coin d’altitude :
1) Les bestioles : On est quand-même pas mal épargné par les bestioles du genre moustiques. Il y en a, mais pas beaucoup. Par contre, j’ai écrasé une araignée dans mon auvent qui faisait passer celle de Lourdes en catégorie poids plume. Ce n’est pas encore les tarentules du Brésil, mais ça impressionne déjà plus que celles qu’on trouve chez nous. Donc du côté bestioles, ça reste correct, et je préfère ne pas anticiper sur ce que je vais trouver au Congo.
2) La nourriture : Fatima cuisine et Rachid m’apporte le plateau à la caravane, mais je peux aussi manger avec eux, comme j’en ai envie. Par contre, les plats ne sont pas présenté comme chez nous, au début je demandais ce que c’était, mais Rachid n’a fait que 5 ans de français (quelques heures par semaine) à l’école, donc il ne faut pas non plus trop lui en demander. Ceci dit, on a de la chance que Dieu nous ait fait omnivore, et maintenant je pars du principe que ce que Fatima met sur la table est comestible, donc je mange, parfois c’est bon parfois moins, mais sans doute nourrissant, d’ailleurs, je sens déjà que je reprends quelques forces physique avec des plats chauds et cuisinés, ce que je ne faisais plus depuis début janvier.
3) Le climat : On ne peut pas trop se fier à l’altitude pour le climat. 1600 mètres ça sonne un peu frisquet dit comme ça, mais aujourd’hui, le termomètre est monté à 43 degrés dans mon auvent avec les parois enlevées, donc juste les colonnes et le toit pour faire de l’ombre, et la bougie que j’avais mis la veille a fondu et est tombée sur la table… C’est étonnant, même Rachid me dit que le climat n’est pas normal, les gens qui viennent depuis Fès qui est à 400 mètres d’altitude trouvent qu’il fait bien plus frais ici.
4) La sécurité : Ici, entouré de murs qui font entre 3 et 4 mètres de haut avec une porte en fer verrouillée, je n’ai pas vraiment à craindre quoique ce soit. Rachid est très sympa, mais je ne lui fais pas totalement confiance, la seule chose que je sais, c’est que tant que je reste chez lui et que je paye les 200 roupilles par jour, je suis en sécurité. Par contre, lorsque j’annoncerai mon départ, il va sans doute falloir lâcher quelque chose de plus pour qu’il me laisse partir… On verra bien, je peux aller et venir au café wi-fi ou n’importe où avec la voiture, mais si la caravane s’en va, c’est les 200 sesterces qui tombent, et je pense que ça représente beaucoup pour eux, car même s’il cultive un peu, c’est des pauvres gens. En ce sens, je leur suis utile comme ils me sont utiles, parce que moi aussi je suis un pauvre gens, comme dans Blood Diamond lorsque l’africain dit à Di Caprio : "Tu n’as pas de famille ? - Alors tu es pauvre !" (les millions du diamant ne compensent pas une famille, je le vois bien ici). Mais tant qu’il fait si chaud, je peux rester en altitude, eux sont satisfaits de ma proposition, et je suis satisfait du traitement qu’ils me réservent.
5) L’ambiance : Rachid est souvent de bonne humeur, assez nonchalant, il se soucie de ma quiétude, mais mon histoire d’apparat ne marche pas tellement ici. A Lourdes oui, ça marchait, les gens détournaient le regard et semblaient apprécier si j’engageais la conversation. En Afrique noire ça pourrait marcher aussi, parce que ce que je sais, c’est qu’un blanc est un blanc, j’en ai assez fait l’expérience étant jeune, donc on devient une attraction ambulante, et comment tenir les gens un peu à distance en étant une attraction ? - Impressionner !, ...avec Auguste, le David du Bernin, et tout mon cheni, je me disais que ça plantait un peu le décors pour ne pas me faire harceler, mais respecter, et ensuite inviter pour montrer que je suis sympa. Mais ici, entre les murs, je n’ai pas besoin de tout ça, et c’est très frustrant d’avoir ces deux gamins, Ahmed et la petite Duarte qui me regarde avec ses grands yeux sans pouvoir communiquer. Fatima reste en retrait, elle manage toute la maisonnée, mais c’est Rachid qui fait le lien entre l’auvent et la maison, donc je la salue chaque jour, elle est très gentille, et je lui fais plus confiance qu’en Rachid même si on ne peux pas communiquer. Donc l’ambiance est solitaire, très solitaire, sans wi-fi, sans téléphone, sans même pouvoir expliquer à Rachid qui était David ou Auguste parce qu’il n’a jamais entendu parler de quelque César que ce soit ou d’un quelconque Goliath, et pas non plus envie de l’emmerder à donner un cours d’histoire simplifiée en langage de 1ère maternelle. Alors je profite de ce qu’il y a à profiter : Me refaire une santé avec la nourriture de Fatima.
6) L’être : Tous les marocains à qui j’ai demandé quelque chose ont voulu m’aider du mieux qu’ils ont pu, ou qu’ils ont pu comprendre, c’est des gens vraiment aimables, qui n’existent plus réellement en Europe. L’être Européen est égo-centré sur soi-même et son smartphone, tandis qu’ici, ils sont curieux de tout, et le smartphone dans le Rif, c’est vraiment de l’ordre du gadget, Rachid était tout content que je recharge pour 20 dihram la carte SIM de Fatima pour voir si on arrivait à créer du wi-fi mais comme ça ne marchait pas, il a pu écouter un peu de musique et en était déjà très satisfait. De mon côté, j’essaie de bien me tenir, d’être propre, de sourire même quand ça ne va pas, et de me respecter. Il y a beaucoup de choses qu’ils disent dans la bible et qu’on ne comprend plus chez nous, le lavement des pieds par exemple. Ça fait des mois que je ne mets plus mes petites chaussettes blanche de lit sans avoir au préalable pris un bain de pieds (je fais ça dans la douche, assis sur la cuvette des WC), ça a l’air ridicule, mais quand on s’est promené dans des chaussures, que ce soit à Evolène, à Lourdes ou ici, eh bien de se laver les pieds avant de me coucher c’est devenu comme me brosser les dents, je ne peux même plus imaginer me coucher avec les pieds moites ou poussiéreux si je me promène pieds-nus dans l’auvent. Donc je ne comprends que maintenant le reproche de Jésus à Simon le Pharisien qui ne lui avait pas lavé les pieds, c’est la base du respect de soi, comme l’eau est la base de la vie. Et si je me respecte, je vois que les gens me respectent, tandis que si je me mettais à fumer du haschich et à m’habiller comme un hippie et à rester crade, à mon avis je ne fais pas très long dans cet endroit avant d’aller visiter la case «prison».
Vue de la vallée depuis la colline à Rachid
Ceci dit, je souffre trop de la solitude et d'une espèce de mal être total qui doit être dû au manque cannabinoïde. Vers la fin, à Lourdes, quand je roulais des joints avec du hash, ils s'éteignaient parfois, trop de hash par rapport au tabac qui est censé assurer la combustion... Donc incapable de dormir, dans un état catastrophique, incapable de me mouvoir, ... je ne peux même plus imaginer tourner ma caravane pour repartir, que ce soit en direction du port ou de Fès, et je sens la mort qui rôde et qui a tant envie de me délivrer, ça fait 7 mois que je souffre de la séparation d'avec ma femme, alors ici, le dernier jour, ... je suis trop mal foutu, je ne crois plus assez aux toubibs pour faire appel à eux, alors le soir, je décide d'aller me suicider hors des murs de la maison de Rachid et Fatima pour ne pas leur attirer des problèmes, et je suis vachement au point :
1) Prendre l'un de mes Davidoff, j'en avais 4 pour des étapes clefs (Cape Town, Victoria Falls, Kilimandjaro, Bethléem), je n'y arriverai jamais alors tant pis, c'est dommage de gâcher, j'en fumerai un avant d'asséner le coup fatal.
2) Baillonnette de l'armée Suisse prête et aiguisée, et j'ai bien regardé où planter, pas envie de finir comme Caton, le dernier républicain qui se suicide avec son glaive alors que Jules lui court derrière pour le "pardonner", et il se loupe mais tombe quand-même dans les pommes, son médecin voit qu'il n'est pas mort, commence à le recoudre, Caton revient à lui, voit ça, et doit s'arracher les organes à mains nues pour que ça se termine... Donc j'avais un peu de soucis de ce côté là, pas vraiment envie de terminer comme ça, mais pour éviter pareille mésaventure, au café wi-fi "google image" est mon ami, j'avise le point d'entrée, je vérifie pour voir ce que ça fait, ça pique un peu pour trouer la peau, mais une fois la peau percée, ça devrait aller tout seul, j'avise encore l'inclinaison de la lame pour traverser le coeur, je suis au point.
Tout était donc parfait, sauf mon fils Raphaël, et un peu avant minuit, alors que je crapotais mon Davidoff sur la colline, il y a une sorte de connexion qui se fait avec lui, par SMS, reproduit ci-après :
Raph : Souviens toi des bons souvenirs qu’on a passé ensemble
31.07 33h28, moi : souvenirs souvenirs, moi aussi j’en ai plein
31.07 23h33 moi : Si j’en juge par ces 6 derniers mois, je ne manquerais à personne, rassure toi là-dessus
31.07 23h44 moi : Je dois entendre la voix de maman
01.08 00h01 Raph : Je t’aime de toutes mes forces papa. Je veux ton bien.
01.08 00h30 Raph : Je veux te revoir papa. Tu me manques. Prends soin de toi. Moi aussi j’ai tellement de souvenirs !
01.08 00h31 Raph : Je veux te revoir en ce monde. Je t’aime et je prie pour toi.
01.08. 00h40 Raph : Je t’aime tellement. Merci d’avoir été mon héro. Ne te fais pas de mal je t’en supplie.
Le mal-être a été présent durant plus de 2 semaines, je n’en pouvais plus, que ce soit dans la clinique de brousse de Nador ou celle high-teck de Casablanca, j'en ai bâvé de ce sevrage et de ce mal-être...
Alors bon, je lis ces SMS sur la colline au-dessus de la maison de Rachid, je pleure, je ne peux pas planter la baillonnette, Raphaël semble encore compter sur moi, me téléphone, et je promets de faire appel à mon assurance rapatriement, ce que je fais le lendemain, ici mon dernier levé de soleil dans la cour à Rachid.