Le Roi de Bohême

15 => Une ville médiévale en Amérique du Sud ??? - et esclavage...

Le 16/02/2025 0

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Non, ce n'est pas Carcassonne, c'est Rio de Contas : 

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Le moyen âge vu d'Amérique du Sud...

Vera a même fait mention du mot «Antique» pour définir cette ville. Mais bon, on est dans le nouveau monde, et ce qui est médiéval pour eux c’est des villes qui ont 100 ans, tandis qu’antique c’est 200 ou 300 ans. Comparé à l’Europe, la Chine ou l’Inde, il faut rajouter un zéro, et un zéro c’est peu, ce n’est pas grand-chose, mais ça fait tout de même 1000, 2000 ou 3000 ans…

Donc on reste sur cette appellation d’antique, parce qu’avant Rio de Contas, il n’y avait rien du tout à des centaines de kilomètres à la ronde : rien, un territoire aussi grand qu’un pays européen sans une seule bourgade digne de s’appeler ainsi, à peine quelques indiens épars qui ne comptent pas dans l’équation de la civilisation.

Alors pour remonter au plus loin qu’on peut, on peut dire que les premiers habitants ayant un rudiment de civilisation qui ont habité là sont des esclaves fugitifs… Pourquoi civilisation ? Eh bien parce qu’ils ne sont pas arrivés là par hasard, ils ont été chargés sur des bateaux en Afrique et emmenés au Brésil par des portugais pour travailler, donc ils ont eu un certain contact avec la civilisation, les indiens autochtones n’en ont eu aucun. Contrairement aux Espagnols, les portugais avaient des comptoirs en Afrique, c’est ce qui explique que le Brésil est un pays métissé tandis que le reste de l’Amérique du sud ne compte quasiment pas de noirs.

Donc si on se met dans la peau d’un esclave de cette époque, le type se voit vendu par un chef d’une tribu africaine aux portugais (qui ne s’aventuraient pas dans les terres) contre quelques babioles, des clous ou un miroir, trois fois rien, embarqué sur un bateau et déchargé au Brésil, les chaînes au cou. Et là, pas question de se contenter de travailler pour subsister, non, il faut bosser dur et être rentable pour les blancs qui l’ont acheté contre quelques clous ou un marteau. Comme dit dans ma présentation, j’ai lu les carnets de bord de beaucoup d’explorateurs de jadis, mais j’ai aussi lu le carnet de bord d’un capitaine négrier, et c’était assez hallucinant, le type se prenait carrément pour un bienfaiteur de l’humanité. Il avait dû pénétrer une fois à l’intérieur du continent africain à la suite de la victoire d’une tribu sur celle qui approvisionnait le comptoir en humains, et il décrit une scène apocalyptique car non, ils ne pratiquaient pas un cannibalisme de subsistance, c’était un véritable festin après la bataille, et là il a pu «sauver» toute une équipe, y compris un bébé qui était accroché par un pied à une branche, à l'envers. Il les a tous acheté au nouveau chef de la région, et lorsque la maman, déjà sur le navire, l'a vu arriver avec son bébé sauf, c'était la gloire (pour lui, parce que ce fut un traversée tranquille). Les africains étaient toujours très nerveux au début des traversées car ils croyaient que s’ils étaient emmenés ainsi dans les cales, c'était en guise de garde-manger, pour nourrir les blancs qui étaient à la manoeuvre, mais après avoir vu que les blancs leur donnaient même un peu à manger pour la traversée et après avoir compris qu’ils n’allaient pas se faire cuisiner ça se passait mieux.

M’enfin, une fois à destination, il faut bien quitter le gentil capitaine bienfaiteur de l’humanité qui les revend pour bien plus cher que quelques clous, et là, même si la traversée ne s'est pas faite dans une cabine avec balcon sur la mer, ça devient vraiment rude, certains esclaves ne sont pas content de leurs conditions de travail, il n’y a pas de syndicat ni rien pour rouspéter, manifestations interdites, même la loi est contre eux, donc quelques débrouillards arrivent à s’enfuir… S’enfuir oui, mais s’enfuir où ? - Là où il n’y a pas de blancs, donc dans ce coin, à Rio de Contas. C’est ce qui se passe en 1650, et ils arrivent même à s’organiser un peu pour construire le Pousso dos Crioulos, l’actuel siège municipal, ce qui est déjà bien mieux que les indiens, qui eux, n’ont laissé aucune trace. Ici le siège municipal avec en avant plan l'une des descendantes de ceux qui l'ont construit :

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Ensuite, bon an mal an, tout se passe bien sur 2 générations, ils peuvent rester là tranquilles, même s’ils sont quand-même repérés en 1690 par l’expédition de Manoel Olivera Porto et du chanoine Domingo Oliveira Lima, qui ne les embêtent pas et se contentent d’ériger une petite première chapelle à la louange de Senhora Santana.

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Mais le beau temps ne va pas durer parce qu’en 1710, le Pionnier Sebastiao Pinheiro Raposo découvre de l’or dans le lit de la rivière, et même mieux : des gisements ! Ce qui va provoquer une ruée vers l’or. Donc en définitive, tous les descendants de ces esclaves évadés vont devenir bougrement utiles… Ceci dit, esclaves ou pas, il me semble que ça se passe toujours un peu de la même manière, ici aussi dans mon village : - on découvre de l'or, il y a une ruée, un village est créé, et ça continue encore aujourd'hui en Amazonie, sauf que les garimperos (chercheurs d’or) tuent les indiens qui veulent continuer à vivre de façon ancestrale, et ceux qui restent en vie reculent leur village hors de portée des chercheurs d'or, de minerais ou de bois précieux. Alors oui, Izac me dit qu'il y a des lois définissant des sortes de réserves, que le meurtre des indiens est prohibé par la loi, même de ceux qui n'ont aucun document d'identité, mais ça a plutôt l'air d'être des sortes de recommandations fédérales que de véritables lois, parce que beaucoup d'indiens se font tuer. Dans les films ils sont tous super-doués avec leurs sarbacanes mais dans la réalité, face aux armes à feu, ils ne font pas le poids. Donc à l'époque où il y avait l'esclavage les gens étaient réduits à travailler très dur, et comme aujourd'hui l'esclavage est interdit, ils se font tuer.

On en revient à l'époque de la fondation de Rio de Contas, c'est en 1722 que le vice-roi du Brésil (qui était encore une colonie portugaise) décide de créer la ville de Rio de Contas, c’est la première ville planifiée du Brésil, ce qui veut dire qu’elle n’a pas été construite de-ci de-là, mais qu’elle a été dessinée sur plan, la première ville qui va administrer un territoire nettement plus grand que la Suisse. Suite à quoi, eh bien pour organiser un peu le travail, ils piquent le Pousso dos Crioulos aux esclaves et construisent le principal bâtiment de la ville, non, ce n’est pas la préfecture, c’est la délégacia, ça ne se traduit pas, mais c’est là qu’ils trient, marquent au fer, punissent les esclaves désobéissants :

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Alors oui, Rio de Contas est une jolie ville parce qu'elle est sur la Chapada Diamantina à plus de 1000 mètres d'altitude, mais aussi parce qu'ils ont tout laissé comme à l’époque : interdiction d’asphalter, respecter les codes de construction des bâtiments comme d’époque, ce qui a valu à la ville de devenir une attraction touristique, mais à la base, c’était l’or. Il y en avait tellement que les esclavagistes jetaient des paillettes sur les processions pour montrer à quel point ils aimaient le bon Dieu, ils commandaient aussi des étoffes et tout un tas de choses en Europe, ils avaient les moyens pour tout. Ça a duré jusqu’en 1840, date à laquelle les ressources minières ont décrut, ce qui a provoqué une petite crise économique, mais grâce à Dieu, ils ont trouvé des diamants en 1850 pas loin de là, beaucoup d’habitants de Rio de Contas ont déménagé vers les diamants et fondés de nouvelles villes. Mais Rio de Contas est resté le centre administratif jusqu’à mon père brésilien Zéca Macamba qui tient ses propriétés à Riacho Fundo de l’administration de Rio de Contas, oui oui, à 170 kilomètres de Riacho Fundo, c’est là-bas qu’il a fait enregistrer sa signature attestant de ses titres de propriété sur le domaine Riachofundesque.

Voilà pour l’histoire de la ville. Pour ce qui est de l’esclavage, il ne faut pas être trop sévère non plus, parce que dans l’absolu oui, c’est mal, mais sur un plan temporel c’est relatif, parce que sans esclavage, Analva qui m’a accompagné durant la visite aujourd’hui et dont l’arrière-arrière grand-père a sans doute dû être trié et marqué dans cette délégacia, eh bien elle ne serait peut-être pas prof dans une école, ni posséder un coquette maison avec une chambre d’ami pour moi ! Non, sans cet arrière-arrière grand-père déporté d’Afrique, elle serait peut-être actuellement au fin fond du Congo en train de courir à gauche et à droite pour échapper à des armées loyalistes ou des troupes rebelles. Sans esclavage, il n’y aurait jamais eu de président de los Estados Unidos de Américos noir et Obama serait entrain d’essayer d’échapper à la charge d’un troupeau d’éléphants au Kenya, donc il faut relativiser. Disons que grâce au sacrifice et aux souffrances de leurs aïeux, les noirs actuels ont une meilleure vie, parce que l’Afrique va en général moins bien que l’Amérique ;-)

Essayons de ne pas stigmatiser les anciennes coutumes et voyons un peu les choses positivement pour une fois !

Maintenant qu’on a planté le décors, je vous raconte quand-même un peu cette journée de samedi 15 février, parce que c'est la première fois depuis 3 mois que je bouge au-delà du chef lieu local à 20 kilomètres de piste de NS do Ouro. Alors j’arrive chez Analva à 07h00 en moto, et une amie, directrice d’école, vient nous chercher avec son fils de 12 ans à 08h00, et nous voilà parti pour faire 150 kilomètres jusqu’à l’antique capitale régionale. En ce jour, je me rends enfin compte de la réalité. Non, pas la pauvreté, juste la réalité : Elle a beau être directrice d’école, elle a beau avoir un modèle récent de Chevrolet, elle s’arrête tout de même 3 fois pour prendre de l’essence. Non pas pour faire le plein, mais 100 réais, 14 litres et quelques, en visant les stations les moins chères, ça se joue à 2-3 décilitres près. Donc ici je vois enfin la réalité des gens, ils ne sont pas pauvres, mais chaque chose reçoit l’attention qu’elle mérite, on fait attention pour tout. La pauvreté, c’était la dame qui fouillait dans les poubelles du marché et qui ramassait les canettes de Coca et autres en aluminium. Là oui, je me demandais bien à combien pouvait se revendre un kilo d’aluminium en vrac ? Ainsi, on se rend compte qu’en Suisse, on vit totalement hors sol tandis qu'ici il y a la réalité, non pas la misère comme en Inde ou en Afrique, juste la réalité. Chaque matériel ou chose a sa valeur, sauf l'or pour Vera, qui jette par la fenêtre les dents en or de Zéca pour que sa dépouille ne soit profanée, mais l'or ici, c'est un peu comme de la mauvaise herbe, ça pousse un peu partout... ;-)

Vers 11h00, on arrive à Rio de Contas, eh oui, c’est une très jolie petite ville de 13’000 habitants, ici, devant le bâtiment municipal :

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La délégacia trône au milieu de la ville, sur l'autre place centrale.

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A l’intérieur, on voit encore les trappes où il mettaient les esclaves et les trous pour y jeter du sel dessus après les avoir fouetté, soit pour désinfecter soit pour faire encore plus brûler, je pense que c’était plutôt par sadisme.

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Mais aujourd'hui il n'y a plus d'esclaves, on voit le bon côté des choses..., mais si les murs ont une mémoire, ils doivent en avoir vu, des choses...

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Analva ressent cet endroit avec émotion quand-même, parce que c'est sûr et certain que son aïeul a dû passer par là et qu'il n'a pas été bien traité :

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L'église en face de la délégacia, sur la place aussi :

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Toutes les ruelles sont bordées de maisons d'époque

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Ici c'est l'autre place centrale, celle du bâtiment municipal, l'ancien Pousso dos CrioulosImg 2407

 

Les ruelles typiques :Img 2415Img 2416Img 2418

L'antène locale de la CIA sous couverture d'une papeterie

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L'autre place centrale vue depuis le balcon de la délégacia

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Donc pour nous remettre un peu de ces émotions, on a été manger et on s'est baigné dans un très chouette endroit disposant de 3 piscines à moitié naturelles sur un Riacho du coin :

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Le plaisir de se baigner sans craindre les piranhias

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Puis, retour en ville, et à partir d'ici, il faut être un peu plus indulgent, je n'avais plus de batterie dans mon super appareil photo, donc photos au smartphone ou piquées sur le net pour la chute d'eau du Rio de Contas, ce Rio qui a contenu tant d'or...

L'école municiplale :

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Et une toute vieille église, allons voir ça :

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Alors là il s'est passé plusieurs trucs cocasses, un jeune homme noir très sympathique m'accueille devant l'église en me prennant pour l'évêque de la région, puis, comme je contredis, il me dit que je ressemble à l'évêque, ou en tout cas à un italien... Je suis content parce que j'aime beaucoup les italiens, je corrige quand-même, mais on ne lui ôtera pas de l'idée que je suis quand-même un peu évêque ou italien...

L'église a été construite en 1758 par des esclaves avec les moyens du bord (rassurez-vous, les blancs ont quand-même dessiné les plans), le mortier est fait avec des boyaux de vaches...

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Donc le jeune homme nous fait la visite et nous explique un peu, et puis j'avise 3 cloches, une grande inaccessible, mais une moyenne et une plus petite avec une corde, alors je tire sur la corde de la plus petite, et le type s’exclame «Ohhhh mon dieu, tu as tué une femme !» en mettant ses mains devant les yeux, donc je lui dis que je vais corriger, et je sonne la moyenne en pensant rétablir la combine, mais là il s’exclame encore plus fort : «Et maintenant tu tues un homme !!!»

C’était une tradition par-là bas, si la petite cloche sonne, ça veut dire qu’une femme est morte ou entrain de mourir, et si la moyenne sonne, ça veut dire que c’est un homme, je lui demande si la grande c’est pour un évêque, mais non, la grande c’est pour la messe ! Donc il était déjà tout soucieux, parce que les gens allaient venir lui demander qui est mort, mais c’est comme ça avec les enfants, faut pas laisser traîner les cordes des cloches, parce que c’est trop tentant de tirer dessus pour voir si elles sonnent justes.

Enfin bref, il leur dira qu’un évêque italien s’est amusé avec les cloches, je lui ai donné 5 réais pour l’ensevelissement de la femme et 5 autre pour celui de l’homme, parce qu’ils sont quand-même très superstitieux, le gars croyait réellement que des gens allaient mourir. Quant à nous, on peut dire qu’on est venu à Rio de Contas, qu’on a visité la ville, tué un homme et une femme et reparti !

En partant, on s’arrête encore aux chutes d’eau principales de Rio de Contas, où on peut se baigner dans des bassins naturel au-dessus des chutes ou au-dessous, très pittoresque (photo du net) :

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Et retour le soir, arrivé à NS do Ouro à 18h30 en moto, brisé mais content de la journée, et désolé pour l'homme et la femme que j'ai tué...

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